J’appartiens à cette génération dont la mémoire naissante a d’abord été marquée par les tout premiers signes de la renaissance africaine, à savoir les changements de couleur que vers nos dix ans, l’Histoire, sans prévenir, fera subir aux symboles et aux mythes. Nos ancêtres furent gaulois et blonds jusqu’à la fin d’une certaine année scolaire. À la rentrée suivante, ils ne l’étaient plus : libres, émancipés, indépendants, bref, plus que jamais nègres, nous pouvions chanter à tue-tête et bien avant James Brown : We are black and proud ! Alpha Yaya Diallo et Samory Touré avaient remplacé Bayard et Napoléon ; Senghor et Césaire, Voltaire et Hugo. Et nous grandissions en toute insouciance, rassurés de savoir que notre race n’était plus celle que l’on opprime, que, jaillie du cachot du désespoir, et un moment étourdie par la lumière du dehors, elle pouvait rouvrir grand les yeux et compter ses héros, ses soldats et ses poètes car, et c’était une découverte, elle en avait elle aussi des soldats et des poètes.
Nous entendions pour la première fois parler de Chaka, de la reine Pokou, de Blyden, de Richard Wright, de Camara Laye, de Mongo Béti… Dans cette floraison de noms magiques et nouveaux, que nous accueillions avec la ferveur d’une secte visitée par les dieux, il en fut un qui ne nous frappa pas tout de suite, coincé qu’il était entre quelques gros barytons et une flopée d’homonymes : Alioune Diop.
C’est le genre de nom qui vous file entre les lèvres : trop lisse, trop commun, trop inexpressif …