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Article de revue

Pauvreté au travail : l'emploi, un rempart pour préserver sa place et sa dignité ?

Pages 85 à 99

Introduction

1Grâce au Droit du travail et aux politiques sociales en place dans la société française du début du XXIe siècle, l’activité salariée devrait en principe protéger les personnes sur les plans matériel et social. Cependant, les régulations législatives et politiques ne peuvent maîtriser le marché du travail, qui est régi principalement par le monde économique. Les emplois, lorsqu’ils sont devenus précaires ou partiels, n’assurent pas toujours de bonnes conditions de vie. Les salariés peuvent alors être touchés par la pauvreté voire à l’extrême par l’exclusion.

2Il semble étonnant d’exercer une activité professionnelle, et, en contrepartie, de ne pas pouvoir subvenir à ses besoins. Ce paradoxe est pourtant une réalité de plus en plus décriée. Pour preuve, les médias, les économistes, les associations, les travailleurs sociaux et les politiques s’emparent du problème ; les uns pour constater l’ampleur du phénomène, les autres pour tenter d’y apporter quelques solutions.

3Jacques Cotta (2006, p. 20) évalue le nombre de « travailleurs pauvres » en France à 7 millions. L’Institut national des Statistiques et des Études économiques (INSEE, 2006, p. 71) recense pour la région Nord/Pas-de-Calais 266 000 allocataires vivant dans la précarité financière ; soit environ 696 000 personnes ; les « travailleurs pauvres » sont estimés à 150 000 (Dequidt, 2007, p. 8).

1 – Les « travailleurs pauvres », qui sont-ils ?

4Afin de mieux cerner le phénomène, nous définirons la notion de « travailleurs pauvres », les difficultés qu’ils connaissent ainsi que les risques qu’ils encourent en cas de perte d’emploi.

1.1 – La définition et la typologie des « travailleurs pauvres »

5Nous retiendrons la définition de l’INSEE : « le “travailleur pauvre” est une personne qui travaille et qui vit au sein d’un ménage pauvre. Une personne est classée parmi les travailleurs pauvres lorsqu’elle s’est déclarée active (ayant un emploi ou au chômage) six mois ou plus dans l’année, dont au moins un mois dans l’emploi » (Lagarenne, 2000). L’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) parle des « travailleurs pauvres » comme « figure emblématique de la précarité salariale » (2004, p. 27).

6L’ONPES (2005-2006, p. 71-72) annonce qu’en France en 2001, près de 75 % des « travailleurs pauvres » exercent leur activité à temps plein plus de la moitié de l’année. Il ajoute que, de plus en plus, la pauvreté au travail s’élargit pour toucher l’emploi dans sa globalité.

7Pour la Région Nord/Pas-de Calais (Dequidt, 2007, p. 4), les « travailleurs pauvres » sont 58 % en CDI à temps complet et 15 % en CDI à temps partiel. La Direction du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle et l’INSEE nous apportent des données statistiques régionales. Parmi les ménages de « travailleurs pauvres » nous retrouvons entre autres :

  • 38 % de ménages avec un conjoint en emploi et l’autre inactif ;
  • 20 % seulement de ménages avec les deux conjoints qui exercent une activité ;
  • 15 % de ménages qui sont des familles monoparentales.
Les femmes sont sur-représentées (2/3) et la tranche d’âge 35-44 ans est fortement concernée par le phénomène (39 %). Les « travailleurs pauvres » sont majoritairement des ouvriers et des employés. Les non-diplômés représentent 32 % des « travailleurs pauvres ».

8Les risques d’exposition sont plus forts chez un travailleur vivant seul. Dans un couple, l’activité d’un seul conjoint accroît le risque d’être pauvre. La pauvreté dépend des revenus du travail mais aussi de la composition de la famille. Plus il y a d’enfants dans le foyer, plus le risque de pauvreté augmente malgré les prestations sociales qui représentent plus du tiers des revenus des ménages de « travailleurs pauvres ».

9Les « travailleurs pauvres » rencontrent des difficultés et souffrances dans différents domaines de leur vie.

10En matière de consommation, comme l’évoque François Dubet (2000, p. 4-8), l’accès aux biens s’est démocratisé dans notre société par une consommation de masse. Parce qu’ils ont un emploi, les « travailleurs pauvres » pensent pouvoir accéder aux biens, comme les autres, et sont ainsi touchés par le surendettement.

11Au niveau de la formation, le rapport de l’ONPES (2005-2006, p. 73-80) indique que les salariés les moins qualifiés accèdent plus difficilement à la formation professionnelle que les autres.

12En ce qui concerne la culture et les loisirs, les « travailleurs pauvres » peuvent rencontrer des difficultés financières pour accéder aux activités de loisir et à la culture, si la famille n’y accède pas grâce au tissu associatif, aux collectivités territoriales ou par le biais des organismes sociaux.

13Sur le plan du logement pour les populations pauvres et précaires, la quête et le maintien dans un logement constitue une difficulté majeure car les personnes dont l’emploi est peu stable ou ayant une faible rémunération, manquent de crédibilité auprès des bailleurs parce qu’ils n’apportent pas de garanties suffisantes. Ce qui freine l’accès au logement.

14En ce qui concerne les répercussions de la précarité sur la santé, les associations caritatives témoignent du recours de plus en plus fréquent des « travail-leurs pauvres » à l’aide alimentaire. Comme le souligne l’ONPES (2005-2006, p. 94-95), un déséquilibre alimentaire entraîne des répercussions sur la santé, comme l’obésité. Il est facteur de risques de pathologies cancéreuses et cardiovasculaires. L’ONPES relève également qu’en ce qui concerne l’accès aux soins, certaines personnes négligent leur santé pour des raisons financières.

15Serge Paugam (2000, p. 31-38 et 116-117) évoque le stress, voire l’angoisse des salariés qui craignent pour leur emploi. Il relève que les salariés précaires présentent plus souvent que les autres un état de santé altéré. Les problèmes rencontrés par rapport au travail les affectent au point qu’ils en deviennent malades. Les troubles sont l’insomnie et la perte de confiance en soi. Ce que confirme, Robert Castel (2003, p. 29) en précisant que la non-maîtrise des événements présents et l’impossibilité d’envisager un avenir plus favorable engendrent une insécurité chronique et une impossibilité d’anticiper l’avenir. Toutefois, selon Jean Furtos (2006, p. 48-49), certains individus surmontent relativement bien la précarité, alors que d’autres basculent dans de graves pathologies. On peut affirmer de manière claire que les conséquences d’une souffrance au travail peuvent entraîner chez des sujets fragiles psychologiquement des « décompensations psychiatriques brutales » conduisant à des troubles psychosomatiques, des conduites addictives, voire à des tentatives de suicide.

16En matière de reconnaissance et de valorisation, Serge Paugam (2000, p. 373-378) révèle que « plus l’individu est intégré dans la sphère professionnelle, plus il a de chances d’être reconnu pour sa contribution à l’activité productive et valorisé dans la société, plus il a de chance également de jouir d’une sécurité face à l’avenir ». Pour cet auteur, chez certains salariés précaires, « il leur manque la dignité au double sens de l’honneur et de la considération. Leur honneur est bafoué lorsqu’ils ne peuvent se reconnaître dans leur travail et agir conformément à la représentation morale qu’ils ont d’eux-mêmes. La considération qu’ils obtiennent dans leurs relations de travail peut être également si faible qu’elle leur donne le sentiment d’être socialement rabaissés, voire de ne pas ou ne plus compter pour autrui ». Il poursuit en expliquant également que le salarié fortement précaire, craignant le regard des autres, peut s’éloigner de ses relations en emploi. Il note aussi que les rapports de couple tendent à s’altérer lorsque l’emploi est menacé, une situation professionnelle précaire pouvant devenir honteuse pour le conjoint. Vincent De Gaulejac (1994, p. 66-67) est plus nuancé dans ses propos : « ce sont eux qui reçoivent les salaires les plus bas et font les travaux les plus pénibles ou les plus sales, ils en sont conscients, mais ils ont conscience aussi d’avoir une place dans le système et une utilité sociale, même si celle-ci n’est pas valorisée ». Mais « la fragilité de cette place sociale […] peut être d’un jour à l’autre anéantie, les faisant basculer sans transition du côté d’une exclusion plus redoutable ».

1.2 – Les risques que les « travailleurs pauvres » encourent en cas de perte d’emploi

17Robert Castel (1995, p. 13), étudiant la place de l’individu par rapport à l’emploi, décrit le processus de « désaffiliation » en trois zones à travers lequel l’individu tombe de l’autre côté de la barrière par paliers :

  • une « zone d’intégration » dans laquelle l’individu est sécurisé dans un emploi durable et peut s’appuyer sur des relations stables ;
  • une « zone de vulnérabilité », zone mouvante correspondant à une situation instable associant précarité du travail et des relations ; là, l’individu peut stabiliser sa place ou bien basculer dans la zone de désaffiliation ;
  • une « zone de désaffiliation » qui relève d’une rupture au niveau du travail et des relations. L’individu ne participe plus à l’activité productrice et se sent inutile, surnuméraire.
Pour Serge Paugam (2005, p. 180-182) « perdre son emploi dans une société qui fonde les distinctions de statuts sociaux sur la participation à la production de la richesse collective est, pour beaucoup, le signe de l’infériorité, de la dépendance vis-à-vis des travailleurs sociaux et le début de l’engrenage vers la misère ». Il montre, dans ses travaux, qu’en France la pauvreté entraîne une réduction des liens sociaux pouvant aller jusqu’à leur perte et à l’isolement. Ce qu’avait déjà prédit Jean-Baptiste de Foucault (2002), en affirmant que lorsque l’emploi précaire affecte les relations sociales et prive de réseau, les individus manquent des supports collectifs qui pourraient servir de béquilles pour se relever. Il en de même de Vincent de Gaulejac (1994, p. 67 et 77) qui note qu’en perdant sa place au sein du monde du travail, l’individu peut craindre une dégradation de sa situation pouvant à terme le faire « tomber dans la misère ».

2 – L’emploi serait-il un socle sur lequel reposent la dignité et la place sociale ?

2.1 – La valeur du travail et sa place aujourd’hui en France

18Notre société semble imposer le travail comme référence. Cette conformité culturelle détermine largement la façon dont les individus sont perçus et leur place sociale, montrant par là que « travailler est un devoir vis-à-vis de la société » et aussi par lui-même (Pierre Brechon, 2003, p. 118-119). Le rapport du Conseil économique et social de 2003 note que le travail conserve une place centrale « puisqu’il est à la fois créateur de richesses, source de revenus, gage d’identité et de dignité pour la personne, facteur d’émancipation et d’autonomie, clé d’insertion dans la société et vecteur de lien social entre les membres de la société ».

19Ce qui fait dire à Dominique Méda (2004, p. 50) que la protection sociale, accessible à la « société salariale », procure une sécurité indéniable et donne une place déterminante au travail. La sociologue Dominique Schnapper (1997, p. 130) pense que même s’il y a une évolution des emplois, le travail demeurera une valeur centrale, et c’est en se conformant aux normes et aux valeurs d’un modèle en place que les individus sont reconnus, ils n’ont pour cela pas d’autre choix que le travail (Jean Dubois, 1988, p. 51-52). Mais aujourd’hui, au-delà de l’affirmation de la place centrale du travail dans notre existence, certains auteurs comme Viviane Forrester (1997) voire Dominique Méda (1995) se montrent critiques à l’égard de la valeur travail, et elles réinterrogent les avantages procurés par le travail, même si pour Robert Castel le travail reste la base et le catalyseur de l’insertion.

2.2 – Les apports du travail et du statut de salarié

20Selon Marie Jahoda (2004, p. 31), le travail « impose une structure temporelle de la vie ; il crée des contacts sociaux en dehors de la famille ; il donne des buts dépassant les visées propres ; il définit l’identité sociale et il force à l’action ».

21Serge Paugam (2002, p. 28-29) explique que, par le travail, l’individu cherche une rémunération (« l’homo oeconomicus ») lui permettant de vivre mais bien plus encore. Il veut se sentir utile, s’épanouir (« l’homo faber ») et obtenir une reconnaissance dans le travail (« l’homo sociologicus ») qui le motivera et le valorisera personnellement. Le travail répond à la nécessité d’assurer pour les individus des moyens d’existence et une sécurité matérielle. Dominique Méda (2004, p 55) estime qu’aujourd’hui l’emploi offre une place, un revenu et également des droits associés au travail, indispensables pour évoluer dans la société.

22D’ailleurs, selon Norbert Alter et Jean-Louis Laville (2004, p. 36-37), l’entreprise constitue un lieu essentiel de socialisation et contribue à la formation d’identités au travail en fonction des accès possibles au pouvoir dans l’organisation. La construction des identités repose sur les interactions quotidiennes dans l’espace de travail et le salarié est reconnu parce qu’il contribue à la sphère de production par son travail ; tout en se sentant utile par cette contribution (Axel Honneth, 2006, p. 39).

23Pour Vincent de Gaulejac, « pour exister socialement, il faut faire la preuve de son utilité au monde, […] il faut être reconnu par des institutions qui vous octroient une place et un revenu » (1994, p. 45). Il explique que « l’emploi […] confirme l’image de soi, fixe une place sociale et apporte la dignité ; le salaire […] permet de vivre en conformité avec l’ensemble du groupe […] et d’être valorisé » (de Gauléjac, p. 111-112). Pour lui, la dignité, c’est le sentiment d’appartenir à une société et à son système de valeurs et d’être respecté en tant que membre de celle-ci (de Gauléjac, 1996, p. 137). Ce sentiment se vit dans une interaction entre l’individu et la société. L’individu adhère aux normes établies et la société le reconnaît comme « convenable ». La dignité peut aussi s’entendre par le « respect de soi : amour-propre, fierté, honneur» (de Gauléjac, 2001, p. 1508).

3 – Les « travailleurs pauvres » face à la réalité empirique

24La constitution de l’échantillon : des « travailleurs pauvres » et des travailleurs sociaux.

25Deux types de population ont été interrogées : d’une part celle qui est directement concernée par la pauvreté au travail, constituée par un échantillon de dix « travailleurs pauvres » âgés entre 25 et 60 ans, d’autre part celle des travailleurs sociaux représentée par cinq professionnels.

3.1 – La valeur travail pour les « travailleurs pauvres »

26L’analyse du contenu des témoignages met en exergue plusieurs idées. Ainsi, six « travailleurs pauvres » sur dix voient le travail comme une norme à laquelle il est nécessaire d’adhérer. Monsieur D affirme : « On a besoin de travailler parce que l’homme n’est pas fait pour rester chez lui, il est fait pour travailler puisque l’homme est fait pour vivre en société et la société est basée sur le travail ». L’agent social déclare : « C’est la norme, dans la vie de tous les jours, surtout chez nous […]. Quand on rencontre quelqu’un, on se dit bonjour : ben qu’est-ce que tu deviens, qu’est-ce que tu fais dans la vie ? En réalité, qu’est-ce que tu fais comme travail ? ».

27Je pense que nous vivons dans une société qui, dans sa culture, valorise considérablement le travail. Celui-ci fait tourner l’économie et permet aux individus de faire vivre leur famille et de construire des projets. Nous ne pourrions pas concevoir la survie de notre société autrement que par le travail tant il y est ancré. Les « travailleurs pauvres » répondent à ce que la société attend de chaque individu, comme s’il s’agissait d’une obligation morale.

28D’autre part, certains « travailleurs pauvres », consciemment ou non, transmettent à leur tour à leur descendance les valeurs qui les habitent depuis leur enfance. Il semblerait qu’ils ont baigné dans cette « évidence du travail » et qu’ils sont imprégnés de cette valeur. Quatre « travailleurs pauvres » sur dix avancent que leurs parents leur ont montré l’exemple du travail. Faut-il pour autant en conclure que nous travaillons pour satisfaire nos géniteurs ?

29Monsieur H relate : « Moi, j’ai été élevé dans le travail. Vous comprenez ? J’ai toujours fait ça avec mes parents pour avoir des sous pour manger : ramasser les pommes de terre ; on était payé au sac, les ballots, tout, les betteraves ».

30Étant sociabilisés sur ce modèle, celui-ci est transmis à la génération suivante. Le modèle présenté par les parents encouragerait les enfants dans leur travail scolaire. La moitié du public des « travailleurs pauvres » a le sentiment de leur transmettre ce repère.

31Monsieur C tient ce langage : « La mentalité qui tourne à la maison c’est le travail ; ils verraient leur père baisser les bras, ça ne suivrait pas avec l’éducation que je leur donne à mes enfants. Ils diraient : Papa il a baissé les bras, il y a un problème. Pour eux, c’est étudier, travailler à l’école. Quand je pars travailler le soir, mes enfants ils ont toujours ça en tête, c’est gravé dans leur mémoire ; le travail c’est un moteur, le travail c’est la vie ».

32Les travailleurs sociaux notent toutefois le découragement de certaines « travailleurs pauvres ». Le travail perdrait sens lorsqu’il ne permet pas d’obtenir ses droits fondamentaux tels que d’être privé de logement. Les « travailleurs pauvres sans domicile fixe » seraient démotivés puisqu’ils font l’effort de participer à la vie de la société sans qu’en retour ils puissent y être abrités et protégés.

3.2 – La place du « travailleur pauvre »dans la société

33Au travers des entretiens, il me semble que l’exercice d’une activité professionnelle est perçu comme source de satisfaction personnelle ; il est porteur de sens et d’équilibre dans la vie. J’ai le sentiment que c’est l’utilité sociale et la fierté qui dominent largement. Six personnes interviewées sur dix se sentent utiles en travaillant.

34Madame E, qui a démarré un travail récemment, prend conscience de son besoin de se sentir utile : « J’en étais arrivée à un moment où vraiment j’avais envie de faire quelque chose qui puisse servir aux autres. […] Le fait d’apporter aux autres quelque chose, ça me plaît ; je me sens vraiment utile ».

35Tous les « travailleurs pauvres » interrogés disent que le travail amène une fierté.

36Évoquant des personnes bénéficiaires de revenus de substitution ou du Revenu minimum d’insertion (RMI), Monsieur B déclare : « Même si c’est pour avoir les mêmes revenus qu’eux, je préfère me lever, aller travailler et être fier de travailler, surtout par rapport à moi, par rapport à ma famille ».

37Par l’octroi d’un statut, d’une reconnaissance (non monétaire), d’une utilité sociale, de responsabilités, le travail rend le sujet acteur de sa vie à une place donnée au cœur de la société. S’ils ne sont pas reconnus sur le plan du salaire – n’oublions pas qu’ils sont pauvres –, six « travailleurs pauvres » estiment néanmoins bénéficier d’une reconnaissance symbolique qui les satisfait dans leur amour-propre et les rend dignes.

38Pour Monsieur F : « On vit dans un monde où quelqu’un qui a du boulot, il a un statut social ». L’éducateur spécialisé affirme qu’« un “travailleur pauvre”, s’il continue à travailler, c’est pour avoir une activité et avoir le sentiment d’utilité, d’exister, d’avoir une identité ». Quant à Madame A, elle a aussi un ressenti positif : « Comme là je suis reconnue, comment je vais vous expliquer ça, elle dit toujours qu’elle voudrait personne d’autre donc c’est parce que je le fais bien qu’on a une reconnaissance. […]. C’est la satisfaction d’avoir fait quelque chose et bien. Même le notaire quand je m’en vais il me dit : vous avez bien travaillé ; ça me complimente parce que je n’ai pas de niveau d’études, rien du tout ».

39Monsieur D, ex-bénéficiaire du RMI, se sent reconnu au sein de la médiathèque où il travaille : « Ils sont reconnaissants vis-à-vis de moi ; ils savent bien que je fais du bon travail ; donc c’est pas une reconnaissance pécuniaire parce qu’ils ne peuvent pas mais c’est une reconnaissance affective et ça, j’en ai besoin. Je suis fier d’y travailler parce que je suis connu et reconnu par des gens de ma ville ». Toutefois, trois personnes considèrent qu’elles ne sont pas reconnues parce que leur salaire ne l’est pas, comme Madame D : « Je crois que ce qui revient toujours, c’est le fait qu’il n’y a pas cette reconnaissance réelle en Mairie. De toute façon, j’aurais vraiment une reconnaissance, j’aurais le salaire qui irait en conséquence ».

40Même si les « travailleurs pauvres » et les travailleurs sociaux ne parlent pas directement de la dignité comme résultant du travail, celle-ci transparaît notamment par la fierté à travailler. La dignité de certains « travailleurs pauvres » peut toutefois être remise en cause, notamment pour ceux qui sont contraints de fréquenter les associations caritatives ou pour ceux qui, sans logement, peuvent être accueillis dans des foyers d’hébergement d’urgence ou doivent trouver d’autres solutions. Les « travailleurs pauvres » peuvent également connaître des humiliations sur leur lieu de travail. Même si les « travailleurs pauvres » interrogés n’en parlent pas, ils vivent parfois des relations difficiles et angoissantes comme le stress voire le harcèlement moral. Globalement, il apparaît que, grâce à la place que le « travailleur pauvre » gagne par le travail, il devient acteur de sa vie, socialement accepté et digne, fier, malgré les situations indignes qu’il rencontre parfois.

41Sept « travailleurs pauvres » mettent en évidence la place de travailleur qui permet une intégration dans la société. Cela signifie que le travail rend la personne sujet, tant dans le travail que dans la famille et dans la société plus globalement.

42Le travail est intégrateur comme pour Madame E : « Pour les enfants aussi, ils sont fiers que je travaille, de faire partie de la société et d’être reconnue. […] Tout le monde est heureux que je travaille, je suis comme eux ; je fais partie du même monde. Je suis plus prise au sérieux parce que je travaille, même avec les gens à l’extérieur, on le voit bien. […] Pour moi, travailler c’est faire partie de la société. On n’a pas les mêmes rapports avec les gens quand on ne travaille pas. On est en dehors du système ». Monsieur D souligne que « l’entreprise […] ça me permet d’être toujours dans la société, je ne suis pas déconnecté […]. C’est important de ne pas être mis à l’écart ». L’agent social confirme que « par le travail, ils sont valorisés, automatiquement ils ont quelque chose à dire, ils ont une place un peu dans la société. La personne qui va dire : maintenant j’ai un travail, ben oui, ça va être super-positif parce qu’elle va trouver sa place dans la société. Pour le public avec lequel je travaille, c’est une question de place dans la société ».

3.3 – Les apports du travail et les contraintes qui en découlent

3.3.1 – Le travail est source de revenus, de droits et d’avantages

43Si le travail salarié s’avère incontestablement une source de revenus, il apporte également une protection sociale et parfois certains avantages autres que financiers.

44Je comprends que c’est la relation aux autres qui apparaît fondamentale pour tous les « travailleurs pauvres » interrogés. En effet, sur le lieu de travail, des liens peuvent se tisser. Les « travailleurs pauvres » peuvent s’ouvrir d’autres horizons. Au contact des autres, ils confrontent leur vécu, leurs idées, se remettent parfois en question et se socialisent encore. Passant de longs moments sur leur lieu de travail, ils peuvent trouver auprès des autres une écoute, la possibilité d’échanger dans différents domaines et de la solidarité.

45Monsieur P trouve de la solidarité dans sa communauté de travail : « On peut demander tout ce qu’on veut aux collègues […] c’est important ça de savoir qu’on peut compter sur les autres ». Madame A fait souvent référence aux relations qu’elle entretient en travaillant : « C’est les contacts déjà, on se raconte nos petites histoires », « Sans travail, je manquerais de contacts, j’aime trop discuter, voir la réaction des gens », « Avec ma patronne, il y a quand même des liens ».

46Les travailleurs sociaux déplorent toutefois qu’avec le travail précaire, les relations de travail peuvent se réduire. Je pense qu’avec la flexibilité, la mobilité et l’individualisme, les liens pourraient effectivement se distendre, les échanges entre collègues se raréfiant.

47Certains « travailleurs pauvres » découvrent leurs compétences ou apprécient de les mettre en œuvre. Pour six « travailleurs pauvres », le travail leur permet de démontrer une capacité à faire et des compétences.

48Madame E, qui obtient de bons résultats avec les enfants handicapés qu’elle accompagne, est surprise de ses compétences : « Ça me permet de ressentir un savoir-faire que je ne soupçonnais pas être capable de faire. Des choses inconnues se révèlent ». Madame D souligne : « Quand je suis au travail, c’est une façon de montrer que je suis capable de faire des choses ».

49Ils profitent parfois de l’opportunité de développer des savoirs et des compétences qui renforcent leur employabilité. Cinq « travailleurs pauvres » ont l’espoir d’une évolution professionnelle favorable.

50Monsieur B espère une promotion : « Moi, je vise déjà à passer responsable de site et après voir pour monter plus haut. Il y a une évolution qui peut se faire, interne, il y a des formations ».

51Je pense que les formations et l’acquisition de nouvelles compétences les rendraient mieux armés pour s’adapter à de nouvelles tâches ou fonctions et négocier une évolution professionnelle.

3.3.2 – Le travail est également source de problèmes et de contraintes

52Les « travailleurs pauvres » ne cachent toutefois pas les contraintes qu’ils surmontent pour se maintenir en équilibre précaire. Pour tous les « travailleurs pauvres » interrogés, l’insuffisance de leurs revenus rend leurs conditions de vie difficiles.

53Monsieur F déclare : « On se serre la ceinture », Monsieur B confirme qu’« il faut tout calculer », suivi par Monsieur D : « On fait attention à chaque euro, à chaque centime ». Monsieur P conclut : « Je me lève tous les matins pour aboutir à la fin du mois à même pas voir la couleur de l’argent ».

54Ils ne parviennent pas toujours à trouver un logement ou à s’y maintenir.

55L’éducateur spécialisé du foyer d’hébergement d’urgence témoigne de l’importance d’avoir un toit : « Quand ils sont à la rue, ils tiennent deux jours et puis après le boulot c’est tout, c’est plus la peine parce qu’ils ne trouvent pas d’endroit pour dormir normalement, parce qu’après une journée de travail on a besoin de repos ; dormir dans la rue avec toutes les contraintes climatiques et les contraintes de stress liées à l’environnement de la rue et à la violence potentielle, de ce fait les personnes ne sont pas reposées ».

56Malgré leur travail, ils sont parfois contraints de solliciter l’aide des associations caritatives, un pas souvent pénible à franchir. Deux « travailleurs pauvres » disent fréquenter les associations caritatives comme Monsieur P : « On a déjà fait les restaurants du cœur et le Secours Catholique en travaillant ! ».

57Je crois que cette démarche génère de l’humiliation. Malgré leur travail, ils n’arrivent plus à accomplir complètement leur rôle nourricier dans la famille. On leur distribue du pain au lieu qu’ils le gagnent. Certaines situations entraîneraient une perte d’autonomie qui attaque leur dignité.

58Le travail entraîne des coûts, notamment de transport et de frais de garde des enfants. Deux « travailleurs pauvres » vont jusqu’à penser que les bénéficiaires de minima sociaux s’en sortent mieux qu’eux. Ils disent ressentir une injustice par rapport aux bénéficiaires des minima sociaux qu’ils imaginent mieux lotis qu’eux.

59Monsieur B compare sa situation financière à celle d’une personne allocataire du RMI : « Une fois, j’ai fait un calcul avec quelqu’un qui est Rmiste, pour en finir, il a les mêmes revenus que moi et il a plus d’avantages ».

60En se trouvant évincés de certaines aides sociales en raison de leur salaire, ils auraient l’impression que ces bénéficiaires auraient droit à tout et eux à rien. Cela créerait une grande frustration car, étant reconnus par la société comme producteurs, ils mériteraient en retour davantage de reconnaissance financière. Malgré tout, ils poursuivent leur activité professionnelle. Ils préfèrent donc le travail à l’inactivité qui serait mal vécue et qui pourrait les stigmatiser.

3.4 – L’impact en cas de rupture vis à vis du monde du travail

61Je crains que les « travailleurs pauvres », financièrement vulnérables, pourraient rapidement basculer vers une situation plus critique en cas d’incident, chuter comme ils le disent. Un des situations les plus critiques serait la perte d’emploi. Celle-ci pourrait les amener à percevoir les minima sociaux vécus par les bénéficiaires comme des revenus d’assistance et de dépendance.

62Sept « travailleurs pauvres » sur les dix interviewés rejettent l’idée de percevoir les minima sociaux et d’être dépendants des Services sociaux. Monsieur C considère que « le RMI c’est bien mais il y en a qui en ont fait leur salaire. Chaque mois, ils attendent leur RMI mais ils s’éteignent au fond d’eux-mêmes, ils n’ont plus de moteur ». L’un des éducateurs spécialisés interviewés analyse la représentation qu’ont certaines personnes du RMI : « C’est important pour les gens de ne pas toucher le RMI, car le RMI a une valeur très symbolique, c’est vraiment la dernière des ressources ! ».

63Ces revenus, non gagnés par leur travail seraient reçus comme une aumône, une « dette sociale » touchant au vif leur dignité. Ils auraient alors le sentiment de « toucher le fond(s) ». J’ai également l’impression que, sans travail, la société porterait sur eux un jugement de valeur en les méprisant et en les considérant comme des paresseux.

64Il me semble que l’absence de travail est souvent synonyme d’oisiveté, d’enfermement, de perte de motivation, d’un mal être psychologique, de risque de conduites déviantes et même parfois d’une vie devenue vide.

65Cinq des « travailleurs pauvres » interviewés, notamment des hommes, redoutent les maux liés à une trop grande oisiveté. Monsieur C a expliqué ses difficultés lorsqu’il était au chômage : « C’est dur sans travailler car le chômage ça ronge l’esprit. Je suis resté au chômage pendant longtemps, […] c’est dur parce que c’est l’oisiveté […] j’étais chez moi et je tournais en rond et j’avais tendance à trouver des problèmes où il n’y en avait pas ». Monsieur D tient des propos relativement similaires : « Une vie sans travailler et sans aisance financière, c’est la catastrophe. Parce que c’est l’oisiveté et l’oisiveté amène beaucoup de maux, beaucoup de problèmes : pour l’homme ça peut amener à l’alcoolisme, ça peut amener la drogue, la délinquance. Le travail recadre les gens dans la société. On ne peut pas déconnecter une personne du travail ; on a nos repères au travail. […] Quand vous n’avez pas de travail, vous êtes livré à vous-même et à vos fantasmes, à vos colères ». En parlant d’une de ses connaissances qui n’ont pas d’emploi, Monsieur H déplore la situation de cette personne : « Maintenant, c’est le fauteuil et la télé sept jours sur sept ou il joue avec les jeux de ses gosses. Il n’a plus envie de travailler ».

66Le traumatisme que provoquerait la perte de l’emploi ne leur permettrait plus de maintenir leurs relations. Ils adopteraient souvent une attitude de repli en perdant leur estime de soi et en pensant ne plus rien valoir. Ils ne se sentiraient plus utiles, n’auraient plus de reconnaissance extérieure. Ce repli est à la fois volontaire parce qu’ils ont honte et préfèrent se cacher et, en même temps, il est subi car les collègues ou amis peuvent abandonner progressivement « le perdant » qui n’a plus de lui qu’une image dégradée.

4 – Pourquoi continuer à travailler au lieu de percevoir les minima sociaux ?

67Nous voyons que le travail participe à l’équilibre des personnes. Danièle Linhart (2004, p. 19-20) en commentant les idées de Renaud Sainsaulieu et de Claude Dubar montre que « l’image que chacun à de lui-même, l’identité qu’il porte, la place qu’il trouve dans la société, celle qu’il peut assumer dans sa famille et auprès de ses proches, ses projets, tout cela repose sur le travail ». Par leur activité salariée, certains « travailleurs pauvres » préservent leur dignité car ils trouvent une identité et une place dans le monde du travail et dans la société. Ils se sentent utiles, responsables et acteurs, ce qui leur permet d’être reconnus, tout au moins symboliquement. Cette dignité transparaît dans les entretiens, notamment au travers de leur fierté à travailler.

68Mais dès lors que les droits fondamentaux sont bafoués, quand les « travailleurs pauvres » ne parviennent plus à se loger, à subvenir à leurs besoins, lorsqu’ils ne sont pas respectés, qu’ils ressentent de la honte, alors la dignité des personnes et le sens et la valeur du travail sont ébranlés.

69De cette étude, on peut également ressortir que certains « travailleurs pauvres » redoutent la rupture sociale et l’assistanat qui peut suivre la perte de l’emploi. En effet, l’adhésion aux normes est fondamentale. Pour Vincent de Gaulejac (1996, p. 96-103), « l’individu qui ne se réfère plus aux normes et aux valeurs de la société à laquelle il appartient s’exclut de cette société ». Il observe d’ailleurs que, si les personnes pauvres sont tant attachées à leur dignité, c’est par peur d’être rejetées de la société. Pour Danièle Linhart (2004, p. 31), certains individus sans emploi sont « en errance, dans un véritable désert social » et « ce n’est pas tant le travail qui attire, que le vide autour du travail qui repousse… Le vide dans une société façonnée par et pour le travail » (ibid. p. 24). Ainsi, en accord avec Serge Paugam, je reprends à mon compte cette citation : « Lorsque l’individu est abandonné à lui-même, il est affranchi de toute contrainte sociale et donc de toute contrainte morale… les individus sont livrés à eux mêmes, ils perdent leurs repères et ils peuvent adopter des conduites déviantes ».

70Comme nous l’avons vu, le travail est une source d’avantages, il est intégrateur par la création de liens sociaux. Il peut renforcer l’employabilité des « travailleurs pauvres » et leur donner l’espoir d’une évolution professionnelle. Mais nous avons également pointé les conditions de vie difficiles et les problèmes rencontrés. Ceux-ci contribuent à fragiliser le maintien dans l’emploi. Les « travailleurs pauvres » font face à des dépenses telles que les frais de transport, parfois de garde d’enfants, etc. Ils ne reçoivent que peu d’aides sociales comparativement aux bénéficiaires de minima sociaux. Certains voient une injustice dans le manque de reconnaissance financière.

71Les « travailleurs pauvres » se situent au carrefour de la vulnérabilité et de la dépendance. Certains individus interpellent les travailleurs sociaux de façon ponctuelle en pensant sortir de leurs problèmes rapidement. D’autres, rencontrant des difficultés pérennes, acceptent l’assistance en espérant que leur situation professionnelle s’améliore et qu’ils ne deviennent pas dépendants des services sociaux. S’ils travaillent, les « travailleurs pauvres » montrent qu’avant tout, ils souhaitent s’en sortir par eux-mêmes en refusant la dépendance. Comme l’explique Vincent de Gaulejac (1996, p. 102), « une frontière s’est instaurée entre la dignité et l’indignité : celui qui est autonome, qui ne dépend de personne pour vivre fait partie de la communauté sociale. Il est reconnu comme tel et peut s’affirmer comme digne d’appartenir au groupe. Celui qui est dépendant, qui a besoin de la charité pour vivre, n’est plus citoyen à part entière, il bascule dans l’indignité ». Les « travailleurs pauvres » contraints à fréquenter les associations caritatives ressentent un sentiment de honte car, aux yeux d’autrui, ils ne sont plus dans la norme. Nous pourrions dire que certains « travailleurs pauvres » seraient dignes tout en étant confrontés parfois à des situations indignes.

72Dans le processus de « disqualification sociale » que Serge Paugam a dégagé, certains « travailleurs pauvres » relèveraient de la « fragilité intériorisée » en évitant de faire appel aux services sociaux et d’autres relèveraient de la « fragilité négociée » (1991, p. 50-51), avec un recours maîtrisé aux services sociaux mais avec le désir toujours présent de s’en sortir. Ils sont encore éloignés de la « dépendance des assistés ».

73Dans le processus de « désaffiliation » que Robert Castel décrit, ils s’écartent déjà de la « zone d’intégration » pour entrer dans la « zone de vulnérabilité ». Cherchant des stratégies pour sortir de leur situation difficile, ils se situeraient dans la « phase d’adaptation » entre la « phase de résistance » et la « phase d’installation » mises en évidence par Vincent de Gaulejac (1994, p. 120-125) dans le processus de désinsertion, mais ne s’installeraient pas dans la dépendance tant qu’ils travaillent.

74Nous avons vu que le travail favorise les liens sociaux. Or, en perdant leur travail, les « travailleurs pauvres » perdraient leurs relations aux collègues puis aux personnes de leur environnement en s’isolant pour cacher leur mal-être et leur image abîmée de « looser ». Pour Vincent de Gaulejac (1994, p. 78), les individus perdent le soutien affectif et psychologique de leur environnement, leur image est celle « d’un citoyen sans utilité sociale, voire nuisible, repoussant, privé de dignité, de raison d’être et de valeur ». Pour ces personnes, les liens de proximité ne sont pas systématiquement inexistants mais ils apportent un soutien trop faible pour aider les personnes en situation de précarité à surmonter leurs problèmes (Bresson, 2007, p. 69).

75Nous pouvons dire qu’en poursuivant leur activité salariée, certains « travailleurs pauvres » maintiennent leur dignité sociale car la société leur reconnaît une place de travailleur, est partiellement validée car un certain nombre de « travailleurs pauvres » se sentent appartenir à la société du fait de leur travail. De la reconnaissance symbolique, de la fierté et du sentiment d’utilité sociale qu’ils tirent de leur activité, ils maintiennent leur dignité en redoutant d’ailleurs la rupture sociale qui leur ferait perdre ce sentiment. Ces facteurs constituent de bonnes raisons de se maintenir en emploi.

Conclusion

76Il procure de la dignité et apporte une place de travailleur dans la société par la valorisation du salarié et un certain nombre d’apports matériels ou symboliques. Mais, s’il est souvent intégrateur, il peut à l’inverse créer de la souffrance quand, au lieu de sécuriser, il voit naître l’angoisse de chercher un toit pour la nuit ou de quoi se nourrir jusqu’à la fin du mois… À la fois idéalisé et controversé, il reste quand même, chez certains « travailleurs pauvres », un pilier auquel ils se raccrochent pour maintenir leur place et leur dignité dans un monde en mouvance. En effet, la crainte serait pour certains « travailleurs pauvres » de perdre leur emploi, de voir leur situation se dégrader et de dépendre des minima sociaux.

77Pour clore cet article, nous pensons que de nouvelles questions apparaissent aujourd’hui. Dans le contexte actuel, nous pouvons nous demander si la valeur travail va résister face à l’accroissement du travail précaire et de la pauvreté qu’il entraîne. La déstabilisation du travail ne va t-elle pas entraîner la remise en cause de la norme du travail ? Quelles seraient les bonnes raisons de ne plus travailler avancées par les individus qui ont fait ce choix ? Seraient-elles culturelles ou le fruit d’une réflexion individuelle liée au parcours des personnes ? La nouvelle génération va t-elle accepter d’être victime de l’économie qui s’emballe ? Comment certains jeunes vont-ils supporter la non-reconnaissance financière quand un grand nombre de besoins reposent sur l’argent ? Quelles valeurs mettront-ils en avant ?

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