Notes
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[1]
Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal (Journal officiel du 18 juillet 1978).
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Cf. le dossier « Réfugiés : sortir de l’impasse », Revue Projet, juin 2017, n° 358 [NDLR].
1L’État sait-il mieux que les citoyens ce qui est bon pour eux ? Bien des élus vivent encore dans cette illusion, mais d’autres s’appuient désormais sur les citoyens pour ajuster ou co-construire leurs politiques. La démocratie participative devient alors plus qu’un supplément d’âme à une démocratie représentative fatiguée. Retours d’expériences.
La démocratie des citoyens agissants, Yannick Blanc
2L’État moderne s’est construit sur une relation tutélaire avec le citoyen, au sens où mon tuteur est celui qui sait mieux que moi ce qui est bon pour moi. Tantôt assujetti, tantôt bénéficiaire, l’usager est identifié par l’administration selon son appartenance à un territoire, une tranche de revenu, une catégorie de besoins. Michel Foucault et Pierre Bourdieu ont montré comment, loin de ne tenir que par le « monopole de la violence légitime », l’État administrait les individus et les populations en constituant sur eux des savoirs mobilisés pour les prendre en charge, les discipliner, les orienter. Une lecture fascinée mais un peu superficielle de ces travaux n’y a vu que le décryptage des ruses de la domination, sans comprendre que l’enjeu du politique n’était pas la mythique « insurrection qui vient » des dominés mais la négociation toujours recommencée des équilibres d’une ambivalence qui mêle inextricablement domination, tutelle et démocratie.
3L’État tutélaire fondait sa légitimité sur une promesse de sécurité, de bien-être et de progrès. C’est au moment même où cette promesse perd de son éclat, avec les premiers craquements de l’État-providence (1973), que l’on s’avise d’écouter davantage le citoyen et de lui reconnaître des droits face à l’administration. Le premier « guide de vos droits et démarches » voit le jour en 1976 et la loi instaurant la liberté d’accès aux documents administratifs est adoptée en 1978 [1]. La « participation des citoyens à la vie locale », dont le principe est posé dès l’article 1er de la loi du 2 mars 1982 sur la décentralisation, cheminera quant à elle laborieusement jusqu’à la loi constitutionnelle de 2003 qui instaure le droit de pétition et le référendum décisionnel à l’échelon local. La création des conseils de quartier par la loi du 27 février 2002 n’ayant pas eu d’effets probants, le législateur y revient en 2013, dans la loi d’orientation pour la ville, en créant des conseils citoyens, dont la moitié des membres sont tirés au sort. Parallèlement, la Commission nationale du débat public, créée en 1995 pour organiser consultations et débats sur les projets d’aménagement et d’infrastructure d’intérêt national, est érigée en autorité administrative indépendante en 2002. Le projet de réforme du Conseil économique, social et environnemental (Cese) lancé par Emmanuel Macron vise à faire de la troisième chambre la plateforme de l’ensemble des procédures de consultation et de participation des citoyens.
4Ce long cheminement témoigne d’une sorte de remords permanent du législateur, tâchant de corriger sans cesse l’insuffisance des concessions faites à l’intervention des citoyens. Les institutions de la démocratie représentative, qui se savent fragiles, redoutent cependant d’accroître encore cette fragilité en partageant leur légitimité. On a pu parler, dans des publications destinées aux élus locaux, de la « souveraineté des assemblées élues », abus de langage en même temps que symptomatique contresens…
5Un certain nombre d’expériences récentes suggèrent cependant que la participation des citoyens n’est ni une alternative, ni un palliatif face aux faiblesses des institutions représentatives mais que les enjeux se situent ailleurs. Ainsi en va-t-il, par exemple, de la « journée citoyenne » : une journée de mobilisation bénévole destinée à tous les habitants d’une commune et vouée à un ou plusieurs projets d’entretien, d’aménagement, de restauration, etc. Fabian Jordan, l’initiateur de cette démarche, est maire de Berrwiller (Haut-Rhin). Il estime qu’en dix ans de cette pratique, il a resserré les liens entre les habitants de sa commune et économisé 40 % de son budget de fonctionnement (les économies ont été consacrées à l’investissement). On peut aussi évoquer l’accueil, dans plusieurs dizaines de communes en France, des migrants évacués de la jungle de Calais. Après quelques manifestations éparses d’hostilité, l’accueil des migrants à travers la France a suscité la mobilisation conjointe des institutions publiques et de nombreux bénévoles. Ceux qui ont fait, à leur échelle, l’expérience de l’intégration des migrants, en apprécient tout autrement la possibilité comme les difficultés [2]. Je peux enfin témoigner du changement de regard des jeunes volontaires en service civique sur les besoins de la société et les enjeux de l’action collective à la fin de leur mission. On peut estimer, en attendant une évaluation plus précise, qu’au moins 20 à 25 % d’entre eux renouvelleront durablement leur engagement bénévole.
6Ce qui est en jeu, ce n’est pas d’améliorer, grâce à la participation des citoyens, le fonctionnement des institutions représentatives, mais d’imaginer de nouvelles formes d’engagement des citoyens dans l’action collective. C’est l’expérience partagée de l’action, bien plus que la confrontation des opinions, qui nourrit utilement la délibération et la décision. Mais comment relier engagement dans l’action, délibération et décision politique à l’échelle du pays ?
7Tel est aujourd’hui le défi d’une politique publique de l’engagement civique. Un civisme qui consiste moins, au sens traditionnel de ce terme, en une obéissance exemplaire aux lois qu’en une volonté de mettre sa capacité d’action individuelle au service d’un projet collectif. En contrepartie, l’objet même du gouvernement devrait moins être d’énoncer des règles nouvelles que d’élaborer des cadres d’action permettant à chacun de contribuer au projet commun, d’éclairer, d’accompagner et d’investir dans les initiatives et les stratégies que des communautés d’action émergentes développent partout sur le territoire et dans la société.
Rencontrer les habitants, un défi pour les élus, Étienne Desjonquères
8Mars 2008, une liste d’union de la gauche, qui laisse une place importante à la société civile (dont je fais partie), remporte les élections municipales. Le nouveau maire me nomme premier adjoint et me confie la mission de développer la démocratie participative. Je quitte alors mon poste de directeur du centre social et culturel d’Étouvie, un quartier prioritaire de la politique de la ville, pour m’engager, six années durant, dans un vaste projet de participation des habitants, dans l’esprit de ce qui m’animait au sein des centres sociaux. Cette aventure se terminera en 2014, quand une nouvelle équipe s’installera à la mairie.
9Les premiers mois sont consacrés à convaincre l’équipe municipale de la nécessité de la participation des citoyens, puis à rencontrer les habitants des quartiers pour définir avec eux une charte de la démocratie pour Amiens. Avec le maire, nous donnons rendez-vous cinq samedis matin, sous chapiteau, afin d’échanger, avec tous ceux qui le souhaitent, sur ce que peut vouloir dire la participation des citoyens et sur la manière de la faire vivre à Amiens. Puis deux réunions de travail sont organisées avec des volontaires.
10Mais rapidement des rapports de force s’instaurent avec des acteurs associatifs qui revendiquent l’exclusivité de la participation et de la mobilisation des habitants. Certains élus trouvent d’ailleurs fort confortable de s’appuyer uniquement sur les associations. Mais ces associations sont-elles vraiment représentatives de la population ? Ne sont-elles pas parfois tentées de ne défendre que les intérêts d’un corps, d’un groupe ? Et si les associations peuvent participer à la mobilisation et contribuer à relayer une réflexion collective, l’éloignement de la politique de nombreux citoyens, l’abstention aux élections, le regard souvent très critique vis-à-vis des élus nécessitent aussi de recréer un lien direct, sans remettre en cause l’expertise des associations.
11Lors des premières réunions, les acteurs associatifs ont pris beaucoup de place, par habitude et parce qu’ils avaient déjà réfléchi au sujet. Ils ont laissé peu de place aux habitants moins familiers des prises de parole publique et qui n’avaient pas encore structuré leurs pensées sur le sujet. Dès lors, il m’est apparu nécessaire de prévoir des instances uniquement composées de citoyens, les « conseils d’habitants », pour favoriser la parole de ceux qui n’ont pas coutume de la prendre. Des associatifs ont proposé de créer une instance assurant la transmission entre les conseils d’habitants et le conseil municipal, selon un schéma pyramidal. Or il n’était pas pensable pour moi d’avoir un filtre. Aussi ai-je proposé un schéma en cercle, avec le conseil municipal au centre et trois instances nourrissant les élus de leurs réflexions : les conseils d’habitants, des coordinations associatives et un forum permanent regroupant toutes les réunions publiques et les concertations spécifiques, ouvertes à tous. Le dispositif, répondant à la loi de 2002 sur la démocratie de proximité, incluait quatre conseils d’habitants, comprenant chacun vingt-huit personnes tirées au sort pour un mandat de deux ans. J’ai toutefois dû céder sur la présence des élus aux réunions des conseils d’habitants (trois de la majorité et un de l’opposition), certains élus craignant une manipulation des citoyens par les animateurs des réunions (des agents municipaux recrutés à cet effet).
12Le lendemain d’une réunion du conseil d’habitants sud, qui travaillait en deux groupes sur le tracé d’un futur tramway d’Amiens, on me présente les propositions des habitants. J’y retrouve, curieusement, deux tracés portés par ailleurs par les élus présents… Forts de leurs convictions et de leurs réflexions avancées sur ce tracé, ils ont naturellement fait partager aux habitants le résultat de leur travail… Au terme du premier mandat de deux ans, j’ai obtenu le retrait des élus. Le rôle d’animateur de ces séances est bien de laisser une place à chacun dans les processus de concertation. Mais ce métier est très récent et il est parfois difficile d’aller à l’encontre du travail des élus sur les différents dossiers.
13Les membres des conseils d’habitants étaient tirés au sort. La même méthode a été utilisée pour mener des concertations (plan de déplacement urbain, contrat de ville…) à l’échelle de la ville et de l’agglomération. Pour ce tirage au sort, nous avons utilisé la liste électorale. Ce choix a des failles, car il exclut les résidents étrangers hors Europe et tous ceux qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales, notamment les moins de 18 ans. Pour ces derniers, nous avons constitué un conseil de la jeunesse. Concernant les résidents étrangers, j’ai proposé d’utiliser la liste des cartes de séjour, mais la préfecture a refusé. Nous avons donc procédé à un appel à candidatures, diffusé notamment auprès des associations actives avec les étrangers.
14Nous savions, à partir d’expériences d’autres communes, qu’il était très difficile de faire venir les habitants. Nous avons donc décidé d’aller rencontrer ceux tirés au sort. Des binômes élu/technicien sont ainsi allés à leur rencontre, dans l’ordre du tirage, afin de les solliciter de vive voix. Une première surprise fut de découvrir que les listes électorales n’étaient pas à jour. Près de 40 % des personnes n’habitaient plus à l’adresse indiquée, particulièrement dans les quartiers populaires et parmi les jeunes qui avaient quitté le domicile familial tout en restant électeurs. La quasi-totalité des gens contactés ont accepté d’intégrer les conseils d’habitants, à l’exception de personnes très âgées ou malades et d’actifs peu disponibles travaillant à Paris.
15À la différence des réunions publiques, qui mobilisent plutôt des personnes âgées, de catégories supérieures et des hommes, le tirage au sort a permis une vraie diversité : des jeunes, des salariés, des chômeurs, très peu de militants associatifs. Les conseils d’habitants sont donc restés un espace privilégié de travail collectif avec des habitants « lambda ». Il était rare que je connaisse une personne tirée au sort, alors que pour les réunions, les ateliers ouverts, je pouvais identifier la plupart des présents. Le conseil d’habitants qui a le mieux fonctionné était celui du quartier nord, un quartier en politique de la ville. Globalement, les personnes se sont senties honorées d’avoir été retenues pour éclairer les choix des élus, tout en s’interrogeant sur leurs capacités à influer sur les décisions. Sur la durée du mandat, le taux de participation aux réunions a été de 60 %, grâce à un important travail de mobilisation permanent effectué par les agents du service démocratie. Ce service, constitué en début de mandat, comprenait six agents formés à la participation et aux méthodes d’animation de réunions. La participation aux dispositifs de concertation a été différente selon les quartiers et les dispositifs.
16Ces six années d’expérimentations nous ont permis d’établir des avis citoyens à destination des élus, sans aboutir cependant à des décisions véritablement portées par les conseils d’habitants. Car si les élus ont assez rapidement accepté d’entendre les avis de citoyens sur les dossiers qu’ils portaient, il a été beaucoup plus difficile d’associer les citoyens aux décisions – en raison, notamment, de la complexité des procédures de décision et des résistances de certains élus, qui estimaient que décider était leur rôle. Pour autant, l’impact des avis citoyens sur les décisions n’est sans doute pas négligeable.
Quand des citoyens se réapproprient leur quartier, Frédéric Gilli
17À condition d’être un peu ambitieux et confiant dans ce que l’on peut attendre de nos concitoyens, avec un peu de méthode et beaucoup de travail, il est possible de construire des projets les associant pleinement, même dans des situations compliquées. L’expérience du quartier d’Aplemont en témoigne.
18Ce quartier est situé à l’entrée du Havre, sur le plateau dominant la vallée de la Seine. Il est entouré de quartiers résidentiels et de quelques cités. Malgré l’arrivée du tramway en 2012, ces quartiers n’ont pas bénéficié du même dynamisme que le centre-ville. Organisé autour d’une cité-jardin, « la Cité des fleurs » – construite après-guerre et composée alors de logements sociaux –, Aplemont vit comme un village. Une partie du parc a été vendue en accession à la propriété, voici de nombreuses années, conduisant à l’installation d’habitants attachés à leur pavillon. L’autre partie est restée propriété du bailleur Logeo Seine Estuaire. Elle accueille pour l’essentiel des locataires de longue date, dont beaucoup ont personnalisé leur logement, procédant à des travaux et des investissements importants. Le bâti, en effet, a beaucoup vieilli. Aussi bien, à partir de 2008, le bailleur se préparait à engager d’importantes rénovations. Mais le coût de ces travaux imposait de trouver des revenus complémentaires et, pour cela, de construire de nouveaux logements. À l’échelle du quartier, cela supposait une densification des îlots et la démolition de certains pavillons. Auparavant, il fallait prévoir le relogement des personnes dont les pavillons seraient démolis ou refaits à neuf, donc accepter de ne pas relouer les maisons jusqu’aux travaux. Le quartier a progressivement vu se multiplier les maisons vides, entraînant une baisse de la population, une hausse des incivilités (squats, effractions…) et la détérioration de la vie du quartier.
Sans confiance, pas de projet
19C’est dans ce contexte que, en 2012, un projet est présenté par la mairie et le bailleur social aux habitants, dans le cadre d’une opération de concertation. Celle-ci est interrompue dès le lendemain de la première réunion : organisée sur un schéma « classique » (inspiré des modèles de concertation promus par la Commission nationale du débat public), elle était guidée par la nécessité d’informer plus que de discuter. Un site internet et un comité de défense avaient été mis en place immédiatement, en particulier à cause du sentiment que ce projet allait tuer le quartier. Le maire du Havre d’alors, Édouard Philippe, intervient quelques semaines plus tard auprès du bailleur et ils tombent d’accord pour une interruption du projet. Il promet, s’il est réélu, de lancer une grande concertation auprès des habitants du quartier. Au sein de Logeo, le dossier est repris en main par la direction, Dominique Giry, s’impliquant personnellement dans le suivi du quartier.
20À l’automne 2014, l’agence Grand Public est mandatée pour imaginer une nouvelle démarche, avec une double exigence : gérer la sortie du conflit cristallisé localement et accompagner la co-construction d’un projet respectant à la fois les attendus économiques du bailleur, les exigences de la ville et les attentes des habitants. L’esprit et le déroulé sont présentés en décembre 2014 aux habitants. Lors de cette première rencontre, plusieurs prises de parole traduisent les tensions accumulées. Toute une partie de la population est, par principe, hostile à tout projet sur le quartier.
21Les principes du nouveau processus sont clairs :
- il s’agit de changer d’échelle pour réinscrire la cité-jardin au cœur du quartier plutôt que d’en faire un sujet spécifique ;
- il n’y a pas de projet préconçu, même s’il existe des contraintes économiques et urbaines évidentes. Les habitants seront associés à toutes les phases de la construction du projet ;
- il est fondamental de permettre au maximum de personnes d’être activement engagées dans la démarche. Il est inimaginable de se satisfaire du constat : « Les gens ne viennent pas, la citoyenneté régresse. »
22Ce dernier point est loin d’être un détail : le rôle d’une agence de concertation ne saurait se limiter à présenter des diaporamas et à distribuer la parole de manière minutée dans un déroulé qu’elle aurait conçu. Il y a un vrai rôle d’ingénierie démocratique à assumer : la responsabilité des organisateurs d’une démarche participative, c’est aussi de s’assurer que l’ensemble des habitants participera effectivement à la rencontre et de manière active. Même les publics les plus éloignés a priori (jeunes, ouvriers, chômeurs, chefs d’entreprise, mères isolées…) !
Un peu de méthode…
23Au printemps 2015, tout un travail d’exploration collective est mené avec les prestataires, les élus, le bailleur, la mairie et les habitants afin de définir à quelles conditions un projet pourrait être utile à Aplemont. Des craintes sont alors exprimées : perte d’identité paysagère et sociale du quartier, volonté de voir revenir des jeunes et de pouvoir vieillir dans le quartier, refus d’une densification trop forte ou de logements collectifs trop hauts et trop nombreux qui dénatureraient l’esprit village et pavillonnaire… Si les habitants exprimaient ce à quoi ils étaient attachés, ils étaient aussi d’accord sur le fait que le quartier vivait mal. Dès lors, tous étaient prêts à entrer dans une dynamique positive pour imaginer comment lui redonner du souffle. Pour rétablir un climat de confiance et construire le projet avec les habitants, le travail commence donc par une première étape d’écoute et de diagnostic sur le quartier. L’enjeu est de co-produire ce diagnostic avec les habitants. Une réunion concluant cette première étape est organisée en juin 2015 pour vérifier que les équipes techniques avaient bien compris les enjeux partagés par les habitants… Le travail de fond pouvait alors commencer. Il est souvent dit que les concertations ralentissent les processus. En l’occurrence, l’attente des habitants et les points de rendez-vous fixés par le politique ont singulièrement hâté le projet.
24Un second cycle de réunions est ainsi organisé à l’automne 2015 pour permettre l’aboutissement du schéma d’ensemble. L’équipe de Grand Public accompagne la préparation des échanges entre les équipes de la ville, l’urbaniste Daniel Kahane et les habitants. À l’issue de ces rencontres, trois scénarii alternatifs sont présentés et approfondis, débouchant sur un choix présenté lors d’un point d’étape avec le maire. Il est affiné dans le cadre d’une série d’ateliers et en mai 2016, le scénario final est présenté par la ville et le bailleur, devant une salle qui applaudit unanimement, se félicitant collectivement du travail réalisé !
25Ainsi, la concertation aura permis d’apaiser des tensions dans le quartier et de restaurer des relations de confiance entre tous. Et le schéma final est significativement différent du projet rejeté deux ans plus tôt. D’abord, un quartier plus ouvert, plus aéré, plus vert… Ces éléments sont repris dans une charte encadrant les futures interventions des équipes d’architectes. Ensuite, légèrement moins de logements, mais plus en phase avec « l’esprit d’Aplemont » : plus proches des pavillons que des grandes barres. Les habitants ont tout de même exprimé leur souhait d’avoir, en plus des maisons individuelles, de petits logements collectifs accessibles aux personnes âgées et aux jeunes familles, afin que chacun puisse construire sur place son parcours résidentiel et se projeter à Aplemont aux différents âges de sa vie. Enfin, autre évolution significative, les habitants ont voulu que ces logements collectifs soient localisés au cœur du quartier, autour des places, plutôt que le long des grands axes ou du tramway. Très attachés à l’identité de village, ils préféraient que la signature particulière d’Aplemont soit perceptible depuis le tramway et la grande artère voisine. Y construire des immeubles aurait été le signe que Le Havre cherchait à grignoter leur quartier. La densification mesurée des places du quartier signalait au contraire le retour des habitants et de la vie à Aplemont.
Redonner vie au village Aplemont
26Une nouvelle étape, plus opérationnelle, s’est alors ouverte : sur chaque tranche soumise à la démolition-reconstruction, les habitants ont été associés aux projets architecturaux : couleur, hauteur des maisons, matériaux de construction, orientations et ombres portées, garage et abris de jardin, ouverture et propriété des jardins de cœur d’îlots, accessibilité des venelles, etc.
27In fine, si l’on fait l’effort d’aller patiemment à la rencontre des habitants, en leur proposant des réunions sur des enjeux stratégiques, en tenant ces rencontres à des horaires adaptés, avec la garantie qu’ils pourront évaluer les apports de leur parole, ils jouent le jeu d’une citoyenneté plus active. À Aplemont, toutes les parties de la population du quartier étant représentées à chaque étape ! En intégrant les contraintes et aspirations des uns et des autres, un projet complètement neuf a vu le jour. Sans doute le bailleur a-t-il renoncé à certaines idées, peut-être les habitants ont-ils remisé certaines envies. Mais personne ne l’a explicitement vécu comme tel. Du côté du bailleur, il serait trompeur de comparer les deux projets, tant ils ont été formulés dans des conditions différentes. S’il y a un peu moins de logements au total, le calendrier de déploiement est plus sécurisé. Surtout, le second projet a l’immense vertu d’être économiquement réalisable. Et du côté des habitants, le sentiment d’avoir réussi à réorienter l’avenir du quartier est collectivement exprimé. Le projet a sans doute des imperfections, mais tous s’y retrouvent et ont la satisfaction d’avoir obtenu un succès alors qu’« au début, on pensait vraiment que ce serait le pot de terre contre le pot de fer ».
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Notes
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[1]
Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal (Journal officiel du 18 juillet 1978).
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[2]
Cf. le dossier « Réfugiés : sortir de l’impasse », Revue Projet, juin 2017, n° 358 [NDLR].