Notes
-
[1]
La version originale reproche aux avocats leur « technical insolence ». Dimsdale (T. J.), Vigilantes of Montana: Or Popular Justice in the Rocky Mountains, Butte, McGee Printing Company, 1950, p. 91 [1re éd. 1886].
-
[2]
Sanders (W.), « The Story of George Ives », cité et discuté in Allen (F.), A Decent Orderly Lynching: The Montana Vigilantes, Norman, The University of Oklahoma Press, 2004, chap. 10.
-
[3]
Dimsdale (T.), The Vigilantes of Montana, op. cit., p. 102.
-
[4]
Sen (A.), Pratten (D.), « Global Vigilantes: Perspectives on Justice and Violence », in Pratten (D.), Sen (A.), eds., Global Vigilantes, London, Hurst, 2007, p. 3.
-
[5]
Brown (R. M.), Strain of Violence: Historical Studies of American Violence and Vigilantism, New York, Oxford University Press, 1975.
-
[6]
Cité par Safire (W.), « On Language: Vigilante », New York Times, 10 février 1985.
-
[7]
La lynch law doit son nom à Charles Lynch (1736-1796), un planteur et homme politique de Virginie, qui présida des tribunaux populaires chargés de juger les éléments antirévolutionnaires restés loyaux aux Britanniques. Sur cette utilisation du répertoire « héroïque » du vigilantisme de la Frontier par les défenseurs du lynchage après la Guerre civile, cf. Brundage (W. F.), « Introduction », in Brundage (W.F.), ed., Under Sentence of Death: Lynching in the South, Chapel Hill & London, The University of North Carolina Press, 1997, p. 4.
-
[8]
Dans un couplet, Woody Guthrie évoque un prêtre-ouvrier syndicaliste tué par un « homme étrange ».
-
[9]
Dans le film Foxy Brown (1974) par exemple, l’héroïne justifie les actions d’un comité de vigilance auprès de son compagnon, plus légaliste, en le persuadant que la « justice des vigilantes » (vigilante justice) est « aussi américaine que la tarte aux pommes » (as American as apple pie).
-
[10]
The Chase (La poursuite infernale), d’Arthur Penn (1966), est un film dans lequel le shérif d’une bourgade du Sud des États-Unis, joué par Marlon Brando, s’évertue à défendre un criminel évadé de prison que les vigilantes du cru veulent lyncher.
-
[11]
Safire (W.), « On Language », art. cit.
-
[12]
Pratten (D.), ed., « Perspectives on Vigilantism in Nigeria », Africa, 78 (1), 2008 ; Buur (L.), Jensen (S.), eds., « Everyday Policing in South Africa », African Studies, 63 (2), 2004 ; Buur (L.), « The Sovereign Outsourced: Local Justice and Violence in Port Elizabeth », in Hansen (T.B.), Stepputat (F.), eds., Sovereign Bodies: Citizens, Migrants and States in the Postcolonial World, Princeton, Princeton University Press, 2005 ; Fourchard (L.), « A New Name for an Old Practice: Vigilante in South-western Nigeria », Africa, 78 (1), 2008.
-
[13]
Brown (R. M.), Strain of Violence, op. cit.
-
[14]
Ibid., pp. 95-96.
-
[15]
Abrahams (R.), Vigilant Citizens: Vigilantism and the State, Oxford, Polity Press, 1998.
-
[16]
Jusque récemment, la littérature sur les lynch mobs s’est développée indépendamment de celle sur le vigilantisme et est restée focalisée sur les États-Unis ; pour un bilan de ces travaux et une tentative de décloisonnement de ceux-ci, à travers un dialogue avec les études sur le vigilantisme et la comparaison internationale, cf. Berg (M.), Wendt (S.), eds., Globalizing Lynching History. Vigilantism and Extralegal Punishment in Comparative History, London, Palgrave, 2011 Sur les problèmes soulevés par la caractérisation des lynch mobs comme des formes d’effervescence collective faiblement structurées, cf. dans ce volume la contribution de Tilo Grätz (pp. 207-223) Sur l’analyse des lynch mobs dans une perspective globale, voir aussi Thurston (R. W.), Lynching. American Mob Murder in Global Perspective, Farnham, Ashgate, 2011.
-
[17]
Buur (L.), Jensen (S.), « Introduction: Vigilantism and the Policing of Everyday Life in South Africa », African Studies, 63 (2), 2004, p. 149, note 2.
-
[18]
La question du lien entre « escadrons de la mort » et vigilantisme est discutée, comme le montrent Bruce B. Campbell et Arthur D. Brenner, qui plaident pour une distinction entre, d’un côté, les pratiques extrajudiciaires de répression dans lesquelles l’État est « directement impliqué » et qui visent généralement à « punir des actes politiques » et, de l’autre, des formes extrajudiciaires de maintien de l’ordre plus spontanées, destinées à lutter contre le crime pour protéger un territoire donné. Cf. Campbell (B. B.), « Death Squads: Definition, Problems, and Historical Context », in Brenner (A. D.), Campbell (B. B.), eds., Death Squads in Global Perspective: Murder with Deniability, New York, St Martin’s Press, 2000, pp. 2-3.
-
[19]
Les travaux de chercheurs anglo-saxons rattachés à des départements de science politique semblent toutefois actuellement se développer : Regina Ann Bateson (MIT) travaille sur les questions de « informal policing » à partir de ses recherches au Guatemala, tandis qu’Eduardo Moncada (Columbia University) s’intéresse aux controverses qui caractérisent la définition du vigilantisme (« Varieties of Vigilantism: Conceptual Discord, Meaning, and Strategies », Working Paper, 2016). D’autres politistes mènent des recherches plus ethnographiques : c’est le cas de Nicholas Rush Smith (« Rejecting Rights: Vigilantism and Violence in Post-Apartheid South Africa », African Affairs, 114 (456), 2015) ou de Michael Weintraub (cf. son article coécrit avec Javier Osorio et Livia Schubiger : « Vigilante Mobilization and Local Order: Evidence from Mexico », Working Paper, 2016 [en ligne : https://static1.squarespace.com/static/522fc0aee4b06bf96fa60e92/t/56ad0346e32140027606bc85/1454179147236/Vigilantes+-+FINAL+-+Not+Anon.pdf].
-
[20]
Abrams (P.), « Notes on the Difficulty of Studying the State », Journal of Historical Sociology, 1 (1), 1998.
-
[21]
Sen (A.), Pratten (D.), « Global Vigilantes », art. cit., p. 5 et Pratten (D.), « The Politics of Protection: Perspectives on Vigilantism in Nigeria », Africa, 78 (1), 2008, p. 5.
-
[22]
Comaroff (J.), Comaroff (J.), eds., Law and Disorder in the Postcolony, Chicago, Chicago University Press, 2006 ; Lamotte (M.), « Le vigilantism aujourd’hui. Les milices nord-américaines à la frontière mexicano-américaine », in Bazenguissa-Ganga (R.), Makki (S.), dir., Sociétés en guerres. Ethnographies des mobilisations violentes, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2012.
-
[23]
Le terme « cheap » a ici un double sens : il fait référence au caractère « bon marché » des pratiques de maintien de l’ordre considérées mais aussi à leur qualité douteuse.
-
[24]
Goldstein (D.), The Spectacular City: Violence and Performance in Urban Bolivia, Durham, Duke University Press, 2004.
-
[25]
Sen (A.), Pratten (D.), « Global Vigilantes », art. cit., p. 5.
-
[26]
Blanchard (E.), Deluermoz (Q.), Glasman (J.), « La professionnalisation policière en situation coloniale. Détour conceptuel et explorations historiographiques », Crime, Histoire et Sociétés, 15 (2), 2011.
-
[27]
Bloembergen (M.), « Vol, meurtre et action policière dans les villages javanais. Les dynamiques locales de la sécurité aux Indes néerlandaises orientales dans les années 1930 », Genèses, 86 (1), 2012.
-
[28]
Fourchard (L.), Manufacturer les différences. Exclusion et violence dans les métropoles du Nigeria et d’Afrique du Sud, Habilitation à diriger des recherches, Paris, Sciences Po, 2014.
-
[29]
Cf. Trottier (D.), « Digital Vigilantism as a Weapon of Visibility », Philosophy and Technology, 2016 [en ligne : http://link.springer.com/article/10.1007/s13347-016-0216-4].
-
[30]
Trottier (D.), Social Media as Surveillance: Rethinking Visibility in a Converging World, Farnham, Ashgate, 2012.
-
[31]
Rosenbaum (H. J.), Sederberg (P. C.), « Vigilantism: An Analysis of Establishment Violence », in Rosenbaum (H. J.), Sederberg (P. C.), Vigilante Politics, University of Pennsylvania Press, 1976.
-
[32]
Berg (M.), Wendt (S.), « Introduction: Lynching from an International Perspective », in Berg (M.), Wendt (S.), eds., Globalizing Lynching History, op. cit., p. 5.
-
[33]
En Turquie, par exemple, certains groupes d’extrême gauche se sont impliqués dans la lutte contre le trafic de drogue. C’est le cas, en particulier, dans le quartier d’Okmeydani à Istanbul. Nous tenons à remercier Élise Massicard pour cette information. L’élimination des « collaborateurs » de l’État israélien en Palestine fournit un autre exemple de vigilantisme révolutionnaire ; cf. Kelly (T.), « Law and Disorder in the Palestinian West Bank: The Execution of Suspected Collaborators Under Israeli Occupation », in Pratten (D.), Sen (A.), eds., Global Vigilantes, op. cit., pp. 151-173.
-
[34]
Sur cette affaire, cf. Michel (J.), « Popular Justice, Class Conflict, and the Lynching Spirit in France », in Berg (M.), Wendt (S.), eds., Globalizing Lynching History, op. cit. ; Guillot (R.), Le meurtre de Bruay-en-Artois. Quand une affaire judiciaire devient une cause du peuple, thèse pour le doctorat de science politique, Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, 2010.
-
[35]
Bayley (D.), Shearing (C.), The New Structure of Policing: Description, Conceptualization, and Research Agenda, Washington, D.C., National Institute of Justice, 2001. De Maillard (J.), Jobard (F.), Sociologie de la police. Politiques, organisations, réformes, Paris, Armand Colin, 2015, pp. 225-255.
-
[36]
Nolte (I.), « Without Women, Nothing Can Succeed: Yoruba Women in the Oodua People’s Congress (OPC), Nigeria », Africa, 78 (1), 2008, p. 96.
-
[37]
Hellweg (J.), Hunting the Ethical State: The Benkadi Movement of Côte d’Ivoire, Chicago, Chicago University Press, 2011.
-
[38]
Sen (A), « “For Your Safety”: Child Vigilante Squads and Neo-gangsterism in Urban India », in Hazan (J.), Rodgers (D.), eds., Global Gangs. Street Violence Across the World, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2014.
-
[39]
Le concept trouve son origine dans l’expression « police property ». Cf. Jobard (F.), « Le gibier de police immuable ou changeant ? », Archives de politique criminelle, 32, 2010.
-
[40]
Matthew Brunwasser, « Bulgaria’s vigilante migrant “hunter” », BBC.com, 30.03.2016 [en ligne : http://www.bbc.com/news/magazine-35919068].
-
[41]
Ray Abrahams note que, contrairement au modèle américain aboutissant à des lynchages, le vigilantisme britannique tend à livrer les personnes arrêtées à la police. Voir Abrahams (R.), Vigilant Citizens, op. cit., chap. 5.
-
[42]
Voir la controverse qui s’est développée lorsqu’un des pédophiles présumés dont l’identité a été publicisée s’est suicidé en 2013. Sur l’activité de ce groupe, cf. http://www.letzgohunting.co.uk/. Des initiatives similaires sont observées au Canada en 2015 : « Chasseurs de pédophiles », Le Soleil, 17 octobre 2015 [en ligne : http://www.lapresse.ca/le-soleil/justice-et-faits-divers/201510/16/01-4910895-chasseurs-de-pedophiles.php].
-
[43]
Foucault (M.), « Sur la justice populaire. Débat avec les maos », Les Temps modernes, 310 bis, juin 1972, reproduit dans Foucault (M.), Dits et écrits, tome 2, 1970-1975, Paris, Gallimard, 1994. Pour une contextualisation de cette discussion, cf. Bérard (J.), La justice en procès. Les mouvements de contestation face au système pénal (1968-1983), Paris, Presses de Sciences Po, 2013, p. 35.
-
[44]
Dimsdale (T.), The Vigilantes of Montana, op. cit., p. 113.
-
[45]
Buur (L.), « Fluctuating Personhood. Vigilantism and Citizenship in Port Elizabeth’s Townships », in Pratten (D.), Sen (A.), eds., Global Vigilantes, op. cit., pp. 127-149.
-
[46]
Pratten (D.), « “The Thief Eats His Shame”: Practice and Power in Nigerian Vigilantism », Africa, 78 (1), 2008.
-
[47]
Ibid, p. 77. Pratten évoque notamment des rituels de vérification impliquant un vœu d’innocence (mbiam) à travers lequel le prévenu s’astreint à une ordalie se prolongeant sur une année entière, au cours de laquelle sa mort prématurée vient établir sa culpabilité.
-
[48]
Heald (S.), « Mafias in Africa: The Rise of Drinking Companies and Vigilante Groups in Bugisu District, Uganda », Africa, 56 (4), 1986, p. 455.
-
[49]
Buur (L.), Jensen (S.), « Introduction: Vigilantism and the Policing of Everyday Life in South Africa », African Studies, 63 (2), 2004, p. 150, note 18.
-
[50]
Nous sommes ici redevables à Virgili (F.), La France « virile ». Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, 2004 [1re éd. 2000], p. 292 sq.
-
[51]
Nous remercions Laurent Fourchard pour cette information.
-
[52]
Monaghan (R.), « Not Quite Lynching. Informal Justice in Northern Ireland », in Berg (M.), Wendt (S.), eds., Globalizing Lynching History, op. cit.
-
[53]
En Russie, le « commando de la jeunesse antidrogue », proche des organisations de jeunesse propoutiniennes et actif de 2012 à 2014, attache les dealers et/ou les couvre de peinture indélébile et de plumes. Voir par exemple « Anti-drug vigilantes deliver rough justice, Moscow style », The Telegraph, 27 avril 2013.
-
[54]
Dans le quartier populaire de Lyari, à Karachi, les résidents avaient coutume d’attacher les délinquants ou les maris violents à des poteaux avant de les enduire de goudron. Cette pratique a cependant disparu dans les années 2000, marquées par l’émergence de gangs violents, échappant au contrôle des autorités coutumières.
-
[55]
Thompson (E. P.), « Rough music. Le charivari anglais », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 27 (2), 1972.
-
[56]
Au-delà du cas emblématique des femmes françaises tondues à la Libération, on retrouve cette pratique chez les maoïstes népalais et les républicains irlandais au cours des années 1990. Dans tous les cas, les victimes sont quasi-exclusivement des femmes. Sur l’imbrication de préoccupations morales et politiques dans la tonte de femmes françaises accusées de « collaboration horizontale » à la Libération, cf. Virgili (F.), La France « virile », op. cit.
-
[57]
Ibid.
-
[58]
Bayart (J.-F.), « Hégémonie et coercition en Afrique subsaharienne. La politique de la chicotte », Politique africaine, 110, 2008, pp. 123-152.
-
[59]
Grätz (T.), « Vigilantism in Africa. Benin and Beyond », in Berg (M.), Wendt (S.), eds., Globalizing Lynching History, op. cit.
-
[60]
Les républicains irlandais sont sans doute ceux qui ont poussé le plus loin cette gradation de la justice pénale informelle (de la menace à l’exécution sommaire en passant par le bannissement et l’humiliation publique) ; cf. Monaghan (R.), « Not Quite Lynching », art. cit.
-
[61]
Ibid.
-
[62]
Dans son ouvrage sur les lynchages en Amérique latine, Angelina Snodgrass Godoy analyse le développement de formes de vigilante justice comme la preuve que la « société civile » n’est pas en elle-même un vecteur de démocratie, contrairement aux croyances des glorificateurs de la « transition » dans la région. Godoy (A. S.), Popular Injustice: Violence, Community and Law in Latin America, Stanford, Stanford University Press, 2006.
-
[63]
Sur ce point, on pourra se référer à la résolution des vigilantes du nord de l’Indiana (1858) : « We are believers in the doctrine of popular sovereignty; that the people of this country are the real sovereigns, and that whenever the laws, made by those to whom they have delegated their authority, are found inadequate to their protection, it is the right of the people to take the protection of their property into their own hands, and deal with these villains according to their just desserts » ; cité par Brown (R. M.), Strain of Violence, op. cit., p. 95. On retrouve des propos analogues dans la bouche du leader d’un groupe ayant lynché onze Italiens à La Nouvelle-Orléans en 1891 ; cf. Berg (M.), Wendt (S.), eds., Globalizing Lynching History, op. cit., p. 9.
-
[64]
Fondé par le leader néonazi surnommé Tesak (« Le hachoir »), le projet « Occupy-Pedophily » consiste à piéger des prétendus pédophiles en utilisant une identité fictive de mineur et en attendant la personne majeure sur le lieu de rendez-vous. Après avoir forcé la personne majeure à reconnaître que c’est bien lui qui a correspondu avec le mineur sur les réseaux sociaux (ce qui, aux yeux du groupe, a valeur de preuve), de multiples châtiments lui sont administrés, comme le montrent les vidéos postées sur Internet : on le force à appeler sa famille et ses collègues pour révéler qu’il est un « pédophile », on révèle son identité au public, on le recouvre d’urine, on lui rase la tête, on lui donne des coups de godemiché, bref on « détruit complètement sa vie » selon l’expression de Tesak. Les « safaris » menés par « Occupy-Pedophily » suscitent une émotion intense chez ceux qui défendent les droits. Voir par exemple : http://www.sbs.com.au/news/dateline/story/russias-gay-hate.
-
[65]
Frank (S.), Crime, Cultural Conflict, and Justice in Rural Russia, 1856-1914, Berkeley, University of California Press, 1999.
-
[66]
Comaroff (J.), Comaroff (J.), « Policing Culture, Cultural Policing: Law and Social Order in Postcolonial South Africa », Law & Social Inquiry, 29 (3), 2004.
-
[67]
Partners for Law and Development, Targeting of Women as Witches: Trends, Prevalence and the Law in Northern, Western, Eastern and Northeastern Regions of India, Delhi, 2013.
-
[68]
Kynoch (G.), « Friend or Foe? A World View of Community–Police Relations in Gauteng Townships, 1947-1977 », Canadian Journal of African Studies, 37 (2/3), 2003 ; Seekings (J.), « Social Ordering and Control in the African Townships of South Africa: An Historical Overview of Extra-State Initiatives From the 1940s to the 1990s », in Scharf (W.), Nina (D.), eds., The Other Law: Non-State Ordering in South Africa, Lansdowne, Cape Town, Juta and Co, 2000.
-
[69]
Jensen (S.), « Policing Nkomazi. Crime, Masculinity and Generational Conflicts », in Pratten (D.), Sen (A.), eds., Global Vigilantes, op. cit.
-
[70]
Buur (L.), « Fluctuating Personhood », art. cit.
-
[71]
Abrahams (R.), Vigilant Citizens, op. cit., p. 50.
-
[72]
James (A.), Without Sanctuary: Lynching Photography in America, Santa Fe, Twin Palms Publishers, 2000 ; Wood (A. L.), Lynching and Spectacle, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2011.
-
[73]
Katz (J.), Seductions of Crime, Lexington, Perseus, 1988.
-
[74]
Sur la reconversion des techniques de deer hunting dans la traque aux migrants mexicains en Arizona, cf. Shapira (H.), Waiting for José: The Minutemen’s Pursuit of America, Princeton, Princeton University Press, 2013, p. 64.
-
[75]
Sur la « diversité d’échelles », les « dynamiques souvent contradictoires » et la fluidité des relations entre acteurs politiques et groupes armés, à partir du cas colombien, cf. Grajales (J.), Gouverner dans la violence. Le paramilitarisme en Colombie, Paris, Karthala, 2016.
-
[76]
Fourchard (L.), « The Politics of Mobilization for Security in South African Townships », African Affairs, 110, 441, 2011.
-
[77]
Le Goff (J.), Schmitt (J.-C.), Le charivari, Paris, Mouton, 1981 ; Thompson (E. P.), « Rough Music… », art. cit. Sur les pratiques de samosoud (auto-justice) dans les villages russes avant la révolution bolchevique, voir Frank (S.), Crime, Cultural Conflict, and Justice in Rural Russia, 1856-1914, Berkeley, University of California Press, 1999.
-
[78]
Ces imaginaires des citoyens en armes sont rarement univoques. En France, par exemple, où la police se professionnalise dès les années 1840, il faut ainsi compter avec « la survie du vieil imaginaire révolutionnaire de la mobilisation civique »; cf. Houte (A.), « Citoyens-policiers ? Pratiques et imaginaires civiques de la sécurité publique dans la France du second XIXe siècle », Revue d’histoire du XIXe siècle, 50, 2015, p. 114.
-
[79]
Brodeur (J.-P.), Jobard (F.), dir., Citoyens et délateurs. La délation peut-elle être civique ?, Paris, Autrement, 2005.
-
[80]
Sur ce point, cf. Grajales (J.), Gouverner dans la violence, op. cit.
-
[81]
Cf. à ce titre la minutieuse chronologie des mouvements de vigilantes aux États-Unis, de la fin du XVIIIe au début du XXe siècle dans Brown (R. M.), « The American Vigilante Tradition », in Graham (H. D.), Gurr (T. R.), eds., The History of Violence in America, New York, Prager, 1969.
-
[82]
Meagher (K.), « Hijacking Civil Society: The Inside Story of the Bakassi Boys », The Journal of Modern African Studies, 45 (1), 2007.
-
[83]
Abrahams (R.), « Some Thoughts on Vigilantism », in Pratten (D.), Sen (A.), eds., Global Vigilantes, op. cit., p. 423. Dans son ouvrage, Abrahams associe le vigilantisme à un « vote de défiance à l’égard de l’efficacité de l’État » (Vigilant Citizens, op. cit., p. 4).
-
[84]
Nous sommes redevables à Dominique Linhardt d’avoir souligné ce point au cours des discussions à la section thématique que nous avions organisée au Congrès de l’AFSP d’Aix-en-Provence, le 22 juin 2015 (ST 53 : « Violer la loi pour maintenir l’ordre : approches comparées du vigilantisme »).
-
[85]
Bourdieu (P.), « Esprits d’État. Genèse et structure du champ bureaucratique », Actes de la recherche en sciences sociales, 96 (1), 1993.
-
[86]
Goffman (E.) Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Les Éditions de Minuit, 1968, p. 189.
-
[87]
Fillieule (O.), « Temps biographique, temps social et variabilité des rétributions », in Fillieule (O.), Le désengagement militant, Paris, Belin, 2005.
-
[88]
Les travaux sur le vigilantisme s’accordent généralement à dénier aux justiciers solitaires le statut de vigilante. Pour Richard Brown, par exemple, ces initiatives individuelles relèveraient d’une tradition différente de celle qui a nourri le vigilantisme, à savoir un refus du « devoir de retrait » promu par la common law ; cf. Brown (R. M.), No Duty to Retreat: Violence and Values in American History and Society, New York & Oxford, 1991.
-
[89]
Pour une illustration de ce phénomène en plein essor, notamment autour des « chasseurs de pédophiles », on se référera à la trajectoire de David Payne, peintre en bâtiment et video vigilante à ses heures perdues, publicisant ses exploits sur sa chaîne YouTube ; cf. Manisha Krishnan, « Meet the construction worker moonlighting as a vigilante pedophile hunter », Vice, 22 octobre 2015 [en ligne : http://www.vice.com/read/meet-the-toronto-man-who-is-a-vigilante-pedophile-hunter].
Tell me, what is a vigilante man?
Has he got a gun and a club in his hand?
1Le 21 décembre 1863, un homme est pendu à Nevada City, dans le Territoire du Montana. Né dans une famille relativement aisée du Wisconsin vingt-sept ans plus tôt, George Ives avait tenté sa chance comme chercheur d’or en Californie avant de prendre la route des Rocheuses, où il avait rejoint les Road Agents, un groupe de desperados semant la terreur dans la région. Suspecté de vols à main armée et d’assassinat, Ives a droit à un procès en bonne et due forme – du moins dans les limites de ce que l’on peut alors attendre en la matière dans les villes minières de ce front pionnier. Des centaines de mineurs assistent au procès, qui se tient trois jours durant et aboutit à la condamnation à mort du prévenu. Ce jugement emporte visiblement l’adhésion du public, mais le procès n’en laisse pas moins un goût amer à une grande partie des présents. L’un d’entre eux, le journaliste d’origine britannique Thomas J. Dimsdale, s’attarde ainsi dans un témoignage publié quelques années plus tard sur la lourdeur et le coût financier de l’exercice. Ému par les frasques des compagnons du prévenu et par la morgue de ses avocats [1], il déplore que la condamnation de « l’individu le plus ignoble de la communauté » ait « demandé un travail [aussi] acharné », malgré l’évidence des « éléments à charge présentés contre lui ».
2Le témoignage du procureur, Wilbur Sanders, offre une image plus nuancée de ce procès : selon lui, le public n’était pas aussi hostile à Ives que le suggère T. Dimsdale et le système judiciaire rudimentaire en vigueur dans ces villes minières avantageait les outlaws. Ainsi G. Ives s’était-il offert une batterie d’avocats, tandis que W. Sanders devait se débattre avec un dossier d’accusation indigent, notamment en l’absence de témoins oculaires [2]. Résolus à s’épargner à l’avenir de tels efforts pour des résultats incertains, W. Sanders et quelques notables de Virginia City décident de former un « comité de vigilance » deux jours plus tard. Celui-ci a pour mission d’éradiquer les Road Agents en s’inspirant des actions du San Francisco Committeee of Vigilance (cf. infra). Au cours des semaines suivantes, cette « ligue de l’ordre et de la sûreté », comme la décrit T. Dimsdale, étend ses activités à d’autres localités de la région, recrutant parmi les marchands, les mineurs, les mécaniciens et les membres des professions libérales. Au cours des deux années suivantes, entre quinze et trente-cinq personnes sont interpellées, secrètement jugées et sommairement exécutées par le comité, qui est entré dans la légende de la Conquête de l’Ouest sous le nom des « vigilantes du Montana ».
3Le récit détaillé des activités du groupe par T. Dimsdale a largement contribué à sa notoriété. Apparus sous forme d’articles dans le Montana Post en 1865, ces témoignages ont été compilés dans un ouvrage publié l’année suivante – le premier imprimé dans le Territoire du Montana. Ce texte a connu d’innombrables rééditions depuis, témoignant de l’intérêt non démenti du public américain pour cet épisode de « justice populaire dans les Rocheuses », pour reprendre le sous-titre de l’ouvrage. Tout en invoquant la notion de souveraineté populaire inscrite dans la Constitution américaine pour justifier ces formes de justice expéditive, ce texte fondateur de l’idéologie du « vigilantisme » n’en est pas moins explicite sur les motifs plus pragmatiques guidant ces justiciers hors-la-loi. Pour ces vigilantes – et plus particulièrement pour les notables finançant les activités du groupe –, il s’agissait de « trouver une procédure plus courte, plus sûre et au moins aussi équitable [3] » que celle des tribunaux dans la lutte contre les outlaws. En d’autres termes, il fallait restaurer l’ordre, mais à moindre coût.
4Nous reviendrons plus loin sur cette conception du vigilantisme comme forme de maintien de l’ordre bon marché – une conception qui semble avoir trouvé une nouvelle jeunesse dans le contexte de la mondialisation néolibérale [4]. À ce stade, contentons-nous de souligner qu’en dépit de leur entrée dans la postérité, les vigilantes du Montana et les écrits de leur chroniqueur enthousiaste n’ont pas manqué de susciter la controverse. Ces justiciers avaient conscience de violer la loi pour mieux la faire appliquer, ce qui explique que les membres du groupe aient cherché à garder leur affiliation secrète, tout en donnant à leurs actions une forte visibilité – une dialectique du secret et de la publicité que l’on retrouve dans de nombreux mouvements contemporains de vigilantes. Le témoignage de T. Dimsdale avait ainsi vocation à convaincre le public de la justesse de cette cause – ce qui de toute évidence n’avait rien d’évident. Les vigilantes du Montana ne furent pas les seuls à devoir affronter le tribunal de l’opinion. Ces controverses sont au cœur de l’histoire du vigilantisme américain, dont la qualification même n’a cessé de faire l’objet d’intenses luttes politiques. Dérivé de l’espagnol vigilante, le terme vigilantism a une histoire plus complexe que ne le suggèrent les représentations dominantes de ces redresseurs de torts dans la culture populaire américaine (comics, cinéma, pulp novels, etc.). Il prend son origine dans les Vigilance Committees apparus au cours de la première moitié du XIXe siècle et qui, contrairement à une idée reçue, n’avaient pas seulement vocation à maintenir l’ordre sur les fronts pionniers mais aussi à assurer la défense du territoire face aux menaces d’invasion étrangère (mexicaine, notamment), avant que la « doctrine de la vigilance » ne soit récupérée par les antiabolitionnistes du Sud [5]. Le vigilantisme n’est pas non plus spécifique aux zones rurales et aux villes minières. En 1856, les élites WASP de San Francisco se dotent à leur tour d’un « comité de vigilance » officiellement voué à la lutte anticriminalité mais évoluant rapidement vers une entreprise de surveillance et de répression des Irlandais. Le monopole de ces élites xénophobes dans le domaine du vigilantisme est pourtant contesté par les abolitionnistes, qui dans le Nord forment des « comités de vigilance » luttant contre les incursions des chasseurs d’esclaves. Dès l’origine, le terme vigilante fait non seulement l’objet de conflits d’appropriation mais aussi de luttes de qualification. « Nous haïssons les vigilant men, [ces] êtres méfiants et malveillants qui n’aiment pas que l’on s’amuse », écrit ainsi le Missouri Intelligencer en 1821. Et pour de nombreux abolitionnistes, le vigilantisme est synonyme de lynchage. « Une violation de la justice aussi flagrante que celle dont les comités de vigilance et les lyncheurs ont coutume de se rendre coupable », écrit Horace Greeley dans le New York Tribune en 1858 [6]. À l’opposé du spectre politique, l’héroïsation des vigilantes de l’Ouest avant et surtout après la Guerre civile a servi à entretenir un sentiment de défiance vis-à-vis de l’autorité légale tout en fournissant des arguments contre les légalistes scrupuleux, fermement opposés à la « loi de Lynch [7] ».
5Les débats autour de la légitimité des vigilantes à se faire justice eux-mêmes continuent d’irriguer la culture populaire américaine tout au long du XXe siècle. Parallèlement aux récits héroïques, idéalisant les formes de justice populaire à partir d’une lecture sélective de la Conquête de l’Ouest, la dénonciation des diverses formes de self-help justice-making constitue un leitmotiv de l’histoire américaine, que celles-ci s’attaquent aux pauvres, aux hobos et aux grévistes comme dans la chanson de Woody Guthrie en épigraphe de cette introduction [8], aux proxénètes et aux trafiquants des ghettos noirs comme dans les films de la Blaxploitation [9] ou à des fugitifs comme dans The Chase [10]. Revenant sur les significations contestées du terme à l’issue du meurtre de quatre adolescents par un usager du métro de New York en 1985, le célèbre éditorialiste du New York Times William Safire suggère que le terme vigilantism est passé à la postérité « avec deux sens opposés : l’un positif (imposer la loi là où elle est absente) et l’autre négatif (se faire justice soi-même). Lorsqu’on l’utilise aujourd’hui dans son sens historique, le terme se réfère à la justice sommaire (rough justice) sur la Frontière plutôt qu’à la répression des Noirs dans le Sud, et il s’agit plutôt d’un compliment. Mais lorsqu’on l’emploie pour se référer à des pratiques contemporaines, le terme vigilante – et plus encore le -isme qui en est issu – sert généralement à suggérer des méthodes datées et malvenues, dans un sens péjoratif [11]. » Vingt ans plus tard, alors que le terme réapparaît dans le débat public américain à propos des Minutemen d’Arizona – un mouvement nativiste luttant contre l’immigration clandestine, qui s’inscrit en filiation d’un mouvement éponyme de miliciens antibritanniques du XVIIIe siècle –, la controverse resurgit. Ses enjeux ne sont pas seulement politiques – est-il légitime ou non pour des citoyens américains d’assumer des missions de police ? – mais tout autant juridiques, voire judiciaires : faut-il interdire ces pratiques et traduire les contrevenants en justice ?
6Cette polysémie du vigilantisme et les controverses politiques et juridiques qui l’accompagnent ne sont pas spécifiques aux États-Unis. Dans tous les pays où le terme est passé dans l’usage courant – en Afrique du Sud et au Nigeria, notamment [12] –, on a observé au fil du temps de profonds déplacements de sens, témoignant d’ajustements successifs des politiques de sécurité gouvernementales, de reconfigurations des partenariats public-privé dans le domaine du policing ou encore d’épreuves de force entre les professionnels et les amateurs du maintien de l’ordre. Comme aux États-Unis, ces requalifications ont parfois eu pour conséquence la mise hors-la-loi des vigilantes, même si certains d’entre eux sont parvenus à se reconvertir dans la sécurité privée.
7Les articles qui composent ce numéro de Politix visent à identifier les apports possibles du concept de vigilantisme à l’analyse de la participation citoyenne au maintien de l’ordre. Après avoir interrogé la portée comparative d’un concept qui est d’abord une catégorie indigène, nous proposerons une définition qui nous conduira à analyser d’une part la diversité des pratiques coercitives à l’œuvre chez les groupes de vigilantes, d’autre part la complexité de leurs relations à l’État, généralement simplifiées par l’hypothèse d’une alternative entre substitution et complémentarité.
Le vigilantisme, catégorie indigène ou concept à vocation comparative ?
8Le caractère labile et contesté du champ sémantique de la participation citoyenne au policing, jusque dans les pays où le terme vigilantisme est devenu une catégorie de sens commun, soulève de sérieuses difficultés pour l’analyse. Le vigilantisme se réduirait-il à une catégorie indigène, dont l’ancrage dans des trajectoires historiques spécifiques et l’instabilité congénitale feraient obstacle à toute définition générique et donc à toute comparaison des expériences officieuses de maintien de l’ordre ? L’histoire du vigilantisme ne pourrait-elle être que celle des controverses locales ou nationales autour de ses qualifications et de ses usages par les acteurs eux-mêmes ? Peut-on plus spécifiquement encore la considérer comme l’histoire d’une controverse américaine et de sa diffusion transnationale ? Dans quelle mesure est-il possible d’échapper à ce prisme pour ouvrir le spectre de la comparaison ?
9Les premiers travaux sur le vigilantisme portent l’empreinte de cette « tradition » américaine [13] mais n’excluent pas pour autant que la portée du concept puisse s’étendre au-delà des frontières des États-Unis. Généralement de nature historique, ces travaux ne conçoivent pas le vigilantisme comme une simple catégorie émique : ils tentent d’en faire un concept de sciences sociales à vocation comparative, à la fois dans le temps et dans l’espace. Dans un ouvrage pionnier, Richard Maxwell Brown propose ainsi d’enrôler sous la bannière du vigilantisme tous les mouvements organisés qui violent la loi pour rendre la justice (« organized, extralegal movements, the members of which take the law into their own hands ») [14]. À la fin des années 1990, l’anthropologue Ray Abrahams proposera une définition assez similaire du vigilantisme dans un autre ouvrage marquant qui, tout en puisant une large partie de son matériau empirique dans des enquêtes menées en Tanzanie, s’efforce de donner une valeur comparative au concept [15]. On retiendra de ces définitions le caractère collectif, relativement organisé, illégal et potentiellement violent de ces mouvements. Ces traits permettent d’emblée d’écarter, d’un côté, les actes de vengeance personnelle, les justiciers solitaires, les vendettas, les crimes d’honneur, et de l’autre les forces supplétives auxquelles les autorités délèguent plus ou moins explicitement des prérogatives policières et judiciaires. Ces définitions ne font pourtant pas consensus. Le degré de structuration caractéristique du vigilantisme, en particulier, continue de faire débat. Tandis que certains auteurs voient dans les lynch mobs un phénomène à part, en raison de leur caractère éphémère et faiblement structuré [16], d’autres préfèrent réfléchir en termes de continuum en distinguant les types de mobilisations contre la criminalité en fonction de leur degré d’organisation [17]. Le rapport à l’État des vigilantes continue également de diviser les spécialistes du sujet – spécialistes dont le profil s’est d’ailleurs diversifié au cours des années 1990, notamment suite à l’intérêt croissant des criminologues pour les pratiques officieuses de policing. Dans un article publié en 1996, Les Johnston propose ainsi de définir le vigilantisme comme un mouvement social constitué de citoyens agissant de manière volontaire, en toute autonomie par rapport à l’État, pour lutter contre la criminalité en utilisant ou menaçant d’utiliser la violence. La principale différence entre ces approches tient au rapport à la légalité des mouvements considérés (qui n’opèrent pas nécessairement dans l’illégalité chez L. Johnston), à la violence (consubstantielle au vigilantisme chez R. Brown et R. Abrahams alors qu’elle peut rester virtuelle chez L. Johnston) et enfin à l’État (dont certains agents peuvent eux-mêmes se muer en vigilantes chez R. Brown et R. Abrahams, notamment sous la forme d’escadrons de la mort – une opinion qui demeure contestée [18]).
10Au cours des dernières années, ces définitions ont été critiquées par une nouvelle génération de chercheurs, pour majorité anthropologues (à quelques rares exceptions près, ces phénomènes ont jusqu’à présent moins retenu l’attention des politistes [19]). Dans la lignée de Philip Abrams [20], ces auteurs reprochent aux travaux classiques de réifier l’État et de le traiter comme un bloc monolithique – même si c’est souvent comme cela que l’imaginent les vigilantes eux-mêmes – tout en surestimant l’extériorité des phénomènes considérés par rapport aux jeux étatiques. Dans les faits, responsables politiques ou policiers tendraient fréquemment à soutenir, voire à solliciter ces pratiques. Ces anthropologues – à commencer par David Pratten et Atreyee Sen – sont pourtant peu favorables à une définition a priori du vigilantisme, qu’ils préfèrent approcher de manière inductive, à travers une analyse par le bas des pratiques officieuses du maintien de l’ordre, attentive à leur historicité et leurs référents culturels spécifiques [21].
11Sans perdre de vue l’historicité de ces pratiques, d’autres anthropologues (Jean et John Comaroff, notamment [22]) insistent sur le lien étroit entre le moment néolibéral contemporain et la diffusion globale du vigilantisme. Définies comme des « formes bon marché de maintien de l’ordre » (cheap forms of law enforcement [23]), réalisées par des amateurs, ces initiatives constitueraient le produit de plusieurs décennies de dérégulation, de décentralisation et de privatisation des fonctions policières. En facilitant l’outsourcing et le gouvernement indirect ou en encourageant les aspirations au community policing des années 1980 et 1990, l’État néolibéral serait responsable d’une montée en puissance du vigilantisme au niveau global. Une variante de cette thèse, défendue notamment par Daniel Goldstein dans ses travaux sur la Bolivie, voit dans la justice sommaire une contre-mobilisation face aux ravages du néolibéralisme dans les franges les plus vulnérables des sociétés du Sud [24]. Si l’on ne peut rester totalement indifférent à ces thèses liant l’essor du vigilantisme à l’échelle planétaire à la mondialisation néolibérale, nous rejoignons Atreyee Sen et David Pratten lorsqu’ils écrivent qu’« il s’agit d’un argument fort […], mais partial [25] ». Outre que les pratiques officieuses de maintien de l’ordre s’inscrivent dans des matrices culturelles et des historicités spécifiques d’un cas à l’autre, ces thèses tendent à suggérer que les États coloniaux puis postcoloniaux auraient à un moment donné exercé un monopole effectif sur les fonctions policières, pour ne s’en décharger sur la société ou le marché qu’à la faveur des programmes de privatisation et d’ajustement structurel. Tout en contribuant à araser les nombreuses déclinaisons du phénomène, cette lecture globalisante et présentiste du vigilantisme se trouve souvent démentie par l’histoire mouvementée du maintien de l’ordre dans les pays considérés. En Afrique et en Asie, notamment, la professionnalisation du policing impulsée par l’État colonial est loin d’être univoque [26]. Pour les États coloniaux comme pour leurs successeurs, la norme a plutôt été la coexistence plus ou moins désordonnée de forces de police « professionnelles » et de mécanismes vernaculaires de contrôle social [27], notamment dans les zones où le pouvoir central avait peu d’intérêts économiques à défendre [28].
12Ce changement d’échelle est également perceptible dans les travaux sur le vigilantisme numérique (digital vigilantism [29]), qui constituent une autre piste de recherches actuelle sur la participation citoyenne aux missions de police. Après avoir travaillé sur les transformations de la surveillance liées au développement des médias sociaux [30], Daniel Trottier cherche à définir le vigilantisme numérique en le comparant à ses formes classiques. Dans le premier cas, l’usage de la force est physique (« embodied »), tandis que dans le second l’arme utilisée est la « visibilité ». Ces nouvelles formes de vigilantisme se caractérisent de surcroît par leur « spontanéité », encouragée par le développement des réseaux sociaux et tranchant avec le caractère prémédité des modes d’action plus classiques. Enfin, l’ancrage spatial, si crucial dans le vigilantisme classique, serait ici remplacé par le « mediated policing » : ce moyen de coercition consisterait avant tout à médiatiser une information confidentielle, même si cette opération peut éventuellement être combinée avec des formes physiques de harcèlement (atteintes aux personnes ciblées et à leurs biens).
13Sans prétendre trancher l’ensemble des débats ouverts, il nous paraît utile de fonder la réflexion sur une définition minimale du vigilantisme. Cette notion recouvre pour nous un certain nombre de pratiques collectives coercitives, mises en œuvre par des acteurs non étatiques afin de faire respecter certaines normes (sociales ou juridiques) et/ou d’exercer la « justice » – un terme qui fait principalement référence ici à l’exercice du châtiment mais qui peut aussi évoquer, chez les vigilantes et leur public, un idéal sociétal. En ciblant les délinquants extérieurs à la communauté mais aussi, bien souvent, ses propres déviants, les vigilantes s’investissent dans la lutte anticriminalité autant que dans le contrôle social [31]. Leurs activités sont connues du public, soit parce qu’elles sont exercées publiquement, au nom d’une communauté de référence, soit parce que les témoins des expéditions punitives menées plus discrètement colportent l’information et nourrissent la réputation du groupe. Comme évoqué plus haut, les justiciers hors-la-loi révèlent des formes au moins embryonnaires d’organisation, qui leur permettent d’inscrire leurs actions dans une certaine routine [32].
14En centrant notre définition sur les pratiques, nous laissons ouverte la question de l’homogénéité des vigilantes d’un point de vue sociologique et idéologique. Force est en effet de constater, au vu de la littérature disponible, que le vigilante peine à trouver son profil : il peut appartenir à l’élite locale ou non, être jeune ou âgé, habiter en ville, dans un village ou près d’une frontière. Il s’agit certes bien souvent d’un homme conservateur, voire réactionnaire, mais les développements du vigilantisme féminin (cf. les articles d’Atreyee Sen et Laurent Fourchard dans ce dossier) ou l’investissement dans la lutte contre la déviance de groupes révolutionnaires [33] relativisent toute assertion définitive dans ce domaine. La recherche d’un vigilante idéal-typique apparaît d’autant plus hasardeuse que ces mouvements font aussi intervenir des acteurs extérieurs qui, tout en s’abstenant de participer directement aux activités de ces groupes, leur apportent un soutien financier (à l’instar des commerçants et des propriétaires fonciers, « patrons » traditionnels de ces groupes) ou politique. Il s’agit dans ce dernier cas de responsables politiques ou d’intellectuels fascinés par la justice populaire en action, cette attirance n’étant d’ailleurs pas spécifique aux intellectuels réactionnaires comme ont pu l’illustrer les prises de position de Jean-Paul Sartre, Michel Foucault ou Serge July dans l’affaire de Bruay-en-Artois entre 1972 et 1974 [34].
15La définition proposée invite à un double programme. À travers une observation fine des pratiques, il s’agit d’une part de voir comment ces groupes exercent ce qui s’apparente à des fonctions de police judiciaire. On s’intéressera d’autre part aux interactions complexes que les justiciers en herbe nouent avec les acteurs institutionnels : aussi critique soit-il vis-à-vis de l’indifférence policière, un groupe décidé à agir peut, selon les cas, remettre le contrevenant à la police ou le châtier lui-même. Aussi plaide-t-on ici pour des approches attentives à la complexité de la relation à l’État, qui appréhendent la relation État/groupes de vigilantes par le bas.
Pratiques et savoir-faire du vigilantisme
16Que font les vigilantes ? Ils prétendent faire respecter la loi ou exercer une justice « populaire » à travers un ensemble de pratiques relevant de prérogatives policières et/ou judiciaires, généralement de manière illégale. Alors qu’il est fréquent, dans l’analyse du policing, de séparer ceux qui définissent un besoin de sécurité et décident d’une réponse (auspices) de ceux qui mettent en œuvre cette réaction (providers) [35], les deux niveaux tendent souvent à se confondre chez les vigilantes. On a parfois vu s’instaurer une division du travail entre les justiciers amateurs et les élites locales qui sponsorisent leurs actions. Dans le cas du Nigeria, on pense par exemple aux Sode Sode de l’époque coloniale ou aux Bakassi Boys et aux Oshodi Ones des années 2000, qui patrouillent et rendent la justice au nom de certaines élites politiques ou économiques (chefs de lignages pour les premiers, associations de marchands pour les autres). Il est cependant fréquent que ceux qui définissent le besoin de protection soient également ceux qui patrouillent pour y répondre. Et si la patrouille est le mode opératoire le plus emblématique des vigilantes à travers le temps et l’espace, ces justiciers hors-la-loi exercent un continuum plus ou moins étendu de fonctions de police judiciaire, les autorisant dans certains cas à transformer les suspects en coupables et à les châtier eux-mêmes.
17La connaissance intime du territoire constitue un atout majeur pour patrouiller efficacement, a fortiori lorsqu’on est un amateur du maintien de l’ordre. Si on exclut le « vigilantisme numérique », dont le terrain de jeu est tout autre, il s’agit de mobilisations localisées, circonscrites à un espace d’interconnaissance (celui du village ou du quartier), ce qui confère à ces mobilisations une densité sociologique particulière et leur donne accès à des savoir-faire et des savoir-voir locaux qui peuvent s’avérer autant de formes d’expertise mobilisables dans le cadre de missions de police. Au-delà des compétences martiales ou cynégétiques propres à certains groupes spécialisés dans l’usage de la force, sur lesquelles nous reviendrons, il convient de s’arrêter sur certaines aptitudes en apparence plus banales, découlant d’une insertion approfondie dans la vie de quartier ou dans la quotidienneté villageoise. C’est le cas, par exemple, des commerçantes yorubas du Nigeria, qui ont valorisé leur activité professionnelle – et l’observation des allers et venues dans leur quartier que celle-ci favorisait – en fournissant du renseignement à l’Oodua People’s Congress (OPC) [36]. Cette insertion dans la vie locale confère aux vigilantes des connaissances pratiques mais aussi, de manière plus générale, une aptitude à lire la société qui peut s’avérer précieuse pour les agences officielles de maintien de l’ordre, comme le montre Romain Le Cour Grandmaison dans sa contribution à ce dossier.
18Lorsqu’ils ne quadrillent pas leur territoire pour empêcher que des infractions soient commises, les vigilantes traquent des personnes suspectées d’avoir commis un crime. Ces opérations demandent de détenir des renseignements, ici encore liés à l’insertion des justiciers dans le contexte local, qui ont valeur de preuve. Leurs compétences cynégétiques sont dans ce cas particulièrement valorisées, comme le montre l’enquête ethnographique de Joseph Hellweg sur la manière dont les dozos (chasseurs) de Côte d’Ivoire ne se contentent pas de faire des rondes et de former des barrages sur les routes, mais utilisent leurs savoir-faire et savoir-voir pour traquer ceux qu’ils considèrent comme des menaces pour leur communauté [37]. D’une manière générale, l’analyse des pratiques coercitives doit se confronter à la question du choix des proies : sont-elles sélectionnées en fonction de leur vulnérabilité supposée, de leur propension à se soumettre au joug des vigilantes ? C’est par exemple ce que suggère Atreyee Sen lorsqu’elle analyse l’action des enfants d’un ghetto musulman de Hyderabad qui, afin de défendre l’ordre moral communautaire, s’en prennent aux femmes isolées qui nouent des relations avec les hindous [38]. Peut-on ainsi imaginer qu’il existe des « gibiers de vigilantes », une « clientèle » semblable à ceux que des sociologues comme Fabien Jobard observent dans l’action quotidienne de la police [39] ?
19Une fois débusqués, les contrevenants sont neutralisés : les vigilantes les immobilisent en les encerclant, en les maintenant à terre, en les attachant ou en les retenant dans un espace clos. En Bulgarie, les vigilantes réunis par Dinko Valev, un lutteur semi-professionnel, utilisent ainsi des menottes pour neutraliser les réfugiés syriens cherchant à passer la frontière avec la Turquie [40]. Le destin des proies des vigilantes varie ensuite selon les groupes considérés : si certains vigilantes les remettent à la police, d’autres préfèrent rendre immédiatement la justice par eux-mêmes ou ajouter des peines à celles que les autorités sont susceptibles de leur infliger [41]. Lorsque les membres de Letzgo Hunting traquent les pédophiles en Grande-Bretagne en créant de faux profils de mineurs sur les réseaux sociaux, ils transmettent les coordonnées des suspects à la police mais prennent également soin de divulguer leur identité sur Internet, infligeant ainsi de leur propre chef une peine de « naming and shaming » aux personnes ciblées [42].
20Entre le moment de l’interpellation et celui de la punition éventuelle peuvent se tenir des tribunaux populaires, même si cette pratique est loin d’être systématique. Au-delà du souci d’économie de temps et de moyens, qui pousse certains vigilantes à se dispenser de ces formalités, la compatibilité du tribunal et d’une justice authentiquement populaire fait débat. Loin d’être spécifique aux vigilantes, cette interrogation traverse toutes les critiques radicales du système pénal, comme en témoigne par exemple l’entretien de Michel Foucault avec les leaders de la Gauche prolétarienne, en 1972. Dans un échange resté célèbre, « Victor » (Benny Lévy) y affirme : « Au premier stade de la révolution idéologique, je suis pour le pillage, je suis pour les “excès”. Il faut tordre le bâton dans l’autre sens, et l’on ne peut renverser le monde sans casser des œufs. » À quoi Foucault répond : « Il faut surtout casser le bâton » – autrement dit, ne pas se contenter d’orienter la répression vers d’autres cibles que celle de la justice bourgeoise mais s’attaquer au système pénal lui-même. La justice populaire paraît ainsi incompatible avec le tribunal, fiction d’une « instance neutre entre le peuple et ses ennemis » portant en germes la restauration d’un appareil d’État et d’une oppression de classe. Foucault lui-même reconnaît cependant que les conditions d’« élucidation » de la justice populaire restent « à inventer [43] ».
21Parce qu’ils s’inscrivent rarement dans un tel programme révolutionnaire, les vigilantes peuvent délibérément chercher à minimiser leur rupture avec la justice officielle en recourant à la forme du tribunal. Conformément à ce que suggère Foucault, le recours au procès, a fortiori lorsqu’il se tient dans un bâtiment public (école, par exemple), tend à relativiser la portée transgressive des actes de justice populaire. Même lorsqu’ils cherchent à préserver une certaine analogie entre leurs procédures pénales et celles de la justice formelle, les vigilantes font cependant montre d’un esprit critique vis-à-vis de cette dernière. Sans présomption d’innocence ni avocat de la défense, la justice rendue par les vigilantes tire sa principale vertu de son caractère expéditif. Il pourra donc suffire pour les jurés de se regrouper d’un côté ou de l’autre d’une route pour décider du sort d’un prévenu, comme le faisaient les vigilantes du Montana, si l’on en croit le témoignage de Thomas Dimsdale [44]. Certains groupes ont pour leur part développé des procédures pénales plus élaborées, qui n’ont pas uniquement vocation à punir les déviants mais à restaurer un ordre communautaire supposément menacé par la criminalité autant que par des formes plus bénignes d’incivilité. C’est le cas, par exemple, dans les townships d’Afrique du Sud étudiés par Lars Buur, où les Amaldozi ont mis en place des « quasi-tribunaux » jugeant une variété de crimes allant des violations de certaines normes communautaires (en matière de sexualité ou de comportement à l’égard des aînés) au viol ou au meurtre. Et comme le montre l’auteur, le langage (notamment les formes d’adresse respectueuses des hiérarchies générationnelles) est ici aussi performatif que le verdict, en ce qu’il met en scène – et en action – une communauté morale restaurée dans son intégrité et sa souveraineté [45].
22Toutes les cours informelles mises en place par les vigilantes ne se laissent pas réduire à des simulacres de tribunaux d’État. La rupture avec la justice officielle est parfois revendiquée au nom d’une conception populaire de la justice recourant à des « rituels de vérification » vernaculaires pour établir la culpabilité des suspects [46]. Ce double travail de singularisation et de légitimation par le recours à des pratiques de véridiction indigènes passe par des modes particuliers d’administration de la preuve. Le recours aux pratiques d’ordalie est ainsi fréquent chez certains vigilantes du Nigeria, ces épreuves de vérité se prolongeant parfois par une mise en liberté conditionnelle où le verdict se trouve différé [47]. Ces libérations conditionnelles passent également, dans certains contextes, par des pratiques de serment engageant les prévenus dans la durée et exposant les contrevenants à un châtiment exemplaire [48]. Cette réinsertion dans la communauté n’est pas nécessairement exclusive de châtiments corporels (en Afrique du Sud, notamment, la souffrance physique constitue souvent une part intégrante du processus de rédemption des prévenus, certains anthropologues décelant là une influence des rituels d’initiation [49]). Ces formes de réhabilitation sont en tout état de cause réservées aux membres de la communauté, les criminels étrangers se trouvant privés d’un tel recours. Ce diptyque réinsertion/exclusion constitue d’ailleurs un autre axe de comparaison des pratiques d’auto-justice, que l’on pourrait d’un côté rattacher à une matrice charivaresque (héritage d’une justice villageoise sanctionnant les déviances, sexuelles notamment, à travers des rituels d’humiliation publique servant une fonction de régulation des tensions sociales) et de l’autre à un imaginaire de l’épuration (travaillant à la refondation du corps politique par l’exclusion et/ou le châtiment des indésirables) [50].
23Si l’on se penche plus avant sur le type de peines infligées par les vigilantes, on constate que celles-ci s’étendent de l’atteinte à la réputation au lynchage, en passant par un large éventail de châtiments physiques (on notera au passage que les formes les plus violentes de vigilantisme sont plutôt en recul, notamment en Afrique suite à leur disqualification dans leurs bastions historiques du Nigeria et de l’Afrique du Sud [51]). Certaines de ces peines sont inspirées de supplices anciens, à l’instar du tarring and feathering (le goudron et les plumes), une pratique originaire de Grande-Bretagne qui s’est diffusée aux États-Unis au cours de la guerre d’indépendance avant de réapparaître sur les Îles britanniques dans le contexte du conflit d’Irlande du Nord [52]. On retrouve des pratiques similaires de la Russie [53] au Pakistan [54], sans qu’il soit toujours possible d’y voir des effets de diffusion à partir d’une matrice anglo-américaine. Si cette proximité formelle est frappante, il s’agit de résister à la tentation de l’analogie structurale en insistant plutôt sur les divergences, d’un contexte à l’autre, dans la définition des fautes et l’identification des coupables – une démarche à laquelle invitait déjà Edward P. Thompson dans son analyse des formes anciennes de justice villageoise en Europe (charivari, rough music, etc.) [55].
24Comme nous le voyons, l’action des vigilantes repose fondamentalement sur une tension oxymorique : il s’agit de violer la loi pour la faire respecter, de commettre des infractions pour lutter contre d’autres infractions. Le vigilantisme révèle ainsi une hiérarchisation singulière des normes, entre celles qui doivent être défendues coûte que coûte et celles dont la transgression est rendue nécessaire par la légitimité du combat mené. L’analyse des pratiques punitives révèle en outre chez ces groupes une économie de la violence spécifique, fondée sur des formes d’autocontrôle et sur la forte publicisation des actions effectivement menées. La plupart de ces groupes pratiquent des formes d’humiliation collective (la tonsure des cheveux [56], l’exposition en place publique une pancarte autour du cou, etc.), où la laideur physique des corps dégradés est supposée refléter leur laideur morale [57]. Si la place centrale du village est traditionnellement le lieu par excellence de ces rituels, Internet se prête à de nouvelles formes de naming and shaming. Les vigilantes ne se contentent pourtant pas toujours d’humilier leurs victimes. Leur violence performative s’exprime aussi à travers des châtiments corporels (la chicotte en Afrique [58], le kneecapping en Irlande du Nord) qui peuvent évoluer vers des formes spectaculaires de mise à mort (à l’instar du necklacing en Afrique du Sud ou au Bénin [59]). La nature des peines est rarement aléatoire. Dans les groupes les plus organisés, l’administration du châtiment est savamment dosée, en fonction du type de « crime » reproché mais aussi de l’âge, du sexe, des antécédents « criminels » ou familiaux de la victime [60]. Aux yeux de leurs auteurs et de leur audience, les châtiments les plus visibles, administrés en public (séances de fouet, bastonnades, lynchages, etc.), présentent des vertus éducatives et disciplinaires. Et si elle proclame haut et fort l’autorité des vigilantes et leur prétention à agir au nom de la communauté, l’administration de ces châtiments s’inscrit souvent dans une séquence disciplinaire débutant par un simple avertissement avant d’évoluer vers des pratiques punitives de plus en plus violentes. Cette gradation des peines – au sens juridique comme au sens physique du terme – peut d’ailleurs concerner une même pratique punitive. Les républicains irlandais adeptes du kneecapping ajustaient ainsi leurs tirs – plus ou moins près des articulations – en fonction de la gravité des fautes reprochées à leurs victimes et de leurs antécédents [61].
Publics et rétributions du vigilantisme
25Ces pratiques punitives ne se réduisent pas à une interaction violente entre les justiciers autoproclamés et leur « gibier ». Ces interactions n’ont un sens que parce qu’elles font intervenir un tiers au nom duquel l’action est justifiée et qui constitue le public des mesures mises en œuvre. La définition d’un référent au nom duquel l’action est menée s’avère nécessaire pour des vigilantes qui ne veulent pas passer pour des justiciers autosaisis : soucieux de détenir un mandat qui leur apporte un semblant de légitimité, ils s’abritent souvent derrière une revendication d’autochtonie, mais peuvent tout aussi bien en appeler au « peuple » ou à la « société civile » [62].
26La question de la légitimité n’est pas sans lien avec la nature des normes à défendre. Si, généralement, les vigilantes entendent faire appliquer la législation en vigueur, ils peuvent aussi invoquer la hiérarchie des normes juridiques pour se faire justice eux-mêmes, à l’instar de ces justiciers américains s’abritant derrière la Constitution pour justifier des formes de justice sommaire supposées traduire en actes la notion de souveraineté populaire [63]. Le retour à l’ordre prôné par les vigilantes peut également excéder le cadre juridique, en invoquant des normes coutumières ou en sanctionnant des offenses non reconnues officiellement comme des crimes.
27Tandis que les vigilantes xénophobes prennent souvent prétexte de la législation pour commettre des agressions à caractère raciste, des mouvements tels que « Occupy Pedophily » en Russie traduisent en actes haineux leurs convictions homophobes sous couvert de lutte contre la pédophilie [64]. D’autres groupes de vigilantes inscrivent leurs actions dans un registre normatif prétendument antérieur ou supérieur à celui des normes juridiques étatiques. Certains vigilantes se spécialisent ainsi dans la répression de pratiques déviantes non reconnues comme des délits par la loi officielle. C’est le cas, en particulier, de la sorcellerie, cible traditionnelle des justiciers hors la loi, de la Russie tsariste [65] à l’Afrique du Sud [66] ou l’Inde contemporaine [67]. Le contrôle de la sexualité constitue un autre terrain de déploiement privilégié pour ces pratiques punitives, qui rappellent que la définition des transgressions ne coïncide pas toujours avec les catégories du droit pénal ou administratif. Une question reste toutefois largement irrésolue : dans quelle mesure les justiciers prétendant défendre les normes communautaires constituent-ils le bras séculier des autorités coutumières (chefs de lignages, assemblées de « barbes blanches », conseils de village, etc.) ou participent-ils au contraire d’un mouvement d’autonomisation, notamment de la jeunesse, à leur égard ? Dans la lignée de travaux historiens tels que ceux de Jeremy Seekings et Gary Kynoch [68], les recherches de l’anthropologue Stephen Jensen sur le Khukula, en Afrique du Sud, montrent que certaines élites, en lien avec les autorités « traditionnelles », peuvent recourir au vigilantisme pour affermir ou restaurer l’autorité des anciens sur les plus jeunes [69]. Cette reprise en main gérontocratique n’est pas spécifique aux communautés rurales puisqu’on observe un phénomène analogue dans certains townships noirs d’Afrique du Sud, où les « anciens » ont cherché à restaurer leur autorité à grand renfort de châtiments corporels [70]. Il semble cependant difficile de généraliser. Comme le montrent les travaux de Ray Abrahams sur le Sungusungu en Tanzanie, le projet de restauration des chefferies traditionnelles prêté à certains mouvements de vigilantes relève souvent de craintes infondées de la part des autorités officielles [71]. Et de même que les élites traditionnelles ne monopolisent pas la définition des normes communautaires, la répression du « crime » – dans son acception pénale autant que dans ses possibles extensions extrajudiciaires – est irréductible à d’univoques conflits intergénérationnels.
28Au-delà des référents normatifs de ces actions, il s’agit de s’interroger sur leur auditoire. Faut-il distinguer la communauté en référence de laquelle la répression est menée et le tiers auquel s’adressent les vigilantes lorsqu’ils rendent justice par eux-mêmes ? La question du « public » n’est pas simple à dénouer. La visibilité des justiciers hors-la-loi varie en fonction des contextes : comme on l’a observé, le châtiment est généralement public et s’apparente à un spectacle punitif [72], mais cette mise en scène n’est pas systématique. L’important est surtout de faire savoir de quoi sont capables les vigilantes lorsqu’ils rendent la justice, même si cette réputation correspond à une rumeur, et non à des témoignages directs. Les publics auxquels s’adressent les vigilantes lorsqu’ils rendent la justice sont pluriels : ils comprennent les cibles potentielles de ces groupes, les membres de la communauté de référence, les éventuels rivaux qui s’investissent eux aussi dans le maintien de l’ordre et les acteurs institutionnels, poussés à se positionner par rapport à ces initiatives. La réponse des autorités étatiques est d’ailleurs décisive pour la publicisation du vigilantisme, l’exercice du châtiment tendant à s’invisibiliser dans les contextes les plus répressifs. L’ère du vigilantisme numérique change quelque peu la donne car c’est potentiellement l’ensemble des internautes qui constitue le public. On retrouve cependant dans le cyberespace la dialectique du secret et de la publicité qui caractérise les formes plus classiques de vigilantisme.
29Les analyses doivent enfin soulever la question des rétributions de ces mobilisations sécuritaires. Au-delà du « frisson sournois [73] » que peut ressentir tout un chacun à transgresser la loi, la participation à ces mouvements ouvre aussi des opportunités, notamment pour ceux qui profitent de la proximité établie avec les services répressifs institutionnels. Si l’engagement dans ces groupes relève généralement du volontariat, ceux-ci peuvent néanmoins constituer des passerelles vers les professionnels, publics ou privés, de la sécurité. D’intermittents du maintien de l’ordre, les vigilantes se muent alors en professionnels de la violence. Le cas échéant, le vigilantisme constitue un instrument de mobilité sociale. Les compétences acquises peuvent enfin être valorisées sous forme d’expertise, mise au service d’une cause générale (la lutte contre l’immigration illégale, par exemple). Certains de ces savoir-faire peuvent cependant être antérieurs à l’engagement dans un groupe de vigilantes. L’appartenance à un groupe réputé pour ses aptitudes martiales, cynégétiques ou magico-religieuses (à l’instar des rancheros au Mexique, des chasseurs traditionnels d’Afrique de l’Ouest [dozos de Côte d’Ivoire, dambangas du Bénin…] ou des chasseurs de chevreuil et des anciens militaires dans le cas des Minutemen américains [74]) peut ainsi constituer une ressource importante, valorisable auprès des vigilantes eux-mêmes comme de leurs partenaires institutionnels.
Pour une analyse des configurations politico-vigilantes par le bas
30Comme on le voit, la question du rapport des groupes de vigilantes à l’État est complexe. Généralement occultée par une approche réificatrice, cette question doit d’abord découler de l’observation des pratiques : un groupe peut être en phase avec les agents de police du quartier, qui sont eux-mêmes plus ou moins autonomes par rapport à leur hiérarchie et aux autres services de police, ces derniers pouvant être en rivalité avec d’autres institutions (judiciaires, militaires ou paramilitaires [75]). Cette fluidité implique de réfléchir en termes de continuum historique et sociologique, c’est-à-dire de concevoir les pratiques sociales du maintien de l’ordre comme des processus en recomposition permanente, exposés à la critique et objets de négociations entre acteurs publics, parfois divisés, et intérêts privés. D’un cas à l’autre, mais aussi d’une époque à l’autre dans chaque cas, on constate d’importantes variations des configurations dans lesquelles acteurs étatiques et prétendants citoyens au maintien de l’ordre entrent en relation [76]. Les configurations « politico-vigilantes » renvoient d’abord à des trajectoires historiques singulières, marquées par des contraintes structurelles. Les modes de consolidation du pouvoir d’État, notamment sur les fronts pionniers et dans les campagnes (où des formes de justice villageoise ont pu survivre à la formation des États modernes [77]), l’histoire juridique (notamment en ce qui concerne la tolérance pour les formes de droit coutumier et l’encadrement des pratiques d’autodéfense), ou encore la place des citoyens en armes dans les imaginaires nationaux [78] constituent autant de ressources ou de contraintes potentielles. Tandis que certains acteurs contemporains de la vigilance citoyenne peuvent invoquer des matrices historiques pour légitimer leurs pratiques (aux États-Unis, notamment, même si cet héritage est loin d’y être univoque), le passé n’est pas toujours d’un grand secours dans ce domaine : c’est par exemple le cas en France, où le spectre de la collaboration autant que la tendance structurelle de l’État à la centralisation des pouvoirs de police constituent de puissantes sources de disqualification ou tout au moins d’encadrement de ces initiatives [79]. L’espace des possibles auquel se confrontent ces mobilisations est pourtant fluide : il peut se contracter ou se dilater, notamment en fonction des réponses étatiques.
31Les configurations politico-vigilantes sont en effet tendanciellement déséquilibrées au profit des acteurs institutionnels. Par leur pouvoir de labellisation, leurs capacités de patronage, voire de titularisation, et leurs ressources coercitives, les acteurs étatiques disposent de nombreux leviers pour contrôler l’espace et les règles du jeu du maintien de l’ordre. La remise en cause du monopole d’État sur la violence légitime, qui peut d’ailleurs s’opérer à l’initiative de certaines institutions étatiques ou avec leur complicité, n’est pas nécessairement un obstacle au pouvoir de dis/qualification de l’État, bien au contraire [80].
32Si ces mobilisations sont plus organisées que les phénomènes d’effervescence collective associés aux lynch mobs, elles n’en résistent pas moins assez mal à l’épreuve du temps [81]. Cela tient notamment au caractère contingent des relations entre vigilantes et pouvoirs publics, que nous évoquions plus haut. Mais la durée éphémère des mobilisations vigilantes découle également des fluctuations des coalitions élitaires et des soutiens populaires dont dépendent leurs ressources financières et leur légitimité politique. La légitimité de ces groupes peut initialement se trouver renforcée par leur contribution à un certain retour à l’ordre – la reconnaissance du public, dans ce cas, ne vaut pourtant pas acquiescence. Les « soutiens » des vigilantes peuvent ainsi se féliciter de la sécurisation des axes routiers ou des marchés sans pour autant perdre leur sens critique vis-à-vis d’individus aux méthodes jugées détestables. Cette ambivalence est bien résumée par les propos d’un commerçant nigérian à propos d’un des plus célèbres – et controversés – groupes de vigilantes du pays : « Tuer des êtres humains, c’est mal. Les Bakassi Boys iront en enfer. Mais nous remercions Dieu pour leur présence [82]. » Souvent plus équivoques qu’il n’y paraît, les soutiens populaires dont bénéficient ces groupes sont aussi fluctuants. Tout en contribuant à asseoir leur autorité et leur légitimité, la violence des vigilantes produit parfois l’effet inverse. C’est le cas, en particulier, lorsque ces groupes font exception à leurs propres règles pour se livrer à des actes violents perçus comme illégitimes ou lorsque leur amateurisme provoque inévitablement un scandale. Ces « bavures » méritent que l’on s’y arrête pour les tensions qu’elles révèlent entre les vigilantes, leurs partenaires institutionnels et leur base sociale.
33L’analyse des configurations politico-vigilantes demande à lever une dernière ambiguïté, qui concerne la manière dont les vigilantes appréhendent l’État. Au-delà des liens complexes qui les unissent aux univers institutionnels, au-delà d’une critique acerbe de la « police » en tant qu’institution, voire de l’« État », par exemple lorsque des Minutemen de l’Arizona critiquent la politique de « Washington », les justiciers autoproclamés sont nourris de représentations sur ce que devrait être « l’État » et sur ce qu’il devrait faire. Comme le souligne R. Abrahams, « le vigilantisme est typiquement plus critique de la performance réalisée par l’État (the state’s actual performance) que de l’État lui-même [83] ». L’État existe bien pour les vigilantes, à la fois comme objet de critique, voire de répulsion, et comme objet du désir ou horizon d’attente [84]. Envisagé comme une entité coercitive potentiellement « performante », censée soumettre la population en recourant aussi bien à la loi qu’à la violence extrajudiciaire afin de préserver un ordre souverain, l’État imaginé par les justiciers hors-la-loi est in fine caractérisé par son monolithisme et son intransigeance. Tout en contestant en pratique au pouvoir étatique son monopole de juger et de punir, ces mouvements d’auto-justice restent animés par un « esprit d’État [85] », notamment lorsqu’ils prétendent combler l’écart entre les normes officielles et la réalité des pratiques policières ou judiciaires.
34*
35Ce numéro s’ouvre par deux contributions qui, chacune à leur manière, interrogent le sexe du vigilantisme. Dans une démarche ethnographique, Atreyee Sen et Laurent Fourchard observent rapports de genre et pratiques d’auto-justice dans le vif de la patrouille ou des expéditions punitives. Ces deux auteurs, qui ont amplement contribué au renouveau des études sur le vigilantisme, plaident pour une analyse moins focalisée sur le groupe mobilisé, ses registres d’action ou ses interactions avec les institutions rivales que sur ses membres, leur trajectoire et leur éventuelle carrière dans le domaine du policing. Dans son volet biographique, leur travail met notamment l’accent sur les accidents de parcours individuels – ces « contingences de la carrière » dont Erving Goffman a montré toute l’importance dans la vie des individus et dans l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes [86]. À partir de leurs terrains respectifs dans les bidonvilles de Bombay et les quartiers ouvriers du Cap, Atreyee Sen et Laurent Fourchard démontrent que le vigilantisme peut devenir un terrain de réalisation de soi pour des femmes en situation de grande précarité, notamment du fait des ressources symboliques et matérielles qu’il confère à ses adeptes. Ces travaux soulignent par ailleurs le rôle central de l’État dans les évolutions des organisations sécuritaires et dans les tentatives de leurs membres d’ajuster « temps social » et « temps biographique [87] ». Aussi ambivalente que soit l’attitude des autorités indiennes à l’égard des militantes de l’Aghadi (notamment lorsque les nationalistes hindous sont au pouvoir dans l’État du Maharashatra, comme c’est le cas de 1995 à 1999), la répression étatique scande l’histoire du mouvement. Les épisodes de violence intercommunautaire, qui se concluent inévitablement par des violences policières, propulsent certaines militantes au rang d’héroïne. Plus discrètes, les jeunes mariées recherchant la protection de l’Aghadi peuvent se forger une réputation par leur seule affiliation au Front. De leur côté, les fluctuations de la politique sécuritaire des autorités sud-africaines orientent les trajectoires individuelles des ouvrières étudiées par Laurent Fourchard, qui oscillent entre pratique citoyenne du maintien de l’ordre et sécurité marchande. Les politiques étatiques contribuent par ailleurs aux fluctuations du répertoire d’action des groupes, notamment en fixant le coût du recours à la violence. Ainsi, tandis que la disqualification du vigilantisme par l’État post-apartheid s’est accompagnée d’une euphémisation des pratiques violentes des watches, l’emprise de conceptions patriarcales sur les magistrats et les policiers indiens (qui les rendent réticents à reconnaître le potentiel violent des femmes) a contribué à l’impunité relative dont ont longtemps pu se prévaloir ces justicières hors-la-loi.
36Dans les deux contributions suivantes, l’action se situe de part et d’autre de la frontière qui sépare les États-Unis du Mexique. L’article de Damien Simonneau porte sur deux groupes de vigilantes de l’Arizona activement engagés dans la surveillance de cette frontière. Il montre que, dans le pays qui constitue la matrice historique du vigilantisme, le justicier autoproclamé ressemble désormais moins à un cow-boy qu’à un paramilitaire féru de technologie. Alors que la militarisation de la frontière progresse depuis le début des années 2000, les deux groupes ajoutent en effet à leurs compétences cynégétiques une expertise technique qui prétend documenter et quantifier les flux transfrontaliers illicites, tout en justifiant une critique acerbe de la mise en œuvre de la politique migratoire décidée « à Washington ». Quelle que soit la crédibilité des techniques inventées, l’observation de ce tournant expert appelle à conférer à l’analyse du vigilantisme un aspect dynamique, ouvert aux fluctuations d’un répertoire d’action dans lequel les modes classiques de coercition se conjuguent avec la revendication d’autres formes de légitimité.
37La surveillance de la circulation constitue aussi l’une des missions exercées par les Autodefensas que Romain Le Cour Grandmaison étudie dans l’État du Michoacán, au Mexique. Les checkpoints se situent en effet au cœur de l’action de ces groupes, qui repose sur leur capacité à identifier les conducteurs arrêtés, à lire leurs documents d’identité et in fine à classer le monde social. Issus de la société ranchera, ces groupes se sont initialement soulevés contre les Chevaliers Templiers, le cartel qui de facto gouvernait alors la région sans en être originaire. Ils se sont alliés aux autorités fédérales en mobilisant leur connaissance intime du terrain. Une fois les représentants du cartel remplacés dans chaque village, les redresseurs de torts ne mettent pas un terme au narcotrafic, mais l’encadrent en développant de nouvelles solidarités avec les producteurs du cru. Les représailles obéissent ainsi à une économie particulière : alors que certains narcos sont assassinés, d’autres ne subissent que des formes charivaresques d’exclusion temporaire de la communauté. Après une brève période de lisibilité relative des conflits, le développement de relations collusives entre les Autodéfenses, les narcos locaux et les autorités fédérales provoque de nouvelles formes d’opacité sociale et de dispersion de l’autorité publique.
38L’article de Benjamin Loveluck, qui vient clore ce numéro, s’intéresse quant à lui aux transformations du vigilantisme sur le Web. Comme l’auteur le souligne, Internet constitue un terreau fertile pour les pratiques d’auto-justice. Son régime de visibilité et sa propension à l’auto-organisation encouragent le développement de procès collectifs autant que les pratiques coercitives. Inhérents aux pratiques d’auto-justice, les risques de bavure se trouvent ici décuplés. Suscitant la controverse, jusque dans les rangs de ses participants, le crowd-sourced crime-solving n’en suscite pas moins l’engouement des justiciers en herbe, comme le montre également Romain Le Cour Grandmaison dans le cas du Michoacán. Rompant avec la procédure pénale, ces procès collectifs sont aussi le terrain d’une réinvention du vigilantisme, qui montre les limites des définitions insistant sur le caractère collectif et organisé du phénomène. La distinction entre organisations de lutte contre la criminalité et justiciers solitaires tend ici à s’estomper, à l’instar de celle entre acteurs et spectateurs. Traditionnellement dénigrés dans les analyses du vigilantisme [88], les lone avengers ont désormais la capacité de constituer un public, des soutiens, voire des troupes. Entre promesse de justice populaire et perspectives lucratives, ces redresseurs de torts d’un nouveau genre viennent réactualiser les défis que le vigilantisme n’a cessé d’adresser à l’acte de juger [89].
Notes
-
[1]
La version originale reproche aux avocats leur « technical insolence ». Dimsdale (T. J.), Vigilantes of Montana: Or Popular Justice in the Rocky Mountains, Butte, McGee Printing Company, 1950, p. 91 [1re éd. 1886].
-
[2]
Sanders (W.), « The Story of George Ives », cité et discuté in Allen (F.), A Decent Orderly Lynching: The Montana Vigilantes, Norman, The University of Oklahoma Press, 2004, chap. 10.
-
[3]
Dimsdale (T.), The Vigilantes of Montana, op. cit., p. 102.
-
[4]
Sen (A.), Pratten (D.), « Global Vigilantes: Perspectives on Justice and Violence », in Pratten (D.), Sen (A.), eds., Global Vigilantes, London, Hurst, 2007, p. 3.
-
[5]
Brown (R. M.), Strain of Violence: Historical Studies of American Violence and Vigilantism, New York, Oxford University Press, 1975.
-
[6]
Cité par Safire (W.), « On Language: Vigilante », New York Times, 10 février 1985.
-
[7]
La lynch law doit son nom à Charles Lynch (1736-1796), un planteur et homme politique de Virginie, qui présida des tribunaux populaires chargés de juger les éléments antirévolutionnaires restés loyaux aux Britanniques. Sur cette utilisation du répertoire « héroïque » du vigilantisme de la Frontier par les défenseurs du lynchage après la Guerre civile, cf. Brundage (W. F.), « Introduction », in Brundage (W.F.), ed., Under Sentence of Death: Lynching in the South, Chapel Hill & London, The University of North Carolina Press, 1997, p. 4.
-
[8]
Dans un couplet, Woody Guthrie évoque un prêtre-ouvrier syndicaliste tué par un « homme étrange ».
-
[9]
Dans le film Foxy Brown (1974) par exemple, l’héroïne justifie les actions d’un comité de vigilance auprès de son compagnon, plus légaliste, en le persuadant que la « justice des vigilantes » (vigilante justice) est « aussi américaine que la tarte aux pommes » (as American as apple pie).
-
[10]
The Chase (La poursuite infernale), d’Arthur Penn (1966), est un film dans lequel le shérif d’une bourgade du Sud des États-Unis, joué par Marlon Brando, s’évertue à défendre un criminel évadé de prison que les vigilantes du cru veulent lyncher.
-
[11]
Safire (W.), « On Language », art. cit.
-
[12]
Pratten (D.), ed., « Perspectives on Vigilantism in Nigeria », Africa, 78 (1), 2008 ; Buur (L.), Jensen (S.), eds., « Everyday Policing in South Africa », African Studies, 63 (2), 2004 ; Buur (L.), « The Sovereign Outsourced: Local Justice and Violence in Port Elizabeth », in Hansen (T.B.), Stepputat (F.), eds., Sovereign Bodies: Citizens, Migrants and States in the Postcolonial World, Princeton, Princeton University Press, 2005 ; Fourchard (L.), « A New Name for an Old Practice: Vigilante in South-western Nigeria », Africa, 78 (1), 2008.
-
[13]
Brown (R. M.), Strain of Violence, op. cit.
-
[14]
Ibid., pp. 95-96.
-
[15]
Abrahams (R.), Vigilant Citizens: Vigilantism and the State, Oxford, Polity Press, 1998.
-
[16]
Jusque récemment, la littérature sur les lynch mobs s’est développée indépendamment de celle sur le vigilantisme et est restée focalisée sur les États-Unis ; pour un bilan de ces travaux et une tentative de décloisonnement de ceux-ci, à travers un dialogue avec les études sur le vigilantisme et la comparaison internationale, cf. Berg (M.), Wendt (S.), eds., Globalizing Lynching History. Vigilantism and Extralegal Punishment in Comparative History, London, Palgrave, 2011 Sur les problèmes soulevés par la caractérisation des lynch mobs comme des formes d’effervescence collective faiblement structurées, cf. dans ce volume la contribution de Tilo Grätz (pp. 207-223) Sur l’analyse des lynch mobs dans une perspective globale, voir aussi Thurston (R. W.), Lynching. American Mob Murder in Global Perspective, Farnham, Ashgate, 2011.
-
[17]
Buur (L.), Jensen (S.), « Introduction: Vigilantism and the Policing of Everyday Life in South Africa », African Studies, 63 (2), 2004, p. 149, note 2.
-
[18]
La question du lien entre « escadrons de la mort » et vigilantisme est discutée, comme le montrent Bruce B. Campbell et Arthur D. Brenner, qui plaident pour une distinction entre, d’un côté, les pratiques extrajudiciaires de répression dans lesquelles l’État est « directement impliqué » et qui visent généralement à « punir des actes politiques » et, de l’autre, des formes extrajudiciaires de maintien de l’ordre plus spontanées, destinées à lutter contre le crime pour protéger un territoire donné. Cf. Campbell (B. B.), « Death Squads: Definition, Problems, and Historical Context », in Brenner (A. D.), Campbell (B. B.), eds., Death Squads in Global Perspective: Murder with Deniability, New York, St Martin’s Press, 2000, pp. 2-3.
-
[19]
Les travaux de chercheurs anglo-saxons rattachés à des départements de science politique semblent toutefois actuellement se développer : Regina Ann Bateson (MIT) travaille sur les questions de « informal policing » à partir de ses recherches au Guatemala, tandis qu’Eduardo Moncada (Columbia University) s’intéresse aux controverses qui caractérisent la définition du vigilantisme (« Varieties of Vigilantism: Conceptual Discord, Meaning, and Strategies », Working Paper, 2016). D’autres politistes mènent des recherches plus ethnographiques : c’est le cas de Nicholas Rush Smith (« Rejecting Rights: Vigilantism and Violence in Post-Apartheid South Africa », African Affairs, 114 (456), 2015) ou de Michael Weintraub (cf. son article coécrit avec Javier Osorio et Livia Schubiger : « Vigilante Mobilization and Local Order: Evidence from Mexico », Working Paper, 2016 [en ligne : https://static1.squarespace.com/static/522fc0aee4b06bf96fa60e92/t/56ad0346e32140027606bc85/1454179147236/Vigilantes+-+FINAL+-+Not+Anon.pdf].
-
[20]
Abrams (P.), « Notes on the Difficulty of Studying the State », Journal of Historical Sociology, 1 (1), 1998.
-
[21]
Sen (A.), Pratten (D.), « Global Vigilantes », art. cit., p. 5 et Pratten (D.), « The Politics of Protection: Perspectives on Vigilantism in Nigeria », Africa, 78 (1), 2008, p. 5.
-
[22]
Comaroff (J.), Comaroff (J.), eds., Law and Disorder in the Postcolony, Chicago, Chicago University Press, 2006 ; Lamotte (M.), « Le vigilantism aujourd’hui. Les milices nord-américaines à la frontière mexicano-américaine », in Bazenguissa-Ganga (R.), Makki (S.), dir., Sociétés en guerres. Ethnographies des mobilisations violentes, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2012.
-
[23]
Le terme « cheap » a ici un double sens : il fait référence au caractère « bon marché » des pratiques de maintien de l’ordre considérées mais aussi à leur qualité douteuse.
-
[24]
Goldstein (D.), The Spectacular City: Violence and Performance in Urban Bolivia, Durham, Duke University Press, 2004.
-
[25]
Sen (A.), Pratten (D.), « Global Vigilantes », art. cit., p. 5.
-
[26]
Blanchard (E.), Deluermoz (Q.), Glasman (J.), « La professionnalisation policière en situation coloniale. Détour conceptuel et explorations historiographiques », Crime, Histoire et Sociétés, 15 (2), 2011.
-
[27]
Bloembergen (M.), « Vol, meurtre et action policière dans les villages javanais. Les dynamiques locales de la sécurité aux Indes néerlandaises orientales dans les années 1930 », Genèses, 86 (1), 2012.
-
[28]
Fourchard (L.), Manufacturer les différences. Exclusion et violence dans les métropoles du Nigeria et d’Afrique du Sud, Habilitation à diriger des recherches, Paris, Sciences Po, 2014.
-
[29]
Cf. Trottier (D.), « Digital Vigilantism as a Weapon of Visibility », Philosophy and Technology, 2016 [en ligne : http://link.springer.com/article/10.1007/s13347-016-0216-4].
-
[30]
Trottier (D.), Social Media as Surveillance: Rethinking Visibility in a Converging World, Farnham, Ashgate, 2012.
-
[31]
Rosenbaum (H. J.), Sederberg (P. C.), « Vigilantism: An Analysis of Establishment Violence », in Rosenbaum (H. J.), Sederberg (P. C.), Vigilante Politics, University of Pennsylvania Press, 1976.
-
[32]
Berg (M.), Wendt (S.), « Introduction: Lynching from an International Perspective », in Berg (M.), Wendt (S.), eds., Globalizing Lynching History, op. cit., p. 5.
-
[33]
En Turquie, par exemple, certains groupes d’extrême gauche se sont impliqués dans la lutte contre le trafic de drogue. C’est le cas, en particulier, dans le quartier d’Okmeydani à Istanbul. Nous tenons à remercier Élise Massicard pour cette information. L’élimination des « collaborateurs » de l’État israélien en Palestine fournit un autre exemple de vigilantisme révolutionnaire ; cf. Kelly (T.), « Law and Disorder in the Palestinian West Bank: The Execution of Suspected Collaborators Under Israeli Occupation », in Pratten (D.), Sen (A.), eds., Global Vigilantes, op. cit., pp. 151-173.
-
[34]
Sur cette affaire, cf. Michel (J.), « Popular Justice, Class Conflict, and the Lynching Spirit in France », in Berg (M.), Wendt (S.), eds., Globalizing Lynching History, op. cit. ; Guillot (R.), Le meurtre de Bruay-en-Artois. Quand une affaire judiciaire devient une cause du peuple, thèse pour le doctorat de science politique, Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, 2010.
-
[35]
Bayley (D.), Shearing (C.), The New Structure of Policing: Description, Conceptualization, and Research Agenda, Washington, D.C., National Institute of Justice, 2001. De Maillard (J.), Jobard (F.), Sociologie de la police. Politiques, organisations, réformes, Paris, Armand Colin, 2015, pp. 225-255.
-
[36]
Nolte (I.), « Without Women, Nothing Can Succeed: Yoruba Women in the Oodua People’s Congress (OPC), Nigeria », Africa, 78 (1), 2008, p. 96.
-
[37]
Hellweg (J.), Hunting the Ethical State: The Benkadi Movement of Côte d’Ivoire, Chicago, Chicago University Press, 2011.
-
[38]
Sen (A), « “For Your Safety”: Child Vigilante Squads and Neo-gangsterism in Urban India », in Hazan (J.), Rodgers (D.), eds., Global Gangs. Street Violence Across the World, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2014.
-
[39]
Le concept trouve son origine dans l’expression « police property ». Cf. Jobard (F.), « Le gibier de police immuable ou changeant ? », Archives de politique criminelle, 32, 2010.
-
[40]
Matthew Brunwasser, « Bulgaria’s vigilante migrant “hunter” », BBC.com, 30.03.2016 [en ligne : http://www.bbc.com/news/magazine-35919068].
-
[41]
Ray Abrahams note que, contrairement au modèle américain aboutissant à des lynchages, le vigilantisme britannique tend à livrer les personnes arrêtées à la police. Voir Abrahams (R.), Vigilant Citizens, op. cit., chap. 5.
-
[42]
Voir la controverse qui s’est développée lorsqu’un des pédophiles présumés dont l’identité a été publicisée s’est suicidé en 2013. Sur l’activité de ce groupe, cf. http://www.letzgohunting.co.uk/. Des initiatives similaires sont observées au Canada en 2015 : « Chasseurs de pédophiles », Le Soleil, 17 octobre 2015 [en ligne : http://www.lapresse.ca/le-soleil/justice-et-faits-divers/201510/16/01-4910895-chasseurs-de-pedophiles.php].
-
[43]
Foucault (M.), « Sur la justice populaire. Débat avec les maos », Les Temps modernes, 310 bis, juin 1972, reproduit dans Foucault (M.), Dits et écrits, tome 2, 1970-1975, Paris, Gallimard, 1994. Pour une contextualisation de cette discussion, cf. Bérard (J.), La justice en procès. Les mouvements de contestation face au système pénal (1968-1983), Paris, Presses de Sciences Po, 2013, p. 35.
-
[44]
Dimsdale (T.), The Vigilantes of Montana, op. cit., p. 113.
-
[45]
Buur (L.), « Fluctuating Personhood. Vigilantism and Citizenship in Port Elizabeth’s Townships », in Pratten (D.), Sen (A.), eds., Global Vigilantes, op. cit., pp. 127-149.
-
[46]
Pratten (D.), « “The Thief Eats His Shame”: Practice and Power in Nigerian Vigilantism », Africa, 78 (1), 2008.
-
[47]
Ibid, p. 77. Pratten évoque notamment des rituels de vérification impliquant un vœu d’innocence (mbiam) à travers lequel le prévenu s’astreint à une ordalie se prolongeant sur une année entière, au cours de laquelle sa mort prématurée vient établir sa culpabilité.
-
[48]
Heald (S.), « Mafias in Africa: The Rise of Drinking Companies and Vigilante Groups in Bugisu District, Uganda », Africa, 56 (4), 1986, p. 455.
-
[49]
Buur (L.), Jensen (S.), « Introduction: Vigilantism and the Policing of Everyday Life in South Africa », African Studies, 63 (2), 2004, p. 150, note 18.
-
[50]
Nous sommes ici redevables à Virgili (F.), La France « virile ». Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, 2004 [1re éd. 2000], p. 292 sq.
-
[51]
Nous remercions Laurent Fourchard pour cette information.
-
[52]
Monaghan (R.), « Not Quite Lynching. Informal Justice in Northern Ireland », in Berg (M.), Wendt (S.), eds., Globalizing Lynching History, op. cit.
-
[53]
En Russie, le « commando de la jeunesse antidrogue », proche des organisations de jeunesse propoutiniennes et actif de 2012 à 2014, attache les dealers et/ou les couvre de peinture indélébile et de plumes. Voir par exemple « Anti-drug vigilantes deliver rough justice, Moscow style », The Telegraph, 27 avril 2013.
-
[54]
Dans le quartier populaire de Lyari, à Karachi, les résidents avaient coutume d’attacher les délinquants ou les maris violents à des poteaux avant de les enduire de goudron. Cette pratique a cependant disparu dans les années 2000, marquées par l’émergence de gangs violents, échappant au contrôle des autorités coutumières.
-
[55]
Thompson (E. P.), « Rough music. Le charivari anglais », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 27 (2), 1972.
-
[56]
Au-delà du cas emblématique des femmes françaises tondues à la Libération, on retrouve cette pratique chez les maoïstes népalais et les républicains irlandais au cours des années 1990. Dans tous les cas, les victimes sont quasi-exclusivement des femmes. Sur l’imbrication de préoccupations morales et politiques dans la tonte de femmes françaises accusées de « collaboration horizontale » à la Libération, cf. Virgili (F.), La France « virile », op. cit.
-
[57]
Ibid.
-
[58]
Bayart (J.-F.), « Hégémonie et coercition en Afrique subsaharienne. La politique de la chicotte », Politique africaine, 110, 2008, pp. 123-152.
-
[59]
Grätz (T.), « Vigilantism in Africa. Benin and Beyond », in Berg (M.), Wendt (S.), eds., Globalizing Lynching History, op. cit.
-
[60]
Les républicains irlandais sont sans doute ceux qui ont poussé le plus loin cette gradation de la justice pénale informelle (de la menace à l’exécution sommaire en passant par le bannissement et l’humiliation publique) ; cf. Monaghan (R.), « Not Quite Lynching », art. cit.
-
[61]
Ibid.
-
[62]
Dans son ouvrage sur les lynchages en Amérique latine, Angelina Snodgrass Godoy analyse le développement de formes de vigilante justice comme la preuve que la « société civile » n’est pas en elle-même un vecteur de démocratie, contrairement aux croyances des glorificateurs de la « transition » dans la région. Godoy (A. S.), Popular Injustice: Violence, Community and Law in Latin America, Stanford, Stanford University Press, 2006.
-
[63]
Sur ce point, on pourra se référer à la résolution des vigilantes du nord de l’Indiana (1858) : « We are believers in the doctrine of popular sovereignty; that the people of this country are the real sovereigns, and that whenever the laws, made by those to whom they have delegated their authority, are found inadequate to their protection, it is the right of the people to take the protection of their property into their own hands, and deal with these villains according to their just desserts » ; cité par Brown (R. M.), Strain of Violence, op. cit., p. 95. On retrouve des propos analogues dans la bouche du leader d’un groupe ayant lynché onze Italiens à La Nouvelle-Orléans en 1891 ; cf. Berg (M.), Wendt (S.), eds., Globalizing Lynching History, op. cit., p. 9.
-
[64]
Fondé par le leader néonazi surnommé Tesak (« Le hachoir »), le projet « Occupy-Pedophily » consiste à piéger des prétendus pédophiles en utilisant une identité fictive de mineur et en attendant la personne majeure sur le lieu de rendez-vous. Après avoir forcé la personne majeure à reconnaître que c’est bien lui qui a correspondu avec le mineur sur les réseaux sociaux (ce qui, aux yeux du groupe, a valeur de preuve), de multiples châtiments lui sont administrés, comme le montrent les vidéos postées sur Internet : on le force à appeler sa famille et ses collègues pour révéler qu’il est un « pédophile », on révèle son identité au public, on le recouvre d’urine, on lui rase la tête, on lui donne des coups de godemiché, bref on « détruit complètement sa vie » selon l’expression de Tesak. Les « safaris » menés par « Occupy-Pedophily » suscitent une émotion intense chez ceux qui défendent les droits. Voir par exemple : http://www.sbs.com.au/news/dateline/story/russias-gay-hate.
-
[65]
Frank (S.), Crime, Cultural Conflict, and Justice in Rural Russia, 1856-1914, Berkeley, University of California Press, 1999.
-
[66]
Comaroff (J.), Comaroff (J.), « Policing Culture, Cultural Policing: Law and Social Order in Postcolonial South Africa », Law & Social Inquiry, 29 (3), 2004.
-
[67]
Partners for Law and Development, Targeting of Women as Witches: Trends, Prevalence and the Law in Northern, Western, Eastern and Northeastern Regions of India, Delhi, 2013.
-
[68]
Kynoch (G.), « Friend or Foe? A World View of Community–Police Relations in Gauteng Townships, 1947-1977 », Canadian Journal of African Studies, 37 (2/3), 2003 ; Seekings (J.), « Social Ordering and Control in the African Townships of South Africa: An Historical Overview of Extra-State Initiatives From the 1940s to the 1990s », in Scharf (W.), Nina (D.), eds., The Other Law: Non-State Ordering in South Africa, Lansdowne, Cape Town, Juta and Co, 2000.
-
[69]
Jensen (S.), « Policing Nkomazi. Crime, Masculinity and Generational Conflicts », in Pratten (D.), Sen (A.), eds., Global Vigilantes, op. cit.
-
[70]
Buur (L.), « Fluctuating Personhood », art. cit.
-
[71]
Abrahams (R.), Vigilant Citizens, op. cit., p. 50.
-
[72]
James (A.), Without Sanctuary: Lynching Photography in America, Santa Fe, Twin Palms Publishers, 2000 ; Wood (A. L.), Lynching and Spectacle, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2011.
-
[73]
Katz (J.), Seductions of Crime, Lexington, Perseus, 1988.
-
[74]
Sur la reconversion des techniques de deer hunting dans la traque aux migrants mexicains en Arizona, cf. Shapira (H.), Waiting for José: The Minutemen’s Pursuit of America, Princeton, Princeton University Press, 2013, p. 64.
-
[75]
Sur la « diversité d’échelles », les « dynamiques souvent contradictoires » et la fluidité des relations entre acteurs politiques et groupes armés, à partir du cas colombien, cf. Grajales (J.), Gouverner dans la violence. Le paramilitarisme en Colombie, Paris, Karthala, 2016.
-
[76]
Fourchard (L.), « The Politics of Mobilization for Security in South African Townships », African Affairs, 110, 441, 2011.
-
[77]
Le Goff (J.), Schmitt (J.-C.), Le charivari, Paris, Mouton, 1981 ; Thompson (E. P.), « Rough Music… », art. cit. Sur les pratiques de samosoud (auto-justice) dans les villages russes avant la révolution bolchevique, voir Frank (S.), Crime, Cultural Conflict, and Justice in Rural Russia, 1856-1914, Berkeley, University of California Press, 1999.
-
[78]
Ces imaginaires des citoyens en armes sont rarement univoques. En France, par exemple, où la police se professionnalise dès les années 1840, il faut ainsi compter avec « la survie du vieil imaginaire révolutionnaire de la mobilisation civique »; cf. Houte (A.), « Citoyens-policiers ? Pratiques et imaginaires civiques de la sécurité publique dans la France du second XIXe siècle », Revue d’histoire du XIXe siècle, 50, 2015, p. 114.
-
[79]
Brodeur (J.-P.), Jobard (F.), dir., Citoyens et délateurs. La délation peut-elle être civique ?, Paris, Autrement, 2005.
-
[80]
Sur ce point, cf. Grajales (J.), Gouverner dans la violence, op. cit.
-
[81]
Cf. à ce titre la minutieuse chronologie des mouvements de vigilantes aux États-Unis, de la fin du XVIIIe au début du XXe siècle dans Brown (R. M.), « The American Vigilante Tradition », in Graham (H. D.), Gurr (T. R.), eds., The History of Violence in America, New York, Prager, 1969.
-
[82]
Meagher (K.), « Hijacking Civil Society: The Inside Story of the Bakassi Boys », The Journal of Modern African Studies, 45 (1), 2007.
-
[83]
Abrahams (R.), « Some Thoughts on Vigilantism », in Pratten (D.), Sen (A.), eds., Global Vigilantes, op. cit., p. 423. Dans son ouvrage, Abrahams associe le vigilantisme à un « vote de défiance à l’égard de l’efficacité de l’État » (Vigilant Citizens, op. cit., p. 4).
-
[84]
Nous sommes redevables à Dominique Linhardt d’avoir souligné ce point au cours des discussions à la section thématique que nous avions organisée au Congrès de l’AFSP d’Aix-en-Provence, le 22 juin 2015 (ST 53 : « Violer la loi pour maintenir l’ordre : approches comparées du vigilantisme »).
-
[85]
Bourdieu (P.), « Esprits d’État. Genèse et structure du champ bureaucratique », Actes de la recherche en sciences sociales, 96 (1), 1993.
-
[86]
Goffman (E.) Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Les Éditions de Minuit, 1968, p. 189.
-
[87]
Fillieule (O.), « Temps biographique, temps social et variabilité des rétributions », in Fillieule (O.), Le désengagement militant, Paris, Belin, 2005.
-
[88]
Les travaux sur le vigilantisme s’accordent généralement à dénier aux justiciers solitaires le statut de vigilante. Pour Richard Brown, par exemple, ces initiatives individuelles relèveraient d’une tradition différente de celle qui a nourri le vigilantisme, à savoir un refus du « devoir de retrait » promu par la common law ; cf. Brown (R. M.), No Duty to Retreat: Violence and Values in American History and Society, New York & Oxford, 1991.
-
[89]
Pour une illustration de ce phénomène en plein essor, notamment autour des « chasseurs de pédophiles », on se référera à la trajectoire de David Payne, peintre en bâtiment et video vigilante à ses heures perdues, publicisant ses exploits sur sa chaîne YouTube ; cf. Manisha Krishnan, « Meet the construction worker moonlighting as a vigilante pedophile hunter », Vice, 22 octobre 2015 [en ligne : http://www.vice.com/read/meet-the-toronto-man-who-is-a-vigilante-pedophile-hunter].