Notes
-
[1]
Bernard Marois, Le Risque-pays, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1990.
-
[2]
Sophie Nivoix et Dominique Pépin, “Intérêts et limites de la globalisation comme processus créateur d’investissement”, in Les Paradoxes de la globalisation des marchés, E. Milliot et N. Tournois, Vuibert, 2009, pp. 253-278.
-
[3]
Ephraïm Clark et Kostas Kassimatis, “Country financial risk ans stock market performance : the case of Latin America”, Journal of Economics and Business, n° 56, 2004, pp. 21-41.
-
[4]
Il suffirait d’ajouter autant d’autres zones que nécessaire, mais la lecture des intersections en serait moins aisée qu’ici.
-
[5]
Décrite plus en détail sur le site : www.euromoney.com/Poll/10683/PollsAndAwards/Country-Risk.html.
-
[6]
Op. cit.
-
[7]
Site de Coface : http://www.trading-safely.com/sitecwp/ceen.nsf.
- [8]
-
[9]
Aswath Damodaran, Investment Valuation : Tools and Techniques for Determining the Value of Any Asset, Wiley, Second University Edition, 2002.
-
[10]
Roger Mills, Marcin Peksyk, et William Weinstein, “Sharpening the tools of country risk analysis”, Henley Discussion Paper series, HCVIHDP, n° 9, 2005.
-
[11]
Michael Gangemi, “Mean reversion and the forecasting of country betas : a note”, Global Finance Journal, n° 10-2, 1999, pp. 233.
-
[12]
Michel Godet, Manuel de prospective stratégique, tome 2, Paris, Dunod, 2007, p. 128.
-
[13]
Dirk Brounen, Abe deJong et Kees Koedijk, “Corporate finance in Europe : confronting theory with practice”, Financial Management, n° 34, hiver 2004, pp. 71-101.
-
[14]
Op. cit.
-
[15]
Susan Carpenter et Michael Vellat, “The application of a planned economy country risk model to the assessment of market entry into the Chinese banking sector”, Journal of Financial Services Marketing, 13-4, 2009, pp. 345-356.
-
[16]
Mills et al, op. cit.
-
[17]
Gerard A. Moerman, “Diversification in Euro area stock markets : country versus industry”, European Central Bank Discussion Papers, Series n° 327, avril 2004.
1Élément essentiel tant pour les entreprises que pour les États, le risque-pays affecte fortement leur stratégie d’investissement. La complexité de l’analyse de ce type de risque ne fait qu’accroître son besoin d’évaluation, et souligne son caractère incontournable sur un plan prospectif.
2La concrétisation du risque-pays se produit de plusieurs manières. Sur le plan industriel il peut s’agir de la confiscation de biens ou d’actifs détenus à l’étranger, comme les nationalisations dans l’industrie pétrolière au Moyen-Orient ou en Algérie (au détriment d’Elf par exemple), ou la nationalisation du canal de Suez par Nasser en 1956 en Égypte. Sur le plan financier un pays peut connaître une crise grave (Mexique en 1994, Asie du Sud-Est en 1997 ou Russie en 1998 par exemple), générant des défauts de paiement, ou plus rarement décider unilatéralement de l’extinction de ses dettes. Et sur un plan humain l’événement peut concerner un conflit armé (guerre civile ou entre plusieurs pays) ou l’enlèvement de personnes contre rançon.
3Le risque-pays se compose donc à la fois d’un aspect économique et d’un aspect politique, lié à des décisions et événements internes ou externes au pays considéré. Ces deux paramètres sont fréquemment liés, une crise économique pouvant entraîner une instabilité politique, et inversement. Ce fut le cas en Indonésie avec un endettement excessif et un haut niveau de corruption, qui ont fragilisé l’ensemble de l’économie, et abouti à des troubles politiques (chute de Suharto), suivis d’un effondrement de la monnaie et d’une interruption des investissements en provenance des autres pays.
4Devant la multi-dimensionnalité du risque-pays, il est intéressant d’en appréhender non seulement les différents angles d’analyse, mais également l’évolution sur le long terme. Notre étude porte ainsi sur les modes d’évaluation du risque-pays, en relation avec le type d’experts concernés, et les mutations qui ont pu être observées. Dans une première partie nous nous intéresserons aux dimensions et implications du risque-pays. La deuxième partie sera consacrée aux principaux types d’évaluation en vigueur en liaison avec les acteurs qui les mettent en œuvre. La troisième partie mettra en évidence le mouvement vers une intégration plus large des aspects qualitatifs dans l’expertise.
Les dimensions et implications du risque-pays
Les différents champs de l’expertise
5Selon une définition globale, la notion de risque-pays recouvre “le risque de matérialisation d’un sinistre, résultant du contexte économique et politique d’un État étranger, dans lequel une entreprise effectue une partie de ses activités” [1].
6Si l’on considère sa mesure financière, le risque-pays est reflété par la volatilité des rentabilités des transactions internationales. Cependant, cette volatilité apparaît comme une conséquence d’un processus qui s’est complexifié depuis les années 1990 avec la globalisation des marchés et le raffinement des outils de gestion de portefeuille d’actifs financiers. En effet, le développement des techniques de couverture et d’arbitrage a conduit à davantage de diversification des risques et à une réduction à leur composante spécifique pour l’essentiel [2].
7Les flux financiers circulant entre les pays sont soumis à divers types de contraintes, de nature institutionnelle, réglementaire, économique ou fiscale notamment, qui persistent malgré les efforts d’harmonisation déployés dans certaines zones géographiques telles que l’Union Européenne par exemple. Les caractéristiques propres à chaque pays créent alors des conditions qui influencent l’obtention et l’allocation des ressources des agents économiques. Ainsi le risque-pays financier dépend de la capacité d’un pays à respecter l’échéancier du remboursement de ses dettes. Et lorsque le pays emprunte en devises on parle de risque souverain pour l’État concerné. Or l’aptitude au paiement des intérêts et du principal de la dette est liée à la capacité du pays à exporter sur le long terme davantage qu’il n’importe.
8Cela conduit à la notion de risque-pays économique, qui s’accroît lorsque le risque que les exportations ne suffisent pas à équilibrer les décaissements dus aux importations augmente. De même pour les entreprises, le risque d’insolvabilité constitue un frein pour l’accès au financement externe, mais également pour l’utilisation de l’autofinancement en vue d’investir. Cette dimension économique peut également être définie comme la volatilité du PNB ou du PIB réel. La situation macro-économique d’un pays conditionne en effet sensiblement les résultats des investissements qui y sont réalisés, et une économie diversifiée, compétitive internationalement sur une gamme de produits et services variés, présente moins de volatilité qu’une économie dont la palette d’activités est plus restreinte. Et naturellement une moindre volatilité est plus propice à la réalisation d’investissements par les entreprises vers ou depuis le pays considéré.
9Aspect complémentaire du précédent, le risque de change est appréhendé par la volatilité du taux de change de la devise d’un pays. Ce taux influence la rentabilité des investissements dont une partie des recettes ou coûts sont exprimés dans une autre devise, au point d’en effacer parfois la totalité des bénéfices. C’est pourquoi, dans une optique de réduction des effets de change et d’optimisation du couple risque-rentabilité, il est appréciable pour les investisseurs d’agir au sein d’une zone économique utilisant la même unité monétaire. Dans une telle situation, non seulement le risque de change n’existe plus entre les économies de la zone, mais il est réduit vis-à-vis des autres devises par effet de stabilité, ce qui abaisse les coûts d’une éventuelle couverture et facilite l’allocation internationale des actifs. Cependant le risque total n’est pas forcément plus faible, car la baisse du risque de change autorise la hausse d’un autre type de risque, comme le risque-pays économique par exemple.
10Dernière dimension importante du risque-pays, le risque politique ne fait pas l’objet d’une définition univoque. Au moins deux optiques peuvent être adoptées pour le caractériser [3]. L’une sépare le risque politique global que subit une entreprise contrôlant des filiales dans plusieurs pays, du risque politique spécifique à un investissement particulier dans une zone donnée. L’autre optique distingue un macro-risque imputé à des événements touchant les investissements (grèves, contraintes légales, nationalisations, guerres …) et un micro-risque affectant une entreprise particulière (en raison de sa nationalité, de son secteur ou de son passé). Pour les firmes internationales ce risque politique présente des effets tant sur le risque d’exploitation, qui s’accroît, que sur la rentabilité des investissements, qui se réduit. Le risque d’exploitation est classiquement mesuré par la variabilité du résultat d’exploitation (instabilité de la demande, hausses de prix des matières premières, coûts des troubles sociaux, pertes liées à des expropriations), et celle du résultat de l’exercice (aux éléments précédents viennent s’ajouter les variations non anticipées de taux d’intérêts ou de la fiscalité). La baisse de ces deux résultats en raison de charges trop élevées conduit alors à une baisse de la rentabilité des capitaux investis, qu’ils proviennent des actionnaires ou des prêteurs.
La structuration de l’analyse d’un projet en liaison avec le risque-pays
11Selon la nature du projet envisagé, le type d’analyse à mener et l’angle de celle-ci sont susceptibles de varier. Ainsi, selon qu’il s’agit d’un investissement direct à l’étranger (IDE), d’un partenariat, ou d’une étude de veille technologique, la relation entre le projet et le pays ne prend pas la même forme.
12Par exemple, si l’on considère un projet d’investissement réalisé par une entreprise dans un pays particulier, l’approche pourra se présenter de manière concentrique, ainsi que l’illustre le schéma 1. Chaque niveau de l’analyse comporte plusieurs aspects, mais l’inclusion de chaque élément dans le niveau supérieur permet de mettre en évidence des relations d’influence directes. Le projet comporte ainsi des caractéristiques techniques, humaines, financières ou commerciales, qui dépendent des spécificités industrielles, technologiques ou managériales de l’entreprise qui le conduit. La firme est elle-même contrainte ou aidée par les composantes du risque-pays qui la touchent directement, comme le risque de change (vis-à-vis de fournisseurs ou clients étrangers), le risque politique (instabilité des relations commerciales, troubles sociaux), ou économique (niveau des taux d’intérêts, inflation).
Projet et entreprise soumis au même risque-pays
Projet et entreprise soumis au même risque-pays
13La situation présentée cette fois dans le schéma 2 indique une liaison partielle entre un projet, une entreprise et un pays. Le projet peut être mené par plusieurs entreprises et mis en place dans plusieurs pays à la fois. Le schéma ne représente pas les éventuels autres pays et entreprises [4], mais se concentre sur les zones d’intersection entre les trois éléments utilisés dans le schéma 1. La conjonction projet/entreprise/pays située au centre du schéma 1 se retrouve à l’intersection des 3 zones dans le schéma 2, sachant que trois zones d’intersection supplémentaires apparaissent. Le projet n’est donc plus lié, sur les plans technique, financier ou humain aux caractéristiques d’une seule entreprise et d’un seul pays.
14Si l’on considère par exemple l’aspect financier, cela a une conséquence importante pour le coût des ressources utilisées par le projet. Dans le schéma 1 le coût du capital du projet dépend uniquement des ressources de l’entreprise, qui peut se financer par dettes ou fonds propres uniquement dans un pays donné. Dans le schéma 2 le projet est financé par plus d’une entreprise potentiellement, et dans plus d’une zone géographique. Sachant que les coûts de financement varient sensiblement d’une entreprise à l’autre (pour cause de taille, structure financière et niveau d’endettement variables) et d’un pays à l’autre (différentes valeurs pour chaque dimension du risque-pays), le taux d’actualisation appliqué aux flux futurs du projet varie lui aussi, ce qui influence fortement la valeur actuelle nette (VAN) de ce projet. Un même projet pourra alors être accepté ou rejeté suivant le coût de son mode de financement.
Projet et entreprise soumis à des risques-pays différents
Projet et entreprise soumis à des risques-pays différents
15Quant aux trois intersections impliquant chacune deux zones, elles indiquent respectivement la fraction d’un projet réalisée par une entreprise donnée (ou la place d’un projet dans l’activité de cette entreprise), la part d’un projet réalisée dans un pays précis, et la part de l’activité d’une entreprise dans un pays particulier. La taille des zones sur les schémas 1 et 2 ne saurait bien entendu être reliée directement à une valeur économique ou monétaire, car la zone pays dominerait totalement le schéma et la zone projet serait invisible.
16Ayant déterminé les principales dimensions du risque-pays, il convient à présent de procéder à son évaluation.
Quelques évaluations du risque-pays
17Ainsi que nous allons le voir dans ce qui suit, il n’existe pas de modèle unique pour appréhender le risque-pays, en raison de ses dimensions variées et difficilement réductibles à quelques paramètres standards. On peut cependant noter une tendance à recourir à une modélisation économétrique pour cerner les aspects financiers et économiques du risque-pays, et à une analyse plus qualitative pour en restituer les éléments politiques ou institutionnels.
La mesure du risque-pays par agrégation de paramètres
18Une première façon d’appréhender le risque-pays consiste à le quantifier au moyen d’une cotation (ou rating), qui permet le classement d’un pays par rapport aux autres. La cotation peut tenter d’englober la totalité des aspects du risque-pays, ou se focaliser sur un élément particulier. Le fractionnement du risque s’avère quelquefois très détaillé, comme en témoigne la méthode utilisée par Euromoney [5] pour son enquête semestrielle. Les composants de cette mesure ont d’ailleurs été modifiées en mars 2010 ainsi que le détaille le tableau 1, afin d’accroître l’importance du risque politique et de la performance économique. On remarque que les variables prises en considération concernent aussi bien des aspects monétaires que politiques ou économiques.
Évolution de la composition de la mesure du risque-pays établie par Euromoney*,**
Évolution de la composition de la mesure du risque-pays établie par Euromoney*,**
* basé sur une enquête auprès de plusieurs dizaines d’économistes et responsables de recherche à travers le monde (universités et institutions financières), qui attribuent un score de 0 à 10 (10 étant la meilleure note)** d’après la World Bank’s Global Development Finance (http://data.worldbank.org/data-catalog/global-development-finance)
19Ce type de méthode se caractérise par sa simplicité, malgré la délicate phase de choix des indicateurs de base, et son faible coût en raison de la disponibilité des indicateurs utilisés. Cependant, un tel calcul agrégé ne fait que le constat de la situation présente et manque de visée prospective. Ainsi l’Iran était considéré comme un pays à faible risque avant la chute du Shah en 1979, tout comme le Koweït avant l’invasion des troupes irakiennes en 1991, ou les principaux pays asiatiques avant la crise financière de 1997.
20Une seconde façon d’aborder le risque-pays est de se focaliser sur un aspect précis, tel que le défaut de paiement. C’est l’approche retenue par les agences de notation telles que Moody’s et Standard & Poor’s, ou un périodique tel qu’Institutional Investor, qui notent le risque souverain des pays empruntant sur les marchés internationaux. La notation peut aussi porter sur un autre élément, tel que le risque politique ou le niveau de corruption. La difficulté, plus sensible encore que pour une cotation globale, consiste à déterminer quelles variables explicatives il convient de retenir. Par exemple, Clark et Kassimatis [6] proposent d’estimer le risque financier d’un pays en utilisant les modèles de valorisation des options. La valeur de l’option correspond alors à la valeur de marché de la dette du pays, et le sous-jacent est assimilé à la valeur de marché de l’économie. La durée t est celle de la maturité de la dette, r le taux sans risque en USD, le “prix d’exercice de l’option” K est la valeur nominale de la dette, et la volatilité du “prix du sous-jacent” est mesurée par l’écart-type du pourcentage de variation de la valeur du sous-jacent.
21À nouveau, la question de la mise à jour de la note surgit immédiatement dès lors que l’on souhaite une vision prospective de l’analyse.
22Des méthodes plus complexes ont vu le jour, avec la segmentation de la population au sein d’un pays et l’analyse de chaque segment, ou la mise au point de systèmes-experts visant à modéliser les évolutions politiques, économiques ou sociales, ou encore la probabilisation d’événements visant à générer des scénarios affectés chacun d’un niveau de probabilité. Mais quelle que soit la démarche adoptée, le passage d’une appréciation qualitative à une quantification des variables demeure délicat.
La mesure du risque-pays au travers d’une note : l’exemple de Coface
23Dans une démarche d’agrégation assez voisine, Coface fournit non pas une mesure finale mais deux notes : une note pays et depuis 2008 une note d’environnement des affaires.
24La note pays mesure “le niveau moyen de risque d’impayé à court terme des entreprises du pays”, et “indique dans quelle mesure un engagement financier d’une entreprise est influencé par les perspectives économiques, financières et politiques du pays concerné” [7]. Ces aspects incluent la vulnérabilité de la conjoncture, la vulnérabilité financière de l’État, le surendettement extérieur, le risque de crise de liquidité en devises, la fragilité du secteur bancaire et les fragilités politiques.
25La note d’environnement des affaires comporte deux éléments. Le premier indique “si les comptes des entreprises sont fiables et disponibles, si le système juridique assure une protection équitable et efficace des créanciers”. Le second analyse si “l’environnement institutionnel et réglementaire est favorable aux transactions interentreprises”. Ce second élément comprend une évaluation de la qualité des institutions pouvant affecter l’activité économique, telle que l’efficacité des services publics, la qualité de la réglementation, le respect de la loi et le degré de corruption. Sont pour cela utilisés des indicateurs tels que l’Indice de Développement Humain du PNUD, l’indice de qualité des infrastructures publié par le Forum Économique Mondial sur l’énergie, le transport et les télécommunications, l’indice de la qualité de la réglementation publié par le World Bank Institute (WBI) sur le contrôle des prix et la supervision bancaire, l’indice de respect de la loi publié par le WBI sur la confiance des agents dans leur système judiciaire et le respect des contrats, et l’indicateur de corruption du WBI basé sur le détournement de biens publics à des fins privées. Notons que le WBI établit ses indices généralement à partir d’enquêtes auprès d’entreprises [8].
26Les deux notes s’expriment sur une échelle proche de celle des agences de notation des emprunts, qui comporte 7 niveaux : A1, A2, A3, A4, B, C et D.
27Voyons maintenant quelles sont les implications de l’évaluation du risque-pays pour un agent économique qui souhaite investir.
L’intégration du risque-pays pour un investissement
28Lors de son analyse d’un investissement, une firme –ou tout autre investisseur- intègre dans le coût des ressources qu’elle emploie afin d’actualiser ses flux prévisionnels un élément reflétant le risque-pays. Plus la valeur de cet élément est élevée, plus la Valeur Actuelle Nette du projet (VAN) diminue, ce qui peut conduire l’entreprise au rejet du projet d’investissement. Ainsi, pour des investissements It sur n années amenant des flux annuels Ft, le taux d’actualisation se compose d’une partie r n’incluant pas le risque-pays, et d’une partie z représentant la prime de risque-pays. On peut alors écrire :
30Quant à l’estimation de z, témoin du supplément de rentabilité demandé par les investisseurs en liaison avec le risque-pays, elle s’appuie sur plusieurs méthodes possibles. La plus simple consiste à ajouter à une prime de risque représentant le marché des actions dans un pays à maturité (qui joue le rôle d’un “taux sans risque”) une prime supplémentaire adaptée au niveau de risque du pays considéré. On a alors :
- z = prime de risque des actions du pays
- = prime de risque d’un marché des actions mature + prime reflétant le supplément de risque du pays (2)
31Une telle formulation soulève deux questions importantes. La première consiste à savoir quel marché mature doit être pris comme référence. Le choix fréquent des États-Unis n’est pas exempt de critiques, dans la mesure où le risque financier de ce pays n’est pas si faible dès lors que l’on considère son endettement abyssal. La seconde question renvoie à la détermination de la prime liée au marché du pays, qui peut s’adosser au risque de défaut du pays estimé par les agences de notation, mais avec l’inconvénient d’assimiler une prime de risque sur les actions à un écart de taux sur les obligations. Et le choix non pas d’un écart de taux sur les obligations mais d’une volatilité remplace un écueil par un autre, dans la mesure où la volatilité se mesure par rapport à un marché de référence, dont on inclut implicitement la volatilité dans celle du pays que l’on analyse.
32La détermination de la prime de risque-pays z peut également s’effectuer classiquement avec le Capital Asset Pricing Model doté de deux coefficients bêtas :
- r + z = Rf + βiβc(Rz – Rf) (3)
- avec Rf le taux sans risque
- Rz le rendement de l’indice mondial du marché,
- βi la sensibilité du rendement de l’investissement au rendement de l’économie du pays dans lequel a été réalisé l’investissement
- βc la sensibilité du rendement de l’économie de ce pays au rendement de l’économie mondiale
- βiβc évalue donc le risque total économique et opérationnel du projet.
33Sachant que la globalisation économique accentue l’interdépendance des pays, la valeur de βc doit augmenter, et parallèlement celle de βi diminuer car le climat économique national voit son effet sur le résultat de l’investissement s’amoindrir. Par conséquent le risque global de l’investissement et son espérance de rendement seront accrus en cas de forte incertitude économique internationale, mais réduits le reste du temps par effet de lissage des risques nationaux au sein de βc. Une baisse du risque amène à un taux d’actualisation moins élevé dans le calcul de la VAN, et conduit suivant ce critère à adopter plus fréquemment les projets, puisque leur VAN se révèle plus souvent positive.
34Une autre façon d’aborder l’évaluation du risque-pays z est suggérée par Damodaran [9], pour qui la prime de risque-pays sur les actions doit être supérieure au risque de défaut du pays. Cet écart est représenté par la différence entre la volatilité du marché des actions et la volatilité des obligations d’État du même pays. Ceci s’exprime de la manière suivante :
- z = prime de risque des actions du pays
- = risque de défaut du pays x (Ecart-type de la rentabilité du marché des actions / Ecart-type du rendement des obligations d’État à long terme) (4)
35La limite potentielle de cette méthode réside dans la nécessité pour le pays considéré d’avoir un marché des actions et des obligations suffisamment important et liquide, faute de quoi les écarts-types deviennent peu pertinents et inutilisables.
36Citons enfin une quatrième approche [10] de la prime de risque-pays z basée sur une version modifiée du Capital Asset Pricing Model. Au lieu d’ajouter au taux sans risque une prime de risque fonction de la sensibilité de l’actif au marché comme dans le CAPM classique, la prime est ajustée par un coefficient α, et l’on ajoute à l’ensemble le risque de défaut du pays considéré. D’où l’expression suivante :
- Coût des fonds propres = Rfus + z
- =Rfus + risque de défaut du pays + βajusté x (Rmus – Rfus) x α (6)
- Avec Rfus le taux sans risque du marché américain
- Rmus – Rfus la prime de risque du marché américain des actions
- βajusté le rapport entre l’écart-type des rentabilités du marché des actions dans le pays considéré et l’écart-type des rentabilités du marché américain des actions
- α le coefficient d’ajustement de la corrélation entre le taux sans risque et la prime de risque
37À nouveau le problème du marché de référence (ici les États-Unis) se pose. Une autre difficulté potentielle à signaler, et ceci pour tout modèle employant un coefficient de type β, réside dans la tendance au retour vers la moyenne que présente ce type de coefficient [11], ce qui amoindrit sa pertinence sur le long terme tant pour les β des firmes que pour ceux des pays.
38Cette section nous montre donc que les études tant théoriques qu’empiriques sont loin d’avoir établi un consensus sur la mesure de la prime de risque pays, et donc sur le coût des ressources à appliquer lors de l’évaluation d’un investissement à l’étranger. En effet, les méthodes aboutissent à des résultats relativement divergents alors qu’elles reposent sur une démarche qui se veut quantitative et objective. C’est dire à quel point il est encore plus ardu d’obtenir des résultats homogènes dans le cadre de variables qualitatives. Cependant, l’émergence d’un consensus n’est pas synonyme de justesse ni de bonne anticipation. Par ailleurs, en matière de prospective “la bonne prévision n’est pas celle qui se réalise, mais celle qui conduit à l’action” [12]. C’est pourquoi, plus que d’improbables outils infaillibles, les experts ont besoin de méthodes dont ils maîtrisent l’usage et connaissent parfaitement les limites.
Impacts financiers du risque-pays
39Lorsque le niveau du risque-pays a été déterminé, il sert de base à l’inclusion d’une prime de risque dans le taux de rentabilité exigé pour un projet d’investissement. Plus le risque est élevé, plus la prime le sera aussi, ainsi que le taux de rentabilité exigé par l’investisseur ou le financeur. Ce taux servant à actualiser les flux futurs attendus de l’investissement, plus il est élevé plus la valeur actualisée des flux sera faible, donc plus l’investissement aura de chances de ne pas être accepté suivant la logique de la valeur actuelle nette.
40Les entreprises exposées à des risques qu’elles ne peuvent réduire au moyen d’entreprises-conjointes, de location d’équipement ou de sous-traitance locale, peuvent s’assurer contre le risque politique, en s’adressant à une assurance privée, une agence gouvernementale ou une institution internationale (l’Agence Mondiale de Garantie des Investissement, filiale de la Banque Mondiale, ou la BERD par exemple). Contre le risque de change l’utilisation d’options de change ou de contrats swaps reste possible, et contre le risque de défaut de paiement des assurances privées sont également accessibles.
41Ainsi en France Coface garantit le risque d’atteinte à la propriété, le risque de non-paiement de l’indemnité de compensation en cas de nationalisation, et le risque de non-transfert des bénéfices et du capital investi que l’investisseur souhaiterait rapatrier. Le montant de la prime annuelle dépend du niveau de risque du pays, de la durée et du montant à couvrir.
42Les changements majeurs dans les équilibres économiques, politiques, sociaux ou commerciaux d’un pays ont systématiquement un impact sur la valeur de sa monnaie. Les pays dont la monnaie est en régime de change fixe ne sont pas exempts de telles conséquences, qui peuvent se traduire par des dévaluations douloureuses tant sur les plans économiques que politiques et sociaux. L’appartenance d’un pays à une zone monétaire unique atténue nettement l’impact de ces changements sur la monnaie commune, mais ne les efface pas totalement à plus long terme.
43Lors de l’évaluation d’un investissement, le coût du capital, utilisé comme taux d’actualisation des flux futurs, doit refléter le risque non diversifiable ou systématique. En effet, les prévisions de flux futurs attendus de l’investissement incluent en principe déjà le risque diversifiable. Le risque-pays est donc inclus soit par ajustement du coût du capital, soit par ajustement des flux futurs attendus, les deux méthodes étant équivalentes quant à l’intégration du risque.
44Brounen et al. [13] ont analysé, entre autres indicateurs financiers, la prise en compte du risque par la direction de 6 500 sociétés européennes (France, Royaume-Uni, Allemagne et Pays-Bas). Concernant les investissements à l’étranger, ils ont remarqué que la majorité des entreprises optent pour un taux d’actualisation des flux futurs identique pour l’ensemble de l’entreprise, mais que les entreprises françaises préfèrent utiliser un taux ajusté pour le risque de façon plus sophistiquée.
45Mills et al. [14] ont étudié la façon dont les firmes incluent le risque dans le taux d’actualisation ou l’estimation des flux futurs lors de projets internationaux. En observant les 6 méthodes les plus utilisées et les plus diffusées, ils montrent que les primes de risque sont susceptibles de varier de plus de 10 % en valeur absolue, ce qui crée un décalage considérable sur le résultat final de l’actualisation, et donc sur la décision d’investir.
46Ajoutons que Carpenter et Vellat [15] ont proposé un modèle d’évaluation du risque adapté aux pays à économie planifiée. Ce modèle prend en compte les critères suivants : analyse de la politique économique, mécanismes de contrôle du gouvernement central sur les secteurs public et privé (par exemple un réseau interpersonnel entre le gouvernement et les milieux économiques), transparence dans la gestion des entreprises, liens entre gouvernement central et banque centrale, relations économiques et politiques du gouvernement central avec les gouvernements locaux, système juridique, développement et accès aux prêts bancaires par les PME.
47Dans la pratique les entreprises, les banques ou les États utilisent plusieurs de ces méthodes en parallèle, en adaptant leurs conclusions à chaque projet particulier. En effet, un projet d’investissement donné ne présente pas forcément le même niveau de risque que l’entreprise qui le réalise et le pays dans lequel il doit être mis en œuvre.
48Après cette présentation non exhaustive des principales approches de l’évaluation du risque-pays, tournons-nous vers ses évolutions sur le long terme.
La mutation des types de risques et de leur analyse
49L’évolution de la nature du risque-pays nécessite d’adapter l’analyse de celui-ci en tant que fonction d’appui aux décideurs économiques et financiers. L’augmentation de la population et la mondialisation accroissent les risques technologiques, financiers et sanitaires, ce qui incite plus fréquemment à recourir au principe de précaution. L’aspect irréversible, illimité ou incalculable de certains risques (terroriste, environnemental, politique) les rend presque assimilables à un risque de guerre, dans la mesure où celui-ci ne peut être régulé par le seul marché, domestique ou mondial. L’État constitue alors l’assureur en dernier ressort, et le garant de la sécurité des agents économiques.
50Le développement des Investissements Directs à l’Étranger entraîne, parallèlement à un afflux de ressources génératrices de croissance, une hausse des risques pour les pays qui en sont dépendants (rapatriement des bénéfices et des dividendes, relocalisation des sites industriels, manque d’autonomie décisionnelle locale).
51Notons aussi que l’intégration économique et financière au sein d’une zone géographique influe sur les composants du risque-pays. Ainsi la création de la zone Euro a réduit l’impact des caractéristiques du pays dans le résultat des investissements, au profit du secteur d’activité, notamment pour les grandes firmes [16]. Le pays demeure cependant le premier facteur déterminant le résultat des investissements pour les firmes de petite et moyenne capitalisation boursière. Il y a donc eu un rééquilibrage des facteurs d’influence au sein de la zone Euro [17].
52L’interdépendance économique et financière entre les pays ou les zones économiques, et plus largement la mondialisation, tend également à accroître le financement des entreprises et des États par les marchés financiers. Cette ouverture à des accès variés aux fonds propres ou à l’endettement augmente parallèlement le risque de contagion internationale, mais aussi entre les agents économiques (entreprises privées, PME, groupes multinationaux, entreprises publiques) en cas de crise financière, ainsi que l’a montré la crise des subprimes en 2007 et 2008. Ainsi la réduction des risques grâce à la diversification internationale des investissements trouve sa limite avec une partie du risque-pays financier qui s’avère non diversifiable en pratique.
53D’où l’intérêt de dépasser les seuls critères macro-économiques et financiers en analysant la dynamique institutionnelle afin d’intégrer des éléments tels que le système financier et juridique, la gouvernance des entreprises, le droit des contrats ou encore la situation concurrentielle. Les effets de ces paramètres peuvent être illustrés par l’exemple du schéma 3.
Exemple de conséquences pour l’investissement selon le système juridique
Exemple de conséquences pour l’investissement selon le système juridique
54Du côté des pouvoirs publics, les analyses, longtemps menées par le ministère des Affaires étrangères ou le ministère de la Défense, sont de plus en plus fréquemment réalisées également par le ministère de l’Économie, ou Coface. Les sociétés privées ont également vu leur place s’accroître, avec notamment les agences de notation depuis la fin des années 1980.
55Ceci met l’accent sur la nécessité d’une analyse non plus seulement quantitative et économique ou financière, mais également qualitative, transversale et multidisciplinaire. Toute la difficulté réside bien entendu dans le fait d’adapter un outil construit dans un environnement donné à un environnement futur dont on ne connaît qu’en partie les caractéristiques. Plus les paramètres autres que financiers et économiques s’avèrent nombreux, plus il est problématique de les cerner et les mettre à jour. On peut toutefois esquisser dans le schéma 4 une évolution des variables intégrées par les experts dans leurs modèles, avec comme point de départ classique la capacité de remboursement du pays, à laquelle sont venues s’ajouter de multiples autres variables.
Évolution des paramètres intégrés dans l’analyse du risque-pays
Évolution des paramètres intégrés dans l’analyse du risque-pays
56On constate que parallèlement à la prise en compte d’aspects plus variés du risque-pays s’est produite une transformation des types d’analyses menées, dont la nature est plus qualitative et dont les destinataires se révèlent bien plus nombreux que les seuls apporteurs de capitaux.
Conclusion
57Comme on l’a vu dans les développements qui précèdent, il n’y a pas une manière unique d’aborder la mesure du risque-pays. Si les fondements économiques et financiers des analyses sont communs à la plupart des méthodes, leur mise en œuvre diffère sensiblement d’une expertise à l’autre. La difficulté s’avère encore plus importante pour les variables de nature qualitative, dont on observe qu’elles sont de plus en plus nécessaires à une analyse globale du risque-pays.
58Cependant, l’hétérogénéité potentielle des conclusions des experts ne constitue pas en soi un écueil. Le but de telles analyses n’est le plus souvent pas d’apporter une réponse définitive confirmée par les faits à venir, mais plus modestement de soulever des questions pertinentes et de donner les clés pour des actions appropriées à chaque situation. Ceci conduit également à une segmentation possible des expertises et à un accroissement des sources d’information potentielles, chacune relevant d’un champ particulier mais aucune ne pouvant prétendre englober la totalité des paramètres à analyser. Enfin, si en matière de risque-pays il est présomptueux et illusoire d’espérer aboutir à des résultats justes à 100 %, il est en revanche assez aisé de se tromper totalement.
Notes
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[1]
Bernard Marois, Le Risque-pays, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1990.
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[2]
Sophie Nivoix et Dominique Pépin, “Intérêts et limites de la globalisation comme processus créateur d’investissement”, in Les Paradoxes de la globalisation des marchés, E. Milliot et N. Tournois, Vuibert, 2009, pp. 253-278.
-
[3]
Ephraïm Clark et Kostas Kassimatis, “Country financial risk ans stock market performance : the case of Latin America”, Journal of Economics and Business, n° 56, 2004, pp. 21-41.
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[4]
Il suffirait d’ajouter autant d’autres zones que nécessaire, mais la lecture des intersections en serait moins aisée qu’ici.
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[5]
Décrite plus en détail sur le site : www.euromoney.com/Poll/10683/PollsAndAwards/Country-Risk.html.
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[6]
Op. cit.
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[7]
Site de Coface : http://www.trading-safely.com/sitecwp/ceen.nsf.
- [8]
-
[9]
Aswath Damodaran, Investment Valuation : Tools and Techniques for Determining the Value of Any Asset, Wiley, Second University Edition, 2002.
-
[10]
Roger Mills, Marcin Peksyk, et William Weinstein, “Sharpening the tools of country risk analysis”, Henley Discussion Paper series, HCVIHDP, n° 9, 2005.
-
[11]
Michael Gangemi, “Mean reversion and the forecasting of country betas : a note”, Global Finance Journal, n° 10-2, 1999, pp. 233.
-
[12]
Michel Godet, Manuel de prospective stratégique, tome 2, Paris, Dunod, 2007, p. 128.
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[13]
Dirk Brounen, Abe deJong et Kees Koedijk, “Corporate finance in Europe : confronting theory with practice”, Financial Management, n° 34, hiver 2004, pp. 71-101.
-
[14]
Op. cit.
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[15]
Susan Carpenter et Michael Vellat, “The application of a planned economy country risk model to the assessment of market entry into the Chinese banking sector”, Journal of Financial Services Marketing, 13-4, 2009, pp. 345-356.
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[16]
Mills et al, op. cit.
-
[17]
Gerard A. Moerman, “Diversification in Euro area stock markets : country versus industry”, European Central Bank Discussion Papers, Series n° 327, avril 2004.