La lecture du roman Batouala, prix Goncourt en 1921, pose une question d’interprétation qui n’échappa pas aux contemporains. S’agissait-il d’une œuvre de pure fiction, qui dès lors autorisait toutes les licences romanesques, ou d’une dénonciation romancée de la colonisation française en Oubangui ? La structure en diptyque du roman, avec une introduction très revendicative et un texte proprement dit, plus original, laisse possible cette double lecture. La dualité est encore renforcée par l’auteur lui-même, à la fois administrateur colonial par nécessité et homme de lettres par inclination. Ces considérations n’ont pas prétention à renouveler la curiosité sur cette œuvre complexe, mais juste à rappeler sa nature par définition ambiguë qui impose de ne jamais proposer une réponse binaire du type vrai-faux ou réel-imaginaire. De toute façon, pour qui s’intéresserait à la colonie de l’Oubangui-Chari, il existe de nombreux témoignages et des données statistiques autrement plus objectives qu’un texte romanesque.
Pourtant, c’est bien du substrat de son expérience personnelle qui s’inscrivait dans un territoire précis que René Maran a puisé l’inspiration pour son roman et, également, la légitimité pour le faire. Ayant parcouru pendant une décennie le territoire de l’Oubangui du sud vers le nord, de Bangui à Fort-Archambault au Tchad, il pouvait prétendre à une certaine expertise ethnologique des peuples dont il avait partagé le quotidien, tandis que son immersion dans l’administration coloniale lui donnait tout loisir pour en pénétrer les arcanes…