Notes
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[1]
L’OMMS regroupe les associations nationales scoutes de tous les pays du monde.
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[2]
Maxime Vanhoenacker, « Jeux, veillées et vie quotidienne : la socialisation politique dans les mouvements scouts apolitiques », 12e congrès de l’association française de science politique, 2013.
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À ce sujet, voir le dossier « Le scoutisme, politique par nature ? » de Titati, la revue des Éclaireurs unionistes de France, n°15, 2020.
Lieu d’éducation à la citoyenneté, le scoutisme ne favorise que trop rarement le passage à l’engagement politique. Mais les pistes ne manquent pas pour inverser la tendance.
1Longtemps investis chez les Scouts et Guides de France (SGDF), nous rencontrons beaucoup de cadres ou d’anciens cadres du mouvement qui hésitent à passer le cap de l’engagement politique. Au motif que le scoutisme est apartisan, l’engagement dans un parti ou dans un syndicat ne semble pas dans le spectre des futurs souhaitables. Le scoutisme fournit pourtant d’excellents atouts pour la prise de responsabilités. L’organisation mondiale du mouvement scout [1] (OMMS) résume son ambition en ces termes : « Faire des citoyens actifs, utiles, heureux et artisans de paix. »
2En ramassant des déchets sur une plage, en rendant visite aux personnes isolées de leur quartier ou encore en surveillant les départs de feux de forêt, les jeunes sont encouragés à bâtir des projets utiles à la société. Ces projets les amènent à s’intéresser au monde qui les entoure, à expérimenter leur pouvoir d’agir, à construire des convictions. Le scoutisme éduque à l’ouverture aux autres et au monde, ainsi qu’à la recherche du bien commun. D’autre part, chaque jeune est appelé à formuler une promesse devant les autres. Par cet acte, il choisit d’orienter sa vie selon des valeurs. Une expérience structurante pour ensuite s’engager dans le monde.
3Le scoutisme forme également à la responsabilisation dès le plus jeune âge. Une équipe scoute prépare sa randonnée en autonomie en se répartissant les tâches. L’un tient la carte, un autre gère le budget, un autre encore porte la trousse à pharmacie. Chacun fait sa part et se risque à assumer une responsabilité nouvelle. Le groupe apprend à s’organiser collectivement. Le scoutisme initie aussi à l’exercice démocratique. Lors du conseil d’équipe, chaque jeune est amené à s’exprimer en son nom et à faire des propositions pour le groupe, elles-mêmes portées au conseil de camp et enrichies ou validées avec les représentants des autres équipes. Chacun apprend ainsi à s’exprimer en public, à écouter l’autre et à respecter sa parole. Chaque voix compte.
4Enfin, en valorisant la responsabilité du chef scout envers les jeunes ou des scouts et guides plus âgés à l’attention des benjamins, le scoutisme forme des meneurs d’hommes et de femmes. Loin de tout autoritarisme, le chef d’équipe veille sur le projet et les membres de l’équipe. L’accent est mis sur le service et l’exemplarité. Pour toutes ces raisons, le passage du scoutisme à l’engagement politique devrait relever de l’évidence. Comment expliquer qu’il en aille si souvent autrement ?
Maillon manquant
5Participer à une manifestation ou une action de désobéissance civile, prendre part à une campagne électorale, adhérer à un parti ou un syndicat sont des actes qui semblent plutôt inspirer la méfiance. Un récent article paru dans Le Monde titrait : « Le scoutisme : une ENA buissonnière ». Or les hommes et femmes politiques interrogés avaient entre 50 et 70 ans pour la plupart. Comme si le scoutisme avait perdu son rang d’école de l’engagement politique ces dernières années. Ces réticences tiennent-elles à la crainte de s’engager dans la société, plus divisée que le cadre scout ? À la peur de se salir les mains dans l’exercice du pouvoir ? Aux difficultés à envisager l’engagement politique comme la construction d’un rapport de force pour changer les choses ? Malgré les appels réguliers du mouvement en ce sens, en particulier face au dérèglement climatique, un maillon semble manquer.
6Encourager l’engagement vers des responsabilités électives nous semble important, car si la société civile joue un rôle clé dans la société, ce sont bien les instances élues qui donnent le cap de notre société. Certains invoquent une politique partisane moribonde et la nécessité d’inventer un autre modèle. Pourtant, de nombreux exemples de listes citoyennes prouvent qu’il est possible de faire de la politique autrement. À Ungersheim dans le Haut-Rhin ou à Saillans dans la Drôme, la cité est gérée en impliquant les habitants. Les personnes passées par le scoutisme ont de réelles compétences pour ces nouvelles formes de participation démocratique. D’autre part, les partis sont aussi les lieux où se forment les responsables politiques et les instances qui envoient des candidats aux élections. Les partis ont besoin d’une réforme et les personnes passées par le scoutisme pourraient être des artisans précieux pour ce travail de réinvention. Mais inviter à l’engagement politique des jeunes adultes, est-ce la mission d’un mouvement scout, qui est avant tout un mouvement d’éducation ? Quelle que soit la réponse apportée, cette invitation à la politique peut être comprise comme le levier d’une réelle éducation des jeunes à la citoyenneté. Les éducateurs, eux-mêmes investis dans un engagement citoyen, seront d’autant plus à même de faire vivre cette dimension éducative et de porter un témoignage inspirant.
7À ce titre, le parallèle avec l’ouverture à la foi est sans doute éclairant. Les jeunes adultes du mouvement sont encouragés et accompagnés à vivre leur foi ou une spiritualité. Dès lors qu’ils vivent une expérience authentique, ils porteront autour d’eux une parole vivante. Pour les soutenir dans cette voie, le mouvement construit des propositions ambitieuses, de qualité et innovantes. Pourquoi ne pas faire de même avec la citoyenneté ? Dessinons quelques pistes dans cette direction.
8De même que le chef ou la cheftaine incarne un chemin pour les jeunes scouts, c’est à l’aide de modèles que les jeunes adultes passés par le scoutisme envisagent la suite de leur engagement dans la société. Les recherches en sociologie [2] sur le sujet mettent aussi en avant le rôle des pairs dans ces trajectoires. Les temps forts des mouvements scouts (rassemblements, rencontres nationales) sont des occasions régulières d’entendre des témoignages de personnes au parcours inspirant. Y convier des femmes et des hommes politiques nous semble important. En effet, la parole d’une personne « juste un peu plus grande que soi » passée par le scoutisme est d’une puissance rare. Les dernières élections municipales offrent quelques beaux exemples comme la maire de Poitiers, Léonore Moncond’huy, ou l’édile de Villeurbanne Cédric van Styvendael. D’autres parcours d’élus et de militants locaux, parfois plus modestes, pourraient inspirer plus encore.
9Encourager l’engagement politique, c’est néanmoins inciter les bénévoles à s’investir en dehors du scoutisme, au risque de les voir partir. Nous pourrions alors questionner le modèle d’engagement. Quelles missions bénévoles proposer compatibles avec un engagement politique, voire qui s’en nourrissent ? Comment valoriser les chefs et cheftaines qui, en parallèle, donnent du temps à une cause politique ? Comment accompagner les jeunes adultes à donner la juste place à cet engagement en tant qu’éducateur [3] ?
Passerelle partisane
10Les partis n’ont pas bonne presse. Toquer à la porte de l’un d’eux ne va pas de soi. « Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’ils disent » ; « Je ne veux pas perdre ma liberté de penser » ; « Aller tracter à la sortie du métro, ce n’est pas mon truc. » Ces craintes sont répandues et sans doute saines. Pourtant, les partis restent des espaces de débat et de formation intellectuelle. Une personne de confiance, elle-même adhérente, peut aider à passer le cap d’une participation à une première réunion d’un groupe local. Mais si l’on ne connaît personne, par où commencer ? On pourrait imaginer un réseau reliant des personnes passées par le scoutisme et déjà engagées en politique – élues ou simples militantes – à des personnes en questionnement. Ou organiser un temps de rencontre annuel qui pourrait s’appeler : « La politique, pourquoi pas moi ? »
11Saluons déjà le soutien des SGDF à l’initiative « Tous élus ». Cette association propose à des jeunes désireux d’entrer en politique une aide pour lever les obstacles à un engagement électoral. Un programme de formation traite de points très concrets, comme les bases de la communication, la construction d’un programme ou la gestion d’un budget de campagne. « Un programme de qualité qui aide à se sentir légitime en tant que jeune en politique, et une dynamique collective enthousiasmante », témoigne Gautier Deruette, qui y a participé en 2020. « Tous élus » gagnerait à être davantage connu.
12Le pape François appelle à s’engager pour « la maison commune » et parle de la politique comme d’une « voie exigeante de service et de responsabilité ». Scouts et guides, nous sommes concernés par cet appel. Comme le disait le philosophe Emmanuel Mounier : « Nous ne nous engageons jamais que dans des combats discutables sur des causes imparfaites. Refuser pour autant l’engagement, c’est refuser la condition humaine. » Le scoutisme saura-t-il faire sien cet enseignement ?
Notes
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[1]
L’OMMS regroupe les associations nationales scoutes de tous les pays du monde.
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[2]
Maxime Vanhoenacker, « Jeux, veillées et vie quotidienne : la socialisation politique dans les mouvements scouts apolitiques », 12e congrès de l’association française de science politique, 2013.
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[3]
À ce sujet, voir le dossier « Le scoutisme, politique par nature ? » de Titati, la revue des Éclaireurs unionistes de France, n°15, 2020.