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Article de revue

L’humour au service du manager de proximité

Pages 115 à 137

1Lorsqu’une carrière de manager de proximité s’offre à vous, de nombreuses interrogations jaillissent : en sommes-nous capables ? Sommes-nous légitimes ? Quel manager sommes-nous ? Quel manager voulons-nous devenir ou ne pas devenir ? Pour cela, l’observation fut un très bon allié. L’immersion dans toutes ces réunions de cadre, que nous découvrions, nous donner l’impression qu’une chape de plomb régnait sur nos têtes, où le sérieux est de rigueur, voire obligatoire et aucune place n’était laissée à l’improvisation et au naturel. Notre sentiment était qu’une distance s’édifiait entre les équipes et la direction. Alors comment faire converger tout ce monde vers le même but quand nous ne parlons pas le même langage ? D’où cette interrogation : « N’y a-t-il pas d’autres manières d’être, de communiquer moins conventionnelles et tout aussi efficaces (voire plus) ? ». Au sein de nos équipes, nous avons essayé de mobiliser notre bon sens, notre intuition et surtout notre humour : petite image humoristique pour clôturer un mail, petite phrase pour détendre l’atmosphère lors de réunions un peu tendues. Et cela a fonctionné. Nous avons obtenu leur confiance et ils nous ont accordé cette légitimité sur laquelle nous nous questionnions.

2Tout ceci n’a fait que renforcer notre envie de continuer dans cette voie : n’aurions-nous pas trouver notre moyen de gestion ? L’humour ne serait-il pas ce nouvel outil managérial efficace ?

3Pour éclairer cette réflexion, nous allons tout d’abord étudier le cadre théorique du manager de proximité et de l’humour afin d’observer dans un premier temps les liens possibles entre ces deux thèmes et de formuler clairement notre problématique. Puis nous procéderons, après développement de notre méthodologie de recherche, à l’exploitation et à l’analyse de nos entretiens de terrain afin de répondre à la problématique posée et émettre des préconisations qui seront suivies de notre conclusion.

Position duale du manager de proximité

4Il est donc pertinent de commencer par décrire ce qu’est un manager de proximité, quel est son rôle, sa position au sein d’une organisation hospitalière, afin de pouvoir analyser en temps suivant en quoi l’humour pourrait lui être utile.

Définition du manager de proximité

5Cette notion de « management de proximité » est apparue fin des années 90 (Letondal, 1997) début des années 2000 (Thévenet, 2004). Même si les milieux professionnels font le consensus autour de son sens général, nous constatons tous les jours qu’il y a à peu près autant de définitions du mot que de cultures d’entreprise. Aussi en termes de management de proximité, la littérature ainsi que les organisations ne s’accordent pas sur une dénomination commune, on parlera d’encadrement de premier niveau ou intermédiaire, de management de première ligne, de terrain ou de proximité. Nous retiendrons que le manager de proximité est un acteur de l’entreprise qui doit à la fois maîtriser les capacités organisationnelles, financières et techniques ainsi que l’encadrement des équipes. Ceci fait du manager de proximité un acteur relais entre le top management et les salariés, ce qui lui procure cette position duale à la fois supérieur et subordonné.

Contexte d’exercice du manager de proximité

6Le manager de proximité joue un rôle fondamental au sein des organisations car « qui connaît mieux les équipes et les situations de travail que celui qui les encadre tous les jours » (Dietrich, 2009, p. 202), ce qui le contraint en permanence à se positionner pour répondre aux attentes d’une direction tout en s’adaptant à la réalité de terrain.

7Nous retrouvons cette caractéristique commune aux managers de proximité, celle de position duale, décrite comme « position charnière » (Louart et Benmehidi, 1984), « Homme du milieu, pris entre deux feux » (Roethlisberger, 1976), « entre le marteau et l’enclume » (Bellini, 2004). Nous pouvons également parler de position « entre-deux » (Gonzalez, 2003), entre une hiérarchie et des subordonnées, entre la pression des objectifs et celles des contingences du travail au quotidien. Cette position lui confère un rôle de charnière communicationnelle, il est un véritable vecteur de communication qui doit à la fois réussir à motiver l’équipe tout en respectant les objectifs qui lui sont fixés par sa hiérarchie : « le fait de devoir parfois communiquer une information de la part de la direction au personnel de terrain n’est pas chose aisée, tant un positionnement neutre reste difficile à tenir lorsqu’ils sont eux-mêmes en désaccord avec cette information (Andry, 2016, p.193) ».

8Cela montre la complexité de sa tâche et son rôle primordial en tant que vecteur communicationnel. Nous nous appuierons sur les travaux de Mintzberg (1990) pour décrire trois des dix rôles du manager de proximité. Nous traiterons uniquement des rôles liés à la diffusion de l’information.

9En vertu de ses relations interpersonnelles, à la fois avec ses subordonnés et sa hiérarchie, le manager apparaît comme au centre du système nerveux de son organisation.

10Il est à la fois observateur actif, son rôle de liaison lui permet d’avoir beaucoup plus d’informations que son équipe. La recherche d’informations est une des clés de sa profession. Dans ce rôle, le manager scrute en permanence son entourage à la recherche d’informations. Mais aussi, diffuseur d’information de par son poste, et son activité d’observateur actif, il dispose de nombreuses informations qu’il diffuse en retour à ses équipes. Et enfin un rôle de porte-parole "officiel" en charge de la communication, aussi bien vers l’extérieur en tant que porte-parole de ses équipes, que vers l’intérieur en tant que porte-parole de la hiérarchie.

11Ceci ne fait donc que renforcer sa position de maillon de la communication qui doit à la fois réussir à motiver ses équipes, tout en étant un subordonné que l’entreprise doit réussir à impliquer (Andry, 2016, p. 181). Le manager de proximité est tiraillé entre les attentes de ses subordonnées et celui de sa hiérarchie, très souvent opposées. De ce fait le manager va essayer de s’adapter aux contraintes des situations et va ajuster ses rôles en fonction des exigences perçues (Bellini, 2005). D’où l’importance d’un leader sachant être tantôt participatif tantôt directif, persuasif voire délégatif. Ceci s’appuierait donc sur la théorie de Paul Hersey et Kenneth Blanchard théorie dite du leadership situationnel (ou management situationnel), selon laquelle il n’existe pas de « bon » style de leadership : un leader doit adopter le style le plus adapté à la situation. Aussi d’après les travaux de Goleman (2000) et Goleman et al. (2001), le climat social est fortement lié à la capacité des responsables hiérarchiques à utiliser le style de management adéquat en fonction des circonstances et des personnes composant leur équipe (Barel, Dumas, Frémeaux, 2017, p. 22).

figure im1

12L’objectif de ce style de management est de « développer l’autonomie des professionnels dans leur travail ; autonomie s’entendant comme la combinaison des compétences et de la motivation ».

13Du point de vue des implications pratiques, dès lors que tous les styles de management peuvent avoir un effet positif sur les climats, il serait judicieux de ne pas considérer certains styles comme a priori toxiques, ou du moins inefficaces (Barel, Dumas, Frémeaux, 2017, p.34).

14Nous n’oublierons pas non plus que le contexte environnemental dans lequel évolue le manager joue un rôle prépondérant. En effet, le mode de communication est aussi à adapter fonction de la culture de l’entreprise. Notre recherche s’effectuant au sein des organisations hospitalières, nous allons nous intéresser plus particulièrement à la place du manager de proximité au sein de l’organisation hospitalière.

Le manager de proximité à l’hôpital

15Au sein des organisations hospitalières, le manager de proximité se voit plutôt attribuer la dénomination de cadre de santé (Divay et Gadea, 2008). Acteur pivot de l’organisation des établissements de santé, à la fois gestionnaire et soignants, les cadres de santé se sont vus, au cours de ces dernières décennies, enrichis de multiples activités, leur contexte de travail à évoluer : gestion budgétaire, management des équipes (Dumas et Ruiller, 2011). En plus de leur mission première qu’est l’activité de soins et le parcours patient, leur incombent désormais une activité de contrôle de gestion. Aussi, l’évolution médico-économique, politique de gestion des risques et évolution des pratiques managériales imposent à ces cadres une adaptation de leur posture et de leur positionnement afin de conduire leurs équipes dans la réalisation des projets de soins ; ils sont le premier niveau hiérarchique. La notion de proximité est donc émergente.

16Une autre dimension est aussi à prendre en compte, celle des familles et des patients dont le cadre de santé est l’interlocuteur de premier niveau, en plus de ces équipes de soins et de la direction. Il est reconnu comme l’acteur indispensable à la mise en œuvre de projets de soins (De Singly, 2009). Aussi, le cadre de santé fait partie d’une ligne managériale (cadres de pôle, direction des soins) : nous retrouvons bien ici, cette position duale. Il est chargé d’impliquer et de motiver son personnel, expliquer les projets en cours, il est le relais de la direction : « Soumis à des injonctions paradoxales (Bouret, 2008), les cadres de santé sont écartelés entre les impératifs de gestion imposés dans les organisations par l’administration et les besoins de prise en charge des patients, l’accompagnement des personnels… Ces cadres restent tiraillés entre deux manières de penser l’organisation (Coulon, 2011) : l’une focalisée sur la coordination des parcours de patients au sein d’un réseau de soins ; l’autre centrée sur l’optimisation de la gestion des ressources matérielles et humaines » (Franchistéguy-Couloume, 2015, p 43).

17Il est donc important de savoir se situer et d’adapter la bonne posture managériale « il s’agit de savoir-être, de compétences relationnelles, d’intelligence émotionnelle et de congruence » (Aubry, 2011). Ceci nous renvoie à la théorie de Hersey et Blanchard, qu’est la théorie du management situationnel développée précédemment.

18Mais l’activité majeure d’un cadre de santé est la communication : « L’activité des cadres de santé des hôpitaux comporte une part importante consacrée à la communication. » (Bourret, 2012). Il communique à longueur de journée avec une pluralité d’acteurs : son équipe, patients, famille, sa hiérarchie et chaque situation communicationnelle est différente et renvoie à une posture managériale adaptable. Si nous nous recentrons sur la relation cadre/équipe, pour que la communication soit efficace, le manager doit se rendre disponible, à l’écoute de celle-ci afin de comprendre quelles sont ses attentes, ses difficultés, ses besoins. Cela aura un impact sur leur motivation. En effet, les liens tissés vont permettre une culture d’équipe, un sentiment d’appartenance ayant un objectif commun. Il est essentiel d’instaurer un climat de confiance et d’écoute. Whetten et Cameron (Euromed Management, 2012), universitaires américains, ont ainsi caractérisé dix savoir-faire essentiels pour eux de la pratique managériale : il s’agit de savoir-faire personnels, de savoir-faire interpersonnels, de savoir-faire collectifs. Un manager pour ces auteurs doit savoir combiner, selon les situations, ces différents savoir-faire. C’est par cette combinaison que le cadre va être en capacité de gérer et résoudre des situations problématiques (Desserprit, 2016).

19L’activité des cadres de santé comporte bien « un travail de lien » (Bouret, 2008) et un rôle dans la circulation de l’information (Douget et Munoz, 2005). D’après une étude de Dumas et Ruiller (Revues de gestion des ressources humaines, 2013), le constat est que le cadre assure la vie du service par sa capacité d’écoute active, d’échanges permanents, d’entretien d’un climat relationnel positif et d’assurance de reconnaissance à l’équipe (collectivement et individuellement). Pour cela l’outil communicationnel est fondamental : encore faut-il parler le même langage.

20Cet outil ne pourrait-il pas être l’humour ? En effet, certaines études (Rosenberg, 1991 ; Thornton et White, 1999) montrent l’utilisation de l’humour chez les professionnels de santé dans des situations de stress dans les secteurs de soins intensifs et d’urgence. Mais celui-ci est aussi beaucoup utilisé dans la relation soignant-soigné (Patenaude et Hamelin-Brabant, 2006). Une étude menée par Lawler (2002), montre que les infirmières utilisent souvent l’humour pour gérer un évènement inhabituel et/ou embarrassant. Aussi, notre expérience quotidienne et nos observations nous démontrent bien que l’humour est aussi un mode de communication entre professionnels, proportionnel à l’activité stressante de l’unité de soins (Robinson, 1991).

21Si l’humour a fait ces preuves dans la relation soignants-soignés, dans la relation soignants-soignants, pourquoi ne pas l’utiliser dans la relation manager-managés ?

Humour, levier d’action managérial

Définition

22Selon le dictionnaire Le Robert, l'humour est une « forme d'esprit qui consiste à présenter la réalité de manière à en dégager les aspects plaisants et insolites ». Selon le Larousse, « nom masculin (anglais humour, de l'ancien français humor, humeur) : Forme d'esprit qui s'attache à souligner le caractère comique, ridicule, absurde ou insolite de certains aspects de la réalité ; marque de cet esprit dans un discours, un texte, un dessin, etc. : Raconter ses propres mésaventures avec humour. Caractère d'une situation, d'un événement qui, bien que comportant un inconvénient, peut prêter à rire : « Il n'a pas été sensible à l'humour de la situation. » Cette acception contemporaine est le résultat d'un long parcours : dès l'Antiquité, le terme médical « humeur » désigne les quatre fluides censés circuler dans le corps humain. À la fin du XVIe siècle, la littérature anglaise s'empare du terme et lui donne une nuance comique, avant de l'ériger, un siècle et demi plus tard, comme un « trait national » de l'âme anglaise. Souvent confondu avec l'ironie, l'humour reste aujourd'hui encore un concept en mal de définition.

23Enfin, selon Isabelle Barth (2011), l’humour est à la fois un stimulus (une blague, une situation comique), un processus mental (perception ou création d’incongruités amusantes), un trait de personnalité (facilité à percevoir, à apprécier, à produire de l’humour) ou une réponse (le rire, le sourire). Autre définition très intéressante, celle de Fortin et Méthot (2004) : "le sens de l'humour est l'aptitude à percevoir, à créer, à exprimer (par des mots ou des gestes) des liens originaux entre des êtres, des situations ou des idées, liens qui font (sou)rire celui à qui on les communique car il les comprend et les apprécie ». Cela nous montre bien l’étendue des possibilités qu’offre l’humour dans les rapports humains.

Formes d’humour

24L’humour est complexe et multidimensionnel, pourtant peu de publications en français sont spécifiquement dédiées à une analyse transversale et globale de l'humour au travail (Loriol). Pour cela, afin de mieux cerner ce qu’est l’humour, nous avons choisi de comprendre les différentes formes qu’il revêt afin de découvrir les implications que cela engendre. Nous partirons de l’étude de Romero et Cruthirds (2006).

Tableau : Description des 5 formes d’humour

Formes d’humourExpressionEffetsIntérêt/Aspect
AffiliatifHumour non hostileAméliorer les interactions socialesPositif / Intérêt collectif (rassembler)
Auto-valorisantVision humoristique de la vieFaire face au stress (mécanisme d’adaptation)Positif/ Intérêt plus individuel
AutodérisionSe ridiculiserSe rendre plus accessible aux autresPositif/ Intérêt plus individuel
« Mild- agressive »Manifestation sous formes de satiresPermet d’exprimer des messages de réprimande ou de désaccordPositif (si exprimé de manière ludique)
AgressifÊtre drôle au détriment d’autruiManipuler les autresNégatif/ théorie de la supériorité

Tableau : Description des 5 formes d’humour

IADE : Infirmière anesthésiste Diplômée d’Etat
IDE : Infirmière Diplômée d’Etat

25Il est possible d'employer n'importe lequel de ces styles d'humour en combinaison et à des degrés divers. Nous pouvons également utiliser un style particulier d'humour et un autre style dans une situation différente. À nous de savoir, le message que l’on veut faire passer ainsi que l’effet escompté. En effet, la description de ces différentes formes nous montre bien que l’humour, selon son emploi, peut nous amener à des effets positifs ou négatifs que cela soit d’un point vue physiologique ou sociologique.

Effets de l’humour

26D’un point de vue physiologique (Je Yim, 2016) :

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  • Diminution du stress : le rire entraîne la diminution de la concentration en cortisol, l’hormone du stress, dans le sang.
  • Effet positif sur la dépression : la dépression est, en partie, occasionnée par un débalancement des transmetteurs hormonaux dans le cerveau. Le rire déclenche une augmentation de la sécrétion d’hormones qui régularisent l’humeur comme la sérotonine et les endorphines, ce qui procure un effet de bien-être.
  • Amélioration du système de défense immunitaire : Le rire favorise la production de globules blancs (leucocytes) dans le corps qui sont des cellules du système immunitaire.
  • Effets sur le système cardiovasculaire : les contractions musculaires rythmiques qui découlent d’une bonne rigolade procurent un effet de détente comparable à celui obtenu à la suite d’un exercice physique d’intensité modérée.
  • Effets sur la respiration : le rire favorise la prise de grandes inspirations, ce qui contribue à augmenter les échanges gazeux.
  • Modulation de la douleur : Des études ont démontré que le rire augmente le seuil de tolérance à la douleur.

28D’un point de vue sociologique (Barth, 2011) :

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  • L’engagement et l'implication (Francis, 1994),
  • La stabilité sociale (Stubbe, 1999),
  • Le lien, la médiation (Cruthirds, 2006),
  • Le changement social (Sherif, 1999),
  • La créativité, (Roach and al., 2006).

30Tous ces aspects positifs vont amener l’individu à favoriser son développement personnel (Kuiper, Martin, 1995) et sa capacité à affronter les problèmes (Abel, 2002).

31Mais attention, selon l’emploi et l’intention portée, l’humour peut revêtir des effets dommageables, c’est une « épée à double tranchant » (Malone 1980). Utiliser à mauvais escient, l’humour peut être perçu comme blessant, discriminant, harcelant. Pour cela, il est important de tenir compte du sexe, de l’âge, de la culture, de l’éducation, du langage, de la nationalité qui sont autant de facteurs qui influenceront l’usage de l’humour, d’où l’attention particulière à porter au public face à nous.

32Tous ces effets nous démontrent bien le potentiel d’influence réel que possède l’humour sur les comportements humains. L’humour étant un outil de communication facilitant les relations sociales pourquoi ne pas s’en servir dans notre management quotidien.

Humour et Management

33« Se demander si humour et management font bon ménage, c’est un peu comme si on s’interrogeait sur la compatibilité de la parole avec le management » Serge Grudzinski (Président Humour consulting group).

34Romero et Cruthirds soulignent en 2006 la faible prise en compte des managers de ce levier important d'interaction entre les individus composant une organisation. En effet le renforcement positif des comportements induit par l’humour va générer les bienfaits physiologiques et psychologiques, cités ci-dessus, facteur de bien-être et de plaisir au travail, réduisant ainsi les pathologies du travail tel que le stress ou l’épuisement professionnel et permettent de retrouver de l’énergie (Jung, 1991).

35Aussi, l’humour est un facilitateur des relations sociales, selon Guibert, Paquerot et Roques (2002), les personnes ayant de l’humour créent plus facilement des réseaux et d’interactions autour d’elles. Ceci est facteur de cohésion sociale et de bonne communication et va permettre de créer du lien. De plus, l’emploi de l’humour par le manager va renvoyer aux agents une image de leader plus efficace, plus aimable, plus accessible, ce qui va augmenter sa proportion à être suivi et écouté par ses collaborateurs. Aussi, il va rendre une représentation plus agréable de la réalité professionnelle, certes bien que celle-ci ne soit pas différente, la manière de l’appréhender le sera car l’humour met l’accent sur les aspects cocasses de la situation. Cela contribuera à créer une atmosphère plus plaisante, améliorera le climat social facilitant ainsi l’instauration d’un changement (Bottega, 2008).

36Dans nos organisations, l’humour est appréhendé comme un déterminant important des réponses cognitives, affectives et comportementales des employés en termes d’ambiance sociale chaleureuse (Craik et al. ; 1996), d’états positifs émotionnels (Cann et al., 1999) et de performance individuelle (Avolio et al., 1999). Il exprime aussi les valeurs, les croyances et les attitudes partagées des salariés, la culture d’entreprise.

37Bien évidemment, l’humour ne peut être bénéfique qu’à condition de l’employer avec respect d’autrui. D’ailleurs, les formes les plus couramment recommandées sont l’humour affiliatif et auto-valorisant (Romero et Cruthirds, 2006).

38À l’issue de l’étude de ce cadre théorique, se profile tout naturellement notre problématique : « Dans quelle mesure l’humour peut-il constituer un levier d’actions du manager de proximité dans nos organisations hospitalières ? »

Méthodologie de recherche

Posture de recherche

39La posture de recherche fut difficile à trouver au cœur de notre crise sanitaire sans précédent.

40Nous avons dû attendre une pé La réalisation de l’enquête se déroule au sein de notre propre organisation hospitalière : Le Centre Hospitalier de Luxembourg, Établissement public, d’une capacité de 579 lits. Le but premier étant de voir si notre problématique est vérifiable, applicable au sein de notre établissement.

Choix de la démarche qualitative

41La démarche qualitative est une technique permettant d’aller en profondeur dans l’analyse de l’objet de recherche. Cette technique est très utilisée dans le domaine des sciences humaines et sociales car cette approche vise le plus souvent à décrire le comportement et la culture d’un groupe d’individus, ce qui explique l’importance du contexte social où s’inscrit la recherche. Dans le cadre de notre note de recherche, nous n’utiliserons pas la démarche par observation, bien que celle-ci aurait pu apporter de nombreux éléments. Mais malheureusement, en termes de faisabilité, cela aurait nécessité trop de temps au vue du délai imparti. Pour ces raisons, nous prendrons la technique des entretiens semi-directifs (questions ouvertes et en nombre restreint). Notre objectif étant de récolter des informations qui apporteront des explications, des éléments de preuve à notre travail de recherche.

Mode de collecte de données

42Afin de réaliser nos entretiens semi-directifs, nous avons réalisé un guide d’entretien construit à partir de notre cadre conceptuel, Gavard-Perret et al. (2008, p.92) définissent le guide d’entretien comme une « sorte de liste des thèmes/sujets à aborder avec tous les répondants. » Au vue de notre échantillonnage et des populations ciblées, nous avons fait le choix de réaliser deux grilles d’entretien : une pour les cadres de proximité et une pour le personnel infirmier.

Choix de l’échantillon

43Les populations choisies sont la population infirmière et celle des cadres de proximité. Pour les choisir, nous avons utilisé la technique de l’échantillonnage aléatoire simple. Pour cela nous avons listé les cadres ayant plus de 8 ans d’ancienneté dans la fonction de manière à avoir face à nous des professionnels ayant de l’expérience et du recul dans le statut managérial et pour la population infirmière, nous avons choisi des professionnels ayant 10 ans d’ancienneté.

Réalisation des entretiens

44Les entretiens se sont déroulés sur une période de quinze jours. Ces entretiens se sont effectués sous le principe de la confidentialité et de l’anonymat.

Présentation de l’échantillon Managers de Proximité (EM : entretien manager)

Numéro d’entretienDurée entretienAnciennetéFonction
EM140 minutes16 ansCadre
EM247 minutes11 ansCadre
EM358 minutes12 ansCadre

Présentation de l’échantillon Managers de Proximité (EM : entretien manager)

IADE : Infirmière anesthésiste Diplômée d’Etat
IDE : Infirmière Diplômée d’Etat
Numéro d’entretienDurée entretienAnciennetéFonction
EI437 minutes26 ansIADE
EI526 minutes16 ansIDE
EI639 minutes20 ansIDE

Méthode d’analyse

45À l’issue de ces entretiens, tous enregistrés, nous avons procédé à la retranscription littérale, dite sociologique, nous permettant ainsi d’avoir les citations exactes des interviewés. Le but étant de faire le tri dans ces verbatim en fonction de nos thèmes de recherche. Ce codage nous amène à étudier ligne par ligne chaque entretien et de classer ces éléments dans une grille d’analyse que l’on appelle dictionnaire thématique. Celui-ci nous permet de classer sous forme de thèmes, sous-thèmes et catégories incluant également la fréquence et les occurrences des propos. L’objectif étant d’effectuer une analyse précise de façon à répondre à notre problématique.

Analyse

Management de proximité

46L’analyse de nos entretiens nous montre bien à quel point le manager de proximité possède un champ d’exercice large mais aussi essentielle au sein de nos organisations.

Encadrement du quotidien

47Bertrand Duéshu, psychologue social de formation définit le rôle du manager de proximité comme la personne qui assure au quotidien l’animation et l’encadrement d’une ou de plusieurs équipes, organise et planifie l’activité et réalise un suivi régulier. Il a de même un rôle de maintien et de développement des collaborateurs (évaluations, accompagnement…).

48Ceci se retrouve bien au niveau des managers de proximité interrogés, qui valident tous cette fonction EM1 « …donc mon rôle est vraiment de huiler un petit peu tous les rouages du fonctionnement de cette unité… leur faire bien entendu des plans qui leur permettent de travailler dans de bonnes conditions et puis de les soutenir dans tout leur processus de prise en charge des patients. »

49EM2 « On a également comme rôle en tant que cadre, je pense, c'est tout ce qui est veiller euh à disposer des compétences adéquates hein euh grâce avec l'encadrement des nouveaux collaborateurs, euh aux évaluations annuelles de chaque collaborateur ; on a toute la partie gestion du budget, gestion du matériel, gestion des consommables. »

50Cette notion d’encadrement au quotidien est aussi attendue par l’ensemble des managés (les infirmiers) : EI6 « On va dire que c’est lui qui sécurise mon environnement de travail, de part euh, mon plan, mes formations… »

Place au sein de nos organisations

51Elle fait du manager intermédiaire un acteur-relais de la direction, chargé de transmettre ses directives, ses valeurs, et l’investissant d’une autorité, de faire travailler ses subordonnés et d’obtenir d’eux les résultats attendus (Anne Dietrich, 2009)

52Ce rôle primordial est souligné par l’ensemble des managers interviewés mais l’est aussi par l’ensemble des managés : EM2 « Euh, pour moi, un des rôles aussi essentiels peut-être du cadre de proximité, c'est que on est le relais, justement, entre la direction et les équipes. » Cette place au sein de l’organisation est complexe car comme le souligne Stéphane Bellini (2005), ces managers sont soumis à des tensions des deux côtés. Cette position charnière est reconnue tant par les managers que les managés. Tous ont conscience de la difficulté de la tâche : EM2 « C'est un rôle extrêmement difficile », EI5 « Sa position est pas facile euh…ç’est très difficile de se positionner entre les deux ». Tous les managers s’accorderont même à dire que leur fonction est une fonction très politique, en permanence entre la diplomatie et la négociation. Pour cela le manager de proximité doit posséder des moyens lui permettant de faire face à ce contexte d’exercice. Tous (EM1, EM2, EM3) ont décrit l’importance de la prise de recul comme mécanisme de défense face à ces tensions et tiraillements entre la hiérarchie et les subordonnés, élément qui n’est évoqué à aucun moment par les managés ; ce moyen de protection est propre aux managers de proximité. Mais aussi ont abordé la notion d’adaptabilité et de leadership situationnel, décrite par Paul Hersey et Kenneth Blanchard. Le constat est clair pour l’ensemble des catégories professionnelles interrogées, la réussite est l’adaptation permanente. Pour cela, il est important que le manager de proximité soit disponible, accessible et à l’écoute de ses collaborateurs. Ces valeurs, ces qualités ont été soulignées par tous. Sans cela, la communication ne peut être qu’unilatérale faisant abstraction des attentes et besoins de chacun. N’oublions pas que le manager de proximité est la charnière communicationnelle entre la direction et son équipe (Andry, 2016, p.181).

Vecteur communicationnel

53Le manager a un rôle de communication au quotidien, il est donc important d’utiliser les bons canaux de distribution ainsi que les bons modes de manière à faire passer l’information dans les meilleures conditions et qu’elle soit entendue et comprise par tous.

54La distance qui règne entre l’équipe et le manager est un premier élément essentiel, celui-ci a été souligné par l’ensemble des professionnels (EM et EI) : EM1 « Alors la trop grande distance va créer des problèmes de communication. » « Il faut toujours garder cette distance, mais une distance bienveillante… », cela révèle la difficulté de cette notion, savoir juger de la distance que l’on veut ou que l’on doit installer. Ceci reste bien évidemment un jugement personnel qui peut différer d’un manager à un autre. Sur les trois cadres de proximité interrogés, deux parlent de distance minimale quant au dernier une plus grande distance lui parait nécessaire. Mais ce qui est intéressant, c’est de faire le parallèle avec ce qu’attendent les soignants : EI4 « et une trop grande distance, j’dirais, pourrait le rendre moins accessible et pourrait nuire à la communication ». Ils ont besoin de cette proximité et de cette distance minimaliste pour que cela renvoie une image d’un manager accessible et ainsi instaurer une relation de confiance.

55Le deuxième élément à prendre en ligne de compte est l’importance donnée au dialogue. L’analyse de ces entretiens nous montre bien la vision commune des différents intervenants. La façon de communiquer est vitale pour l’équilibre et le bon fonctionnement d’une équipe.

56Le manager doit faire preuve d’ouverture d’esprit de manière à inciter ces collaborateurs à venir vers lui : EI4 « Si t'as quelqu'un qui est fermé et qui n'est pas souriant et qui ne communique pas avec toi, tu n'iras pas vers ton cadre. », EM1 « Imposer, c'est c'est très facile. Mais aucun intérêt sur la durée. Ça finit toujours par capoter. ». Si ce dialogue disparait, l’équilibre et la vie de l’équipe est en péril : EI6 « Sans communication, tu peux pas travailler…, tu peux pas euh, créer de relation, d’esprit d’équipe, donc tu vas droit dans le mur ».

57Les informations données par le cadre doivent être claires et ne donner lieu à aucune interprétation. Il est important que les explications soient précises et permettent aux collaborateurs de comprendre tous les tenants et les aboutissants d’une décision. En cas contraire, cela laisse une part à l’imagination et aux spéculations qui amènent à un climat de méfiance délétère à la cohésion d’équipe et de réalisation de projet :EM2 « Alors euh pour moi, une personne à qui on va expliquer le pourquoi des choses, ça va apporter beaucoup plus de fruits et cette personne sera beaucoup plus ré- réceptive pour effectuer une tâche qu'un ordre direct. Donc je ne suis pas du style "fais ça, euh fais comme ça". Non, il y a toujours une explication derrière qui est donnée. Il faut le faire parce que voilà, et je pense que les personnes vis-à-vis de ça sont beaucoup plus réceptives et ça se... ça se voit dans la réalité chaque jour. », la notion de transparence a été abordé à cinq reprises dans l’entretien d’un manager : EM3 « …, j'essaie vraiment d'être transparent avec mes équipes… » ;

58EI4 « C'est à lui de faire passer cette [euh], cette information et surtout, de nous communiquer les choses correctement. ». Aussi à l’issue de ces entretiens nous avons pu remarquer que les trois managers de proximité avaient très souvent recours à des moments informels pour faire passer des informations et que cette méthode était très appréciée de la part des infirmiers : EM2 « Mais comme il ne s'agit pas de- je vais dire une réunion formelle, ça passe beaucoup mieux. », EI5 « Il profitait de la pause pour venir nous parler…ça commencé comme ça puis après il officialisait par une réunion. ». Là encore, l’intérêt du leadership situationnel apparait. Il est important pour ces trois cadres d’adapter leur mode de communication en fonction des personnes et de la situation qu’ils ont face à eux, de façon à amener l’information et/ou les explications de la manière la plus pertinente. Adaptabilité partagée par les trois soignants qui ne conçoivent pas d’autres manières de fonctionner : EI6 « Si il veut que les messages passent et que tout le monde comprenne, il a pas le choix que de s’adapter en permanence. »

59Nos entretiens reflètent bien la complexité de la fonction de manager de proximité, tantôt subordonnés, tantôt représentant de la hiérarchie, reconnue par l’ensemble des catégories de professionnels. Il est la véritable charnière communicationnelle qui doit réussir à faire comprendre le message issu de la direction à son équipe tout en l’impliquant et en la motivant pour atteindre les objectifs attendus. Cela passe, comme nous l’avons vu, par une communication claire et précise, c’est-à-dire par un langage compris de tous.

60Et sans même que nous abordions ce thème, l’humour a émergé au décours de ces interviews et est apparu comme un mode de communication apprécié, privilégié tant par les cadres que par les soignants : EM2 « Donc, pour moi, cet humour a place dans notre équipe et, je pense, est présent au quotidien. », EI4 « Si le travail est fait correctement et qu'en plus il a de l'humour, bah c'est encore mieux. »

Humour et management

61L’importance de la place laissée à l’humour dans nos organisations hospitalières s’est retrouvée dans tous nos entretiens. Tous ont souligné les impacts positifs engendrés ainsi que les modalités d’utilisation de ce mode de communication afin que celui-ci ne devienne pas délétère.

Place de l’humour

62Un des premiers éléments qui ressort nettement de tous les entretiens est la possibilité qu’à l’humour de faire passer des messages difficiles : EM2 « Donc ça me permet quand même régulièrement de faire passer des messages difficiles, mais de manière un peu, je vais dire, à la cool… C'est certain, et au final ça paye beaucoup mieux. », les trois cadres de proximité ont donc recours à l’humour dans certaines situations délicates, ce qui confirme la théorie évoquée par Céline Bottega (2008) que l’humour est une forme de communication qui dénote la capacité d’un individu à jouer avec les représentations et peut conduire à modifier la représentation qu’un autre individu a de cette même réalité. Certains pourraient parler ainsi de manipulation, d’utiliser un moyen détourné pour faire accepter des décisions, des changements. Mais cela n’est pas perçu ainsi de la part des managés qui ont bien conscience de l’intérêt de l’emploi de l’humour : EI6 « …permet de faire passer des infos plus délicates, euh…plus difficiles à dire…vrai outil de com »

63Autre élément qui se distingue, la proximité que procure l’humour. Celui-ci renvoie l’image d’un cadre ouvert d’esprit, accessible, disponible : EM3 « Toujours est-il que dans le cadre de la proximité et de la disponibilité pour les gens, un des points que j'ai essayé de garder, c'était d'avoir de l'humour. » EI6 « Ça permet aussi de réduire la distance entre le cadre et l’équipe, j’dirais ça l’rend plus abordable et ça permet même plus de confidences… ». Nous retrouvons là, la notion de distance qui est primordiale dans le rôle de vecteur communicationnel du manager de proximité. Comme nous l’avons décrit précédemment plus cette distance est faible plus facile sera le contact, la communication et l’adhésion au changement et comme le souligne Bottega (2008), l’humour a le pouvoir de rapprocher les distances entre les managers et les employés : comme les deux parties rient ensemble, elles peuvent s’identifier l’une à l’autre et avec la même vision, plus large. Cette unité peut créer une perspective nouvelle et plus favorable pour le changement. Cette réduction de la distance sociale est aussi confirmée par Romero et Cruthirds (2006).

64Dernier élément qui apparaît dans tous nos entretiens, est l’humour comme mécanisme de défense. Il a été souligné par l’ensemble des interlocuteurs comme étant un outil très utilisé à l’hôpital au vu des situations stressantes, parfois dramatiques vécues. Effectivement l’humour a été décrit par de nombreux auteurs comme mécanisme de coping, Lawler (2002) observe que les infirmières prennent un air détaché et utilisent souvent l’humour pour arriver à gérer un événement inhabituel et embarrassant, stressant : EI5 « C’est aussi un mécanisme de défense. Ça permet de passer euh…le cap. Le meilleur exemple, ç’est dans les situations de décès où souvent les soignants plaisantent le plus. Ça n’enlève en rien euh, au respect des patients ». L’humour a ce pouvoir de réduction de stress reconnu par tous mais a montré également son intérêt dans la prise de recul, la distanciation, autre mécanisme de défense bien que celui-ci n’ait été abordé que par un seul manager (EM2) mais à cinq reprises : EM2 « Il ne faut pas prendre ça d'emblée pour soi, il faut prendre du recul, faut relativiser ; et moi, personnellement, avec l'expérience, j'ai plutôt tendance à transformer ça de manière humoristique. », distanciation évoquée par Isabelle Barth (2011).

65L’humour est également une forme d’expression pouvant faciliter les relations sociales (Bottega, 2008). Deux des trois managers (EM1, EM3) ont indiqué que l’emploi de l’humour leur avait permis de tisser des liens : EM3 « Et donc, l'humour peut être un biais pour justement rentrer en relation, aussi tisser des liens avec des gens… », ceci a été confirmé par un des infirmiers : EI6 « il crée un moment de partage… ç’est un vecteur de lien ». On ne peut évoquer les relations sociales sans parler communication au sein du groupe. Comme nous l’avons vu précédemment, l’humour permet de faire passer des messages difficiles mais il permet également à certains de s’exprimer, chose qu’ils n’auraient pas oser faire dans un contexte plus conventionnel. Là aussi deux managers sur trois ont soulevé cette capacité de l’humour : EM1 « …cette proximité professionnelle qui se crée, et qui permet, je pense, à certaines personnes de [euh] d'aller plus loin dans leur analyse, de dire des choses qu'ils oseraient peut-être pas dire dans des conditions différentes…voilà l'humour permet d'ouvrir toutes ces portes-là. », cette approche a été validée par un soignant à deux reprises, EI5 « L’humour aide à la communication, ouvre le dialogue, favorise la communication… il a un impact positif sur l’équipe ». Ceci nous prouve à quel point l’humour est un facteur de cohésion sociale. Tous les interviewés s’entendront à dire que l’humour va permettre de détendre l’atmosphère, créant ainsi un climat positif, un climat de confiance et où chacun pourra s’exprimer et pouvoir trouver sa place au sein du groupe. Romero et Cruthirds (2006) valide cette constatation que l'humour a également un effet positif sur le processus de socialisation en rendant les interactions moins tendues, cela contribuant au développement d'une forte cohésion de groupe.

66Autre point que nous souhaiterions aborder est l’avantage de l’humour dans l’engagement et l’implication des collaborateurs. À notre grand étonnement, seuls les managés ont abordé ces notions, aucun des managers n’a soulevé ce potentiel que possède l’humour, notions positives pour le moins prouvées (Francis, 1994). Le constat est sans appel, où règnent écoute et liberté de parole dans une ambiance bienveillante et agréable, le collaborateur s’investira davantage avec intérêt : EI6 « L’humour permet d’améliorer les conditions de travail, ça donne plus envie de venir travailler et de s’investir et remotive ».

67Et enfin, tous s’entendent à constater que le manager qui emploie l’humour renvoie l’image d’un leader humain, dynamique, ouvert d’esprit avec qui une relation de confiance est possible. Cette constatation est confirmée par Gang Zhang, doctorant en neurosciences : « les salariés respectent et admirent davantage les leaders avec de l’humour ».

68Mais attention, tout ceci ne peut être observable et vérifiable que sous certaines modalités d’utilisation.

Modalités d’utilisation

69Tous les aspects positifs que nous venons de démontrer ne peuvent l’être que sous certaines conditions. En effet l’humour a ses limites et si celles-ci ne sont pas respectées, l’effet escompté ne sera pas obtenu.

70Dosage

71Le dosage est apparu comme le critère essentiel à la réussite de l’humour. Un usage abusif pourrait conduire à son échec. Toutes les personnes interrogées, managers et managés, sont très clairs à ce sujet, il faut utiliser l’humour avec justesse et parcimonie : EM1 « Donc, il faut faire attention. Là aussi, c'est-, il faut savoir l'utiliser à bon escient, avec parcimonie… Un dosage. Un juste dosage. », EI5 « Mais attention, il faut un « cadre » dans l’humour… ».

72L’effet numéro un d’un mauvais dosage est la perte de crédibilité du cadre, celui-ci passerait donc de l’image d’un leader accessible, dynamique à celle « d’un clown » (EM1 /EI4), ou encore « d’un j’men foutiste » (EI6).

73Le dosage est donc une des clés de la réussite.

74Formes d’humour

75Lors de l’étude de notre cadre conceptuel, nous avons évoqué les différentes formes d’humour mobilisables selon Romero et Cruthirds (2006). Au décours de l’analyse de nos entretiens nous avons pu remarquer que seul deux formes étaient utilisées par les managers : l’humour affiliatif (EM1, EM2) et l’autodérision (EM2). Le but étant de produire un humour positif et atteindre les effets bénéfiques escomptés, EM1 « C’est ça, l’humour dans un bon esprit. Après, il ne faut pas être insultant… [euh] il ne faut pas être dégradant. ».

76A été abordé sous la qualification d’humour inapproprié, l’humour agressif. Tous ont conscience de l’impact néfaste que cela pourrait avoir. Les formes d’humour employées par nos managers corroborent bien l’analyse de Romero et Cruthirds (2006), qui nous indiquent que l'humour d'affiliation est comme un lubrifiant social qui facilite l'interaction interpersonnelle et crée un environnement positif et dont l'intention de l'initiateur est généralement de rassembler les gens.

77Différences individuelles

78Un autre élément à prendre en ligne de compte est l’individu dans sa globalité.

79Pour pouvoir user de l’humour, il est important de connaître le public que l’on a face à nous. En effet, l’humour pourra être interprété de différentes manières selon la culture, la religion, le sexe. Pour certains, il sera compris comme affiliatif et pour d’autres comme agressif. Seuls deux managers ont abordé ce thème (EM2, EM3). Un seul des managés (EI6) a évoqué ce sujet de différences individuelles : « Il est important que tu connaisses les personnes pour voir si elles sont réceptives ou pas, parce que des fois ça peut être mal interprété. ».

80À la question : « Quels peuvent être les effets négatifs de l’humour ? », très peu de réponses. EM2 et EI4 soulignent juste le fait que l’humour peut blesser en cas de mauvaise utilisation : EM2 « … ça peut très vite blesser et très vite faire l'effet inverse que celui escompté par l'humour. ».

81À l’issue de cette analyse, nous allons donc pouvoir répondre à notre problématique : « Dans quelle mesure l’humour peut-il constituer un levier d’actions du manager de proximité dans nos organisations hospitalières ? »

82À cette interrogation, la réponse est oui. L’humour est un réel levier d’actions pour nos managers de proximité.

83Nous avons pu, au cours de notre analyse, consolider la place essentielle du manager de proximité au sein de nos organisations, reconnue par tous. Véritable lien, véritable courroie de transmission entre la hiérarchie et les managés, son rôle est primordial. Rôle qui demande une grande précision : être à la hauteur en termes d’encadrement, savoir traduire les attentes et les décisions d’une direction, et inversement, en adoptant la bonne distance, le bon discours et le tout avec ouverture d’esprit, accessibilité, disponibilité et adaptabilité.

84Il est le réel vecteur communicationnel de nos institutions. Au cours de nos entretiens, l’humour s’est profilé comme un mode de communication efficace, approuvé par tous, nous permettant d’aborder des sujets parfois difficiles en y apportant plus de légèreté bien que le fond reste inchangé, l’acceptation est rendue plus facile.

85Il permet aussi de réduire les distances entre le manager et le managé, rendant le cadre de proximité ouvert d’esprit, accessible et parlant le même langage. De plus, il améliore les rapports humains en facilitant les relations sociales et en favorisant la cohésion de l’équipe. Un climat positif s’instaure ce qui laisse une place plus grande à la communication et à l’échange.

86Surtout, cette communication positive par l’humour est également un facteur de motivation et d’implication comme l’ont exprimé l’ensemble des managés interrogés.

87Mais il faut être attentif, car cela ne peut se réaliser qu’à une seule condition, respecter certaines modalités d’utilisation que nous avons développées auparavant : c’est-à-dire le dosage, avec parcimonie, l’emploi d’un humour affiliatif, jamais blessant et s’adapter à son public pour ne pas être offensant.

88L’humour est une « épée à double tranchant » (Malone, 1980)

Préconisations

89Nous connaissons tous les quatre grands styles managériaux, que sont le management directif, persuasif, participatif et délégatif. Il n’y en a pas de bon ou de mauvais, l’important est d’adapter le bon management au bon moment avec les bonnes personnes. L’essentiel est d’avoir connaissance des effets induits par le style employé. Nous avons pu observer à l’issue de l’étude de notre cadre conceptuel et de l’analyse de nos entretiens qu’il pouvait exister un nouveau style : le management par l’humour. Humour, aux nombreux effets positifs, tant d’un point de vue physiologique et sociologique qui sont pour certains méconnus de tous.

Faire reconnaître l’humour

90Une première approche serait d’introduire l’humour dans nos écoles de management. Le but n’est pas de former des « one man show ». Mais cela permettrait d’aborder et d’étudier tous les bienfaits induits par son usage ainsi que les répercussions au sein de l’organisation (diminution du stress, diminution du taux d’absentéisme, climat positif, implication et motivation des équipes, cohésion de groupe, amélioration de l’image du leader) ainsi que ses modalités d’utilisation, au même titre que les autres styles managériaux. Cela lui apporterait surtout une reconnaissance, une légitimité. L’utilisation stratégique de l’humour dans nos organisations serait reconnue. Son usage autorisé. Une nouvelle technique managériale serait officialisée. L’humour serait pris au sérieux.

Introduire l’humour au sein de nos institutions

91Louise Richer, directrice générale de l’école nationale de l’humour (ENH) au Québec, fait intervenir depuis une dizaine d’années ses collaborateurs au sein de grandes entreprises sur demande de leurs dirigeants afin d’organiser des ateliers de consolidation, de communication efficace, de créativité et cela en mobilisant un seul élément : l’humour. Serge Grudzinski, polytechnicien diplômé de Stanford, président d’Humour Consulting Group, intervient depuis vingt-cinq ans en France et dans le monde, dans les entreprises afin de « soulager les inquiétudes et les angoisses, changer les états d’esprit, rassembler les collaborateurs, transmettre les messages de changement, augmenter la motivation, optimiser l’énergie et l’enthousiasme ». Alors comment l’introduire dans nos organisations ? Avec des Team building revisité : préparer un spectacle humoristique sur la vie professionnelle et les problèmes qu’il faut résoudre, ce qui aiderait considérablement le management et les équipes à progresser ensemble. Réalisation de clip humoristique, pertinent qui expliquerait le changement ou pour présenter une nouvelle organisation. Revisiter l’audit traditionnel, audit réalisé de manière très professionnel et très structuré mais avec une restitution de manière humoristique permettant de prendre de la distance et de favoriser les prises de conscience et de renforcer les messages. Et enfin, lors d’événement festif au sein de l’organisation, faire intervenir un professionnel, spécialisé dans l’humour au sein des entreprises, pour nous délivrer un spectacle hilarant sur la vie de l’entreprise, permettant de faire passer des messages forts tout en légèreté qui marqueront les esprits.

Conclusion

92Nous avons voulu, tout au long de notre note de recherche, répondre à notre problématique : « Dans quelle mesure l’humour peut-il constituer un levier d’actions du manager de proximité dans nos organisations hospitalières ? ». Dans l’étude de notre cadre conceptuel, nous avons pu souligner la complexité de nos deux thèmes que sont le manager de proximité et l’humour.

93Le manager de proximité, de par sa position délicate au sein de nos organisations, revêt un rôle fondamental : celui de créer des conditions de travail favorables, optimales à ses collaborateurs afin d’atteindre les objectifs qui lui sont fixés par sa direction mais aussi retransmettre à sa hiérarchie les besoins de ses salariés. Pour cela, le manager de proximité se doit d’assurer son rôle d’encadrement, d’accompagnement mais aussi de diffuseur d’informations, c’est à lui que revient le devoir de transmettre les directives venues du top management et de s’assurer de sa traduction sur le terrain, il est important qu’il réussisse à se les approprier pour que celles-ci puissent être appliquées correctement. Il se doit également de créer un environnement professionnel propice au développement des compétences de ses collaborateurs en les menant vers la responsabilisation et l’autonomie, tout en lui assurant les moyens humains et matériels pour y parvenir.

94Dans nos organisations hospitalières le manager de proximité (toujours appelé communément cadre de santé) a une place prépondérante : il est l’interlocuteur de première ligne de la direction, de son équipe mais aussi des patients et des familles, ce qui lui demande une adaptation permanente en terme de positionnement et de communication.

95Cette position est tout aussi complexe que notre deuxième thème, l’humour. Humour aux multiples définitions, aux différentes formes et aux nombreux effets. L’étude de notre cadre conceptuel nous a confirmé le potentiel de celui-ci, tant d’un point de vue physiologique que sociologique tout en dévoilant ses limites. Comme nous avons pu le remarquer lors de la préparation de notre note de recherche, ce sont deux thèmes qui individuellement sont fréquemment abordés dans la littérature mais très peu développés en association.

96Pourtant, l’humour s’est profilé presque tout naturellement au décours de nos entretiens. Tous (managers et managés) nous ont souligné l’importance de sa place dans nos organisations : « … l’humour a peut-être plus de place à l’hôpital…parce que c’est un milieu de souffrance ». Style employé par les soignants, dans la relation soignant-soigné, ils aiment le retrouver dans leur manager de proximité : « c’est la cerise sur le gâteau » ; « très important pour moi » ; « vecteur de lien » ; il se dépeint l’image d’un cadre abordable, à l’écoute, disponible et ouvert d’esprit.

97Mais cette appétence pour l’humour ne s’arrête pas aux managés, les managers eux-mêmes reconnaissent son intérêt et son importance au sein de nos institutions : « faire passer un certain nombre de messages » ; « permet de relativiser » ; « climat de travail positif » ; « faire baisser la pression ». Tous ont conscience de ses effets bénéfiques ainsi que de ses règles d’usage : « jamais blessant » ; « savoir doser ». Les managés diront même qu’un cadre ayant de l’humour permet d’augmenter la motivation et l’implication de son équipe, levier sous-estimé par les managers interrogés.

98Deux managers iront même jusqu’à parler à plusieurs reprises d’humanisme : « c’est donner de l’humanité ». Cela corrobore tout à fait les propos de Louise Richer « l’humour, agent d’humanisation salvateur », c’est une des raisons pour lesquelles elle intervient au sein des entreprises, son but étant « d’humaniser les entreprises au moyen de l’humour ».

99Pourtant, notre expérience de professionnel de terrain, notre observation quotidienne et nos entretiens nous indiquent bien que l’humour est sous employé au sein de nos institutions. Les connaissances sont là, la théorie est connue, la démonstration n’est plus à faire mais une question reste en suspens : « Pourquoi l’humour est-il encore sous exploité ? Quelles sont les résistances à son utilisation dans nos organisations hospitalières ? »

100

  • Par méconnaissance ?
  • L’humour n’est pas sérieux ? (Intérêt de sa reconnaissance en tant qu’outil managérial)
  • Inné ou Acquis ?
  • L’humour s’apprend-il ?

101Sont tant d’interrogations qui nous permettraient, peut-être, de répondre à cette nouvelle problématique.

102L’humour est un sujet sérieux, complexe, subtil, magique qui ne mérite qu’à être développé.

Références

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Mots-clés éditeurs : levier d’actions, humour, manager de proximité

Date de mise en ligne : 17/02/2021

https://doi.org/10.3917/proj.hs01.0115

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