1Des enfants et des jeunes, encadrés par d’autres jeunes un peu plus âgés. Des jeux, des chants, des rires, des ballades, des camps, des projets. Aucune obligation de résultat. Vivre. Et en tirer les leçons pour vivre mieux.
2Les organisations de jeunesse ont pour mission décrétale de former des Citoyens Responsables, Actifs, Critiques et d’aucun ajoutent Solidaires, des CRACS. Derrière la volonté politique de former des CRACS, se cache le profond désir des associations de participer à la création d’une société plus juste, plus démocratique au point de vue économique, social, politique et culturel. Vaste entreprise qui s’inscrit dans un processus éducatif large où famille, école et autres lieux de vie jouent évidemment un rôle indéniable.
3Pour atteindre cet ambitieux objectif de changements dans le mode d’organisation de la vie en commun, les organisations de jeunesse se dotent de moyens originaux et uniques. Nul autre cadre éducatif ne fonctionne de la même manière. Dans les mouvements, par exemple, entre enfants et jeunes – de 4 à 25 ans – s’organise une micro-société où les plus âgés encadrent bénévolement leurs cadets. C’est l’action et le vécu qui priment. Ou plus précisément, la manière dont l’action est organisée, peu importe l’activité proposée. Jouer dans un parc, aller à la piscine ou construire un radeau n’est pas une fin en soi, ce sont des moyens qui servent le processus éducatif. Ce sont les valeurs développées dans les activités et non les activités elles-mêmes qui permettent d’éduquer des CRACS. En animation, l’apprentissage se fait essentiellement par imprégnation. Les enfants et les jeunes y vivent des activités et des projets dans un cadre pédagogique fixé par le mouvement duquel ils sont membres. On y privilégie la participation de tous, la prise de décision démocratique, l’éducation globale… Aspects qui se traduisent au quotidien par des actes concrets au sein du groupe. Parodiant un vieil adage, celui des organisations de jeunesse pourrait être : on apprend à vivre ensemble en vivant ensemble.
4Outil éducatif foisonnant, le groupe est au centre des activités et des projets. Répartis en tranches d’âges, les enfants et les jeunes participent à des animations appropriées à leurs capacités. En prenant une part active aux projets du groupe, ils sont amenés, au fur et à mesure qu’ils grandissent, à prendre de plus en plus de responsabilités. Vivre entre pairs permet aux enfants et aux jeunes de se confronter à la complexité et à la richesse des relations humaines. Le groupe permet à ses membres de construire des compétences liées au vécu commun, de se développer personnellement, de s’épanouir en fonction de leurs caractéristiques individuelles.
5L’évaluation occupe une place centrale en animation. Moments institués où chaque membre du groupe – animés et animateurs – peut exprimer son ressenti, l’évaluation débouche sur des ajustements de l’action pour qu’elle soit la plus proche possible des aspirations de tous, y compris celles du mouvement de jeunesse. L’évaluation est le moteur des animations, elle permet de leur donner sens et de se situer par rapport aux objectifs fixés. Objectifs qui eux-mêmes servent la finalité « CRACS ».
6Hors de l’obligation de résultats visibles et immédiats, les enfants et les jeunes qui évoluent dans les mouvements de jeunesse y trouvent avant tout plaisir et amusement. L’absence de contrainte de participation favorise le climat détendu et amical qui y règne. Former des CRACS sur fond de liberté et d’amusement, c’est considérer la jeunesse comme un potentiel, c’est prendre ce qu’il y a de meilleur en elle.
7Les résultats ? Ils sont latents, continus, diffus. Les organisations de jeunesse (trans)forment les jeunes en douceur et en profondeur, misant sur le temps comme allié précieux. Devenir un CRACS est un processus toujours en marche, jamais abouti. La durée, le temps qui passe permettent de consolider le savoir-être et le savoir-faire, opération en constant renouvellement dans un parcours en organisation de jeunesse. Dans une société du « tout tout de suite », voilà un espace qui fait le pari de l’évolution pas à pas, des changements lents mais solides.
8La concurrence est rude. Dans la faramineuse offre de loisirs, les enfants et surtout les parents privilégient les loisirs qui offrent un résultat visible et rapide. Jouer du piano, participer à un match de foot, encadrer sa plus belle peinture est valorisé et valorisant dans l’entourage. Un enfant qui revient d’un camp n’en amène rien de concret. Il faut l’observer dans ses attitudes et ses discours, il faut l’encourager dans ses actions, il faut considérer la participation au camp comme une goutte d’eau essentielle dans son processus éducatif. Et ça, c’est une démarche intellectuelle et éducative beaucoup plus compliquée que d’écouter le premier morceau de piano de son enfant. La concurrence est donc absurde. Faire choisir son enfant entre la leçon de piano et la participation aux animations hebdomadaires relève de l’ignorance des implications éducatives des différentes formes de loisirs. Pour son développement et son bien-être, il a sans doute besoin des deux.
Un jour on devient animateur
9Continuité possible à l’implication dans un mouvement de jeunesse : devenir animateur. Ce n’est ni un aboutissement ni le couronnement d’un parcours. Tout en ayant une fonction éducative spécifique au sein du mouvement, être animateur c’est continuer à s’impliquer et à bénéficier de la structure qui forme des CRACS. En devenant animateur, les jeunes se frottent à des expériences éducatives inhabituelles. Ils participent à un processus éducatif choisi et y ont un rôle clé, eux qui, au sein de leur famille et de l’école, sont impliqués dans des processus éducatifs contraints. Les niveaux de responsabilité sont évidemment différents selon que le jeune est considéré dans son environnement familial ou scolaire ou d’animation. Fabuleux apprentissage des différents rôles qu’impose la vie.
10À changement de statut, processus éducatif adapté. Les organisations de jeunesse prévoient nombre de moyens de soutien aux jeunes qui ont une responsabilité éducative importante auprès de plus jeunes. Parmi ceux-ci, la formation des animateurs.
11La formation constitue un soutien à l’animation, elle vise la qualité et la pertinence de l’action. Elle s’adresse aux nouveaux animateurs qui, généralement depuis leur enfance, baignent dans les activités du mouvement. Le principe de base, celui-là qui fonde l’action des mouvements de jeunesse, est identique en animation et en formation : on vit, on analyse son vécu et on y apporte les ajustements nécessaires. En permettant la prise de recul, l’analyse des pratiques, la compréhension de la réalité et des enjeux de l’animation, la démarche de formation fait prendre conscience des composantes du vécu et de leur apport éducatif. Elle permet de systématiser les expériences en vue d’améliorer la qualité de l’animation.
12Tous les projets des organisations de jeunesse positionnant les participants au cœur de l’action, il en va de même pour la formation. L’animateur est appelé à en être acteur. La formation vise le changement, l’amélioration des pratiques sur le terrain. L’animateur est le seul responsable de ces changements. Pour l’y aider, des moyens concrets sont à sa disposition : les sessions de formation et les indissociables stages pratiques en sont un exemple. L’aller-retour constant entre la théorie et la pratique est une première caractéristique de l’organisation des formations. Lors des sessions théoriques, alors que la pratique est passée à la loupe, l’action à venir est imaginée et planifiée sous forme d’objectifs. Les stages pratiques, c’est-à-dire les périodes d’animation dans les camps, les plaines ou les séjours de vacances, servent de laboratoire à la mise en œuvre des objectifs fixés et à leur ajustement en fonction de la réalité.
Objectif : changement
13En cohérence avec leur mode d’action, les mouvements de jeunesse ont choisi d’organiser leurs formations dans un cadre que Marcel Lesne appelle Mode de Travail Pédagogique (MTP) visant la transformation et le changement social. Par opposition au MTP ayant pour but la reproduction et à celui centré sur le développement personnel. Dans les formations d’animateurs, l’apprenant, le formateur et le contenu de formation sont toujours en interaction. L’équilibre entre les trois composantes doit être constant, tout l’art étant de ne pas tomber dans une dérive où une des composantes est mise en exergue au détriment des deux autres.
14Le choix du MTP visant le changement va de soi dans le contexte éducatif des mouvements. Il se base également sur le pari du transfert des compétences : si l’animateur peut comprendre et analyser sa pratique pour y avoir prise, il sera capable d’appliquer le même schéma dans d’autres contextes de vie. La formation est effectivement un des moyens pour devenir un CRACS. Elle a ceci de particulier qu’elle s’adresse à des jeunes eux-mêmes responsables de permettre à d’autres de devenir CRACS.
15Tous les acteurs de la formation ont une part de responsabilité dans l’application de ce MTP. L’organisation de jeunesse, commanditaire de la formation, se trouve face à un paradoxe parfois difficile à gérer en tant qu’institution. À la volonté de former des jeunes critiques et capables de s’impliquer dans des évolutions, se heurte la tendance naturelle à protéger l’institution. Les mouvements permettent aux jeunes de développer leur sens de l’analyse et d’avoir un impact sur leur évolution, sans tomber dans le piège facile de la reproduction du modèle existant. Le formateur, lui-même acteur de longue date du mouvement, reçoit un mandat de l’institution. Chargé d’orchestrer l’apprentissage lors d’une formation, il se positionne en chercheur et non en détenteur du savoir qui, lui, est à construire avec le groupe. Le formateur propose une méthode de travail, organise les séquences d’apprentissage, met en place les conditions pour que le participant soit acteur de sa formation.
Un cadre formatif déstabilisant
16Les participants, pour la plupart animateurs déjà en fonction, s’insèrent dans un cadre formatif particulier et inconnu. À 17 ou 18 ans, ils n’ont comme référence de formation que l’organisation scolaire, la passivité qu’elle induit dans les processus d’apprentissage et la relation descendante entre le professeur et les élèves. La plupart de ces grands adolescents rejettent en bloc le fonctionnement de l’école. Paradoxalement, en formation d’animateurs, les réflexes scolaires, rassurants sans doute, font très vite surface. Mission du formateur : amener les participants à passer de l’éternelle question « on doit prendre note ? » à celle, fondamentale, « en quoi ce qui se dit et ce qui se vit pour l’instant est-il intéressant pour ma pratique d’animateur ? ». Les participants étant maîtres de leurs apprentissages en formation, leur implication dépendra de leur compréhension du processus formatif proposé.
17C’est donc un important travail de déconstruction et de reconstruction de la représentation de la formation qui doit s’opérer. Cet état d’esprit s’installe au fil de la formation, qui a la particularité de s’étaler dans le temps (le processus complet de formation dure de un à trois ans). Tout comme dans les situations d’animation, le temps fait son œuvre dans la formation. Prendre le temps permet de se distancer de l’immédiat, d’intégrer de nouveaux savoirs, de s’exercer. Prendre conscience de son fonctionnement, imaginer des possibilités d’amélioration de l’action, se donner des objectifs et les moyens de les atteindre exige patience et persévérance.
La constante construction du savoir
18Le groupe, autre composante indispensable au processus formatif, intervient également comme outil d’apprentissage. C’est l’exploitation des connaissances individuelles et communes qui constitue les fondations de la construction du savoir en formation. Présupposé : la vérité absolue n’existe pas, le savoir est en perpétuelle évolution et toujours à alimenter. Cadre de référence : le projet pédagogique du mouvement, lui-même appelé à évoluer. Dans ce contexte, c’est tout un travail d’émergence, de confrontation et de reconstruction des représentations qui doit s’opérer. La première étape de la démarche de formation vise donc à permettre à chacun d’exprimer son vécu d’animateur et de mettre en mots ses représentations, ses idées, ses convictions. Étape indispensable à la socioconstruction du savoir, elle n’en est pas moins délicate. Partager son vécu et ses idées exige une mise en confiance au sein du groupe et un grand respect de ce qui se dit. Exprimer ses représentations appelle à dévoiler la manière dont elles se sont construites, les expériences de vie – certaines heureuses, d’autres moins – qui les ont façonnées.
19La création et l’entretien d’un climat relationnel confortable est donc indispensable à cette démarche. La confrontation des représentations intervient lorsque chaque participant a exprimé librement sa vision des choses. C’est au cours de cette deuxième étape qu’apparaît un conflit cognitif où les représentations et les convictions de chacun se voient ébranlées par celles des autres. Cette querelle interne des idées est nourrie par le débat en groupe. Elle est individuelle puisqu’elle touche à des représentations personnelles. Elle est aussi déstabilisante car elle touche exactement ces représentations qui permettent d’expliquer le monde environnant et ses événements. Ébranler ce qui donne sens et stabilité est un passage délicat mais provisoire.
20En effet, la démarche de socioconstruction du savoir n’est pertinente que si elle aboutit à une phase de reconstruction des représentations. Permettre aux participants de se forger de nouvelles représentations, certes basées sur les initiales mais enrichies de celles du groupe, est indispensable pour retrouver sens et explication aux événements vécus. Cette nouvelle stabilité n’est bien entendu que provisoire, elle est elle-même appelée à être la base d’une nouvelle déstabilisation. Il n’en est pas moins important, pour le bien-être et l’assurance de tous, de fixer les nouvelles représentations et aussi de faire prendre conscience qu’elles ne sont que provisoires.
21Pour mettre en œuvre ces trois étapes, les formateurs construisent des démarches de formation en fonction des objectifs visés. Les techniques proposées sont diversifiées pour permettre à tous les participants, quelles que soient leurs sensibilités, de profiter de l’apprentissage.
L’évaluation formative
22Outre les structures propres à l’animation (par exemple les réunions de préparation et d’évaluation des activités) qui accompagnent les jeunes dans leur démarche de formation, les mouvements de jeunesse organisent le soutien des participants en cours de formation. Au centre de cet accompagnement, la démarche d’évaluation formative qui place l’apprenant au cœur de ses apprentissages. L’animateur est amené à se fixer des objectifs directement en lien avec ses caractéristiques et son cadre d’action. Avec le soutien d’animateurs plus expérimentés et de formateurs, le participant analyse ses difficultés et ses facilités, en dégage les causes et décide des moyens à mettre en œuvre pour palier les manques. En situation d’animation, il les met en pratique, au besoin les ajuste à la situation vécue et les évalue. Le tâtonnement est permis, il est même source d’apprentissages. Le mythe de l’animateur parfait est oublié, celui de l’animateur en développement valorisé. Les faiblesses et fragilités s’avouent sans honte et sont le point de départ des objectifs d’amélioration.
23Le principe de l’évaluation formative consiste à animer, à créer des grilles de lecture de l’action, à évaluer et à améliorer l’animation. À force d’entraînement, l’exercice devient un automatisme. La formation porte donc ses fruits bien au-delà de sa fin. Par mimétisme, l’animateur proposera le même exercice aux enfants et jeunes animés, adapté à leur niveau et aux situations d’animation bien sûr. L’animation et son support fidèle la formation participent du même principe éducatif.
24La formation des animateurs existe depuis l’apparition des mouvements de jeunesse. Elle a bien entendu évolué au fil des ans, des découvertes et des tendances en pédagogie. Depuis 2001, elle est certifiée par un brevet homologué par la Communauté française, suite à la volonté du secteur des organisations de jeunesse de délivrer un brevet commun reconnu par l’État. La reconnaissance politique de la nécessité des formations et des compétences des animateurs brevetés est encourageante pour un secteur trop souvent sous-estimé.