Couverture de PRO_289

Article de revue

Lectures

Pages 91 à 94

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International

Karoline Postel-Vinay, L’Occident et sa bonne parole, Flammarion, 2005, 224 p., 39,20 €

1Il y a longtemps qu’existent des relations entre différentes sociétés de la planète. Mais au tournant du xxe siècle, on a vu se produire à partir de l’Europe un phénomène de compression du temps et de l’espace dû pour une part au développement économique et technique et pour une autre part à la colonisation. Les pays d’Europe occidentale entreprennent alors de constituer un ordre politique régissant les relations entre tous les pays du monde imposant à tous leurs principes et leurs valeurs. Ils prétendent posséder le monopole de l’universel et apporter la civilisation aux peuples colonisés. La France se veut ainsi la « patrie des droits de l’homme ». Les Etats-Unis prennent le relais et estiment avoir reçu de Dieu une « destinée manifeste » qui les fait champions de la liberté et du bien au plan mondial. Ils s’engagent donc résolument, en déployant toute leur puissance, dans la lutte contre l’axe du mal, qui a pris successivement la figure du communisme soviétique puis celle du terrorisme islamiste. Leur objectif est d’imposer par la force la démocratie aux « Etats voyous » qui sont autant de menaces. Entreprise douteuse et plutôt dangereuse, comme le montre ce qui se passe en Irak. Quant à l’Europe, il est vain, pour les pays qui la composent de vouloir rivaliser avec les Etats-Unis, en devenant Europe-puissance, ou de s’aligner sur eux dans une guerre acharnée contre la terreur. Il lui faut plutôt retrouver sa vocation première en travaillant à être de plus en plus espace de paix au plan régional.

2Jean Weydert

Jean-Christophe Rufin, Globalia, Gallimard, 2004, 500 p., 34 €

3Les essais politiques du « médecin sans frontières » et président d’Action contre la faim ne passent jamais inaperçus. Ses romans historiques sont aussi reconnus (Rouge Brésil a obtenu le prix Goncourt en 1994). Dans la postface, Jean-Christophe Rufin explique son souhait de faire converger ces deux formes d’expression. Il a choisi la forme de la science fiction pour « convertir les problèmes en affects, les mouvements en désirs, les ruptures en tragédies… » Le lecteur, amusé au prime abord par l’idée de grossir les partis pris de notre démocratie triomphante, est pris dans un engrenage dont il ne peut sortir. Comme les personnages du livre, il se sent manipulé, mais par qui ? L’intrigue rebondit sans cesse, on n’en découvre le ressort qu’à la fin. En fait, on le pressentait, mais on ne voulait pas y croire… C’est dire si nous sommes attachés à notre liberté, notre prospérité et notre sécurité. Le livre dénonce la contradiction d’une société idéale qui chercherait de manière désespérée à les tenir ensemble. « L’essayiste a le devoir de prendre parti… Le romancier renvoie chacun à ses émotions, réflexions et à ses choix ». Les héros de l’ouvrage se séparent, chacun choisissant son chemin : quelques-uns montent dans la hiérarchie administrative, les autres se noient dans l’ennui. Les opposants s’enfoncent dans les contradictions d’une rhétorique impuissante, les derniers s’échappent dans les non-zones… C’est sans doute la limite du livre : un refus du politique au quotidien, fait de beaucoup de résistances et de quelques compromis pour que l’horreur décrite dans Globalia ne se généralise jamais.

4Bertrand Hériard Dubreuil

CERI, Guy Hermet, Ali Kazancigil, Jean-François Prudhomme (dir.), La gouvernance : un concept et ses applications, Ed. Karthala, Recherches internationales, 2005, 228 p., sans indication de prix

5La « gouvernance » est à la mode. La signification du mot est très variable, en général mal éclaircie, mais le phénomène existe et l’on peut lui voir affecter des attributs proches d’une définition générique, même s’il est essentiellement évolutif. La gouvernance est un mode de gestion de la complexité qui relève à la fois des gouvernements et d’acteurs non-gouvernementaux placés sur le même plan. Elle consiste à gérer les affaires publiques comme si leur traitement ne devait pas sensiblement différer de celui des affaires privées. Elle repose sur la croyance que les sociétés ou les relations entre les pays sont régies par des mécanismes d’auto-ajustement apparentés à ceux du marché. Les acteurs de la gouvernance se choisissent entre eux par cooptation, ne laissant à l’élection qu’une fonction résiduelle et marginale. La logique de cooptation s’applique particulièrement bien aux politiques sectorielles dans une perspective corporatiste. Les décisions prises sont toujours révocables et provisoires. Elles ne sont plus le produit d’un débat ou d’une délibération, mais le résultat de négociations entre les différentes parties. La gouvernance tend à se codifier selon des normes ou des codes de conduite ; plutôt que selon des lois votées en vertu du principe majoritaire ou issues d’une tradition jurisprudentielle (common law). La gouvernance est-elle destinée à remplacer la démocratie ou peut-elle se combiner avec elle ? Est-elle compatible avec la souveraineté de l’Etat ? Elle est désormais présente à tous les niveaux : local, régional, national, international, surtout dans l’Union européenne, mais aussi aux Amériques dans l’Alena. Elle est pratiquée dans les pays anciennement industrialisés et démocratisés. La Banque mondiale l’exige des pays pauvres. Elle est en prise avec la mondialisation. Sera-t-elle employée comme un auxiliaire de la modernisation, de la démocratie et de la paix ? Ou donnera-t-elle naissance, si nous n’y prenons garde, à une « après-démocratie », à un régime populiste menacé par le conflit des intérêts particuliers et/ou l’autoritarisme ?
Jean Weydert

Ariel Colonomos, La morale dans les relations internationales, Odile Jacob, 2005, 360 p., 27,5 €

6Assiste-t-on à un retour de la morale dans les relations internationales ? Ariel Colonomos rassemble et analyse tout un ensemble de faits et de tendances qui invitent à répondre oui. En sortant de la période de guerre froide, où les rapports entre acteurs de la scène mondiale étaient marqués par un réalisme pragmatique à la Kissinger, nous serions entrés dans l’ère d’un « néo-idéalisme post bipolaire ». Non pas que ces acteurs (Etats, entreprises multinationales, institutions internationales, etc.) se soient soudain « convertis » à on ne sait quel souci moral pour orienter leurs décisions, mais ils doivent désormais prendre en compte les « effets de réputation » comme un élément déterminant de leurs décisions. Intérêt et morale ne s’opposent pas dans un monde plus transparent, où les décideurs sont sommés de « rendre des comptes » à une opinion publique de plus en plus vigilante et de plus en plus mondiale. Quatre exemples illustrent cette « obligation de justification » qui s’impose à tous – non sans susciter de difficiles dilemmes moraux – depuis le début de la décennie 1990 et qui survit même dans le monde de l’après 11 septembre : la «critique réenchantée du capitalisme » (« la vertu des vices privés n’est plus à l’honneur ») avec le succès des « fonds éthiques », les campagnes anti-corruption, la coopération entre Ong et entreprises, etc. ; les débats, plus éthiques que politiques, autour de la légitimité des embargos et sanctions économiques ; la montée des revendications de « réparations » par les descendants de peuples victimes (Shoah, esclavage) ; les questions de légitimité touchant le recours à la force meurtrière (il n’y aurait de guerre légitimable que sur le registre du « sauvetage »). L’auteur souligne que cette sorte d’éthique mondiale en gestation n’est pas fondée sur une transcendance, mais sur le conséquentialisme. Le discours romantique engendré par la chute du mur de Berlin (qui aurait marqué la « fin de l’histoire hégélienne et l’avènement d’un monde kantien ») ne doit pas faire illusion. S’il y a bien une exigence éthique nouvelle, elle relève d’un « utilitarisme rénové » : c’est au nom de l’efficacité et de la prise en compte des conséquences – et non des grands principes idéaux qu’il faudrait opposer aux « intérêts » – que s’élabore ce que l’auteur désigne comme un « révolutionnisme pragmatique ».

7Christian Mellon

Daniel Cohen, La mondialisation et ses ennemis, Hachette, coll. Pluriel, 2005, 260 p., 8,5 €

8Une série de flashs sur les aspects paradoxaux de la mondialisation : l’effet d’abord culturel et institutionnel, puis finalement productif, de l’ouverture des frontières ; la relativité des rentes sociales des pays les plus pauvres, dont les faibles salaires ne compensent qu’épisodiquement les effets systémiques de la « bonne » organisation des pays riches ; les échanges moins inégaux que ne le proclame la vulgate antimondialiste. Tout cela respire l’intelligence économique, bien éloignée des pensées racornies qui s’étalent dans les rubriques des journaux, même les meilleurs (comme si, dans les questions de société, on pouvait isoler une cause économique pour tester un effet) ! Le résultat le plus clair de cette approche « plurielle » (la collection n’a jamais mieux mérité son nom) est la mise à mal des idéologies dont se nourrissent les deux principaux courants antimondialistes : d’abord le courant marxisant qui fait naïvement jouer aux pays du Sud le rôle des prolétaires de jadis, alors qu’ils sont plutôt dans la position du quart monde marginalisé des pays du Nord ; ensuite le courant « islamiste » qui prête à l’individualisme libéral un pouvoir qui serait bien inoffensif en dehors des institutions et des structures économicopolitiques capitalistes. De là à imaginer que l’antimondialisme n’est que le dernier avatar d’un mimétisme d’appropriation engendré par la culture dominante, il n’a qu’un pas, que Daniel Cohen ne franchit pas sans hésitation. Car il n’est pas prêt à oublier, au nom d’improbables promesses, les négativités du système actuel.
Etienne Perrot

Images économiques du monde. Panorama annuel 2006, Armand Colin, 2005, 420 p., 28,50 €

9Comme le veut le genre littéraire, cet ouvrage présente un panorama relativement complet des réalités démographiques et économiques, à l’échelon du monde, de chaque continent, et de chaque pays. La présentation de la France offre un rappel bienvenu des grands axes de l’action publique. La question des territoires, de leur fragmentation, est bien illustrée. En ouverture, outre un rappel sur le développement humain, la question des migrations est traitée par deux spécialistes Catherine Wihtol de Wenden et Gildas Simon, tous deux auteurs de Projet. Le second fait un panorama relativement exhaustif des flux migratoires, nous assistons à une véritable « révolution de la mobilité ». Sur les politiques migratoires, Catherine de Wenden s’interroge : la tension que crée l’implication de l’Europe suffira-t-elle à apporter davantage de raison dans un débat passionné ?

10Pierre Martinot-Lagarde

Religion

Commission sociale des évêques de France, Repères dans une économie mondialisée, Bayard, Cerf, Fleurus, 2005, 64 p, 6,5 €

11Ce petit livre incisif, préfacé par Mgr Jean-Charles Descubes, ne fera pas que des heureux ; car il touche le système économique là où ça fait mal. Certes, il rassemble les considérations habituelles de l’humanisme chrétien : le refus d’une société totalement soumise à la valeur marchande, la dimension communautaire de l’entreprise, le souci du développement de tout homme et de tous les hommes. Mais il prend au sérieux ce qui est en général occulté par les discours économiques : le risque nécessaire à toute activité, risque pris par les actionnaires au premier chef, mais aussi les risques engendrés par tout engagement dans le travail et le commerce. La rémunération des start-up est ici exemplaire, de même l’analyse de la spéculation qui met au jour non seulement les dérives et les effets négatifs, mais aussi – et cela est très nouveau dans les écrits de la Commission sociale de l’épiscopat français – le rôle positif de la spéculation touchant la liquidité et la couverture des risques. Certes, les dangers du développement des activités financières ne sont pas ignorés, car il entraîne la réduction suicidaire (pour l’économie) de l’horizon de l’investisseur. Sont parfaitement bien vus les effets des nouvelles normes comptables internationales sur l’évaluation des entreprises. Il faudrait y ajouter l’effet des réglementations sur les réserves techniques des compagnies d’assurance. Les dangers de l’économie d’endettement sont bien perçus, ainsi que la responsabilité des entreprises dans leurs manœuvres de délocalisation. Il faudrait « obliger les entreprises qui délocalisent à contribuer au reclassement des personnes dont elles se séparent. On ne peut toujours renvoyer sur l’Etat le règlement des difficultés sociales que l’on provoque » (p. 39). Loin des poncifs habituels, ce petit livre est une contribution forte au débat rendu nécessaire par le blocage de la société française.

12Etienne Perrot

Xavier Ternisien, Les Frères musulmans, Bibliothèque de culture religieuse Fayard, 2005, 374 p. 18 €

13Dans La France des mosquées, en 2002, Xavier Ternisien avait montré qu’un patient travail d’enquête sur le terrain, sans a priori idéologique ni thèse à prouver, permettait de rendre compte de la paisible institutionnalisation de l’islam dans la société française. C’est une enquête menée dans le même esprit que le journaliste du Monde nous présente ici, prenant cette fois pour objet les Frères musulmans, une organisation dont le nom revient souvent dans l’actualité, puisqu’elle est à l’origine de la mouvance islamiste contemporaine, mais sur laquelle il existe peu d’études à la disposition d’un public non spécialiste. Ouvrage précieux, donc, pour connaître l’histoire mouvementée de cette organisation, depuis sa fondation en 1928, en Egypte, par Hassan Al-Banna jusqu’à sa large diffusion à travers de nombreux pays aujourd’hui. Très documentée, grâce notamment à des entretiens avec de nombreux témoins directs, comme le propre frère du fondateur, qui vit toujours au Caire, ou avec des personnages comme Tariq Ramadan ou le puissant oulema Al-Qaradhawi, l’enquête retrace les évolutions et les débats internes de la mouvance « frériste » et fournit de précieux points de repère pour en comprendre les enjeux. L’auteur met en garde contre le risque de diaboliser globalement une mouvance qui lui semble plutôt « centriste » sur nombre de débats contemporains et dont l’histoire est marquée par une constante préférence pour une voie légaliste et pacifique du changement. Les chapitres sur les évolutions contemporaines sont particulièrement éclairants, notamment sur les mutations induites par l’implantation de l’islam en Europe, sur la nébuleuse islamiste en France, sur les « Yuppies islamistes », sur les rapports entre les aspirations démocratiques et la postérité des Frères, y compris celle des déçus de l’islamisme militant. L’auteur conclut, citant François Burgat, qu’il n’y aura pas de vraie transition démocratique sans participation des Frères. L’Occident devrait prendre acte qu’ils constituent désormais, notamment sur la question du terrorisme, une position centriste et que les salafistes d’inspiration saoudienne représentent un danger beaucoup plus grand.
Christian Mellon

Histoire

Michel Winock, Victor Hugo dans l’arène politique, Bayard, 2005, 138 p., 15 €

14Victor Hugo est une grande figure littéraire, incontestablement il fut aussi un grand homme politique qui traversa son siècle en en épousant les grandes mutations. Né d’une famille de tradition catholique, il se rallie à la République. Son engagement se fait jour pas à pas, souvent par une position et en cherchant à éviter le piège des extrêmes. Sa critique résolue de Napoléon III le conduit à l’exil. Son attitude après la Commune mérite d’être soulignée et est bien mise en valeur par ce portrait. Il refuse les condamnations, s’oppose à la peine de mort comme il l’avait déjà fait, et cherche une voie de conciliation entre les communards et le gouvernement bourgeois. Beaucoup de ses œuvres littéraires sont portées par cet engagement, comme Les Misérables, écrit pendant l’exil. Cela lui vaudra des critiques, notamment de ceux qui voient dans l’engagement de la littérature le signe avant-coureur d’un dépérissement de l’art. Michel Winock nous trace de l’homme un portrait vivant, magistralement inscrit dans les soubresauts de la période traversée.

15Pierre Martinot-Lagarde

Alessandro Stanziani, Histoire de la qualité alimentaire, xixe-xxe siècles, Seuil, 2005, 440 p., 26 €

16Les risques alimentaires sont devenus une grande préoccupation aujourd’hui. jusqu’où doit-on pousser, en cette matière, l’application d’un principe d’interdiction par précaution ? Il est intéressant de reprendre conscience de tout ce qui s’est fait, aux siècles derniers, à cet égard. Il n’a pas manqué de grandes luttes pour la définition de la qualité (du lait, du vin, du beurre, de la viande). « Rien de plus construit qu’un aliment naturel », dit très justement l’auteur. Et cette histoire remonte déjà loin en arrière de nous.

17Jean-Yves Calvez

Gérard Noiriel, Les fils maudits de la république, l’avenir des intellectuels en France, Fayard, 2005, 342 p., 20 €

18Les intellectuels jouent en France un rôle de premier plan dans le débat public. Nul n’en disconviendra. Gérard Noiriel en propose une typologie, moins axée sur les modes de réflexion engagés que sur le positionnement par rapport au pouvoir. Les catégories parlent d’elles-mêmes. Il y aurait les révolutionnaires, les gens de gouvernement, ceux plus critiques et enfin les «spécifiques». Certains seraient toujours insatisfaits, dans la contestation finale des modes de pouvoir, alors que d’autres y participent. Certains enfin sont sans doute plus soucieux de méthode, sans pour autant dédaigner l’engagement. Ces regroupements font apparaître des lignes et des similarités. Il n’est pas sûr que cela suffise pour dresser des généalogies qui, au-delà des parentés, permettent de relever des filiations.

19Pierre Martinot-Lagarde

Auteurs des livres recensés

International : Ceri, D. Cohen, A. Colonomos, Images économiques du monde, K. Postel-Vinay, J.-C. Rufin.
Religion : Commission sociale de l’épiscopat, X. Ternisien.
Histoire : G. Noiriel, A. Stanziani, M. Winock.

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