Notes
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[1]
Le « lean management » vise la réduction maximale des stocks, des coûts et des temps.
-
[2]
Le métier « d’évangéliste technologique » (sic) aujourd’hui très en vogue dans les entreprises du numérique, consiste à défendre « les innovations d’une entreprise auprès des communautés les plus influentes. Son objectif : instaurer de nouveaux standards sans passer par la case ‘promotion commerciale’, souvent jugée trop agressive » (Hubert Levesque, « Nouveau métier du digital : évangéliste technologique », www.morganmckinley.fr, 10/09/2014).
-
[3]
Jennifer Bué, Thomas Coutrot, Isabelle Puech (coord.), Conditions de travail : les enseignements de vingt ans d’enquêtes, Octarès, 2004. Les enquêtes « Conditions de travail » du ministère du Travail sont réalisées tous les six ou sept ans depuis 1978.
-
[4]
Élisabeth Algava et al., « Conditions de travail. Reprise de l’intensification du travail chez les salariés », Dares Analyses, n° 49, juillet 2014.
-
[5]
Idem, p. 9, tableau A.
-
[6]
T. Coutrot, Nicolas Sandret, « Pilotage du travail et risques psychosociaux », Dares Analyses, n° 3, janvier 2015.
-
[7]
Lydie Vinck, Élisabeth Algava, « En 2011, 29 % des salariés ont travaillé le dimanche de façon habituelle ou occasionnelle », Dares Analyses, n° 75, octobre 2012.
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[8]
É. Algava, L. Vinck, « Intensité du travail et usages des technologies de l’information et de la communication », Synthèse.Stat, n° 14, juin 2015.
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[9]
Selma Amira, « La prévention des risques professionnels. Les mesures mises en œuvre par les employeurs publics et privés », Dares Analyses, n° 13, mars 2016.
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[10]
Amélie Mauroux, « Work intensification and the use of ICT in France », présentation à la conférence « Shaping the new world of work. The impacts of digitalisation and robotisation », Etui-Etuc, 28/06/2016.
-
[11]
Cf. Brian J. Robertson, La révolution Holacracy. Le système de management des entreprises performantes, Alisio, 2016 et Frédéric Laloux, Reinventing organizations. Vers des communautés de travail inspirées, Diateino, 2015.
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[12]
Marvin R. Weisbord, Productive workplaces revisited : dignity, meaning, and community in the 21st century, Jossey-Bass/Wiley, 2004 [édition revue et corrigée, édition originale : 1987].
1 Sous l’influence des marchés financiers, des innovations technologiques et de l’impératif de croissance, les salariés français travaillent toujours plus sous pression. Celle des chiffres, des contrôles, même si la productivité ne suit pas. Jusqu’à quand ?
2 Avec la libéralisation des mouvements de capitaux et leur informatisation, les marchés financiers ont connu un essor et une intégration mondiale inédits. L’accélération de la circulation du capital a eu des conséquences sur les rythmes du travail. La liquidité du capital lui permet en effet de mettre en concurrence directe et instantanée des entreprises et des collectifs de travail de par le monde. La menace du retrait des capitaux permet de leur imposer partout des réorganisations. Réductions d’effectifs, sous-traitance, polyvalence, « lean management » [1]… ont provoqué une intensification du travail.
3 Partout, les innovations organisationnelles sont étroitement associées à la révolution numérique. Les ordinateurs ont envahi les bureaux et les usines. La proportion de salariés connectés ne cesse d’augmenter (70 % aujourd’hui) ; la quasi-totalité des entreprises utilisent l’internet ; les progiciels organisent les flux de production, de logistique et de relation avec les clients, du local au global… Et cette révolution connaît une nouvelle accélération avec le big data, l’internet des objets, les plateformes numériques… Les évangélistes [2] de la révolution numérique nous annoncent donc une fantastique accélération de la productivité qui pourrait détruire des millions d’emplois qualifiés dans les années à venir.
4 Pourtant, ces trois vagues de fond qui se conjuguent – fluidité inédite des capitaux, intensification sans précédent du travail et 3e révolution technologique – sont encore très loin d’avoir l’impact espéré sur la croissance. En 1987, au début de la révolution numérique, l’économiste américain Robert Solow s’étonnait déjà de ce qu’« on voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de la productivité ». « Attendez un peu, les effets arrivent », lui répondaient les optimistes. Trente ans plus tard, le constat est sans appel : dans les pays riches, hormis un bref sursaut aux États-Unis entre 1996 et 2000, les gains de productivité n’ont cessé de ralentir depuis les années 1970, et dépassent désormais péniblement 1 % par an en moyenne. Ils ralentissent aussi fortement dans les pays émergents. Ce blocage n’est-il que temporaire et les ruptures technologiques en cours pourraient-elles y mettre un terme ? Il y a de bonnes raisons de croire le contraire. Quant à l’accélération de l’intensité du travail – tout comme celle de l’exploitation de la nature –, loin de provoquer un rebond économique, elle risque plutôt d’aggraver les difficultés.
Intensifier le travail, jusqu’où ?
5 Les grandes enquêtes statistiques [3] auprès des travailleurs fournissent plusieurs indicateurs utiles pour suivre l’évolution de l’intensité du travail. Le plus « objectif » s’appuie sur la description des dispositifs qui déterminent le rythme des salariés : cadence de la machine ou de la chaîne, norme technique, demande du client, contrôles du chef… Le cumul de plusieurs de ces contraintes signale un poste de travail particulièrement intense. En 1984, 6 % seulement des salariés déclaraient être soumis à trois contraintes ou plus. Cette proportion a augmenté régulièrement depuis, pour arriver à 35 % en 2013 (elle dépasse les 50 % pour les ouvriers) [4].
6 Il y a trente ans, certaines contraintes étaient réservées aux ouvriers de l’industrie. D’autres ne concernaient que les salariés des services. Les frontières sont beaucoup plus floues aujourd’hui : avec la production « juste à temps », les ouvriers sont soumis à la demande des clients, tandis que les employés de la logistique travaillent comme à la chaîne. Ainsi, le travail sous contrainte automatique concernait 1 % des employés en 1984, mais 8 % en 2013 (passant de 17 à 31 % pour les ouvriers).
7 Ce cumul des contraintes s’accroît pour toutes les catégories socioprofessionnelles. Sur la période la plus récente (2005-2013), l’intensification est plus forte dans la fonction publique que dans le privé, par un phénomène de rattrapage lié aux récentes réformes de l’État. Les changements techno-organisationnels et l’insécurité qu’ils génèrent pour les salariés, dans le public comme dans le privé, renforcent puissamment l’intensité du travail [5]. La part des salariés dont le rythme de travail est « imposé par un contrôle ou un suivi informatisé » est passée de 25 % en 2005 à 36 % en 2013.
8 Des indicateurs plus « subjectifs » se fondent sur la manière dont les salariés décrivent leur travail. De plus en plus d’entre eux disent devoir fréquemment interrompre une tâche pour en accomplir une autre non prévue : la proportion est passée de 48 % à 64 % entre 1991 et 2013. Même si ce travail « bousculé » concerne plus les cadres (75 %) que les ouvriers (50 %), il a augmenté pour toutes les catégories, en lien avec la pression des clients et des systèmes informatiques. De même, 13 % des salariés disent penser à leur travail quand ils n’y sont pas, un chiffre qui s’élève à 22 % chez les cadres (et à 29 % chez les cadres du secteur public).
9 Les méthodes de management contribuent, elles aussi, à renforcer l’intensification. C’est en particulier le cas des objectifs individuels chiffrés, imposés à un nombre croissant : en 2013, 44 % des cadres, 30 % des ouvriers et 20 % des employés devaient atteindre de tels objectifs, souvent irréalistes dans un contexte de réduction des moyens. L’impact sur la santé est désastreux : le risque de symptômes anxieux ou dépressifs est augmenté de 50 % pour les salariés qui ont des objectifs chiffrés sans pouvoir en discuter avec leur supérieur et de 20 % pour ceux qui peuvent en discuter [6].
Le travail envahit la vie
10 Avec le passage aux 35 heures, les salariés ont gagné du temps libre. Mais les réorganisations liées à la récupération du temps de travail ont souvent contribué à intensifier les heures restantes. Et depuis le début des années 2000, avec la multiplication des dérogations, la durée du travail est repartie à la hausse. Aujourd’hui, 28 % des salariés doivent « souvent » ou « tous les jours » dépasser l’horaire prévu : 43 % des cadres, en général sans compensation en salaire ni en repos, et 19 % des employés et des ouvriers, avec plus souvent des compensations. Quant à la proportion de salariés qui ne comptent plus leurs heures (« forfait jour »), elle augmente régulièrement, y compris pour des non-cadres, et dépasse maintenant 12 %.
11 L’exigence constante de disponibilité s’imprime sur la vie des salariés. Le travail du dimanche a prospéré [7], plus particulièrement pour les femmes, dans l’industrie et le secteur de la santé. Les récentes lois Macron devraient accentuer la tendance.
12 Cette exigence de disponibilité prend parfois la forme des astreintes, qui touchent 10 % des salariés mais 14 % des hommes (et 26 % des fonctionnaires). Forme plus spécifique aux cadres, le fait de « devoir emporter du travail à la maison » « souvent ou tous les jours » concerne 12 % des salariés, chiffre en nette augmentation surtout pour les cadres (de 20 % à 24 % entre 2005 et 2013).
Au travail, partout, tout le temps
13 Ce brouillage des frontières entre temps de travail et temps personnel progresse avec l’équipement en outils informatiques mobiles. Ainsi, en 2013, 4 % des salariés (et 8 % des cadres) ont été « joints en dehors des horaires de travail pour les besoins du travail », par téléphone ou par mail, plus d’une fois par semaine. Plus de la moitié d’entre eux ont une boîte à lettres électronique professionnelle avec, pour 60 %, la possibilité de consulter cette messagerie à distance [8]. 20 % des salariés ont en outre un accès à distance au système informatique de leur entreprise.
14 Le télétravail (à domicile ou en plateforme) demeure marginal (2 % des salariés) [9], mais ce qui se développe rapidement, c’est le « travail nomade » (17 % des salariés), en déplacement, chez le client, dans les transports, chez soi le soir… grâce aux ordinateurs portables et aux smartphones professionnels connectés. Les travailleurs « nomades » sont nettement plus nombreux à dire qu’ils travaillent « sous pression », qu’ils doivent penser « à trop de choses à la fois » ou qu’ils doivent sans cesse « interrompre une tâche pour une autre non prévue » [10]. Si l’ordinateur est présent au poste de travail de la majorité des salariés, les outils de connexion à distance demeurent toutefois l’apanage des cadres, des vendeurs-représentants et des techniciens de maintenance. Leur usage reste un « privilège » masculin : 34 % des femmes utilisent un téléphone portable pour des besoins professionnels contre 56 % des hommes.
Vers une libération du travail ?
15 S’il épuise les travailleurs, ce régime d’accumulation fondé sur l’innovation numérique et l’intensification du travail semble lui-même bien fatigué : une productivité et une croissance qui stagnent, des crises financières qui se succèdent, des inégalités sociales et une précarité en hausse… Certes, les investisseurs financiers continuent à exiger, et même à obtenir, des rendements annuels extravagants, de l’ordre de 15 % par an (la performance moyenne des actions cotées à Wall Street entre 2011 et 2015). Mais ces performances doivent bien plus à la politique de création monétaire des banques centrales, qui ont sauvé le système financier depuis 2008 en y déversant des sommes colossales, qu’au dynamisme de l’investissement productif.
16 D’où vient ce décalage entre un système productif en révolution permanente et une économie atone ? Plusieurs explications y concourent : les politiques d’austérité qui contraignent la demande finale ; les excès d’une économie d’endettement permanent, rendue nécessaire par la stagnation, voire la baisse, des salaires et des investissements publics ; l’instabilité chronique de la sphère financière ; les coûts écologiques croissants d’un système fondé sur les énergies fossiles et le consumérisme…
17 Sur le marché du travail, la montée générale de la précarité et de l’exclusion est l’autre face de cette intensification insoutenable du travail. Celles et ceux qui ne peuvent tenir le rythme sont rejetés dans les marges, au prix de coûts sociaux et politiques croissants. Certains dirigeants, encore peu nombreux, commencent à se rendre compte des impasses de ce modèle fondé sur le renforcement permanent des outils de prescription, de pression et de contrôle. Ils prônent le développement d’un modèle d’« entreprise libérée » ou « autogouvernée », fondé sur la confiance, l’autonomie et l’intelligence collective [11], dont les performances économiques et sociales sont bien supérieures. Au-delà des effets de mode ou des discours de « gourous », les bases théoriques d’un tel modèle sont en fait solides et rejoignent les travaux de l’école sociotechnique britannique et scandinave [12] des années 1960-1970. Mais l’émergence de ce modèle, aussi séduisant soit-il, risque fort de se heurter au conservatisme de ceux qui se méfient de l’intelligence collective si elle risque de leur faire perdre du pouvoir. Si sa généralisation demeure incertaine, il est rassurant de savoir qu’une autre organisation du travail est possible…
Retraite : la santé retrouvée
SUR REVUE-PROJET.COM
Notes
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[1]
Le « lean management » vise la réduction maximale des stocks, des coûts et des temps.
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[2]
Le métier « d’évangéliste technologique » (sic) aujourd’hui très en vogue dans les entreprises du numérique, consiste à défendre « les innovations d’une entreprise auprès des communautés les plus influentes. Son objectif : instaurer de nouveaux standards sans passer par la case ‘promotion commerciale’, souvent jugée trop agressive » (Hubert Levesque, « Nouveau métier du digital : évangéliste technologique », www.morganmckinley.fr, 10/09/2014).
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[3]
Jennifer Bué, Thomas Coutrot, Isabelle Puech (coord.), Conditions de travail : les enseignements de vingt ans d’enquêtes, Octarès, 2004. Les enquêtes « Conditions de travail » du ministère du Travail sont réalisées tous les six ou sept ans depuis 1978.
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[4]
Élisabeth Algava et al., « Conditions de travail. Reprise de l’intensification du travail chez les salariés », Dares Analyses, n° 49, juillet 2014.
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[5]
Idem, p. 9, tableau A.
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[6]
T. Coutrot, Nicolas Sandret, « Pilotage du travail et risques psychosociaux », Dares Analyses, n° 3, janvier 2015.
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[7]
Lydie Vinck, Élisabeth Algava, « En 2011, 29 % des salariés ont travaillé le dimanche de façon habituelle ou occasionnelle », Dares Analyses, n° 75, octobre 2012.
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[8]
É. Algava, L. Vinck, « Intensité du travail et usages des technologies de l’information et de la communication », Synthèse.Stat, n° 14, juin 2015.
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[9]
Selma Amira, « La prévention des risques professionnels. Les mesures mises en œuvre par les employeurs publics et privés », Dares Analyses, n° 13, mars 2016.
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[10]
Amélie Mauroux, « Work intensification and the use of ICT in France », présentation à la conférence « Shaping the new world of work. The impacts of digitalisation and robotisation », Etui-Etuc, 28/06/2016.
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[11]
Cf. Brian J. Robertson, La révolution Holacracy. Le système de management des entreprises performantes, Alisio, 2016 et Frédéric Laloux, Reinventing organizations. Vers des communautés de travail inspirées, Diateino, 2015.
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[12]
Marvin R. Weisbord, Productive workplaces revisited : dignity, meaning, and community in the 21st century, Jossey-Bass/Wiley, 2004 [édition revue et corrigée, édition originale : 1987].