Couverture de PRO_379

Article de revue

L’open source à la rescousse ?

Pages 50 à 53

Notes

  • [1]
    Les biohackers étudient la biologie et la génétique hors du cadre académique, gouvernemental ou commercial, selon une approche ouverte comparable à celle des hackers informatiques.
  • [2]
    Les logiciels dits en open source sont des logiciels dont le code source peut être lu, étudié, modifié et redistribué par tous. Ils sont le fruit d’une collaboration entre programmeurs et sont mis à la disposition du grand public.
  • [3]
    Le terme crowdsourcing est une contraction de crowd (« foule ») et outsourcing (« sous-traitance »). Il désigne le fait qu’une entreprise ou une institution externalise une mission, sous la forme d’un appel ouvert, pour qu’elle soit réalisée par une multitude de personnes en même temps. L’exemple emblématique de crowdsourcing est l’encyclopédie en ligne Wikipédia, alimentée par des internautes bénévoles.

En pleine pandémie, plus d’un millier de personnes, chercheurs, ingénieurs, startupers ou étudiants, ont rassemblé leurs savoirs pour élaborer des tests de diagnostic du coronavirus, peu coûteux et libres de droits au travers du programme OpenCovid-19. L’intelligence collective, une ressource face aux crises ? Point de vue.

1Janvier 2020. Les chiffres épidémiologiques venant de Chine et d’Italie sont sans appel. Mi-février, la France peine à évaluer l’état de l’épidémie, faute de capacité de diagnostic suffisante : les tests font cruellement défaut. Face à ce constat, et en tant que biologiste et cofondateur du JOGL (Just One Giant Lab, voir encadré p. 51), j’ai décidé de faire appel à ma communauté de biohackers[1] pour lancer la conception d’un test de diagnostic bon marché et en open source[2], afin d’en permettre la fabrication et la distribution la plus large possible, en en faisant un commun technologique à la disposition de tous. Le programme OpenCovid-19 est né.

2L’enjeu est de taille : même si de nombreuses entreprises sont déjà en train de développer des versions propriétaires et brevetées de tests de diagnostic, c’est l’occasion d’en proposer une alternative libre de droits. La communauté ouverte en ligne, virtuellement illimitée en connaissance et en expérience grâce à l’apport de nouveaux membres, est naturellement orientée vers la création de biens communs. Au départ, un petit groupe de quinze personnes se rassemble pour travailler sur ce test. Une semaine plus tard, il dépasse la centaine de personnes. En un mois, l’équipe compte plus de mille participants, professionnels comme amateurs, venant des quatre coins de la planète – la magie d’Internet. On compte huit projets de tests de diagnostic en développement actif, ainsi que des projets de masques, de respirateurs, de pousse-seringue. Se pensent aussi des études épidémiologiques de la pandémie et des solutions numériques pour faciliter la vie pendant le confinement. L’approche communautaire du programme OpenCovid-19 sur la plateforme JOGL permet ainsi à de nombreuses personnes de valoriser leur expertise et de contribuer activement à la création de solutions réelles pour lutter contre l’épidémie. Fait rare dans le monde de la recherche et de l’innovation : plusieurs projets vont fusionner. De huit, on passe à quatre projets de tests de diagnostic, portés par des équipes hautement interdisciplinaires : chercheurs, biohackers, ingénieurs, étudiants, startupers, venant de plus de vingt pays différents. L’enjeu n’est pas de savoir quel projet va arriver le premier, comme dans les concours d’innovation, mais de parvenir à développer collectivement la meilleure solution possible, et donc d’associer les points forts de chacune des approches pour plus de pertinence et de résilience sur le long terme. Aujourd’hui, les quatre technologies développées, qui s’appuient sur l’amplification d’une séquence d’ADN du virus grâce à une enzyme, sont viables : deux ont été testées par l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris avec succès, les résultats présentant une efficacité de 80 %, et les quatre sont en demi-finale du concours mondial d’innovation Xprize. Cette mise en compétition avec des solutions issues de laboratoires publics et privés atteste de l’efficacité d’une démarche scientifique participative.

En savoir +

Just One Giant Lab (JOGL) est un institut de recherche et d’innovation entièrement ouvert (tout le monde peut contribuer) et distribué (sans gouvernance centralisée). Organisation à but non lucratif, JOGL entend travailler sur la résolution collaborative de problématiques d’intérêt général.

Collaborer face à la crise

3Une crise sanitaire comme celle de la Covid-19 présente de très nombreuses facettes (médicales, économiques, sociales, industrielles, pédagogiques, environnementales…), ce qui la rend complexe à traiter. En temps normal, seul un nombre limité de personnes travaillent à la résolution de problèmes d’intérêt général, comme les chercheurs et les entrepreneurs sociaux. Mais, en période de crise, ces ressources ne suffisent pas, d’où l’importance de la participation des contributeurs amateurs. Cette approche assure aussi un lien plus efficace entre le groupe et les besoins du terrain, en laissant davantage d’espace d’exploration et de proposition continue de solutions, avec un esprit d’entraide très présent. Toutefois, le développement communautaire et participatif de la science fait également face à de grands défis.

  1. Assurer une collaboration solide entre des acteurs très divers. Créer des consortiums de travail est souvent, pour des réseaux d’acteurs non institutionnels, très complexe. Nombre de communautés unissent quantité d’internautes animés par une passion commune, habitués à se retrouver pour présenter leurs dernières créations et échanger sur leurs défis communs – on peut citer DIYbio ou le Fablab Network. Mais lorsqu’il s’agit de collaborer, ils se confrontent à la complexité d’une gouvernance où il est difficile de trouver un point de référence neutre qui ne mette pas un acteur en valeur plus qu’un autre.
  2. Soutenir une grande diversité de projets sans compromettre la qualité scientifique et méthodologique. C’est là un enjeu énorme pour légitimer à long terme ces approches participatives. Pour le programme OpenCovid-19, un système transparent d’évaluation de chaque projet par les membres de la communauté a été mis en place (open peer-reviewing). Les propositions sont examinées par au moins quatre relecteurs et relectrices, chacun indiquant son niveau de compétence. Chaque projet se voit attribuer une note de faisabilité et d’impact. Ceux obtenant des retours positifs et une note au-dessus de 3,5 sur 5 sont considérés comme validés par la communauté et obtiennent un statut spécial. Le taux de succès est de l’ordre de 50 %. En confiant la supervision de la qualité des propositions à la communauté, celle-ci se responsabilise.
  3. Augmenter la résilience des projets, même s’ils sont portés par des bénévoles. La majorité des équipes sont formées au sein de la communauté, sans aucune reconnaissance juridique officielle. Les meneurs de projet ne peuvent pas, en général, autofinancer leur idée, même lorsqu’ils sont eux-mêmes entrepreneurs ou chercheurs. Les appels institutionnels à financement sont trop élitistes, rares et longs. Le programme OpenCovid-19 fonctionne donc grâce à des microsubventions (jusqu’à 4 000 €) pouvant être délivrées à une personne morale ou physique en moins d’un mois après le dépôt du dossier. L’attribution des subventions est laissée à l’intelligence collective de la communauté. En limitant le risque financier, on offre une chance à un plus grand nombre de projets. Si l’un d’eux obtient de bons résultats, il peut postuler pour une nouvelle microsubvention. Ce fonctionnement est toutefois conditionné par le soutien de partenaires financiers, comme le Fonds AXA pour la recherche, la Fondation Vinci et l’Agence française de développement (AFD).
  4. Maintenir une expérience individuelle enrichissante et inclusive au sein d’un groupe de plusieurs milliers de personnes. Une communauté est un jardin à cultiver avec attention. Mieux vaut une petite entité soudée et sur laquelle on peut compter qu’une large collection d’individus peu investis. Accompagner chacun n’est envisageable que grâce à une approche décentralisée où les membres confirmés accueillent et accompagnent les nouveaux. L’animation d’OpenCovid-19 est ainsi prise en charge par des groupes de bénévoles, eux-mêmes suivis par l’équipe de JOGL.

Ni public ni privé

4La recherche scientifique et l’innovation technologique sont principalement permises par deux modèles économiques distincts : d’une part, la recherche institutionnelle, subventionnée par l’État ; d’autre part, la section recherche et développement des entreprises, réservée à la création de solutions commercialisables. Pour le premier, les sujets de recherche des institutions sont dépendants des programmes de subvention ; pour le second, les entreprises ne peuvent explorer qu’un nombre réduit de problèmes et sont conditionnées par leur objectif marchand. Entre ces deux mondes, il est un espace immense où l’on trouve les problèmes non ou sous-explorés, les communautés d’entraide (locales et en ligne), mais aussi les alternatives open source à des solutions propriétaires. Si les approches participatives de la recherche et de l’innovation ne sont pas nouvelles, elles étaient restreintes à seulement quelques niches comme le crowdsourcing[3]. La période de crise sanitaire, sociale et climatique que nous vivons nous pousse à agir de manière inclusive, en nous appuyant sur une intelligence collective fondée sur une logique collaborative pour la création de communs scientifiques et technologiques. En une période où la méthode scientifique est souvent absente des débats de société, cela nous invite à revoir profondément la cohérence de nos entreprises et de nos institutions. Les démarches ouvertes et participatives de l’innovation ouvrent une voie pour explorer des solutions à des maux sous-représentés à travers des communautés ouvertes de savoirs et de compétences, avec l’espoir d’un regain de confiance envers la science et une innovation au service de tous et de la planète.

Notes

  • [1]
    Les biohackers étudient la biologie et la génétique hors du cadre académique, gouvernemental ou commercial, selon une approche ouverte comparable à celle des hackers informatiques.
  • [2]
    Les logiciels dits en open source sont des logiciels dont le code source peut être lu, étudié, modifié et redistribué par tous. Ils sont le fruit d’une collaboration entre programmeurs et sont mis à la disposition du grand public.
  • [3]
    Le terme crowdsourcing est une contraction de crowd (« foule ») et outsourcing (« sous-traitance »). Il désigne le fait qu’une entreprise ou une institution externalise une mission, sous la forme d’un appel ouvert, pour qu’elle soit réalisée par une multitude de personnes en même temps. L’exemple emblématique de crowdsourcing est l’encyclopédie en ligne Wikipédia, alimentée par des internautes bénévoles.
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