Notes
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[1]
L’auteur est assistant social et docteur en sociologie, chargé de mission au CPAS de Charleroi, maître assistant et maître de formation pratique au département social de la Haute École Charleroi Europe.
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[2]
Voir José Pinilla, « Les dix péchés de la dame patronnesse », Pensée plurielle, n° 5, 2003/1.
-
[3]
S.N.C.B. : Société Nationale de Chemins de Fer Belges.
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[4]
On se souvient de la blague de Coluche concernant les fonctionnaires : ceux qui arrivent croisent ceux qui partent.
-
[5]
Criminogène en dernière instance, car ne pas aider un justiciable à se réinsérer, à remplir ses conditions imposées par le magistrat peut s’avérer à terme criminogène (retour en prison avec des conséquences à la longue en termes de difficulté de réinsertion sociale et de récidive). Voir, à ce propos, Denis Dobbelstein et José Pinilla, L’accès aux droits et à la justice, Bruxelles, Éditions La Charte, 1999.
-
[6]
Abdelmalek Sayad (1991), L’immigration et les paradoxes de l’altérité, Bruxelles, Les Éditions universitaires, De Boeck Université.
-
[7]
Voir, à ce propos, Henri Mintzberg, Le pouvoir dans les organisations, Paris, Éditions d’Organisation / Éditions Agence d’Arc INC, 1986.
-
[8]
Elizabeth Vonlanthem, Psychiatrie – précarité : une approche du travail social en hôpital neuro-psychiatrique, Mémoire, Institut Social Catholique, année 2002-2003. Témoignage tiré de : http:// users. skynet. be/ interzone/ 3agnelet. html.
-
[9]
Des impressions, ainsi s’exclamait une juriste de C.P.A.S. dénonçant la pratique d’une minorité de travailleurs sociaux qui font passer leurs « impressions » avant les considérations de faits et de droits.
-
[10]
Raymond Quivy, Danièle Ruquoy et Luc Van Campenhoudt, Malaise à l’école : les difficultés de l’action collective, Bruxelles, Publication des Facultés universitaires Saint-Louis, 1989 ; José Pinilla, Approches sociologiques du travail social, de la dépendance du champ aux alternatives, dissertation doctorale, Université catholique de Louvain, 1995. Ces deux références abordent le lien étroit entre malaise des acteurs et difficultés de l’action collective.
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[11]
Voir, à ce propos, Michel Fondriat, Sociologie des organisations, 2e éd., Paris, Pearson Education, 2007 ; Michel Crozier et Erhard Friedberg, L’acteur et le système, Paris, Le Seuil, 1977.
-
[12]
Ce thème de la résignation fut abordé par les chercheurs du CERISIS (Université catholique de Louvain). En effet, la théorie de l’attribution (Abramson, 1978) explique comment asseoir une résignation chez le sujet en lui imputant la responsabilité de la situation. In David Van Ypersele et Ginette Herman, Recherche évaluative du projet de réinsertion sociale et professionnelle à Dampremy, août 1998, p. 5.
-
[13]
L’objectif pédagogique visé consiste à faire en sorte que l’étudiant n’étudie pas passivement le cours, mais qu’il le comprenne en établissant des passerelles avec la vie (le stage, les autres cours, la vie privée, l’actualité, etc.). Tandis que la fiche de transfert part d’une situation réelle observée, le roman social permet un voyage imaginaire. Dans les deux cas, l’étudiant doit se plier à une grille de référence qui fixe des critères.
1 – Du côté de l’acteur, sans oublier le système
1La formule du « syndrome de confort » m’est apparue spontanément avec ma casquette de professeur de pratique professionnelle au sein d’une école sociale. Je supervisais une étudiante de troisième année « assistante sociale » qui effectuait son stage au sein d’un hôpital. Souhaitant sortir des sentiers battus, l’étudiante se propose de mettre en place un groupe de parole destiné à des patients affectés d’une pathologie cardiaque. Effrayée par l’innovation, par la peur du changement et la perspective d’avoir à gérer les prolongements de l’initiative, sa chef de stage – une authentique dame patronnesse [2] – lui mettra des bâtons dans les roues jusqu’au bout. C’est dans son travail de fin d’étude que l’étudiante écrit : « À force de remplir des papiers, on “fonctionne” et on a tendance à oublier le côté humain du travail social. Toutefois, j’ai profité de mon statut de stagiaire pour prendre le temps d’écouter les gens ». Le concept de « syndrome de confort » est lancé et, à partir de là, je mets en garde mes étudiants de troisième année sur ce danger qui n’est pas que virtuel.
2Une précision s’impose : le syndrome de confort concerne toutes les professions et tous les lieux de travail, tant dans le secteur public que privé. Un cadre est engagé à la S.N.C.B. [3], il constate qu’une dizaine de personnes font la file depuis dix minutes ; naïf, il ne se doute pas qu’elles attendent 16 h précises devant la pointeuse.
3Le syndrome – qui se caractérise selon moi par des formes dures et persistantes – n’est pas toujours à assimiler à la paresse. C’est comme si un certain confort conduisait à renoncer à un devoir d’initiative, de proposition. On renonce à interroger les pratiques ou à formuler des suggestions constructives pour agir, notamment sur les causes des problèmes. On détourne la tête pour éviter l’obstacle. On botte en touche. Le renoncement concerne la réflexion et l’action. Il peut être motivé pour des raisons stratégiques : par l’envie de préserver la tranquillité ou le bien-être, pour garder du temps libre et des marges de liberté, par souci de sécurité (ne pas prendre de risques, ne pas lâcher prise, ne pas déplaire à la hiérarchie ou aux pairs, ne pas oser se tromper, préserver un équilibre, fût-il précaire…). Il peut être induit par le système si bien qu’on interroge le syndrome en regard d’un contexte institutionnel englobant (culture, mode de gestion du personnel, dynamique d’équipe, moyens mobilisés pour atteindre les objectifs, quantité de travail, etc.). En effet, au même titre que l’obscurité ou l’humidité pour la mérule, certains milieux professionnels favorisent son émergence ainsi que son installation durable.
4C’est entendu ! Le syndrome de confort choisit en quelque sorte la porte d’entrée de l’acteur. Répétons-le, ce n’est pas pour cela qu’il faut faire l’économie du système duquel il fait partie et qu’il alimente. Nous évoquerons trois formes de syndrome de confort : celle du glandeur, celle du technocrate et celle du couillon.
2 – Le syndrome de confort : version « glandeur »
5Comme disait l’ancien Premier ministre français Raymond Barre : « Il faut mettre un frein… à l’immobilisme ». On reconnaît la personne affectée par le syndrome de confort dans sa version « glandeur » au fait que son travail lent et routinier le fatigue. Il éprouve le besoin de se reposer de la fatigue consécutive à une forme spécifique de repos. Il nous fait parfois penser à l’approche de l’imparfait d’Eric Orsenna (La grammaire est une chanson douce) : « L’imparfait est un temps de la durée, qui s’étire, c’est du temps qui prend son temps. »
6Au sein d’une Maison de justice, chaque assistant de justice gère ses dossiers dans son coin. On ne sent pas un projet fédérateur qui transcende les actions individuelles. Un management laxiste permit à certains de prendre le pli. L’assistant de justice Arnaud est victime d’une forme dure du syndrome. Tandis qu’il n’habite pas très loin de son lieu de travail, il arrive vers 9 h 45 - 10 h. Il vient au bureau avec son set de table en osier, la petite bouteille de lait à décapsuler, son bol de céréales, son carré de beurre. Sa machine à café est activée. Il va à la toilette sans se presser. Il ouvre l’ordinateur pour se protéger de la hiérarchie au cas où. Il téléphone à ses potes…
7Dans tel autre service social, un usager, « un emmerdeur » vient interrompre la tasse de café de l’assistant social qui taillait une bavette avec sa collègue. Voilà qu’on met fin par la frustration à cet « atelier brin de causette » improvisé, voire institutionnalisé. L’usager ne sera pas très bien reçu.
8Certains paramètres peuvent faciliter la fixation du syndrome : remplir une fonction dépourvue de travail suffisant, s’installer dans un emploi stable et routinier, prendre le pli des habitudes, le respect strict et minuté de l’horaire ou le laxisme dans la gestion du temps si absence de contrôle (avec arrivées tardives ou départs avancés, pauses repas ou boissons répétées ou prolongées) [4], adaptation au système sans chercher en aucune manière à le changer, pas de formation continuée ni de curiosité intellectuelle, position d’attentisme dépourvue d’initiative (au sein du service, de l’institution ou en regard de son environnement)…
9Une mauvaise blague à faire à Arnaud le premier avril serait de lui retarder l’heure de sa montre.
3 – Le syndrome de confort : version « technocrate »
10On reconnaît le syndroconformé technocrate au fait qu’il ne se promène que dans les jardins français rectilignes, aux formes géométriques symétriques, prévisibles et sans surprises.
11Le syndrome de confort version « technocrate » constitue aussi une forme insidieuse de pathologie. Kafka l’aurait parfaitement décrit à sa manière. On le retrouve le plus souvent dans des modalités de travail très administratives où les exigences bureaucratiques sont grandes. Certains travailleurs peuvent se couler dans le moule sécurisant (et parfois aliénant) des normes, des procédures, des formulaires… : « À force de remplir des papiers, on “fonctionne” et on a tendance à oublier le côté humain du travail social. » Quand la « routinisation » des tâches bureaucratise l’esprit, ce formatage devient peu compatible avec l’écoute active et l’empathie. C’est entendu ! Toutes les personnalités ne sont pas prédisposées à entrer dans le cercle vicieux infernal.
12Loin de la paresse, certaines victimes du syndrome sont surmenées, ce qui peut être en lien avec une insuffisance d’effectifs et/ou avec une gestion des ressources humaines peu efficace.
13Ces technocrates ne sont donc pas nécessairement des glandeurs comme Arnaud, notre assistant de justice qui regroupe tous ses rendez-vous le même jour : question de rationaliser et de gagner du temps. Bien entendu, il ne prend pas le temps d’écouter l’usager, de le situer en regard de son histoire et de son contexte. Il robotise son travail et ce n’est pas parce qu’il a vu toute la série des films La guerre des étoiles. Il contrôle et vite, si bien que si le justiciable en probation ne remplit pas ses obligations, il élabore le rapport dit « de carence ». Tant pis s’il retourne en prison et personne ne saura jamais que ce professionnel a peut-être un fonctionnement « criminogène » [5].
14Parfois, les méthodes et les grilles imposées peuvent – si on n’y prend pas garde – enfermer la réflexion, c’est le cas de le dire, dans des grilles… de prison. Comme en témoigne cette stagiaire assistante sociale de troisième année qui effectue son stage dans un pénitencier : « On nous impose des tableaux, des phrases et des expressions types, avec des grilles. » Elle souligne que les assistants sociaux créatifs arrivent cependant à faire passer leur message tandis que d’autres se laissent enfermer et ne saisissent pas leur marge de liberté. Certains se sentent même plus rassurés, plus sécurisés.
15À propos de quadrillage de l’esprit, ce récit nous fait penser à ce film qui évoque un autre syndrome : celui d’Alcatraz, au cours duquel des évadés insécurisés commettent des larcins pour retourner en prison, car là ils sont institutionnalisés. Une infirmière d’une clinique regrette ce qu’elle appelle l’hospitalité des patients hospitalisés qui résistent, qui craignent le retour chez eux, le spectre de l’autonomie.
16C’est comme si la technique finissait par prendre le pas sur l’humain : on oublie le social, on oublie d’écouter les gens dans leur contexte et leur histoire. La porte est dès lors ouverte aux préjugés ainsi qu’à la violence symbolique et institutionnelle (telle que vécue par l’usager) ; faut-il s’étonner dès lors si ce dernier fuit, agresse, se tait ou ruse. Restons cynique jusqu’au bout, il sera toujours temps de payer des spécialistes en gestion des symptômes (le stress, l’agressivité, les conflits). Je fais aussi partie de cette corporation.
4 – Le syndrome de confort version « couillon »
17On reconnaît le porteur du syndrome de confort version « couillon » au fait qu’il est le seul à ouvrir son parapluie par temps sec. Certains d’entre eux sont reconnus à leurs cloques aux mains du fait de se pencher sur le mur des lamentations. D’autres victimes se reconnaîtront dans cette expression : « Feignant une indifférence impossible, il affiche cette sagesse toute résignée qui est l’alibi des faibles [6]. »
18Le nouveau coordinateur de la même Maison de justice prend des mesures pour endiguer les retards de certains « glandeurs ». Ceux-ci réagissent, crient au scandale et font circuler une pétition pour protester. Notre ami Arnaud, encore lui, pourtant concerné, refuse de la signer pour se protéger. « Ne prenons surtout pas le moindre risque. »
19Le syndrome de confort du couillon consiste à ne pas prendre ses responsabilités car on a peur. Le couillon cherchera à justifier sa prudence par une argumentation qui semble tenir la route. Il rationalise. Il oublie – selon la dialectique de l’instituant et de l’institué – qu’il prend ainsi le risque d’entretenir le dysfonctionnement du système [7].
20Voilà qu’une directrice de maison de repos, qui soigne la réputation de son hospice, confie une mission à une assistante sociale : faire le nécessaire pour orienter un vieux monsieur vers un hôpital psychiatrique. C’est que ce pensionnaire fait « tache ». L’assistante sociale se donne la peine de se déplacer et de constater qu’en fait, cette personne âgée contestataire n’est nullement sénile tandis qu’elle proteste en regard d’une situation insatisfaisante. J’exprime ma surprise à cette professionnelle qui me réplique : « En fait, d’autres collègues que moi auraient obéi aux ordres sans se donner la peine de se déplacer ». Situation semblable, toujours dans une maison de repos, où M. Agnelet [8] s’est laissé mourir. On l’avait orienté abusivement en psychiatrie car il dénonçait l’escroquerie dont il était victime de la part de son directeur. Les professionnels de tous bords se sont enfouis la tête dans le sable. Après son décès, on s’aperçut que ce vieux monsieur de 94 ans avait raison.
21Dans la foulée de l’affaire Dutroux, une assistante sociale et sa hiérarchie préfèrent se couvrir, ouvrir le parapluie pour envoyer un courrier au Parquet de la jeunesse et au S.A.J. (Service d’aide à la jeunesse), jetant le discrédit sur un jeune père supposé constituer un danger pour ses deux enfants. Rien d’objectif dans le dossier, rien de concret ne justifie cette méfiance. Au contraire, certains éléments probants, dont l’enquête de police, sont favorables au père. On s’étonnera par la suite du courroux de ce dernier.
22Pour se couvrir, certains travailleurs sociaux se transforment en artistes impressionnistes qui agissent sur base de leurs impressions [9], intuitions ou convictions (fussent-elles intimes). Ils font l’impasse sur la méthodologie qui mène à la quête d’objectivité et de rigueur. Comment, dans ces conditions, évoquer la nécessaire relation de confiance qui lie le travailleur social et l’usager ?
23Les peurs font bon ménage avec les émotions et les fantasmes de toutes sortes. On a peur du « qu’en dira-t-on », des réactions de la hiérarchie ou des collègues. Le couillon se couvre pour se mettre à l’abri des risques, il ne raisonne pas en pointant du doigt les gains consécutifs aux initiatives. Grand partisan de « la bouteille à moitié vide », il est avant tout obsédé par les obstacles réels, virtuels ou fantasmés. Il ne pense pas comme Sénèque : « Ce n’est pas parce que les choses sont inaccessibles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas que nous les rendons inaccessibles ». Cette obsession des risques et des contraintes le conduit à se détourner de l’horizon des opportunités et des possibles. Les couillons ont parfois tendance à échanger leurs peurs, préjugés et imaginaires. Le partage, en clan ou en groupe restreint, des intérêts communs et de leurs craintes les conduit à unifier leur vision des choses et à se confirmer à quel point ils ont raison. L’immobilisme est ainsi légitimé, presque théorisé. Ils deviennent, comme disait l’autre, des Aquoibonistes. On a dès lors tendance à reporter tout le poids de la responsabilité sur l’autre ou sur le système. On se considère comme victime – ce qui n’est d’ailleurs pas tout à fait faux – mais sans s’interroger sur sa propre participation à la dynamique globale. La mauvaise foi peut pousser certains à chercher des alibis pour justifier à leurs yeux ou à ceux d’autrui le bien-fondé de leur passivité. Cette recherche de légitimité est en soi assez banale.
24Par leur caractère dispersé et individualiste, l’installation dans le confort nourrit le malaise des personnes dès lors que les plaintes éventuelles ne débouchent pas sur un projet collectif constructif [10], susceptible de conduire à une concertation / négociation / délibération comme préalable à un changement possible.
5 – Du côté du système, sans oublier l’acteur
25Il nous est tous arrivé d’être un peu « glandeur », « technocrate » ou « couillon », nous ne sommes pas Superman ou Superwoman. Le syndrome de confort, ce n’est pas cela, il s’agit d’un comportement devenu structurel et « pérenne ». Heureusement, les Arnaud – presque un idéal-type (un cas limite) – sont rares.
26Ceci dit, il est contre-productif de faire une fixation sur les seuls acteurs sans percevoir le système auquel ils participent. Il faut situer les personnes par rapport au système dans leurs interactions dialectiques [11]. Mettre toute la responsabilité des dysfonctionnements sur l’individu est stigmatisant, intellectuellement erroné et susceptible d’induire de la résignation [12] et de la perte d’implication supplémentaire.
27Les éclairages de la sociologie des organisations ou de la psychologie de l’intérêt et de la motivation nous rappellent que, sans projet fédérateur cohérent, il est difficile à l’acteur de trouver du sens et de trouver sa place. Engagement va de pair avec satisfaction de besoins (de sécurité, d’affiliation, d’accomplissement, de reconnaissance…).
28Un management autoritaire, brutal et autocratique fondé sur la peur – en feignant le pitbull ou pratiquant le harcèlement moral éclairé – peut induire de manière consciente ou non des schémas réactifs sur le mode du syndrome de confort et pas seulement dans son versant « couillon », dès lors que, quelque part, la victime règle ses comptes avec l’institution. Elle peut se glisser, « à l’abri des regards », dans les marges de liberté, dans les interstices, trouver ici et là des « bulles d’air », des compensations au dommage et, ce qui est plus inquiétant, éventuellement se détourner de la mission de l’organisation. Méfions-nous par conséquent de l’équation simpliste et obsolète : punir = motiver. La « victime » peut s’en tenir à un schéma défensif et réactif dont l’obsession sera d’éviter la sanction. À la longue, des personnes plombées dans l’inhibition, le formalisme ou l’appréhension développent une force d’inertie qui les empêche de prendre des initiatives ; tels des rats de laboratoire anticipant la décharge électrique. Nous connaissons Géraldine qui travaille dans la fonction publique. Elle est mutée vers un service plus créatif. Elle avouera avoir mis deux ans pour oser prendre des initiatives et commencer à se libérer de son ancien formatage institutionnel.
29Au contraire, nous plaidons pour un management efficace et démocratique qui sème de la cohérence et du respect. Le management participatif responsabilisant clarifie les rôles de chacun au service d’un projet, concilie les logiques descendantes et ascendantes en plaçant la gestion de l’équipe et le sens du collectif au centre de ses intérêts. Il privilégie une communication de qualité d’autant plus indispensable dans un contexte d’innovation et de changement porteur d’insécurité, d’incertitudes, de contradictions et de résistances.
30Si l’acteur n’adhère pas au projet (peut-être parce qu’il ne le comprend pas), s’il ne s’identifie pas à l’institution ou à ses dirigeants (peut-être parce qu’il ne se sent pas reconnu et respecté), c’est donc sur fond de déficit de légitimité qu’il peut mettre en place des stratégies de fuite, de repli, d’adaptation, de contestation maladroite. C’est sur cette toile de fond là, que le syndrome de confort peut un jour s’installer de manière persistante pour autant, bien entendu, que certaines conditions soient réunies qui relèvent de la personnalité, de l’histoire singulière de chacun et des compétences. C’est comme si la victime du syndrome utilisait ses marges de liberté sur un mode compensatoire, voire revanchard.
6 – Il n’y a pas de vaccin… pour Arnaud
31Dans le cadre de mon cours de troisième année de méthodologie intégrée du travail social, les étudiants peuvent illustrer des points théoriques de la matière à l’appui de fiches de transfert ou d’un roman social [13].
32Deux étudiants auteurs compositeurs interprètes composent une chanson et une musique en rap. Dans leur conclusion, ils incitent les auditeurs à ne pas oublier leur vaccin contre le syndrome de confort.
33Si Arnaud se rend chez le médecin, celui-ci lui dira qu’il n’y a pas encore de vaccin pour prévenir le mal. En revanche, un spécialiste en sociologie des organisations lui dira qu’on peut le combattre en mettant en place des stratégies pour autant qu’elles ne se fixent pas exclusivement sur le seul « déviant » et qu’elles visent tant le projet que le collectif.
34Terminons par une devinette. Si d’aventure – le terme est volontairement ironique – Arnaud avait été scout, quel aurait été son totem ? Réponse = un mouton.
Notes
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[1]
L’auteur est assistant social et docteur en sociologie, chargé de mission au CPAS de Charleroi, maître assistant et maître de formation pratique au département social de la Haute École Charleroi Europe.
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[2]
Voir José Pinilla, « Les dix péchés de la dame patronnesse », Pensée plurielle, n° 5, 2003/1.
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[3]
S.N.C.B. : Société Nationale de Chemins de Fer Belges.
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[4]
On se souvient de la blague de Coluche concernant les fonctionnaires : ceux qui arrivent croisent ceux qui partent.
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[5]
Criminogène en dernière instance, car ne pas aider un justiciable à se réinsérer, à remplir ses conditions imposées par le magistrat peut s’avérer à terme criminogène (retour en prison avec des conséquences à la longue en termes de difficulté de réinsertion sociale et de récidive). Voir, à ce propos, Denis Dobbelstein et José Pinilla, L’accès aux droits et à la justice, Bruxelles, Éditions La Charte, 1999.
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[6]
Abdelmalek Sayad (1991), L’immigration et les paradoxes de l’altérité, Bruxelles, Les Éditions universitaires, De Boeck Université.
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[7]
Voir, à ce propos, Henri Mintzberg, Le pouvoir dans les organisations, Paris, Éditions d’Organisation / Éditions Agence d’Arc INC, 1986.
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[8]
Elizabeth Vonlanthem, Psychiatrie – précarité : une approche du travail social en hôpital neuro-psychiatrique, Mémoire, Institut Social Catholique, année 2002-2003. Témoignage tiré de : http:// users. skynet. be/ interzone/ 3agnelet. html.
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[9]
Des impressions, ainsi s’exclamait une juriste de C.P.A.S. dénonçant la pratique d’une minorité de travailleurs sociaux qui font passer leurs « impressions » avant les considérations de faits et de droits.
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[10]
Raymond Quivy, Danièle Ruquoy et Luc Van Campenhoudt, Malaise à l’école : les difficultés de l’action collective, Bruxelles, Publication des Facultés universitaires Saint-Louis, 1989 ; José Pinilla, Approches sociologiques du travail social, de la dépendance du champ aux alternatives, dissertation doctorale, Université catholique de Louvain, 1995. Ces deux références abordent le lien étroit entre malaise des acteurs et difficultés de l’action collective.
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[11]
Voir, à ce propos, Michel Fondriat, Sociologie des organisations, 2e éd., Paris, Pearson Education, 2007 ; Michel Crozier et Erhard Friedberg, L’acteur et le système, Paris, Le Seuil, 1977.
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[12]
Ce thème de la résignation fut abordé par les chercheurs du CERISIS (Université catholique de Louvain). En effet, la théorie de l’attribution (Abramson, 1978) explique comment asseoir une résignation chez le sujet en lui imputant la responsabilité de la situation. In David Van Ypersele et Ginette Herman, Recherche évaluative du projet de réinsertion sociale et professionnelle à Dampremy, août 1998, p. 5.
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[13]
L’objectif pédagogique visé consiste à faire en sorte que l’étudiant n’étudie pas passivement le cours, mais qu’il le comprenne en établissant des passerelles avec la vie (le stage, les autres cours, la vie privée, l’actualité, etc.). Tandis que la fiche de transfert part d’une situation réelle observée, le roman social permet un voyage imaginaire. Dans les deux cas, l’étudiant doit se plier à une grille de référence qui fixe des critères.