Art et Thérapie : Nous pourrions commencer par
rappeler l’initiative que vous avez prise d’envoyer des étudiants
en philosophie de l’Université de Lyon à la rencontre des malades
mentaux à l’hôpital psychiatrique du Vinatier afin d’y organiser
avec vous des activités d’expression.
Henry Maldiney : Quel fut mon motif premier ? Il se
rapportait aux étudiants. Les étudiants de psychologie et plus
encore les étudiants de philosophie, qui, après la réforme de
l’Univer-sité, suivirent mon enseignement d’anthropo-logie
phénoménologique-existentielle, manquaient de l’expérience de ce
qui est autre. À un âge où la découverte de nouveaux horizons
intellectuels pousse la pensée juvénile à perdre de vue les gênes
et les contraintes, l’objet de leurs études ne manifestait pas
assez de résistance. Or une formation véritable exige qu’on se
trouve aux prises avec le moment de réalité et qu’on se heurte à
des obstacles réels. La présence fermée du psychotiqueconstitue
l’un de ces obstacles : il s’oppose à la communication au moment
même où on la croit établie. On s’imagine trop facilement
communiquer avec les autres alors qu’on ne les rencontre ni comme
soi ni comme autres. La plupart du temps nous ne voyons en eux - et
comme venant d’eux - que le contrecoup de nos propres projections.
Cette illusion est fréquente dans les universités où la
prolongation de l’adolescence et les anticipations du moi idéal
favorisent l’imagination autistique. Mettre les étudiants en
contact avec des malades devait les obliger à prendre conscience de
cette situation et les amener à en sortir…
Date de mise en ligne : 01/01/2011.