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Article de revue

Productivisme et souffrance chez les enseignants-chercheurs au Brésil

Pages 45 à 66

Notes

  • [1]
    Professeur à l’Université Fédérale du Maranhão (UFMA). Enseignant-chercheur de troisième cycle au Programme de Post-Graduation en Sciences Sociales et en Sciences de l’Éducation, ses recherches portent sur la Sociologie de l’Éducation et la Sociologie économique. E-mail : antonio.paulino@terra.com.br.
  • [2]
    Cette enquête par entretien a été faite auprès des enseignants-chercheurs de l’Université Fédérale du Maranhão (UFMA). Il s’agit d’une recherche collective en cours. Les étudiants de maîtrise et membres du groupe de recherche, Antonio Carlos, Kellen Regina Morais Coimbra, Claudia Maria Santos de Jesus, Cecilia Ordoñez, Marcone Dutra, Paulo César Garré et Doracy Gomes Pinto participent activement de la recherche en contribuant dans les entretiens ainsi qu’aux débats au niveau théorique. Un grand merci à Armelle Lebars pour la révision du français.
  • [3]
    Pierre Bourdieu, Homo academicus, Paris, Les Éditions de Minuit, 1984.
  • [4]
    J. M. Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Paris, Payot [1969], 2005, p. 171.
  • [5]
    Ahmet Insel, « Publish or Perish ! La soumission formelle de la connaissance au capital », Revue du Mauss, 2009/1, n° 33, p. 145, en ligne : http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2009-1-page-141.htm.
  • [6]
    Ibid., p. 146.
  • [7]
    Ibid., p. 148.
  • [8]
    Sandrine Garcia, « Réformes de Bologne et économisation de l’enseignement supérieur », Revue du Mauss, 2009/1, n° 33, en ligne : http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2009-1-page-154.htm.
  • [9]
    Olivier Beaud, « Pourquoi il faut refuser l’actuelle réforme du statut des universitaires », Revue du Mauss, 2009/1, n° 33, en ligne : http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2009-1-page-92.htm.
  • [10]
    Ibid., p. 94.
  • [11]
    Geneviève Azam, « La connaissance, une marchandise fictive », Revue du Mauss, 2007/1, n° 29, p. 124, en ligne : http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2007-1-page-110.htm.
  • [12]
    José Dias Sobrinho, « Evaluación de la educación superior en Brasil: la cuestión de la calidad », in Pedro Krotsch, Antonio Camou, Marcelo Prati (dir.), Evaluando la evaluación: políticas universitarias, instituciones y actores en Argentina y en América Latina, Prometeo, Buenos Aires, 2007.
  • [13]
    Les principales Universités brésiliennes ont été fondées entre les années 1920 et 1930. La Usp, par exemple, a été fondée en 1934.
  • [14]
    Cristophe Charles souligne que l’imitation du modèle américain est reconnue par les responsables de la réforme de l’enseignement supérieur en France. Christophe Charles, « Université et recherche dans le carcan technocratique », Le Monde diplomatique, septembre 1999, en ligne : http://www.monde-diplomatique.fr/1999/09/CHARLE/12429. Pour une analyse du modèle américain, voir l’excellente analyse de Noam Chomsky, Réflexions sur l’Université. Suivis d’un entretien inédit, Paris, Raison d’agir, 2010.
  • [15]
    Alberto L. Bialakoswsky en collaboration avec Mercedes Patrouilleau et Cecilia M. Lusnich, « Rationalités universitaires et travail en Amérique latine sous le néolibéralisme », Revue du Mauss, 2009/1, n° 33, p. 186, en ligne : http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2009-1-page-185.htm.
  • [16]
    Ahmet Insel, op. cit., p. 142.
  • [17]
    CEPAL, Transformación Productiva con Equidad. La tarea prioritaria del desarollo de la América Latina y Caribe en los años noventa, 1990.
  • [18]
    CEPAL, Educación y conocimiento: eje de la transformacion productiva con equidad, 1992.
  • [19]
    Pour la Cepal, il faut que les Universités établissent des coopérations avec des entreprises privées et acquièrent un esprit d’entreprise. Olgaíses Maués, « Produção do conhecimento versus produtivismo e a precarização do trabalho docente », Revista Universidade e Sociedade, Sindicato Nacional dos Docentes das Instituições de Ensino Superior, Ano 1, n° 1, 1991, p. 23.
  • [20]
    Azam Geneviève, op. cit., p. 113.
  • [21]
    Robert Castel, La montée des incertitudes. Travail, protection, statut des individus, Paris, Seuil, 2009, p. 28.
  • [22]
    Luc Boltanski, La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique, Paris, Gallimard, 2007, p. 61.
  • [23]
    Marilena Chaui, Escritos sobre a Universidade, São Paulo, Ed. Unesp, 2001.
  • [24]
    Luiz Carlos Bresser Pereira, Crise econômica e reforma do Estado Brasileiro: uma nova interpretação da América Latina, São Paulo, Editora 34, 1996. Le plus intéressant, c’est que l’auteur définit sa théorie comme neodesenvolvimentista.
  • [25]
    Brasil, 2003, p. 9.
  • [26]
    Celia Regina Otranto, « Desvendanto a politica da educação do governo Lula », Universidade e Sociedade, Brasilia, 19, n° 38, janeiro de 2006, p. 23.Voir aussi, « Brasil. Presidência da República. Grupo de Trabalho Interminesterial. Bases para o enfrentamento da crise emergencial das universidades brasileiras e roteiro para a reforma da universidade brasileira », Brasilia, DF, 2003.
  • [27]
    Christian Laval, « Les nouvelles usines du savoir du capitalisme universitaire », Revue du Mauss, 2009/1, n° 33, p. 173, en ligne : http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2009-1-page-173.htm.
  • [28]
    David F. Noble, « Digital diploma mills: The automation of higher education », New York: Monthly Review Press, 2003.
  • [29]
    Ibid., pp. 24-25.
  • [30]
    Jean Foucart, Sociologie de la souffrance, Bruxelles, De Boeck Université, 2003, p. 111.
  • [31]
    Cf. Alain Touraine, La fin des sociétés, Paris, Seuil, 2013, pp. 327-332.
  • [32]
    João dos Reis Silva Junior, Valdemar Sguissardi, Eduardo Pinto e Silva, Trabalho intensificado nas federais. Pos-graduação e produtivismo adadêmico, São Paulo, Xamã, 2009.
  • [33]
    Voir à ce propos l’excellent travail de Denise Lemos sur l’aliénation des enseignants dans l’Université Fédérale de Bahia, « Alienação docente? O professor no centro das contradições », Universidade e Sociedade, Brasilia, 19, n° 45, janeiro de 2010.
  • [34]
    Jacques Sapir, La fin de l’eurolibéralisme, Paris, Seuil, 2006.
  • [35]
    Ibid., p. 56.
  • [36]
    João dos Reis Silva Junior, Valdemar Sguissardi, Eduardo Pinto e Silva, « Trabalho intensificado na universidade Brasileira », Universidade e Sociedade, Brasilia, 19, n° 45, janeiro de 2010, p. 16.
  • [37]
    Ce qui demande du temps parce qu’il faut se déplacer et que le trajet se fait par bus – en général, ils partent le vendredi et retournent le dimanche. Le trajet se fait de São Luis à une autre ville, en moyenne il faut 8 heures pour l’aller-retour. Les cours ont lieu le samedi matin de 8 h à 12 h et l’après-midi de 14 h à 18 h. Le dimanche seulement jusqu’à midi. Il faut quatre week-ends pour donner un cours de 60 heures. Les enseignants-chercheurs acceptent ce type de travail pour augmenter leurs salaires.
  • [38]
    Ce qui n’est pas très différent en France où l’intensification du travail est significatif et beaucoup de jeunes docteurs sont au chômage. Cf. Sylvie Faure, Charles Soulié, Mathias Millet, « Rationalisation, bureaucratisation et mise en crise de l’éthos académique », Regards sociologiques, n° 31, juin 2006, p. 83.
  • [39]
    Jean Foucart, op. cit., p 145. L’auteur aborde la souffrance à partir du modèle multidimensionnel.
  • [40]
    Sur ce point, voir Antonio Paulino De Sousa, « Entre o ensino e a pesquisa », Revista discente perspectivas sociais, vol. 3, 2014.
  • [41]
    Jean Foucart, op. cit.
  • [42]
    Jean Foucart, op. cit., p. 45.
  • [43]
    Sur ce point, voir le témoignage significatif d’un maître de conférences en chimie qui a beaucoup investi dans la création et le développement du département alors que cela n’a pas été pris en compte dans son avancement dans la carrière. Ce temps a représenté un trou d’environ 5 ans dans le dossier recherche. Cf. Sylvie Faure, Charles Soulié, Mathias Millet, op. cit., p. 17.
  • [44]
    Cette problématique n’est pas différente de celle que l’on trouve au Brésil, comme on le verra par la suite avec des exemples concrets à l’appui.
  • [45]
    Robert Castel, op. cit., p. 177.
  • [46]
    Dans les congrès, les étudiants présentent parfois seuls des travaux qu’ils ont écrit, mais sur lesquels figure aussi la signature du directeur de thèse ou de mémoire de maîtrise.
  • [47]
    Ce profit n’est pas nécessairement monétaire, mais plutôt symbolique. Il faut considérer que les dépenses d’achats de livres nationaux et étrangers sont considérables et que, même quand l’enseignent-chercheur a une bourse productivité, cela ne représente pas beaucoup face à ces dépenses. Or, tout dépend aussi d’autres variables telles que le fait d’être célibataire ou marié. Dans le cas d’un enseignant-chercheur marié, il faut savoir combien d’enfants vont à l’école vu qu’au Brésil si on veut que les enfants aient accès à l’université publique il faut payer pour qu’ils fassent leurs études dans une école privée, qui coûte très cher. L’enseignant-chercheur doit avoir un esprit d’entrepreneur, mais il ne gère pas une bourse suffisante pour la recherche et la vie privée. À vrai dire, il ne gère que la pénurie.
  • [48]
    On peut voir que, dans le cas de la France, le métier d’universitaire n’a pas été institué de la même façon selon les facultés. Cf. Sylvia Faure, Charles Soulié, Mathias Millet, « Rationalisation, bureaucratisation et mise en crise de l’éthos académique », Regards sociologiques, n° 31, juin 2006.
  • [49]
    Philippe Losego, « Le travail invisible à l’université : le cas des antennes universitaires », Sociologie du travail, n° 46, 2004.
  • [50]
    Sur le rapport entre le capitalisme organisationnel et la santé au travail, voir l’analyse faite par Francisco Antonio de Castro Lacaz, « Capitalismo organizacional e trabalho – a saúde do docente », Universidade e Sociedade, Brasilia, 19, n° 45, janeiro de 2010.
  • [51]
    Antonio Cândido, « Escola e associações docentes », Revista Linha d’Agua, n° 2, março 1981, p. 8.
  • [52]
    Sylvain Piron, « Lisons Peter Lawrence, ou les implications morales de l’évaluation bibliométrique », décembre 2008, en ligne : http://evaluation.hypohteses.org/229.
  • [53]
    Luc Boltanski, Les cadres. La formation d’un groupe social, Paris, Les Éditions de Minuit, 1982, p. 220. La rationalisation de la carrière est une préoccupation dominante des gestionnaires. Dans la grande entreprise bureaucratisée, la distribution du pouvoir et du profit ne trouve plus explicitement sa légitimité dans la possession économique ou dans les relations familiales et sociales. « C’est la détermination formelle des propriétés du poste, des critères d’aptitudes que doivent posséder les titulaires et surtout la mise en relation de ces deux grilles d’évaluation qui sont au principe de tous les systèmes d’évaluation, des plus simples aux plus sophistiqués […] que les organisateurs ont inventés ou, le plus souvent, importés des États-Unis dans les années 1950 » (ibid., pp. 222-223).
  • [54]
    Marilena Chaui, op. cit.
  • [55]
    Ce concept est utilisé par Slaughter et Leslie pour désigner la soumission des Universités à l’économie et au marché. C’est l’appropriation de la connaissance par un secteur de l’économie qui est en jeu. Pour les auteurs, le capitalisme académique est au fondement des institutions de l’enseignement supérieur dans notre société globalisée où l’État n’exerce par son rôle de régulateur en matière d’investissement financier dans le secteur. Cité par Oligaíses Maués, op. cit., pp. 27-28.
  • [56]
    Cette problématique est plus claire lorsqu’on saisit que les cours de sciences sociales, pour ne donner qu’un exemple, sont organisés en deux filières : l’une qui prépare les élèves uniquement pour l’enseignement et l’autre qui les orientent vers la recherche.

1La question tout à la fois la plus pressante et la plus décisive est celle de la souffrance sociale et de l’avenir des fonctionnaires de l’enseignement supérieur au Brésil [2]. On nous a longuement expliqué que les marchés s’équilibraient d’eux-mêmes et qu’il ne fallait pas intervenir. Et pourtant, il y a bien interventionnisme pour le profit et la socialisation des pertes. L’éthos académique [3] de l’enseignant-chercheur repose sur le souci du travail « bien fait ». La plus forte reconnaissance vient des étudiants, mais aussi de la communauté scientifique à travers la publication d’articles dans les périodiques bien classés, ce qui conditionne lourdement l’avancement dans la carrière. En plus, il faut penser que l’enseignant-chercheur doit avoir une orientation stratégique pour penser son activité dans une logique qui est celle des entreprises, de la productivité et du profit maximum. Ceci implique qu’il doit s’organiser en fonction de l’offre de formation et surtout en fonction de l’offre des produits pour le marché de l’édition, où la production scientifique est susceptible de dégager des profits plus importants. La logique aujourd’hui est de faire de la recherche une activité rentable.

2Dans cette perspective il faut faire, comme dit Keynes, des placements fondés sur des véritables prévisions à long terme [4], ce qui n’est pas une tâche facile en ce qui concerne le marché des périodiques. Encore faut-il savoir quelle est la revue exacte dans laquelle on peut envoyer un article spécifique, ce qui est un véritable apprentissage qui prend du temps. Ce qui est bien dit par un enseignant-chercheur : « Moi, j’ai produit 5 articles l’an dernier. Il y en a un qui a été refusé par une revue et les autres je n’ai même pas de nouvelles. Celui qui a été refusé, je l’ai envoyé à une autre revue qui l’a publié. Le problème, c’est que la revue n’est pas classée au Qualis (Qualité et Succès Educative), je l’ai appris après la publication et donc il ne vaut rien. J’ai le sentiment d’avoir perdu mon temps. On est vraiment dans l’incertitude et ça fait mal, parce qu’on est dépendant de la bonne volonté des périodiques. On ne sait jamais ni quand, ni même si ton article sera pris et publié, c’est un peu angoissant parce qu’on ne sait jamais… » Enfin, la production est faite pour un marché et encore faut-il savoir vendre le produit, ce qui ne fonctionne pas sans un certain sens du métier et un investissement. Or on ne peut pas distinguer la production des services universitaires de la production de soi-même parce que si l’enseignant-chercheur ne produit pas, son existence sociale est mise en cause. Ceci dit, dans notre recherche, la course pour la productivité a fait apparaître non seulement l’angoisse, le stress, l’incertitude, la souffrance au travail, mais aussi l’aliénation au travail – comme chez ce professeur qui dit : « Non, sur la réforme je ne connais rien, je ne peux pas en parler. »

3La réforme de l’enseignement supérieur au Brésil a commencé par un décret daté du 20 octobre 2003, sous le gouvernement de Lula. Plusieurs programmes ont été créés comme PROUNI (« Programme Université pour tous »), le SINAES (« Système national d’évaluation de l’éducation supérieure »), les partenariats entre le secteur public et le privé (PPP) et enfin le programme de soutien à des plans de restructuration et d’expansion des universités publiques (REUNI). L’ensemble de ces programmes a provoqué de grandes transformations dans l’enseignement supérieur, ce qui a impliqué une augmentation de la charge de travail sans qu’il y ait en même temps de meilleures conditions de travail. Ce que l’on exige des professeurs est la productivité. La combinaison de ces facteurs a pour effets le stress et, parfois, la dépression des professeurs. On ne peut pas discuter le problème de la souffrance en sous-estimant le rôle du contexte de travail ; ce qui nous conduirait à considérer que la difficulté est une question de personne ou, à la limite, un attribut de la personne qui ne produit pas suffisamment d’articles. Les professeurs qui ne produisent pas ont un sentiment d’échec personnel, ce qui a des effets dans la vie privée.

4L’objectif de ce travail est de s’interroger sur la souffrance sociale des professeurs de l’enseignement supérieur au Brésil et en particulier sur une fraction de cette classe qui comprend ceux qui enseignent au niveau de la licence, mais aussi au niveau de la maîtrise et du doctorat. On a l’impression que le silence est une règle, étant donné que le problème de la souffrance n’est pas abordé, alors que pourtant elle existe. Lors de la dernière grève des professeurs du supérieur, qui a eu lieu en 2012 (et a duré trois mois), le problème a été discuté dans les assemblées du syndicat, mais en passant. Le droit de grève est un fait dans la Constitution brésilienne. Cependant, dans la pratique, les enseignants-chercheurs ne peuvent pas en user de ce droit parce que les programmes de troisième cycle ont un délai qui doit être respecté et parce que, dans le cas contraire, la note du programme peut baisser ; de même que les enseignants-chercheurs qui n’ont pas publié une quantité suffisante d’articles, de livres ou de chapitres de livres peuvent également recevoir une évaluation négative.

5Les articles sont des produits qui doivent être placés dans le marché des biens symboliques. La classification des articles va de pair avec la classification des professeurs qui les écrivent, ce qui peut impliquer de la dépression et du stress chez l’enseignant-chercheur. Il y a ceux qui disent : « Je ne veux plus de cela pour moi, on ne jouit pas de conditions de travail dignes et en outre la pression exercée est trop grande pour que l’on ait de plus en plus de produits : des articles. On n’a même pas le droit de tomber malade. » La souffrance, elle, isole la personne. À cela s’ajoute le fait que les activités syndicales ont reculé dans la période post-Lula. En fait, on ne peut pas devenir de simples spectateurs de la souffrance ; au contraire, il faut élaborer de nouveaux repères collectifs pour redéfinir le métier d’enseignant-chercheur. En ce qui concerne la méthode, on a réalisé une enquête de terrain auprès des enseignants-chercheurs pour cerner le problème de la souffrance sociale qui les touche de très près.

1 – L’économie de la connaissance comme un nouveau secteur d’accumulation

6Si la connaissance est devenue un nouveau domaine d’activité économique et un lieu stratégique de la dynamique centrale de l’accumulation, alors il est permis de s’interroger sur de nouvelles pratiques d’évaluation de la productivité de la connaissance, au moment où les enseignants-chercheurs sont soumis à de nouvelles normes de productivité. La transformation de la connaissance en marchandise impose l’organisation et la régulation de sa rareté. La connaissance devient un bien économique sujet à l’exploitation, dont l’objectif est l’accumulation privée par le capital. Ainsi l’organisation de la recherche est devenue un des enjeux centraux de la nouvelle dynamique de l’accumulation. Ahmet Insel a fait une analyse de la mise en route des méthodes de la bonne gouvernance qui proposent une harmonisation et une convergence par le chiffre dans l’espace européen de l’enseignement et de la recherche, au lieu de prioriser l’intégration par le droit. Pour lui, l’espace européen de la recherche devient un terrain prioritaire pour l’application des méthodes qui soutiennent la compétitivité comme un objectif absolu. « La direction générale chargée de la recherche au sein de la Commission européenne n’hésite pas à qualifier de révolution culturelle cette nouvelle doxa qui prône la concurrence comme le premier principe de la recherche, et le chercheur-entrepreneur comme la figure emblématique et le sujet central de ce domaine d’activité économique [5]. »

7Si on suit le raisonnement de Polanyi, il est possible de voir que le marché de la recherche n’est pas autorégulé ; c’est un marché comme les autres dans la mesure où il est institué, encadré et guidé par les dirigeants de la recherche qui ont besoin des outils de gestion. C’est dans cette perspective que le chiffrage de la productivité scientifique d’un chercheur prend toute son ampleur pour garantir l’adéquation du travail scientifique à la logique du marché. Ainsi se développe une ingénierie des indicateurs destinés à quantifier la performance des investissements immatériels. « L’étape suivante de ces indices synthétiques établis à l’échelle des pays est l’élaboration d’indicateurs comparatifs de performances à l’échelle des institutions et des individus, qui permettent d’instaurer les conditions d’évaluation des performances des chercheurs-entrepreneurs [6]. »

8La quantification des produits de la recherche est un pas décisif dans la transformation de la connaissance en marchandise parce qu’elle permet d’organiser et d’évaluer la productivité, ce qui crée les conditions indispensables pour une nouvelle forme d’accumulation symbolique. Les indicateurs de performance répondent aux besoins d’accumulation des signes qui peuvent apporter de nouveaux financements externes, comme le dit un enseignant-chercheur lorsqu’on le questionne sur les bénéfices et les retours personnels de la recherche : « Or, la réalisation de la recherche apporte une projection dans ton domaine. Quand on produit des résultats en forme de publication, de rapport de recherche, cela te donne une projection. Cela a un effet personnel dans la mesure où, aujourd’hui, on a une bourse de productivité du CNPQ (Conseil National du développement scientifique et technologique) qui est le résultat du travail de recherche et d’orientation. Ce qui a un effet sur le salaire, mais aussi une augmentation énorme de travail, ce sont des avantages… » Il faut dire que ce qui est retenu par la CAPES (Coordination du perfectionnement du personnel au niveau supérieur) et le CNPQ, comme activité de recherche, c’est surtout le travail de production d’articles publiés dans des revues indexées ; les livres et les chapitres de livres sont moins bien évalués.

9L’évaluation institue la possibilité d’un jeu stratégique de classement et de déclassement qui reste occulté tant que le système d’évaluation n’est pas mis en pratique par les agences de régulation. La question la plus fondamentale est l’existence même de la catégorie enseignant-chercheur dont la charge de travail devient de plus en plus lourde ainsi que la pression pour la productivité qui met en jeu la recherche et sa qualité. L’incertitude quant à l’appartenance ou non d’un poste au troisième cycle peut gérer des angoisses. L’obtention du titre de docteur a constitué pour certains le signe de la promotion et de l’accès à une « élite fermée ». Le maintien dans le troisième cycle est donc l’assurance d’une appartenance sociale qui renforce l’identité sociale et sa relation avec le groupe. Les individus sont dotés de propriétés objectives en accord avec le poste qu’ils occupent en tant qu’enseignants-chercheurs. La peur du déclassement provoque une certaine souffrance. Comme l’exprime ce témoignage d’un interviewé à qui l’on a demandé comment il se sent quand il ne produit pas : « On sent trop la pression. On envoie des articles aux revues et parfois on n’a même pas de réponse. Alors, les exigences de la production, on sent une frustration pour ne pas avoir répondu aux exigences, parfois on croit que les exigences sont au-delà des limites. Mais il y a toujours une sorte de frustration entre les pairs, on sent qu’on ne suit pas les exigences et en cela, je pense qu’il y a une souffrance collective. Parce que parfois on cesse d’assurer la direction de recherche d’un étudiant pour donner la priorité à d’autres activités ou à la production. » On voit ici les effets sur le suivi des étudiants parce qu’il est nécessaire dégager plus de temps pour la recherche. Il faut voir aussi que c’est tout le système qui est en cause dans la mesure où les enseignants-chercheurs prennent leurs distances vis-à-vis de leur rôle d’enseignant au niveau de la licence.

10Revenons sur la question des revues parce que le monopole qui leur est attribué provient du fait que la valeur est créée par la sélection faite par les pairs qui sont chargés de maintenir une qualité homogène, comme c’est le cas dans tous les marchés. Mais il ne suffit pas de produire et de publier pour le marché des périodiques, encore faut-il être cité pour que le produit mis sur le marché rencontre une utilité parmi les producteurs de connaissance, la finalité étant la consommation par d’autres chercheurs. Ce qui veut dire qu’il y a un marché de la citation : « Comme un article publié dans une revue indexée, même sans être cité, dispose d’une valeur-signal supérieure à un livre publié sur le marché de la connaissance, la bulle des revues scientifiques, et avec elle la bulle des articles indexés, continue à gonfler régulièrement [7]. » Ces formes d’évaluation nous montrent bien qu’il existe des similitudes entre le marché financier et celui du savoir. Les marchés financiers fonctionnent à partir des évaluations, qui sont de l’ordre du jugement et de la croyance. Les analyses du marché financier orientent les actions des agents économiques et généralement ces analyses sont faites par les économistes conjoncturalistes et repris par la presse économique, comme l’analyse bien Frédéric Lebaron.

11Les nouvelles régulations pour l’éducation s’imposent à l’échelle mondiale, en Europe par le processus de Bologne [8]. Le discours est partout qu’il s’agit d’améliorer l’efficacité de l’enseignement supérieur, mais les analyses montrent que l’enjeu de toutes ces réformes est de transformer le savoir en une série de biens privés. C’est pourquoi au début de février 2009 un mouvement de refus de la réforme de l’enseignement supérieur français et du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) s’est développé dans toute la France, comme l’a bien montré Olivier Beaud [9]. Pour lui, ce qui prévaut en France, c’est l’idée de la carrière individuelle liée à la conception d’une excellence qu’il ne faut pas seulement encourager, mais aussi récompenser. « La logique est éminemment libérale en ce qu’elle associe la récompense à l’investissement dans le travail, mais toute la question étant de savoir quel est le type de travail qui compte [10]. » Les Universités sont évaluées en ce qui concerne l’enseignement et la recherche. C’est en fonction de cette évaluation que la charge de travail de l’enseignent peut être modifiée selon des modalités qui doivent être définies par les nouvelles instances de régulation, dans le cas de la France la section du CNU (Conseil National des Universités). En France, le projet de réforme impose une évaluation nationale de tous les chercheurs tous les quatre ans. Dans le cas du Brésil, l’évaluation est faite tous les trois ans par la CAPES. Une différence est établie selon que l’on choisit de rester enseignant, enseignant-chercheur ou que l’on choisit une carrière administrative. L’Union européenne a fait de l’économie de la connaissance un enjeu central dans le cadre de la stratégie de Lisbonne.

12Geneviève Azam, analysant la connaissance comme marchandise fictive, insiste sur le fait que « la création d’un marché de la connaissance relève d’une sombre utopie, une utopie destructrice, de même nature que l’utopie du marché autorégulateur analysé par Karl Polanyi. L’accomplissement total de la fiction d’une connaissance-marchandise serait en effet à terme mortifère pour la connaissance elle-même et elle est d’ores et déjà mortifère pour les sociétés qu’elle prive de leurs droits élémentaires tout en les spoliant de leurs savoirs traditionnels et en empêchant le transfert des connaissances et de l’innovation [11]. » On retrouve cette même problématique en Amérique latine, ce qui est un signe visible de la mondialisation de l’économie.

2 – Éducation et développement économique en Amérique latine

13Les enseignants-chercheurs doivent faire face à une dynamique globale de diversité de l’offre éducative y compris le développement de l’éducation virtuelle. Le concept de qualité éducative doit s’adapter aux exigences du marché. Or, dans la logique néolibérale, la qualité ne peut être comprise que comme une donnée quantifiable et mesurable [12]. Ceci est suffisant pour justifier le fait que l’on ne comprenne pas grand-chose de ce qui se joue actuellement dans la réforme universitaire au Brésil, si on ne la replace pas dans le cadre plus général de la réforme de toutes les institutions et de la mise en cause des politiques publiques ou du rôle de l’État dans la société. Le point commun de toutes les réformes, y compris en Europe, est qu’au sein d’une société de la connaissance l’Université a un rôle central à jouer dans les sociétés et les économies. C’est pourquoi un détour par la crise économique et sociale est ici indispensable pour recadrer notre objet de recherche. Il montrera la complicité qui unit le travail et la servitude. Les experts des nouvelles gouvernances voient à l’œuvre la mise en place des doctrines du New Public Management qui est devenu la nouvelle vulgate du néolibéralisme. Il faudrait, premièrement, s’interroger sur l’idéologie néolibérale et ses dérives liées à la crise économique. Dans le contexte de la crise économique et financière, les effets des politiques d’austérité se font sentir lourdement dans l’enseignement et la recherche dans divers pays. La crise du keynésianisme et la crise économique actuelle sont la toile de fond de l’ensemble des réformes, y compris celle de l’enseignement supérieur.

14C’est par un transfert international de concepts, de modélisations et d’expériences en matière organisationnelle que se sont développés les systèmes de l’enseignement supérieur en Amérique latine. Dans un premier temps, ce fut l’influence espagnole suivie par le modèle napoléonien d’université contrôlée par l’État qui ont eu une grande influence au moment où l’Université voit le jour au XIXe siècle – ce qui n’aura lieu au Brésil [13] qu’au XXe siècle au travers de l’idée de construction d’un projet national. Le modèle d’université qui prédomine aujourd’hui est le modèle américain [14], dont l’une des tendances majeures est la privatisation de la connaissance. « Les structures universitaires modernes ne se consolident que durant la seconde moitié du XXe siècle, dans un contexte de croissance, de diversification et d’amélioration des systèmes éducatifs dans la région [15]. » Depuis la décennie 1980, en Amérique latine comme partout ailleurs dans le monde, les universités évoluent au rythme des transformations radicales imposées par certains organismes internationaux aux États en ayant pour objectif de s’accorder à de nouvelles formes de régulation et d’accumulation du capitalisme. L’éducation supérieure devient progressivement un bien économique exportable semblable à n’importe quelle marchandise. Dans ce cadre, l’économie du savoir devient une marchandise comme la terre, le travail et la monnaie dans une économie dominée par le libre-échange. « Comme ces marchandises fictives, la connaissance n’a pas non plus été produite pour être vendue. Elle s’insère, comme le travail, dans les rapports humains. Elle est le résultat de processus collectifs et cumulatifs, et la totalité des savoirs ne peut être englobée dans la dimension marchande de la connaissance [16]. » Si la connaissance subit la pression du capital, c’est pour se réaliser pleinement comme marchandise fictive.

15La réforme de l’enseignement supérieur est en cours dans tous les pays de l’Amérique latine. L’éducation devient un objet si important pour le « développement » que la CEPAL a rédigé, en 1990, un document sur les nouvelles conceptions de l’éducation et son rapport avec l’économie [17]. Pour cette institution, la période des années 1980 est celle du constat d’un échec, qui a été le point de départ de nouvelles recommandations pour l’ensemble de la région. Les pays d’Amérique latine ont la nécessité de repenser la démocratie, d’ajuster les économies, d’incorporer les changements dans le domaine de la technologie, de moderniser les services publics, etc. Un point important souligné par le document est la nécessité d’obtenir plus de productivité par la compétition. Sur le rapport entre éducation et productivité, un autre document plus explicite est consacré à la nécessité d’une réforme du système d’enseignement supérieur en vue de contribuer à la transformation des structures productives de la région [18]. Dans ce document, l’orientation principale est que le système d’enseignement supérieur doit s’adapter aux exigences du marché. Selon Olgaíses Maués, l’intérêt porté à l’éducation vise à augmenter l’efficacité et la rentabilité économique obéissant à la logique du marché.

16Dans ce sens, l’Université doit être au service de l’économique et pour cela doit s’adapter aux logiques du libre-échange [19]. On constate que la connaissance devient l’objet d’une économie de la connaissance et que disparaît l’idée d’une activité gratuite. Or, durant longtemps, la connaissance avait été considérée comme une catégorie singulière du fait de sa gratuité. Ce dernier terme désigne, en économie, ce qui est sans prix. En effet, la connaissance peut être considérée comme un bien gratuit ou un bien commun dans le sens où elle est abondante ; sa production est par définition collective et aucun individu particulier ne peut avoir un contrôle sur son utilisation dans la mesure où la transmission de la connaissance ne signifie pas la perte de celle-ci. Comme le dit bien Geneviève Azam, « on peut voir dans cette distinction l’existence des barrières éthiques et sociales à la privatisation d’un bien qui ne saurait entrer dans le régime de la propriété » [20]. Or, dans la conception libérale, l’idée même de propriété intellectuelle a mis longtemps à s’imposer. Et la transformation de la connaissance en marchandise – au cas où elle se réalise dans sa plénitude – remettrait en cause non seulement sa production, mais surtout les rapports sociaux au travail du fait de la concurrence entre les enseignants-chercheurs et la course pour une plus haute productivité. Ce qui conduit à la dégradation des conditions de travail et à l’augmentation de l’individualisme. « La dynamique de l’individuation porte des effets contrastés. Elle maximise les chances des uns et en invalide d’autres [21]. » Ce qui confirme l’idée selon laquelle la rationalité de l’agent est étroitement dépendante des conditions de possibilité du choix ainsi que de sa position dans l’espace social. Cela veut surtout dire qu’il y a une asymétrie entre les enseignants-chercheurs qui doivent faire face à des conditions différentes. Comme il est bien dit par un enseignant-chercheur lorsqu’on lui demande s’il a des difficultés pour publier ses articles : « Oui, j’ai des difficultés parce que la compétition est grande, la concurrence, et il y a aussi la distance, la différence entre le Nord et le Sud qui a déjà une grande production et des échanges avec les éditeurs. »

17Dans cette perspective, la souffrance apparaît comme un des effets pervers liés à la lutte pour la plus grande productivité et donc la lutte pour la reconnaissance sociale. Pour Boltanski, le désir de reconnaissance est un élément qui donne sens aux actions humaines [22]. On ne peut pas penser la souffrance uniquement du point de vue psychologique. Il convient de replacer l’individu dans son réseau de relations familiales et sociales, ce qui a été très bien fait par Durkheim dans Le Suicide (Paris, Alcan, 1897).

3 – Les politiques de l’éducation au Brésil

18La restructuration de l’État, avec les principes de la grande entreprise, a changé la gestion des services et le processus de travail dans les Universités en créant des problèmes pour la santé des enseignants. Les données nous font dire qu’on vit une profonde transformation du métier d’enseignant-chercheur depuis les années 1990, période où les réformes ont lentement commencé au Brésil. Ce qui a été imposé par le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso a été poursuivi par celui de Luiz Inácio Lula da Silva. C’est avec Cardoso qu’ont commencé l’expansion des institutions de l’enseignement supérieur privé ainsi que la précarisation de l’enseignement public. Ils défendent, dans divers documents, l’autonomie de l’Université en se fondant sur la logique du marché, ce qui est tout à fait contradictoire. Le modèle impose la logique de la productivité et de la compétence en suivant les mêmes orientations que celles des entreprises qui sont définies par le modèle organisationnel conforme à la comparaison entre la grande entreprise et l’Université faite par Marilena Chaui [23]. L’ontologie de l’être social enseignant-chercheur est niée et le produit de ses recherches devient une marchandise. Ce n’est pas par hasard qu’un des principaux acteurs de la réforme a été l’économiste Luiz Carlos Bresser Pereira qui était ministre de l’Administration fédérale et de la Réforme de l’État dans le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso. Dans un livre connu comme la bible du néolibéralisme de Cardoso [24], Bresser défend l’idée que l’État doit être administré comme une entreprise.

19Les orientations du gouvernement, depuis 1990, vont vers la mise en place d’un processus de privatisation des entreprises publiques. Mais durant cette même période, les mouvements sociaux, avec le nouveau syndicalisme et les partis politiques considérés de gauche avaient un poids décisif dans les luttes sociales. Ce sont des syndicalistes professionnels qui arrivent au pouvoir avec le soutien des intellectuels et des travailleurs. À la fin des années 1970, le Brésil a connu, sous l’influence des courants critiques et/ou marxistes, le début d’un « nouveau syndicalisme ». Ce mouvement social devient plus important avec la création du Parti des Travailleurs (PT) et la fondation de la Centrale Unique des Travailleurs (CUT). Ce mouvement est si important que l’on ne saurait comprendre l’arrivée d’un ouvrier au pouvoir sans connaître le processus de construction et l’instrumentalisation du syndicalisme. C’est la symbiose entre le parti et le syndicat qui devient un projet considéré comme porteur d’une transformation de la société brésilienne. Lula était convaincu qu’il préparait l’accomplissement d’une promesse démocratique avec l’émancipation du prolétariat et des paysans pauvres. Mais ce discours va rencontrer la philosophie libérale et l’autonomie du syndicalisme et de la classe ouvrière est à l’horizon du socialisme du PT comme il était au centre du libéralisme.

20Les politiques d’éducation au Brésil ont suivi les grandes orientations internationales. La réforme du gouvernement de Lula a commencé par un décret daté du 20 octobre 2003 qui institue le Groupe de travail interministériel chargé d’analyser la situation de l’enseignement supérieur et de faire une proposition de restructuration. Le rapport est rendu en décembre de la même année avec les étapes nécessaires pour l’implantation de la réforme. Le texte reconnaît qu’il y a une crise, mais qu’elle est ancienne. Le document propose une augmentation du nombre des postes pour enseignants ainsi que le nombre des étudiants en classe, ce qui augmente la charge de travail. Il faut tout de suite souligner que l’augmentation du nombre d’étudiants n’est pas suivie par celle de la qualité de l’enseignement au niveau de la licence.

21Le document met l’accent sur la nécessité de l’expansion des cours à distance, on line. La communauté universitaire n’a pas été consultée et pourtant le rapport souligne l’importance de l’autonomie universitaire. « La garantie immédiate de l’autonomie universitaire est un pas nécessaire pour faire face à l’émergence [25]. » Le discours séducteur semble répondre aux besoins des universitaires. L’autonomie principale semble être celle de la finance et non celle de la gestion. L’autonomie financière est l’ouverture pour que l’Université puisse chercher des ressources financières auprès des marchés avec l’objectif de réduire les dépenses de l’État dans le cadre de l’enseignement supérieur. Les régulations proposées par le rapport sont celles des organismes internationaux telles que la Banque mondiale, comme l’analyse bien Celia Regina Otranto [26]. L’autonomie des universités se réduit à une gestion de la pénurie.

22C’est ainsi que sont créés, dans le cadre de la réforme, plusieurs programmes tels que le SINAES (Système National d’évaluation de l’éducation supérieure) qui est institué le 14 avril 2004 (par la loi n° 10.861/04) avec l’objectif de faire l’évaluation de l’éducation supérieure, ce qui comprend les institutions, les cours et la performance des étudiants. Le SINAES exerce un rôle régulateur qui vise à ajuster l’enseignement supérieur brésilien aux exigences du marché et des institutions internationales. Plus encore, le REUNI (institué par la loi n° 6.096/07) propose une expansion des universités en augmentant le nombre d’étudiants dans les salles des cours et avec la fondation de nouveaux cours dans les régions où il n’y a pas d’Universités. Il s’agit de stratégies que le gouvernement brésilien a adoptées comme forme d’une nouvelle régulation. Dans cette logique, l’enseignant-chercheur doit avoir un esprit d’entrepreneur, ce qui signifie que l’éducation est une marchandise comme les autres, C’est ainsi que l’Université se transforme en une véritable usine du savoir avec l’expansion des campus et surtout avec l’enseignement à distance. Ce qui est en jeu, c’est l’implantation du capitalisme universitaire, pour utiliser le concept de Christian Laval. Il nous fait comprendre que, pour le capital, « les universités sont devenues trop importantes pour être laissées aux universitaires » [27]. Le concept d’usines numériques est dû à David Noble qui a analysé la transformation des établissements d’enseignement supérieur en usines à diplômes (Digital diploma mills) et s’est interrogé sur la vente des cours sur internet et l’essor de l’e-learning [28].

23Le Prouni a été institué le 10 septembre 2004. Il s’agit d’un programme qui donne des bourses d’études pour que les étudiants des classes populaires (seulement ceux dont le revenu familial ne dépasse pas un salaire minimum et demi) puissent faire leurs études dans des institutions de l’enseignement supérieur privé. D’autres catégories d’étudiants peuvent avoir des bourses dont le montant oscille entre 25 et 50 % de la valeur de la mensualité du cours désiré. Les programmes compensatoires sont l’Université ouverte du Brésil et d’autres programmes d’Éducation à distance, le programme de l’Université pour tous, lié au Fonds de financement aux étudiants de l’enseignement supérieur (Fies). Pour celui-ci, l’étudiant fait des emprunts auprès d’une banque publique, la Caixa éconômica, pour financer ses études et commence à payer une fois qu’il a fini son cours et commence à travailler.

24La loi d’innovation technologique (loi n° 10.973 du 2 décembre 2004) institue des dispositifs qui assurent des ressources financières pour soutenir l’innovation et la recherche scientifique et technologique dans un champ productif et d’autres provenances. Le bénéfice financier est destiné à très peu de privilégiés. C’est dans cette logique que les enseignants-chercheurs deviennent de vrais entrepreneurs et que les infrastructures des universités peuvent être utilisées par les entreprises dans la mesure où elles sont liées à une équipe de recherche. Le professeur peut recevoir une bourse dite de stimulation à la recherche. Dans la pratique, il s’agit de fonds publics destinés aux entreprises [29]. Cette loi est comprise comme un partenariat entre le public et le privé. Une autre loi (n° 11.079) institue ce rapport depuis le 30 décembre 2004. L’ensemble de ces réformes du gouvernement Lula, soi-disant de gauche, viennent renforcer celles qui ont été réalisées dans les années 1990 par Fernando Henrique Cardoso.

4 – Le productivisme académique

25On parle beaucoup des enseignants-chercheurs, mais pas souvent de leurs conditions de travail. Les experts sous-estiment le rôle du contexte social et des conditions de travail et considèrent que la difficulté pour publier est une question personnelle ou presque, un attribut de la personne, en excluant d’autres interprétations. Le fait d’être repéré comme un enseignant-chercheur en difficulté à cause de la pression exercée, d’ordre hiérarchique, représente un risque pour la vie privée et cela peut expliquer en partie le silence ou les difficultés à exprimer la souffrance. Car si la plainte nous rassemble, ce n’est pas le cas de la souffrance qui isole. « Le souffrant est enfermé en lui-même. La souffrance ne se prouve pas, elle s’éprouve. Si l’homme dit l’intensité de sa douleur, il sait par avance que nul ne la partage, que nul ne peut la partager [30]. » L’analyse des entretiens nous montre bien l’existence d’une grande emprise du travail sur la vie quotidienne. À la question « Y a-t-il une interférence de la recherche et de l’enseignement dans votre vie privée, dans votre week-end et vos vacances ? », la réponse est claire : « Totalement, ce nom que vous avez prononcé, j’aimerais bien savoir qu’est-ce que c’est : vacances, vacances, vacances c’est quand un étudiant arrive à sa soutenance, vacances c’est quand on doit remplir des rapports de recherche, qui d’ailleurs tombent toujours pendant les vacances. Et quand est-ce qu’on prépare de nouveaux cours ? c’est pendant les vacances. Alors, quand on commence à travailler au niveau du troisième cycle, c’est plus grave encore parce que la charge de travail augmente. La famille se plaint, se plaint… » On voit bien des discontinuités qui sont caractéristiques de l’alternance quotidienne entre l’espace professionnel et l’espace de la vie privée [31].

26Une étude réalisée par Valdemar Sguissardi e João dos Reis Silva Junior [32] et s’appuyant sur des statistiques détaille l’intensification et la précarisation du travail des enseignants-chercheurs au Brésil. Les interrogations centrales portent sur les orientations officielles de la réforme au début des années 1990, les effets sur les identités institutionnelles et la manière dont le travail des professeurs a changé après les réformes ainsi que les effets qui se font sentir aujourd’hui. La recherche porte sur la région sud-ouest du Brésil. Pour les auteurs, il n’y a pas de doute que la réforme a modifié la qualité du travail immatériel et surtout de l’enseignant-chercheur au Brésil.

27L’analyse de la réforme de l’enseignement supérieur nous fait voir aussi l’existence d’un certain niveau d’aliénation au travail [33]. C’est pourquoi la recherche de Sguissardi et Silva Junior s’interroge sur le sens du travail de l’enseignant-chercheur dans le troisième cycle. La nouvelle gouvernance par la gestion crée des instruments juridiques pour évaluer et réguler les activités de recherche dans les universités publiques. Les notes attribuées aux cours de troisième cycle instituent une concurrence pour le financement de la recherche en établissant une compétition accrue entre les enseignants-chercheurs et en exerçant par la suite une grande pression sur eux. En effet, certains d’entre eux sont bien adaptés au système productiviste et compétitif. Il faut souligner que la concurrence n’est pas entre individus (comme dans les sociétés des petits producteurs) mais entre personnes morales, c’est-à-dire entre des entreprises qui ont un statut juridique et que le mode de fonctionnement est fondé sur le principe de la concurrence. Ce modèle « suppose que l’information comme la connaissance sont à la fois complètes, parfois et également distribuées au sein des agents économiques » [34]. Le principe de concurrence est à l’opposé de la connaissance comme phénomène collectif qui suppose l’existence et la stabilité des organisations. Comme le souligne bien Jacques Sapir lorsqu’il affirme que le « principe de la concurrence aurait pu être opposé à tous nos services publics, y compris, bien sûr, l’éducation, dont on sait que les thuriféraires de l’OMC et certains bureaucrates bruxellois entendent faire une simple marchandise » [35]. On aurait tort de vouloir faire de la concurrence un principe central de l’organisation de l’économie de la connaissance en transformant le savoir en une marchandise.

28Le plus important c’est la position du chercheur dans son champ d’investigation, ce qui est mesuré par la quantité de publications. Certains enseignants-chercheurs ne veulent plus diriger des thèses et maîtrises parce que cela signifie se soumettre aux exigences de la CAPES. Cette institution est responsable de la régulation et du contrôle du troisième cycle, ce qui se traduit par un processus de classement, reclassement ou déclassement. Pour échapper au déclassement, des enseignants-chercheurs préfèrent être des collaborateurs parce qu’ils maintiennent une position de prestige dans le champ académique et en même temps ne sont pas sous la pression, le stress et la souffrance. « La lutte dans la sphère de la microphysique du pouvoir, celle-ci associée à un syndrome du petit pouvoir a détruit des pactes institutionnels et des individus, en le conduisant chez le psychanalyste ou aux drogues [36]. »

29Le point de départ de la recherche a été d’établir un rapport entre la souffrance et les conditions de travail. Il est très difficile de nier l’anxiété et la souffrance des enseignants-chercheurs lorsque l’on considère les charges qui pèsent sur eux. Par ailleurs, j’ai pu constater aussi que les enseignants-chercheurs ont des satisfactions et du plaisir au travail, même si l’insatisfaction est notoire par rapport aux conditions de travail et aux salaires. La recherche par entretien a été conduite auprès d’enseignants-chercheurs de troisième cycle ayant des projets de recherche en cours et enseignant au niveau de la licence. L’enjeu de notre recherche vise à rendre compte de la perception que les enseignants-chercheurs ont de leurs pratiques et à voir surtout la souffrance liée aux activités professionnelles, aux conditions de travail et à la productivité qui est l’enjeu principal pour la recherche. L’attachement à la dimension de la recherche et du métier est d’ailleurs une des caractéristiques fortes de la population des enseignants-chercheurs interviewés. Chez certains, une insatisfaction existe vis-à-vis du déroulement de leur carrière dont l’origine se manifeste dans une frustration alimentée par le sentiment d’avoir un salaire en deçà de la conception qu’ils avaient de la carrière universitaire. C’est pour cette raison que presque tous donnent des cours le week-end pour subvenir à leurs besoins [37].

30Au niveau plus général, on a observé une inflation de travail administratif. Il devient clair que les activités d’enseignant-chercheur s’accompagnent de prises de responsabilité plus importantes et d’un investissement croissant dans la direction des thèses, la gestion du laboratoire, la recherche des contacts avec d’autres chercheurs et surtout la recherche des financements. Les tâches administratives sont : l’organisation des recrutements des étudiants, l’organisation des jurys de soutenance de mémoires et de thèses, l’organisation des colloques et séminaires, l’organisation de journées d’étude, l’ingénierie pédagogique, les multiples échanges téléphoniques et e-mails visant à régler des problèmes de tous genres, les réunions entre enseignants du département et du programme de troisième cycle, les relations avec les services internes de l’université, la lecture des travaux des élèves à tous les niveaux, etc. L’ensemble de ces activités est peu visible, mais ce sont elles qui fractionnent les journées et augmentent la charge mentale des enseignants-chercheurs. Voilà pourquoi le temps de travail empiète largement sur celui des vacances et de la vie quotidienne à cause de l’intensification du travail [38]. Or le temps est une construction sociale dont la structuration est le résultat des multiples actions. Ce sont les séquences temporelles qui donnent un sens et structurent la vie quotidienne. La recherche nous montre bien qu’il n’y a pas une véritable frontière entre la vie professionnelle et la vie privée, ce qui est étroitement lié à la charge de travail et au productivisme. Ces contradictions nous permettent de dire, avec Jean Foucart, que « la souffrance réside dans une impossibilité de donner sens à une série semi-aléatoire de logiques, de construire les compromis entre ces diverses cohérences, reconstruire une séquence d’actions. Il convient de bien souligner que l’histoire d’une pratique ne se réduit pas à une série unique d’événements singuliers. Dans chaque configuration, les individus jouissent d’un certain degré de liberté, pour imposer une logique d’action [39]. »

31La fragmentation entre l’enseignement et la recherche est une caractéristique de l’Université brésilienne [40]. Une hiérarchie existe entre les Universités qui se consacrent uniquement à l’enseignement et celles qui se consacrent plus à la recherche. Il en va de même des différentes perceptions des professeurs interviewés en ce qui concerne les activités de l’enseignant-chercheur, mais il existe plus de points de convergence que de divergence. Dans l’ensemble, la souffrance apparaît sous différentes formes, même si cela est rarement verbalisé étant donné que le concept n’est pas inscrit dans l’ensemble des questions. Comme on peut le voir par ce témoignage : « On sent trop la pression. On envoie des articles aux revues et des fois ils ne répondent même pas. Alors, les exigences de la production, on sent une frustration pour ne pas avoir rempli les exigences, parfois on croit que les exigences sont au-delà des limites. Mais il y a toujours une sorte de frustration entre les pairs, on sent que l’on ne suit pas les exigences et je crois qu’il y a une souffrance collective. Parce que parfois on cesse d’assurer la direction de recherche d’un étudiant pour donner la priorité à d’autres activités ou à la production. » On s’aperçoit que la souffrance n’est pas seulement un problème individuel, mais est aussi collective. L’hypothèse de la sociologie de la souffrance de Jean Foucart [41] est que la souffrance est le produit d’une brisure de la confiance qui est à l’origine de l’angoisse. Celle-ci se caractérise par une impossibilité de projet dans un temps normal. « L’angoisse, spécifique à la souffrance, se caractérise par un affaiblissement des points d’appui et par la précarisation des conditions de confiance [42]. » Il faut concevoir la confiance comme condition du déroulement de toute interaction sociale.

32Même si des enseignants-chercheurs prennent conscience des contradictions, ils continuent à travailler en sacrifiant leur temps libre, en travaillant le week-end et en renonçant à une partie des congés auxquels ils ont droit. Les enseignants-chercheurs doivent avoir de multiples compétences; ils doivent être de bons administrateurs pour bien réussir leur propre « entreprise ». Il faut savoir gérer son propre temps, celui de l’institution et celui des étudiants. Tous les professeurs interviewés parlent de l’intensification du travail. La plupart d’entre eux signalent que le travail administratif est moins gratifiant [43] et qu’il réduit le temps pour la recherche. En général, il arrive que ceux qui sont dans l’administration produisent moins. Lorsqu’on demande à un professeur quelle est l’année où il a produit le moins, il dit : « C’était l’année où j’étais le doyen. Je sentais une très forte pression, exercée tout le temps par les exigences des collègues, alors que moi je n’avais plus de conditions pour produire, ce n’est pas facile. » Dans ce témoignage on voit bien que l’individu est pris entre des obligations sociales contradictoires et se trouve dans un état d’indétermination sociale. C’est pourquoi il est important de saisir qu’il existe une relation entre les contraintes (entendues comme règles) et l’ordre symbolique.

33La productivité ne peut être pensée sans les règles d’évaluation qui prennent une place de plus en plus grande dans ce mode d’organisation bureaucratique des universités où la division accrue entre les universités fait apparaître une nouvelle catégorie professionnelle qui est celle des évaluateurs professionnels. En Allemagne, les évaluateurs professionnels s’imposent par le biais de la notion d’« expertise internationale » et après une courte visite (ceci est une caractéristique des consultants) ils peuvent définir les enseignements à supprimer [44]. Ceci établit une concurrence généralisée entre les universités et les enseignants-chercheurs eux-mêmes, par la création d’un marché de l’enseignement supérieur – qui, dans le cas du Brésil, est davantage favorisé par la mise en place de la réforme des universités. En décembre 2013, un expert est venu observer le programme de troisième cycle en Éducation pour en dresser une évaluation ; il en est résulté qu’un des cours a dû changer d’orientation (celui de théorie des sciences sociales) et que des enseignants-chercheurs ont été obligés de quitter le programme, pourtant déclassé, en raison du fait qu’ils n’avaient pas la production nécessaire requise par la CAPES.

34Il est certain que les exigences du productivisme poussent les enseignants-chercheurs à trouver des alternatives pour augmenter leur production. Or la transformation de la connaissance en marchandise fictive a des effets réels sur l’organisation du travail et les rapports sociaux dans les universités. La dimension business de l’enseignant-chercheur se voit dans le fait qu’il doit trouver lui-même les financements pour ses recherches en répondant aux appels d’offres et en s’insérant dans un réseau de relations aux niveaux national et international. « Le nouvel opérateur, comme on dit aujourd’hui, est censé devoir être de plus en plus autonome, responsable, capable de participation et de coopération. Il doit être aussi le plus souvent particulièrement bien formé et qualifié [45]. » Les attributions de l’enseignant-chercheur sont l’enseignement, la recherche et l’administration. Toutes ces évolutions ont comme effet de transformer le travail universitaire. Les pressions sur les enseignants-chercheurs se caractérisent par la menace permanente d’un reclassement ou un déclassement au cas où ils n’arriveraient pas à atteindre la production requise. Ils sont soumis à des relations hiérarchiques au nom d’une logique et d’un discours qui semblent valoriser l’enseignement et la recherche, mais qui en fait mettent l’accent sur la productivité individuelle et la concurrence accrue. C’est pourquoi l’élaboration d’une stratégie d’optimisation de l’effort devient nécessaire en vue d’une maximisation de la production.

35Dans cette perspective, la coproduction avec les étudiants est devenue une pratique courante, au Brésil, pour augmenter la production d’articles et la participation aux congrès scientifiques [46]. Cela dans le troisième cycle où les étudiants sont obligés de publier avec les patrons des masters ou des doctorats. Or on n’a pas trouvé d’écrits de la CAPES traitant de cette problématique. Un expert de la CAPES nous dit : « Je ne connais aucune norme de la CAPES qui imposerait la coproduction avec les élèves comme si c’était une exigence. J’ai entendu des étudiants faire la demande de correction d’un article à des professeurs et la réponse était : oui je le fais, mais pour cela il faut mettre mon non comme coauteur. Alors c’est que ces pratiques existent. » À cela, un autre expert de la CAPES nous dit : « Regardez mon curriculum vitae, il n’y a aucun article en coproduction avec les étudiants. Ce n’est pas parce qu’on a lu le texte des étudiants et que l’on y a apporté des corrections pour obtenir un texte de très bonne qualité, que l’on a le droit de cosigner. Mais pour tout cela on est payé. Il n’y a pas de raison pour cosigner l’article. »

36Les enseignants-chercheurs entrepreneurs utilisent la force de travail gratuite des étudiants avec pour objectif d’augmenter leur profit personnel [47]. Et l’étudiant paie aussi la facture parce qu’il doit soutenir la défense de son travail dans le délai imposé par la CAPES, ce qui signifie une tâche supplémentaire pour l’enseignant-chercheur qui doit assurer un suivi individuel de ses étudiants. Cette gestion du temps est inspirée de la réforme de Bologne qui institue que chaque étudiant doit avoir un suivi individuel.

5 – Le métier d’enseignant-chercheur

37Après la lecture de plusieurs travaux et d’après les résultats de la recherche, il apparaît que le métier d’enseignant-chercheur est défini par une répartition du travail entre la recherche, l’enseignement et les responsabilités administratives, dont les liens varient selon les Universités et les régions au Brésil [48]. La carrière est caractérisée aussi par les contraintes familiales. Celles-ci servent de variable d’ajustement pour dégager du temps pour l’activité de recherche. Certains ont payé le prix fort, comme l’a bien dit un professeur. Les lourdes tâches administratives font partie d’un processus de rationalisation gestionnaire de l’Université comme entreprise. Les collègues qui acceptent pleinement les critères imposés par la CAPES (nombre de publications) ne comprennent pas bien ceux qui résistent encore aux impositions de la CAPES. Ce qui représente une nouvelle hiérarchisation sociale et symbolique des tâches de travail entre les collèges au sein des départements et facultés et une autre hiérarchisation entre les enseignants-chercheurs, ceux qui ont des projets financés, des bourses de productivité et ceux qui ont seulement le projet de recherche sans le financement.

38L’enseignement et la recherche correspondent à une configuration complexe des activités et des responsabilités qui ne conduit pas aux mêmes charges de travail. Celui qui a une bourse de productivité et dont le projet de recherche est financé a sans doute plus d’activités. Même si tous doivent articuler la recherche et l’enseignement à la licence et au troisième cycle. Dans ce sens se développe un travail qui est invisible, pour employer l’expression de Philippe Losego [49]. On peut alors se dire que le travail bureaucratique et pédagogique (cours et direction de la recherche des étudiants) bouleverse l’équilibre de la temporalité ancienne de la recherche, je veux dire, le temps long de la recherche et de la maturation intellectuelle, conceptuelle qui se distingue aussi bien du temps du flux des activités administratives que du temps de la production matérielle. L’accroissement des différentes temporalités n’est pas facile à gérer et pourtant l’enseignant-chercheur doit faire face quotidiennement à ce problème. Ce qui ne va pas sans une certaine souffrance, l’enjeu étant l’éthos de l’enseignant-chercheur et son propre métier.

39La transformation de la connaissance en une marchandise fictive installe un lent processus de déclassement des pratiques de la recherche au Brésil, comme un peu partout ailleurs, et la rupture des interdépendances entre l’enseignement et la recherche. Lorsqu’on cherche à établir des rapports entre les questions liées à la gestion du travail, les impactes sur la santé sont importants. Cela produit des situations qui ne sont pas encadrées comme maladies, mais qui doivent être comprises comme des indicateurs de souffrance mentale qui sont des effets liés à la charge de travail. Les principaux éléments stressants sont liés au fait qu’il y a beaucoup de choses à faire en très peu de temps. À cela s’ajoute le manque de solidarité de la part des chefs et des propres collègues de travail. La conséquence la plus connue de ces situations au travail est le syndrome de burn-out [50]. Un travail reste à faire pour comprendre la faiblesse des réactions des enseignants-chercheurs à cette réforme qui instaure de nouvelles formes de rationalisation et de gestion du temps de travail. Ainsi, ce métier d’enseignant-chercheur se trouve dans un jeu de concurrences. Charles Soulié s’interroge sur les effets de la précarité et la constitution d’une vraie armée de réserve de la recherche.

6 – Conclusion

40Le productivisme s’inscrit dans une logique particulière qui est celle de la carrière. Celle-ci exige la production d’un curriculum. Antonio Candido, dans un article publié en 1981, avait déjà montré son inquiétude par rapport à la formation du nouveau chercheur et la production du curriculum vitae. « Aujourd’hui, dans les écoles supérieures, le professeur le plus apprécié est celui qui ajoute chaque année une nouvelle page à son curriculum vitae. Alors qu’auparavant il était intéressé par la formation de ses étudiants, aujourd’hui il s’intéresse plus au développement de sa propre carrière. Le plus grave, c’est que les écrits ne sont pas nécessairement une contribution originale [51]. » L’université n’accepte par un professeur qui ne produit pas pour son curriculum vitae. Celui-ci est une arme décisive dans la compétition, c’est pourquoi les stratégies pour la production du curriculum sont diversifiées et l’idée de coproduction avec les élèves se transforme en idéologie. Dans une autre perspective, l’analyse de Sylvain Piron nous fait saisir que, lorsque les indicateurs bibliométriques [52] sont pris comme des indicateurs de performance et des instruments qui orientent les prises de décision, ils deviennent la finalité qui dirige les comportements des acteurs et pas simplement un instrument de mesure.

41Les stratégies de recherche ainsi que les cours au niveau de la licence sont lourdement affectés par ce modèle de gouvernance chiffré. La stratégie fondamentale est que, pour maximiser la publication, il ne faut surtout pas écrire des livres mais des articles brefs. Il convient aussi de mener des stratégies de publication et pour cela il faut y consacrer du temps. En effet, Ahmet Insel a raison lorsqu’il affirme qu’on « mesure la productivité du chercheur à partir d’un prix fictif et le monde de la recherche s’adapte aux exigences de la formation de ce prix sous la contrainte du choix entre publier ou périr ». Cette relation étroite entre ces modalités d’évaluation, qui sont spécifiques au marché financier, et le marché du savoir nous fait comprendre le nouveau régime d’accumulation du capitalisme cognitif. Ce qui est en jeu, c’est la carrière de l’enseignant-chercheur ainsi que l’existence du programme de troisième cycle auquel il appartient.

42Le concept de carrière s’inscrit dans un mouvement des relations humaines, à l’origine limité aux cadres, et l’objectif est de permettre le développement systématique des ressources humaines en prenant en compte les besoins des cadres et la collaboration avec ses supérieurs. « Il doit être aussi convaincu que ses capacités seront utilisées au maximum et qu’il pourra atteindre les postes les plus élevés que lui permettent ses capacités [53]. » Ce raisonnement est profondément centré sur l’individu sans considérer les conditions économiques et sociales qui sont à l’origine de ses possibilités ainsi que les difficultés rencontrées à remplir les tâches professionnelles. Dans la logique du marché, la carrière devient nécessaire pour maintenir à un certain niveau le moral des enseignants-chercheurs, ce qui permet d’éliminer un possible sentiment d’improductivité [54]. À vrai dire, c’est l’idéologie de la carrière qui fait apparaître la nécessité d’un système d’évaluation qui récompense ceux qui arrivent à réussir leurs propres carrières.

43Les nouveaux modes de régulation des universités mettent en œuvre de plus en plus une logique productiviste, une rationalité technique et pragmatique. L’investissement de l’État dans l’éducation est réduit et le marché intervient de plus en plus dans les fonctions des Universités en exigeant la production en accord avec les nécessités des entreprises. Une relation est établie entre les universités qui produisent la connaissance et les entreprises qui sont chargées de la consommation en fonction de la demande du marché. On va vers la privatisation de la connaissance qui fonde le capitalisme académique [55], étant donné que la connaissance est mise en vente sur le marché afin de procurer des fonds pour le fonctionnement de l’Université. Tout cela dans la logique de la compétition.

44La compétition pour le financement de la recherche oblige les enseignants-chercheurs à s’orienter vers l’obtention de financements externes et pour cela il faut s’adapter aux exigences des appels à financement (editais[56]). Pour obtenir des financements, les enseignants-chercheurs doivent être productifs et s’adapter aux normes des agences de régulation de ce secteur. Dans le cas du Brésil, c’est la CAPES qui est responsable de l’établissement du niveau d’excellence en troisième cycle. Ce qui est demandé est au moins un article publié par an dans une revue (indexée au Qualis) qui soit niveau A ou B. Sont également requis : la capacité d’avoir un projet de recherche avec financement externe ; la participation aux congrès aux niveaux national et international ; l’insertion dans des commissions d’évaluation ; l’obtention de bourses de productivité ; avoir des élèves en maîtrise et doctorat qui soutiennent dans les délais prévus par la CAPES ; avoir en direction des élèves dans ce qu’on appelle l’initiation scientifique (niveau licence et ayant en général une bourse) ; donner des cours au niveau de la licence, de la maîtrise et du doctorat. Il s’agit des indicateurs de productivité pour que l’enseignant-chercheur puisse avoir la chance d’obtenir des financements externes. Or les financements sont limités. Dès lors, un facteur qui peut définir la destination d’un financement est la quantité d’articles ou de chapitres de livres.

45Au fur et à mesure que les enseignants-chercheurs arrivent à un niveau élevé, les universités auxquelles ils sont liés sont elles-mêmes bien classées, sont plus compétitives sur le marché des biens symboliques et peuvent avoir plus de financements privés. Il s’agit là d’une logique perverse dans la mesure où elle provoque chez les enseignants-chercheurs le sentiment d’être responsables du succès et des échecs de l’Université. Cela signifie que la charge de travail de ces professionnels ne fait qu’augmenter et avec elle les problèmes psychologiques tels que la dépression, le stress, la fatigue. Ce qui conduit certains à avoir peu de confiance et d’estime d’eux-mêmes. C’est ainsi la société des individus qui fait augmenter les incertitudes parce que les régulations collectives ne sont pas présentes pour maîtriser les aléas de l’existence sociale. Ce qui impose une mise en concurrence exacerbée, une productivité maximale et, enfin, la souffrance comme effet du productivisme.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : évaluation, enseignant-chercheur, université, souffrance sociale, productivisme

Mise en ligne 11/06/2015

https://doi.org/10.3917/pp.038.0045

Notes

  • [1]
    Professeur à l’Université Fédérale du Maranhão (UFMA). Enseignant-chercheur de troisième cycle au Programme de Post-Graduation en Sciences Sociales et en Sciences de l’Éducation, ses recherches portent sur la Sociologie de l’Éducation et la Sociologie économique. E-mail : antonio.paulino@terra.com.br.
  • [2]
    Cette enquête par entretien a été faite auprès des enseignants-chercheurs de l’Université Fédérale du Maranhão (UFMA). Il s’agit d’une recherche collective en cours. Les étudiants de maîtrise et membres du groupe de recherche, Antonio Carlos, Kellen Regina Morais Coimbra, Claudia Maria Santos de Jesus, Cecilia Ordoñez, Marcone Dutra, Paulo César Garré et Doracy Gomes Pinto participent activement de la recherche en contribuant dans les entretiens ainsi qu’aux débats au niveau théorique. Un grand merci à Armelle Lebars pour la révision du français.
  • [3]
    Pierre Bourdieu, Homo academicus, Paris, Les Éditions de Minuit, 1984.
  • [4]
    J. M. Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Paris, Payot [1969], 2005, p. 171.
  • [5]
    Ahmet Insel, « Publish or Perish ! La soumission formelle de la connaissance au capital », Revue du Mauss, 2009/1, n° 33, p. 145, en ligne : http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2009-1-page-141.htm.
  • [6]
    Ibid., p. 146.
  • [7]
    Ibid., p. 148.
  • [8]
    Sandrine Garcia, « Réformes de Bologne et économisation de l’enseignement supérieur », Revue du Mauss, 2009/1, n° 33, en ligne : http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2009-1-page-154.htm.
  • [9]
    Olivier Beaud, « Pourquoi il faut refuser l’actuelle réforme du statut des universitaires », Revue du Mauss, 2009/1, n° 33, en ligne : http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2009-1-page-92.htm.
  • [10]
    Ibid., p. 94.
  • [11]
    Geneviève Azam, « La connaissance, une marchandise fictive », Revue du Mauss, 2007/1, n° 29, p. 124, en ligne : http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2007-1-page-110.htm.
  • [12]
    José Dias Sobrinho, « Evaluación de la educación superior en Brasil: la cuestión de la calidad », in Pedro Krotsch, Antonio Camou, Marcelo Prati (dir.), Evaluando la evaluación: políticas universitarias, instituciones y actores en Argentina y en América Latina, Prometeo, Buenos Aires, 2007.
  • [13]
    Les principales Universités brésiliennes ont été fondées entre les années 1920 et 1930. La Usp, par exemple, a été fondée en 1934.
  • [14]
    Cristophe Charles souligne que l’imitation du modèle américain est reconnue par les responsables de la réforme de l’enseignement supérieur en France. Christophe Charles, « Université et recherche dans le carcan technocratique », Le Monde diplomatique, septembre 1999, en ligne : http://www.monde-diplomatique.fr/1999/09/CHARLE/12429. Pour une analyse du modèle américain, voir l’excellente analyse de Noam Chomsky, Réflexions sur l’Université. Suivis d’un entretien inédit, Paris, Raison d’agir, 2010.
  • [15]
    Alberto L. Bialakoswsky en collaboration avec Mercedes Patrouilleau et Cecilia M. Lusnich, « Rationalités universitaires et travail en Amérique latine sous le néolibéralisme », Revue du Mauss, 2009/1, n° 33, p. 186, en ligne : http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2009-1-page-185.htm.
  • [16]
    Ahmet Insel, op. cit., p. 142.
  • [17]
    CEPAL, Transformación Productiva con Equidad. La tarea prioritaria del desarollo de la América Latina y Caribe en los años noventa, 1990.
  • [18]
    CEPAL, Educación y conocimiento: eje de la transformacion productiva con equidad, 1992.
  • [19]
    Pour la Cepal, il faut que les Universités établissent des coopérations avec des entreprises privées et acquièrent un esprit d’entreprise. Olgaíses Maués, « Produção do conhecimento versus produtivismo e a precarização do trabalho docente », Revista Universidade e Sociedade, Sindicato Nacional dos Docentes das Instituições de Ensino Superior, Ano 1, n° 1, 1991, p. 23.
  • [20]
    Azam Geneviève, op. cit., p. 113.
  • [21]
    Robert Castel, La montée des incertitudes. Travail, protection, statut des individus, Paris, Seuil, 2009, p. 28.
  • [22]
    Luc Boltanski, La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique, Paris, Gallimard, 2007, p. 61.
  • [23]
    Marilena Chaui, Escritos sobre a Universidade, São Paulo, Ed. Unesp, 2001.
  • [24]
    Luiz Carlos Bresser Pereira, Crise econômica e reforma do Estado Brasileiro: uma nova interpretação da América Latina, São Paulo, Editora 34, 1996. Le plus intéressant, c’est que l’auteur définit sa théorie comme neodesenvolvimentista.
  • [25]
    Brasil, 2003, p. 9.
  • [26]
    Celia Regina Otranto, « Desvendanto a politica da educação do governo Lula », Universidade e Sociedade, Brasilia, 19, n° 38, janeiro de 2006, p. 23.Voir aussi, « Brasil. Presidência da República. Grupo de Trabalho Interminesterial. Bases para o enfrentamento da crise emergencial das universidades brasileiras e roteiro para a reforma da universidade brasileira », Brasilia, DF, 2003.
  • [27]
    Christian Laval, « Les nouvelles usines du savoir du capitalisme universitaire », Revue du Mauss, 2009/1, n° 33, p. 173, en ligne : http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2009-1-page-173.htm.
  • [28]
    David F. Noble, « Digital diploma mills: The automation of higher education », New York: Monthly Review Press, 2003.
  • [29]
    Ibid., pp. 24-25.
  • [30]
    Jean Foucart, Sociologie de la souffrance, Bruxelles, De Boeck Université, 2003, p. 111.
  • [31]
    Cf. Alain Touraine, La fin des sociétés, Paris, Seuil, 2013, pp. 327-332.
  • [32]
    João dos Reis Silva Junior, Valdemar Sguissardi, Eduardo Pinto e Silva, Trabalho intensificado nas federais. Pos-graduação e produtivismo adadêmico, São Paulo, Xamã, 2009.
  • [33]
    Voir à ce propos l’excellent travail de Denise Lemos sur l’aliénation des enseignants dans l’Université Fédérale de Bahia, « Alienação docente? O professor no centro das contradições », Universidade e Sociedade, Brasilia, 19, n° 45, janeiro de 2010.
  • [34]
    Jacques Sapir, La fin de l’eurolibéralisme, Paris, Seuil, 2006.
  • [35]
    Ibid., p. 56.
  • [36]
    João dos Reis Silva Junior, Valdemar Sguissardi, Eduardo Pinto e Silva, « Trabalho intensificado na universidade Brasileira », Universidade e Sociedade, Brasilia, 19, n° 45, janeiro de 2010, p. 16.
  • [37]
    Ce qui demande du temps parce qu’il faut se déplacer et que le trajet se fait par bus – en général, ils partent le vendredi et retournent le dimanche. Le trajet se fait de São Luis à une autre ville, en moyenne il faut 8 heures pour l’aller-retour. Les cours ont lieu le samedi matin de 8 h à 12 h et l’après-midi de 14 h à 18 h. Le dimanche seulement jusqu’à midi. Il faut quatre week-ends pour donner un cours de 60 heures. Les enseignants-chercheurs acceptent ce type de travail pour augmenter leurs salaires.
  • [38]
    Ce qui n’est pas très différent en France où l’intensification du travail est significatif et beaucoup de jeunes docteurs sont au chômage. Cf. Sylvie Faure, Charles Soulié, Mathias Millet, « Rationalisation, bureaucratisation et mise en crise de l’éthos académique », Regards sociologiques, n° 31, juin 2006, p. 83.
  • [39]
    Jean Foucart, op. cit., p 145. L’auteur aborde la souffrance à partir du modèle multidimensionnel.
  • [40]
    Sur ce point, voir Antonio Paulino De Sousa, « Entre o ensino e a pesquisa », Revista discente perspectivas sociais, vol. 3, 2014.
  • [41]
    Jean Foucart, op. cit.
  • [42]
    Jean Foucart, op. cit., p. 45.
  • [43]
    Sur ce point, voir le témoignage significatif d’un maître de conférences en chimie qui a beaucoup investi dans la création et le développement du département alors que cela n’a pas été pris en compte dans son avancement dans la carrière. Ce temps a représenté un trou d’environ 5 ans dans le dossier recherche. Cf. Sylvie Faure, Charles Soulié, Mathias Millet, op. cit., p. 17.
  • [44]
    Cette problématique n’est pas différente de celle que l’on trouve au Brésil, comme on le verra par la suite avec des exemples concrets à l’appui.
  • [45]
    Robert Castel, op. cit., p. 177.
  • [46]
    Dans les congrès, les étudiants présentent parfois seuls des travaux qu’ils ont écrit, mais sur lesquels figure aussi la signature du directeur de thèse ou de mémoire de maîtrise.
  • [47]
    Ce profit n’est pas nécessairement monétaire, mais plutôt symbolique. Il faut considérer que les dépenses d’achats de livres nationaux et étrangers sont considérables et que, même quand l’enseignent-chercheur a une bourse productivité, cela ne représente pas beaucoup face à ces dépenses. Or, tout dépend aussi d’autres variables telles que le fait d’être célibataire ou marié. Dans le cas d’un enseignant-chercheur marié, il faut savoir combien d’enfants vont à l’école vu qu’au Brésil si on veut que les enfants aient accès à l’université publique il faut payer pour qu’ils fassent leurs études dans une école privée, qui coûte très cher. L’enseignant-chercheur doit avoir un esprit d’entrepreneur, mais il ne gère pas une bourse suffisante pour la recherche et la vie privée. À vrai dire, il ne gère que la pénurie.
  • [48]
    On peut voir que, dans le cas de la France, le métier d’universitaire n’a pas été institué de la même façon selon les facultés. Cf. Sylvia Faure, Charles Soulié, Mathias Millet, « Rationalisation, bureaucratisation et mise en crise de l’éthos académique », Regards sociologiques, n° 31, juin 2006.
  • [49]
    Philippe Losego, « Le travail invisible à l’université : le cas des antennes universitaires », Sociologie du travail, n° 46, 2004.
  • [50]
    Sur le rapport entre le capitalisme organisationnel et la santé au travail, voir l’analyse faite par Francisco Antonio de Castro Lacaz, « Capitalismo organizacional e trabalho – a saúde do docente », Universidade e Sociedade, Brasilia, 19, n° 45, janeiro de 2010.
  • [51]
    Antonio Cândido, « Escola e associações docentes », Revista Linha d’Agua, n° 2, março 1981, p. 8.
  • [52]
    Sylvain Piron, « Lisons Peter Lawrence, ou les implications morales de l’évaluation bibliométrique », décembre 2008, en ligne : http://evaluation.hypohteses.org/229.
  • [53]
    Luc Boltanski, Les cadres. La formation d’un groupe social, Paris, Les Éditions de Minuit, 1982, p. 220. La rationalisation de la carrière est une préoccupation dominante des gestionnaires. Dans la grande entreprise bureaucratisée, la distribution du pouvoir et du profit ne trouve plus explicitement sa légitimité dans la possession économique ou dans les relations familiales et sociales. « C’est la détermination formelle des propriétés du poste, des critères d’aptitudes que doivent posséder les titulaires et surtout la mise en relation de ces deux grilles d’évaluation qui sont au principe de tous les systèmes d’évaluation, des plus simples aux plus sophistiqués […] que les organisateurs ont inventés ou, le plus souvent, importés des États-Unis dans les années 1950 » (ibid., pp. 222-223).
  • [54]
    Marilena Chaui, op. cit.
  • [55]
    Ce concept est utilisé par Slaughter et Leslie pour désigner la soumission des Universités à l’économie et au marché. C’est l’appropriation de la connaissance par un secteur de l’économie qui est en jeu. Pour les auteurs, le capitalisme académique est au fondement des institutions de l’enseignement supérieur dans notre société globalisée où l’État n’exerce par son rôle de régulateur en matière d’investissement financier dans le secteur. Cité par Oligaíses Maués, op. cit., pp. 27-28.
  • [56]
    Cette problématique est plus claire lorsqu’on saisit que les cours de sciences sociales, pour ne donner qu’un exemple, sont organisés en deux filières : l’une qui prépare les élèves uniquement pour l’enseignement et l’autre qui les orientent vers la recherche.
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