Politix 2018/1 n° 121

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Article de revue

Les deux faces d’une politique philanthropique. La Fondation Mérieux et la surveillance épidémiologique des années 1970 aux années 1990

Pages 127 à 149

Notes

  • [1]
    Une loi de « modernisation du système de santé » transforme en 2016 l’InVS en Agence nationale de santé publique (et le réunit notamment avec l’Institut national d’éducation à la santé (INPES)).
  • [2]
    On résume ici Buton (F.), « De l’expertise scientifique à l’intelligence épidémiologique : l’activité de veille sanitaire », Genèses, 65, 2006, et Buton (F.), « Une agence tous risques ? La veille sanitaire comme savoir de gouvernement », manuscrit inédit pour le dossier d’habilitation à diriger des recherches, Université de Lyon, décembre 2015 (à paraître). Voir également Buton (F.), Pierru (F.), « Instituer la police des risques sanitaires », Gouvernement et action publique, 4, 2012.
  • [3]
    À partir de la fin des années 1990, la pratique des CDC se reconfigure autour du paradigme de la preparedness (ou anticipation préventive), qui consiste à développer des dispositifs de vigilance à l’égard de tout ce qui est susceptible de se transformer en risque : il ne s’agit plus seulement de détecter précocement des risques déjà connus et suivis (comme dans le renseignement), mais d’anticiper la survenue de risques inconnus. Cf. King (N. B.), « The Scale Politics of Emerging Diseases », Osiris, 19, 2004.
  • [4]
    L’École nationale de santé publique, devenue en 2005 l’École des hautes études en santé publique (EHESP).
  • [5]
    Ce dont témoigne assez l’ouvrage-bilan de sa direction, Drucker (J.), Les détectives de la santé : virus, bactéries, toxiques, enquêtes sur les nouveaux risques, Paris, Nil, 2002.
  • [6]
    C’est-à-dire sous les gouvernements de « gauche d’ouverture » (1988-1993) et de « gauche plurielle » (1997-2002), avec Bruno Durieux et Bernard Kouchner comme titulaires du portefeuille de la santé.
  • [7]
    Cf. la synthèse récente de Lambelet (A.), La philanthropie, Paris, Presses de Science Po, 2014, et le numéro de la revue Monde(s), « Philanthropies transnationales », 6, 2014.
  • [8]
    Cf. « Foundations are often black boxes, stewarding and distributing private assets for public purposes, as defined by the donor » (Reich (R.), « What are Foundations for ? », Boston Review, mars 2013 (http://bostonreview.net/forum/foundations-philanthropy-democracy, consulté le 1er novembre 2017).
  • [9]
    Conservé dans les archives de la Fondation Mérieux, ce fonds a pu être consulté grâce à l’aimable autorisation de son ancienne secrétaire générale, Mme Claude Lardy, que je tiens à remercier pour la confiance et le temps qu’elle m’a accordés. Claude Lardy a établi le classement du fonds en reprenant en partie la manière de classer de Ch. Mérieux lui-même. Les cotes sont issues de ce classement.
  • [10]
    Cf. son autobiographie, Mérieux (Ch.), Virus passion, Paris, Robert Laffont, 1997.
  • [11]
    Lettre de Charles Mérieux à Jean Legrain, chef de Cabinet du ministre de la Santé et de la Famille (Simone Veil), 30 novembre 1978. Fondation Mérieux, Fonds Charles Mérieux, M12.
  • [12]
    La reconnaissance d’utilité publique, qui dans le cas de la Fondation Mérieux concerne la contribution à « la recherche, la formation et l’information dans le domaine de la biologie, l’immunologie, l’épidémiologie et la prévention individuelle et collective », n’est pas si fréquente : 270 Fondations environ, dont une trentaine dans les questions de santé, l’avaient obtenue en 1976, à un rythme annuel de 3 à 10 reconnaissances par an (données disponibles sur data.gouv.fr).
  • [13]
    L’auteur remercie les responsables du dossier Thomas Depecker, Marc-Olivier Déplaude, Nicolas Larchet, et Nicolas Duvoux pour la discussion stimulante de la communication à l’origine de cet article, les participants à la séance du 14 octobre 2017 du séminaire Action publique (Triangle, Lyon) pour leurs nombreuses questions, et Frédéric Pierru pour ses suggestions.
  • [14]
    L’objectif était de former des spécialistes de la réponse rapide à de nouvelles épidémies, dans le cadre plus général de la politique de « défense civile » consistant à préparer le pays à des attaques d’un nouveau type (biologiques, chimiques, nucléaires), rendues possibles par les progrès de l’aviation. Les EIS officers étaient des fonctionnaires portant uniforme du Public Health Service.
  • [15]
    La Rockefeller Foundation participe cependant au financement des Séminaires Yves Biraud.
  • [16]
    Schneider (W. H.), Rockefeller Philanthropy and Modern Biomedicine : International Initiatives from World War I to the Cold War, Bloomington, Indiana UP, 2002. Buton (F.), Pierru (F.), « Médecins français et épidémiologie américaine. Trois générations d’échanges transatlantiques au XXe siècle », in Kaluszynski (M.), Payre (R.), dir., Savoirs de gouvernement, Paris, Economica, 2013.
  • [17]
    Les formations de deux ans créées ensuite en France et en Europe ne profitent qu’à cinq à dix stagiaires par cohorte en raison de leur coût.
  • [18]
    Il ne s’agit pas de monter des dispositifs de recherche appliquée susceptibles de s’autonomiser (selon le modèle des sciences sociales face à l’État).
  • [19]
    Saunier (P.-Y.), « Administrer le monde ? Les fondations philanthropiques et la Public Administration aux États-Unis (1930-1960) », Revue française de science politique, 53 (2), 2003.
  • [20]
    Buton (F.), Pierru (F.), « Médecins français et épidémiologie américaine », art. cit.
  • [21]
    Environ 10 000 scientifiques de trente pays différents y ont été accueillis en trente ans.
  • [22]
    J. Drucker est aussi passé par les CDC, mais pas par la formation EIS. Cf. Buton (F.), Pierru (F.), « Médecins français et épidémiologie américaine », art. cit.
  • [23]
    Source : « L’histoire d’Epiter, février 1999 », note signée des présidents d’Epiter de 1984 à 1999 (archive Epiter).
  • [24]
    Une trentaine d’acteurs au total ont été interrogés, certains avec Frédéric Pierru ou Claude Thiaudière, parmi lesquels, notamment, C. Tyler et S. Thacker des CDC, Ph. Stoeckel, L. Massé, J. Drucker, et plusieurs EIS fellows (F. Dabis, A. Moren, J.-Cl. Desenclos, L.-R. Salmi).
  • [25]
    C’est le cas de J. Drucker ou de L.-R. Salmi avant leur recrutement à l’Université.
  • [26]
    « Mais mon pauvre ami, j’avais essayé de faire ça pendant les quinze années précédentes, mais je m’étais heurté à chaque fois au contrôleur financier qui disait, ah mais non il vient de j’sais pas où, ça coûte trop cher. Alors qu’avec Mérieux, ça coûtait jamais trop cher [rires] ! C’est tout ». Entretien avec L. Massé.
  • [27]
    Ph. Stoeckel et J. Drucker déclarent rétrospectivement que, dès l’expérience brésilienne, Charles Mérieux avait décidé de développer l’épidémiologie de terrain (« Il sait ce que c’est, il pense que c’est ça qu’il faut », dit J. Drucker).
  • [28]
  • [29]
    Bezes (Ph.), Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, Presses universitaires de France, 2009.
  • [30]
    La description de Ch. Mérieux en « visionnaire » est assez fréquente en situation d’entretien chez les acteurs qui se sont engagés dans l’IDEA (par exemple chez S. Thacker ou chez L.-R. Salmi).
  • [31]
    Mais aussi une partie des lettres reçues.
  • [32]
    D’après le catalogue, les contacts de la Fondation avec d’autres fondations, par exemple, sont rares.
  • [33]
    Sauf mention contraire, toutes les sources citées sont issues de ce fonds consulté à la Fondation Mérieux. Pour la seule série M du fonds (« correspondance »), qui comprend 14 cotes, M11 est consacrée à la Présidence de la République et à la Défense, M12 aux ministères les plus sollicités (dont la Santé), M13 aux autres ministères (une quinzaine), et M14 aux pouvoirs locaux. Quant à M10, elle rassemble exclusivement la correspondance avec Jacques Chirac.
  • [34]
    Elle est abordée dans un tiers de la correspondance classée, soit 17 sur 55 lettres. Les lettres aux DGS se trouvent dans le dossier M12.
  • [35]
    Lettre à J. Roux du 14 septembre 1981.
  • [36]
    Lettre à J. Chirac du 11 avril 1989 où il se dit « allergique » à V. Giscard d’Estaing. M10.
  • [37]
    Lettre à J. Roux du 10 février 1982. Cf. aussi lettre à J. Roux du 28 janvier 1985 où Ch. Mérieux demande à J. Roux d’intervenir « directement auprès du directeur de l’ENSP » pour que la carrière de Massé soit prolongée de deux ans.
  • [38]
    Lettres à J. Roux des 8 mars 1982 et 11 août 1982.
  • [39]
    Lettre à Ph. Lazar du 19 février 1982 (J8).
  • [40]
    Lettre à Ph. Lazar du 1er mars 1982. Il en profite pour lui suggérer d’affecter à Lyon un chercheur de l’INSERM « bien isolé » à Clermont.
  • [41]
    Lettre à Ph. Lazar du 30 mars 1982.
  • [42]
    Lettre à Ph. Lazar du 10 septembre 1982.
  • [43]
    Sur la place de l’épidémiologie descriptive au début des années 1980, cf. Berlivet (L.), « Between Expertise and Biomedicine : Public Health Research in France after the Second World War », Medical History, 52 (4), 2008.
  • [44]
    Lettre de J. Roux du 14 juin 1985.
  • [45]
    Lettre à J.-F. Girard des 3 juin 1986, 8 août 1986 et 16 août 1986.
  • [46]
    Lettre à J.-F. Girard du 25 octobre 1995.
  • [47]
    Par exemple B. Kouchner, qu’il veut faire venir au cours IDEA (« j’ai besoin de vous voir, surtout si vous pouvez ménager une rencontre avec Bernard Kouchner », lettre à J.-F. Girard du 22 juillet 1997). Voir aussi les lettres à Roux des 9 mai 1983 et 24 mai 1983, à propos d’E. Hervé.
  • [48]
    Lettre à J.-F. Girard du 6 octobre 1997.
  • [49]
    Sont invités Ph. Douste-Blazy (12 juillet 1993), H. Gaymard (19 septembre 1995) et B. Kouchner (26 août 1997), qui répondent positivement, ainsi qu’E. Hubert (5 juillet 1995).
  • [50]
    Il lui écrit plus tard avoir « perdu 14 ans avec les socialistes » (lettre à E. Hubert du 5 juillet 1995).
  • [51]
    Lettre à B. Kouchner (juillet 1997).
  • [52]
    Lettre à B. Kouchner du 2 décembre 1998.
  • [53]
    Il écrit par exemple au directeur exécutif de la Fondation des CDC, en 1997 (en anglais, traduit par nous) : « Quand je rencontre nos amis partout dans le monde, je réalise que la Fondation Mérieux est réputée surtout à travers la formation en épidémiologie que nous avons fournie depuis 14 ans avec le soutien des CDC. Tous les épidémiologistes français ont été formés par notre Fondation, ce qui a permis au gouvernement français de mettre sur pied le RNSP ». Lettre à D. Stokes du 25 août 1997, D23.
  • [54]
    Voir les lettres des 30 janvier 1991 et 17 octobre 1997 à Jacques Chirac (série M10 comme toutes les lettres citées ci-après).
  • [55]
    Cote M10. 67 lettres adressées à J. Chirac lui-même, 34 à son entourage, et 9 écrites par J. Chirac.
  • [56]
    Il se déclare conquis dès l’Appel du 18 juin (« gaulliste de la première heure et même du premier quart d’heure », dans une lettre de 1983).
  • [57]
    « Je n’ai pas oublié ce repas intime où vous m’avez fait connaître Jacques Chirac ». Lettre à J. Pélissier, du 24 août 1987.
  • [58]
    « Nous n’oublierons jamais votre coup de téléphone immédiatement après le retour de Christophe » (lettre de 1983, jour non saisi). Sauf mention contraire, les lettres sont adressées à J. Chirac.
  • [59]
    Lettre du 12 juillet 1999 à A. Lhéritier.
  • [60]
    Lettre du 27 avril 1995.
  • [61]
    Lettre de J. Chirac du 19 avril 1988.
  • [62]
    On le dit plusieurs fois pressenti pour être premier de liste (aux régionales de 1986 ou aux municipales de 1995).
  • [63]
    Mérieux (Ch.), op. cit.
  • [64]
    Lettre du 26 février 1982. Il répète la comparaison à J. Roux (lettre du 1er mars 1982, M12).
  • [65]
    Cf. Dumons (B.), « Marcel Mérieux (1870-1937). L’émergence de la bactériologie industrielle entre Saône et Rhône », Cahiers d’histoire, 38 (3-4), 1992.
  • [66]
    Lettre du 15 février 1975.
  • [67]
    La création en 1972 de l’Agence pour la médecine préventive (cf. infra) visait déjà à rapprocher les deux concurrents.
  • [68]
    Lettre du 28 décembre 1987.
  • [69]
    Le plan Clinton de 1997 de dix ans pour la mise au point d’un vaccin l’intéresse particulièrement (20 mai 1997 ; 17 juin 1997), tout comme l’arrivée de la Fondation Gates (19 novembre 1999 et à J.-D. Levitte 28 décembre 1999).
  • [70]
    L’Iran a une longue tradition de collaboration avec la France en matière sanitaire (notamment via l’Institut Pasteur de Téhéran), et possède des laboratoires bien équipés.
  • [71]
    Lettre du 16 juin 2000.
  • [72]
    Anglereaud (B.), Pellissier (C.), Les dynasties lyonnaises. Des Morin-Pons aux Mérieux, du XIXe siècle à nos jours, Paris, Perrin, 2003. Il arrive dans la correspondance que les enjeux débordent le domaine de la santé, comme lorsqu’en août 1975 il félicite J. Pélissier de sa nomination à la tête de la SNCF et lui suggère de développer une « liaison rapide » ferroviaire entre Paris et Lyon afin de compléter les liaisons aériennes et autoroutières (Lettre à J. Pélissier, 7 août 1975).
  • [73]
    La Fondation soutient ainsi la création d’un Institut Universitaire de Santé Internationale qui réunit des universitaires de Genève, Turin et Lyon.
  • [74]
    Lettres des 8 avril 1996, 24 mai 1996, et à J.-D. Levitte du 19 mars 1996.
  • [75]
    Lettre à J.-D. Levitte du 17 juin 1997.
  • [76]
    Cf. les lettres des 20 juin 1995, 4 juillet 1995, 14 septembre 1995 ; et 11 décembre 1995 à Levitte. Cf. aussi les courriers du ministre de la Défense Ch. Millon et du Service de Santé des armées (25 août et 28 août 1995).
  • [77]
    Il a même théorisé qu’il fallait dix ans pour qu’un projet aboutisse. « Qu’est-ce que dix ans ? Juste le temps qu’il faut pour réaliser une idée. Toutes mes expériences me l’ont démontré » (Virus Passion, op. cit., p. 45).
  • [78]
    Le comble est atteint avec le rappel presque systématique à J. Chirac des propos favorables à Bio95 qu’il a tenus lors de la cérémonie de la légion d’honneur en mai 1987. J’ai compté 18 occurrences entre le 11 avril 1989 et le 16 juin 2000…
  • [79]
    Lettres des 25 octobre 1986 et 14 octobre 1996.
  • [80]
    Lettres du 13 juin 1996 à Levitte et du 1er mars 1996 à Chirac.
  • [81]
    Lettre du 25 octobre 1997.
  • [82]
    Lettres des 21 avril 1975 et 17 septembre 1975 à Monod.
  • [83]
    Charles Mérieux note seulement en passant, alors qu’il évoque un congrès « extraordinaire » : « la mort tragique de mon fils aîné m’a empêché d’y assister » (Lettre du 13 avril 1994).
  • [84]
    Ainsi des demandes de faveurs pour des logements à Paris (Lettre à J. Tibéri, 29 mars 1988), ou la demande de protéger son petit-fils interne en médecine en partance pour le Vietnam (10 janvier 1994).
  • [85]
    Lettres de J. Chirac, 25 octobre 1986 et 10 juin 1997.
  • [86]
    Lettre du 24 juillet 1997.
  • [87]
    Lettres des 27 avril 1995 et 28 septembre 1987.
  • [88]
    Lettre du 4 juillet 1995.
  • [89]
    Lettres des 19 mai 1987, 25 juin 1987, 28 août 1987 à Foccart.
  • [90]
    Organisant avec l’entourage de J. Chirac la remise de la Légion d’honneur, Mérieux assure d’abord souhaiter que le Premier ministre « garde sa spontanéité » (8 avril 1987) avant de préciser qu’il aimerait quand même « avoir une idée » du discours, et de suggérer que J. Chirac insiste sur la différence entre l’Institut et la Fondation… (14 avril 1987).
  • [91]
    Par exemple (lettre du 29 mars 1993) : « J’espère que le RPR contrôle la SANTÉ ».
  • [92]
    Lettre du 30 janvier 1997.
  • [93]
    Duprat (C.), Usage et pratiques de la philanthropie. Pauvreté, action sociale et lien social à Paris, au cours du premier XIXe siècle, Paris, Comité d’histoire de la sécurité sociale, 1996.
  • [94]
    Pas plus que sur le mécénat culturel, pourtant pratiqué par Charles Mérieux avec une grande conviction. Cf. Anglereaud (B.), Pélissier (C.), Les dynasties lyonnaises, op. cit., p. 775 et suiv.
  • [95]
    C’est d’ailleurs après l’arrivée d’Alain Mérieux à la tête de la Fondation en 2003 que celle-ci prend une véritable ampleur institutionnelle (plusieurs centres d’infectiologie et laboratoires ont ouvert en Afrique et en Asie).
  • [96]
    On pourrait relire l’ensemble de la correspondance comme la construction et l’entretien d’une position charismatique, en miroir de celle occupée malgré lui par Jacques Chirac (cf. Collovald (A.), Jacques Chirac et le gaullisme. Biographie d’un héritier à histoires, Paris, Belin, 1999).
  • [97]
    Loin du modèle spécifiquement français des dirigeants de grande entreprise combinant profil généraliste, passage par les grandes écoles, filières administratives, Ch. Mérieux apparaît typique de l’industriel « familial ». Sur le capitalisme familial, cf. Daumas (J.), « Les dirigeants des entreprises familiales en France, 1970-2010 : recrutement, gouvernance, gestion et performances », Vingtième Siècle, 114 (2), 2012 ; Joly (J.), Diriger une grande entreprise au XXe siècle. L’élite industrielle française, Tours, Presses universitaires François Rabelais, 2013.
  • [98]
    McGoey (L.), No such Thing as a free Gift : The Gates Foundation and the Price of Philanthropy, New York, Verso, 2015.
  • [99]
    Cf. Revue française d’administration publique, « La santé sous-administrée », 43, 1987.
  • [100]
    Reich (R.), « What are Foundations for ? », art. cit.
  • [101]
    Scott (J.), Seeing Like a State : How Certain Schemes to Improve the Human Condition Have Failed, Princeton, Princeton University Press, 1998.
  • [102]
    Cf. sur ce point la conclusion de McGoey (L.), No such Thing as a free Gift, op. cit.
  • [103]
    Cf. Denord (F.), Lagneau-Ymonet (P.), Le concert des puissants, Paris, Raisons d’agir, 2016.

1Dans les deux dernières décennies du XXe siècle, la surveillance épidémiologique a été entièrement reconfigurée en France, à la fois sur le plan institutionnel et sur le plan des savoirs et des pratiques. Dans les années 1970 et 1980, les activités de recensement et d’analyse des données de santé (cas d’épidémies infectieuses, données de morbidité et de mortalité) relevaient de plusieurs institutions administratives ou scientifiques, mais la politique générale était confiée à un Bureau des « maladies transmissibles » maigrement doté en personnel au sein de la Direction générale de la santé (DGS). Au cours des années 1990, cette dernière activité est externalisée hors de l’administration centrale vers une agence sanitaire, qui tend par ailleurs à capter plusieurs dispositifs préexistants de surveillance : après avoir pris en 1992 la forme provisoire d’un groupement d’intérêt public, le Réseau national de santé publique (RNSP), l’agence voit le jour sous le nom d’Institut national de veille sanitaire (InVS) en 1998. L’InVS connaît ensuite un développement remarquable de ses missions et de ses effectifs, inscrivant résolument la surveillance épidémiologique ou la veille sanitaire dans le système de santé français [1].

2L’externalisation de la surveillance s’inscrit dans un processus plus général d’agencification qui, dans le secteur de la santé, a affecté au même moment de nombreuses activités (évaluation des pratiques médicales et du médicament, transfusion sanguine, sécurité alimentaire, etc.) au nom des principes du New public management et dans un contexte de scandales et d’affaires (sang contaminé, vache folle, etc.) [2]. Dans le cas de la surveillance, cependant, l’agencification repose aussi sur deux mobilisations différentes et concurrentes engagées dans les années 1980 en faveur d’une modification progressive des pratiques et des savoirs de la surveillance. D’un côté, à la faveur de l’alternance politique de 1981, de jeunes médecins outsiders (sans poste à l’université) contribuent au sein de la DGS à rénover la politique de santé publique et tout particulièrement de surveillance : ces « rénovateurs » accueillent puis animent le premier dispositif de suivi de l’épidémie de sida, refondent entièrement le contenu du Bulletin épidémiologique hebdomadaire, ou encore soutiennent un dispositif innovant, le réseau « Sentinelles » de médecins généralistes, le tout dans un contexte de grande indifférence de la part d’un monde médical très peu concerné par la santé publique et même convaincu de maîtriser (sinon d’avoir éradiqué) les maladies infectieuses au point de ne prendre que très progressivement la mesure de l’épidémie de sida. De l’autre côté, la Fondation Mérieux travaille au même moment à importer en France un savoir particulier, l’épidémiologie dite « de terrain » ou « appliquée » (field ou applied epidemiology), en vigueur au sein de l’agence américaine de surveillance, les Centers for Disease Control (CDC), depuis les années 1950 et l’invention d’un corps d’épidémiologistes dévoués à la pratique du « renseignement » épidémiologique (Epidemic Intelligence Service, EIS). Cette pratique renouvelle fortement la conception de la surveillance des épidémies en mettant l’accent non plus seulement sur la continuité et la consistance des données mais aussi, sinon d’abord, sur leur fraîcheur, afin de permettre la détection précoce des épidémies et une intervention rapide pour les endiguer. En outre, il repose sur le raisonnement probabiliste et contribue à étendre le domaine de la surveillance à tous les risques de santé, au-delà des maladies infectieuses ou transmissibles [3]. Comme on va le montrer, l’importation de l’épidémiologie américaine en France se traduit principalement par la mise en place en 1984, sous l’égide de la Fondation Mérieux, d’une formation continue dite IDEA (Institut pour le développement de l’épidémiologie appliquée), avec le soutien des CDC et la participation de quelques jeunes médecins eux aussi outsiders mais passés par les CDC.

3La création en 1992 puis le développement du RNSP sont largement le produit de ces deux mobilisations. D’une part, et dans un premier temps, ce sont les « rénovateurs » qui à la fin des années 1980 se réunissent pour échafauder le projet même de création du RNSP, donc d’externalisation de la surveillance, autour du professeur Jean-François Girard, directeur général de la santé (1986-1998). Le projet est tenu relativement discret, en raison des réticences au sein du ministère, notamment de la part du corps des médecins inspecteurs, à l’égard du principe même d’agencification. Il est aussi préparé sans les « importateurs » de l’épidémiologie américaine, dont les objectifs et les réalisations sont perçus avec une grande méfiance : aux yeux des « rénovateurs », les interlocuteurs légitimes de l’administration sont l’ENSP, l’école de formation des cadres de santé [4], et l’INSERM, l’agence de recherche biomédicale, non une Fondation privée liée à l’industrie du vaccin et une agence états-unienne. Les acteurs des deux mobilisations se connaissent, se croisent ou collaborent à l’occasion, mais ils défendent deux agendas différents. J.-F. Girard suit avec attention le travail de l’IDEA et de la Fondation Mérieux, et, une fois le RNSP créé, défend avec succès la nomination à sa direction de Jacques Drucker, l’une des figures principales des « importateurs » qui a récemment obtenu un poste de professeur de santé publique à Tours. Une fois nommé – c’est le second temps –, ce dernier recrute dans le vivier des anciens élèves d’IDEA et, surtout, développe l’épidémiologie appliquée au sein de la RNSP, dont la pratique de surveillance, de manière générale, emprunte beaucoup à celle des CDC [5]. Tout se passe finalement comme si le processus d’agencification de la surveillance, qui se concrétise dans des configurations politiques favorables à la réforme en santé publique [6], reposait à la fois sur les « rénovateurs », qui ont d’abord déterminé la forme de la nouvelle institution et lui ont transféré des missions et des savoir-faire de l’administration centrale, et sur les « importateurs », qui ont contribué ensuite à l’équiper humainement et intellectuellement.

4Dit autrement, le processus d’agencification semble valider la stratégie de la Fondation ayant consisté à promouvoir et diffuser un savoir de la surveillance en attendant que l’État décide de créer les conditions de son déploiement : elle semble jouer le rôle de producteur d’une innovation que l’État valide ensuite en la prenant à son compte. Cet article entend précisément interroger la mobilisation de la Fondation Mérieux en tant que politique philanthropique. L’existence même et les activités des fondations philanthropiques soulèvent des enjeux bien connus dans les démocraties occidentales, où l’élection est censée orienter l’activité vers le bien commun, et le marché censé juger de l’allocation des biens. L’absence de « redevabilité de comptes » autre que procédurale (les fondations n’ont pas d’électeurs, leur activité échappe aux sanctions du marché) est régulièrement mise en cause, de même que la toute-puissance de leurs fondateurs, dont les choix arbitraires président aux nominations en conseil d’administration ainsi qu’à la distribution des soutiens, et ce d’autant plus que les fonds utilisés, pour une large partie défiscalisés, échappent à l’impôt donc à la possibilité d’une affectation par l’État. En bref, la politique philanthropique apparaît de manière générale comme une alternative (problématique) à l’action de l’État. C’est aussi en tant qu’alternative qu’elle est défendue, au nom du pluralisme, d’une part (l’action philanthropique permet de proposer une autre définition des biens publics que celle de l’État), et d’une capacité d’innovation ou de prise de risques, d’autre part (liée à leur inscription dans le temps long à laquelle ne peut prétendre l’État soumis à l’impératif du temps électoral). Enfin, la visée même d’action en faveur de l’humanité ou du bien public place les fondations en concurrence avec l’État pour la représentation de l’intérêt général. C’est pourquoi, si elles font l’objet d’un intérêt croissant des sciences sociales dans des perspectives très variées [7], les fondations intéressent tout particulièrement la science politique : après l’État, elles font figure à leur tour de « boîtes noires » à ouvrir afin d’analyser, notamment, leur fonctionnement interne ou leurs modalités d’action [8].

5Afin d’ouvrir la boîte noire de la Fondation Mérieux, on s’appuiera ici sur la littérature grise de différentes institutions, des entretiens rétrospectifs, mais aussi une partie des archives de Charles Mérieux (1907-2001) [9], biologiste et docteur en médecine, qui a créé la Fondation en 1967 après avoir quitté la direction de l’Institut Mérieux, dont il a fait l’un des principaux fleurons de l’industrie biologique française, spécialisé dans la production de vaccins en médecine humaine et animale [10]. Dans une lettre au chef de cabinet de la ministre de la santé, Simone Veil, en 1978, il décrit cette seconde carrière (qui durera plus de trente ans) dans les termes suivants : « Personnellement, grâce à la reconnaissance d’intérêt public de la Fondation Marcel Mérieux sur l’intervention personnelle de Madame Veil, je continue à m’occuper des contacts internationaux, des congrès, de la recherche et de l’avenir [11] ». La citation donne à voir la hauteur de vues du philanthrope (la recherche et l’avenir) et quelques-uns des moyens (les contacts et les congrès) qu’il se donne pour y parvenir ; elle signale aussi une relation de proximité personnelle aux sommets de l’État (la ministre S. Veil) et de reconnaissance par l’État [12] qui tranche avec la politique alternative de l’IDEA. De fait, on montrera que si la Fondation œuvre « par le bas », aux marges de l’État, à la production et à la diffusion d’un nouveau savoir via principalement un dispositif de formation continue, son président se consacre personnellement, « par le haut », à une activité de sollicitation constante des plus hauts responsables politiques et administratifs de l’État. En mettant en place des institutions et en soutenant des acteurs spécialisés, la Fondation philanthropique propose une alternative aux politiques de santé publique de l’État, « à défaut de l’État » ; mais son président-philanthrope, « au cœur des élites étatiques », informe parallèlement de manière très étroite ses responsables et leur offre de nombreux services, bien au-delà d’ailleurs des enjeux de l’épidémiologie [13].

À défaut de l’État : l’importation de la field epidemiology

6La partie la plus visible de la politique de la Fondation réside dans l’organisation, chaque année à partir du milieu des années 1980, d’une formation à l’épidémiologie de terrain dite IDEA, dans le cadre d’une mobilisation transatlantique étroite. Cette politique s’inscrit cependant dans la continuité d’un intérêt manifesté dès les années 1970 pour une forme d’épidémiologie susceptible de soutenir le projet plus large de Charles Mérieux en faveur de ce qu’il appelle la « vaccinologie ».

Développer l’épidémiologie de terrain en France, une mobilisation transatlantique

7L’activité de l’Institut pour le développement de l’épidémiologie appliquée créé en 1984 consiste à assurer chaque année, en septembre, une formation de trois semaines, le « cours IDEA », sur le modèle du Cours introductif de la formation Epidemic Intelligence Service (EIS) longue de deux ans et mise en place en 1951 par les CDC [14]. Financé par la Fondation Mérieux, le cours IDEA bénéficie d’ailleurs au début du soutien des CDC, qui envoie des formateurs, et de l’Agence de coopération internationale pour la médecine préventive (AMP), une émanation de la Fondation Mérieux et de l’Institut Pasteur dont le directeur, Philippe Stoeckel, dirige aussi l’IDEA. Le cours est destiné aux professionnels de santé publique au sens large, français ou francophones, désireux d’approfondir leurs connaissances en épidémiologie « de terrain ». Sanctionnée par la délivrance d’un certificat de participation, et non par un diplôme reconnu par l’État, la formation comble un manque : dans les années 1980, il n’existe aucune offre pédagogique du même type, ni à l’université ni dans les écoles spécialisées comme l’ENSP. La configuration transatlantique, assez fréquente en santé, a ici pour particularité de ne s’appuyer ni sur une fondation américaine [15] ni sur les réseaux universitaires ; mais tout se passe comme si les CDC et la Fondation Mérieux empruntaient le registre d’action de la célèbre Rockefeller Foundation consistant à soutenir quelques hommes, même outsiders, plutôt que les représentants officiels et/ou reconnus de la science, de la médecine et de l’État [16].

8Le cours IDEA est bien davantage qu’un dispositif de formation continue : il procède à une sensibilisation massive des acteurs de santé publique par un travail de conversion à une culture de l’action. Le cours conserve en effet l’esprit de la formation EIS sans souffrir de la lourdeur et du coût d’une formation s’étalant sur plusieurs mois [17]. Mieux, la modestie du cours IDEA constitue une condition décisive de sa pérennité et de sa reproductibilité. Peu onéreux (les stagiaires sont payés par leurs employeurs), le cours peut être supporté intégralement par ses financeurs privés, qui se contentent de rémunérer certains « facilitateurs » (nom donné aux intervenants) et d’assurer la logistique. Peu sélectif (il recrute jusqu’à cinquante stagiaires par an), il peut satisfaire des demandes institutionnelles diverses au fur et à mesure de leur manifestation (les vétérinaires, les médecins militaires précèdent les médecins de santé publique dans les départements, etc.), dans un monde de la santé publique structuré par la tension entre contestations du magistère médical et redéploiement de la profession médicale : il délivre un savoir qui vaut spécialisation pour un large spectre de professionnels de santé, alors même que les postes exigeant l’usage des compétences acquises sont encore rares. La souplesse de la formation autorise dès lors différentes formes d’intéressement, du côté des stagiaires (1 440 entre 1984 et 2010) comme des facilitateurs (174 sur la même période). Par sa diffusion large et variée, le cours vise davantage à faire évoluer les pratiques des stagiaires en les sensibilisant à l’intérêt pratique des outils de l’épidémiologie d’intervention qu’à les reconvertir en épidémiologistes professionnels.

9Le cours tire aussi sa force de sa cohérence : c’est par la pratique qu’il forme à la pratique de l’épidémiologie de terrain. Défendant l’action de terrain (field) comme action certes scientifiquement armée mais d’abord définie par son utilité politique (immédiate), le cours IDEA défend d’autant mieux l’épidémiologie « appliquée » qu’il la met lui-même en œuvre. Les stagiaires apprennent les bases de l’épidémiologie de manière superficielle et rapide car l’essentiel est ailleurs, dans les études de cas (réels) et l’enquête de terrain. Ce partage du temps, parfois critiqué, correspond à la logique d’un savoir qui ne vise pas la reconnaissance académique et scientifique mais une traduction dans l’action administrative. En effet, fidèles sur ce point au modèle américain, les responsables du cours IDEA ne cherchent pas à faire à ce « nouveau » savoir une place au soleil des disciplines académiques [18] ; ils l’inscrivent au contraire dans l’action publique, à l’ombre d’un État dont ils pressent les responsables de l’adopter au nom de sa simplicité, de son caractère opérationnel et de son efficacité politique.

10La stratégie consiste ainsi à fournir des services intellectuels susceptibles d’équiper les institutions sanitaires selon une logique qui semble puiser dans le registre classique de l’action philanthropique au XXe siècle : tout se passe comme si le cours IDEA reprenait le modus operandi spécifique des fondations philanthropiques américaines, lesquelles, comme l’a montré P.-Y. Saunier, agissaient sur les savoirs et les catégories de l’action publique – i.e., proposaient des produits intellectuels –, plutôt que sur les acteurs et les produits juridiques légitimes de la politique (législateurs et hauts fonctionnaires, législations et politiques publiques) [19]. En d’autres termes, le cours IDEA rend possible la reconfiguration de champs existants par la production et la diffusion de nouveaux services, sous forme d’enseignement, d’information ou d’expertise : faute de pouvoir agir directement sur l’État, il propose et diffuse un nouveau service intellectuel en attendant que les conditions de félicité de sa réception et de son institutionnalisation soient réunies.

11Mais l’IDEA ne représente qu’une partie de la mobilisation en faveur de l’épidémiologie de terrain. D’une part, l’IDEA poursuit un processus entamé au début des années 1980, quand Ch. Mérieux et sa Fondation soutiennent les « Séminaires Yves Biraud » organisés par un professeur de l’ENSP, Louis Massé, avec des collègues américains [20]. La création de l’IDEA est en effet la conséquence directe des Séminaires de 1982 et 1983, au cours desquels le modèle américain des CDC est mis en valeur en même temps qu’est constatée l’insuffisance de la surveillance épidémiologique en France et dans les pays en voie de développement de l’Afrique francophone. C’est d’ailleurs afin d’accueillir le premier cours IDEA que la Fondation transforme en 1984 « Les pensières », une maison de famille des Mérieux située à Veyrier-du-Lac, en Centre de conférences [21]. D’autre part, l’IDEA n’est qu’une partie d’une entreprise plus large de mobilisation. En effet, parallèlement à la création du cours, un « deal » a été négocié entre les CDC et les représentants de la Fondation Mérieux (Ph. Stoeckel, L. Massé et Ch. Mérieux lui-même) afin de former à Atlanta, dans la formation EIS, un petit nombre de médecins français, à condition que, à leur retour en France, ceux-ci contribuent au cours IDEA et, plus généralement à l’acclimatation de ce type d’épidémiologie. Ce qu’ils font dès 1985 : les EIS fellows sont les principaux facilitateurs des premières sessions de l’IDEA, puis occupent des positions importantes au RNSP (Jean-Claude Desenclos), à l’université (François Dabis ou Louis-Rachid Salmi) ou dans la formation à l’épidémiologie au niveau européen (Alain Moren) [22].

12C’est qu’un élément décisif de la mobilisation en faveur de l’épidémiologie de terrain réside dans la double ambition affichée d’emblée par ses principaux animateurs : sensibiliser le plus grand nombre possible de professionnels de santé publique et professionnaliser une masse critique d’épidémiologistes. Dès février 1985, une quinzaine de stagiaires du premier cours, réunis à Lyon dans la « prestigieuse salle du conseil de la Fondation Marcel Mérieux », donnent naissance à une « Association pour le développement de l’épidémiologie de terrain » nommée Epiter, afin de défendre « l’importance fondamentale pour la France de ce nouveau cours » : « la thématique de l’épidémiologie de terrain [est] très novatrice en France, où […] épidémiologie rimait avec recherche et où l’épidémiologie de terrain était absente [23] ». Il est impossible de dissocier le cours IDEA du réseau des « épitériens » : la très grande majorité des facilitateurs et la moitié environ des stagiaires deviennent en effet membres de l’association, lui assurant un renouvellement régulier.

Un coup à deux bandes : l’épidémiologie de terrain, un outil pour la « vaccinologie »

13Dans la mobilisation, Charles Mérieux et sa Fondation jouent le rôle de mécènes, protecteurs des hommes et financeurs des institutions. D’après les témoignages recueillis en entretien auprès des principaux acteurs, tant du côté américain que du côté français [24], Ch. Mérieux se montre constant dans un soutien qui prend plusieurs formes : le financement partiel des Séminaires Yves Biraud de 1982 et 1983 (et de leur publication en brochures), puis des cours IDEA, ou encore des voyages aux États-Unis de L. Massé et Ph. Stoeckel ; la transformation de la maison de famille « Les Pensières » en centre de rencontres scientifiques ; le recrutement, à l’Institut ou dans la Fondation, de certains des facilitateurs d’IDEA, ce qui leur permet d’attendre des positions universitaires [25]. Comme beaucoup d’autres, Louis Massé est tombé sous le charme de Charles Mérieux, qu’il décrit comme « un type sensationnel », pour lequel il aurait « fait n’importe quoi ». Quand on lui demande pourquoi il n’organisait pas les Séminaires à l’ENSP, il explique que tout était beaucoup plus simple avec la Fondation Mérieux [26].

14Si Ch. Mérieux s’intéresse aux Séminaires de L. Massé, c’est qu’il a découvert dès 1975 l’efficacité de l’épidémiologie de terrain des CDC. Lorsqu’au printemps 1974 une épidémie de méningite cérébrospinale de sérogroupe A se déclare au Brésil, seul l’Institut Mérieux dispose d’un vaccin, qu’il vient tout juste de faire tester en Afrique. Ch. Mérieux s’entend alors avec le gouvernement brésilien pour fournir entre 90 et 100 millions de doses de vaccins en faisant fonctionner l’Institut pendant tout l’été : 40 millions de Brésiliens sont vaccinés à partir de septembre et pendant plusieurs mois. L’épisode consacre ce que Ch. Mérieux appelle la « vaccinologie », c’est-à-dire la vaccination pour tous, fondée sur l’idée que la lutte voire l’éradication des maladies infectieuses passent par la mise à disposition massive, sinon universelle, des produits biologiques (vaccins, mais aussi réactifs pour le dépistage) élaborés à l’échelle industrielle. Or ce sont les épidémiologistes des CDC qui ont démontré l’efficacité de la campagne de vaccination au Brésil. L’épidémiologie de terrain s’avère ainsi un savoir tout aussi indispensable à la « vaccinologie » que le diagnostic biologique, ou la logistique, pour laquelle la Fondation inaugure à Vénissieux en 1983 un organisme de formation intitulé Bioforce développement. En soutenant l’IDEA, Ch. Mérieux cherche à promouvoir l’épidémiologie de terrain des CDC à la fois en France et dans les pays du Sud, et notamment dans les anciennes colonies françaises, où les Instituts Pasteur, la médecine militaire française et les organismes de la coopération francophone peuvent être mobilisés [27].

15Tous ces éléments invitent à considérer le philanthrope lyonnais comme l’élément central d’une mobilisation largement périphérique. Avant la création de l’IDEA en 1984, la Fondation a connu trois actions marquantes, qui ont pour point commun de viser le déploiement d’une médecine préventive par la vaccination (i.e., la « vaccinologie ») dans les pays en voie de développement : la création de l’AMP, la campagne de vaccination au Brésil et la création de Bioforce développement [28]. Mais, à l’instar des promoteurs français de l’épidémiologie de terrain, la Fondation agit à distance des institutions les plus légitimes de l’État (l’administration centrale de la santé) et de la science (l’INSERM). Or c’est bien à l’État qu’il revient, en dernière instance, de reconnaître la validité d’une cause, en l’occurrence d’un savoir censé être utile à son action : c’est d’abord par la nomination de J. Drucker à la tête du RNSP en 1993, sur la suggestion de J.-F. Girard, que l’État valide une dizaine d’années de fonctionnement de l’IDEA. La comparaison de la trajectoire de l’IDEA avec un autre « Institut pour le développement », contemporain, l’IDMP (management public) est instructive. Si, au contraire de l’IDEA, l’IDMP a échoué à faire reconnaître le management public comme savoir politico-administratif inscrit dans les cursus de recrutement et de formation des fonctionnaires [29], c’est sans doute moins en raison de différences liées aux savoirs eux-mêmes, que parce que, contrairement à l’IDEA, il n’a pas pu s’appuyer sur un responsable intéressé et prêt à faire alliance. J.-F. Girard, en entretien, reconnaît avoir d’emblée trouvé pertinente la forme d’épidémiologie défendue par la « Maison Mérieux », et n’avoir pas partagé les réticences éprouvées par les principaux épidémiologistes de l’INSERM et les membres de la DGS à l’égard d’un homme qu’il considère comme un « visionnaire » œuvrant pour l’intérêt collectif [30]. Ph. Stoeckel confirme que J.-F. Girard « s’entendait bien avec le Docteur Mérieux », mais ajoute aussitôt : « Mais le Docteur Mérieux s’entendait bien avec beaucoup de monde. » La précision n’est pas anecdotique : les très riches archives de la Fondation Mérieux attestent que « le Docteur », comme l’appellent ses proches, fréquente en effet beaucoup de monde, et que son activité personnelle peut être considérée comme une dimension à part entière de la politique de la Fondation.

Au cœur des élites étatiques : les « occupations » du philanthrope

16Le fonds Charles Mérieux conservé à la Fondation comprend en particulier la correspondance très fournie du philanthrope, c’est-à-dire, pour l’essentiel, les doubles des courriers qu’il adressait à divers correspondants entre 1967 et 2000 [31]. Une investigation exhaustive permettrait de cartographier avec finesse les différents espaces sociaux dans lesquelles opérait la Fondation [32] ; pour ce qui nous intéresse ici, le catalogue fait état de relations épisodiques avec les dirigeants de l’INSERM, mais d’une sollicitation incessante des responsables politiques français et administratifs. Charles Mérieux écrit en effet à tous les directeurs généraux de la santé et à tous les ministres de la Santé, mais aussi à d’autres membres de gouvernement (défense, agriculture, affaires étrangères, etc.), comme aux Premiers ministres et aux présidents de la République ou à leur entourage proche, sans oublier les responsables politiques rhônalpins, des maires de Lyon aux présidents du Conseil régional [33]. Le fonds permet ainsi d’écrire une autre histoire de la mobilisation en faveur de l’épidémiologie de terrain, où la Fondation informe et tente d’intéresser les responsables administratifs et politiques aux activités de l’IDEA ; mais il permet aussi d’esquisser une analyse plus large des logiques typiquement philanthropiques de la sollicitation politique de Ch. Mérieux.

Tout contre l’administration : promouvoir l’épidémiologie de terrain

17D’après sa correspondance, Charles Mérieux est tout près du cœur de l’État, et non à ses marges ou à sa périphérie. Si l’IDEA constitue un dispositif alternatif, construit comme tel à défaut du soutien de l’État, ce n’est en effet pas faute pour son mécène, dans les années 1980, d’en avoir parlé aux plus hauts responsables de l’État et d’avoir essayé de les enrôler. Les échanges sur l’épidémiologie sont particulièrement nourris avec les deux DGS Jacques Roux et Jean-François Girard [34]. Avec J. Roux, le contact commence d’ailleurs en septembre 1981, alors que celui-ci, professeur de microbiologie et membre du PCF, n’est encore que membre du cabinet du nouveau ministre de la Santé, Jacques Ralite. Ch. Mérieux lui « rappelle » « le cas de Monsieur Massé et le rôle qu’il pourrait jouer pour réanimer l’épidémiologie française [35] ». Si l’élection de François Mitterrand est un choc pour Charles Mérieux, quoiqu’en bon chiraquien il ait été aussi très (sinon davantage) hostile à Valéry Giscard d’Estaing [36], il se trouve qu’il connaît de longue date Roux, lequel a découvert un vaccin contre la brucellose commercialisé par l’Institut Mérieux. En février 1982, Ch. Mérieux lui demande de faire en sorte que L. Massé « ait les moyens d’organiser son nouveau Séminaire Yves Biraud », précisément consacré à l’épidémiologie, en intervenant auprès du directeur de l’ENSP [37]. Ch. Mérieux et J. Roux travaillent ensuite ensemble à préparer le Séminaire de 1982, notamment en faisant en sorte que L. Massé rencontre Daniel Schwartz, le patron de l’épidémiologie à l’INSERM, en présence du Professeur Mollaret, de l’Institut Pasteur (où L. Massé donne quelques cours), ou en s’assurant de la présence au Séminaire de représentants de la DGS, à défaut de J. Roux lui-même (invité, mais non disponible) [38].

18Daniel Schwartz est aussi le sujet de discussions avec le directeur général de l’INSERM, Philippe Lazar, lui-même épidémiologiste et élève de Schwartz. La correspondance atteste que la réunion « chez Mollaret » (à l’Institut Pasteur) a bien permis à L. Massé de préciser avec D. Schwartz le programme du Séminaire [39], dont Ch. Mérieux ne doute pas qu’il réalise rien moins que le « remembrement » de l’épidémiologie française [40]. Convaincu « qu’en nous limitant aux maladies transmissibles, nous pouvons réaliser, sans dépense nouvelle, un petit CDC français » à Lyon [41], il rend compte du Séminaire au directeur général de l’INSERM dès le lendemain de sa clôture, en formant le vœu que « Monsieur Schwartz aura été satisfait de notre réunion » [42] ; il n’est pourtant pas sans avoir remarqué que ce dernier n’a pas été convaincu par les représentants des CDC, dont il estime qu’ils ne font tout bonnement pas de l’épidémiologie, mais de la simple statistique descriptive [43]. C’est ainsi dès la conception des Séminaires Biraud de 1982 que la DGS et l’INSERM sont invités à contribuer au renouveau de la surveillance épidémiologique. L’invitation à l’échange se poursuit aux débuts de l’IDEA : Ch. Mérieux invite J. Roux au premier cours, qu’il appelle « Cours du CDC sur l’Épidémiologie à Annecy », et lui demande dès l’année suivante d’y envoyer des médecins inspecteurs de son administration. Dans un courrier de juin 1985, Roux se déclare convaincu de l’intérêt majeur du « cours d’épidémiologie pratique » et se dit prêt à y associer la DGS [44]. C’est sans doute ce qui explique que la responsable du Bureau des maladies transmissibles et un autre médecin du ministère participent au cours en tant que facilitateurs à l’automne 1985 ; là encore, la rencontre ne semble pas assez concluante pour être prolongée.

19Le remplacement de Jacques Roux par Jean-François Girard en 1986 ne modifie pas la relation de Ch. Mérieux avec la direction de la DGS. À peine nommé, J.-F. Girard se voit félicité et invité au cours IDEA [45]. Les deux hommes nouent une relation de confiance (Ch. Mérieux l’appelle « cher et grand ami »), d’autant plus importante pour Ch. Mérieux que, comme il le note malicieusement en 1995, « les ministres passent […], le DGS reste… [46] ». Non seulement le philanthrope invite le haut fonctionnaire à différentes manifestations, ou, comme à Roux auparavant, lui demande d’arranger des rencontres avec ses différents ministres de tutelle [47], mais les deux hommes se tiennent informés d’une partie de leurs projets. Ch. Mérieux écrit par exemple en octobre 1997 combien, « après les journées inoubliables aux Pensières l’autre jour, [il a] été très touché que [Girard lui fasse] part confidentiellement de [son] projet de créer un véritable établissement public pour faire du réseau national un véritable CDC, peut-être à l’échelon européen et même euro-africain », et ajoute se tenir « prêt à apporter les Pensières comme Centre de Formation en épidémiologie [48] ». Autrement dit, la proximité autorise J.-F. Girard à informer Ch. Mérieux (qui en est manifestement ravi) de la transformation prochaine du RNSP en InVS.

20Charles Mérieux écrit aussi directement aux ministres en charge de la santé, notamment afin de les convier à venir remettre les « diplômes » aux stagiaires de l’IDEA – ce qu’ils acceptent le plus souvent [49]. À chaque nouveau ministre, il s’efforce d’expliquer le sens de son action en général, et de présenter ses initiatives pour l’épidémiologie en particulier. Il écrit par exemple dès le 12 mai 1995 à Élisabeth Hubert, pressentie pour le portefeuille de la santé : « nous avons sept ans devant nous pour rénover la médecine pasteurienne [50] ». Et de lui rappeler que la Fondation, en liaison avec le CDC et sous le parrainage de la DGS et de l’ENSP, a formé des centaines d’épidémiologistes désormais au service de l’État. L’argumentaire diffère évidemment avec Bernard Kouchner, qu’il invite et sollicite sur différents sujets en 1997 en lui assurant d’emblée ne « pas oublier » qu’au cours de son « dernier septennat » (sic), B. Kouchner a parrainé ses projets et soutenu la création du RNSP [51]. Lors d’une nouvelle missive en forme de bilan à la fin de l’année 1998, il évoque entre autres la « formation en épidémiologie et santé publique » en œuvre depuis 14 ans et « le RNSP de Jacques Drucker » [52].

Les logiques d’une politique philanthropique

21L’épidémiologie est un enjeu important pour Charles Mérieux, convaincu qu’elle a fondé la réputation de la Fondation « dans le monde [53] », mais un enjeu parmi d’autres. Afin de caractériser de manière plus systématique la pratique du philanthrope « par le haut », il paraît préférable de choisir dans la correspondance une entrée par destinataire plutôt que par objet. On propose donc de quitter le cas de l’épidémiologie de terrain et de porter l’attention sur la relation de Ch. Mérieux avec Jacques Chirac, son homme politique de cœur (cf. encadré) [54]. Cette correspondance présente en effet trois avantages pour une investigation plus systématique des préoccupations et manières de faire du président de la Fondation Mérieux : il s’agit d’un corpus important (112 lettres [55]), étalé dans le temps (de 1974 à 2000), avec un acteur politique de tout premier plan, deux fois Premier ministre et Président de la République sur la période considérée.

Une relation à part : Charles Mérieux et Jacques Chirac

Il semble que Ch. Mérieux, qui se dit gaulliste « du premier quart d’heure » et a été soutien de la candidature du Président de Gaulle en 1965 [56], rencontre J. Chirac par l’intermédiaire de son directeur de cabinet, Jacques Pélissier, lors du premier passage à Matignon [57]. Un lien personnel se noue en décembre 1975 lorsque J. Chirac autorise les Mérieux à verser la rançon (20 millions de francs) exigée par les auteurs du rapt du petit-fils de Charles, Christophe, alors âgé de 9 ans [58] ; l’affection que se portent les deux hommes est tangible (il leur arrive de signer « affectueusement »), et leur fidélité se dit parfois « absolue [59] ». Aucun responsable, pour ce que l’on a pu en voir, ne reçoit autant de confidences « politiques » de la part de Ch. Mérieux que J. Chirac : il le soutient dans ses échecs, par exemple en septembre 1981 (la mairie de Paris est « le meilleur atout », mais « il faut donner une image souriante et rassurante de J. Chirac dont certains à gauche et à droite veulent en faire un Pinochet ! ») ; il se réjouit de ses victoires, parfois par anticipation (entre les deux tours de 1995 [60]). J. Chirac, pour sa part, prend le temps à la veille de l’élection de 1988 de le remercier pour l’envoi d’un exemplaire de son ouvrage (dans lequel il « retrouve l’ami [61] »). En outre, Ch. Mérieux entretient régulièrement J. Chirac de la carrière politique de son fils Alain, figure importante du RPR lyonnais et rhônalpin dans les années 1980 et 1990 [62].

22Faire de Lyon la capitale de la médecine préventive au cœur d’une politique mondiale de vaccination, c’est-à-dire de la « vaccinologie » : telle est l’ambition affichée de Charles Mérieux pour sa Fondation, énoncée dans son ouvrage paru en 1988, Virus Passion[63]. Dans une lettre au ministre de la Santé Jack Ralite, début 1982, Charles Mérieux peut ainsi s’indigner du fait qu’« on n’arrive pas à vacciner plus du quart des 150 millions d’enfants des pays en voie de développement, alors qu’on arrive à vacciner 15 milliards de poulets le jour de leur naissance [64] ». Poursuivie pendant trois décennies, l’ambition est évidemment congruente avec la spécialisation dans la production de vaccins de l’Institut qu’il a dirigé (1937-1967). C’est en effet Charles Mérieux qui a réalisé dans les années 1950 le passage du laboratoire encore artisanal fondé par son père (analyse biologique et production de sérums) [65] à la production industrielle de produits biologiques, grâce principalement au développement du vaccin anti-aphteux (en médecine animale) d’une part, et du vaccin anti-poliomyélite injectable de Jonas Salk (en médecine humaine) d’autre part. Au moment de la transmission à son fils Alain, la dimension industrielle est validée et étendue par l’alliance avec Rhône-Poulenc (1968). L’épisode brésilien en 1975, piloté par la Fondation mais réalisé par l’Institut, ouvre une voie de développement de la vaccinologie, la production de masse et la distribution en urgence en situation d’épidémie, qui suppose notamment la formation en logisticiens ou en épidémiologistes (Bioforce en 1983, IDEA en 1984).

23Défendre la vaccinologie, c’est donc aussi contribuer à assurer une rente au producteur de vaccins, et les intérêts industriels ne sont jamais très loin chez Charles Mérieux, qui se préoccupe beaucoup du devenir de l’Institut dans ses échanges avec Jacques Chirac. De 1975 à 1985, « le problème qui [l’]obsède [66] », c’est « l’unité de la biologie française », c’est-à-dire la réunion des deux Instituts producteurs de vaccins, Pasteur et Mérieux (finalement réalisée en 1985 [67]) et de la transfusion sanguine (qu’il n’obtiendra jamais). Sous la première cohabitation, la privatisation possible de Rhône-Poulenc l’inquiète ; sous la seconde cohabitation, qui procède à la privatisation, Ch. Mérieux entretient J. Chirac des enjeux de l’indépendance de Pasteur-Mérieux au sein de Rhône-Poulenc. Entre-temps, il s’est passionné pour l’épidémie de sida, et notamment pour les conditions de production d’un vaccin contre le VIH. La Fondation organise à partir de 1986 aux Pensières une conférence bisannuelle (dite des Cent Gardes), crée une association (ALSIDA pour Afrique-Lyon-SIDA) en 1987 [68], postule en vain pour l’accueil à Lyon de la nouvelle agence onusienne spécialisée dans la lutte contre l’épidémie (ONUSIDA), et suit de près les initiatives américaines des spécialistes mais aussi des élus (le président Clinton) ou des philanthropes (B. Gates) pour une action internationale d’envergure [69].

24Mais Ch. Mérieux fait état de bien d’autres projets dans sa correspondance. En 1975, par exemple, il dit à J. Chirac son « rêve franco-iranien » d’une « force intercontinentale d’intervention contre les maladies infectieuses », les épidémies comme les épizooties : l’Iran, pays ami et évolué [70], doit devenir le « bras séculier de l’OMS » aux confins de l’Afrique et de l’Asie. À partir des années 1980, autre exemple, Ch. Mérieux défend principalement l’idée d’une agence « euro-africaine » de médecine préventive, intitulée « Biosud » puis « Bio95 », dont il donne une formulation publique à l’occasion de la remise des insignes de Grand officier de la Légion d’honneur à Matignon par J. Chirac le 11 mai 1987, cérémonie au cours de laquelle le Premier ministre lui apporte un soutien appuyé. Il faut souligner au passage l’inventivité de Ch. Mérieux en matière de sigles pour ses projets, qu’on aurait tort de moquer et de rapporter à une forme « d’enfantillage » : il se dit persuadé que « dans la vie seuls comptent les grandes conceptions et les petits détails » (il dépose parfois les noms) [71]. Son obsession pour le préfixe « bio », en référence à la science biologique plutôt qu’au souci de la nature, semble d’ailleurs avoir fini par marquer Lyon, où l’on appelle aujourd’hui « Biodistrict » le quartier de Gerland et « Lyonbiopôle » le « pôle de compétitivité » des activités pharmaceutiques. Il faut aussi insister sur l’ancrage lyonnais de Ch. Mérieux, dont le souci du rayonnement de la capitale des Gaules est notoire [72]. Fondateur d’une dynastie industrielle, il ne cesse de défendre les intérêts de la France et de l’Europe, mais surtout ceux de Lyon contre Paris, et de la région Rhône-Alpes (en particulier des bords du lac d’Annecy) [73]. C’est ainsi à Lyon qu’il envisage d’établir le « CDC à la française » ou le siège d’ONUSIDA. Lorsque la ville reçoit en 1996 le G7, Ch. Mérieux redouble d’efforts, mobilisant de grandes figures médicales et l’OMS afin que le sommet entérine la création d’un laboratoire de haute sécurité, dit P4 [74], et place Lyon à « l’avant-garde de [la] mobilisation européenne pour l’Afrique » [75]. L’édification du P4 dans le quartier Gerland, la réalisation la plus frappante de la Fondation, n’était pourtant pas le premier choix : au lendemain de l’accession de J. Chirac à la présidence, Ch. Mérieux avait insisté lourdement, mais en vain, pour que le Plateau d’Albion accueille son projet de P4 dans le cadre d’une reconversion générale « humanitaire » du site militaire [76].

25Ce qui caractérise la manière de solliciter de Charles Mérieux, c’est finalement l’entêtement ou la ténacité d’un homme qui sait que les projets sont longs à aboutir [77]. Tout se passe comme si Ch. Mérieux se consacrait à plein temps au développement de la vaccinologie, avec obstination, en n’hésitant pas à répéter sans cesse les mêmes idées. Sans doute y a-t-il un biais scolastique dans une analyse qui repose sur la mise en série et l’analyse pour les besoins de l’enquête, de dizaines de lettres étalées sur un quart de siècle. Mais les effets de répétition sont aussi le produit de la manière même de travailler de Ch. Mérieux, qui classe lui-même ses courriers par dossiers personnels afin de les relire chaque fois qu’il projette une nouvelle lettre [78]. D’après Claude Lardy, secrétaire générale de la Fondation Mérieux, Ch. Mérieux était hyperactif, souvent impatient, très matinal, autant de traits qui expliquent en partie le volume de la correspondance et le nombre des projets. On pourrait considérer que cette activité débordante a finalement donné peu de résultats tangibles de son vivant, en dehors de ceux de Bioforce développement, de l’IDEA et du laboratoire P4. On remarquera surtout que, malgré tant de projets avortés, d’invitations refusées ou de propositions oubliées, sa correspondance ne comprend aucune manifestation d’aigreur. Charles Mérieux est un solliciteur heureux.

26La correspondance permet enfin d’examiner de manière systématique les manières par lesquelles le philanthrope entreprend de défendre ses intérêts et ses causes devant les responsables politiques et administratifs. Sa vie quotidienne, telle qu’elle se donne à lire, est riche de mondanités, de rencontres avec des puissants, de voyages. À Jacques Chirac, Ch. Mérieux signale ses entretiens avec le pape ou avec Yasser Arafat [79], ou soumet les idées qu’il a eues afin d’occuper les « dames », c’est-à-dire les épouses des chefs d’État (surtout Mme Clinton, qui s’intéresse à la santé [80]) pendant le G7 lyonnais. Grâce à ses relations (« une amie qui siège au comité »), il peut l’informer que Luc Montagnier devrait avoir le prix Nobel de médecine « en le partageant sans doute avec Robert Gallo [81] ». Il peut aussi demander en 1975 au jeune Premier ministre de « faire le facteur » et transmettre à son homologue iranien un courrier relatif à ses projets en Iran, dont il aurait déjà eu l’occasion d’entretenir le Shah, ou encore, après avoir été lui-même décoré à Brasilia, prier le secrétaire général de Matignon de prévoir une décoration française pour le ministre brésilien de la Santé (dont les frais de déplacement à Paris seraient « bien entendu » à la charge de la Fondation) [82]. S’il mentionne rarement les dîners en ville, et très peu ceux qu’il organise chez lui, Charles Mérieux se rend régulièrement dans des conférences internationales où les échanges scientifiques le cèdent en général aux perspectives voire aux arrangements politiques, quand il ne les organise pas lui-même (par exemple les Conférences des cent gardes), ce qui lui permet alors d’inviter les responsables. Comme la lecture quotidienne de la presse, les conférences lui font entrevoir des « opportunités » (un mot qu’il emploie volontiers) dont il fait aussitôt état à ses correspondants.

27Ce qui frappe, en effet, c’est la volonté de Charles Mérieux de tenir informés de ses projets ses interlocuteurs, et tout particulièrement J. Chirac. On pourrait l’interpréter de manière cynique comme le symptôme d’une certaine impuissance ou d’une grande naïveté, mais on perdrait alors de vue le caractère à la fois privé et professionnel de cette correspondance. Privé : une relation de confiance s’établit, qui permet à l’information de circuler suffisamment discrètement pour que, on l’a vu, la plupart des promoteurs comme des détracteurs de l’épidémiologie de terrain en ignorent la teneur. Professionnel : si les sentiments d’affection et d’amitié peuvent s’écrire, la vie privée – et même les pires drames [83] – n’est jamais l’objet des échanges, qui se cantonnent strictement aux projets de la Fondation. En outre, Ch. Mérieux ne fait pas qu’informer, mais sollicite, et obtient parfois satisfaction. Les demandes de faveurs personnelles sont plutôt rares [84]. Mais l’industriel lyonnais n’hésite pas à suggérer au chef du gouvernement des noms pour les directions du ministère de la Santé, ou au Président le maintien à son poste d’un directeur de centre médical au Gabon ; dans les deux cas, J. Chirac accepte d’appuyer la demande (au ministre de la Santé, au président Bongo) en en discutant éventuellement la pertinence [85]. De même, s’il informe ses interlocuteurs, il leur demande souvent des informations, dont certaines de haut niveau, par exemple le « texte des décisions » encore inédit d’un sommet du G7 (qui l’intéressent car elles portent sur la tuberculose comme nouvelle priorité sanitaire [86]). Les demandes sont parfois exprimées de manière pressante, que vient compenser un sens aigu de l’autodérision à l’égard de sa propre impatience et de sa « spontanéité habituelle ». Ch. Mérieux se désigne souvent lui-même comme « importun », moque son propre « acharnement épistolaire », et présente ses excuses pour « se mêler de ce qui ne [le] regarde pas ». Mais il prévient aussi : il peut bien s’excuser « d’importuner [J. Chirac] une fois de plus – ce n’est pas la dernière [87] ». C’est qu’il estime, ou se force à croire, non sans humour, que sa pratique paie : « tel le Boléro de Ravel je me répète mais l’orchestre se renforce [88]. »

28Ces tactiques de présentation de soi, qui dessinent un homme passionné par les causes qu’il défend, solliciteur incessant au risque du harcèlement, mais conscient de l’être, et convaincu d’une certaine efficacité de la sollicitation, sont complétées par des manières spécifiques de mobilisation du passé, à la fois pour personnaliser la relation et pour réclamer une antériorité dans l’action. La personnalisation ne repose pas seulement sur des marques d’attention, voire d’affection, mais aussi sur le rappel sans flagornerie excessive d’un passé commun (« je n’oublie pas que nous avons fait connaissance », « je vous ai déjà entretenu », etc.), qui culmine avec le « Discours de Matignon » du 11 mai 1987 à l’occasion de la Légion d’honneur, mobilisé ad nauseam comme preuve du soutien chiraquien. Particulièrement poussée avec J. Chirac, dont il se sent très proche, la pratique vaut pour beaucoup de responsables politiques et administratifs ; elle est rendue possible par l’habitude de conserver des doubles des courriers envoyés, de les classer, et de les relire avant d’écrire. La convocation du passé permet aussi à Charles Mérieux de rappeler l’ancienneté et bien souvent l’antériorité de son engagement, de manière assez systématique dans le cas de l’épidémiologie de terrain. Le passé mobilisé n’est d’ailleurs pas forcément lointain, au contraire : Ch. Mérieux sait aussi profiter de l’actualité fraîche, par exemple en sollicitant le conseiller à Matignon Jacques Foccart, quelques jours après la cérémonie de la Légion d’honneur de 1987, afin qu’il l’aide à obtenir une présidence illustre pour son projet d’agence euro-africaine (il envisage Léopold Senghor, puis Houphouët-Boigny [89]). Au demeurant, loin d’être aussi spontané qu’il aime à le faire croire [90], Ch. Mérieux semble au contraire avoir tout à fait conscience des limites de ses demandes, et notamment de leur timing. D’une part, il sollicite tout particulièrement Jacques Chirac au lendemain des victoires électorales pour que le parti gaulliste s’occupe de la Santé et que le ministère choisisse les bonnes personnes [91]. D’autre part, dans les phases intenses de sollicitation, tout se passe comme si le délai décent avant de relancer était de deux semaines.

29Un bref mot, enfin, du style épistolaire de Charles Mérieux, qui s’excuse souvent de la « polyvalence » de ses courriers (c’est-à-dire le fait qu’ils abordent plusieurs sujets). Les lettres brèves (une page recto), au style direct fait de phrases courtes réunies en paragraphes souvent introduits par le thème qu’elles abordent (« Épidémiologie », ou « Bio95 »), sont d’un homme d’action, qui dicte à sa secrétaire avant de faire taper à la machine, qui relit en complétant éventuellement d’une mention manuscrite personnalisée, puis fait photocopier et classer soigneusement la copie afin de rendre possible la relecture et le réemploi. Ce sont aussi les lettres d’un homme qui se projette vers l’avenir, sans ressasser ses échecs, sans même considérer qu’ils existent, et en se disant convaincu que les obstacles finiront par tomber. Alors que, tout juste nonagénaire, il a survécu à une attaque qui l’a laissée paraplégique, l’épistolier Charles Mérieux, incurable optimiste, se conçoit encore comme un « concepteur du futur » à l’aube de ce qu’il concède être sans doute sa « dernière décennie [92] ».

Conclusion

30Deux voies complémentaires ont été utilisées par la Fondation Mérieux afin de favoriser le développement de l’épidémiologie de terrain : la mise en place d’une formation continue indépendante des institutions étatiques et scientifiques légitimes, et la sollicitation directe des plus hauts responsables des mêmes institutions afin qu’ils appuient la formation continue. Ces pratiques renseignent sur une partie, et une partie seulement, de la dimension philanthropique de la Fondation Mérieux. Du point de vue de la finalité de l’activité, celle-ci ne fait guère de doute : l’objectif de vaccination de tous les enfants du monde la classe à l’évidence parmi les « bienfaiteurs de l’humanité », au cœur de l’activité philanthropique telle qu’elle a été construite historiquement [93], et la rapproche de bien d’autres fondations, à commencer par la Fondation Gates, aujourd’hui la plus puissante et la plus riche au monde. Cependant, tout suggère que, du temps de Charles, la Fondation Mérieux se situe à mille lieues de la Fondation Gates, notamment sur le plan économique et financier ou logistique. Les sources consultées ne comprennent certes aucune donnée précise sur le budget de la Fondation [94], mais la correspondance suggère au moins que l’argent n’est pas un problème pour des réalisations il est vrai peu coûteuses (à l’exception notable du laboratoire P4). De même, ces sources ne permettent pas d’objectiver l’activité réelle du personnel de la Fondation (par exemple Ph. Stoeckel ou J. Drucker), notamment à l’international, mais la donnent à voir comme une entreprise familiale, voire personnelle [95]. Ch. Mérieux, président-fondateur et industriel à la retraite, apparaît assez seul bien qu’évidemment épaulé, dans la conception de projets et dans leur défense auprès des élites d’État. Les institutions portées sur les fonts baptismaux au cours des années 1970 à 1990 seraient ainsi le fruit de ces qualités extraordinaires (enthousiasme, vision, volonté) que son entourage prête à Ch. Mérieux et dont il essaie de faire preuve [96], mais aussi celui d’un savoir-faire patronal assez traditionnel, de type paternaliste, voire autoritaire, typique du « capitalisme familial » français [97].

31À son échelle (relativement modeste), la pratique de Charles Mérieux semble pourtant partager certains traits, et des plus importants, de la philanthropie contemporaine (y compris la plus puissante) [98]. Le premier réside dans la revendication d’une dimension sinon apolitique du moins non partisane de l’activité et la prétention à traiter avec tous les gouvernements. L’apolitisme n’est pas seulement la conséquence d’un supposé « pragmatisme » de l’acteur (une rationalité en finalité), mais aussi celle d’une conception de l’action qui entend agir d’abord sur le plan « culturel », c’est-à-dire au niveau des catégories de pensée ou de l’équipement intellectuel des élites d’État, conception d’autant plus efficace que l’État en question, ou du moins le secteur concerné, est historiquement faible (comme l’administration de la santé dans les années 1980) [99] et politiquement sensible. De ce point de vue, le temps long de préparation de l’épidémiologie de terrain, son incarnation dans une formation privée et sa valorisation systématique auprès de tous les gouvernements ont permis son acclimatation aujourd’hui complète au cœur de l’État, et même sa reprise par l’État (le cours IDEA est aujourd’hui abrité par l’EHESP). La Fondation Mérieux a ainsi accompli sa vocation en soutenant un savoir « innovant » et en organisant une expérimentation pédagogique que l’État ne saurait mener lui-même mais qu’il peut en revanche consacrer dans un second temps [100]. Le second trait concerne la manière dont la Fondation, par la voix de son président, compose avec le monde. Comme le souligne L. McGoey en reprenant la critique que James Scott adresse à l’État [101], les Fondations ne sont pas si différentes des États auxquels elles contestent le monopole de l’intérêt général : comme ces derniers, elles s’imposent au monde plus souvent qu’elles ne composent avec lui et avec les différentes communautés locales, car elles sont persuadées de connaître les bonnes solutions, et entendent changer le monde sans jamais changer elles-mêmes (elles sont « aveugles et sourdes ») [102]. Or la vaccinologie de Charles Mérieux se donne à voir comme une panacée au sens propre du terme : le philanthrope, qui se pense lui-même comme le « dernier des pasteuriens », apporte la même solution à tous, avec un entêtement oublieux des réalités locales. Enfin, la sollicitation (des sommets) de l’État par Ch. Mérieux mérite sans doute d’être analysée comme une des modalités parmi d’autres du « concert des puissants [103] », prise dans une configuration – un champ du pouvoir – dans laquelle les grands patrons, les responsables politiques et les hauts fonctionnaires concluent des arrangements à leur bénéfice mutuel bien compris, loin des niveaux intermédiaires de l’administration, dont l’opposition voire la résistance est sans doute aussi (davantage ?) au principe des stratégies d’intéressement « par le bas » et « par le haut ». C’est ainsi le caractère labile et incertain des « frontières » de l’État que la politique philanthropique de la Fondation Mérieux met finalement en évidence.


Mots-clés éditeurs : politiques de santé, philanthropie, épidémiologie, agence sanitaire, fondation

Mise en ligne 11/05/2018

https://doi.org/10.3917/pox.121.0127

Notes

  • [1]
    Une loi de « modernisation du système de santé » transforme en 2016 l’InVS en Agence nationale de santé publique (et le réunit notamment avec l’Institut national d’éducation à la santé (INPES)).
  • [2]
    On résume ici Buton (F.), « De l’expertise scientifique à l’intelligence épidémiologique : l’activité de veille sanitaire », Genèses, 65, 2006, et Buton (F.), « Une agence tous risques ? La veille sanitaire comme savoir de gouvernement », manuscrit inédit pour le dossier d’habilitation à diriger des recherches, Université de Lyon, décembre 2015 (à paraître). Voir également Buton (F.), Pierru (F.), « Instituer la police des risques sanitaires », Gouvernement et action publique, 4, 2012.
  • [3]
    À partir de la fin des années 1990, la pratique des CDC se reconfigure autour du paradigme de la preparedness (ou anticipation préventive), qui consiste à développer des dispositifs de vigilance à l’égard de tout ce qui est susceptible de se transformer en risque : il ne s’agit plus seulement de détecter précocement des risques déjà connus et suivis (comme dans le renseignement), mais d’anticiper la survenue de risques inconnus. Cf. King (N. B.), « The Scale Politics of Emerging Diseases », Osiris, 19, 2004.
  • [4]
    L’École nationale de santé publique, devenue en 2005 l’École des hautes études en santé publique (EHESP).
  • [5]
    Ce dont témoigne assez l’ouvrage-bilan de sa direction, Drucker (J.), Les détectives de la santé : virus, bactéries, toxiques, enquêtes sur les nouveaux risques, Paris, Nil, 2002.
  • [6]
    C’est-à-dire sous les gouvernements de « gauche d’ouverture » (1988-1993) et de « gauche plurielle » (1997-2002), avec Bruno Durieux et Bernard Kouchner comme titulaires du portefeuille de la santé.
  • [7]
    Cf. la synthèse récente de Lambelet (A.), La philanthropie, Paris, Presses de Science Po, 2014, et le numéro de la revue Monde(s), « Philanthropies transnationales », 6, 2014.
  • [8]
    Cf. « Foundations are often black boxes, stewarding and distributing private assets for public purposes, as defined by the donor » (Reich (R.), « What are Foundations for ? », Boston Review, mars 2013 (http://bostonreview.net/forum/foundations-philanthropy-democracy, consulté le 1er novembre 2017).
  • [9]
    Conservé dans les archives de la Fondation Mérieux, ce fonds a pu être consulté grâce à l’aimable autorisation de son ancienne secrétaire générale, Mme Claude Lardy, que je tiens à remercier pour la confiance et le temps qu’elle m’a accordés. Claude Lardy a établi le classement du fonds en reprenant en partie la manière de classer de Ch. Mérieux lui-même. Les cotes sont issues de ce classement.
  • [10]
    Cf. son autobiographie, Mérieux (Ch.), Virus passion, Paris, Robert Laffont, 1997.
  • [11]
    Lettre de Charles Mérieux à Jean Legrain, chef de Cabinet du ministre de la Santé et de la Famille (Simone Veil), 30 novembre 1978. Fondation Mérieux, Fonds Charles Mérieux, M12.
  • [12]
    La reconnaissance d’utilité publique, qui dans le cas de la Fondation Mérieux concerne la contribution à « la recherche, la formation et l’information dans le domaine de la biologie, l’immunologie, l’épidémiologie et la prévention individuelle et collective », n’est pas si fréquente : 270 Fondations environ, dont une trentaine dans les questions de santé, l’avaient obtenue en 1976, à un rythme annuel de 3 à 10 reconnaissances par an (données disponibles sur data.gouv.fr).
  • [13]
    L’auteur remercie les responsables du dossier Thomas Depecker, Marc-Olivier Déplaude, Nicolas Larchet, et Nicolas Duvoux pour la discussion stimulante de la communication à l’origine de cet article, les participants à la séance du 14 octobre 2017 du séminaire Action publique (Triangle, Lyon) pour leurs nombreuses questions, et Frédéric Pierru pour ses suggestions.
  • [14]
    L’objectif était de former des spécialistes de la réponse rapide à de nouvelles épidémies, dans le cadre plus général de la politique de « défense civile » consistant à préparer le pays à des attaques d’un nouveau type (biologiques, chimiques, nucléaires), rendues possibles par les progrès de l’aviation. Les EIS officers étaient des fonctionnaires portant uniforme du Public Health Service.
  • [15]
    La Rockefeller Foundation participe cependant au financement des Séminaires Yves Biraud.
  • [16]
    Schneider (W. H.), Rockefeller Philanthropy and Modern Biomedicine : International Initiatives from World War I to the Cold War, Bloomington, Indiana UP, 2002. Buton (F.), Pierru (F.), « Médecins français et épidémiologie américaine. Trois générations d’échanges transatlantiques au XXe siècle », in Kaluszynski (M.), Payre (R.), dir., Savoirs de gouvernement, Paris, Economica, 2013.
  • [17]
    Les formations de deux ans créées ensuite en France et en Europe ne profitent qu’à cinq à dix stagiaires par cohorte en raison de leur coût.
  • [18]
    Il ne s’agit pas de monter des dispositifs de recherche appliquée susceptibles de s’autonomiser (selon le modèle des sciences sociales face à l’État).
  • [19]
    Saunier (P.-Y.), « Administrer le monde ? Les fondations philanthropiques et la Public Administration aux États-Unis (1930-1960) », Revue française de science politique, 53 (2), 2003.
  • [20]
    Buton (F.), Pierru (F.), « Médecins français et épidémiologie américaine », art. cit.
  • [21]
    Environ 10 000 scientifiques de trente pays différents y ont été accueillis en trente ans.
  • [22]
    J. Drucker est aussi passé par les CDC, mais pas par la formation EIS. Cf. Buton (F.), Pierru (F.), « Médecins français et épidémiologie américaine », art. cit.
  • [23]
    Source : « L’histoire d’Epiter, février 1999 », note signée des présidents d’Epiter de 1984 à 1999 (archive Epiter).
  • [24]
    Une trentaine d’acteurs au total ont été interrogés, certains avec Frédéric Pierru ou Claude Thiaudière, parmi lesquels, notamment, C. Tyler et S. Thacker des CDC, Ph. Stoeckel, L. Massé, J. Drucker, et plusieurs EIS fellows (F. Dabis, A. Moren, J.-Cl. Desenclos, L.-R. Salmi).
  • [25]
    C’est le cas de J. Drucker ou de L.-R. Salmi avant leur recrutement à l’Université.
  • [26]
    « Mais mon pauvre ami, j’avais essayé de faire ça pendant les quinze années précédentes, mais je m’étais heurté à chaque fois au contrôleur financier qui disait, ah mais non il vient de j’sais pas où, ça coûte trop cher. Alors qu’avec Mérieux, ça coûtait jamais trop cher [rires] ! C’est tout ». Entretien avec L. Massé.
  • [27]
    Ph. Stoeckel et J. Drucker déclarent rétrospectivement que, dès l’expérience brésilienne, Charles Mérieux avait décidé de développer l’épidémiologie de terrain (« Il sait ce que c’est, il pense que c’est ça qu’il faut », dit J. Drucker).
  • [28]
  • [29]
    Bezes (Ph.), Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, Presses universitaires de France, 2009.
  • [30]
    La description de Ch. Mérieux en « visionnaire » est assez fréquente en situation d’entretien chez les acteurs qui se sont engagés dans l’IDEA (par exemple chez S. Thacker ou chez L.-R. Salmi).
  • [31]
    Mais aussi une partie des lettres reçues.
  • [32]
    D’après le catalogue, les contacts de la Fondation avec d’autres fondations, par exemple, sont rares.
  • [33]
    Sauf mention contraire, toutes les sources citées sont issues de ce fonds consulté à la Fondation Mérieux. Pour la seule série M du fonds (« correspondance »), qui comprend 14 cotes, M11 est consacrée à la Présidence de la République et à la Défense, M12 aux ministères les plus sollicités (dont la Santé), M13 aux autres ministères (une quinzaine), et M14 aux pouvoirs locaux. Quant à M10, elle rassemble exclusivement la correspondance avec Jacques Chirac.
  • [34]
    Elle est abordée dans un tiers de la correspondance classée, soit 17 sur 55 lettres. Les lettres aux DGS se trouvent dans le dossier M12.
  • [35]
    Lettre à J. Roux du 14 septembre 1981.
  • [36]
    Lettre à J. Chirac du 11 avril 1989 où il se dit « allergique » à V. Giscard d’Estaing. M10.
  • [37]
    Lettre à J. Roux du 10 février 1982. Cf. aussi lettre à J. Roux du 28 janvier 1985 où Ch. Mérieux demande à J. Roux d’intervenir « directement auprès du directeur de l’ENSP » pour que la carrière de Massé soit prolongée de deux ans.
  • [38]
    Lettres à J. Roux des 8 mars 1982 et 11 août 1982.
  • [39]
    Lettre à Ph. Lazar du 19 février 1982 (J8).
  • [40]
    Lettre à Ph. Lazar du 1er mars 1982. Il en profite pour lui suggérer d’affecter à Lyon un chercheur de l’INSERM « bien isolé » à Clermont.
  • [41]
    Lettre à Ph. Lazar du 30 mars 1982.
  • [42]
    Lettre à Ph. Lazar du 10 septembre 1982.
  • [43]
    Sur la place de l’épidémiologie descriptive au début des années 1980, cf. Berlivet (L.), « Between Expertise and Biomedicine : Public Health Research in France after the Second World War », Medical History, 52 (4), 2008.
  • [44]
    Lettre de J. Roux du 14 juin 1985.
  • [45]
    Lettre à J.-F. Girard des 3 juin 1986, 8 août 1986 et 16 août 1986.
  • [46]
    Lettre à J.-F. Girard du 25 octobre 1995.
  • [47]
    Par exemple B. Kouchner, qu’il veut faire venir au cours IDEA (« j’ai besoin de vous voir, surtout si vous pouvez ménager une rencontre avec Bernard Kouchner », lettre à J.-F. Girard du 22 juillet 1997). Voir aussi les lettres à Roux des 9 mai 1983 et 24 mai 1983, à propos d’E. Hervé.
  • [48]
    Lettre à J.-F. Girard du 6 octobre 1997.
  • [49]
    Sont invités Ph. Douste-Blazy (12 juillet 1993), H. Gaymard (19 septembre 1995) et B. Kouchner (26 août 1997), qui répondent positivement, ainsi qu’E. Hubert (5 juillet 1995).
  • [50]
    Il lui écrit plus tard avoir « perdu 14 ans avec les socialistes » (lettre à E. Hubert du 5 juillet 1995).
  • [51]
    Lettre à B. Kouchner (juillet 1997).
  • [52]
    Lettre à B. Kouchner du 2 décembre 1998.
  • [53]
    Il écrit par exemple au directeur exécutif de la Fondation des CDC, en 1997 (en anglais, traduit par nous) : « Quand je rencontre nos amis partout dans le monde, je réalise que la Fondation Mérieux est réputée surtout à travers la formation en épidémiologie que nous avons fournie depuis 14 ans avec le soutien des CDC. Tous les épidémiologistes français ont été formés par notre Fondation, ce qui a permis au gouvernement français de mettre sur pied le RNSP ». Lettre à D. Stokes du 25 août 1997, D23.
  • [54]
    Voir les lettres des 30 janvier 1991 et 17 octobre 1997 à Jacques Chirac (série M10 comme toutes les lettres citées ci-après).
  • [55]
    Cote M10. 67 lettres adressées à J. Chirac lui-même, 34 à son entourage, et 9 écrites par J. Chirac.
  • [56]
    Il se déclare conquis dès l’Appel du 18 juin (« gaulliste de la première heure et même du premier quart d’heure », dans une lettre de 1983).
  • [57]
    « Je n’ai pas oublié ce repas intime où vous m’avez fait connaître Jacques Chirac ». Lettre à J. Pélissier, du 24 août 1987.
  • [58]
    « Nous n’oublierons jamais votre coup de téléphone immédiatement après le retour de Christophe » (lettre de 1983, jour non saisi). Sauf mention contraire, les lettres sont adressées à J. Chirac.
  • [59]
    Lettre du 12 juillet 1999 à A. Lhéritier.
  • [60]
    Lettre du 27 avril 1995.
  • [61]
    Lettre de J. Chirac du 19 avril 1988.
  • [62]
    On le dit plusieurs fois pressenti pour être premier de liste (aux régionales de 1986 ou aux municipales de 1995).
  • [63]
    Mérieux (Ch.), op. cit.
  • [64]
    Lettre du 26 février 1982. Il répète la comparaison à J. Roux (lettre du 1er mars 1982, M12).
  • [65]
    Cf. Dumons (B.), « Marcel Mérieux (1870-1937). L’émergence de la bactériologie industrielle entre Saône et Rhône », Cahiers d’histoire, 38 (3-4), 1992.
  • [66]
    Lettre du 15 février 1975.
  • [67]
    La création en 1972 de l’Agence pour la médecine préventive (cf. infra) visait déjà à rapprocher les deux concurrents.
  • [68]
    Lettre du 28 décembre 1987.
  • [69]
    Le plan Clinton de 1997 de dix ans pour la mise au point d’un vaccin l’intéresse particulièrement (20 mai 1997 ; 17 juin 1997), tout comme l’arrivée de la Fondation Gates (19 novembre 1999 et à J.-D. Levitte 28 décembre 1999).
  • [70]
    L’Iran a une longue tradition de collaboration avec la France en matière sanitaire (notamment via l’Institut Pasteur de Téhéran), et possède des laboratoires bien équipés.
  • [71]
    Lettre du 16 juin 2000.
  • [72]
    Anglereaud (B.), Pellissier (C.), Les dynasties lyonnaises. Des Morin-Pons aux Mérieux, du XIXe siècle à nos jours, Paris, Perrin, 2003. Il arrive dans la correspondance que les enjeux débordent le domaine de la santé, comme lorsqu’en août 1975 il félicite J. Pélissier de sa nomination à la tête de la SNCF et lui suggère de développer une « liaison rapide » ferroviaire entre Paris et Lyon afin de compléter les liaisons aériennes et autoroutières (Lettre à J. Pélissier, 7 août 1975).
  • [73]
    La Fondation soutient ainsi la création d’un Institut Universitaire de Santé Internationale qui réunit des universitaires de Genève, Turin et Lyon.
  • [74]
    Lettres des 8 avril 1996, 24 mai 1996, et à J.-D. Levitte du 19 mars 1996.
  • [75]
    Lettre à J.-D. Levitte du 17 juin 1997.
  • [76]
    Cf. les lettres des 20 juin 1995, 4 juillet 1995, 14 septembre 1995 ; et 11 décembre 1995 à Levitte. Cf. aussi les courriers du ministre de la Défense Ch. Millon et du Service de Santé des armées (25 août et 28 août 1995).
  • [77]
    Il a même théorisé qu’il fallait dix ans pour qu’un projet aboutisse. « Qu’est-ce que dix ans ? Juste le temps qu’il faut pour réaliser une idée. Toutes mes expériences me l’ont démontré » (Virus Passion, op. cit., p. 45).
  • [78]
    Le comble est atteint avec le rappel presque systématique à J. Chirac des propos favorables à Bio95 qu’il a tenus lors de la cérémonie de la légion d’honneur en mai 1987. J’ai compté 18 occurrences entre le 11 avril 1989 et le 16 juin 2000…
  • [79]
    Lettres des 25 octobre 1986 et 14 octobre 1996.
  • [80]
    Lettres du 13 juin 1996 à Levitte et du 1er mars 1996 à Chirac.
  • [81]
    Lettre du 25 octobre 1997.
  • [82]
    Lettres des 21 avril 1975 et 17 septembre 1975 à Monod.
  • [83]
    Charles Mérieux note seulement en passant, alors qu’il évoque un congrès « extraordinaire » : « la mort tragique de mon fils aîné m’a empêché d’y assister » (Lettre du 13 avril 1994).
  • [84]
    Ainsi des demandes de faveurs pour des logements à Paris (Lettre à J. Tibéri, 29 mars 1988), ou la demande de protéger son petit-fils interne en médecine en partance pour le Vietnam (10 janvier 1994).
  • [85]
    Lettres de J. Chirac, 25 octobre 1986 et 10 juin 1997.
  • [86]
    Lettre du 24 juillet 1997.
  • [87]
    Lettres des 27 avril 1995 et 28 septembre 1987.
  • [88]
    Lettre du 4 juillet 1995.
  • [89]
    Lettres des 19 mai 1987, 25 juin 1987, 28 août 1987 à Foccart.
  • [90]
    Organisant avec l’entourage de J. Chirac la remise de la Légion d’honneur, Mérieux assure d’abord souhaiter que le Premier ministre « garde sa spontanéité » (8 avril 1987) avant de préciser qu’il aimerait quand même « avoir une idée » du discours, et de suggérer que J. Chirac insiste sur la différence entre l’Institut et la Fondation… (14 avril 1987).
  • [91]
    Par exemple (lettre du 29 mars 1993) : « J’espère que le RPR contrôle la SANTÉ ».
  • [92]
    Lettre du 30 janvier 1997.
  • [93]
    Duprat (C.), Usage et pratiques de la philanthropie. Pauvreté, action sociale et lien social à Paris, au cours du premier XIXe siècle, Paris, Comité d’histoire de la sécurité sociale, 1996.
  • [94]
    Pas plus que sur le mécénat culturel, pourtant pratiqué par Charles Mérieux avec une grande conviction. Cf. Anglereaud (B.), Pélissier (C.), Les dynasties lyonnaises, op. cit., p. 775 et suiv.
  • [95]
    C’est d’ailleurs après l’arrivée d’Alain Mérieux à la tête de la Fondation en 2003 que celle-ci prend une véritable ampleur institutionnelle (plusieurs centres d’infectiologie et laboratoires ont ouvert en Afrique et en Asie).
  • [96]
    On pourrait relire l’ensemble de la correspondance comme la construction et l’entretien d’une position charismatique, en miroir de celle occupée malgré lui par Jacques Chirac (cf. Collovald (A.), Jacques Chirac et le gaullisme. Biographie d’un héritier à histoires, Paris, Belin, 1999).
  • [97]
    Loin du modèle spécifiquement français des dirigeants de grande entreprise combinant profil généraliste, passage par les grandes écoles, filières administratives, Ch. Mérieux apparaît typique de l’industriel « familial ». Sur le capitalisme familial, cf. Daumas (J.), « Les dirigeants des entreprises familiales en France, 1970-2010 : recrutement, gouvernance, gestion et performances », Vingtième Siècle, 114 (2), 2012 ; Joly (J.), Diriger une grande entreprise au XXe siècle. L’élite industrielle française, Tours, Presses universitaires François Rabelais, 2013.
  • [98]
    McGoey (L.), No such Thing as a free Gift : The Gates Foundation and the Price of Philanthropy, New York, Verso, 2015.
  • [99]
    Cf. Revue française d’administration publique, « La santé sous-administrée », 43, 1987.
  • [100]
    Reich (R.), « What are Foundations for ? », art. cit.
  • [101]
    Scott (J.), Seeing Like a State : How Certain Schemes to Improve the Human Condition Have Failed, Princeton, Princeton University Press, 1998.
  • [102]
    Cf. sur ce point la conclusion de McGoey (L.), No such Thing as a free Gift, op. cit.
  • [103]
    Cf. Denord (F.), Lagneau-Ymonet (P.), Le concert des puissants, Paris, Raisons d’agir, 2016.
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