D’un coup de marteau le cadenas partit en petits morceaux. Une seconde, un coup, mais beaucoup de choses peuvent arriver en toute une seconde. En une seconde on peut déclarer la guerre, on peut devenir millionnaire, on peut aller en prison ou tout simplement on peut s’essouffler et mourir.
Il n’y avait pas âme qui vive dans les ruelles accidentées de Tadart. Le froid et le noir de trois heures du matin avait instauré le couvre-feu. Meziane était seul comme rien. Il était seul à déranger la nuit, à violer le sacré couvre-feu. Mais la faim est hors la loi. Quand la faim fait pleurer et gémir les enfants, même un père sage perd la tête. Les enfants de Meziane pleuraient. Ils avaient faim.
Il poussa doucement la porte de l’épicerie millénaire du village et entra sur la pointe des pieds. Il ferma la porte d’un geste maladroit et alluma sa torche. Il hésita quelques minutes avant d’accomplir sa besogne, comme s’il avait oublié pour quelle raison il était là. Il regardait à gauche et à droite : sur les étagères des silhouettes de produits alimentaires lui rendaient le regard, comme si elles aussi ne comprenaient pas pour quelle raison elles étaient réveillées à une telle heure de la nuit.
Les produits lui rappelèrent le supermarché où il avait travaillé pendant dix ans. Seulement à l’époque il prenait des produits et les payait. Alors il avait de l’argent, il travaillait, ses enfants ne pleuraient pas. Le supermarché avait fermé ses portes, ou plutôt on lui avait fermé ses portes, parce que si la décision lui était revenue, le supermarché n’aurait jamais accepté de fermer ses portes à des dizaines de Meziane et leurs enfants…