1Le présent numéro rend compte des journées nationales de Santé Mentale France qui se sont tenues à Rennes les 26 et 27 septembre 2016 sur le thème de la cohésion sociale et de la santé mentale ou les (petites) fabriques de liens. Le lien, c’est ce qui permet de vivre ensemble dans une société fraternelle et ouverte, attentive à ceux qui sont vulnérables ou malades. Le lien, c’est l’inclusion facilitée dans la société pour les personnes souffrant de troubles psychiques ou en situation de handicap psychique.
2Sous un autre angle de vue, c’est bien aussi de cela dont il sera question à travers le sujet des prochaines journées qui s’interrogeront sur le bénéfice que les usagers peuvent tirer de l’élaboration et de la mise en œuvre des projets territoriaux de santé mentale, institués par la loi du 26 janvier 2016 portant réforme de notre système de santé.
3La loi portant réforme de notre système de santé, en son article 69, constitue une révolution pour la gouvernance du système sanitaire et social français : elle confie aux acteurs de santé du territoire le soin d’élaborer un diagnostic et un projet territorial de santé mentale. Du jamais vu ! Et les acteurs de santé du territoire concernés ne sont pas les seuls institutions ou professionnels de la psychiatrie mais aussi ceux du secteur social et médico-social du handicap psychique, bien entendu les usagers et familles, les professions de santé de premier recours (médecins omnipraticiens, infirmiers, sages-femmes libéraux, centres de santé..) et encore, à travers les CLSM ou les instances qui peuvent en tenir lieu, les collectivités territoriales, leurs élus et leurs services qui organisent la vie de la cité.
4Le décret d’application en cours de préparation et qui fait l’objet d’une concertation ouverte et large, en définissant 7 priorités auxquelles chaque projet territorial de santé mentale doit répondre, confirme cette analyse du texte de loi. Ce projet ouvre la voie à une évolution (révolution ?) des soins et de l’accompagnement en parfaite conformité avec les valeurs et principes d’action défendus par Santé Mentale France dans la charte adoptée par l’Assemblée générale de septembre 2016 : reconnaissance de la citoyenneté et respect des droits des personnes malades ou en situation de handicap psychique, rétablissement comme objectif des soins et de l’accompagnement, centrage des soins et de l’accompagnement sur le lieu de vie des personnes, organisation de la prévention et de l’intervention précoce et coordonnée, liaisons et articulations entre les acteurs de santé du territoire, accessibilité des soins somatiques, organisation des réponses aux situations de crises et d’urgence, lutte contre la stigmatisation. Rétrospectivement, on peut dire que ce texte apporte, dans un contexte évidemment très différent, une concrétisation des visions utopiques des fondateurs du secteur psychiatrique, que le sort des malades et handicapés pendant la dernière guerre mondiale avait indignés.
5En même temps qu’il soulève un espoir immense, la mise en œuvre de ce texte représente surtout un immense défi pour les acteurs territoriaux de la santé mentale. Ceux-ci ne sont pas habitués à raisonner en planificateurs de la santé mentale sur un territoire, même quand ils élaborent un projet d’établissement sanitaire ou médico-social de façon participative. Ils ne sont d’ailleurs la plupart du temps pas formés pour assumer cette mission. Ils ne disposent pas de toutes les informations utiles et nécessaires pour préparer ce travail.
6Et puis, au moment où ces lignes sont écrites, la dernière version du projet de décret réintroduit l’ARS comme animateur et coordonnateur de l’élaboration du projet territorial de santé mentale, alors qu’elle aurait pu prévoir de lui donner un rôle d’aide et de soutien (formation, mise à disposition d’informations, aide à l’animation…).
7Par ailleurs les cadres légaux qui règlent de façon rigide et non coordonnée le régime des autorisations, du financement, de la circulation des personnes entre les différents professionnels et institutions (règles d’admission, de passage d’un type de soin ou d’accompagnement à un autre, de retour etc.), la discordance des territoires par exemple entre secteur psychiatrique et secteur médico-social, l’absence de clarification des rôles respectifs des uns et des autres (qui fait quoi entre le SSIAD, le SAMSAH ou le SAVS et le CMP ou l’équipe mobile de psychiatrie ?) ne contribuent pas à la coordination et à la continuité des soins et de l’accompagnement. Les insuffisances dans la formation sur les troubles et le handicap psychiques d’un trop grand nombre d’acteurs pourtant appelés à intervenir auprès des personnes constituent sans doute un frein supplémentaire. On peut énoncer d’autres difficultés ou obstacles qui se dressent devant nous : intérêt insuffisant et tardif (cf. l’éditorial du numéro précédent de la revue) des autorités sanitaires nationales et régionales pour la psychiatrie et la santé mentale, émiettement de la représentation du domaine de la santé mentale, ignorance ou vision trop souvent caricaturale des médias et du « grand public »…
8Et cependant, nous avons aujourd’hui plus que jamais, malgré les handicaps évoqués dans les paragraphes précédents, la possibilité de faire évoluer le paysage du soin et de l’accompagnement aux personnes souffrant de troubles psychiques et de favoriser leur inclusion sociale. Mobilisons-nous !