PSN 2015/1 Volume 13

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Article de revue

Comment diagnostiquer une maladie d’Alzheimer ?

Pages 43 à 50

1La maladie d’Alzheimer est une affection neurodégénérative qui se caractérise par un début insidieux, un déclin progressif des fonctions cognitives, l’apparition inconstante mais fréquente de perturbations non cognitives (troubles psychologiques et comportementaux) et qui entraîne inexorablement une perte d’autonomie fonctionnelle. La maladie débute en général après 60 ans, sa progression est lente et continue. La maladie d’Alzheimer est la cause la plus fréquente de démence et sa prévalence augmente avec l’âge. On estime environ que 12 à 20 % des sujets âgés de plus de 85 ans sont atteints.

2Les médecins ont longtemps été démunis face à la maladie puisqu’ils n’avaient aucun traitement à leur disposition. C’est seulement depuis une dizaine d’années qu’une approche pharmacologique spécifique est apparue. Ces possibilités thérapeutiques nouvelles ont modifié considérablement le regard médical porté sur les démences et ont encouragé le développement des approches diagnostiques fiables et précoces.

3La maladie d’Alzheimer est une démence amnésique progressive [2]. Ceci signifie que : 1° le déficit de la mémoire épisodique est le signe cardinal de la maladie d’Alzheimer, apparaissant dès les premiers stades de la maladie et s’accompagnant progressivement d’un déficit cognitif plus global répondant à l’atteinte des fonctions instrumentales ; 2° la maladie d’Alzheimer entre dans le cadre des démences, qui se définissent par un déficit de la mémoire épisodique et d’une autre fonction cognitive (aphasie, apraxie, agnosie, troubles des fonctions exécutives) suffisamment sévère pour entraîner une perte d’autonomie dans la vie quotidienne, professionnelle ou sociale.

4Cette marche de progression de la maladie rend compte du mode de progression des lésions. Ainsi, les troubles de la mémoire sont les premiers signes [5], reflétant l’atteinte des formations hippocampiques. Ils s’accompagnent secondairement d’une atteinte des fonctions instrumentales (apraxie, agnosie, aphasie), reflétant la diffusion des lésions au néocortex associatif [10].

La maladie débute par des troubles de la mémoire

5Les troubles de la mémoire caractérisent le tableau clinique. Ils s’installent progressivement et insidieusement [9]. Lors de l’entretien, une des caractéristiques des troubles mnésiques observés dans la maladie d’Alzheimer est la tendance du sujet à minimiser ses difficultés. C’est d’ailleurs souvent l’entourage, inquiet, qui a motivé la première consultation, alors que le patient adopte un rôle plutôt rassurant et banalise ses erreurs. Cependant, au stade débutant de la maladie, le patient peut avoir une certaine conscience de son amnésie et décrire avec lucidité et précision ses oublis, ce qui peut être source d’une grande anxiété. Les conséquences des oublis sur la vie quotidienne sont précoces, même si le patient peut s’adapter en utilisant des routines de fonctionnement et des habitudes. Les oublis peuvent concerner des prises de rendez-vous ou des informations récentes, la perte du cours de la conversation, une tendance à répéter les mêmes questions, des pertes d’objets. Les oublis touchent avant tout les faits récents, comme les entretiens téléphoniques, les achats au magasin, une rencontre récente… Les souvenirs anciens sont au contraire longtemps conservés, ce qui peut parfois à tort rassurer l’entourage.

6Le déficit de la mémoire touche la mémoire épisodique, qui correspond à la mémoire des faits et événements et met en jeu des processus explicites (volontaires et conscients) de récupération du souvenir. Ce déficit mnésique peut être exploré par des tests neuropsychologiques spécifiques qui permettent d’objectiver la baisse des performances et orienter le diagnostic étiologique. En effet, le profil du déficit de la mémoire répond à ce que l’on appelle un « profil de type hippocampique ». L’analyse précise du dysfonctionnement de la mémoire permet de faire la distinction entre maladie d’Alzheimer, vieillissement physiologique, dépression du sujet âgé, démences dites sous-corticales [3].

7Lorsque la maladie évolue, la mémoire sémantique (des connaissances générales) et la mémoire autobiographique seront atteintes.

Le déficit des autres fonctions cognitives s’installe progressivement

8L’anosognosie est précoce et correspond à une méconnaissance par le sujet de sa maladie avec une incapacité à percevoir son amnésie. L’anosognosie est très handicapante car elle peut entraver la bonne observance thérapeutique et l’adhérence du patient au suivi médical. Enfin, elle est souvent source d’irritabilité du patient, voir de conflit avec l’entourage, lorsqu’il est question de faire venir des aides au domicile que le patient ressent comme une intrusion injustifiée dans sa vie privée.

9Les troubles de l’orientation temporo-spatiale sont précoces [7]. Le patient peut être au début de la maladie encore capable de sortir dans son quartier familier, en utilisant des trajets sur-appris, mais n’est plus capable de s’orienter dans un lieu inhabituel et nouveau. Progressivement, il ne pourra plus sortir sans être accompagné.

10Les troubles du langage s’installent dans un second temps. Il s’agit initialement d’un manque de mot (aphasie anomique). Parfois le patient fait quelques paraphasies sémantiques (ex-chien pour chat), ou plus rarement des paraphasies phonémiques (blateau pour bateau). La compréhension est longtemps préservée, ainsi que la répétition. L’écriture sera atteinte progressivement, avec une dysorthographie inhabituelle, puis avec un agrammatisme et des troubles du graphisme. La lecture est plus longtemps conservée. Parfois, le patient réduit précocement ses lectures mais plus en raison de ses troubles de mémoire qu’en raison d’une alexie. Il peut aussi relire en boucle le même livre.

11Dans les stades plus tardifs de la maladie, les troubles du langage sont importants, autant dans sa production orale et écrite que dans les capacités de compréhension. La conversation n’est plus informative, même si le patient peut être sensible au contexte global du discours et utiliser des stéréotypies verbales pouvant faire illusion. Au stade terminal, l’aphasie est globale.

12Dans des cas rares, les troubles du langage peuvent inaugurer une maladie d’Alzheimer. Notons que les difficultés d’accès aux noms propres sont très fréquentes lors du vieillissement et ne sont pas nécessairement pathologiques.

13L’apraxie apparaît souvent conjointement aux troubles du langage. Elle doit être recherchée par l’examen neurologique car elle n’est apparente dans les gestes de la vie quotidienne que dans les stades déjà évolués de la maladie, l’apraxie idéatoire (utilisation d’objet) n’étant que tardive. Au début, il s’agit d’une apraxie idéomotrice réflexive, que l’on recherchera par l’imitation de gestes. Les gestes bimanuels sont touchés plus précocement que les gestes unimanuels. Les gestes mimés (mimer le fait de se coiffer avec un peigne, de se brosser les dents, de jouer du violon) sont mal réalisés, avec l’utilisation de la main pour l’objet (comme l’index pour la brosse à dents). Les gestes symboliques sont approximatifs. L’apraxie constructive se recherche en demandant de dessiner un cube, ou par des copies de dessins. L’apraxie de l’habillage est constante lors de l’évolution de la maladie. Elle se manifeste par une incapacité à s’habiller seul ou plus discrètement à boutonner ses vêtements. Parfois, le patient a besoin d’aide pour le choix de ses vêtements car il a tendance à remettre les mêmes quotidiennement. Il ne s’agit pas alors d’une apraxie de l’habillage proprement dite.

14L’agnosie visuelle est tardive. Elle se caractérise d’abord par un trouble de la reconnaissance des images, puis la reconnaissance des objets est atteinte. Les troubles de reconnaissances des visages sont constants dans les stades sévères de la maladie, touchant même le propre visage du patient dans un miroir.

15Les troubles du jugement et du raisonnement s’installent progressivement. Les capacités de conceptualisation et d’abstraction sont également atteintes.

Les troubles psychologiques et du comportement accompagnent la progression du déficit cognitif

16D’une façon générale, les troubles psychologiques et du comportement sont rares au début de la maladie puis fréquents dans les stades sévères de la maladie. Il peut s’agir de changements d’humeur. Le patient manifeste un désintérêt pour ses activités antérieures, il éprouve un sentiment d’inutilité, de culpabilité, de perte d’estime de soi, qui peut se manifester par une irritabilité et des « mouvements d’humeur ». Ces signes peuvent être le reflet d’une dépression associée au syndrome démentiel, surtout si des troubles neurovégétatifs, comme une perte d’appétit, une perturbation du sommeil, sont présents. Cependant certains symptômes comme l’apathie et l’inertie sont des éléments cliniques propres à la MA. Une impulsivité est également possible. Un retrait social est constamment observé, le malade arrêtant progressivement ses activités et son conjoint restant de plus en plus à ses côtés. Enfin, le patient ne prête plus attention à son habillement, sa toilette, son apparence sociale.

17Des épisodes délirants et des hallucinations surtout visuelles peuvent s’observer dans les stades sévères de la maladie. Le délire contient souvent des thèmes de persécution et des idées de préjudice. Le malade pense que les visiteurs le volent, que son conjoint le trompe, qu’un crime a été commis, qu’on lui cache l’identité des visiteurs.

La perte d’autonomie fonctionnelle est constante

18Le déficit intellectuel entraîne une dépendance dans les actes de la vie quotidienne. Les activités mettant en jeu des processus cognitifs sont touchées les plus tôt et sont évaluées par les échelles d’activités instrumentales dans la vie courante : la capacité à utiliser le téléphone, la capacité à utiliser les transports en commun ou sa propre voiture, la capacité à gérer son budget et l’autonomie dans la prise des médicaments. Puis la dépendance touche les gestes élémentaires de la vie quotidienne (habillage, toilette, repas).

Il n’y pas un seul marqueur biologique de la MA

19Le bilan biologique est indispensable à l’enquête étiologique. Il repose sur la réalisation minimale de : NFS, plaquettes, ionogramme sanguin, calcémie, protidémie, TSH, et selon le contexte dosage des B12 et folates, TPHA-VDRL, bilan hépatique… En l’absence de marqueur biologique de la maladie, le but est de rechercher des comorbidités, ou des causes rares de démence.

20Si une étude récente indique que le dosage combiné des taux de bêta amyloïde 1-42 et de protéine tau dans le liquide céphalo-rachidien augmente sensiblement les capacités de discrimination de la maladie d’Alzheimer [8], ces techniques nécessitent une ponction lombaire.

L’imagerie cérébrale est indispensable

21Au minimum un scanner cérébral sans injection de produit de contraste est réalisé, mettant en évidence une augmentation de la taille des ventricules et des sillons corticaux, reflet de l’atrophie corticale. Il n’y pas d’anomalie parenchymateuse. On peut également voir des hypodensités périventriculaires, aspécifiques, que l’on appelle leucoaraïose, surtout chez les sujets âgés ayant un ou des facteur(s) de risque vasculaire. Surtout, on peut visualiser une atrophie temporale médiale avec notamment une dilatation prépondérante des cornes ventriculaires temporales. Le scanner cérébral permet aussi d’éliminer des lésions intracérébrales (processus expansif, séquelles d’accidents vasculaires cérébraux, hydrocéphalie à pression normale…).

22L’IRM cérébrale fournit des données anatomiques morphologiques beaucoup plus précises que la TDM et peut mettre en évidence des anomalies de la substance blanche non décelable par la TDM. Elle permet surtout de localiser plus précisément l’atrophie que ne le permet le scanner. Au stade précoce de la MA, l’atrophie prédomine dans la région temporale interne, notamment au niveau des formations hippocampiques, de façon relativement symétrique. Au stade plus tardif, l’atrophie est plus diffuse, prédominant sur les régions temporo-pariétales puis frontales.

23Les patients ayant une maladie d’Alzheimer se distinguent également des sujets âgés normaux en scintigraphie cérébrale par l’existence d’une hypoperfusion dans la région hippocampo-amygdalienne [6], puis l’hypodébit cérébral apparaît dans les régions corticales pariéto-temporales postérieures bilatérales.

24Ainsi, la maladie d’Alzheimer est une démence amnésique progressive. Le diagnostic reste un diagnostic clinique. L’analyse du déficit cognitif, et plus précisément du déficit de la mémoire, par un bilan neuropsychologqiue spécialisé est une des clés de l’enquête étiologique.

25En résumé, quels sont les critères de diagnostic des démences type Alzheimer [1] ?

26La maladie d’Alzheimer prodromale [9] comprend :

27Des symptômes cliniques :

  • incluant une atteinte de la mémoire épisodique de type hippocampique retrouvée dans le cadre d’un test de mémoire type RL/RI (l’indiçage n’améliorant pas significativement le rappel)
  • qui ne sont pas suffisants pour altérer les activités de la vie quotidienne

28La présence de biomarqueurs [6] :

  • LCR : peptide ? amyloïde, Tau, Phospho-Tau
  • ou imagerie : atrophie hippocampique en IRM, hypométabolisme en FDG-PET, plaques séniles en PIB-PET

29La maladie d’Alzheimer démentielle correspond à la phase de la maladie au cours de laquelle les symptômes cliniques (touchant la mémoire et d’autres domaines) sont suffisants pour altérer les activités de la vie quotidienne.

30La maladie d’Alzheimer typique (forme commune) est caractérisée :

  • par l’installation d’un déficit progressif précoce et significatif de la mémoire épisodique qui restera toujours dominant dans l’évolution au cours de laquelle il s’associera à d’autres troubles cognitifs (dysexécutifs, apraxiques, aphasiques ou agnosiques visuels), et psychiatriques,
  • par la présence de biomarqueurs.

31Les maladies d’Alzheimer atypiques sont caractérisées :

  • par d’autres phénotypes cliniques bien caractérisés : aphasie progressive primaire non fluente, aphasie logopénique, variant frontal et atrophie corticale postérieure,
  • par la présence de biomarqueurs dans le LCR ou en imagerie (plaques séniles en PIB-PET).

32Les maladies d’Alzheimer mixtes sont caractérisées :

  • par la présence de tous les critères diagnostiques de maladie d’Alzheimer typique,
  • et par la présence de signes cliniques et de biomarqueurs témoignant d’une comorbidité (vasculaire, LBD).

Bibliographie

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