1 2003 restera dans mon esprit une année marquante. Je travaillais à ce moment- là en tant qu’assistant administratif pour une organisation professionnelle, en charge de la comptabilité, du secrétariat et de l’accueil téléphonique… C’est cette année que je fis une bouffée délirante aiguë de plusieurs jours avec une incidence négative notable sur mon travail. Et ce fut un engrenage : hospitalisation (à ma demande), sortie de l’hôpital psychiatrique, arrêt maladie puis tentative de reprise du travail, dépression et de nouveau arrêt maladie jusqu’à un licenciement économique qui arrangea bien mon employeur d’alors qui souhaitait de toute façon rompre la relation de travail. Je fis alors une formation professionnelle pour remettre le pied à l’étrier progressivement mais je n’étais pas assez performant pour les postes d’employé administratif qui suivirent. Ce fut donc de courtes durées d’emploi pendant une longue période de chômage avec une baisse de confiance en mes capacités.
2 Puis au cours d’un entretien professionnel avec la SOTRES, entreprise adaptée pour les personnes en situation de handicap psychique, trouvée après de nombreuses recherches, on me parla de la possibilité de reconnaissance de travailleur handicapé en raison de troubles psychiques. On devait être en 2005, année de la reconnaissance officielle du handicap psychique par l’État et de la création des Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH).
3 Je fis donc une demande en ce sens. Elle me fut accordée un an après, sans l’Allocation Adulte Handicapé mais avec une demande d’évaluation professionnelle que le Cap Emploi (structure qui suit les demandeurs d’emploi en situation de handicap) fit faire par le Centre Alexandre Dumas de Paris (Association d’Entraide Vivre).
4 Le bilan préconisait un temps d’évaluation plus long. Le but à terme étant de me faire retrouver un rythme professionnel et de finaliser mon projet professionnel en adéquation avec le marché du travail.
5 Je fis donc une pré-orientation spécialisée de 6 mois à Vivre (après une nouvelle demande à la MDPH) avec 3 stages de courte durée, tellement le monde du travail me faisait peur, à temps plein en entreprises. A la fin, on décida avec les formateurs d’Alexandre Dumas une sortie du stage avec une demande appuyée à la MDPH d’une orientation en ESAT Hors les Murs.
6 Il s’agit d’une passerelle entre le milieu protégé et le milieu ordinaire où les usagers de l’ESAT sont détachés en entreprise lors de mises à disposition jusqu’à l’obtention d’un CDI.
7 Là je vais en entreprise pour un stage puis une mise à disposition qui a été renouvelée plusieurs fois en tant qu’agent administratif. Cela se passe bien. On me confie de plus en plus de tâches administratives avec une montée progressive du nombre d’heures de travail par semaine en restant sur du temps partiel. Un an et demi après toujours mis à disposition dans la même entreprise je demande un CDI. On me fait passer des entretiens de recrutement puis du fait de la réorganisation économique de l’entreprise je ne me vois proposer au final qu’un long CDD de 13 mois en tant que gestionnaire administratif avec à terme, ma responsable du service et moi l’espérions, un CDI. J’ai confiance car cela se passe bien et aussi parce que pensant qu’un retour à l’ESAT sera possible plus rapidement que dans les situations de premières demandes si le CDI ne se conclut pas.
8 Hélas, hélas, le poste devient trop dense même pour un temps partiel de 32 heures par semaine, une grande fatigue physique et psychologique s’installe et je finis par m’arrêter trois jours.
9 Suite à cet arrêt, je suis ménagé dans mon travail voire allégé et je mets du temps à reprendre du poil de la bête. Mais finalement la Direction estime que je ne suis pas assez fiable et solide pour participer efficacement au développement du service. De plus, une restructuration économique est en cours. Le CDD ne sera pas prolongé ni transformé en CDI. Il s’arrêtera en mai 2014. Fin mai 2014, je dépose une nouvelle demande auprès de la MDPH pour un retour à l’ESAT Hors les Murs.
10 À cette date (décembre 2014) je n’ai toujours pas de réponse… De mon côté je continue les recherches classiques pour un emploi à temps partiel avec une Allocation de Retour à l’Emploi (ARE) pendant une durée limitée d’un an… Avec de nouveau une baisse de moral.
11 Plusieurs constats s’imposent au niveau de cette précarité dans le travail et dans l’emploi (ou la recherche d’emploi) quand je retrace mon parcours :
- Les temps trop longs d’étude des demandes par la MDPH, organisme qui est censé nous donner des solutions pour faciliter nos conditions d’emploi, qui peuvent nous entraîner dans un emploi qui ne nous est pas adapté ce qui peut jouer sur notre santé psychique (perte de moral, de confiance en soi, ce qui peut accentuer fortement le sentiment de précarité sociale).
- Pas assez d’informations sur les droits des usagers en santé mentale. Les médias parlent par exemple plus volontiers des moyens de compensation pour le handicap physique. Les solutions qui existent manquent alors de visibilité.
- Le handicap peut être fortifié par les objectifs de rentabilité et d’efficacité de notre société qui favorisent la rapidité au détriment de la lenteur et de la fragilité.
- La souffrance est aggravée par la solitude. Avant les Groupes d’entraide Mutuelle (GEM), les lieux associatifs avec du lien social étaient peu connus.
- L’insertion en milieu ordinaire comporte des risques, et les passages du milieu protégé vers le milieu ordinaire et vice-versa ne sont pas assez nombreux et facilités. A chaque passage, il nous faut l’accord de la MDPH et donc faire une demande avec un long délai pour la réponse.
- Le handicap psychique est toléré dès lors qu’il existe des structures d’accompagnement comme les ESAT Hors les Murs, à la rigueur pour un CDD mais il est moins accepté voire plus du tout quand il s’agit d’emploi pérenne par le biais de CDI.
13 Mon parcours a été, est et sera peut-être encore plein d’obstacles. Il semble que la bouffée délirante en milieu professionnel a été déterminante pour la suite, comme le serait une erreur fatale. On pourra me dire que j’ai en partie surmonté cet épisode qui sert à mieux connaître mes limites. Mais il faut savoir que se remettre d’une décompensation met du temps et que le milieu du travail n’aide pas forcément pour la stabilisation. Il ne faut pas négliger les facteurs génétiques et familiaux dans la maladie ainsi que le traitement médicamenteux et l’aide psychologique par un professionnel de la santé (psychiatre, psychologue…) mais l’environnement social est tout aussi primordial pour la stabilisation de son état de santé.
14 Malheureusement le handicap psychique est encore stigmatisant et on hésite encore à dire qu’on est passé par l’hôpital psychiatrique. Les employeurs semblent frileux à embaucher quand l’usager n’est pas accompagné par une structure appropriée comme un ESAT ou une Entreprise Adaptée. Il faut aussi que les dispositifs comme l’Allocation Adulte Handicapée (AAH) s’adaptent plus à la réinsertion professionnelle et sociale des usagers (souvent on n’a plus droit à l’AAH quand on retravaille en milieu ordinaire). La reprise de l’AAH devrait se faire avec moins de délai au niveau de l’étude des demandes par les MDPH.
15 Cette traversée est d’autant plus fragile qu’elle passe par des passages fréquents par la précarité. Et ces allers et retours qui peuvent se répéter au cours de toute une vie fragilisent chaque fois leur acteur qui risque de perdre ainsi l’indispensable confiance nécessaire à son rétablissement.
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Christophe
Usager en santé mentale
Mots-clés éditeurs : Insertion professionnelle, Précarité, MDPH, Travail
Mise en ligne 25/06/2015
https://doi.org/10.3917/psm.152.0029