PSN 2021/1 Volume 19

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Article de revue

Assises de la psychiatrie : refondation ou rétablissement ?

Pages 9 à 14

Notes

  • [1]
    Le point de vue exprimé dans cet éditorial reflète les vues de l’auteur, non de la revue.
  • [2]
    « We need to organize a recovery around something, something that has meaning, something that has purpose, something that gives us a sense that I can begin to move » « Paroles de rétablissement » 26 mars 2016, commedesfous.com/patricia-deegan/. Patricia Deegan est devenue psychologue après avoir été soignée pendant des années pour schizophrénie.
  • [3]
    Déclaration au 21e Congrès de l’Encéphale (Quotidien du Médecin, 21 janvier 2021).
  • [4]
    Cour des Comptes. Les parcours dans l’rganisation des soins en psychiatrie. Février 2021, ccomptes.fr/fr/publications/les-parcours-dans-lorganisation-des-soins-de-psychiatrie.
  • [5]
    Les programmes « premiers secours en santé mentale » (INPP-Santé mentale France, Unafam), en expérimentation auprès d’étudiants de sept universités, ont pour objectif de former le grand public à repérer un trouble psychiques et à tenir une conduite adaptée à la personne en difficulté.
  • [6]
    Le budget du National Institute of Mental Health (NIMH) aux États-Unis a dépassé 2 milliards de dollars en 2020.
  • [7]
    Les appels à projets officiels de type Agence nationale de la recherche formatent aujourd’hui la recherche selon les canons anglo-saxons. Ainsi, avec environ 3 % du budget du NIMH, on peut estimer que cette recherche sur appel à projets en France représente 3 % de la recherche publique aux États-Unis, en l’absence de différenciation qualitative possible.
  • [8]
    Selon les préconisations de la Cour des Comptes, les troubles dépressifs « légers ou modérés » relèveraient d’un généraliste ou d’un psychologue, mais s’agissant de troubles dépressifs « sévères », l’appui d’un psychiatre libéral ou d’un CMP serait autorisé… Il n’est pas précisé si la présence d’idées noires fait basculer de « modéré » à « sévère ».
  • [9]
    C. Garré & S. Martos, Entretien avec la ministre de la Santé, Le Quotidien du Médecin 28 juin 218.
  • [10]
    « En psychiatrie, compartimenter n’est pas soigner » [tribune collective], Le Monde, 8 octobre 2020.
  • [11]
    Selon le rapport de la Cour des Comptes, 1/3 des entretiens réalisés dans les CMP ne concernerait que des troubles « légers » ou « modérés » avec une perte correspondante d’« efficience » et d’« efficacité » pour les troubles sévères. Par contre, fait étonnant pour une telle Cour, le rapport ne contient aucune évaluation du coût faramineux des « outils de pilotage », avec les pertes d’efficience et d’efficacité afférentes.
  • [12]
    Pas un mot sur la perspective des personnes soignées elles-mêmes dans le rapport de la Cour des Comptes, hélas. Pour celle-ci, en 2021, il n’y a encore que des « patients »…
  • [13]
    « Essential aspects of the recovery process are a matter of grace and, therefore, cannot be willed. However, we can create environments in which the recovery process can be nurtured like a tender and precious seedling. »
Nous avons besoin d’organiser un processus de rétablissement autour de quelque chose, quelque chose qui a du sens, qui porte un dessein, qui nous donne le sentiment que nous pouvons commencer à avancer.
(Patricia Deegan) [2]

1Une belle effervescence règne ces jours-ci autour de la psychiatrie. Le ministre de la Santé évoque la refondation « solide et profonde » de la politique de santé mentale [3], des assises sont prévues avant l’été sous l’égide du Président de la République, une nouvelle commission nationale a été installée en janvier ; enfin, la Cour des Comptes s’est penchée sur les « parcours » dans l’organisation des soins [4]. Il semble que cette mobilisation générale ait été décrétée face aux conséquences psychiques désastreuses de la crise sanitaire et du (semi)-confinement qui sévissent depuis un an [4].

2Le ministre de la Santé, outre les appels de rigueur à l’attention aux plus vulnérables et à la mobilisation, a surtout évoqué une stratégie de communication nationale – « la santé mentale est l’affaire de tous » – et la « culture de la prévention », notamment vis-à-vis des addictions aux écrans. Des actions spécifiques devraient cibler les étudiants, particulièrement touchés par les effets du confinement, avec la généralisation de programmes « premiers secours en santé mentale » [5] et le recrutement de psychologues dans les services de santé universitaires. Pour la pédopsychiatrie sinistrée, une poignée d’universitaires devrait être nommée, promesse déjà ancienne. La sempiternelle question du budget de la recherche en psychiatrie, dérisoire relativement à ce qui est en vigueur au niveau international [6], est à nouveau soulevée, et l’on promet quelques dizaines de millions d’euros, dans le cadre d’appels à projets ciblés, modèle aujourd’hui incontournable dans la science officielle [7].

3Le point le plus significatif, avec un impact réel pour les soins, est le remboursement annoncé des consultations de psychologues, au moins pour les enfants, les expérimentations en ce sens ayant confirmé son intérêt. Cependant, comme le rapport de la Cour des Comptes le met en exergue, la logique sous-jacente semble être de réserver les dispositifs psychiatriques, en particulier les centres médico-psychologiques, aux pathologies « sévères », tandis que les troubles estimés plus « légers », pourraient être soignés par les seuls médecins généralistes et psychologues [8].

4Au-delà des bonnes intentions et de quelques mesures ciblées, les problèmes réels que soulèvent aujourd’hui les soins psychiatriques en France seront-ils abordés dans toute leur ampleur ? Et quels moyens seront-ils apportés ?

5Rappelons qu’en 2018 la ministre de la Santé de l’époque, après moult commissions et annonces de plans au cours de la décennie écoulée, avait installé un nouveau comité stratégique et proposé une feuille de route dans laquelle la plupart des orientations actuelles était déjà déclinée. Il est vrai que Mme Agnès Buzyn insistait beaucoup sur l’évaluation des institutions psychiatriques, leur certification selon la Haute autorité de santé, l’intégration aux groupements hospitaliers de territoire (GHT), etc. [9] Une tarification « innovante » était annoncée, avec conditionnement du financement au respect des bonnes pratiques et à la démarche qualité. Sous les belles déclarations, on pouvait ainsi déceler l’injonction ferme à s’assujettir à toute la panoplie des « outils de pilotage » forgée depuis vingt ans par la technocratie sanitaire [4].

6Dans les faits, le résultat a en effet été l’introduction de la tarification par compartiments qui interroge « la possibilité même du soin » [10]. Quant à la pédopsychiatrie, l’objectif de « rationalisation » des ressources a conduit certaines agences régionales de santé (ARS) à asséner des « cahiers de charge » ubuesques aux CMPP, sommés, sous des prétextes pseudo-scientifiques, de se transformer en urgence pour répartir désormais les enfants entre cas « légers » – à diriger vers des « plateformes de services » –, et les « troubles neuro-développementaux » – bons pour des « plateformes de ressources médico-sociales » via la reconnaissance d’un handicap [5].

7Ces leçons d’un passé récent peuvent nourrir certaines inquiétudes, alors que les recommandations du rapport de la Cour des Comptes sont façonnées par cette même logique : traçabilité, « socle d’indicateurs », échelle de sévérité des troubles, dispositifs de suivi des patients après hospitalisation, etc., tout ceci serait à rendre obligatoire. La recette ? Armer mieux les ARS pour « enrichir le contenu des documents en cours de définition » – on pressent déjà l’allongement des tâches chronophages pour répondre aux multiples exigences des « projets » et « contrats d’objectifs et de moyens ». Heureusement, tout pourrait s’effectuer à financement constant – on lit avec étonnement que les nouvelles obligations (par exemple, l’extension des horaires d’ouverture des CMP) n’induiraient pas de surcoût.

8Peut-on vraiment nourrir l’ambition de refonder la psychiatrie avec de tels outils ? Certes, un recentrage des missions peut être utile, la psychiatrie n’ayant pas vocation à écoper tous les maux de l’âme que peut induire notre société. On peut se réjouir également de la reconnaissance de la compétence des psychologues, tout à fait armés pour soigner de multiples troubles psychiques, sous réserve que leur indépendance professionnelle, condition de leur efficacité, soit préservée, et que les moyens financiers soient à la hauteur de l’importance des missions qui leur seront confiées.

9Cependant, une véritable refondation de la psychiatrie implique une analyse en profondeur des causes qui ont généré sa situation actuelle. Pourquoi a-t-elle toujours davantage été investie de fonctions multiples ? Pourquoi cette « panne » des soins « inclusifs » que regrette la Cour des Comptes en invoquant la dynamique originelle des années 60 ? Pourquoi cette place particulière au sein de la médecine ? La psychiatrie n’est-elle pas toujours ce parent pauvre au bord de l’exclusion, à qui l’on demande pourtant de pallier à l’inhumanité technique de bien des soins aujourd’hui ?

10Les avancées dans des soins inclusifs, dont la plus emblématique fut autrefois la formation des secteurs, ont été liées à la possibilité pour les membres des équipes soignantes de s’emparer des cadres législatifs proposés, de devenir acteurs et actrices de projets collectifs, de conférer du sens à l’exercice de leurs missions. Aujourd’hui, partout, dans tous les domaines de la santé, en psychiatrie comme dans les disciplines somatiques, la nécessité du prendre-soin (care) au-delà des traitements techniques ne cesse de s’affirmer. Au-delà même du champ sanitaire, le sens conféré à l’activité exercée (making-meaning) relève d’une exigence sociétale universelle. A contrario, les mutations contemporaines nourrissent une explosion des pathologies psychiques liées au sentiment de perte de sens, voire de perversion des relations : burn-out, harcèlement, addictions, etc.

11Or, il n’y a pas une infinité de façons de redonner du sens au soin, à l’expérience vécue des personnes soignées, à l’activité des soignants, au déploiement des équipes. Ce n’est pas en concoctant des échelles obligatoires de sévérité, en raffinant des socles d’indicateurs, en compartimentant cas « légers » et cas « lourds », en complexifiant toujours davantage les procédures d’évaluation et d’élaboration de « projets » ou « contrats », au détriment de l’activité dans le monde réel, que l’on parviendra à refonder une psychiatrie inclusive.

12Il est beaucoup discuté de la sanctuarisation des moyens financiers en psychiatrie. Certes, celle-ci ne doit plus être sacrifiée aux exigences techniques des autres disciplines médicales. Cependant, plus encore que la sanctuarisation des moyens, il importe de sanctuariser – avec les investissements nécessaires en recrutement de personnel – le temps nécessaire pour la clinique, c’est-à-dire le temps pour la rencontre avec les personnes soignées, le temps pour les échanges au sein d’une équipe, le temps pour l’humanité des soins – y compris le temps « gaspillé » autour d’un café, fut-ce un instant de légèreté au sein du « lourd », et même du « très lourd », que porte toute équipe de psychiatrie, quoi qu’on en pense du coté de la rue Cambon [11].

13Disponibilité et non exercice d’un savoir autoritaire, confiance fondamentale dans les ressources des personnes, restauration du pouvoir d’agir (empowerment), capacité à décider en fonction de valeurs assumées dans le respect mutuel… Ces dimensions sont au cœur des paradigmes du soin aujourd’hui les plus dynamiques, comme le rétablissement (recovery) [1, 3] ou la clinique fondée sur les valeurs [2]. Ne conviendrait-il pas de s’inspirer de ces paradigmes pour rétablir une psychiatrie inclusive ? Le rétablissement n’est pas une utopique guérison, ni le retour à un idéal fantasmé qui n’a jamais existé dans le réel, mais signifie la reprise du contrôle de l’existence qui permet de réinventer un avenir. Ce n’est pas la contention administrative qui relancera la dynamique de la psychiatrie, et encore moins lui ouvrira des horizons désirables, mais la confiance en ses acteurs, soignants ou soignés [12], exprimés très concrètement par le temps retrouvé et la restauration de leur pouvoir d’agir.

14

Des aspects essentiels du processus de rétablissement sont une question de grâce et, par conséquent, ne peuvent être décidés. Cependant, nous pouvons créer des environnements dans lesquels le processus de rétablissement peut être cultivé comme un semis tendre et précieux.
(Patricia Deegan) [1] [13]

Références

  • 1
    Deegan P. E. 1988. Recovery: The lived experience of rehabilitation. Psychosocial Rehabilitation Journal 11 : 11-19.
  • 2
    Fulford K.W. M. (Bill), Peile E., Caroll H. 2017. La Clinique fondée sur les valeurs : de la science aux personnes. Montrouge : Doin.
  • 3
    Koenig M. 2016. Le Rétablissement dans la schizophrénie. Un parcours de reconnaissance. Paris : Presses Universitaires de France.
  • 4
    Plagnol A. 2020. Confinement mental et contention : Psychiatrie, Sciences Humaines, Neurosciences 18(3) : 9-15, cairn.info/revue-psn-2020-3-page-9.htm
  • 5
    Soffer D. 2020. Le Cahier des charges de l’ARS Nouvelle Aquitaine : une mascarade. La Lettre de Psychiatrie Française 270 : 6-8.

Date de mise en ligne : 07/04/2021

Notes

  • [1]
    Le point de vue exprimé dans cet éditorial reflète les vues de l’auteur, non de la revue.
  • [2]
    « We need to organize a recovery around something, something that has meaning, something that has purpose, something that gives us a sense that I can begin to move » « Paroles de rétablissement » 26 mars 2016, commedesfous.com/patricia-deegan/. Patricia Deegan est devenue psychologue après avoir été soignée pendant des années pour schizophrénie.
  • [3]
    Déclaration au 21e Congrès de l’Encéphale (Quotidien du Médecin, 21 janvier 2021).
  • [4]
    Cour des Comptes. Les parcours dans l’rganisation des soins en psychiatrie. Février 2021, ccomptes.fr/fr/publications/les-parcours-dans-lorganisation-des-soins-de-psychiatrie.
  • [5]
    Les programmes « premiers secours en santé mentale » (INPP-Santé mentale France, Unafam), en expérimentation auprès d’étudiants de sept universités, ont pour objectif de former le grand public à repérer un trouble psychiques et à tenir une conduite adaptée à la personne en difficulté.
  • [6]
    Le budget du National Institute of Mental Health (NIMH) aux États-Unis a dépassé 2 milliards de dollars en 2020.
  • [7]
    Les appels à projets officiels de type Agence nationale de la recherche formatent aujourd’hui la recherche selon les canons anglo-saxons. Ainsi, avec environ 3 % du budget du NIMH, on peut estimer que cette recherche sur appel à projets en France représente 3 % de la recherche publique aux États-Unis, en l’absence de différenciation qualitative possible.
  • [8]
    Selon les préconisations de la Cour des Comptes, les troubles dépressifs « légers ou modérés » relèveraient d’un généraliste ou d’un psychologue, mais s’agissant de troubles dépressifs « sévères », l’appui d’un psychiatre libéral ou d’un CMP serait autorisé… Il n’est pas précisé si la présence d’idées noires fait basculer de « modéré » à « sévère ».
  • [9]
    C. Garré & S. Martos, Entretien avec la ministre de la Santé, Le Quotidien du Médecin 28 juin 218.
  • [10]
    « En psychiatrie, compartimenter n’est pas soigner » [tribune collective], Le Monde, 8 octobre 2020.
  • [11]
    Selon le rapport de la Cour des Comptes, 1/3 des entretiens réalisés dans les CMP ne concernerait que des troubles « légers » ou « modérés » avec une perte correspondante d’« efficience » et d’« efficacité » pour les troubles sévères. Par contre, fait étonnant pour une telle Cour, le rapport ne contient aucune évaluation du coût faramineux des « outils de pilotage », avec les pertes d’efficience et d’efficacité afférentes.
  • [12]
    Pas un mot sur la perspective des personnes soignées elles-mêmes dans le rapport de la Cour des Comptes, hélas. Pour celle-ci, en 2021, il n’y a encore que des « patients »…
  • [13]
    « Essential aspects of the recovery process are a matter of grace and, therefore, cannot be willed. However, we can create environments in which the recovery process can be nurtured like a tender and precious seedling. »

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