Notes
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[1]
Directeur de l’Association de Prévention « Plaine de France ».
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[2]
Agora 92 : les états généraux de la prévention spécialisée, Plaquette de présentation du Comité National de Liaison des Associations de Prévention Spécialisée, Chambéry, 1992.
1L’éducation est une question sociale. Elle mérite une réflexion collective, un débat ouvert et un engagement partagé entre les acteurs sociaux et les personnes concernées. Pour soutenir la famille, peut-être faudrait-il la désenclaver, pour comprendre les jeunes, peut-être faut-il les écouter dans leur complexité, pour mesurer les difficultés des personnels éducatifs, peut-être faut-il trouver le temps et l’espace d’un dialogue ouvert sur les pratiques. Pour tous, il convient de comprendre les enjeux de l’environnement social dans lequel ils évoluent.
2Notre société s’interroge sur ce qu’elle produit chaque fois qu’un événement grave vient la sortir de sa torpeur. À ce moment précis, les politiques, pour se donner bonne conscience, produisent des textes réglementaires et des lois, comme s’il suffisait de judiciariser pour faire évoluer les comportements. Cette fuite en avant, c’est l’aboutissement d’un processus redoutable qui tend à favoriser l’évitement pour ne pas se trouver en confrontation.
3S’agissant d’éducation, ce processus est contre-productif puisque pour permettre à un adolescent de grandir, il lui faut pouvoir se confronter à des adultes qui lui serviront de modèles ou de contre-modèles. L’éducatif est en difficulté parce qu’il ne prend plus en considération la durée comme moyen de transformation mais plutôt comme une logique de rationalisation des coûts qui a pour effet principal de placer l’acte éducatif dans le registre de la gestion économique. Ce changement conduit à un glissement entre une logique d’acteurs sociaux vers un système d’opérateurs sociaux.
4L’éducation a besoin de temps mais aussi et surtout de relationnel qui respecte les personnes et non pas seulement la commande publique qui se fait de plus en plus pressante.
5Quand la famille et la société sont dans une période de mutation aussi profonde que celle d’aujourd’hui (les mutations juridiques et culturelles ; la disjonction de la conjugalité et de la filiation ; la massification de la précarité sociale et économique ; la multiplication et le décalage des références au regard des particularités de la migration), les rôles parentaux tels qu’ils étaient incarnés par les générations précédentes, les valeurs et les normes d’un modèle unique de famille ne suffisent plus aux parents confrontés à la complexité de leur fonction éducative.
6Bien souvent, les familles se sentent coupables de ne pas réussir l’éducation de leurs enfants, et les parents se trouvent désignés comme responsables. Les institutions ne se gênent pas pour les accabler ou leur donner des leçons allant jusqu’à leur imposer des stages d’aide à la parentalité, comme si le rôle de parents était un métier qu’il leur fallait acquérir de gré ou de force.
7La notion de jeunes en rupture dans notre société recouvre des réalités multiples. La dimension de rupture pour les jeunes fait apparaître immédiatement une représentation d’une jeunesse, celle des quartiers, des banlieues, comme si la conscience collective culpabilisait de n’avoir su développer en même temps que l’urbain un social en harmonie.
8Cette jeunesse désignée en rupture est si complexe à comprendre pour l’ensemble des adultes qu’il est de bon ton de désigner des spécialistes pour s’en occuper (médiateurs, éducateurs, psychologues, animateurs).
9La rupture est ainsi consommée entre des jeunes qui demandent de l’attention et des adultes qui refusent le « frottement » éducatif. Il revient donc à quelques-uns la mission de restaurer du lien entre la société et des jeunes. Mais pour ces professionnels de l’éducation, que sont, entre autres, les éducateurs, les enseignants, etc., il est important de travailler non pas sur des représentations de la jeunesse ou de la société de façon abstraite mais sur un ajustement et des relations entre des jeunes et des adultes de façon concrète.
10L’Éducation prend toute sa place entre une organisation générale, un contexte social spécifique et des situations individuelles. Dans ce cadre, les acteurs de l’Éducation ont un rôle essentiel qu’il leur faut adapter sans cesse mais en même temps consolider les fondements de leur posture éducative. À partir du champ spécifique de la Prévention Spécialisée, il est possible de proposer une lecture différente de l’éducation.
L’action de Prévention Spécialisée
11« En matière de prévention spécialisée, le seul critère de pertinence est celui de l’efficacité de l’action. Confrontée aux réalités, la pratique sociale engendre des solutions que n’aurait pas imaginées la théorie. De la diversité des situations naissent différentes réponses. C’est pourquoi chaque association de Prévention Spécialisée, dans son contexte particulier, a développé un savoir-faire qui lui est propre [2]. »
12Ce positionnement fort me paraît essentiel compte tenu de la place spécifique occupée par la prévention spécialisée dans le champ de l’action sociale en milieu urbain. Oser parler d’efficacité me semble correspondre à une lecture globale de la prévention spécialisée comme un modèle d’action sociale qui prend tout son sens.
13La prévention spécialisée est une démarche engagée entre demande sociale et commande publique. Le cadre référentiel et législatif, à partir d’une mission de délégation de service public rattachée à l’Aide sociale à l’Enfance, donne une position particulière à la prévention spécialisée au côté d’autres acteurs de développement social urbain inscrits dans des dispositifs.
14Au-delà des principes théoriques de la Prévention Spécialisée (anonymat, libre adhésion et non-mandat), il semble important de comprendre les pratiques de ce modèle d’action sociale.
La Présence sociale
15Il faut entendre par présence sociale une présence dans la rue, appelée fréquemment « travail de rue » et une présence dans les espaces de rencontre plus au moins formalisés que les jeunes et les adultes fréquentent. La présence sociale s’inscrit dans le champ éducatif et social, c’est le point d’ancrage d’une démarche plus globale référée à un projet pédagogique d’équipe et intégré au projet d’association… Cette notion, d’« aller vers », est prise en compte au niveau des équipes de différentes façons. Les éducateurs, lorsqu’ils se déplacent dans le quartier, sont contactés de façon directe par les jeunes et les familles. Bien souvent, il leur sera nécessaire de préserver des temps de rencontre qui permettent de contacter d’autres groupes ou personnes.
16Des événements de quartier tels que fêtes ou marchés, peuvent permettre de rencontrer plus largement des personnes qui ne sont pas présentes dans l’espace public au quotidien. Dans les secteurs nouveaux, la présence sociale est vraiment le moyen nécessaire pour établir des rencontres, connaître le quartier et se faire reconnaître dans une place professionnelle.
Le « public » de la Prévention Spécialisée
17La question du « public » est souvent posée aux éducateurs de prévention spécialisée, obligeant du même coup à définir l’action à partir des personnes rencontrées. Lorsqu’il s’agit de désigner les personnes avec lesquelles les éducateurs sont en contact, force est de constater qu’il existe une difficulté au sein des équipes, pour employer une dénomination qui convienne. « J’ai peur de ce que les mots vont faire de moi », écrivait Samuel Becket.
18Cette question est à l’œuvre au sein des associations pour trouver une adéquation entre des principes de travail et une bonne manière de considérer les personnes. Il est donc, souvent, fait état de « personnes », de « jeunes », d’« adultes » ou d’« habitants » et plus rarement d’usagers.
19D’une équipe à l’autre il peut y avoir des sensibilités différentes mais il est à noter que la désignation des personnes s’inscrit, toujours, dans des termes respectueux. Dans les quartiers, les éducateurs, pour occuper une place d’« habitants professionnels », doivent être vus et connus pour que puisse s’établir une reconnaissance de l’ensemble des habitants. Cette phase d’adaptation d’une action de Prévention Spécialisée, à l’échelle d’un espace de vie, nécessite du temps.
20Le public de la Prévention Spécialisée est en constante évolution et ce n’est ni l’âge ni même une difficulté qui le caractérisent mais une combinaison de facteurs individuels et collectifs. La situation sociale et la complémentarité des autres dispositifs orientent majoritairement cette action en direction des 11-25 ans.
21Il est possible d’identifier des différences d’approches selon l’âge des personnes :
- Au niveau de la petite enfance, l’action éducative prend en considération la relation des parents avec leurs enfants. Cette dynamique établissant un lien se prolonge aussi pour les 6-11 ans, mais pour ces derniers les équipes s’occupent principalement du rapport à l’école, afin de prévenir l’échec scolaire. Pour certaines équipes, implantées depuis longtemps sur un quartier, la prise en compte des parents se fait dans la suite des accompagnements commencés lorsqu’ils étaient plus jeunes.
- En ce qui concerne les préadolescents et les adolescents, les équipes développent des actions à partir de supports de rencontre basés sur des activités de loisirs, culturelles ou sportives. Pour cette tranche d’âge, si elles restent sensibles au lien avec les familles, les équipes qualifient souvent insuffisamment les relations qu’elles établissent avec elles. L’implication des éducateurs avec les parents est souvent plus difficile sachant que les adolescents ne la souhaitent pas forcément. Les filles ont moins de liberté à partir de l’adolescence, les parents étant parfois réticents à les laisser sortir. Les équipes doivent tenir compte de cette réalité pour développer des relations avec les familles permettant de rencontrer et d’accompagner les jeunes filles.
- Par rapport aux 16-21 ans, les contacts et les demandes se font, souvent, dans un registre d’accompagnement individuel. Les jeunes sont alors considérés par les éducateurs dans un rapport interpersonnel sur un registre d’égalité. Les questions qui se posent concernent essentiellement l’insertion professionnelle, le logement, la justice mais aussi des problèmes de santé. Pour cette tranche d’âge, le travail avec les familles n’apparaît pas explicitement, mais certaines équipes, par leur implantation inscrite dans la durée, peuvent prolonger des contacts déjà existants.
- Avec les jeunes adultes, il s’agit de prendre en compte des accompagnements d’un type différent. Pour certaines personnes, cela concerne l’entrée dans un statut de couple ou de parents, qui nécessite la mise en lien avec d’autres acteurs sociaux (conseillères en économie sociale, assistantes sociales, puéricultrices, etc.).
22Le public intéressé par l’action de Prévention Spécialisée est majoritairement issu de l’immigration mais non exclusivement. Il est important de noter que les jeunes issus de l’immigration subissent des difficultés supplémentaires dans l’accès au logement, au travail et au respect des droits administratifs, même s’ils s’inscrivent dans une problématique commune aux jeunes d’origine populaire (bas niveau économique, échec scolaire, habitat stigmatisé…). Il est intéressant de noter que la socialisation familiale est différente selon les origines culturelles. À partir des personnes rencontrées apparaît la dimension d’accompagnement.
L’accompagnement éducatif et social
23L’accompagnement éducatif et social tient une place importante dans la démarche de prévention spécialisée. Le terme d’accompagnement est récent dans le travail social puisqu’il apparaît, seulement, dans les années 1980. La notion d’accompagnement permet de décrire la prise en compte d’un mouvement effectué avec la personne vers un ou des objectifs fixés en commun. L’accompagnement recouvre par ailleurs une idée de durée sur un engagement réciproque, pouvant être repris à différents moments par la personne ou l’éducateur.
24En cela, l’accompagnement se distingue de la notion de suivi. Dans l’accompagnement, l’éducateur est « à coté de » la personne alors que celui qui suit est « derrière » la personne. Il s’agit donc d’établir une place professionnelle dans une fonction de « faire avec » respectant la position éducative.
25Cette dénomination d’accompagnement recouvre une dynamique permettant aux personnes l’expression directe et un accès favorisé à l’autonomie. L’accompagnement, en prévention spécialisée, s’inscrit dans une suite logique du travail de rue, à partir d’une ou de plusieurs rencontres permettant la formulation, par le jeune, d’une demande. Cette formulation ne peut s’exprimer correctement que dans le cadre d’une relation de confiance entre le jeune ou l’adulte et un éducateur. Pour établir de telles conditions d’échanges, il est parfois nécessaire de se donner le temps en équipe d’« habiter professionnellement » le quartier pendant plusieurs mois.
26L’expression de la demande ne suffit pas en soi, l’éducateur et la personne devront explorer ensemble les éléments à mettre en œuvre pour poser les bases d’un cheminement commun dans le respect des attentes de chacun et avec des règles consenties. Dans certains cas, cette dynamique engagée, au niveau de l’accompagnement s’apparente à un « contrat moral ». Dans le cadre de la prévention spécialisée, la démarche porte essentiellement sur la parole reçue et donnée. Cette particularité oblige les professionnels à cadrer leur travail à partir de principes réglementaires (anonymat, libre adhésion et non-mandat) tout en posant les bases d’une démarche éducative et sociale avec une personne dans son espace naturel de vie. En même temps que la situation individuelle peut évoluer, il faut envisager une modification de l’environnement social, et ainsi s’inscrire dans une réelle action de transformation sociale.
27La distinction entre l’accompagnement éducatif et l’accompagnement social est faite essentiellement à partir de la question de l’âge des personnes. S’agissant de mineurs ou de jeunes majeurs, il sera question d’un accompagnement éducatif ; lorsque cela concerne des personnes adultes, cela renvoie à une dimension d’accompagnement social. La notion d’accompagnement social se retrouve dans le cadre de la loi contre les exclusions du 29 juillet 1998, avec une dimension particulière qui se réfère à la question de la difficulté sociale des personnes. Cette proximité dans les termes ne recouvre pas les mêmes attendus dans le travail social, et il faut s’expliquer avec les autres acteurs pour éviter d’entretenir des confusions de missions. Les champs d’intervention, abordés lors des accompagnements, montrent que les demandes concernent souvent des éléments concrets de difficultés rencontrées par les personnes (santé, scolarité, emploi, justice…).
28Il est possible d’identifier des différences dans la formulation des demandes selon les durées d’implantation des équipes. S’agissant d’équipes anciennes, la demande d’accompagnement peut se faire assez spontanément sur une reconnaissance établie de l’équipe ou des éducateurs. Pour les équipes qui se créent sur un nouveau territoire, la notion d’accompagnement prend une place importante puisqu’elle vient sceller la relation établie dans un cadre instable de reconnaissance en construction.
29La famille est prise en considération dans la démarche d’accompagnement de mineurs, puisque les parents sont les interlocuteurs légaux avec lesquels il faut être en mesure de travailler pour faire évoluer la situation du jeune. Dans certaines situations, le rétablissement de liens, au niveau de la famille, nécessite un cheminement long avec le jeune pour lui permettre d’accéder à cette idée tout en lui donnant les moyens de renouer le dialogue. Dans certains cas, cette mise en lien n’est pas possible, il faut donc considérer, avec le jeune, les moyens d’orienter l’accompagnement éducatif vers des structures sociales habilitées (ASE, PJJ) s’agissant de la prise en compte de mineurs en risques.
30L’accompagnement éducatif et social, c’est bien souvent l’histoire entre un jeune et un éducateur. Pour éviter au travailleur social de s’enfermer dans une situation, il est important d’établir les conditions d’une dimension de tiers. Cette dimension du tiers apparaît dans la dynamique d’équipe. Le recours à une concertation partagée en équipe permet de déployer le champ de l’accompagnement en modulant les réponses à partir d’un éclairage collectif basé sur des compétences multiples.
31L’accompagnement trouve du sens en prévention spécialisée si la dynamique de relais est à l’œuvre avec les structures sociales de droit commun. Souvent, cette transmission vers d’autres partenaires ne s’établit pas facilement pour deux raisons essentielles, d’une part, il n’est pas évident de cheminer avec une personne avec cette obligation de désengagement et d’autre part, certains partenaires ne sont pas dans une dynamique permettant l’établissement de liens.
32L’accompagnement est à resituer dans le cadre plus large de la demande sociale qui est adressée à l’équipe de prévention spécialisée ou de la commande publique qui définit le champ de l’intervention. Une place lui est attribuée tant par les habitants du quartier que par les commanditaires politiques et institutionnels.
33La demande sociale est formulée par les habitants aux équipes alors que la commande publique est adressée à l’association et parfois même directement aux professionnels.
34Il s’agit d’articuler cette dynamique pour faire se rencontrer les préoccupations de l’ensemble des acteurs, en étant attentif à ne pas perdre le sens de la mission qui consiste à entendre les sollicitations des personnes en les faisant apparaître dans un environnement social qu’il faudra faire évoluer.
Le partenariat
35Pierre angulaire de la démarche de prévention spécialisée, inscrit dans les textes de l’Arrêté du 4 juillet 1972, sous le vocable de « collaboration », le partenariat figure en bonne place dans les moyens d’action des équipes. Même si le principe de partenariat inter-institutionnel n’est pas propre à la prévention spécialisée, il traduit la nécessité dans laquelle se trouvent aujourd’hui tous les acteurs de l’action sociale de coordonner leurs interventions pour apporter une réponse globale à des problématiques d’exclusion qui sont multiformes. Il s’impose d’autant plus à la prévention spécialisée que l’une de ses raisons d’être est la complémentarité à l’égard d’autres dispositifs sur lesquels elle appuie son action et vis-à-vis desquels elle joue, en quelque sorte, un rôle de relais.
36La participation de la prévention spécialisée aux politiques transversales la place dans un réseau partenarial où chacun doit tenir sa mission, connaître et respecter celle des autres. L’action de prévention spécialisée suppose une bonne connaissance des autres acteurs intervenant sur le même territoire et même au-delà sur l’ensemble de la ville.
37Le partenariat peut être défini à partir de quatre objectifs.
Sensibiliser les partenaires à des questions particulières
38Les jeunes, en contact avec les équipes de prévention, fréquentent peu ou pas les structures ou équipements qui ont pourtant été mis en place pour eux. Il s’agit de pouvoir faire se rencontrer des jeunes avec des structures sociales, en quelque sorte jouer un rôle d’interface, de relais pour que des liens puissent exister.
39Les jeunes demandent toujours davantage de lieux pour se retrouver sans que ces requêtes ne soient vraiment entendues voire même comprises par les acteurs sociaux. Cette question d’espaces intermédiaires, nécessite un accompagnement pour que puissent émerger des éléments de réponses qui tiennent compte de la particularité d’un public en même temps que de contingences d’organisation et de responsabilisation de la part des jeunes.
40L’existence d’un « noyau dur », qui semble échapper à toutes les prises en charge du social, est souvent un élément de travail de la prévention spécialisée, sachant qu’il faut à la fois donner les moyens à ces jeunes de s’exprimer et favoriser l’écoute des structures qui ont tendance à les stigmatiser.
Favoriser l’intégration des personnes dans leur environnement social
41La « promotion sociale des habitants par eux-mêmes » est un des principes de l’arrêté du 4 juillet 1972, qui me semble pouvoir se définir autrement aujourd’hui dans les quartiers. En favorisant l’émergence de potentialités d’habitants, jeunes et adultes, lors d’événements de quartier, la prévention spécialisée permet de faire se rapprocher des logiques de service et l’existence d’un développement social où les personnes peuvent agir directement. L’information des personnes est sans doute un des vecteurs essentiels leur permettant de faire valoir leurs droits mais aussi d’accéder à des dispositifs qui leur sont destinés et, en ce sens, la prévention spécialisée joue un rôle de « facilitateur » en termes de communication voire de traduction des informations pour les rendre perméables à l’ensemble des personnes jeunes et adultes que les éducateurs rencontrent.
42L’évolution de l’environnement social ne se fait pas simplement, c’est pourquoi les associations de prévention spécialisée ont un devoir d’alerte et d’indignation civique pour faire émerger de nouvelles sensibilités et une prise en compte différente des questions que posent les personnes en difficulté.
Favoriser l’expression collective
43Les jeunes et les adultes, rencontrés par les équipes de prévention spécialisée, ont des formes d’expression qui se situent souvent dans des registres de revendications et de réclamations teintées d’un sentiment d’injustice ou de discrimination.
44De cet état, il s’agit pour les éducateurs de faire évoluer les représentations de chacun pour rendre possible une expression sociale et restaurer un dialogue avec les structures et les institutions.
45Cette démarche de mise en adéquation ne doit pas se faire au détriment de la légitime expression de chacun et surtout il ne faut pas se transformer en porte-parole d’une expression collective. La maturation des questions et des propositions nécessite d’ajuster sans cesse notre place d’acteur de transformation pour rendre les personnes responsables de leurs demandes. Les éducateurs doivent, également, rendre attentifs les personnes pour qu’elles évoluent d’une position personnelle vers une représentation collective. Cette dynamique d’expression passe par une appropriation d’un aspect militant qu’il faut encourager et soutenir. Dans ce cheminement, il faut bien admettre que les politiques jouent, parfois, un rôle particulier en absorbant dans le système des leaders identifiés. Du même coup, la demande sociale perd de sa légitimité puisqu’elle se déplace vers des réponses individuelles.
Aider à la décision
46La mise en place de dispositifs répond à une commande publique qui a du mal à identifier les questions sociales de façon fine. Observateur privilégié des dérèglements sociaux et en connaissance des difficultés rencontrées par les populations des quartiers, la prévention spécialisée est en mesure de formuler des diagnostics, à partir d’une évaluation des besoins et d’une analyse de l’évolution des territoires. Ces propositions de diagnostics doivent être partagées avec les partenaires associatifs et institutionnels, pour permettre une meilleure définition des orientations.
47Dans ce sens, la démarche de prévention spécialisée est une synthèse éducative possible entre la commande publique et la demande sociale. Pour occuper cette place intermédiaire, je pense que l’association est en capacité de jouer un rôle d’acteur de médiation et de transformation. Pour agir en éducation, il est nécessaire de savoir conjuguer le verbe « oser » dans une démarche respectueuse des personnes.
Notes
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[1]
Directeur de l’Association de Prévention « Plaine de France ».
-
[2]
Agora 92 : les états généraux de la prévention spécialisée, Plaquette de présentation du Comité National de Liaison des Associations de Prévention Spécialisée, Chambéry, 1992.