Couverture de PRO_298

Article de revue

Lectures

Pages 90 à 94

English version

Sociologie, essais

Didier Fassin & Eric Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale ?, Représenter la société française, La Découverte, 2006, 262 p., 20 €

1Le problème posé par cette réflexion plurielle est d’une importance théorique évidente et d’un poids politique certain : le racisme latent, ou déclaré dans des manifestations tragiques, est-il la version actuelle de la question sociale ? Les vieux militants ouvriers, pétris dans l’idéologie de l’internationalisme prolétarien, ne pourraient voir dans le déplacement de la question qu’une manière de détourner l’attention de l’exploitation capitaliste. Cependant, médias et politiciens aujourd’hui font davantage cas des affrontements racistes que de la lutte des classes. Car le racisme ne naît plus uniquement d’une population ignare, encore dans la caverne d’un obscurantisme littéralement incompréhensible par les Lumières qui brillent depuis bientôt trois siècles : la science biologique et les anthropologues ont depuis longtemps mis hors-jeu la notion de race. Le racisme ne s’en manifeste pas moins, non seulement dans les classes laborieuses mais aussi chez les politiciens qui, tous, pensent devoir dire leur phrase sur le sujet. Le principal apport de ces études croisées gît dans une idée simple et féconde : le racisme, en France notamment, n’exprime pas une identité qui se cherche en s’opposant ; il est la réaction violente contre diverses formes de discriminations. La reconnaissance exacerbée du fait discriminatoire devient ainsi le véritable enjeu de la société individualiste engendrée par un système que personne ne semble pouvoir maîtriser. Quoi qu’en pensent les coordinateurs de l’ouvrage, la discrimination positive ne saura pas, à elle seule, juguler les soubresauts qui s’annoncent.

2Yann Galenna

Bruno Karsenti, Politique de l’esprit. Auguste Comte et la naissance de la science sociale, Hermann, 2006, 220 p., 22 €

3Voici une puissante restauration, osé-je dire, de l’entreprise comtienne, longtemps déconsidérée. Elle apparaît comme l’entreprise de la sociologie même, mais de la sociologie entendue comme la genèse ou le développement de « l’esprit », qui se tisse entre les personnes formant l’humanité. La sociologie remplaçant en somme les philosophies politiques héritées – théories d’un pouvoir hors de la société même (plutôt d’un pouvoir sur elle). La sociologie est alors le moyen par lequel la dite société, la société révolutionnaire, à la différence de celles du passé, vient au gouvernement d’elle-même – au lieu d’être gouvernée de l’extérieur comme dans les systèmes anciens. On n’a pas voulu entendre Comte, ne voulant entendre parler que de science sans normativité – sans vérité totale non plus. Curieusement, en ce sens, le positivisme auquel on a adhéré est le contraire du positivisme que constituait Comte… B. Karsenti n’hésite même pas à revaloriser l’idée de Religion impliquée par la sociologie comtienne. Pour Comte, « on doit contraindre la modernité à affronter ce qu’elle récuse avec le plus de force : la formation d’une dogmatique qui, quand bien même elle n’admet plus de référence à Dieu, fonctionne encore sur le mode d’un discours de vérité que la société s’efforce de tenir sur elle-même ». « ‘Science sociale’ veut dire d’abord cela »… Je ne puis qu’évoquer ainsi l’intention qu’a Karsenti de faire redécouvrir le projet de Comte jamais accueilli, et laisser le lecteur à sa découverte dans cette nouvelle fraîcheur. Et au jugement qu’il pourra formuler. J’ajoute que je crains, au premier abord, que le discours de vérité, dont je ne nie aucunement le besoin, s’il peut se retrouver dans le dialogue (la communication, dirait Habermas), ne se retrouve guère au contraire dans la science sociale ou la sociologie positive courante, trop incomplète bien entendu… J’en reviens du coup à la grande ambiguïté du terme « positif », en tout cas « positivisme », qu’a induite Comte lui-même.

4Jean-Yves Calvez

Guillaume Ellner, La société des victimes, La Découverte, 2006, 224 p., 15 €

5Après avoir longtemps ignoré les victimes et refoulé leur mémoire, la société française s’est mise à pratiquer le culte des victimes. Selon G. Ellner, nous sommes entrés dans le règne du « consensus compassionnel ». Des secteurs entiers de l’opinion publique se succèdent sur scène pour exhaler leur ressentiment. Les hommes politiques jouent des coudes pour être les premiers sur les lieux des catastrophes et tendre une oreille secourable à cet étalement de souffrances. Les médias deviennent les avocats de ces causes pour le grand public et y gagnent des parts d’audience. Les intellectuels eux-mêmes plaident en faveur des peuples opprimés ou vivant des drames. Le monde devient un lit de souffrances catégorielles. Les victimes ont perdu leurs connivences avec les terrains d’enfouissement antérieur : famille, territoire, religion, nation. Le passé est alors appelé en renfort pour stigmatiser les temps de l’esclavage ou les méfaits du passé colonial. Pour les descendants lointains des victimes, la reconnaissance de leur statut humilié est devenue un impératif social et un enjeu. Mais la mémoire affichée de ces injustices passées est sélective, anachronique et oublieuse d’autres aspects du paysage d’antan. Quand le manichéisme est de retour, le tissu social se déchire un peu plus et la consistance de la société se fragilise dans un climat d’exaspération grandissante. Pour certains agents du business, même « la faim devient un événement à la mode ». Guillaume Ellner tend à surdéterminer son propos et à surcharger son bilan accusateur. Mais il n’a pas tort de penser que les excès du « victimisme » actuel transforment nos démocraties en lieu d’exaspération mutuelle.
Henri Madelin

Bruno Jarrosson, Chrétien au travail, Desclée de Brouwer, 2006, 192 p., 19 €

6Ce petit livre prend avec juste raison le contre-pied des manuels de gestion où tout baigne dans l’univers mythique d’harmonie au travail. Bruno Jarrosson, Conseil en stratégie d’entreprise, épingle, expérience à l’appui, les jeux de pouvoirs et les contradictions du gouvernement d’entreprise, jeux et contradictions générateurs de violence, et qui sont le pain quotidien de la vie au travail. Tel supérieur hiérarchique espionne (systématiquement mais maladroitement) les E-mail privés de sa subordonnée, mais l’avocat consulté signale que la dénonciation de cette faute professionnelle entraînerait plus d’inconvénients que d’avantages. Tel investissement se fait sur des bases de confort des dirigeants en non de l’utilité commune. Bref le travail reste dans bien des occasions l’instrument de torture, le tripalium des romains. De ce point de vue le travail, encore dépourvu de la gratification de l’œuvre accompli et des rapports politiques qui pourraient l’humaniser, n’est pas l’apanage du chrétien. Reste que le chrétien, Bruno Jarrosson en témoigne, l’affronte avec lucidité. La thèse de l’auteur va même encore plus loin : elle veut que la vie professionnelle telle que l’impose l’économie mondialisée, n’est pas simplement un « mal nécessaire » ; elle reste un lieu possible d’expression de la singularité chrétienne, lieu où peut encore triompher la réussite, la confiance et le respect.

7Etienne Perrot

Politique et histoire

Matthieu Baumier, La démocratie totalitaire. Penser la modernité post-démocratique Presses de la Renaissance, 2007, 288 p., 20 €

8Un livre en forme d’essai, qui mêle assurément nombre de choses, cultive le catastrophisme, dénonce en même temps, non sans raison, des traits négatifs avérés de la vie contemporaine. Au centre, il y a « l’homme sans gravité » de notre temps. Mais cette humanité en déclin serait aussi le fruit comme d’un complot : celui des médias. Les médias eux-mêmes sont vendus à une oligarchie (politique et argentée à la fois). L’auteur se veut certainement humaniste mais expose un profond pessimisme aussi, anti-humaniste à certains moments : la guerre est pour lui facteur constitutif de l’équilibre des sociétés humaines. Sont cités alors Julien Freund, Zinoviev, Ernst Jünger… L’expression « démocratie totalitaire » fut employée naguère par des historiens américains examinant la démocratie jacobine française en contraste avec l’américaine. Il s’agit de bien d’autres choses ici - de trop à la fois il est vrai.

9Jean-Yves Calvez

Nancy L. Green & François Weil (dir.), Citoyenneté et émigration, Les politiques du départ, Coll. Recherches d’histoire et de sciences sociales, éd. de l’Ehess, 2006, 276 p., 22 €

10La plupart des études sur les migrations s’intéressent aux flux, au vécu des migrants ou aux politiques d’immigration. L’originalité de cet ouvrage est de suivre la piste peu exploitée des politiques des États d’origine. Réparties en quatre parties (la liberté du mouvement, construction nationale et structures administratives, les coûts de l’émigration, immigration et émigration), les douze contributions d’historiens, de sociologues et de politologues, balaient les XIXe et XXe siècles, sur des champs géographiques allant de différents pays d’Europe à la Chine, au Canada et à Israël. Cette période de mutations profondes voit à la fois la naissance des États-nations, et le passage de l’individu-sujet à celui de citoyen. Aussi, l’attitude des autorités des pays de départ n’a cessé de fluctuer en fonction des évolutions démographiques, économiques ou politiques : du laissez-faire à l’interdiction, en passant par l’organisation de colonies de peuplement, à l’éloignement de populations pauvres ou indésirables, ou à l’encadrement des conditions d’émigration. Tous les États en viennent peu à peu à la reconnaissance de la permanence des liens culturels, économiques ou de citoyenneté avec ceux qu’ils finissent par considérer comme étant toujours leurs ressortissants.
Michel Guéry

Stéphane Nicaise, Jean de Puybaudet (1917-1996). Etre jésuite dans les décolonisations de Madagascar et de la Réunion, Presses de l’Université de La Réunion, 2006, 250 p., 14 €

11Biographie – par un jeune compagnon – d’un extraordinaire missionnaire de Madagascar, la « grande île », puis de La Réunion, bien petite en comparaison : de 1951 à 1962 dans la première, c’est le temps de l’indépendance, de 1962 à 1980 dans la seconde, c’est le temps de la départementalisation, de rudes combats sociaux et de beaucoup de misère. Jean de Puybaudet n’a pas attendu le « Décret 4 » de la 32e Congrégation générale de son ordre sur le Service de la foi et la Promotion de la justice pour être un grand exemple de cette harmonie en lui. Harmonie assurément dans la tension, l’existence de cet homme en témoigne ! Jean de Puybaudet, en 1972, décidera d’aller jusqu’à l’extrême : il a travaillé pour les pauvres, il s’est donné corps et âme à leur éveil et à celui des familles, il a ferraillé avec les hommes politiques (Préfets, Député – pas moins que Michel Debré) pour la défense des droits, pour la transparence de la vie politique, désormais il va vivre aussi comme un pauvre coupeur de canne, installé dans une petite maison solitaire, au milieu des ouvriers agricoles. Cet homme à l’âme tendue, à la vie austère, y gagnera peu à peu la sérénité, la joie, la douceur. Mystère de la dernière étape de sa vie que l’auteur n’aborde pas : est-ce le fruit d’un apaisement social et politique à la Réunion comme il semble le suggérer (malgré des troubles en 1991) ? Un autre ouvrage le dira peut-être un jour, disant simultanément : que faire, là-bas, aujourd’hui ?

12Jean-Yves Calvez

Laurent Dubois, Les vengeurs du Nouveau-Monde : histoire de la révolution haïtienne, Les Perséides, 2005, 434 p., 25 €

13Qui sont les vengeurs du Nouveau-Monde ? L’auteur apporte une réponse détaillée à cette question. Les figures héroïques individuelles, toujours abordées lorsqu’il s’agit de la révolution haïtienne (Toussaint Louverture, J.-J. Dessalines), font de la place aux acteurs collectifs que sont les masses serviles. L’histoire de la révolution haïtienne est méconnue, les événements sont parfois incompréhensibles, car le jeu des alliances et contre-alliances est très aléatoire. Laurent Dubois rend parfaitement compréhensibles les événements qui ont marqué la période révolutionnaire. Les historiens ne cessent de se questionner sur les causes de la réussite de la seule révolution noire servile dans l’histoire de l’humanité. A la différence des autres révolutions atlantiques de cette période, les masses de l’ancienne colonie française de Saint-Domingue ont pris l’initiative du mouvement et orientent le cours des événements. Les esclaves de Saint-Domingue ont réalisé les idéaux de la révolution française. Cet événement majeur fut vite occulté dans un monde dominé par des puissances esclavagistes et colonialistes. Pour ces puissances, cet Etat nègre, peuplé d’anciens esclaves, représente un mauvais exemple aux yeux des colonies environnantes. Elles ont mis à l’index le nouvel Etat en qualifiant les Haïtiens de « nègres rebelles ». Cependant, Haïti a joué un rôle central dans la disparition de l’esclavage en Amérique et, par conséquent, elle a contribué à marquer un tournant dans l’histoire de la démocratie. Elle a aussi posé, partout dans le monde « les fondations d’un combat permanent pour le respect des droits de l’homme ». (p.30).

14Délide Joseph

André Bellon, Une nouvelle vassalité, Ed Mille et une nuits, 2007, 224 p. 12 €

15Un essai, au ton un peu pamphlétaire, écrit par un acteur de la gauche au pouvoir. L’auteur a été longtemps député, et président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Le sous-titre de l’ouvrage annonce une « contribution à une histoire politique des années 1980 ». On y apprend beaucoup sur la manière dont la personnalisation du pouvoir n’a pas été freinée à partir de 1981, au contraire. La France y a perdu en démocratie, et la gauche qui ne voulait pas rompre avec ses principes fondamentaux y a perdu sa place. A. Bellon, dans son explication de l’avancée du libéralisme et du postmodernisme philosophique, s’en prend entre autres de manière virulente à Pierre Rosanvallon et à quelques membres de la Fondation Saint-Simon, puis à Antonio Negri. Pour ne pas désespérer les socialistes, André Bellon termine heureusement par Montaigne et l’appel au dialogue.
Françoise Salmon

Economie

Damien de Blic & Jeanne Lazarus, Sociologie de l’argent, La Découverte, Repères, 2007, 128 p., xx €

16Les élèves de classes terminales et les étudiants de première année trouveront ici un honnête survol des principaux observateurs de l’argent. Non pas la monnaie bien connue des économistes, mais l’argent dans ce qu’il charrie de fonctions symboliques. De Marx à Jean-Michel Servet, en passant par Simiand et Simmel, depuis les analyses du Credoc jusqu’aux statistiques du surendettement en France et l’usage des chéquiers et des cartes de crédit, les principaux aspects de la fonction sociale de l’argent sont passés rapidement en revue. Tout y est, ou presque, y compris les poncifs. Ainsi, les auteurs parlent des « religions du Livre » en ignorant que l’expression n’a rien d’un concept sociologique ; elle n’est que la reprise non critique d’une expression islamique, puisque le Livre désigne le saint Coran, la Bible juive et le Nouveau Testament chrétien n’en étant que des brouillons. La formule est encore plus erronée appliquée au catholicisme qui est une religion de la Tradition. Plus grave, le premier chapitre évoque les positions morales sur l’argent des trois religions monothéistes, sans les replacer dans leurs contingences historiques (chose que les auteurs savent cependant fort bien faire lorsqu’ils traitent du fonctionnement moderne de l’argent). Ce premier chapitre place ainsi curieusement la religion au cœur des rapports culturels, ce qui est faux pour bon nombre de sociétés, y compris la société capitaliste à l’état naissant, quoi qu’en prétende la thèse weberienne. Dans un style rendu agaçant par la manie de n’oser aucune affirmation si elle n’est pas couverte par l’autorité d’un universitaire reconnu, et en oubliant systématiquement de préciser les dates de première édition des ouvrages marquants, ce petit livre présente quand même un premier aperçu de ce qui se dit de sérieux aujourd’hui sur la fonction sociale de l’argent.

17Etienne Perrot

Paul Jorion, Vers la crise du capitalisme américain ?, La Découverte/Mauss, 2007, 254 p., 20 €

18Le capitalisme est en crise depuis son origine au 16e siècle lorsqu’un groupe de commerçants d’Amsterdam acceptèrent de donner la personnalité juridique à un sac de quelques millions de florins. Paul Jorion ne le dit pas ; mais ce qu’il dit présuppose cette vision financière du capitalisme. L’auteur applique cette analyse au capitalisme américain, parce que les institutions américaines ont une structure financière particulière : le revenu financier des Américains doit davantage à la plus-value immobilière qu’à la spéculation boursière. Depuis le début des années 80, 20 % seulement de l’enrichissement des ménages américains viennent de la Bourse (autant que l’enrichissement dû au travail), l’essentiel (60 %) venant de la valorisation du secteur immobilier. D’où le danger d’un effondrement financier à partir de ce secteur. La raison en est une organisation hybride, semi-publique/semi-privée sous les auspices de Fanny Mae (surnom donné à la Federal National Mortgage Association) et Freddie Mac (surnom de la Federal Home Loan Morgage Corporation) deux organisations financières tiraillées entre les logiques étatiques et capitalistes. La créativité comptable et les dérives de gestion à la limite de la légalité n’expliquent pas à elles seules la proximité du danger. L’affaiblissement financier des classes moyennes joue un rôle central, alors que l’immobilier reste le secteur au potentiel financier le plus grand. Curieusement, Alan Grenspan, ancien responsable de la Banque centrale américaine, avait parfaitement ciblé ce problème, alors que la presse n’a pas remarqué ses propos très clairs. L’analyse des implications de la loi Sarbanes-Oxley provoquée par les scandales Enron et Worldcom montre, parmi d’autres analyses suggestives, que Paul Jorion reste sensible au background culturel sans lequel le capitalisme ne peut survivre.
Etienne Perrot

Moisés Naïm, Le livre noir de l’économie mondiale. Contrebandiers, trafiquants et faussaires, Grasset, 2007, 394 p., 19,90 €

19Le sous-titre de ce livre dit bien peu des crimes favorisés par la mondialisation. Certes l’esclavage ne date pas d’aujourd’hui et il fut de tout temps lié aux incursions transfrontalières, comme le commerce des armes. Plus modernes, les trafics de drogues, d’organes humains et le piratage des logiciels informatiques ne sont pas le monopole du commerce international. Cependant, les mêmes vecteurs de la mondialisation servent aux activités contraires à la dignité humaine et à l’ordre public. Dans un style plus journalistique qu’universitaire, l’ancien ministre de l’Industrie et du commerce du Venezuela passe en revue la face cachée du commerce mondial : tout sur le web s’achète et se vend et se pèse et s’emporte. L’intérêt principal de l’ouvrage de Moisés Naïm n’est cependant pas dans ce « Tableau apocalyptique », mais dans l’explication donnée de l’inefficacité de la lutte contre le crime mondialisé. L’ennemi est pensé sur le schéma d’une organisation hiérarchisée (mafia). Du coup, la lutte mobilise des systèmes peu flexibles face à des réseaux souples qui émergent et disparaissent selon les besoins du moment. Le terrorisme international utilise aussi la solidarité réticulaire plutôt que la planification centralisée. L’auteur, avec pragmatisme, propose de décloisonner les services de contrôle, de décriminaliser certains trafics qui mobilisent trop d’énergie pour un enjeu social de second rang, et de favoriser la confiance mutuelle entres administrations transfrontalières par des collaborations ciblées entre pays volontaires, à la manière d’Europol, plutôt que d’Interpol. Cette collaboration n’est pas évidente, car elle entraîne une ingérence certaine dans les souverainetés nationales.

20Etienne Perrot

Anne Salmon, La tentation éthique du capitalisme, La Découverte, 2007, 192 p., 20 €

21La partie philosophique de ce livre présente les approches de la sécularisation des valeurs morales, selon Max Weber et Emile Durkheim, autour de la problématique des fins et des moyens. La deuxième partie offre un survol des textes d’entreprises à prétention éthique, notamment ceux d’EDF, soulignant leur ambivalence : à la fois mobilisation des collaborateurs autour de la valeur de développement durable, et justification des règles de conduites. Enfin, quelques entretiens retracent la réception de cette littérature par les cadres et employés. Au final le lecteur découvre la lune : l’éthique est un substitut du politique pour un capitalisme qui ne peut plus compter sur un contrôle mécanique des opérateurs. L’ouvrage gagnerait en cohérence si sa problématique sociologique s’encastrait davantage dans les conditions économiques nouvelles imposées par l’élargissement de l’espace économique. Il ferait alors apparaître le rôle central joué par la peur et le risque dans l’émergence de la gestion de la division internationale du travail ; ce qui a une incidence directe sur le développement de l’éthique dans le discours managerial des firmes transnationales. L’analyse proprement philosophique gagnerait à mieux distinguer ce qui est confondu dans le concept wébérien de « fin », distingué de moyen. Par ailleurs, la notion de bien commun devrait être distinguée de celle, voisine mais politiquement dissemblable, d’intérêt général. En outre, il ne suffit pas de signaler que la morale peut conceptuellement se distinguer de l’éthique. Encore faut-il en tirer les conséquences pour dénoncer sous nombre d’éthiques d’entreprise une visée morale, légitime dans son principe, mais insuffisante pour atteindre le bien agir, surtout lorsqu’elle se réduit à la conformité aux règlements et procédures.

22Yann Galenna

Auteurs des livres recensés

Sociologie, essais : G. Ellner, D. Fassin, E. Fassin, B. Jarrosson, B. Karsenti.
Politique, histoire : M. Baumier, A. Bellon, L. Dubois, N. L. Green, S. Nicaise, F. Weil.
Economie : D. de Blic, P. Jorion, J. Lazarus, M. Naïm, A. Salmon.

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