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Article de revue

L’effort tendu du concept et l’épistémologie de l’expérience de soi

Pages 199 à 200

1Dans le précédent éditorial, Pascal Richard évoquait les vives tensions suscitées par les attentes des politiques à destination de la psychiatrie sur la question de la radicalisation (Richard, 2017). Cette tension reste toujours à l’œuvre trois mois plus tard. Lors du très récent Congrès Français de Psychiatrie de Lyon qui s’est tenu des 29 novembre au 2 décembre 2017, plusieurs sessions ont abordé la question de la causalité psychique et la dimension éthique ouverte par ces demandes adressées à la psychiatrie. Cette dimension éthique s’articule évidemment avec ce que nous ferons de ces attentes qui nous sont destinées.

2Il nous faut bien constater que ces derniers temps, beaucoup de publications ont traité de la radicalisation et de la déradicalisation. Des postes universitaires sont mis aux concours dans certaines universités, spécifiquement profilés sur cette question. Peut-être que cette offre de science est venue amplifier les demandes politiques du moment ?

3Quelle serait donc notre expertise quant à la causalité psychique dans les phénomènes de radicalisation ? Alors que la prédictivité des conduites nous renvoie aux données probabilistes des statistiques, la psychopathologie nous met face, quant à elle, à l’incroyable. Nous avons déjà évoqué ici le terme d’inimaginable. Avançons que l’expertise et la connaissance psychiatriques se situent aux confins de ces deux registres, le prédictif et l’inimaginable, confins où l’affirmation de l’incertitude vécue et assumée relève d’un positionnement éthique.

4À la fulgurante germination de certaines connaissances ou postures de connaissances, s’opposent des constructions au long cours qui constituent autant de lignes de fond fortes ne cherchant pas à être spectaculairement visibles, lignes de fond auxquelles un éditorial peut s’essayer à rendre hommage.

5Une année après son décès, une journée dédiée à Colette Chiland et à son œuvre s’est tenue à Paris, le 15 septembre 2017. Ses collègues de l’IACAPAP, Myron Belfer de Boston, Per-Anders Rydelius de Stockholm, Helmut Remschmidt de Hambourg, ambassadeurs de la communauté internationale, sont venus rejoindre tous ceux qui tenaient à témoigner leur estime, leur amitié et leur gratitude à celle dont l’implication continuelle aura tant fait pour les enfants, les adolescents et leurs familles, les adultes aussi, à travers la psychologie, la pédopsychiatrie et psychanalyse.

6Dans les échanges suscités et inspirés par ses travaux si multiples de cette journée très intense, nous nous sommes demandés ce qu’aurait fait aujourd’hui cette jeune philosophe qui s’est orientée, dans un deuxième temps, vers la médecine, dans sa trajectoire de femme luttant contre les préjugés de genre de son époque.

7Nous nous souvenons que, dans sa conférence d’ouverture du congrès parisien de l’IACA-PAP, en 2012, Colette Chiland, avait mis en exergue les neurosciences pour un susciter un dialogue poussé entre le Brain, le Mind et le Self (Chiland, 2014). Le 15 septembre 2017, Bruno Falissard nous a dit aussi combien Colette s’était appliquée, récemment, à approfondir ses connaissances en statistiques. Alors qu’aurait donc fait la jeune Colette Chiland se lançant dans ses études supérieures aujourd’hui ? À chacun sa rêverie. La nôtre parie que, quels qu’eussent été les objets actuels privilégiés de ses apprentissages et de la construction de ses connaissances, ils auraient été conquis dans l’espace d’une épistémologie de l’expérience de soi. Masud Khan traite de celle-ci, telle qu’elle se cristallise dans le cadre des amitiés privilégiées en évoquant d’abord l’amitié de Montaigne et de La Boétie, ensuite des rapports de Rousseau aux autres et enfin l’amitié de Freud et de Fliess qui nous a valu la méthode psychanalytique (Khan, 1985).

8Ce qui caractérise la sagesse et l’humanisme de Montaigne, « c’est le processus dialogique entre le repli sur soi, dans l’omniprésence d’un objet interne – La Boétie -, et une participation active et compétente aux affaires du monde ». Les rapports aux autres de Rousseau ont abouti à son idéalisme visionnaire tandis que la rencontre de Freud avec Fliess, a ouvert sur la découverte de l’ambivalence et a posé les jalons d’une clinique du transfert

9La formation initiale de Colette Chiland en philosophie n’était pas qu’une attente pour entamer ses études en médecine, études auxquelles une jeune femme était peu vouée, à l’époque, nous a-t-elle dit souvent. La pratique et l’enseignement de la philosophie ont d’emblée engagé Colette dans cette épistémologie de l’expérience de soi.

10Une des dernières fois où nous lui avons rendu visite, alors que nous allions assister ensuite à un Comité de Rédaction de Perspectives Psy, nous nous sommes séparés sur son invitation : « tu donneras le bonjour aux copains ». Un salut qui résonne avec l’exergue qu’elle avait donné à son ouvrage Mon enfant n’est pas fou. Un psychiatre parle de son expérience : « À mes maîtres, mes collègues, les membres de mon équipe, qui sont tous devenus mes amis. » L’autre sous-titre de cet ouvrage étant: Ce qu’on peut faire pour aider enfants et parents en difficulté. Tel était fait le monde de Colette : constitué de ses collègues, de ses patients et de leurs parents, de ses amis. La « strong woman », ainsi qu’on l’appelait au board de l’IACAPAP, avait le sens aigu des autres et celui de la rencontre. Si Hegel a parlé de l’effort tendu du concept, nous pouvons avancer que Colette, qui était prise, elle aussi, dans l’effort tendu du concept était également prise dans celui de la rencontre. Et de ce qui les organise quand il s’agissait de rencontres faites dans le système de soins. Ses collègues de l’ASM 13 l’ont bien dit aussi lors de cette belle journée d’hommage. Avec Masud Khan et Colette Chiland, la place de l’autre, la place de tous les autres est au cœur de la construction de nos connaissances. Nous terminerons par une dernière évocation, elle aussi relative au dernier Congrès Français de Psychiatrie de Lyon, où des collègues qui se sont retrouvés au cœur des dispositifs de soins d’urgence, lors d’attentats collectifs, ont souligné à quel point les protocoles de recherche, mis en place pour une évaluation des effets suscités par ces situations traumatiques, leur ont permis, de surcroît, de mettre un salutaire pas de côté, à eux et à leurs équipes, de ce qu’ils avaient été amenés à vivre dans ces dispositifs de soins d’urgence.

11Urgences, science et patience.

Liens d’intérêt

12L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Bibliographie

Références

  • 1. Richard P. (2017). Toujours plus de la même chose ? Perspectives Psy, 56, 93-96.
  • 2. Chiland C., Raynaud J.-P. (2014). Cerveau, psyché et développement, Paris : Odile Jacob.
  • 3. Khan M. (1985). Montaigne, Rousseau et Freud. In Le soi caché. Paris : Gallimard.

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