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Article de revue

Aspects psycho-sociaux des enfants abandonnés et orphelins atteints par le VIH/SIDA au Nairobi : une autre face de la pauvreté

Pages 207 à 213

Introduction

1Le but de la recherche était de recueillir des informations sur les aspects psychologiques et sociaux relatifs à la vie des enfants vivant avec le VIH au Kenya. Cette étude nous a permis de vérifier la nature d’un certain nombre d’hypothèses et de phénomènes.

2Trois programmes de travail portant sur un échantillon de 181 enfants séropositifs ont été mis en place. Il s’agissait d’apporter une aide psychologique et sociale aux enfants.

350 % des enfants vivaient dans la « maison des enfants ».

419 % des enfants suivaient le service de la protection de l’enfance du jour.

531 % des enfants recevaient à la fois un traitement médical et des conseils particuliers.

6Nous comptions dans notre recherche 39 % d’enfants orphelins de père et de mère, 22 % d’enfants qui n’avaient que leur mère, et 18 % d’enfants qui n’avaient que leur père. Le fait pour l’enfant de vivre la mort d’un parent constitue une situation difficile qui engendre plusieurs problèmes. 33 % des enfants orphelins vivaient avec leurs grands-parents, surtout avec leurs grands-mères, 18 % avec leurs oncles ou tantes, 13 % avec leurs frères ou sœurs. Seulement 8 % des enfants vivaient avec leurs deux parents.

Aspects psycho-sociaux des enfants séropositifs

7Nous avons essayé de recueillir la réaction des enfants par rapport à la stigmatisation et l’isolement dont ils faisaient l’objet de la part de la communauté. 51 % des enfants se sentaient isolés du reste de la société.

8Nous avons essayé de comprendre aussi l’image que ces enfants avaient de leur statut et comment ils vivaient leur séropositivité. Les enfants âgés de 0-1, et de 1 à 3 ans ignoraient leur séropositivité. 3 % des enfants âgés de 4 à 6 ans connaissaient leur statut. Les enfants âgés de 7 à 10 ans commençaient à prendre conscience de leur statut. 39 % des enfants de cette catégorie d’âge savaient qu’ils étaient séropositifs. Les 14-15 ans connaissaient leur statut, et 91 % des enfants âgés de 15 ans et plus avaient des informations précises sur leur statut de séropositivité. Les enfants âgés de 10 ans commençaient aussi à prendre conscience du poids de la présence du sida dans leur vie.

952 % des enfants ont appris leur séropositivité auprès des travailleurs sociaux.

106 % des enfants l’ont appris dans leurs familles.

117 % des enfants ont découvert leur séropositivité à l’issue d’un test, et 9 % ont reçu cette information auprès d’autres personnes (l’entourage, d’autres enfants, etc.). 26 % des enfants âgés de moins de 10 ans, ignoraient tout de leur séropositivité. 90 % des enfants disaient que l’information sur le statut négatif de leur santé, était liée à des sentiments désagréables de peur et d’insécurité. La colère était la deuxième plus grande émotion éprouvée par 64 % des enfants par rapport à leur situation. D’autres étaient rongés par l’ennui et par un sentiment de culpabilité. Les enfants mentionnaient des sentiments d’incompréhension et de chaos qui étaient présents dans leur esprit.

12Au début de notre programme de rééducation, nous avions noté un autre fait caractérisant ces enfants : ils pleuraient beaucoup. 41 % des enfants vivaient constamment dans la peur et la panique. L’évasion ou la fuite était surtout un mécanisme de défense pour 58 % des enfants, par rapport à notre programme de rééducation ou de réadaptation.

1360 % des enfants avaient une attitude dépressive, et 40 % avaient des troubles de comportement observés sur une période de temps. Nous avions observé d’autres troubles tels que la dysphorie, une tendance à l’expansion et à l’agressivité. D’autres enfants avaient des réactions réactives ou de refoulement et ils voulaient comprendre les causes de leurs situations chez d’autres personnes.

14Un autre problème concernait l’intégration (52 % de réussite) de ces enfants dans la communauté. 49 % des enfants avaient des problèmes d’apprentissage (problèmes de dysgraphie et de dyslexie).

1536 % des enfants étaient agressifs (agressions physiques). Nous avions observé aussi des facteurs pathologiques. 18 % des enfants volaient, et 16 % se droguaient ou prenaient des boissons alcoolisées.

16Quels que soient les résultats de nos recherches, nous pensons que le suivi régulier des enfants sur une longue période de temps dans le cadre des programmes précités et dans les institutions, le traitement des aspects psycho-sociologiques et la délivrance des conseils et des thérapies seront de nature à résoudre tous les problèmes et les troubles que nous avions relevés.

17Les soins apportés aux enfants séropositifs dépendent aussi d’un certain nombre de facteurs : le type de programme, l’endroit où s’effectue le soin des malades (la maison des enfants, le centre des soins du jour), ou le programme de soins accessibles aux enfants vivant chez leurs parents. 20 % des enfants vivant dans « la maison des enfants » ont une meilleure santé, 42 % n’ont aucun traitement sérieux, 18 % vivent des complications médicales qui ne sont pas graves, 14 % connaissent une détérioration de leur santé, et 6 % ont de graves problèmes de santé.

Les enfants qui sont à la rue

18Les enfants qui sont à la rue ont été plus ou moins abandonnés, vivent comme ils peuvent, en marge de la société. Dans les dix dernières années, l’absence de contrôle des naissances, principalement dans les pays du Tiers-Monde, a eu pour effet non seulement d’augmenter de façon inquiétante le nombre d’enfants vivant hors de chez eux, mais aussi de générer une violence accrue et des problèmes sociaux. L’abandon des enfants dans les rues des cités n’est pas un phénomène nouveau, mais il n’avait jamais été aussi répandu, comme c’est le cas maintenant pour des millions d’entre eux. Dans les grandes villes des pays en voie de développement comme à Nairobi (Kenya), les rues et les banlieues regorgent d’enfants abandonnés. Les enfants qui sont à la rue, pour la plupart, mais pas exclusivement, sont des garçons âgés de 5 à 18 ans. Plusieurs d’entre eux entretiennent des relations lointaines avec leurs familles. Ils survivent seuls ou en groupes connus sous le nom de gang, faisant des choses contraires à la loi et sont souvent des délinquants.

Les enfants à la rue et leurs groupes

19Les enfants à la rue (terme utilisé pour décrire des millions d’enfants) ont été abandonnés et vivent comme ils peuvent. Cependant, il convient de dire que ce terme ne tient pas compte des différences qui peuvent exister entre ces enfants : ils n’ont pas tous été abandonnés, et tous ne vivent pas à la rue. Pour pouvoir aider un enfant, l’UNICEF établit une différence (basée sur la situation familiale) entre deux groupes d’enfants :

  • Children « on » the street (les enfants à la rue) : ils travaillent et maintiennent des relations régulières avec leurs familles. Ils vivent dans leurs familles, considèrent qu’ils ont un foyer, même s’ils y sont absents quelquefois.
  • Children « of » the street (les enfants des rues) : constitue le second groupe. Pour ces enfants, la rue est leur maison. Ils mangent dans la rue, dorment dans la rue, jouent dans la rue et ils y ont des amis. Il se peut qu’ils aient des contacts avec des membres de leurs familles, mais ils ne retournent jamais chez leurs parents. Certains enfants ont été abandonnés ou mis à la porte, d’autres ont purement décidé de quitter la vie familiale. Par conséquent, ils doivent pourvoir à leurs propres besoins.
Les enfants de ces deux groupes ont un dénominateur commun : des relations émotionnelles instables avec le monde des adultes, une mauvaise image d’eux-mêmes, les stigmates de la vie, la violence, l’exploitation et un avenir incertain. Selon l’estimation de l’UNICEF, environ 100 ou 200 millions enfants sont abandonnés et vivent à la rue un peu partout dans le monde.

Les enfants qui sont à la rue au Kenya et leur santé : le système de soins à Nairobi

20Dans les pays en voie de développement, ces enfants sont le produit d’une migration interne, du chômage, de la pauvreté et de la décomposition des familles. On compte environ 100 000 à 150 000 enfants abandonnés dans les rues de Nairobi (la cité du soleil). La plupart de ces enfants sont issus de familles monoparentales pauvres, avec très peu d’éducation. Certains enfants ont peut-être perdu leurs parents suite à la maladie du sida, de la malaria ou de la tuberculose.

21Plus de 65 % des habitants de Nairobi vivent dans les quartiers pauvres. La loi n’existe pas dans les taudis et les tentations ne sont pas loin. Les rues sont boueuses, remplies d’épis de mis, d’épluchures d’oranges et d’amas d’ordures où vivent la plupart des enfants abandonnés.

22Les enfants qui vivent à la rue connaissent de graves problèmes de santé : des infections respiratoires, des problèmes gastro-intestinaux et de peau, la malnutrition et l’insalubrité (l’eau non potable, par exemple). Ils ont pour la plupart la gale et les autres sont touchés par la maladie du fait qu’ils dorment ensemble la nuit. Les enfants qui sont à la rue font l’objet de plusieurs formes d’exploitation : travail des enfants, abus sexuel, abus de la drogue. L’abus sexuel et l’exploitation exposent les enfants à un certain nombre de maladies sexuellement transmissibles, comme la blennorragie, la syphilis et le sida. C’est aussi une cause de grossesses non désirées. La situation déplorable dans laquelle se trouvent les enfants les conduit à opter pour des tactiques de survie pour pouvoir s’adapter à la vie de la rue.

23Certaines de ces tactiques sont mauvaises pour eux. Il s’agit par exemple de la prostitution, du trafic des stupéfiants et du vol. Ces enfants ont une vie sexuelle très importante. Certains garçons et filles sont victimes d’abus sexuels de la part d’autres enfants plus âgés, qui leur apportent protection et refuge en échange. Les gangs contrôlent des territoires dans les villes. Les chefs de gangs peuvent avoir des rapports sexuels avec les garçons et les filles de leurs groupes, en échange d’une protection contre les attaques des autres gangs. Ce cercle vicieux d’exploitation expose les enfants à la maladie du sida.

24La consommation des produits stupéfiants est très importante chez les garçons. La drogue leur permet d’oublier la misère ou de se livrer à des activités criminelles. La drogue réduit leur capacité intellectuelle mais stimule aussi leur appétit sexuel. Le partage des aiguilles hypodermiques est courant chez les consommateurs des produits stupéfiants, ce qui les expose au VIH. Les jeunes garçons qui sont à la rue à Nairobi s’intoxiquent à la colle ou aux solvants, ou prennent des drogues hallucinogènes. Certains fument du « bhang » et se soûlent en buvant de temps à autre du « chang’aa » (alcool produit à partir d’un mélange du méthanol, du formaldéhyde, de piles alcalines, de l’essence, du sucre, etc.).

25Les enfants de rue qui sont frappés par les maladies sexuellement transmissibles ne suivent aucun traitement médical. Le problème ne concerne pas l’argent, les enfants peuvent se faire soigner gratuitement au Kenyata National Hospital (hôpital public de Kenya) ou dans d’autres centres de soins, tels Marry Immaculate Clinic. Ils ne se rendent pas dans ces centres de soins pour éviter de révéler leur état de santé. Les enfants qui sont à la rue et qui vivent avec le VIH ne font l’objet d’aucun suivi médical. Par conséquent, ils contaminent les autres du fait de leur ignorance et de leur négligence par rapport à la maladie. Ils sont en plus susceptibles de mourir plus vite, parce qu’ils ne bénéficient d’aucun traitement médical.

26Les associations confessionnelles focalisent l’attention des gens sur la situation des enfants de rue. Elles proposent des services de protection, de rééducation, de conseils et de diététique aux enfants.

Marry Immaculate Rehabilitation Centre (Centre de rééducation Marry Immaculate)

27Le centre de rééducation Marry Immaculate a été fondé en 1997. Au début, ce centre aidait les garçons âgés de 8 à 17 ans qui abandonnaient leurs études et vivaient en marge de la société. Un programme annuel de rééducation des enfants fut alors mis en place. Les enfants sont logés dans le centre et doivent suivre un programme de deux ans sous la direction d’un assistant social, dont le but est de les réintroduire dans le système éducatif classique. Les garçons admis dans le centre sont ceux qui ne sont pas inscrits dans des établissements scolaires et qui vivent un certain nombre de mois à la rue. Les assistants sociaux du centre vont les chercher dans les rues où ils se trouvent. Les enfants quittent le centre au bout d’un an, certains peuvent rester plus longtemps s’ils intègrent le programme en cours d’année ou s’ils ont besoin d’une aide particulière. Les assistants sociaux confient ensuite les enfants aux écoles, à leurs familles et à leurs tuteurs. Ils peuvent aussi leur trouver des foyers en cas de besoin. Dans le centre, les enfants, au nombre de 25 dans une classe, apprennent plusieurs choses (la lecture, l’écriture, le calcul, les travaux manuels). Ils ont aussi la possibilité de passer des examens pour leur faciliter l’accès au marché de l’emploi. Les enfants doivent aussi faire preuve de motivation, qui est une condition de leur réussite. Ils peuvent quitter l’internat pour rendre visite à leurs proches ou pour d’autres raisons. Ils apprennent à se discipliner. Les assistants sociaux rencontrent les familles pour évoquer ensemble les réalisations et l’avenir des enfants.

Les objectifs du centre

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  • L’intégration des enfants dans la société et le sens de la responsabilité
  • Faire prendre conscience aux enfants du sens de la vie, du respect de soi et des autres
  • Encourager les familles à la responsabilité par rapport à leurs enfants
  • Protéger le droit des enfants selon les critères de l’UNICEF et du Kenya
Nous avons noté un taux de réussite de 55 % par rapport au programme de rééducation destiné aux enfants. En dépit de tout cela, certains enfants retournent vivre à la rue, parce qu’ils sont très attachés à leur indépendance.

Conclusion

29La prévention reste le seul moyen pour limiter la propagation du virus du VIH/SIDA chez les enfants orphelins. L’information doit absolument être fournie à tout le monde et aux familles pour leur permettre de se protéger des maladies.

30La volonté politique et la présence de plusieurs programmes peuvent aider à réduire la propagation du virus du sida. La protection de l’enfance doit être assurée et les soins doivent être apportés aux enfants vivant avec le VIH/SIDA. Les services sociaux doivent assurer un programme alimentaire, faciliter la promotion des logements sociaux, fournir des aides médicales et psychologiques.

31Toutes les organisations nationales et internationales, les églises, les gouvernements, doivent travailler ensemble pour aider les personnes vivant avec le VIH/SIDA. La formation du personnel soignant et des travailleurs sociaux leur permet de jouer un rôle important dans la mise en place de programmes de soins fournis aux enfants abandonnés et orphelins vivant avec le VIH/SIDA.

32La bonne santé de l’économie permettra de résoudre efficacement les problèmes des enfants qui vivent à la rue au Kenya. Si le niveau de vie des familles s’améliore, elles seront en mesure de pourvoir aux besoins de ces enfants. Il est temps de mettre en place des centres de rééducation qui pourront distribuer la nourriture et des vêtements, assurer des services de conseils et d’information sur le SIDA. Des activités autour de la musique et du théâtre passionnent les enfants. Les organisations confessionnelles doivent créer des services pour informer les enfants qui vivent à la rue sur des sujets tels que le stress, le sida, la sexualité, etc. Les enfants qui vivent à la rue méritent l’attention de tout le monde.

33Les problèmes du Tiers-Monde n’ont pas été résolus et les choses vont de mal en pis. L’aide des pays riches est plus que nécessaire. Dans cette mission, nous sommes heureux de mentionner la contribution de la Slovaquie, par l’intermédiaire de la Faculté du travail social et des services sociaux de l’Université de Trnava.

Bibliographie

Bibliographie

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