Notes
-
[1]
Ness (I.), eds, New Forms of Worker Organization: The Syndicalist and Autonomist Restoration of Class-Struggle Unionism, Oakland, PM Press, 2014.
-
[2]
Ranis (P.), Cooperatives Confront Capitalism. Challenging the Neo-Liberal Economy, Chicago, Zed Books, 2015.
-
[3]
Borrits (B.), Coopératives contre capitalisme, Paris, Syllepse, 2015.
-
[4]
Entre 1973 et 1978, les occupations productives se mettent en place dans des entreprises de biens de consommation tels que Teppaz (électrophones), Everwear (couvre-lits), Manuest (meubles de cuisine) ou Bretoncelles (pieds de lampe) ; in Adam (G.), Reynaud (J.-D.), Conflits du travail et changement social, Paris, Presses universitaires de France, 1978, pp. 307-310.
-
[5]
Pour un exemple de cet usage, voir notamment les études de cas sur les exemples historiques chiliens, brésiliens, autrichiens ou japonais, in Azzellini (D.), ed., An Alternative Labour History: Worker Control and Workplace Democracy, Chicago, Zed Books, 2014.
-
[6]
Parmi ces ouvriers, on compte plus de la moitié de femmes. Si nous employons le terme d’« ouvrier » pour des commodités d’écriture, nous désignons également dans ce terme générique les ouvrières de Lip.
-
[7]
Georgi (F.), « Le “moment Lip” dans l’histoire de l’autogestion en France », Semaine Sociale Lamy, 1631, 2014.
-
[8]
Vigna (X.), L’insubordination ouvrière dans les années 1968. Essai d’histoire politique des usines, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 107.
-
[9]
Mouriaux (R.), Le syndicalisme en France depuis 1945, Paris, La Découverte, 2013, pp. 51-70.
-
[10]
Penissat (É.), « Les occupations de locaux dans les années 1960-1970 : processus sociohistoriques de “réinvention” d’un mode d’action », Genèses, 2 (59), 2005.
-
[11]
Beurier (J.), « La mémoire Lip ou la fin du mythe autogestionnaire », in Georgi (F.), dir., L’autogestion, la dernière utopie ?, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003.
-
[12]
Parmi l’ensemble des pièces de théâtre, bandes dessinées et documentaires produits sur le conflit, nous renvoyons notamment au travail de Christian Rouault : Les Lip. L’imagination au pouvoir, film documentaire, Les Films d’Ici, 2007.
-
[13]
Vigna (X.) « Le mot de la lutte ? L’autogestion et les ouvrières de PIL à Cerizay en 1973 », in Georgi (F.), dir., L’autogestion, la dernière utopie ?, op. cit. ; Granger (C.), « Le match et la grève, ou les usages militants de l’événement (années 1970) », Sociétés & Représentations, 32 (2), 2011.
-
[14]
Collectif, Lip : affaire non classée, Paris, Syros, 1976, p. 93.
-
[15]
Lagroye (J.), « Les processus de politisation », in Lagroye (J.), dir., La politisation, Paris, Belin, 2003, pp. 360-361.
-
[16]
FGM CFDT, Lip est viable. Propositions syndicales pour un redémarrage de l’entreprise sur les bases du non-démantèlement, du maintien et du statut social des travailleurs, dossier de la conférence de presse du 24 août 1973 ; CGT-FTM, Mémoire sur la situation de l’entreprise Lip, dossier de la conférence de presse du 23 juillet 1973.
-
[17]
Vigna (X.), « Les usines Renault pendant les luttes des ouvriers de l’automobile des années 68 », in Costa-Lascoux (J.) et al., dir., Renault sur Seine, Paris, La Découverte, 2007 ; Verschueren (N.), « L’expression culturelle de la protestation dans un ancien bassin charbonnier », Mouvements, 65 (1), 2011 ; Kovacic (K.), « L’usine de L’Argentière-La-Bessée en paroles : des vies entre montagne et industrie », Cahiers d’histoire de l’aluminium, 48 (1), 2012.
-
[18]
Renahy (N.), « Une occupation d’usine, chant du cygne d’un syndicalisme villageois », Ethnologie française, 35 (4), 2005.
-
[19]
S’il existe bien des travaux monographiques sur Lip, essentiellement de second cycle universitaire, ces derniers renseignent davantage l’occupation de 1973 ; voir Castleton (E.), Lip : une remise à l’heure, de l’action sociale à la gestion de la production (1973-1983), mémoire de DEA, IEP Paris, 1997 ; Champeau (T.), Lip : le conflit et l’affaire (1973), mémoire de Master, Paris, EHESS, 2007.
-
[20]
Horowitz (R.), Haney (L.), « Combiner l’histoire et l’ethnographie en dehors de la revisite des terrains déjà étudiés », in Arborio (A.-M.) et al., dir., Observer le travail, Paris, La Découverte, 2008, p. 258.
-
[21]
Beurier (J.), « La mémoire Lip ou la fin du mythe autogestionnaire », in Georgi (F.), dir., L’autogestion, la dernière utopie ?, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003.
-
[22]
Pernin (P.), Lip quarante ans après, des commémorations en tensions, mémoire de Master, Lille, Université Lille 2, 2014.
-
[23]
Laferté (G.), « L’ethnographie historique ou le programme d’unification des sciences sociales reçu en héritage », in Buton (N.), Mariot (N.), Pratiques et méthodes de la socio-histoire, Paris, Presses universitaires de France, 2009, p. 51.
-
[24]
Molis (A.), Du conflit des Lip en 1973 à Besançon à la formation de la Commission Femmes : expression d’un féminisme ouvrier ?, mémoire de Master, Université de Picardie Jules Verne, 2011.
-
[25]
Thomas Favergeon, Fils de Lip, documentaire, TS Production, 2008.
-
[26]
Renahy (N.), « Une occupation d’usine, chant du cygne d’un syndicalisme villageois », Ethnologie française, 4 (35), 2005.
-
[27]
Payre (R.), Pollet (G.), Socio-histoire de l’action publique, Paris La Découverte, 2013, p. 38.
-
[28]
Michel Chemin (Libération), Huguette Debaisieux (Le Figaro), Charles Seger (La Croix), Charles Silvestre (L’Humanité), Jean Quérat (France Soir), Jean-Pierre Dumont (Le Monde) ou Bernard Guetta (Le Nouvel Observateur) comptent parmi les chroniqueurs réguliers du conflit.
-
[29]
Nous avons scanné un peu plus de 3000 documents à ce jour, dans le cadre du projet Plateforme Archivistique Lip. Édition Numérique Téléchargeable (PALENTE), conduit au sein de l’Université de Franche-Comté entre 2012 et 2015.
-
[30]
Rozenblatt (P.), Tabaton (F.), Tallard (M.), Analyse du conflit Lip et de ses répercussions sur les pratiques ouvrières et les stratégies syndicales, thèse de troisième cycle, Université Paris IX, 1980.
-
[31]
Beurier (J.), « La mémoire Lip… », art. cit., p. 456.
-
[32]
« Deux Français sur trois favorables aux ouvriers bisontins », Combat, 20 août 1973.
-
[33]
Courrier, Standard, Réception-Commandes, Réception-Journalistes, Revue de presse, Lip Unité, Organisation des meeting/voyage, Fournisseurs et usines en lutte, Secrétariat photocopie (LU1-4).
-
[34]
Renahy (N.), « Une occupation d’usine… », art. cit., p. 698.
-
[35]
Ébauches S.A. impute d’ailleurs à cette implantation syndicale les difficultés de la firme, liées aux acquis sociaux démesurés ; in Industrie horlogère européenne. Une expérience suisse. Ébauches S.A.-Lip 1967-1973, chronorama spécial, décembre 1973.
-
[36]
L’accord du 27 mai 1968 établit un salaire minimum de 650 Fr. sur 44 heures, l’échelle mobile des salaires, et une retraite avec complément (garantie de 60 à 80 % des salaires) à 60 ans pour les femmes, 63 ans pour les hommes : in Hirschi (E.), Fred Lip, innovateur social, 1990.
-
[37]
L’indemnisation intégrale des accidents du travail, une semaine supplémentaire de vacances à Noël ou le paiement d’une heure et demie d’information syndicale trimestrielle ; in Hirschi (E.), Fred Lip, op. cit.
-
[38]
Raguenès (J.), De Mai 68 à Lip : un dominicain au cœur des luttes, Paris, Karthala, 2008.
-
[39]
Champeau (T.), Lip : le conflit et l’affaire, mémoire cit., p. 61.
-
[40]
« Chez LIP, tous les matins, le personnel se réunit en assemblée générale pour prendre toutes les décisions importantes », in « Contrôle ouvrier : ils ont osé », Tribunes Socialistes, 27 juin 1973.
-
[41]
Castlelton (E.), Lip : une remise à l’heure…, mémoire cit., pp. 29-42.
-
[42]
Collectif femmes, LIP au féminin, Paris, Syros, 1977, p. 45.
-
[43]
Divo (J.), L’affaire Lip et les catholiques de Franche-Comté, Yens-sur-Morges, Éditions Cabédita, 2003.
-
[44]
Georgi (F.), « Les “rocardiens” : pour une culture politique autogestionnaire », in Georgi (F.), dir., Autogestion. La dernière Utopie ?, op. cit.
-
[45]
Bondu (D.), « L’élaboration d’une langue commune : Lip-la GP », Les Temps modernes, 3 (684-685), 2015.
-
[46]
Hatzfeld (N.), Lomba (C.), « La grève de Rhodiaceta en 1967 », in Damamme (D.) et al., dir., Mai-Juin 68, Paris, L’Atelier, 2008.
-
[47]
C’est notamment sous cet angle que le rôle de Charles Piaget est abordé dans le travail d’intervention sociologique : le charisme quasi messianique du leader de la CFDT est analysé comme une condition de possibilité de l’action collective in Rozenblatt (P.), Tabaton (F.), Tallard (M.), Analyse du conflit Lip…, thèse cit., pp. 178-184.
-
[48]
Edward Castleton met en exergue la valorisation de cette dimension communautaire mystique dans le conflit, notamment par Maurice Clavel, auteur du roman Les Paroissiens de Palente ; in Castelton (E.), Lip : une remise à l’heure…, mémoire cit., pp. 55-60.
-
[49]
Arendt (H.), Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Le Seuil, 2001.
-
[50]
La commission animation entreprend d’organiser les vacances des Français dans leur ensemble : « 6 pancartes de bois ont été réparties aux différentes entrées de la ville : “Sur la route de vos vacances, faites une halte à l’usine LIP, les travailleurs vous attendent.” » (LU1-3).
-
[51]
Prost (A.), « Les grèves de mai-juin 1936 revisitées », Le Mouvement social, 200, 2002.
-
[52]
Champeau (T.), Lip : le conflit et l’affaire, mémoire cit., p. 46.
-
[53]
Lecler (R.), « Gauchir le cinéma : un cinéma militant pour les dominés du champ social (1967-1980) », Participations, 3 (7), 2013.
-
[54]
L’usine est décrite dans la presse comme une fourmilière : les couloirs de l’usine ne désemplissent pas d’acheteurs, d’occupants, de curieux, de militants, in « Lip à l’heure du contrôle ouvrier », Témoignage chrétien, 21 juin 1973.
-
[55]
Se tenant à l’origine tous les matins, puis tous les après-midi à 15 h, les AG « durent de 20 minutes à 2 heures, rassemblent de 80 à 1000 personnes [et] accueill[e]nt de 0 à 400 observateurs étrangers dans l’entreprise », in Champeau (T.), Lip : le conflit et l’affaire, mémoire cit., p. 171.
-
[56]
Ouvrière anonyme, in Journal sonore des Lip, n°3, période du 3 au 5 septembre 1973 [17 min].
-
[57]
« Chez Lip, quelle que soit la solution du conflit rien ne sera plus tout à fait comme avant », Le Figaro, 2 juillet 1973 ; « Plus jamais comme avant », Le Nouvel Observateur, 12 juillet 1973.
-
[58]
Un journaliste de L’Aurore relate cette impression, en notant que certains secteurs sont « surchargés de travail », in « Ils sont 1300 embarqués sur un navire à destination inconnue », L’Aurore, 23 juin 1973.
-
[59]
Kinofilm, Lip 73, première partie « le goût du collectif ».
-
[60]
Un ouvrier passe aisément d’une commission à une autre, selon les conditions de travail qu’il accepte de se donner et selon les manières de travailler qui lui convienne : « À la chaîne de montage des montres, on travaille, en effet, assidûment, en prenant quand même le temps d’échanger quelques mots, il n’y a ni rythme, ni cadence, ni chefs. », in « Ils sont 1300 embarqués… », L’Aurore, art. cit.
-
[61]
Seulement 30 volontaires sont annoncés en juin (LU1-1).
-
[62]
La commission « Garde et entretien », ne comptant que 3 personnes, appelle les volontaires (LU1-2) : la sous-commission « standard » a vu son personnel renforcé en raison du grand nombre d’appels (LU1-4) ; la sous-commission « courrier » annonce qu’« une ou deux personnes de plus seraient les bienvenues dans cette Commission » (LU1-5).
-
[63]
« Ils sont 1300 embarqués… », L’Aurore, art. cit.
-
[64]
Hibou (B.), Anatomie politique de la domination, Paris, La Découverte, 2011.
-
[65]
Colomb (F.), Les politiques de l’emploi (1960-2000) : sociologie d’une catégorie de politique publique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012.
-
[66]
Tract de la section CFDT Lip, « Les revanchards », mai 1974.
-
[67]
Le texte de l’accord de Dôle, faute de rétablir immédiatement le Comité d’Entreprise, qui ne pourra officiellement reprendre son service qu’après la réintégration de tous les salariés, crée deux instances représentatives du personnel : un CE provisoire, rassemblant les délégués syndicaux de l’ancienne société, et une « commission de l’emploi et de la formation ». Cette commission, dont le rôle est d’examiner « les problèmes soulevés par l’application du présent accord en matière d’emploi et de formation », est confiée aux syndicats : les 12 membres salariés, disposant chacun de 20 h cumulables sont désignés par les organisations syndicales (OS) signataires qui déterminent entre elles « une répartition équitable ». Ces deux structures seront absorbées par le CE élu en 1975.
-
[68]
Accord de Dôle, p. 7.
-
[69]
C’est de cette manière qu’est signé le tract alors publié.
-
[70]
Tract du CA « éphémère », 10 juin 1974.
-
[71]
Jean Raguenès, « Conserver et développer les acquis de la lutte », décembre 1974.
-
[72]
Les résultats donnent une majorité écrasante à la CFDT qui monopolise tous les mandats du Comité d’Entreprise (1er et 2e collège) et du deuxième collège des délégués du personnel (2 mandats), ainsi que 6 des 7 mandats du premier collège des Délégués du Personnel. Les leaders CFDT sont tous reconduits : Charles Piaget (CE, 2e collège), Rolland Vitot et Michel Jeanningros (DP, 2e collège), Jeanine Pierre-Emile (CE 1er collège), in LU1-19, avril-mai 1975.
-
[73]
Elle est décrite comme un espace où « sont discutées, amendées ou non acceptées les différentes propositions d’action émanant soit des commissions, soit du collectif, lesquelles sont ensuite présentées à l’assemblée générale qui se prononce sur leur opportunité » (LU2-2).
-
[74]
Accueil, garde jour/nuit, restaurant, audiovisuel, nettoyage/entretien, exposition itinérante, tracts et diffusion, affiches et collage, relations avec la presse, animation à l’intérieur de l’entreprise, liaisons avec les travailleurs en lutte, contacts avec les chômeurs, secrétariat et administration. Toutefois, il est précisé que « leur contenu n’est pas encore suffisamment défini et [qu’] il devient urgent de le préciser, de le rendre motivant et mobilisateur si nous voulons éviter une désaffection et un abandon de la lutte » (LU2-1).
-
[75]
La commission « Pendulettes » repose sur un détournement du savoir-faire : « Nous avons essayé de faire quelque chose de différent grâce aux connaissances acquises lors de la réalisation de pendulettes de tableaux de bord » (LU2-6).
-
[76]
« 800 travailleurs tous les jours à l’AG, c’est dix fois plus fort que le stock de montres », Rouge, 3 août 1976 ; Martine Storti évoque, en janvier 1977, « 400 personnes aux assemblées générales quotidiennes », in Libération, 7 février 1977.
-
[77]
Lettre adressée aux travailleurs de Lip, Brest, 4 novembre 1976 ; Lettre adressée aux travailleurs de Lip, Paris 13e, 8 novembre 1976 ; Lettre adressée aux travailleurs de Lip, Tours, 8 novembre 1976 ; Lettre adressée aux travailleurs de Lip, Berre-l’Étang, 18 novembre 1976.
-
[78]
La mesure de ce succès n’est compréhensible qu’au regard des inquiétudes qui se forment parmi les occupants de l’usine : « Les plus pessimistes pronostiquaient l000 à 1500 personnes, les plus optimistes, les plus nombreux d`ailleurs, pariaient sur 5000 personnes » (LU2-7).
-
[79]
Lettre de l’intersyndicale adressée à M. Porelli, en date du 19 mai 1976.
-
[80]
« Les ouvriers de Lip ont évacué et caché le stock de montres », La Croix, 28 juillet 1976.
-
[81]
Ogien (A.), « La désobéissance civile peut-elle être un droit ? », Droit et société, 3 (91), 2015.
-
[82]
Le numéro 6 de la seconde série est introduit par cette phrase : « Les numéros quatre et cinq de LIP-UNITE étaient consacrés presque entièrement à la coordination des luttes, le numéro six, que voici, parle essentiellement de Lip. »
-
[83]
« Lip : L’après 90 % : chaque ouvrier donne trois heures par jour à la communauté de Palente », La Croix, 29 mai 1977.
-
[84]
Un long argumentaire est développé sur ce point dans le n° 8 de Lip Unité, publié en février 1978.
-
[85]
Quijoux (M.), « Du zèle à l’autogestion. Retour sur les usines récupérées d’Argentine », Sociologie du travail, 54 (2), 2012.
-
[86]
Evans (W.T.), « Counter-Hegemony at Work: Resistance, Contradiction and Emergent Culture Inside a Worker-Occupied Hotel », Berkeley Journal of Sociology, 51, 2007.
-
[87]
On notera à ce titre que l’échec de la coopérative « Les Atelières » (impliquant d’anciennes ouvrières de l’entreprise Lejaby), qui ferme ses portes le 18 avril 2015, mériterait d’être interrogé autant qu’a pu l’être son montage.
1L’attention portée actuellement aux occupations militantes à travers le monde a permis d’en identifier un type tout à fait spécifique : celle des usines abandonnées par leurs actionnaires et/ou patrons, pouvant déboucher sur la reprise de la production par les travailleurs coopérants. Les engouements militants et scientifiques suscités par ces occupations productives des lieux de travail soulèvent une question commune : forment-elles un seul et même mouvement politique de contestation du capitalisme ? Rien n’est moins sûr. D’un côté, ces occupations peuvent être interprétées comme autant de manifestations d’un « retour » global, imposé par le néolibéralisme, à des formes radicales et directes d’action des travailleurs, en dehors d’un syndicalisme conventionnel qui ne cesse de s’affaiblir [1]. De l’autre, ces initiatives de récupération des outils de travail courent le risque d’être pensées, par ceux qui les mobilisent, uniquement comme des stratégies de survie à court terme, dont s’accommoderait une économie de marché stable et dominante. Pour ne pas les condamner à n’être que des actions marginales et fragmentées, il conviendrait dès lors de « politiser » ces occupations productives, en les arrimant à un discours contre-hégémonique et un soutien des pouvoirs publics qui les fédèrent dans un réseau de résistance [2] ou à une perspective commune de contre-modèle productif [3]. Le débat est donc ouvert, autant par les travailleurs engagés dans cette voie que par les observateurs et les militants : les occupations productives peuvent-elles ouvrir la voie à une résistance commune et une alternative économique concrète pour les acteurs qui y prennent part ?
2Dans ce débat, le recours à l’histoire s’impose. L’occupation productive se présentant comme un mode d’action emblématique de l’action ouvrière des années 1960 et 1970 [4], les exemples du passé sont souvent mobilisés pour affirmer la longévité de cette solution de combat social, qui aurait été envisagée de longue date comme une stratégie pertinente et crédible par les travailleurs du monde entier [5]. En France, le cas de l’usine horlogère Lip, située dans le quartier de Palente à Besançon, est encore aujourd’hui largement évoqué sous cet angle. Restituons-en les principaux tenants. En 1973, les ouvriers [6] de l’usine# construite au début des années 1960, employant 1200 personnes et considérée comme un fleuron industriel national, s’opposent aux licenciements et au démantèlement de leur entreprise imposés par l’actionnaire majoritaire (le trust suisse Ébauches S.A.). La grève entamée dès le mois d’avril se change en occupation à partir du mois de juin, suite à la découverte du contenu du plan de licenciement, et se convertit en expérience démocratique flirtant avec l’autogestion [7], autour de trois décisions collectives : confiscation du stock de montres (12 juin), redémarrage de la production horlogère (18 juin) et organisation de la première « paye ouvrière » (2 août). L’occupation prend fin dans la nuit du 14 au 15 août, avec l’expulsion des travailleurs de l’usine de Palente par les CRS. Le maintien des formes collectives de l’occupation en dehors de l’usine se prolonge jusqu’à son redémarrage, en mars 1974, et la réembauche du personnel, grâce au financement d’un consortium d’actionnaires industriels et bancaires français. Deux ans plus tard, l’entreprise est pourtant de nouveau liquidée par ceux qui l’avaient renflouée. Reprenant la lutte, les ouvriers s’engagent dans une nouvelle occupation en mai 1976, mais ne reprennent la production de montres qu’en juin 1977, et finissent par constituer une coopérative ouvrière à la fin de cette même année.
3Mais en quoi l’exemple de Lip peut-il réellement être rapporté aux situations actuelles d’occupation productive et de récupération d’usine ? Aux analogies hâtives des militants de l’autogestion, il conviendrait alors d’opposer une analyse plus contextualisée de l’émergence et du sens politique des occupations de l’usine de Palente. En effet, le cas de Lip est principalement étudié à partir de la « séquence historique » dans laquelle il s’inscrit. L’occupation productive de l’usine incarnerait ainsi la spécificité d’une séquence « post-68 » ayant marqué, entre autres, le mouvement ouvrier : l’usine y est vécue comme un « lieu politique » dans lequel les « ouvriers ne se contentent pas de travailler », mais où ils « échangent des paroles, commentent la pièce à faire ou la machine à régler, évoquent tel contremaître, ou rêvent au repos prochain », et où « plus rarement, ils interrompent le travail et font grève [8] ». Cette politisation de l’usine cristallise des divergences internes entre centrales syndicales concurrentes sur la « bonne » manière de conduire une grève et/ou sur la possibilité d’envisager de convertir des occupations en expérimentations autogestionnaires [9]. La sociohistoire des pratiques d’occupation d’usine de cette période repose alors sur l’étude comparative de ces pratiques dans différentes usines, permettant d’établir les bornes temporelles d’un mouvement d’ensemble, correspondant à une configuration sociale précise. Étienne Pénissat en retrace les jalons essentiels : si jusqu’en 1968 l’usine occupée est essentiellement pensée et pratiquée comme une « forteresse », surveillée au quotidien par une poignée de syndicalistes (de la CGT la plupart du temps), l’émergence d’un syndicalisme alternatif, essentiellement sous l’impulsion de la CFDT et de militants catholiques et gauchistes, change la donne [10]. L’occupation devient ouverte, investie de sens politique (on y pratique des formes de « démocratie ouvrière »), tournée vers l’opinion publique et finit par acquérir une dimension « symbolique ».
4Encastrer Lip dans cette séquence permet de relativiser son exceptionnalité : si l’épopée des ouvriers horlogers a constitué un événement national, marquant l’imaginaire militant [11] et a été largement romancée [12], Lip n’est pas la seule entreprise occupée où les ouvriers redémarrent la production, ne serait-ce que parmi les émules qu’elle suscite [13]. Cet exercice pose toutefois problème. En effet, il tend à limiter l’étude de l’occupation de Lip à ses aspects les plus emblématiques, correspondant le mieux à la « séquence », et rendant peu évidente une comparaison avec la situation actuelle. Mais ces analyses minimisent, de fait, un élément pourtant incontournable : l’occupation de 1976-1977 n’est pas la même que celle de 1973. En trois ans, le rapport qu’entretiennent les ouvriers à l’occupation de leur usine a manifestement changé :
« On avait, en 1973, beaucoup écrit sur notre imagination collective. On attendait un coup d’éclat en avril 1976. En fait, nous n’avons ni fait de “rapt” immédiat des montres, ni remis en route les chaînes, ni réanimé le comité d’action. Nous nous sommes d’abord attachés à mettre en marche des commissions de réflexion pour organiser notre riposte, pour cimenter notre unité […] l’imagination, ce n’est pas répéter le passé [14]. »
6Pour comprendre ce que l’analyse des occupations de Lip peut apporter à la compréhension des expériences actuelles d’occupation productive, notre article propose d’abandonner partiellement une approche comparative, centrée sur « l’après 68 », pour étudier, via une monographie longitudinale, la manière dont les occupations de Lip ont été pratiquées et pensées par celles et ceux qui les ont menées. Notre objectif est d’approfondir la compréhension des processus de politisation de cette occupation. Si ce terme désigne bien la construction « d’un accord pratique entre des agents sociaux enclins, pour de multiples raisons, à transgresser ou à remettre en cause la différenciation des espaces d’activité [15] », nous souhaitons, dans le cas de Lip, nous concentrer sur le travail de politisation qui prend place dans l’usine occupée, avant même de s’intéresser à la requalification de l’événement en objet politique par des acteurs qui lui sont extérieurs (des centrales syndicales aux groupuscules militants, en passant par les médias nationaux et les partis politiques).
7Suivre l’évolution des usages de l’occupation productive d’une usine au sein d’un même collectif de travailleurs, à quelques années d’intervalles, permet de saisir la fragilité de ce processus de politisation. Cette fragilité tient à une réalité simple : si l’occupation est un moyen de lutte, elle permet également aux ouvriers de s’entraider pour survivre. Dès lors, la dimension politique de l’occupation doit être réactivée en permanence, pour ne pas la limiter à une simple opération de survie. L’organisation concrète de l’usine risque effectivement, et à tout moment, d’éloigner celles et ceux qui prennent part à la défense des revendications centrales de la lutte, portées par les organisations syndicales : « pas de démantèlement, pas de licenciement, maintien des acquis sociaux [16] ». Notre argument central est le suivant : même dans une période aussi « politisée » que les années post-68, le sens politique de l’occupation de Lip se (re)compose sans cesse autour d’un fragile équilibre entre les attentes matérielles des ouvriers et les fins militantes des plus engagés d’entre eux.
8Notre ambition est donc d’affiner l’étude de l’organisation concrète de ces occupations productives, partiellement délaissée par des approches socio-historiques préférant interroger leur encastrement dans un mouvement syndical plus vaste et/ou dans les trajectoires sociales des ouvriers qui les mènent [17]. Cette ambition constitue pourtant une gageure méthodologique. En effet, les occupations de cette époque sont souvent insuffisamment renseignées par les archives ou les entretiens rétrospectifs auprès d’ouvriers les ayant conduites [18]. Lip n’échappe pas à cette règle [19]. La méthodologie retenue (cf. encadré ci-dessous) cherche donc à restituer et à comparer les tensions entourant l’organisation pratique, concrète et quasi quotidienne des deux occupations, dans le but de « mettre au jour des processus sociaux dans le passé et […] les rattacher à ceux que l’on observe dans le présent ethnographique [20] ».
9Notre démonstration, centrée sur le « grippage » des pratiques de l’occupation, se divise en deux temps, organisant une comparaison entre, d’une part, la première occupation (1973) et, d’autre part, le retour à l’usine et la seconde occupation (1974-1977). Premièrement, la « démocratie ouvrière » qui naît durant l’occupation de 1973 repose très largement sur un enrôlement des individus par la prise en compte des besoins matériels de la communauté des travailleurs, que les plus engagés tentent de maintenir dans une voie revendicative. Deuxièmement, le retour à l’usine, qui donne une place centrale à une section CFDT intégrant des activistes au premier plan de la lutte de 1973, et le bouleversement des conditions matérielles de licenciement (mise en place d’une allocation sociale d’aide aux licenciés économiques), établissent un nouveau rapport à l’occupation. En 1976, les intermittences de la présence de nombreux ouvriers bénéficiant du maintien de leur salaire poussent l’intersyndicale à cadrer davantage les pratiques et le sens politique de l’occupation, où l’activité productive ne redémarre véritablement qu’une fois la majorité des travailleurs privée de ressources. Le cas de Lip, étudié au-delà de son « mythe », présente en cela de fortes similarités avec les trajectoires incertaines des occupations productives contemporaines, constamment tiraillées entre lutte et survie.
Saisir les pratiques d’une occupation passée
Nous avons alors, dans un premier temps, imaginé contourner cet écueil, en retrouvant des ouvriers et ouvrières de Lip peu, pas ou moins présents dans les affrontements de mémoire, comme l’ont fait par exemple Audrey Mollis dans son travail de Master sur les femmes de Lip [24] ou Thomas Favergeon dans son documentaire sur le conflit [25]. Nous ne nous sommes pourtant pas orientés dans cette voie pour deux raisons. Premièrement, quelques rencontres informelles avec d’anciens Lip – qui ne manquent pas à Besançon – nous ont convaincu que nous risquions de nous confronter au problème de l’oubli de l’occupation d’une petite usine par les ouvriers l’ayant conduit [26]. Deuxièmement, une première vague de collectes d’archives privées d’acteurs du conflit, complétant les archives publiques déjà disponibles, nous convainc de l’intérêt d’une « pratique extensive » d’accumulation et d’analyse des traces écrites, orales et visuelles des occupations de 1973 et 1976-1977, mais également de la période de retour à l’usine (1974-1976). Un nouvel enjeu apparaît alors : si la première occupation est très renseignée par les archives, notamment du fait de l’importante stratégie de communication publique des travailleurs, les périodes suivantes le sont sensiblement moins.
Nous entreprenons donc une collecte archivistique avec un objectif simple : établir une « relation de familiarité avec le terrain étudié [27] » palliant la distance historique, contournant partiellement la prédominance des discours rétrodictifs, et cherchant à atteindre le moment où nous ne serions plus surpris par ce que nous pourrions découvrir sur les pratiques d’occupation de l’ensemble de la période (1973-1977). En partant d’un important stock d’archives, mis à disposition par la famille d’un ouvrier de l’usine devenu secrétaire du comité des travailleurs et de la section CFDT nous explorons également les archives personnelles de Claude Neuschwander, patron de l’usine entre 1974 et 1976, ainsi qu’un fonds de 1115 articles de presse nationale collectés auprès de la Fondation Nationale des Sciences Politiques. Les archives recueillies livrent une diversité de sources concernant les pratiques d’occupation : productions réalisées ou commandées par les travailleurs en lutte (écrits, films, photos, enregistrements sonores), documents syndicaux qui circulent dans et hors l’usine (tracts, compte rendu de réunion), documents relatifs au management de l’entreprise, restitution par des journalistes de quotidien nationaux généralistes (visitant l’usine ou assurant une correspondance à Besançon pour leurs journaux [28]) ou militants, documents de gestion du comité des travailleurs (correspondances écrites, comptabilité). Le traitement de ces archives passe par leur numérisation [29], nous permettant de les consulter en profondeur, reprenant plusieurs fois leur lecture pour systématiser leur comparaison. Une recherche menée sous l’égide de « l’intervention sociologique » par une équipe de sociologues au début des années 1980 [30] constitue également une source précieuse, en ce qu’elle permet de saisir les analyses collectives des protagonistes de la lutte, quelques années seulement après son issue.
C’est à partir de cette collecte que nous avons ensuite considéré certaines archives comme centrales. Ainsi, la publication du bulletin Lip-Unité, dont nous avons pu reconstituer la quasi-totalité des deux séries, de 1973 à 1982, a retenu particulièrement notre attention. Le bulletin comporte une première série, publiée de juillet à décembre 1973 et une deuxième série, publiée d’avril 1976 à septembre 1977, que nous référençons par séries et numéros (LU1-1, LU1-2 puis LU2-1, LU-2-2, etc.). Or cette publication, rédigée avec l’appui des militants de la revue les Cahiers de Mai, si elle comporte de larges développements sur l’affaire proposant au « grand public » l’analyse des travailleurs en lutte, est également utilisée comme une plateforme de discussion interne qui reprend nombre de débats et de problèmes liés à la gestion de l’occupation, dont nous trouvons des traces dans d’autres archives.
Lip 73 : au-delà du « mythe », l’entraide et la survie
10L’occupation de l’usine Lip de Palente, en 1973, est essentiellement connue pour son organisation d’ensemble, siège d’une véritable « démocratie ouvrière ». Pourtant, l’imaginaire généré par cet épisode pose problème. Comme le souligne Joëlle Beurier, faire de Lip l’histoire d’un « conflit participatif et de ses conséquences humaines positives [31] » ne permet pas d’être attentif à l’histoire vécue par ses principaux protagonistes. Or cette histoire ne peut se résumer aux caractéristiques mythifiées (la fête, l’émancipation, l’égalité) de l’occupation. La construction du mythe entourant cette occupation n’est pas l’apanage d’entrepreneurs de cause extérieurs à l’usine. La « démocratie ouvrière » est pensée par les leaders syndicaux du mouvement comme un élément déterminant du rapport de force : son originalité et son exemplarité en font un « modèle » qu’il s’agit de populariser afin d’accroître le soutien de l’opinion publique, largement acquise à leur cause au plus fort du conflit [32]. Un véritable dispositif de communication accompagne l’occupation : la commission « popularisation », qui présente le plus de traces d’activité avec neuf sous-commissions [33], est également consacrée à la réception des journalistes dès le mois de juin 1973 (LU1-1) et complétée par une sous-commission en charge d’une revue de presse (LU1-4).
11Engager une analyse des pratiques de l’occupation de 1973 impose donc de dépasser les célébrations de ses formes, omniprésentes dans la presse de l’époque, pour se concentrer sur les éléments empiriques permettant de saisir la manière dont l’occupation parvient à assembler durablement des individus aux attentes et aux engagements très divers. Sur ce point, Nicolas Renahy [34] identifie deux grands facteurs d’épuisement d’une occupation d’usine : le sentiment des salariés d’être dépossédés de leur lutte par les militants syndicaux et l’urgence du retour à une vie normale qui pousse à rechercher individuellement un emploi et/ou accepter les reclassements. Le cas de Lip s’agence bien autour de ces deux risques, tout en montrant que le souci de retrouver une vie normale ne pousse pas obligatoirement les travailleurs à quitter l’occupation : son organisation a pour but essentiel de maintenir durablement les ouvriers dans l’usine, en desserrant le monopole syndical et en reproduisant les conditions d’une vie quotidienne acceptable au sein de l’usine occupée.
La « démocratie ouvrière »
12Ce que nous nommons « démocratie ouvrière » chez Lip, et qui permet de rattacher l’occupation de cette usine à la séquence de « l’après 68 », repose sur trois piliers : le comité d’action (CA), l’assemblée générale (AG) et les commissions. Cette tripartition enracine l’occupation dans une pratique démocratique, dans le sens où elle rend quasiment impossible la monopolisation de la conduite de la lutte par les syndicats. Sa mise en place s’inscrit dans le prolongement du type de syndicalisme présent dans l’usine depuis sa création en 1960 : si les sections syndicales CFDT et CGT y sont très implantées [35], la grève de 1968, débouchant sur des accords très favorables aux travailleurs [36], établit des habitudes de dialogue et de mobilisation dépassant le seul périmètre des ouvriers syndiqués. Les expériences collectives de lutte, entre 1968 et 1973, qui permettent notamment d’obtenir de nouveaux acquis [37], forgent indéniablement une dynamique favorable à cette démocratie ouvrière.
13Le CA, hérité des luttes de mai 1968, se reconstitue dès le 20 avril 1973. Structure souple se réunissant de manière aléatoire mais fréquente, le CA est un groupe restreint d’ouvriers non syndiqués et peu expérimentés, dont une des figures de proue est Jean Raguenès, prêtre dominicain au parcours militant atypique [38]. Tout en coopérant avec les représentants syndicaux et en les appuyant dans leurs actions, le CA se veut également une instance de critique permanente de la mainmise syndicale sur la conduite et les formes du mouvement [39]. L’AG est quant à elle présentée par la presse militante comme l’acte fondamental de cette démocratie interne [40]. Elle est un lieu d’expression plus encadré et organisé que le CA, et constitue tout à la fois le principal relais du discours syndical, essentiellement énoncé par les responsables locaux des sections CFDT (C. Piaget, R. Burgy, R. Vittot) et CGT (N. Dartevelle, R. Mercier) dont l’action demeure structurante dans la mise en cohérence des décisions prises [41]. Les AG n’en restent pas moins un espace public de débat : y sont successivement entendus les points d’actualité syndicaux, les prises de parole libre permises par l’usage d’un « micro baladeur », la lecture des télégrammes de soutien, les décisions concernant la poursuite de la lutte ou le compte rendu des différents déplacements effectués pour populariser le mouvement. Les commissions ont pour objectif officiel de faire prendre un tournant démocratique à la reprise de l’activité. Chacune d’entre elles répondant « à un besoin précis d’organisation interne de la communauté [42] », tous les aspects de la vie de l’usine sont progressivement gérés par les ouvriers.
14Les conditions de possibilité de cette démocratisation de l’occupation peuvent être cherchées dans une multitude de facteurs : on évoquera notamment la forte influence du catholicisme social parmi les leaders syndicaux [43], la présence de militants du PSU [44], d’extrême gauche [45] ou féministes, notamment parmi les membres du CA, ou encore l’héritage des luttes menées à Besançon, comme celles de la Rhodiaceta en 1967 [46]. Au-delà de ces explications sociologiques, essentiellement ciblées sur les trajectoires des ouvriers les plus engagés, syndiqués ou non, la forte unité du collectif des travailleurs, qui ne cesse de se développer dans l’action, a pu également forger l’idée d’une « communauté », fondée sur une dimension religieuse et spirituelle, une forme de « messianisme » attaché aux leaders syndicaux [47], voire un certain mysticisme [48]. L’épopée humaine, au cœur de l’occupation, a effectivement rendu possibles des transgressions modifiant profondément « l’espace entre les hommes [49] » dans l’usine de Palente.
15Il nous semble toutefois important de prendre quelque distance avec ces lectures trop individualisées ou trop homogénéisantes de l’engagement collectif dans l’occupation. En effet, les modalités concrètes d’occupation du printemps 1973 ne visent pas uniquement à satisfaire les desseins démocratiques d’ouvriers-militants ou à accomplir le destin d’une communauté nouvelle que l’ensemble des ouvriers appellerait de leurs vœux : elles tentent également et plus prosaïquement d’aider les tout nouveaux licenciés à reprendre leurs marques face à la déstabilisation de leur quotidien.
La déstabilisation du quotidien, défi de l’occupation
16Cette déstabilisation doit être comprise dans un double sens : d’une part, les ouvriers se retrouvent sans ressource suite à l’annonce de la liquidation de la société (13 juillet 1973) ; d’autre part, la vie dans l’usine occupée déstabilise les habitudes de nombre d’entre eux. Faire vivre la « démocratie ouvrière » n’est pas un objectif suffisant pour maintenir l’organisation de l’usine occupée, qui s’invente donc en fonction d’un double objectif : extraire les ouvriers de leurs routines pour les engager dans la production et recouvrer un salaire, mais aussi redéfinir le cadre d’un quotidien acceptable par le plus grand nombre. De ce point de vue, les commissions jouent un rôle déterminant dans la définition des modes d’occupation. Les sept commissions initiales – production, vente, gestion des stocks, accueil, popularisation, garde-entretien, restaurant –, vite complétées par de nouvelles commissions, s’adaptent sans cesse à ce double impératif.
17Les commissions servent, avant toute chose, à attirer les ouvriers dans l’usine occupée, et ce, en leur proposant une série de « services ». Le démarrage de l’occupation au printemps 1973 pose, par exemple, un problème central : comment convaincre les ouvriers de ne pas partir en vacances et de rester dans l’usine pour y produire ? Les départs en vacances, attendus par les enfants d’ouvriers, sont régulièrement énoncés par les rédacteurs de Lip Unité comme une source potentielle de danger. Des commissions se structurent autour de ce problème : la commission « garderie », cherche rapidement des volontaires (LU1-1) et est d’ailleurs officiellement renforcée le 9 août (LU1-3) ; la commission « animation » annonce les places disponibles en centre de vacances pour les enfants, mises à disposition par les comités d’entreprise et les « municipalités amies » (LU1-2, LU1-5). Les commissions prennent en charge, plus ou moins directement, d’autres services liés au quotidien. Ainsi, la commission « Restaurant », composée de huit volontaires, de l’ancien personnel de la société prestataire, réembauché et payé comme les travailleurs de Lip (LU1-4) et animée par « un ouvrier de l’horlogerie et un ouvrier de la mécanique » (LU1-2), assure des repas froids à midi à un prix réduit dès le mois de juillet (LU1-1).
18Les commissions sont également le siège d’une très forte convivialité, à tel point qu’elles prétendent changer l’usine en lieu de villégiature pour les ouvriers et bien au-delà [50]. Le rôle de la commission « animation » est ici cardinal. À l’instar des occupations d’usine de 1936 [51], l’occupation de Lip est festive. L’usine devient « un véritable lieu de vie fourmillant d’activités [52] », où se tiennent des bals populaires (LU1-1), des représentations théâtrales, des concerts, des projections de films (LU1-2), qui mêlent des chanteuses engagées (Claire, Colette Magny), des cinéastes d’avant-garde [53] et des divertissements populaires (on y diffuse notamment des « De Funès » ou des films « de genres divers (comique, policier, aventure, etc.) » (LU1-5). L’équipe de football de l’usine transforme ses matchs amicaux en « meetings ou autres manifestations permettant de populariser la lutte en cours » (LU1-5).
19Si cet enrôlement fonctionne – l’usine est densément occupée [54] et les AG très animées [55] –, il doit pourtant composer avec les perturbations que peut entraîner ce bousculement du quotidien. La manière dont on organise sa journée, sa présence chez soi, qui l’on reçoit, où l’on dort, sont des éléments au cœur de l’organisation de l’occupation. C’est ce que dit, pendant le conflit, une femme qui occupe l’usine :
« Qu’est-ce que cette lutte t’a apporté à toi, en tant que femme ?
En tant que femme, heu… j’ai une vie complètement bouleversée et modifiée. Déjà une chose, quand je fais l’analyse, je me rends compte que j’étais… je veux pas dire une petite bourgeoise, mais un petit peu la femme bien organisée, bien rangée, etc. Maintenant j’ai beaucoup d’amis, des gens qui viennent à Lip. Je suis absolument pas regardante de les recevoir à la maison : on fait la vaisselle en commun, et avant j’aurais eu peur qu’on me casse mes tasses. Maintenant j’ai beaucoup changé. Le ménage laisse vraiment à désirer, parce que j’ai pas le temps. Je suis toujours dans une réunion d’un côté ou de l’autre, enfin très occupée beaucoup plus qu’avant [56]. »
21Le thème du bouleversement du monde connu est largement repris dans la presse : chez Lip, « plus rien ne sera comme avant [57] », dans le sens où l’émancipation en acte permet de jeter un regard sévère sur la manière « dont on vivait avant ». Mais cette sortie du quotidien reste déstabilisante et l’effervescence de l’usine peut aussi se transformer en fatigue et en lassitude [58]. Les commissions veillent donc à ce que les conditions matérielles de l’occupation ne se dégradent pas, et permettent à tous de ne pas perdre pied.
22Ainsi, le souci des conditions de travail existe bel et bien dans l’usine occupée. Bien entendu, la répartition dans les commissions, qui s’opère chaque matin, se fait sur un ton fortement autogestionnaire. Filmé par la commission « popularisation », un homme en blouse d’ouvrier, debout dans le hall de l’usine, stylo et carnet à la main, prend les inscriptions matinales dans les différentes sous-commissions qui composent la commission « popularisation ». Une fois répartis les volontaires, il s’adresse aux occupants, depuis l’escalier qui mène aux anciens bureaux de la direction :
« Alors, sachez qu’à l’intérieur de chaque sous-commission, le travail sera déterminé par vous, il n’y a pas d’ordre du jour dans les sous-commissions, vous savez juste le travail que vous avez à effectuer de façon générale [59]. »
24Si l’idée selon laquelle les commissions émancipent les travailleurs est très largement reprise dans la presse [60], les conditions de travail qu’elles imposent n’en demeurent pas moins scrutées. À l’instar des commissions « accueil », « compte solidarité » ou « standard », la commission « production » énonce publiquement ses cadences, comme pour rassurer les éventuels volontaires :
« 150 personnes, contre 76 le 18 juin [61], qui travaillent avec un horaire fixe de 8 h à 12 h 20. Deux chaînes d’habillage ont repris, 15 personnes travaillent hors chaîne (poseuses et emboîteuses), le travail de terminaison de pose bracelets et le contrôle est assuré. »
26Certaines commissions réclament d’ailleurs une meilleure répartition des volontaires [62]. L’occupation de l’usine prend également soin de préserver l’outil de travail et de se doter de règles claires. L’exercice de la « visite de l’usine occupée », pratiquée par de nombreux correspondants de médias nationaux, militants ou généralistes, permet de saisir cette dimension. Si les récits journalistiques sont plus ou moins enthousiastes, ils convergent vers une même idée : l’occupation est « sérieuse ». Ainsi, « le visiteur peut en tout cas constater qu’il n’y a aucun désordre, aucun dégât et en apparence aucune faille [63] ». La commission « Garde et entretien » se félicite d’ailleurs à plusieurs reprises de la propreté de l’usine, qui participe des bonnes conditions de travail.
27L’importance des enjeux matériels est également perceptible dans le déplacement des modes d’occupation à l’extérieur des murs de l’usine occupée. Après l’expulsion du 14 août 1973, les instances quotidiennes de l’occupation se maintiennent en investissant une pluralité de lieux : les AG, ouvertes à tous, ont désormais lieu tous les matins à 9 h, au Cinéma Lux, « mis à disposition gratuitement par la paroisse de Palente » (LU1-7), à quelques centaines de mètres de l’usine ; les commissions reprennent leur service dans le gymnase Jean Zay, lui aussi proche de l’usine et prêté par la municipalité de Besançon. Symbole de cette continuité, la rubrique « l’activité dans l’usine » de Lip-Unité est alimentée après l’expulsion (LU1-7 et 8). L’occupation « hors les murs », qui se maintient jusqu’au retour à l’usine en mars 1974, permet ainsi la gestion collective des problèmes matériels des ouvriers tout au long du conflit : paies ouvrières (organisées les 31 août, 25 septembre et 23 octobre), recouvrement des droits à la sécurité sociale (septembre 1973), gestion collective des inscriptions à l’Agence nationale pour l’emploi (novembre 1973).
28Le projet démocratique n’est donc pas le seul moteur de l’investissement quotidien des ouvriers dans l’occupation. L’enrôlement de ces derniers est conditionné par le maintien d’une forme de stabilité sociale, qu’ils vont pouvoir retrouver et/ou redéfinir dans l’expérience de l’occupation. Or c’est à partir de cet enrôlement du quotidien que les ouvriers les plus investis politiquement tentent de veiller à ce que leurs camarades n’oublient pas de lutter.
Le rôle discret mais certain des entrepreneurs de cause
29Si « Lip 73 » est bien une affaire nationale, largement médiatisée, l’occupation en tant que telle est diversement investie politiquement par les ouvriers. Il existe ainsi un noyau dur très politisé aux profils divers – leaders syndicaux chevronnés, souvent liés au catholicisme social et/ou au PSU, activistes du CA s’engageant pour la première fois et rencontrant l’extrême gauche – qui ne recoupe pas le périmètre des ouvriers syndiqués. Ce groupe d’activistes exprime régulièrement son inquiétude face au manque d’engagements militants des occupants de l’usine. Pour ce noyau, occuper l’usine ne doit, en aucune circonstance, se limiter à une entreprise de survie. La volonté des ouvriers agissant hors du cadre syndical de peser sur la conduite de la grève joue aussi dans ces appels à la mobilisation.
30Au début du mois d’août 1973, les principaux animateurs du CA se plaignent publiquement du fait que l’organisation de la vie quotidienne dépolitise le mouvement. Ainsi, le CA fonctionne au ralenti « car les commissions prennent beaucoup de temps » en raison du « nombre limité de travailleurs présents dans l’usine » (LU1-3), ce qui donne trop d’ascendant aux leaders syndicaux lors des AG :
« Il sera alors indispensable de reprendre les réunions de Comité qui, chacun en est convaincu dans l’usine, permet une plus grande participation et donc une plus grande démocratie tout en préparant à l’Assemblée générale. Une assemblée générale qui, à cause peut-être du relatif sommeil du C.A., est actuellement assez pesante… »
32Les leaders syndicaux, dont l’influence reste contrebalancée par l’organisation de l’occupation, tentent alors d’instaurer un mécanisme de don et de dette : ceux qui occupent doivent s’impliquer dans la lutte, d’une manière ou d’une autre. Cette rigueur des conditions d’occupation se renforce avec l’organisation de la première « paie ouvrière », lors de l’AG du 2 août 1973. Puisque l’implication active dans l’occupation est désormais attachée à un salaire, « tout membre du personnel devait participer à la commission ou sous-commission de son choix et y travailler effectivement au minimum quatre jours aux horaires normaux » (LU1-4). Le travail en commission fait aussi l’objet d’un encadrement permettant aux organisations syndicales de comptabiliser les présents et de suivre leur implication. Chaque commission se voit désormais attribuer une localisation dans l’usine (numéro de service et numéro de poste), reproduisant ainsi la structure classique de l’entreprise. Les inscriptions matinales se complètent alors d’une nouvelle disposition : « dans chaque commission doit être effectué un pointage collectif » (LU1-4). Les tours de garde dans l’usine sont obligatoires (uniquement sur la base du volontariat pour les femmes) et comptent comme une journée de présence en commission. Si les commissions tissent des structures d’action collective offrant à la fois un ensemble de services et de loisirs, une surveillance des conditions de vie et de travail dans l’usine et l’accès à un revenu de subsistance, elles rendent également possible l’exigence de contreparties : participation aux AG, aux manifestations, aux actions de popularisation, bref à la dimension proprement politique du conflit.
33L’aspiration des individus à une « vie normale », si elle a été particulièrement bien appréhendée dans l’étude des logiques d’obéissance en situation autoritaire [64], semble tout aussi fondamentale dans l’analyse des modes d’occupation. Ainsi, en 1973, les structures connues de la « démocratie ouvrière » s’appuient sur une nécessité matérielle, liée à l’urgence de la suppression des salaires, que les ouvriers les plus engagés (syndicalistes et militants) veillent à enrôler dans une posture politique commune. Être attentif à ce fil rouge du maintien des conditions matérielles d’existence via l’occupation n’a pas pour objectif de minimiser l’ampleur de la « démocratie ouvrière ». Cette posture permet seulement de saisir une importante ligne de fracture entre cette occupation et celle qui prend place, trois ans plus tard, dans la même usine.
L’occupation et les intermittences de l’urgence économique (1974-1977)
34Le premier conflit Lip débouche sur une victoire : le 29 janvier 1974 un accord signé à Dôle entre un groupe d’actionnaires franco-suisses et les organisations syndicales officialise la reprise des activités de l’entreprise par une nouvelle société. L’usine, dont la direction est confiée à Claude Neuschwander, jeune entrepreneur marqué à gauche en provenance du groupe Publicis, rouvre ses portes le 11 mars 1974 et réembauche l’ensemble des salariés concernés sur une période d’un an et demi.
35Toutefois, deux ans plus tard, le 12 avril 1976, une nouvelle liquidation de l’entreprise est annoncée par les actionnaires, deux mois après le limogeage de Claude Neuschwander. Cette liquidation relance le conflit, et débouche donc sur une nouvelle occupation. Pourtant, deux facteurs viennent enrayer la reproduction du mouvement de 1973. D’une part, le « retour à l’usine » correspond à une séquence d’affirmation du leadership de la section CFDT, qui intègre des activistes en provenance du CA. D’autre part, l’accord national du 14 octobre 1974 met en place une Allocation supplémentaire d’attente (ASA), permettant aux licenciés économiques de percevoir pendant un an 90 % de leur salaire brut antérieur. Bien avant les débats qu’elle ne manquera pas de susciter dans l’élaboration d’un régime indemnitaire du chômage [65], cette ASA agit de manière tout à fait paradoxale sur les modes d’occupation qui s’enclenchent en 1976 chez Lip, puisqu’elle oblige les entrepreneurs de cause à gérer la perte de mobilisation attachée à cette amélioration des conditions de licenciement.
36En 1976, au-delà du seul constat d’un changement de contexte macro-économique, l’immense majorité des 939 salariés, dont 678 ouvriers de production, ne reprendront pas immédiatement le chemin de l’occupation productive principalement en raison d’une modification des conditions de survie matérielle des licenciés.
Le retour à l’usine et la « recentralisation » syndicale
37À partir de mars 1974, la redécouverte de la vie quotidienne du travail d’usine n’est pas évidente à gérer pour les premiers arrivés. Les témoignages de ceux qui retournent à l’usine sont rendus publics. Un ouvrier anonyme livre ainsi son appréciation dans le premier numéro de Lip-Unité publié après la reprise de l’activité. Il y décrit un mélange de soulagement et de culpabilité vis-à-vis de ceux qui ne sont pas encore rentrés et ont été orientés vers les stages de formation, mais souligne également que ce retour à l’usine est l’occasion de pardonner à celles et ceux qui n’ont pas pris part à la lutte :
« Au niveau de la coexistence déjà, assez facile avec ceux qui n’ont pas suivi le conflit pour des raisons personnelles, mais qui, de cœur ou du bout des lèvres, étaient avec nous ; très difficile par contre avec ceux qui sont bêtement hostiles. Comme cela, sans raison, viscéralement esclaves et n’admettant pas que d’autres refusent de l’être. »
39Les « esclaves » désignent essentiellement les cadres, peu investis dans la grève de 1973 et considérés comme des « revanchards [66] » – les tensions entre ouvriers grévistes et non grévistes ne sont jamais clairement évoquées dans les archives consultées. Les tensions avec les cadres témoignent d’une difficulté plus large à redécouvrir un quotidien ouvrier, fait de division du travail et de hiérarchie. La lutte a laissé des traces dans l’usine et conditionne le rétablissement d’une autre division : celle du travail syndical au sein de l’usine.
40Si l’accord de Dôle donne une place centrale aux organisations syndicales de l’ancienne société dans le suivi du plan de réembauche et des conditions de formation [67], l’héritage de la « démocratie ouvrière » exerce une pression permanente sur les leaders syndicaux. L’accord affirme l’objectif d’une réembauche de la totalité des ouvriers mais précise que, « s’il devait cependant subsister un décalage » entre l’activité de l’usine et le rythme des réembauches, la direction « s’engage à assurer un reclassement dans la région de Besançon à classification égale à celle de l’ancienne société Lip [68] ». Les travailleurs de Lip, dans et hors de l’usine, soupçonnent donc en permanence la direction de jouer sur cette ambiguïté en poussant le plus d’ouvriers possible vers d’autres emplois, et exigent des délégués syndicaux qu’ils fassent entendre ces craintes en n’oubliant pas d’exprimer dans l’usine les difficultés rencontrées par ceux qui n’y sont pas.
41En juin 1974, le Comité d’Action « ressuscité en l’occurrence [69] » établit ainsi un diagnostic des inégalités parmi les ouvriers de Lip en situation de formation. Si les auteurs prennent le temps de préciser que « loin de minimiser le rôle de la commission de contrôle de la formation et de 1’emploi, nous voulons au contraire l’aider dans sa démarche en favorisant le débat sur toutes ces questions », ils contestent le principe qui fixe le contenu des formations à partir des niveaux de qualification et qui brise, de fait, la logique d’émancipation engagée en 1973. D’où une revendication centrale :
« PERMETTRE LE LIBRE CHOIX DE CHAQUE TRAVAILLEUR en lui donnant la possibilité d’opter pour un groupe en fonction de ses goûts et de ses centres d’intérêts, et non point en lui imposant celui-ci à partir de critères hiérarchiques [70]. »
43De même, la première AG tenue dans le restaurant de l’usine le 18 septembre 1974 est décrite dans Lip-Unité comme l’emblème de la porosité entre travailleurs réembauchés et en stage, et illustre l’impossibilité d’un encadrement syndical trop descendant. Alors qu’aucun travailleur ne s’exprime lors de l’AG, la manifestation tenue par ceux en attente de réembauche devant les grilles de l’usine à l’aide du « très vieux bus de la RATP qui a été l’un des principaux héros de la campagne de popularisation » (LU1-17) attire les réembauchés hors des murs de l’usine pour engager un débat plus informel et animé.
44Toutefois, au-delà de ce débordement continu du cadre syndical, la réembauche définitive et officielle des salariés, assurée en décembre 1974 (tableau 1), s’accompagne d’un repositionnement de certains activistes non syndiqués, très actifs dans la lutte de 1973.
45En décembre 1974, Jean Raguenès, animateur central du CA, rédige et diffuse un texte reprenant les grandes idées de ce positionnement. Selon le prêtre dominicain, l’enjeu prioritaire est d’éviter un syndicalisme fondé sur « une section d’élus, coupée de sa base, pensant, agissant et décidant pour elle ». C’est bien par une redéfinition de l’activité syndicale en tant que telle que l’héritage de la lutte se maintiendra :« Parce que tous ne sont pas engagés au même degré ni disponibles de la même façon, [l’action syndicale] rassemble surtout les militants particulièrement concernés et en premier les délégués syndicaux. […] Comme groupe mandaté, engagé et disponible, les délégués sont spécialement aptes à élaborer un grand nombre de questions touchant à la vie de l’entreprise. Ils devront cependant présenter ces questions au Collectif pour y être discutées, voire amendées ou rejetées et, le cas échéant soumises à l’AG (en fonction de leur importance) [71]. »
Le rythme des réembauches (1974-1975)
Le rythme des réembauches (1974-1975)
46Les élections professionnelles de mars 1975 incarnent alors une « recentralisation » de l’activisme dans l’usine autour de la section CFDT, qui correspond autant à une volonté des leaders de la section qu’à un investissement stratégique d’ouvriers, jusque-là non-syndiqués mais portés par la lutte de 1973. Alors que la CFDT remporte une majorité écrasante lors des élections professionnelles de 1975, au détriment de la CGT [72], Jean Raguenès rejoint les rangs de la section en tant que délégué du personnel.
47C’est donc dans une usine dotée d’une section syndicale dominante, ayant intégré des activistes qui lui étaient extérieurs, que s’enclenche la seconde lutte des Lip. En 1976, les leaders syndicaux issus de cette recomposition ont un rôle prépondérant. Un élément en apparence anecdotique en constitue un révélateur : alors qu’en 1973, Lip-Unité se présentait comme le « Bulletin d’information des travailleurs de chez Lip », la nouvelle série est baptisée « Bulletin des travailleurs et de la section C.F.D.T. LIP ». La nouvelle occupation est donc placée sous l’égide d’une « intersyndicale [73] », dominée par la CFDT. Le carnet de comptabilité de la section révèle d’ailleurs que la gestion de Lip-Unité (ventes, abonnements, envois) se fait par la section dès le 6 avril 1976, alors qu’elle ne l’est pas en 1974.
48L’affirmation d’une tutelle syndicale sur l’organisation quotidienne de l’occupation n’est cependant pas liée à une volonté délibérée des syndicalistes de ne pas renouer avec l’expérience de 1973. Elle correspond davantage à la tentative de pallier le manque de mobilisation quotidienne dans l’usine, liée à un changement des conditions matérielles de licenciement.
Le piège des « 90 % »
49En 1976, à peine l’usine occupée, le risque d’une faible mobilisation liée à la mise en place de l’ASA est clairement énoncé : « Nous devons nous préparer plus que jamais à faire face à une situation qui risque de démobiliser une partie des nôtres : les 90 % » (LU2-2). Contrairement à 1973, il est d’ailleurs très difficile de trouver dans les archives le nombre d’ouvriers concrètement présents dans l’occupation et/ou dans les commissions. Quel que soit ce chiffre, le maintien du plus grand nombre d’ouvriers possibles dans l’usine est constamment présenté comme un enjeu central de la lutte, bien plus que trois ans auparavant :
« L’essentiel de notre combat, c’est de réaliser l’unité des travailleurs à Lip, de les mobiliser et de faire en sorte qu’ils soient en permanence sur le terrain. Pour cela, il est indispensable qu’ils aient intérêt à rester dans l’entreprise, d’où la réédition, en les améliorant, des schémas mis sur pied en 1973. »
51Compte tenu de cette démobilisation, les modalités d’occupation changent, particulièrement dans la dimension productive. Si, en 1973, les commissions de production s’évertuaient à enrôler les ouvriers dans l’occupation afin de perpétuer la fabrique des montres, elles s’adaptent désormais à ce que veulent produire les ouvriers déjà présents. N’ayant plus d’urgence de survie, les occupants délaissent la production horlogère et s’engagent, au coup par coup, dans une série de productions « nouvelles ». Occuper l’usine et y produire sert « moins [à] se payer (la plupart sont aux 90 %) », qu’à « créer un dynamisme à l’intérieur de l’entreprise », et ainsi découvrir « une nouvelle organisation du travail, de nouvelles relations interpersonnelles et intergroupes, un nouveau rapport au travail, etc. » (LU2-6). Les commissions n’ont pas toujours de but précis, comme le révèlent leurs intitulés [74]. L’occupation est surtout investie par celles et ceux qui souhaitent s’émanciper de leurs machines et réexploiter leurs autres savoir-faire :
« En effet, la plupart du temps le travailleur a été rivé, son existence durant, à un même type de production qui, de surcroît, lui est presque toujours imposé ; jamais, ou presque, il n’a pu exprimer autre chose… L’occupation doit permettre cette “libération”. Ainsi à LIP, des groupes se sont formés et se sont mis à fabriquer des objets divers : décoration d’assiettes, couture, broderie, pendulettes de bureau [75], jeu du chômage [appelé plus tard Chomageopoly, ndla], etc. »
53Les modes de commercialisation se diversifient et se stabilisent entre 1976 et 1977 : on peut acheter les produits sur place, auprès des réseaux de soutien (permanences du PSU), ou se les procurer par correspondance auprès du secrétaire de la section CFDT de l’usine, devenu trésorier du comité des travailleurs (figure 1). Il devient donc possible d’acquérir une partie de ces produits sans se rendre dans l’usine occupée.
Diversification et commercialisation des articles produits dans l’usine occupée (1976-1977)
Diversification et commercialisation des articles produits dans l’usine occupée (1976-1977)
54Fort logiquement, la fin de l’ASA, en 1977, change une nouvelle fois la donne. Un an après le début de l’occupation, le versement des « 90 % » arrive à son terme, redonne toute sa centralité à la production de ressources financières et engage une redéfinition des objectifs et des modalités de l’occupation :
« […] Il nous faut maintenir entre nous la plus grande démocratie possible et la confiance qui seules permettent l’imagination et le dynamisme de la lutte. Nous prendrons d’ailleurs toutes les décisions pour ne laisser personne sans salaire à la suite de la répression et la gamme des mesures arbitraires qui pourraient être prises par les différentes administrations. »
56Lors de l’AG du 25 mai 1977, les ouvriers votent massivement la reprise de la production et de la vente de montres, pour une paie prévue « à partir du 13 juillet (date à laquelle les premiers Lips ne percevront plus les indemnités) » (LU2-9). Ce retour à l’horlogerie n’éradique pas pour autant les autres productions, apparues avec le début de l’occupation en mai 1976. Les commissions qui apparaissent à partir de juin 1977 cherchent à alléger les difficultés matérielles quotidiennes posées par la fin de l’allocation (LU2-9) : mise à disposition d’un garage « au prix coûtant », d’un restaurant « aux environs de 4 F », d’un groupement d’achat pour des « produits de consommation courante de bonne qualité au prix de gros ».
57Les modalités concrètes d’organisation de cette seconde occupation de l’usine de Palente se réajustent donc en fonction des problématiques matérielles. Le rapport à l’usine occupée et « productive » est fuyant : espace d’émancipation (sortie de la condition ouvrière) pour quelques-uns, elle est le dernier refuge après la fin des droits sociaux pour la majorité des ouvriers. Or, dans cette occupation qui doit composer avec un manque persistant de présents, les organisations syndicales s’approprient un espace laissé libre.
Un investissement syndical au premier plan
58Les principaux animateurs de cette seconde occupation, gravitant désormais autour de la section CFDT, composent avec cette réalité mouvante. Ils tentent d’abord de pallier le manque de mobilisation quotidienne dans l’usine. Indiquant que l’AG quotidienne est un temps fort auquel il est d’ailleurs « indispensable que participe la majorité des travailleurs », les rédacteurs de Lip-Unité constatent que si les rangs des AG sont bien garnis [76], il « reste encore beaucoup à faire pour que ces assemblées générales dépassent le stade de la consommation » (LU2-2). Pour contrer cette tendance, l’occupation tente de reproduire les structures manquantes de 1973, telles que le CA : le soir, une fois le travail en commission réalisé, les occupants peuvent prendre part à « un collectif animé par la CFDT ouvert à tous ceux qui ont quelque chose à exprimer, des propositions à faire, des critiques à formuler » (LU2-2). Ce collectif doit être « l’occasion d’être parfaitement à l’aise » pour résoudre des problèmes qui « peuvent se poser au niveau de l’assemblée générale ».
59Malgré ces tentatives, la réduction du contingent des occupants finit par poser des problèmes. Ainsi, la fabrication du jeu de société « Chomageopoly », lancée en liaison avec d’autres entreprises occupées, a du mal à faire face aux commandes d’achat, comme l’expliquent les responsables syndicaux aux clients qui se plaignent des retards de livraisons [77]. Pour contrebalancer ces problèmes, l’occupation est alors ponctuellement « mise en scène ». Les journées portes ouvertes (6 mai et 6 novembre 1976, 18 juin 1977), particulièrement préparées et publicisées par les organisations syndicales et les ouvriers présents dans l’occupation, permettent en effet de reconstituer ponctuellement l’effervescence d’une usine encombrée, comme en 1973 :
« [Lors des JPO du 6 novembre] 13 000 personnes, pour la plupart intéressées par la totalité de nos activités, ont circulé de 10 h à 1 h du matin dans les couloirs et les salles de l’entreprise, s’arrêtant longuement au stand “recherche-santé”, à celui du Chomageopoly, ou bien encore à ceux des assiettes, des pendulettes, des boules plastiques, des couturières, etc. »
61L’usine envahie lors des portes ouvertes permet de retrouver le fourmillement de l’occupation passée, notamment dans la grande passerelle, reliant restaurant et hall, « dont les murs avaient retrouvé leur vie, leurs couleurs, des plus grands jours de 1973 » (LU2-7). Ces « événements dans l’événement » permettent aux occupants de se rassurer [78]. L’investissement dans l’occupation permet également aux organisations syndicales d’alimenter leur propre combat. Ainsi, dès le début du mouvement de 1976, les leaders syndicaux de Lip déploient une énergie considérable à constituer une « coordination des luttes » à partir d’une alliance entre usines occupées, initiée lors d’une réunion à Palente le 6 juin 1976, principalement à partir d’une alliance entre Lip et l’entreprise marseillaise Griffet. L’idée motrice de cette coordination est simple : les usines occupées partagent un même combat qui doit être la base d’une alliance nationale en mesure d’inquiéter l’État et le patronat. Comme l’indiquent les meneurs de cette coordination, « l’occupation d’entreprises […] fait apparaître de nombreuses similitudes entre des entreprises appartenant pourtant à des activités industrielles différentes » (LU2-8). La coordination s’adresse d’ailleurs directement aux centrales syndicales : « À l’heure où on parle tant de “points chauds”, il serait temps d’agir sur “ce foyer potentiel” que représentent les entreprises en occupation » (LU2-8).
62Les syndicalistes s’approprient ouvertement la construction du sens politique de l’occupation. C’est ce que l’intersyndicale indique à Vincent Porelli, député communiste des Bouches-du-Rhône :
« Par votre lettre du 7 mai, nous avons appris que vous avez demandé une audience à Monsieur d’Ornano au nom de l’intersyndicale. Il n’y pas eu de réunion de l’intersyndicale et vous, de ce fait, n’avez pas reçu de mandat d’elle. À ce stade, nous estimons que c’est aux organisations syndicales d’obtenir ce type de rencontre et de négociations [79]. »
64Dans le même esprit, la nouvelle confiscation du stock de montres, organisée dans la nuit du 27 juillet 1976 [80], est moins un acte collectif spontané qu’un basculement dans l’illégalité assumé et revendiqué par les organisations syndicales, comparable à l’exercice d’un droit [81]. La confiscation ne sert ni à la vente ni à la paie ouvrière, mais à adresser un message à l’opinion publique et au gouvernement : Lip est à nouveau en crise. Cet investissement syndical fragilise l’attachement des ouvriers à l’occupation, comme le reflètent les critiques sur la trop grande place prise, dans les colonnes de Lip-Unité, par des enjeux strictement syndicaux, telle que l’organisation de la coordination : « Après avoir lu certains articles [concernant la coordination], nous avons le sentiment que ceux-ci s’adressent à des militants initiés à des problèmes très particuliers, non à des lecteurs en quête d’information… » (LU2-4). Les leaders syndicaux, s’ils entendent ces critiques [82], n’en déterminent pas moins le sens politique de l’occupation : occuper l’usine doit être, d’abord et avant tout, le moyen de s’engager dans une lutte globale. Les commissions, lorsqu’elles s’expriment dans les colonnes de Lip-Unité, prennent alors le temps d’affirmer explicitement leur attachement à la lutte, ce qui n’était pas le cas en 1973. La commission « couture », qui se présente comme « la petite dernière, celle qui s’est créée toute seule, celle qui a la plus grande spontanéité, le plus grand dynamisme, celle où tout est à créer, où tout se crée » (LU2-6), et essentiellement composée de femmes, clarifie son engagement. La participation à l’occupation semble désormais exiger une allégeance militante :
« Cette commission n’est pas un refuge. Chacun de ses membres reste mobilisé pour le problème de l’emploi. Aucune de celles qui la composent ne manque l’A.G., toutes participent à chaque action ; elles sont présentes dans chaque phase de la lutte. Pour elles, être dans cette commission, c’est s’intégrer encore plus fort à la lutte. »
66Le retour à une occupation productive plus affirmée, en 1977, ne fait que confirmer ces tendances. Le souci du maintien d’un niveau décent de rémunération s’accompagne d’une exigence militante et collective. Participer à l’occupation donne droit à un « salaire », mais impose un cadre d’action [83]. Ainsi, pour avoir accès à un complément de salaire tiré de l’activité productive, les travailleurs doivent se plier à des règles de présence : la présence quotidienne à l’AG, la participation aux services (garde, restaurant, nettoyage) et à une commission de production sont « les critères minimum nécessités par la lutte » (LU2-10).
67C’est sur la base de ces règles collectives que la conversion de l’usine occupée en coopérative de production est progressivement envisagée. Or, si la constitution d’une coopérative, via un vote de l’AG le 8 novembre 1977, priorise le maintien des conditions de vie des ouvriers, elle s’accompagne de très longs argumentaires expliquant que la lutte continue [84]. Les ouvriers de Lip, même devenus propriétaires de leur outil de travail, n’oublieront pas leurs revendications.
Conclusion : l’usine occupée, un espace de politisation fragile
68Les occupations de Lip n’ont pas été un mouvement spontané de contestation du capitalisme par l’appropriation de l’outil de travail, pas plus qu’elles n’ont été une vaste instrumentalisation syndicale sur-politisant une occupation mise en scène. L’attention portée aux pratiques d’occupation, telles qu’elles transparaissent dans les archives, montre un équilibre beaucoup plus subtil entre lutte et survie : le leadership syndical, profondément bousculé par l’occupation de 1973, se réadapte à un changement du rapport des ouvriers à l’occupation principalement lié à des enjeux matériels de subsistance.
69En cela, Lip ne peut aucunement être réduit à une exception historique enchâssée dans la séquence qui l’a rendue possible. Les problèmes concrets auxquels se confrontent l’organisation et la politisation de cette occupation dessinent les contours de problématiques contemporaines, identifiables dans des expériences récentes d’occupation et de récupération d’usine, étudiées par l’entremise de l’ethnographie. Ainsi, les équilibres fragiles entre urgence économique et résistance au capitalisme, étudiés par Maxime Quijoux dans le cas des usines récupérées en Argentine [85], résonnent familièrement avec les problèmes qui émaillent l’occupation de l’usine de Palente. Si certaines occupations contemporaines de lieux de travail assument une posture politique claire [86], il semble hâtif de les considérer comme l’expression d’un seul et même mouvement ou comme des espaces évidemment et facilement politisés. La fragilité du sens politique que donnent celles et ceux qui s’engagent dans l’occupation se pose aujourd’hui dans ces expériences comme il se posait déjà, il y a quarante ans, sur les hauteurs de Besançon.
70Certes, le contexte macro-économique a changé et les occupations d’usine d’hier et d’aujourd’hui ne sont pas comparables en tous points. Notre monographie de Lip entend toutefois rappeler que, même au cœur de « l’après 68 », l’action ouvrière radicale doit, pour exister, affronter le quotidien et sa préservation. Très loin du Quartier latin, ceux qui s’engagent dans la lutte n’ont pu éviter une démobilisation nécessitant un enrôlement des dimensions les plus élémentaires et quotidiennes d’un collectif d’ouvriers pris entre la révolte et la peur du lendemain.
71Hier comme aujourd’hui, la réflexion sur les occupations et récupérations d’usine ne peut se limiter à des questions de faisabilité juridique et financière, mais impose un débat sur leurs conditions de survie et leur portée subversive. Notre approche plaide, in fine, pour une analyse approfondie des occupations et récupérations d’usine, allant au-delà de discours globalisants retenant les éléments saillants de quelques cas triés sur le volet et risquant, tout comme Lip, d’être progressivement enfermés dans leur propre mythe. Penser la portée politique des occupations productives impose d’aborder la trajectoire de ces expériences, notamment lorsque les dynamiques collectives s’enrayent, ou lorsque les règles de l’économie de marché s’accommodent ou viennent rapidement à bout [87] des équilibres fragiles construits au jour le jour, par celles et ceux qui réinventent sans cesse l’occupation comme mode d’action d’une résistance concrète et immédiate.
Notes
-
[1]
Ness (I.), eds, New Forms of Worker Organization: The Syndicalist and Autonomist Restoration of Class-Struggle Unionism, Oakland, PM Press, 2014.
-
[2]
Ranis (P.), Cooperatives Confront Capitalism. Challenging the Neo-Liberal Economy, Chicago, Zed Books, 2015.
-
[3]
Borrits (B.), Coopératives contre capitalisme, Paris, Syllepse, 2015.
-
[4]
Entre 1973 et 1978, les occupations productives se mettent en place dans des entreprises de biens de consommation tels que Teppaz (électrophones), Everwear (couvre-lits), Manuest (meubles de cuisine) ou Bretoncelles (pieds de lampe) ; in Adam (G.), Reynaud (J.-D.), Conflits du travail et changement social, Paris, Presses universitaires de France, 1978, pp. 307-310.
-
[5]
Pour un exemple de cet usage, voir notamment les études de cas sur les exemples historiques chiliens, brésiliens, autrichiens ou japonais, in Azzellini (D.), ed., An Alternative Labour History: Worker Control and Workplace Democracy, Chicago, Zed Books, 2014.
-
[6]
Parmi ces ouvriers, on compte plus de la moitié de femmes. Si nous employons le terme d’« ouvrier » pour des commodités d’écriture, nous désignons également dans ce terme générique les ouvrières de Lip.
-
[7]
Georgi (F.), « Le “moment Lip” dans l’histoire de l’autogestion en France », Semaine Sociale Lamy, 1631, 2014.
-
[8]
Vigna (X.), L’insubordination ouvrière dans les années 1968. Essai d’histoire politique des usines, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 107.
-
[9]
Mouriaux (R.), Le syndicalisme en France depuis 1945, Paris, La Découverte, 2013, pp. 51-70.
-
[10]
Penissat (É.), « Les occupations de locaux dans les années 1960-1970 : processus sociohistoriques de “réinvention” d’un mode d’action », Genèses, 2 (59), 2005.
-
[11]
Beurier (J.), « La mémoire Lip ou la fin du mythe autogestionnaire », in Georgi (F.), dir., L’autogestion, la dernière utopie ?, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003.
-
[12]
Parmi l’ensemble des pièces de théâtre, bandes dessinées et documentaires produits sur le conflit, nous renvoyons notamment au travail de Christian Rouault : Les Lip. L’imagination au pouvoir, film documentaire, Les Films d’Ici, 2007.
-
[13]
Vigna (X.) « Le mot de la lutte ? L’autogestion et les ouvrières de PIL à Cerizay en 1973 », in Georgi (F.), dir., L’autogestion, la dernière utopie ?, op. cit. ; Granger (C.), « Le match et la grève, ou les usages militants de l’événement (années 1970) », Sociétés & Représentations, 32 (2), 2011.
-
[14]
Collectif, Lip : affaire non classée, Paris, Syros, 1976, p. 93.
-
[15]
Lagroye (J.), « Les processus de politisation », in Lagroye (J.), dir., La politisation, Paris, Belin, 2003, pp. 360-361.
-
[16]
FGM CFDT, Lip est viable. Propositions syndicales pour un redémarrage de l’entreprise sur les bases du non-démantèlement, du maintien et du statut social des travailleurs, dossier de la conférence de presse du 24 août 1973 ; CGT-FTM, Mémoire sur la situation de l’entreprise Lip, dossier de la conférence de presse du 23 juillet 1973.
-
[17]
Vigna (X.), « Les usines Renault pendant les luttes des ouvriers de l’automobile des années 68 », in Costa-Lascoux (J.) et al., dir., Renault sur Seine, Paris, La Découverte, 2007 ; Verschueren (N.), « L’expression culturelle de la protestation dans un ancien bassin charbonnier », Mouvements, 65 (1), 2011 ; Kovacic (K.), « L’usine de L’Argentière-La-Bessée en paroles : des vies entre montagne et industrie », Cahiers d’histoire de l’aluminium, 48 (1), 2012.
-
[18]
Renahy (N.), « Une occupation d’usine, chant du cygne d’un syndicalisme villageois », Ethnologie française, 35 (4), 2005.
-
[19]
S’il existe bien des travaux monographiques sur Lip, essentiellement de second cycle universitaire, ces derniers renseignent davantage l’occupation de 1973 ; voir Castleton (E.), Lip : une remise à l’heure, de l’action sociale à la gestion de la production (1973-1983), mémoire de DEA, IEP Paris, 1997 ; Champeau (T.), Lip : le conflit et l’affaire (1973), mémoire de Master, Paris, EHESS, 2007.
-
[20]
Horowitz (R.), Haney (L.), « Combiner l’histoire et l’ethnographie en dehors de la revisite des terrains déjà étudiés », in Arborio (A.-M.) et al., dir., Observer le travail, Paris, La Découverte, 2008, p. 258.
-
[21]
Beurier (J.), « La mémoire Lip ou la fin du mythe autogestionnaire », in Georgi (F.), dir., L’autogestion, la dernière utopie ?, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003.
-
[22]
Pernin (P.), Lip quarante ans après, des commémorations en tensions, mémoire de Master, Lille, Université Lille 2, 2014.
-
[23]
Laferté (G.), « L’ethnographie historique ou le programme d’unification des sciences sociales reçu en héritage », in Buton (N.), Mariot (N.), Pratiques et méthodes de la socio-histoire, Paris, Presses universitaires de France, 2009, p. 51.
-
[24]
Molis (A.), Du conflit des Lip en 1973 à Besançon à la formation de la Commission Femmes : expression d’un féminisme ouvrier ?, mémoire de Master, Université de Picardie Jules Verne, 2011.
-
[25]
Thomas Favergeon, Fils de Lip, documentaire, TS Production, 2008.
-
[26]
Renahy (N.), « Une occupation d’usine, chant du cygne d’un syndicalisme villageois », Ethnologie française, 4 (35), 2005.
-
[27]
Payre (R.), Pollet (G.), Socio-histoire de l’action publique, Paris La Découverte, 2013, p. 38.
-
[28]
Michel Chemin (Libération), Huguette Debaisieux (Le Figaro), Charles Seger (La Croix), Charles Silvestre (L’Humanité), Jean Quérat (France Soir), Jean-Pierre Dumont (Le Monde) ou Bernard Guetta (Le Nouvel Observateur) comptent parmi les chroniqueurs réguliers du conflit.
-
[29]
Nous avons scanné un peu plus de 3000 documents à ce jour, dans le cadre du projet Plateforme Archivistique Lip. Édition Numérique Téléchargeable (PALENTE), conduit au sein de l’Université de Franche-Comté entre 2012 et 2015.
-
[30]
Rozenblatt (P.), Tabaton (F.), Tallard (M.), Analyse du conflit Lip et de ses répercussions sur les pratiques ouvrières et les stratégies syndicales, thèse de troisième cycle, Université Paris IX, 1980.
-
[31]
Beurier (J.), « La mémoire Lip… », art. cit., p. 456.
-
[32]
« Deux Français sur trois favorables aux ouvriers bisontins », Combat, 20 août 1973.
-
[33]
Courrier, Standard, Réception-Commandes, Réception-Journalistes, Revue de presse, Lip Unité, Organisation des meeting/voyage, Fournisseurs et usines en lutte, Secrétariat photocopie (LU1-4).
-
[34]
Renahy (N.), « Une occupation d’usine… », art. cit., p. 698.
-
[35]
Ébauches S.A. impute d’ailleurs à cette implantation syndicale les difficultés de la firme, liées aux acquis sociaux démesurés ; in Industrie horlogère européenne. Une expérience suisse. Ébauches S.A.-Lip 1967-1973, chronorama spécial, décembre 1973.
-
[36]
L’accord du 27 mai 1968 établit un salaire minimum de 650 Fr. sur 44 heures, l’échelle mobile des salaires, et une retraite avec complément (garantie de 60 à 80 % des salaires) à 60 ans pour les femmes, 63 ans pour les hommes : in Hirschi (E.), Fred Lip, innovateur social, 1990.
-
[37]
L’indemnisation intégrale des accidents du travail, une semaine supplémentaire de vacances à Noël ou le paiement d’une heure et demie d’information syndicale trimestrielle ; in Hirschi (E.), Fred Lip, op. cit.
-
[38]
Raguenès (J.), De Mai 68 à Lip : un dominicain au cœur des luttes, Paris, Karthala, 2008.
-
[39]
Champeau (T.), Lip : le conflit et l’affaire, mémoire cit., p. 61.
-
[40]
« Chez LIP, tous les matins, le personnel se réunit en assemblée générale pour prendre toutes les décisions importantes », in « Contrôle ouvrier : ils ont osé », Tribunes Socialistes, 27 juin 1973.
-
[41]
Castlelton (E.), Lip : une remise à l’heure…, mémoire cit., pp. 29-42.
-
[42]
Collectif femmes, LIP au féminin, Paris, Syros, 1977, p. 45.
-
[43]
Divo (J.), L’affaire Lip et les catholiques de Franche-Comté, Yens-sur-Morges, Éditions Cabédita, 2003.
-
[44]
Georgi (F.), « Les “rocardiens” : pour une culture politique autogestionnaire », in Georgi (F.), dir., Autogestion. La dernière Utopie ?, op. cit.
-
[45]
Bondu (D.), « L’élaboration d’une langue commune : Lip-la GP », Les Temps modernes, 3 (684-685), 2015.
-
[46]
Hatzfeld (N.), Lomba (C.), « La grève de Rhodiaceta en 1967 », in Damamme (D.) et al., dir., Mai-Juin 68, Paris, L’Atelier, 2008.
-
[47]
C’est notamment sous cet angle que le rôle de Charles Piaget est abordé dans le travail d’intervention sociologique : le charisme quasi messianique du leader de la CFDT est analysé comme une condition de possibilité de l’action collective in Rozenblatt (P.), Tabaton (F.), Tallard (M.), Analyse du conflit Lip…, thèse cit., pp. 178-184.
-
[48]
Edward Castleton met en exergue la valorisation de cette dimension communautaire mystique dans le conflit, notamment par Maurice Clavel, auteur du roman Les Paroissiens de Palente ; in Castelton (E.), Lip : une remise à l’heure…, mémoire cit., pp. 55-60.
-
[49]
Arendt (H.), Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Le Seuil, 2001.
-
[50]
La commission animation entreprend d’organiser les vacances des Français dans leur ensemble : « 6 pancartes de bois ont été réparties aux différentes entrées de la ville : “Sur la route de vos vacances, faites une halte à l’usine LIP, les travailleurs vous attendent.” » (LU1-3).
-
[51]
Prost (A.), « Les grèves de mai-juin 1936 revisitées », Le Mouvement social, 200, 2002.
-
[52]
Champeau (T.), Lip : le conflit et l’affaire, mémoire cit., p. 46.
-
[53]
Lecler (R.), « Gauchir le cinéma : un cinéma militant pour les dominés du champ social (1967-1980) », Participations, 3 (7), 2013.
-
[54]
L’usine est décrite dans la presse comme une fourmilière : les couloirs de l’usine ne désemplissent pas d’acheteurs, d’occupants, de curieux, de militants, in « Lip à l’heure du contrôle ouvrier », Témoignage chrétien, 21 juin 1973.
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[55]
Se tenant à l’origine tous les matins, puis tous les après-midi à 15 h, les AG « durent de 20 minutes à 2 heures, rassemblent de 80 à 1000 personnes [et] accueill[e]nt de 0 à 400 observateurs étrangers dans l’entreprise », in Champeau (T.), Lip : le conflit et l’affaire, mémoire cit., p. 171.
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[56]
Ouvrière anonyme, in Journal sonore des Lip, n°3, période du 3 au 5 septembre 1973 [17 min].
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[57]
« Chez Lip, quelle que soit la solution du conflit rien ne sera plus tout à fait comme avant », Le Figaro, 2 juillet 1973 ; « Plus jamais comme avant », Le Nouvel Observateur, 12 juillet 1973.
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[58]
Un journaliste de L’Aurore relate cette impression, en notant que certains secteurs sont « surchargés de travail », in « Ils sont 1300 embarqués sur un navire à destination inconnue », L’Aurore, 23 juin 1973.
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[59]
Kinofilm, Lip 73, première partie « le goût du collectif ».
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[60]
Un ouvrier passe aisément d’une commission à une autre, selon les conditions de travail qu’il accepte de se donner et selon les manières de travailler qui lui convienne : « À la chaîne de montage des montres, on travaille, en effet, assidûment, en prenant quand même le temps d’échanger quelques mots, il n’y a ni rythme, ni cadence, ni chefs. », in « Ils sont 1300 embarqués… », L’Aurore, art. cit.
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[61]
Seulement 30 volontaires sont annoncés en juin (LU1-1).
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[62]
La commission « Garde et entretien », ne comptant que 3 personnes, appelle les volontaires (LU1-2) : la sous-commission « standard » a vu son personnel renforcé en raison du grand nombre d’appels (LU1-4) ; la sous-commission « courrier » annonce qu’« une ou deux personnes de plus seraient les bienvenues dans cette Commission » (LU1-5).
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[63]
« Ils sont 1300 embarqués… », L’Aurore, art. cit.
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[64]
Hibou (B.), Anatomie politique de la domination, Paris, La Découverte, 2011.
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[65]
Colomb (F.), Les politiques de l’emploi (1960-2000) : sociologie d’une catégorie de politique publique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012.
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[66]
Tract de la section CFDT Lip, « Les revanchards », mai 1974.
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[67]
Le texte de l’accord de Dôle, faute de rétablir immédiatement le Comité d’Entreprise, qui ne pourra officiellement reprendre son service qu’après la réintégration de tous les salariés, crée deux instances représentatives du personnel : un CE provisoire, rassemblant les délégués syndicaux de l’ancienne société, et une « commission de l’emploi et de la formation ». Cette commission, dont le rôle est d’examiner « les problèmes soulevés par l’application du présent accord en matière d’emploi et de formation », est confiée aux syndicats : les 12 membres salariés, disposant chacun de 20 h cumulables sont désignés par les organisations syndicales (OS) signataires qui déterminent entre elles « une répartition équitable ». Ces deux structures seront absorbées par le CE élu en 1975.
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[68]
Accord de Dôle, p. 7.
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[69]
C’est de cette manière qu’est signé le tract alors publié.
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[70]
Tract du CA « éphémère », 10 juin 1974.
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[71]
Jean Raguenès, « Conserver et développer les acquis de la lutte », décembre 1974.
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[72]
Les résultats donnent une majorité écrasante à la CFDT qui monopolise tous les mandats du Comité d’Entreprise (1er et 2e collège) et du deuxième collège des délégués du personnel (2 mandats), ainsi que 6 des 7 mandats du premier collège des Délégués du Personnel. Les leaders CFDT sont tous reconduits : Charles Piaget (CE, 2e collège), Rolland Vitot et Michel Jeanningros (DP, 2e collège), Jeanine Pierre-Emile (CE 1er collège), in LU1-19, avril-mai 1975.
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[73]
Elle est décrite comme un espace où « sont discutées, amendées ou non acceptées les différentes propositions d’action émanant soit des commissions, soit du collectif, lesquelles sont ensuite présentées à l’assemblée générale qui se prononce sur leur opportunité » (LU2-2).
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[74]
Accueil, garde jour/nuit, restaurant, audiovisuel, nettoyage/entretien, exposition itinérante, tracts et diffusion, affiches et collage, relations avec la presse, animation à l’intérieur de l’entreprise, liaisons avec les travailleurs en lutte, contacts avec les chômeurs, secrétariat et administration. Toutefois, il est précisé que « leur contenu n’est pas encore suffisamment défini et [qu’] il devient urgent de le préciser, de le rendre motivant et mobilisateur si nous voulons éviter une désaffection et un abandon de la lutte » (LU2-1).
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[75]
La commission « Pendulettes » repose sur un détournement du savoir-faire : « Nous avons essayé de faire quelque chose de différent grâce aux connaissances acquises lors de la réalisation de pendulettes de tableaux de bord » (LU2-6).
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[76]
« 800 travailleurs tous les jours à l’AG, c’est dix fois plus fort que le stock de montres », Rouge, 3 août 1976 ; Martine Storti évoque, en janvier 1977, « 400 personnes aux assemblées générales quotidiennes », in Libération, 7 février 1977.
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[77]
Lettre adressée aux travailleurs de Lip, Brest, 4 novembre 1976 ; Lettre adressée aux travailleurs de Lip, Paris 13e, 8 novembre 1976 ; Lettre adressée aux travailleurs de Lip, Tours, 8 novembre 1976 ; Lettre adressée aux travailleurs de Lip, Berre-l’Étang, 18 novembre 1976.
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[78]
La mesure de ce succès n’est compréhensible qu’au regard des inquiétudes qui se forment parmi les occupants de l’usine : « Les plus pessimistes pronostiquaient l000 à 1500 personnes, les plus optimistes, les plus nombreux d`ailleurs, pariaient sur 5000 personnes » (LU2-7).
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[79]
Lettre de l’intersyndicale adressée à M. Porelli, en date du 19 mai 1976.
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[80]
« Les ouvriers de Lip ont évacué et caché le stock de montres », La Croix, 28 juillet 1976.
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[81]
Ogien (A.), « La désobéissance civile peut-elle être un droit ? », Droit et société, 3 (91), 2015.
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[82]
Le numéro 6 de la seconde série est introduit par cette phrase : « Les numéros quatre et cinq de LIP-UNITE étaient consacrés presque entièrement à la coordination des luttes, le numéro six, que voici, parle essentiellement de Lip. »
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[83]
« Lip : L’après 90 % : chaque ouvrier donne trois heures par jour à la communauté de Palente », La Croix, 29 mai 1977.
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[84]
Un long argumentaire est développé sur ce point dans le n° 8 de Lip Unité, publié en février 1978.
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[85]
Quijoux (M.), « Du zèle à l’autogestion. Retour sur les usines récupérées d’Argentine », Sociologie du travail, 54 (2), 2012.
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[86]
Evans (W.T.), « Counter-Hegemony at Work: Resistance, Contradiction and Emergent Culture Inside a Worker-Occupied Hotel », Berkeley Journal of Sociology, 51, 2007.
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[87]
On notera à ce titre que l’échec de la coopérative « Les Atelières » (impliquant d’anciennes ouvrières de l’entreprise Lejaby), qui ferme ses portes le 18 avril 2015, mériterait d’être interrogé autant qu’a pu l’être son montage.