Politix 2014/4 n° 108

Couverture de POX_108

Article de revue

La destinée manifeste de l’entrepreneuriat kényan

Charité et constitution morale d’une élite économique africaine

Pages 123 à 141

Notes

  • [1]
    « Ramenons Zach à la maison ».
  • [2]
    http://www.bringzackbackhome.com, consulté en juillet 2012.
  • [3]
    Environ 730 000 euros, pour une opération qui visait à en réunir 2,5 millions.
  • [4]
    Environ 6 000 euros.
  • [5]
    Guilhot (N.), Financiers, philanthropes. Sociologie de Wall Street, Paris, Liber, 2006, p. 26-32, p. 124-126.
  • [6]
    Sur la distinction marxienne entre capital financier et opérationnel, cf. Guilhot (N.), « Une vocation philanthropique. George Soros, les sciences sociales et la régulation du marché mondial », Actes de la recherche en sciences sociales, 151-152, 2004, p. 30.
  • [7]
    Meyer (J.), Rowan (B.), « Institutionalized Organizations : Formal Structure as Myth and Ceremony », American Journal of Sociology, 83, 1977.
  • [8]
    Coeurdray (M.), « Le double jeu de l’import-export symbolique » et Dezalay (Y.), « Les Courtiers de l’international. Héritiers cosmopolites, mercenaires de l’impérialisme et missionnaires de l’universel », Actes de la recherche en sciences sociales, 151-152, 2004.
  • [9]
    Bayart (J.-F.), « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale, 5, 1999.
  • [10]
    On suit ici les recommandations de Bertrand (R.), « Penser le Java mystique de l’âge moderne avec Foucault : peut-on écrire une histoire “non intentionnaliste” du politique ? », Revue internationale des sciences sociales, 191, 2006.
  • [11]
    Au sens formel de Simmel (G.), Sociologie et épistémologie, Paris, Presses universitaires de France, 1981, p. 132.
  • [12]
    Foucault (M.), Histoire de la sexualité, tome III. L’Usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984, tel qu’utilisé par Bayart (J.-F.), « Total Subjectivation », in Bayart (J.-F), Warnier (J.-P.), dir., Matière à politique. Le Pouvoir, le corps et les choses, Paris, Karthala, 2004.
  • [13]
    On suit ici Bertrand (R.), État, noblesse et nationalisme à Java. La Tradition parfaite, Paris, Karthala, 2005 et « L’ascèse pour la gloire. Trajectoires notabiliaires de la noblesse de robe à Java (XVIIe-XIXe siècles) », Politix, 65 (17), 2004.
  • [14]
    On emprunte la notion à Brown (P.), Genèse de l’Antiquité tardive, Paris, Gallimard, 1983, p. 15-19. Il est notable que l’expression apparaisse seulement dans l’introduction à l’édition française, et non dans la version originale en anglais, Brown (P.), The Making of Late Antiquity. Carl Newel Jackson Lectures, Cambridge, Harvard University Press, 1993 [1re éd. 1978].
  • [15]
    Sur la notion de « cité par projet », cf. Chiapello (È.), Boltanski (L.), Le Nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, et sur la philanthropie comme projet cf. Guilhot (N.), Financiers, philanthropes…, op. cit. Pour une réflexion similaire sur la dépolitisation appliquée au développement et aux libéralisations en Afrique, cf. notamment, Ferguson (J.), Anti-Politics Machine : Development, Depoliticization, and Bureaucratic Power in Lesotho, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1990 et Englund (H.), Prisoners of Freedom. Human Rights and the African Poor, Berkeley, University of California Press, 2006.
  • [16]
    Dans un sens emprunté à la définition que E. P. Thompson donne de la formation des classes sociales : « An historical phenomenon […] which happens when some men, as a result of common experience (inherited or shared), feel and articulate the identity of their interests as between themselves, and as against other men whose interests are different from (and usually opposed to) theirs », Thompson (E. P.), The Making of the English Working Class, London, Victor Gollancz, 1963, p. 1.
  • [17]
    On entend ici avec Iliffe l’honneur comme une catégorie subjective et objective, il est une estime de soi qui ne vaut que lorsqu’elle est largement reconnue par d’autres ; c’est un sentiment intime dont les critères font publiquement débat : Iliffe (J.), Honour in African History, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 4.
  • [18]
    L’étude de cette relation habite l’essentiel de l’œuvre de John Lonsdale, dans ses travaux sur l’ethos économique kikuyu et la genèse du nationalisme kényan. Cf. notamment Lonsdale (J.), Unhappy Valley. Conflict in Kenya and Africa, Athens (Oh), Ohio University Press, 1992.
  • [19]
    Médard (J.-F.), « Charles Njonjo : portrait d’un “big man” au Kenya », in Terray (E.), dir., L’État contemporain en Afrique, Paris, L’Harmattan, 1987 et « Le “Big man” en Afrique : analyse du politicien entrepreneur », L’Année sociologique, 42, 1992.
  • [20]
    Le meilleur état des controverses sur la distinction entre « bourgeoisie d’affaires » et « bourgeoisie étatique », distinction que l’on doit à M. Mamdani, et sur la faiblesse de ces catégories, est à mettre au crédit de Bayart (J.-F.), L’État en Afrique. La Politique du ventre, Paris, Fayard, 1989, p. 119 et s. Sur le Kenya, cf. en particulier Dauch (G.), « J. M. Kariuki ou l’éthique nationale du capitalisme », Politique africaine, 2 (8), 1982.
  • [21]
    Selon les recommandations de la commission Duncan Ndegwa devenues loi, ce dernier étant alors à la tête de la fonction publique kényane, avant de devenir directeur de la Banque Centrale du pays tout en faisant par ailleurs fortune en multipliant ses participations dans les minoteries, la spéculation immobilière et les assurances.
  • [22]
    Reproduit in Gertzel (C.), Goldschmidt (M.), Rothchild (D.), dir., Government and Politics in Kenya, Nairobi, East African Publishing House, 1969, p. 78-83.
  • [23]
    Karume (N.), Beyond Expectations, From Charcoal to Gold, Nairobi, African Books Collective, 2009.
  • [24]
    Amario (F.), Kamiti Notebook. Prison Memoirs of a Kenyan Industrialist, Naivasha, Fai Amario, 1999.
  • [25]
    D.A. Moi, un Kalenjin, fut président du Kenya de 1978 à 2002. Sa présidence fut marquée par à un exercice de plus en plus autoritaire et arbitraire du pouvoir et une instrumentalisation croissante en sa faveur des tensions et discriminations ethniques, en particulier à l’encontre des Kikuyu.
  • [26]
    « Natulenge Juu ». Sur Starehe School cf. Martin (R.), Anthem of Bugles : The Story of Starehe Boys Centre and School, Nairobi, Heinemann Educational, 1978.
  • [27]
    Fai était selon lui la formule chimique d’un vin espagnol et Amario se référait au nom d’un vignoble texan.
  • [28]
    La richesse jugée illégitime est souvent condamnée au Kenya sous les traits de la sorcellerie et du surnaturel, et assimilée aux pratiques de l’invisible, a fortiori lorsqu’elle ne fait pas l’objet d’une redistribution. Une large littérature a par ailleurs traité de ce sujet comme des interprétations politiques de la sorcellerie et de l’invisible, par exemple pour le Kenya l’ouvrage de White (L.), 2000, Speaking With Vampires : Rumor and History in Colonial Africa, Berkeley, University of California Press, 2000 ou plus largement pour l’Afrique les travaux de Comaroff (J.) et Comaroff (J.), Zombies et frontières à l’ère néolibérale. Le cas de l’Afrique du Sud post-apartheid, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2010.
  • [29]
    Sur le harcèlement des élites kikuyus par l’administration moi, cf. notamment Throup (D.), « The Construction and the Destruction of the Kenyatta State », in Schatzberg (M.), dir., The Political Economy of Kenya, New York, Praeger, 1987, p. 61-62 ; Waithaka (W.), Majeni (E.), A Profile of Kenyan Entrepreneurs, Nairobi, Kenway Publications, 2012, p. 63-76 ; Arriola (L.A.), Multiethnic Coalitions in Africa. Business Financing of Opposition Election Campaigns, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2013, p. 98-99, ainsi que Hornsby (C.), Kenya. A History Since Independence, Londres, I.B. Tauris, 2012, p. 443-444 et Thomas (C.), « L’économie politique d’une succession annoncée », Politique africaine, 70, 1998 et Robinson (J.), « Kenya : les appétits s’aiguisent », Politique africaine, 25, 1987, p. 116-117. Pour un récit autobiographique de ces pratiques, voir enfin Matiba (K.), Aiming High. The Story Of My Life, Nairobi, The People Ltd., 2000, p. 242-243.
  • [30]
    Sur les effets des politiques d’« ajustement structurel » au Kenya, cf. Gertz (G.), Kenya’s Trade Liberalization of the 1980s and 1990s : Policies, Impacts, and Implications, Carnegie Endowment, 2009 et Kipkemboi Rono (J.), « The Impact of the Structural Adjustment Programmes on Kenyan Society », Journal of Social Development in Africa, 1 (17), 2002.
  • [31]
    Les mécanismes de criminalisation de l’économie sont bien décrits par Thomas (C.), « Le Kenya d’une élection à l’autre : criminalisation de l’État et succession politique », Les Études du CERI, 35, 1997 et « L’économie politique d’une succession annoncée », art. cit. ; d’un point de vue autobiographique, cf. par exemple le récit de l’industriel P. Kuguru sur les importations frauduleuses réalisées par les élites kalenjin et indiennes : Kuguru (P.), Trailblazer, Breaking Through in Kenya, Nairobi, Transafrica Press, 2007, p. 128-129.
  • [32]
    On reprend ici la terminologie de Banégas (R.), Warnier (J.-P.), « Nouvelles figures de la réussite et du pouvoir », Politique africaine, 82, 2001.
  • [33]
    Grignon (F.), Maupeu (H.), « Kenya. Le Contrat social à l’abandon », Politique africaine, 70, 1998.
  • [34]
    Gicheru (M.), Mbugua Githere. A Handful of Terere. A Biography, Nairobi, Longhorn, 2008, p. 121-122.
  • [35]
    Bourmaud (D.), Histoire politique du Kenya, Paris, Karthala, 1988.
  • [36]
    Ndegwa (D.), Walking in Kenyatta Struggles. My Story, Nairobi, Kenya Leadership Institute, 2006, p. 505.
  • [37]
    Dès le début des années 1990, les revendications des différents Forum for the Restoration of Democracy associaient multipartisme et libéralisation de l’économie cf. Grignon (F.), « Le multipartisme au Kenya ? Reproduction autoritaire, légitimation et culture politique en mutation (1990-1992) », Travaux et Documents de l’IFRA, 12, Nairobi, 1993.
  • [38]
    On reprend ici l’expression de N. Guilhot, op. cit.
  • [39]
    Environ 50 millions d’euros. Selon les chiffres du quotidien économique Kenyan, le Business Daily, 20 décembre 2010.
  • [40]
    Soit plus de 6,7 millions d’euros.
  • [41]
    Naishi, Natumaini/Najitolea daima Kenya/Hakika ya bendera/Ni uthabiti wangu/Nyeusi ya wananchi na nyekundu ni ya damu/Kijani ni ya ardhi, nyeupe ya amani/Daima mimi mkenya/Mwananchi mzalendo [Je vis, j’espère, je me consacre au Kenya/Sans nul doute son drapeau est mon inébranlable soutien/Le noir est son peuple, le rouge est son sang/Le vert est son sol/Le blanc est la paix/Pour toujours je suis kényan/Un citoyen et un patriote].
  • [42]
    Kimani (E.), « Take Philanthropy to the next level by creating water-tight guidelines », Business Daily, 15 mars 2012.
  • [43]
    « Kenyans 4 Kenya is the kind of thing we want to be remember for as a country, not our 2008 post election violence but a people who forgot their difference and come together to save ourselves », http://www.samgichuru.com, consulté le 6 septembre 2011.
  • [44]
    « The story of Kenyans for Kenya reminds me of the story of Moses, God asked Moses “what are you holding” and he said “a rod”, while Moses saw a rod, God saw a tool that could be used to bring change. […] Like Moses, we used the tools we work with, our skills, tellers at a supermarket, students on sms, facebook and twitter and the end results was Kshs 1 Billion, people have been fed and sustainability programs are being discussed and strategies being put in place by the principles, that is the power of unity in less than 60 days », ibid.
  • [45]
    Cf. Bayart (J.-F.), « L’Afrique dans le monde… », art. cit.
  • [46]
    Lonsdale (J.), « Ornamental Constitutionalism in Africa : Kenyatta and the Two Queens », The Journal of Imperial and Commonwealth History, 1 (34), 2006.
  • [47]
    On reprend également ici les conclusions de J.-F. Bayart sur l’incohérence du concept de bourgeoisie nationale en Afrique. Bayart (J.-F.), L’État en Afrique, op. cit.
  • [48]
    « Saving Africa from Herself », Lettre de Fai Amario à Jesse Jackson, 8 juin 1999, reproduit dans Amario, 1999, op. cit., p. 11.
  • [49]
    « Tunajua Mahali/Tutawapeleka/Pasipo Chuki/Pasipo Vita/Haki Imeeea (x2)/Kwa Wote », Amario, ibid, p. 3.
  • [50]
    On reprend ici un terme de Ferguson (J.), Expectations of Modernity. Myths and Meanings of Urban Life on the Zambian Copperbelt, Berkeley, University of California Press, 1999, p. 236.
  • [51]
    On reprend ici l’un des éléments les plus intéressants de la définition que M. Bloch donne de la bourgeoisie, certes circonscrite au cas français, mais qui vaut ici par cet aspect particulier, « J’appelle donc bourgeois [celui] qui enfin se sent ou se croit appartenir à une classe vouée à tenir dans la nation un rôle directeur », cf. Bloch (M.), L’étrange défaite, Paris, Gallimard, 1990, p. 14.
  • [52]
    On pourrait appliquer un raisonnement similaire à la notion de classe moyenne, téléologique dans un contexte africain.
  • [53]
    On reprend ici l’idée de « communauté imaginée » chère à Anderson (B.), L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1991 [1983], p. 19 et 21 avec cependant quelques amendements : la communauté dont nous parlons n’est pas nationale et l’imaginaire qui la constitue est tout autant matériel, pratique, physique que discursif ; on renvoie à cet égard à la note critique de Christine Chivallon, qui insiste particulièrement sur ces amendements, Chivallon (C.), « Retour sur la “communauté imaginée” d’Anderson. Essai de clarification théorique d’une notion restée floue », Raisons politiques, 3 (27), 2007.
  • [54]
    C’est ainsi qu’on traduit la notion de membership employée par Ferguson (J.), « Of Mimicry and Membership : Africans and the “New World Society” », Cultural Anthropology, 4 (17), 2002.
  • [55]
    Sur ces promesses d’inclusion, cf. Abrahamsen (R.), « The Power of Partnerships in Global Governance », Third World Quarterly, 25 (8), 2004.
  • [56]
    On reprend ici Ferguson (J.), Global Shadows. Africa and the Neoliberal World Order, op. cit., p. 174.
  • [57]
    Aussi dénommée Konza City, ce qui n’est aujourd’hui qu’une friche en pays kamba, près de la route reliant Nairobi à Mombasa, est appelé à devenir la grande technopole kényane, dont le plan des gratte-ciel est directement inspiré par ceux de Dubai (cf. http://www.konzacity.co.ke).
  • [58]
    On reprend l’expression de Lonsdale (J.), Low (D.A.), « East Africa : Towards a New Order », in Low (A.D.), dir., Eclipse of Empire, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 207.

1C’est à l’été 2012 que les Kényans entendirent pour la première fois parler dans les médias de Zachari Kimotho. Cet homme de 43 ans, victime en 2004 d’une attaque à main armée dans sa voiture alors qu’il conduisait vers Nairobi, était depuis lors lourdement handicapé, sa moelle épinière atteinte. Il apparaissait désormais sur les écrans et dans les journaux comme la tête d’affiche d’une grande campagne nationale de la Kenyan Paraplegic Organization, « Bring Zack Back Home » [1]. Si Zach devait rentrer chez lui, c’est que les spots télévisés le mettaient chaque jour en scène dans son fauteuil roulant, sur les routes chaotiques du pays, en direction de l’Afrique du Sud, seul pays du continent à disposer d’un centre de rééducation pour les paraplégiques. Les Kényans étaient dès lors invités à verser de l’argent via leur téléphone mobile, afin qu’une telle infrastructure vît le jour au Kenya et que Zach, enfin, puisse faire demi-tour et rentrer chez lui.

2Un tel événement était relativement nouveau au Kenya, pour plusieurs raisons. D’abord, celui qui en était la figure, Zach, était loin de correspondre aux stéréotypes généralement associés aux nécessiteux du Kenya : élève modèle, toujours dans les trois premiers de sa classe, il avait étudié à l’université de Nairobi et était devenu vétérinaire, avant de travailler comme représentant pour de grandes compagnies pharmaceutiques animalières. Veuf et père d’un enfant, Zachari Kimotho avait perdu l’usage de ses jambes suite à une lésion de la moelle épinière, un mal qui selon le ministère kényan de la Santé frappait majoritairement les victimes d’accidents de la circulation [2]. Le centre qui devait être construit prenait d’abord en charge des soins qui allaient au-delà de l’urgence du traitement : il s’agissait d’abord d’apprendre aux victimes à vivre au mieux avec leur handicap. Ensuite, la campagne était sponsorisée par plusieurs grandes entreprises kényanes des médias, du marketing, des télécommunications et portée par leurs dirigeants. On retrouvait l’initiative promue non seulement à la télévision, mais aussi et surtout dans des réunions d’entrepreneurs ou les rencontres hebdomadaires des clubs Rotary de la capitale. Puisque le centre devait être public, il s’agissait de montrer qu’une mobilisation des citoyens kényans, portée par les représentants les plus éminents du « secteur privé », pouvait pallier les déficiences de l’État et du Gouvernement. Aussi l’opération marquait-elle clairement une défiance des entrepreneurs vis-à-vis du fonctionnement de l’administration et du jeu politique quant au développement des infrastructures du pays. De fait, sur les 73 millions de shillings [3] levés lors de l’opération, seuls 600 000 shillings [4] furent réunis par des dons individuels, le reste étant pris en charge par les grandes entreprises à l’origine du projet. Enfin, utilisant les médias, les nouvelles technologies et une campagne nationale de levée de fonds en langue anglaise, l’opération Bring Zach back Home employait par et pour les Kényans le répertoire d’une entreprise philanthropique impersonnelle : Zach n’incarnait que la cause plus générale des paraplégiques. Cet usage était nouveau dans un pays où le don est d’abord un échange, un lien réciproque et personnel qui cimente d’ordinaire les relations de clientèle et de patronage, en particulier politiques.

3Plus généralement, l’opération catalysait en un projet et un moment les recompositions du don, de l’entrepreneuriat et de la responsabilité des classes dirigeantes au Kenya. En effet, la philanthropie des entrepreneurs kényans soulève deux problèmes liés. En premier lieu, le don tel qu’il est mis en œuvre dans l’entreprise philanthropique diffère du don clientéliste d’ordinaire pratiqué dans le pays. Il se présente comme un don à la fois d’argent et de compétences, et se justifie comme un service donné à la société dans son ensemble. C’est un don qu’on pourrait dire indifférencié, sinon aveugle, là où le don clientéliste a pour particularité de valoir précisément parce qu’il est discriminant, et que dans le champ de cette discrimination il matérialise les droits et les obligations des dominants envers les dominés. Dans quelle mesure, dès lors, le don philanthropique des entrepreneurs fait-il sens au Kenya ?

4Ensuite, cette philanthropie se fait selon des normes, voire souvent au nom d’organisations ou de fondations internationales. Quand ils ne donnent pas dans le cadre d’un club lié à une fondation telle que le Rotary, les entrepreneurs philanthropes se posent volontiers en héritiers de Rockefeller et Carnegie, en disciples de Warren Buffet, de Bill et Melinda Gates. Quelles dynamiques président à l’importation de normes et de formes sociales de légitimation dont la généalogie renvoie à d’autres contextes ?

5Le don civique ne fait pas seulement sens parce que « noblesse oblige ». Il donne davantage à voir et à penser la formation des groupes dominants. Dans son ouvrage sur les « financiers-philanthropes » de Wall Street, Nicolas Guilhot insiste par exemple sur l’homologie formelle qui lie reproduction du capital financier et don philanthropique, dès lors que l’un comme l’autre procèdent d’une croyance en leur rentabilité propre, en leur rendement [5]. La charité des entrepreneurs kényans est différente, car in fine il s’agit autant d’un don d’argent que de compétence. À l’inverse des financiers dépeints par N. Guilhot, ceux qui nous intéressent ici sont des « opérationnels », des patrons, des managers, des cadres, des professions libérales, impliqués dans le processus de production [6]. Leur don procède d’une rationalité gestionnaire, selon laquelle un investissement est d’abord une affaire de normes, de procédures, de contrats, de performance. Son étude est un moyen d’éclairer les points de friction qui divisent les élites, en termes d’éthique économique et d’engagement civique. Elle révèle les affrontements politiques dans lesquels se joue le renouvellement des élites et de leur ethos économique.

6Par ailleurs, les transformations du don civique au Kenya ne font pas qu’accompagner les libéralisations économiques et politiques que le pays connaît depuis la fin des années 1980, sous l’impulsion des institutions économiques internationales. Rien ne permet d’établir un rapport isomorphique entre la croissance au Kenya de fonctions et de professions liées à la banque ou au droit et un type particulier de charité qui serait partout le même [7]. Le recours croissant à des répertoires internationalisés du don civique – des grandes fondations philanthropiques à la Corporate Social Responsibility – s’apparente davantage à un jeu d’import/export symbolique [8] : l’usage des répertoires transnationaux produit des effets de légitimation locale au profit de certains segments de l’élite, suivant une logique d’extraversion assez commune en Afrique [9].

7Pourtant, s’en tenir à cette approche encourage une lecture utilitariste de pratiques qu’on ne peut pourtant réduire à des stratégies de pouvoir intentionnelles [10]. Pour saisir leur sens, il faut restituer à la fois ce qu’elles comportent de jeu, de sociabilité par exemple [11], qui dans sa trivialité même révèle une dimension plus large : l’idée que ces pratiques participent d’un processus de subjectivation [12], c’est-à-dire de la constitution d’un segment de classe comme sujet moral [13], qui fait aussi de la philanthropie un rapport à soi, une ascétique, un mode d’interprétation de ses propres conduites.

8Esquisser l’histoire récente de la charité au Kenya, c’est donc s’intéresser aux transformations du lien entre le don, l’autorité et la vertu civique, et à leur rôle dans la formation des élites kényanes. Il faut les étudier à l’intersection des dynamiques collectives et individuelles : comme manifestation d’un nouveau « style d’échange social [14] », d’abord, nourri par la crise de l’État et de sa structure clientéliste depuis la fin des années 1980 et la mise en œuvre de politiques d’« ajustement structurel » qui impliquent la promotion dans l’espace public de modes de gestion dépolitisés propres à l’entreprise privée [15]. Comme formation d’un groupe social, ensuite, par lequel une communauté élitaire répond à ces changements, face à l’expérience commune qu’elle en a et contre d’autres groupes [16]. Comme mutation éthique, enfin, dès lors que ces interactions affectent les chronologies de l’extraversion symbolique, c’est-à-dire les variations d’intensité qui s’appliquent à l’importation de certains modèles d’honorabilité [17].

La mise en cause des répertoires éthiques nationaux de l’accumulation

Du charbon à l’or

9La relation entre richesse, respectabilité, et vertu civique n’est pas nouvelle au Kenya : elle habitait les débats politiques des leaders nationalistes kikuyu sur la responsabilité politique et la séniorité sociale [18]. Plus tard, dans un Kenya devenu indépendant, la richesse personnelle et son inégale redistribution communautaire étaient au fondement de la légitimité politique de leaders devenus Big men[19]. Le don collectif était d’abord un patronage, un échange social autant qu’économique. La prodigalité des puissants cimentait la loyauté politique de leur clientèle. La distinction entre hommes d’affaires et politiciens n’avait donc rien d’évident, alors que l’archétype de l’élite kényane était d’abord un entrepreneur multiforme. Sous le régime du président Kenyatta (1963-1978), tout au plus pouvait-on différencier, encore que de manière incertaine, ceux qui s’étaient enrichis à partir du pouvoir politique, de ceux qui à partir de l’accumulation intérieure, en particulier d’origine agricole, avaient accédé au pouvoir [20]. Ceux-là participaient cependant d’un même ethos de l’accumulation. Les hauts fonctionnaires ne faisaient pas exception, qui eurent dès 1971 l’autorisation de combiner responsabilités administratives et entrepreneuriat [21]. Le profil de l’entrepreneur entré en politique n’était peut-être pas mieux incarné que par le tribun « J. M. » Kariuki : ancien combattant Mau Mau, reconverti dans l’agriculture et les affaires, député depuis trois ans déjà lorsqu’interviewé en 1966 par le Sunday Nation il évoquait une prospérité que son appartenance nouvelle au Jockey Club venait consacrer [22]. Morts à quelques jours d’intervalle en février 2012, les richissimes Njenga Karume et John Michuki incarnaient encore dans le Kenya contemporain cette génération de l’Indépendance qui avait fait fortune en mêlant responsabilités politiques et entrepreneuriat multiforme : thé, café, brasseries, transports. Cette génération clamait haut et fort qu’elle n’était partie de rien, et que sa richesse ne devait qu’au mérite. Mérite qui légitimait leur prééminence sociale comme leur participation à la vie politique. Mérite qui enfin permettait de jeter un voile pudique sur ce que cette première génération d’entrepreneurs devait à sa coopération avec les élites coloniales. Au crépuscule de sa vie, Njenga Karume avait ainsi titré sa biographie Du charbon à l’or, entretenant une nouvelle fois le mythe kényan d’une république inégalitaire mais méritocratique [23]. Confrontée à des circonstances bien moins favorables, la génération d’entrepreneurs qui suivit mit cette croyance à l’épreuve.

Le temps des « entrepreneurs martyrs »

10À la fin des années 1990, dans les geôles de la prison de Kamiti où il écrivait alors ses mémoires [24], Peter Njoroge Ng’ang’a se lamentait du dévoiement du régime Nyayo du président D. A. Moi [25]. Cet entrepreneur kikuyu, né d’une famille humble de Banana Hill dans le district de Kiambu, avait grimpé un à un les échelons menant à la prospérité. Diplômé de la prestigieuse et méritocratique Starehe School, il y avait découvert Think and Grow Rich de Napoleon Hill, un ouvrage qui l’imprégna au point qu’il devait s’en revendiquer jusqu’à ses derniers jours. Il avait débuté sa carrière comme contrôleur qualité dans l’industrie agroalimentaire, s’enrichissant déjà en jouant les usuriers auprès d’employés subalternes. Bientôt licencié pour ces activités financières parallèles, suivant encore la devise de son école « viser haut [26] », il se lança avec des fortunes diverses dans la production et la commercialisation de cirage, puis de bougies et d’encre à stylos. La production de boissons alcoolisées promettait de grands profits. Il fit donc construire une première distillerie dans son village natal, qui fut fermée par les autorités dès lors qu’il fut avéré que sa production avait entraîné l’assèchement du puits communal. Au début des années 1980, il avait alors migré à Naivasha, dans la Vallée du Rift, où il avait changé son nom en Fai Amario [27], se revendiquant de son identité d’entrepreneur plutôt que de toute autre, et avait recommencé à produire une liqueur d’ananas à base de rhum, Rumlika, qui ne connut qu’un succès limité. Fort d’un séjour en Israël où il avait effectué une formation en viticulture, il se lança enfin au début des années 1990 dans la production de vin, tout en entretenant parallèlement une florissante compagnie de taxis-motos. Fai Amario fit alors face à la concurrence féroce de Peter Kuguru, le roi kényan du soda, qui se lançait lui aussi dans les breuvages alcoolisés. Un jour de 1996, Fai Amario fut arrêté. Il fut accusé et jugé coupable d’avoir assassiné deux de ses employés et d’en avoir torturé un autre en lui enfonçant des clous dans le crâne. De la prison où il purgeait sa peine, Fai Amario se plaignait d’avoir été victime d’un complot de Kuguru, qui avait acheté aux autorités l’éviction de ce concurrent ambitieux et gênant. Il s’en prenait au régime, au tribalisme, et dans un état des lieux sans concession des dérives du pays suspectait les riches de se livrer aux pratiques les plus douteuses : la corruption, mais également la sorcellerie, narrant dans ses textes la rumeur d’entrepreneurs proches du pouvoir dont la richesse soudaine pouvait s’expliquer par le trafic international d’organes clandestinement extraits de jeunes vierges dans des boucheries humaines dissimulées au cœur des beaux quartiers de Nairobi [28]. Il appelait à un Kenya délivré de ces dérives et refondé selon de nouveaux principes. De sa cellule, il écrivit aux États-Unis à la Napoleon Hill Foundation, faisant part de son vœu de fonder au Kenya une école Napoleon Hill qui inculquerait aux jeunes Kényans les principes immortels et vertueux de Think and Grow Rich et The Science of Personal Achievement.

11Au-delà de sa personnalité haute en couleurs, Fai Amario était emblématique d’une génération d’entrepreneurs frustrés par la corruption du régime Moi (1978-2002) et sa prédation à l’encontre de l’entrepreneuriat privé, et ce d’autant plus qu’il en avait été une victime particulièrement malheureuse.

12Les hommes d’affaires kikuyu étaient particulièrement visés par le régime. Les nouvelles élites kalenjin occupèrent peu à peu l’essentiel des positions d’accumulation, accélérant la « dé-kikuyisation » de l’économie par des moyens souvent brutaux [29]. Le fonctionnement de l’État se criminalisait entre les mains des familles Moi et Biwott, avec le soutien d’une clique de grands patrons indiens. Le pillage des ressources étatiques s’accrut encore à la fin des années 1980, à la suite des réformes d’« ajustement structurel [30] ». La crise économique dans laquelle le pays s’engouffrait affectait les ressources du clientélisme. L’État se fondait en une multiplicité de dispositifs semi-légaux, alors que les marchés publics reposaient plus que jamais sur des attributions arbitraires. Elles consacraient comme partout l’exclusion des élites kikuyu des ressources étatiques d’accumulation [31].

13Compte tenu des conditions concrètes d’accès à certains marchés, en particulier publics, il serait naïf de croire que les entrepreneurs qui furent les victimes de ces pratiques de disqualification étaient réticents à s’y livrer eux-mêmes. Il n’en reste pas moins qu’ils vécurent pour la plupart leur éviction comme une injustice. Cette dernière était d’autant plus vivement ressentie que ces tactiques devenues ordinaires de la concurrence commerciale se doublaient d’une prédation constante des agents de l’administration sur les revenus de l’entreprise privée, via par exemple des prébendes arbitrairement ponctionnées lors de l’émission des licences d’importation, d’exportation ou de production. Le régime Moi fut à ce titre et pour la société kényane une période de transformations profondes des figures de la réussite sociale et de l’accomplissement de soi [32], et d’abord parmi les segments dominés de l’élite économique. C’est-à-dire ceux qui firent le plus vivement l’expérience de leur exclusion des réseaux de patronage et de l’accès à l’État et à ses rentes. La présidence Moi fut donc plus largement que sous le précédent régime Kenyatta une période de questionnement et de contestation des origines de la richesse matérielle. D’une part, l’effondrement économique du pays, largement accentué par les politiques d’ajustement structurel, permettait d’inscrire l’échec individuel dans une narration qui en attribuait la responsabilité au chef de l’État, à ses alliés et à leur pratique du pouvoir. Les difficultés économiques rencontrées par le pays affectèrent en effet les ressources classiques du clientélisme. En conséquence, le régime eut recours pour se maintenir en ces temps de pénurie à l’instrumentalisation violente des tensions ethniques, davantage encore qu’à l’entretien de réseaux de patronage inclusifs [33]. D’autre part, comme le suggèrent les écrits d’un Fai Amario, la richesse elle-même devenait suspecte, a fortiori lorsqu’elle avait été rapide, puisqu’elle était le stigmate d’une collusion avec l’élite politique en place et d’une affinité avec ses pratiques népotiques. Elle était livrée à la critique de ceux qui en étaient exclus, et en particulier les entrepreneurs kikuyu, qui eurent de plus en plus maille à partir avec un pouvoir rendu paranoïaque par le coup d’État de 1982. Dans une fraction croissante de ces élites de la province Centrale, mise à l’écart des voies d’accumulation étatiques, les « nouveaux riches » du régime Moi rompaient avec la culture méritocratique de l’accès à la prospérité. La vieille génération des hommes d’affaires de l’Indépendance condamnait la richesse rapide des nouveaux favoris du pouvoir, qui mettait à mal l’idéal méritocratique qu’ils avaient longtemps revendiqué. On blâmait ainsi ces gens qui « autrefois conduisaient des Volkswagen, et qui désormais roulaient en Mercedes Benz ou en BMW ». On déplorait le fait que « des instituteurs bien introduits dirigeaient désormais des entreprises parapubliques. Les autodidactes n’étaient plus de mise. Rien, des toilettes publiques en ville aux pans de plages sur la côte, n’était épargné par cette prédation politiquement correcte ». Refusant les faveurs du nouveau régime, l’homme d’affaires Mbugua Githere défendait qu’une richesse trop vite acquise eût dénaturé ce pour quoi il avait autrefois travaillé dur, et que les gens n’eussent plus reconnu en lui l’image du self-made-man à laquelle il aspirait [34]. Outre la notion du mérite, celle de compétence venait appuyer une critique de ceux qui ne devaient leur position sociale qu’au népotisme. Par-delà cette critique des nouveaux riches du régime Moi, c’est plus largement la figure même de l’homme politique, du professionnel du clientélisme qui s’en trouvait critiquée, et ce d’autant plus que le contexte économique des années 1990 accentuait l’assèchement de ses ressources.

Extraversion et rêve d’une obligation sociale apolitique

14Pour les entrepreneurs africains, la philanthropie embrassait jusque-là les contours de la communauté ethnique. Les tontines publiques, les Harambee, réunissaient les résidents d’une localité autour des politiciens et hommes d’affaires du cru afin de financer des projets de développement, tels des écoles ou des dispensaires. Associant des réseaux horizontaux d’obligations entre politiciens, hauts fonctionnaires, et hommes d’affaires, ils cimentaient également les liens de patronage verticaux, entre populations et élites locales et nationales. De ce fait, ce dispositif devint bientôt la principale matrice du clientélisme d’État au Kenya [35]. Aussi pour les hommes d’affaires la philanthropie était-elle d’abord le don, en général substantiel, accordé lors de ces réunions. Elle comprenait également la participation à des associations de solidarité ethnique, telles que par exemple la Gikuyu Embu Meru Association (GEMA). C’est que la plupart des entrepreneurs kényans furent longtemps convaincus que l’ethnie était le seul commencement possible de toute association significative avec les gens du peuple [36]. Cependant, il apparaissait impossible de libérer ces associations ethniques des interférences politiques, peut-être tout simplement parce que l’ethnie ne pouvait guère être autre chose qu’une communauté politique partisane. Les présidents successifs cherchèrent donc soit à les coopter, soit à les éliminer. Sous Moi, l’exclusion progressive de ces associations et de leurs dirigeants des réseaux de patronage permit l’émergence de formes de charité spécifiques qui se voulaient autant que possible libérées des agendas politiques. Les contours de l’entraide s’élargirent et un nombre croissant d’hommes d’affaires et d’entrepreneurs s’engagèrent dans une philanthropie qui prenait pour modèle des répertoires caritatifs transnationaux.

15Il faut cependant souligner que cet investissement allait de pair avec une contestation politique portée par des hommes d’affaires et des juristes écartés du pouvoir, qui promouvaient pour le salut du pays l’adoption et la pratique de mesures libérales en tout point [37]. En coulisses, l’opposition trouva l’appui financier de grands patrons kényans d’entreprises multinationales implantées au Kenya. Le Democratic Party de Mwai Kibaki, crée au début des années 1990 et qui porta ce dernier au pouvoir en 2002, était tout entier structuré sur l’alliance entre hauts fonctionnaires et politiciens déchus, grands patrons de branches kényanes de multinationales, et membres des professions libérales, dont les avocats « progressistes » de la Law Society of Kenya. Au sein de cette opposition, les rôles élitaires étaient beaucoup plus différenciés et spécialisés qu’ils ne l’avaient été auparavant, du fait du contexte répressif de ces années et de la crise de l’accumulation économique locale. En outre, le savoir technocratique de ces professions, leur rapport aux normes internationales et la circulation de leurs membres, pour études ou pour affaires, joua beaucoup dans la recomposition de l’accumulation économique et du don civique à partir des années 1990. Elle consacrait l’explosion du cadre jusque-là ethnique qui cimentait les relations d’obligations réciproques entre dominants et dominés, entre accumulation et redistribution. Paradoxalement, cette configuration nouvelle était aussi celle d’une solidarité entre élites kikuyu. Ces dernières, pour accéder de nouveau au pouvoir, dans le contexte nouveau d’élections multipartites, n’avaient d’autre choix tactique qu’embrasser une éthique nationaliste, et non plus ethnique, des relations entre élites et gouvernés.

16Le parcours de James Gachui, l’un des financiers-philanthropes [38] kényans les plus emblématiques du pays, en témoigne. À l’heure de sa mort en 2010, à l’âge de 62 ans, cet homme « habité par le feu de l’entrepreneuriat » était à la tête d’un empire financier évalué à plus de cinq milliards de shillings [39]. Formé à l’université du Surrey, cet ingénieur chimiste avait fait l’essentiel de sa carrière dans les filiales est-africaines des grands groupes pétroliers, avant de bâtir une fortune comme président fondateur du plus important fonds d’investissement Private Equity kenyan, TransCentury. Gachui avait associé à sa fortune en affaires une renommée de philanthrope. Il avait présidé le Rotary Club de Nairobi North, avant de devenir le gouverneur adjoint de la fondation américaine pour l’Afrique de l’Est, et siégeait dans les conseils de direction de plusieurs ONG. Rotarien, il avait exercé sa générosité selon les canaux promus par la fondation internationale. Il avait défendu avec elle la pratique d’une charité indifférenciée et l’accès à la dignité des vocations professionnelles par leur mise au service de la société. Il avait mis en avant les exigences d’intégrité qui devaient présider à ces pratiques. Il ne s’était jamais impliqué directement en politique, que ce fut par des positions électives ou des fonctions gouvernementales. Certes, ses amitiés dans la haute élite politique kikuyu étaient connues et il est évident qu’elles contribuèrent beaucoup à sa fortune. Mais il n’utilisa pas directement cette dernière à des fins politiques.

17James Gachui devint rotarien au milieu des années 1990s, à une époque où au Kenya les clubs fondés par des Africains se multipliaient. Cette africanisation était un phénomène nouveau. Le Rotary était certes présent depuis 1930 à Nairobi, mais seuls deux clubs existaient au Kenya à l’Indépendance en 1963. La fondation s’était surtout, par ses clubs, implantée dans le pays à partir des années 1960-1970 sous l’impulsion des entrepreneurs d’origine indo-pakistanaise et des expatriés. Les premiers membres africains avaient rejoint le Rotary club de Nairobi, le plus ancien et le plus prestigieux, à la fin des années 1960. Ils demeuraient cependant marginaux dans l’institution : l’ingénieur Joe Wanjui, qui avait fait sa carrière chez Esso avant de prendre les rênes d’Unilever Kenya, le patron de presse Hannington Awori, le haut fonctionnaire Jerry Owuor. Ce n’est qu’à la fin des années 1990 et davantage encore à partir de 2002, sous la présidence de Mwai Kibaki, que se répandit chez les élites économiques africaines la pratique de la charité selon des répertoires internationalisés d’un don réputé apolitique.

Une bourgeoisie mondiale imaginée

18Les années 1980 et 1990 connaissaient donc une mutation du don, qui était d’abord un changement de l’échelle à laquelle il s’appliquait. La contribution des élites économiques dépassait le cadre ethnique et s’appliquait désormais à une communauté imaginée qui embrassait l’espace du pays tout entier. La croissance et l’africanisation des clubs Rotary au Kenya, largement multiraciaux et multiethniques, témoignaient de ce changement. Les années 2000 ont vu de même la multiplication des œuvres philanthropiques qui, animées par les grands patrons du pays, s’adressent à l’ensemble d’une communauté nationale imaginée, au-delà de ses divisions territoriales et politiques. Elles se doublent le plus souvent d’une disqualification du don politique et des jeux de pouvoir qu’il sous-tend. Outre l’échelle, elle marque une appropriation par les élites d’une éthique du désintéressement, qui, paradoxalement, produit un des répertoires de justification les plus radicaux de la privatisation des champs d’accumulation économiques.

Genèse d’une entreprise philanthropique

19L’initiative Kenyans for Kenya fut emblématique de cette tendance. C’est que l’été 2011 fut au Kenya particulièrement dur. Dans les régions du Nord, en particulier autour du lac Turkana, il ne plut pas cette année-là. Cette situation engendra la pire sécheresse depuis plusieurs dizaines d’années, affectant près de 3 millions d’individus. À la fin du mois de juillet 2011, un groupe de jeunes entrepreneurs en technologies de la communication décida de mettre en œuvre une opération caritative pour lutter contre la faim dans le Turkana. Ils lancèrent via les réseaux sociaux un appel à contributions destiné à pourvoir en vivres leurs concitoyens affamés du Nord-Kenya. De grandes entreprises locales s’associèrent en quelques jours au projet, baptisé Kenyans 4 Kenya : l’opérateur de télécommunication Safaricom, qui mit à disposition de l’opération MPESA, son service de transferts de fonds par SMS ; la Kenya Commercial Bank, la Croix-Rouge kényane, chargée de récolter les dons, ainsi que la principale entreprise de communication du pays, Gina Din.

20Au même moment, le gouvernement par son porte-parole Alfred Mutua affirmait contre l’évidence et au désaveu général qu’à sa connaissance la famine, si grave fût-elle, n’avait fait aucun mort. Pour le gouvernement, le problème de la famine ne résidait pas tant dans la faiblesse de l’agriculture locale, que dans la difficulté de transférer de l’aide alimentaire des hauts plateaux demeurés fertiles aux régions les plus arides, fautes d’infrastructures en bon état. En quelques semaines pourtant, les organisateurs de Kenyans for Kenya parvinrent à lever plus de 675 millions de shillings et à distribuer une aide substantielle dans les régions asséchées [40]. Surtout, cette aide fut l’œuvre des seuls Kényans et consista surtout à assurer la distribution dans les régions les plus touchées de la production agricole locale depuis les régions fertiles où elle se trouvait en surplus. Elle fut autant logistique que financière. L’événement mit une nouvelle fois en exergue l’incurie du gouvernement et des politiciens face aux problèmes du pays, alors que le secteur privé, mobilisé par le seul principe d’efficacité, pouvait se substituer à son action. Ils critiquaient en outre des pouvoirs publics qui avaient toujours considéré comme des sous-citoyens les habitants des régions pastorales et arides du Kenya. De grandes réunions publiques furent organisées en l’honneur des principaux donateurs au son de Daima Kenya, une composition du chanteur Eric Wainana [41] écrite en réaction aux violences postélectorales de 2007 et devenue depuis une sorte d’hymne national officieux. On organisa un grand concert avec des artistes locaux. Une quinzaine de chanteurs kényans s’unirent et composèrent ensemble une chanson caritative. Dans cette critique implicite de l’action étatique se recomposaient les termes de l’appartenance sociale : on niait au don son caractère élitaire, en insistant sur la participation de tous, et celui-ci s’adressait à l’ensemble de la communauté nationale, au-delà de tout agenda électoral. Ce que les organisateurs soulignaient en revanche, c’est que le secteur privé avait mis au service de tous son expertise et ses compétences.

21Dans le succès de Kenyans for Kenya s’étaient rejouées à grande échelle les rhétoriques et les pratiques de légitimation des entrepreneurs et professions libérales telles qu’elles se donnaient à voir dans l’intimité des service clubs et des organisations professionnelles. Depuis 2003, la Kenya Private Sector Alliance (KEPSA) tentait d’unir sous son blason et par ce discours toutes les composantes de la représentation patronale au Kenya, des syndicats industriels en passant par les instances de régulation des professions libérales, juristes, architectes ou ingénieurs. Cette fédération nouvelle défendait certes les principes de l’intégrité et du professionnalisme, mais elle le faisait surtout en face des dérives prédatrices d’une administration jugée incapable de garantir un environnement favorable à l’épanouissement du secteur privé. Elle exprimait la volonté de contraindre autant que possible les vicissitudes d’un jeu politique jugé dangereux et aventureux, et ce d’autant plus que la crise électorale de 2007 avait plongé le pays dans le sang, et son économie dans une récession passagère mais brutale. Aussi la KEPSA exprimait-elle avant tout un rapport de force, qui devait beaucoup aux relations de confiance et d’amitié tissées au sein des clubs Rotary de Nairobi : la plupart de ses membres fondateurs s’y étaient rencontrés, au point que le président, vice-président et le directeur exécutif étaient rotariens. L’idée qu’un secteur privé intègre et capable était la seule force compétente au service du développement du pays traversait depuis plusieurs années déjà le milieu des entrepreneurs et des professions libérales de Nairobi. Elle marquait en quelque sorte une privatisation de la rhétorique et des pratiques du développement, dès lors que l’État s’était montré incapable de prendre en charge le bien commun et de mobiliser à cette fin l’ensemble des Kényans. Une opération telle que Kenyans for Kenya, nouvelle par son envergure, n’était en soi pas surprenante, alors que les élites économiques reprenaient à leur compte depuis plusieurs années déjà la rhétorique du service et la promotion d’un développement apolitique face aux faillites de l’administration. Eric Kimani, le gouverneur du Rotary pour l’Afrique de l’Est, défendait ainsi que la philanthropie devait donner droit à des exemptions fiscales, puisque les fondations participaient à la construction nationale. Il invitait le secteur privé à œuvrer pour le bien public par la philanthropie, non seulement pour faire preuve de la bonne volonté des entrepreneurs kényans, mais également pour légitimer leur intervention dans le cadre de partenariats public-privé [42].

La philanthropie comme destinée et comme salut

22Au-delà de la privatisation des dispositifs d’aide d’urgence aux populations démunies, Kenyans for Kenya était remarquable à un autre titre. L’opération pouvait aussi être vue, en quelque sorte, comme une privatisation du nationalisme kényan. L’une des chevilles ouvrières du projet, Sam Gichuru, écrivait ainsi sur son blog :

23

« Kenyans for Kenya est le genre de choses dont nous voulons nous rappeler en tant que pays. Non pas de nos violences postélectorales de 2008, mais d’un peuple qui oublia ses différences et s’unit pour se sauver [43]. » Il ajoutait enfin : « L’histoire de Kenyans for Kenya me rappelle l’histoire de Moïse. Dieu demanda à Moïse : « Que tiens-tu ? », et il répondit : « Une canne. » Alors que Moïse voyait une simple canne, Dieu vit un outil qui pouvait être utilisé pour apporter le changement. […] Comme Moïse, nous nous sommes servis de nos outils de tous les jours, nos compétences, les caissiers au supermarché, les étudiants via les SMS, Facebook et Twitter, et le résultat fut un milliard de shillings, les gens ont été nourris, on discute déjà de stratégies pour garantir la durabilité de l’opération, voilà le pouvoir de l’unité en moins de soixante jours [44]. »

24L’allégorie biblique associait les compétences rassemblées de ces entrepreneurs à la canne de Moïse qui fit jaillir l’eau du rocher, à Horeb dans le désert de Sîn (Exode, 17, 1-7). Il faut rappeler pour mieux comprendre l’allégorie que les narrations du nationalisme kényan ont toujours eu recours aux métaphores de l’Exode, comme paraboles de la destinée du pays. La canne de Moïse était aussi celle dont étaient nés les miracles, par lesquels les Hébreux s’étaient reconnus unis dans la destinée commune d’un peuple élu, et qui les avaient délivrés enfin de la cruauté de Pharaon. La métaphore impliquait le combat contre une autorité malveillante, qui ici prenait les traits des politiciens tribalistes, corrompus et qui livraient à la violence des Kényans aveuglés par la fiction de leurs divisions ethniques. Le combat contre la sécheresse était alors ce miracle dans lequel les Kényans redevenaient un. L’articulation entre les notions mêmes de compétence, de service et de charité et leur intervention au secours du pays ne pouvait donc se comprendre que comme une narration chrétienne. Elle était certes adossée à une économie politique bien particulière, mais elle s’inscrivait néanmoins dans la longue généalogie des narrations bibliques du nationalisme kényan. Dès lors, la lutte contre la corruption et pour l’intégrité professionnelle, incarnée par exemple dans l’action du Rotary, n’échappait pas à une domestication chrétienne du propos : ainsi le « tsar » kényan de la lutte anticorruption, PLO Lumumba, en appelait à se délivrer des démons du népotisme et du tribalisme sur le ton et avec les mots d’un psaume, lors des corporate breakfasts du Rotary.

25La composante nationaliste de la philanthropie kényane ne dit cependant rien de son tropisme paradoxal pour les répertoires internationaux du don. Comme on l’a vu plus haut, ce mimétisme institutionnel procède à la fois d’un processus de spécialisation élitaire et du rejet de certains imaginaires vernaculaires du don et de la réussite sociale, désormais jugés corrompus. Elle ne constitue cependant pas pour autant une nouveauté. L’extraversion – l’usage des ressources de l’étranger à des fins de légitimation locale – était constituante de la plupart des pouvoirs africains, et ce bien avant même la colonisation [45]. Dès les années 1930, les Kényans avaient fait appel aux principes de la monarchie britannique pour les protéger des excès du colonialisme [46]. Il n’y avait donc aucune raison pour que les figures de la réussite et de la respectabilité ne procèdent pas d’une même logique, fut-ce de manière hybridée, a fortiori chez des segments de l’élite qui sous Moi avaient fait l’expérience de l’humiliation et de l’exclusion des faveurs politiques. On pourrait même penser qu’ils y étaient tout particulièrement disposés, du fait de la nature nécessairement transnationale de toute accumulation capitaliste, et de la mobilité internationale à laquelle aspirait en conséquence cette classe d’individus [47]. Ainsi, dans les années 1990, Fai Amario écrivait en prison des missives désespérées à Dennis Kimbro, le président de la Napoleon Hill Fundation et au révérend Jesse Jackson, requérant l’aide des Noirs américains pour « sauver l’Afrique d’elle-même [48] ». Amario projetait alors de sortir le Kenya de l’ornière en se présentant aux élections présidentielles, sous un programme politique inspiré des préceptes de Napoleon Hill. L’hymne qu’il avait choisi en appelait déjà à un ailleurs radicalement différent de ce qui constituait alors la culture politique du Kenya : « Nous connaissons un endroit/Nous vous y emmènerons/Où la Haine n’est pas/Où la Guerre n’est pas/Où la Justice règne (x2)/Pour Tous [49] ».

Une appartenance à une modernité téléologique

26Les propos d’un Fai Amario laissent entendre un phénomène plus récent. C’est, du fait de cette extraversion même, le refus de l’indignité, de l’abjection [50] dans laquelle la globalisation relègue les Africains. Elle renvoie en permanence aux Kényans l’image d’un pays sous-développé, dont l’indice de développement humain est classé 148e par les Nations unies, et dont les figures historiques de la réussite sociale se trouvent condamnées par les normes internationales. Le refus de l’abjection va de pair avec le rejet de ceux qu’on estime en être les responsables, au premier rang desquels les politiciens et leurs pratiques. Le caractère nationaliste de la philanthropie que nous avons évoqué plus haut procède alors d’une volonté de voir le Kenya devenir une nation comme les autres, et dans ce devenir réaliser la dignité des destinées individuelles. Il s’agit d’abord d’un nationalisme qui vise à restituer ces élites économiques dans leur rôle directeur de bourgeoisie [51]. Cependant, le terme de bourgeoisie ne s’applique pas tant ici comme réalité que comme aspiration et comme mythe, au double sens d’une narration fictive et d’un système de croyances qui encadre les jugements et oriente les actions [52]. Ce mythe se nourrit pour l’essentiel d’une narration téléologique du développement économique, qui inscrit le pays dans une destinée similaire à celle des pays occidentaux, mais aussi et surtout des pays à l’« émergence » plus récente, en particulier Singapour. C’est dans l’invention mimétique de ce rôle directeur de cheville ouvrière d’un développement national qui ferait du Kenya le Singapour de l’Afrique qu’il faut comprendre le succès de la philanthropie chez les élites économiques. La « communauté imaginée [53] » des bourgeois kényans est alors une communauté civique d’entrepreneurs et de professions libérales altruistes, chacun œuvrant dans son pays au bien public par la mise au service du développement de ses compétences professionnelles, de son temps, et d’une partie de ses profits. La philanthropie est ce certificat de vertu et de responsabilité accordé au secteur privé kényan, qui l’inscrit dans une relation d’homologie avec le rôle joué par le secteur privé dans d’autres pays au destin désirable. C’est en cela qu’on la conçoit ici comme un mode d’appartenance [54] à ce qu’on se propose de nommer une bourgeoisie mondiale imaginée.

27La notion embrasse deux dimensions liées. En premier lieu, elle est une « communauté imaginée » dont les membres n’ont guère besoin de se connaître personnellement pour faire groupe et concevoir leur unité de destin, en dépit de leurs éventuelles disparités de revenu ou de statut. Ensuite, elle est une forme d’appartenance, de membership, d’inclusion qui porte la promesse d’intégration et de reconnaissance dans un ordre mondial au sein duquel les Kényans trouveraient dignité collective et accomplissement individuel [55]. Elle se manifeste par une multitude de mimétismes institutionnels et sociaux. Il ne s’agit ni d’une parodie de la domination postcoloniale du Nord, ni une imitation servile des pratiques par lesquelles elle se manifeste. Elle est bien, en revanche, une réaction et une revendication d’appartenance à la modernité dans un monde extrêmement inégal qui pourtant ne cesse de renvoyer l’Afrique et les Africains à la marginalité de leur condition économique [56].

28Cette bourgeoisie mondiale imaginée est donc pleinement un mode de subjectivation : comme lutte, puisque sa formation doit beaucoup au rejet des élites de l’ère Moi et de leurs pratiques. Comme style de vie, dès lors que la dignité et la respectabilité se réalisent dans des consommations, des stratégies résidentielles, des habitudes vestimentaires, des pratiques alimentaires, culinaires, sportives similaires à celles des classes dirigeantes des pays dont la trajectoire socio-économique est jugée exemplaire pour le Kenya. Comme téléologie, dès lors que ces styles de vie élitaires sont associés à une modernité réputée désirable, qui inscrit le Kenya dans le sillage d’autres pays « développés ». En faisant du destin des élites une affaire nationale, elle dépolitise les hiérarchies sociales : le style de vie des élites, aussi inaccessible soit-il à l’immense majorité des Kényans, est vécu et présenté comme une modernité désirable pour tous, et les dominants ne prétendent jamais incarner que l’avenir du plus grand nombre.

Conclusion

29La naissance d’une éthique caritative de l’entrepreneuriat au Kenya doit donc beaucoup aux processus d’exclusion des réseaux de patronage opérés sous la présidence Moi, cette expérience ayant favorisé une recomposition des ethos de l’accumulation. Elle s’est plus largement construite sur les frustrations d’une classe d’entrepreneurs, en particulier kikuyu, qui a ressenti cette exclusion comme une injustice. Elle a marqué la naissance d’une forme spécifique de critique à l’égard du champ politique, qui s’est perpétuée au-delà de l’effondrement du régime Moi pour être réactivée face aux excès de la présidence Kibaki : les grandes affaires de corruption, mais aussi et surtout les violences électorales de 2007-2008, qui outre la mort de près d’un millier de citoyens kényans et le déplacement forcé de plusieurs centaines de milliers d’entre eux, a beaucoup coûté au secteur privé. La nouvelle éthique de l’accumulation et de la redistribution que l’on a décrite doit enfin son succès à son articulation à une narration téléologique du développement et de la modernisation. En ce sens, la philanthropie, tout comme l’impératif d’intégrité qui souvent l’accompagne, est d’abord un rapport à l’avenir et à la représentation d’un Kenya réputé désirable. La « cité » dont les entrepreneurs se réclament est d’abord celle du futur. Celle que leur promet par exemple le plan Vision 2030, au terme duquel le Kenya devenu grâce à leurs efforts un middle income country, fier de ses trains à grande vitesse et de sa Silicon Savannah [57], leur offrira un espace dans lequel en tant qu’individus ils pourront s’accomplir enfin.

30Il n’en demeure pas moins que la philanthropie, si elle se nourrit moralement des crises – et en premier lieu celle de l’État, de l’autorité politique et du patronage –, ne les résout pas, dans un pays où la redistribution des ressources, en particulier foncières, demeure profondément inégalitaire et où l’expression des écarts de richesse n’a jamais été aussi violente qu’aujourd’hui. Les entrepreneurs kényans rêvent certes d’un État sans politiciens plus que d’une économie sans État. Mais ce rêve d’efficacité s’accompagne indéniablement d’une volonté politique de privatiser les moyens de l’accumulation économique, dont ces élites réputées vertueuses seraient rendues seules responsables. Il ne faut pas oublier que les aspirations des entrepreneurs à la prévisibilité et à la sécurité des investissements le conduisent à vouloir se soustraire des vicissitudes du jeu politique, c’est-à-dire à les éloigner des mains des politiciens élus, comme du regard des électeurs. Le redéploiement de l’État sous le régime Kibaki s’est en effet caractérisé depuis 2002 par la mise en place de lois-cadres sur les partenariats public-privé, les zones économiques spéciales défiscalisées, doublées d’un gouvernement par agences para-étatiques qui forment l’architecture institutionnelle du plan Vision 2030. Plan construit sur l’imagination d’un avenir réputé désirable pour tous, et de ce fait rendu incontestable dans son objectif comme dans ses moyens d’exécution. C’est un projet qui travestit les héritiers des vieilles dynasties politiques en entrepreneurs civiques vertueux, progressistes et philanthropes, tout en soustrayant du débat public leurs moyens d’accumulation. Reste que l’histoire économique du Kenya peut d’abord se lire, de la Seconde occupation coloniale [58] à nos jours, comme une série de modernisations faillies, de téléologies manquées. Et que dans le possible effondrement de cette nouvelle « vision », rien n’indique que la philanthropie des entrepreneurs soit véritablement porteuse d’un futur qui ait plus d’avenir que ceux qui l’ont déjà précédé.


Date de mise en ligne : 15/04/2015

https://doi.org/10.3917/pox.108.0121

Notes

  • [1]
    « Ramenons Zach à la maison ».
  • [2]
    http://www.bringzackbackhome.com, consulté en juillet 2012.
  • [3]
    Environ 730 000 euros, pour une opération qui visait à en réunir 2,5 millions.
  • [4]
    Environ 6 000 euros.
  • [5]
    Guilhot (N.), Financiers, philanthropes. Sociologie de Wall Street, Paris, Liber, 2006, p. 26-32, p. 124-126.
  • [6]
    Sur la distinction marxienne entre capital financier et opérationnel, cf. Guilhot (N.), « Une vocation philanthropique. George Soros, les sciences sociales et la régulation du marché mondial », Actes de la recherche en sciences sociales, 151-152, 2004, p. 30.
  • [7]
    Meyer (J.), Rowan (B.), « Institutionalized Organizations : Formal Structure as Myth and Ceremony », American Journal of Sociology, 83, 1977.
  • [8]
    Coeurdray (M.), « Le double jeu de l’import-export symbolique » et Dezalay (Y.), « Les Courtiers de l’international. Héritiers cosmopolites, mercenaires de l’impérialisme et missionnaires de l’universel », Actes de la recherche en sciences sociales, 151-152, 2004.
  • [9]
    Bayart (J.-F.), « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale, 5, 1999.
  • [10]
    On suit ici les recommandations de Bertrand (R.), « Penser le Java mystique de l’âge moderne avec Foucault : peut-on écrire une histoire “non intentionnaliste” du politique ? », Revue internationale des sciences sociales, 191, 2006.
  • [11]
    Au sens formel de Simmel (G.), Sociologie et épistémologie, Paris, Presses universitaires de France, 1981, p. 132.
  • [12]
    Foucault (M.), Histoire de la sexualité, tome III. L’Usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984, tel qu’utilisé par Bayart (J.-F.), « Total Subjectivation », in Bayart (J.-F), Warnier (J.-P.), dir., Matière à politique. Le Pouvoir, le corps et les choses, Paris, Karthala, 2004.
  • [13]
    On suit ici Bertrand (R.), État, noblesse et nationalisme à Java. La Tradition parfaite, Paris, Karthala, 2005 et « L’ascèse pour la gloire. Trajectoires notabiliaires de la noblesse de robe à Java (XVIIe-XIXe siècles) », Politix, 65 (17), 2004.
  • [14]
    On emprunte la notion à Brown (P.), Genèse de l’Antiquité tardive, Paris, Gallimard, 1983, p. 15-19. Il est notable que l’expression apparaisse seulement dans l’introduction à l’édition française, et non dans la version originale en anglais, Brown (P.), The Making of Late Antiquity. Carl Newel Jackson Lectures, Cambridge, Harvard University Press, 1993 [1re éd. 1978].
  • [15]
    Sur la notion de « cité par projet », cf. Chiapello (È.), Boltanski (L.), Le Nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, et sur la philanthropie comme projet cf. Guilhot (N.), Financiers, philanthropes…, op. cit. Pour une réflexion similaire sur la dépolitisation appliquée au développement et aux libéralisations en Afrique, cf. notamment, Ferguson (J.), Anti-Politics Machine : Development, Depoliticization, and Bureaucratic Power in Lesotho, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1990 et Englund (H.), Prisoners of Freedom. Human Rights and the African Poor, Berkeley, University of California Press, 2006.
  • [16]
    Dans un sens emprunté à la définition que E. P. Thompson donne de la formation des classes sociales : « An historical phenomenon […] which happens when some men, as a result of common experience (inherited or shared), feel and articulate the identity of their interests as between themselves, and as against other men whose interests are different from (and usually opposed to) theirs », Thompson (E. P.), The Making of the English Working Class, London, Victor Gollancz, 1963, p. 1.
  • [17]
    On entend ici avec Iliffe l’honneur comme une catégorie subjective et objective, il est une estime de soi qui ne vaut que lorsqu’elle est largement reconnue par d’autres ; c’est un sentiment intime dont les critères font publiquement débat : Iliffe (J.), Honour in African History, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 4.
  • [18]
    L’étude de cette relation habite l’essentiel de l’œuvre de John Lonsdale, dans ses travaux sur l’ethos économique kikuyu et la genèse du nationalisme kényan. Cf. notamment Lonsdale (J.), Unhappy Valley. Conflict in Kenya and Africa, Athens (Oh), Ohio University Press, 1992.
  • [19]
    Médard (J.-F.), « Charles Njonjo : portrait d’un “big man” au Kenya », in Terray (E.), dir., L’État contemporain en Afrique, Paris, L’Harmattan, 1987 et « Le “Big man” en Afrique : analyse du politicien entrepreneur », L’Année sociologique, 42, 1992.
  • [20]
    Le meilleur état des controverses sur la distinction entre « bourgeoisie d’affaires » et « bourgeoisie étatique », distinction que l’on doit à M. Mamdani, et sur la faiblesse de ces catégories, est à mettre au crédit de Bayart (J.-F.), L’État en Afrique. La Politique du ventre, Paris, Fayard, 1989, p. 119 et s. Sur le Kenya, cf. en particulier Dauch (G.), « J. M. Kariuki ou l’éthique nationale du capitalisme », Politique africaine, 2 (8), 1982.
  • [21]
    Selon les recommandations de la commission Duncan Ndegwa devenues loi, ce dernier étant alors à la tête de la fonction publique kényane, avant de devenir directeur de la Banque Centrale du pays tout en faisant par ailleurs fortune en multipliant ses participations dans les minoteries, la spéculation immobilière et les assurances.
  • [22]
    Reproduit in Gertzel (C.), Goldschmidt (M.), Rothchild (D.), dir., Government and Politics in Kenya, Nairobi, East African Publishing House, 1969, p. 78-83.
  • [23]
    Karume (N.), Beyond Expectations, From Charcoal to Gold, Nairobi, African Books Collective, 2009.
  • [24]
    Amario (F.), Kamiti Notebook. Prison Memoirs of a Kenyan Industrialist, Naivasha, Fai Amario, 1999.
  • [25]
    D.A. Moi, un Kalenjin, fut président du Kenya de 1978 à 2002. Sa présidence fut marquée par à un exercice de plus en plus autoritaire et arbitraire du pouvoir et une instrumentalisation croissante en sa faveur des tensions et discriminations ethniques, en particulier à l’encontre des Kikuyu.
  • [26]
    « Natulenge Juu ». Sur Starehe School cf. Martin (R.), Anthem of Bugles : The Story of Starehe Boys Centre and School, Nairobi, Heinemann Educational, 1978.
  • [27]
    Fai était selon lui la formule chimique d’un vin espagnol et Amario se référait au nom d’un vignoble texan.
  • [28]
    La richesse jugée illégitime est souvent condamnée au Kenya sous les traits de la sorcellerie et du surnaturel, et assimilée aux pratiques de l’invisible, a fortiori lorsqu’elle ne fait pas l’objet d’une redistribution. Une large littérature a par ailleurs traité de ce sujet comme des interprétations politiques de la sorcellerie et de l’invisible, par exemple pour le Kenya l’ouvrage de White (L.), 2000, Speaking With Vampires : Rumor and History in Colonial Africa, Berkeley, University of California Press, 2000 ou plus largement pour l’Afrique les travaux de Comaroff (J.) et Comaroff (J.), Zombies et frontières à l’ère néolibérale. Le cas de l’Afrique du Sud post-apartheid, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2010.
  • [29]
    Sur le harcèlement des élites kikuyus par l’administration moi, cf. notamment Throup (D.), « The Construction and the Destruction of the Kenyatta State », in Schatzberg (M.), dir., The Political Economy of Kenya, New York, Praeger, 1987, p. 61-62 ; Waithaka (W.), Majeni (E.), A Profile of Kenyan Entrepreneurs, Nairobi, Kenway Publications, 2012, p. 63-76 ; Arriola (L.A.), Multiethnic Coalitions in Africa. Business Financing of Opposition Election Campaigns, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2013, p. 98-99, ainsi que Hornsby (C.), Kenya. A History Since Independence, Londres, I.B. Tauris, 2012, p. 443-444 et Thomas (C.), « L’économie politique d’une succession annoncée », Politique africaine, 70, 1998 et Robinson (J.), « Kenya : les appétits s’aiguisent », Politique africaine, 25, 1987, p. 116-117. Pour un récit autobiographique de ces pratiques, voir enfin Matiba (K.), Aiming High. The Story Of My Life, Nairobi, The People Ltd., 2000, p. 242-243.
  • [30]
    Sur les effets des politiques d’« ajustement structurel » au Kenya, cf. Gertz (G.), Kenya’s Trade Liberalization of the 1980s and 1990s : Policies, Impacts, and Implications, Carnegie Endowment, 2009 et Kipkemboi Rono (J.), « The Impact of the Structural Adjustment Programmes on Kenyan Society », Journal of Social Development in Africa, 1 (17), 2002.
  • [31]
    Les mécanismes de criminalisation de l’économie sont bien décrits par Thomas (C.), « Le Kenya d’une élection à l’autre : criminalisation de l’État et succession politique », Les Études du CERI, 35, 1997 et « L’économie politique d’une succession annoncée », art. cit. ; d’un point de vue autobiographique, cf. par exemple le récit de l’industriel P. Kuguru sur les importations frauduleuses réalisées par les élites kalenjin et indiennes : Kuguru (P.), Trailblazer, Breaking Through in Kenya, Nairobi, Transafrica Press, 2007, p. 128-129.
  • [32]
    On reprend ici la terminologie de Banégas (R.), Warnier (J.-P.), « Nouvelles figures de la réussite et du pouvoir », Politique africaine, 82, 2001.
  • [33]
    Grignon (F.), Maupeu (H.), « Kenya. Le Contrat social à l’abandon », Politique africaine, 70, 1998.
  • [34]
    Gicheru (M.), Mbugua Githere. A Handful of Terere. A Biography, Nairobi, Longhorn, 2008, p. 121-122.
  • [35]
    Bourmaud (D.), Histoire politique du Kenya, Paris, Karthala, 1988.
  • [36]
    Ndegwa (D.), Walking in Kenyatta Struggles. My Story, Nairobi, Kenya Leadership Institute, 2006, p. 505.
  • [37]
    Dès le début des années 1990, les revendications des différents Forum for the Restoration of Democracy associaient multipartisme et libéralisation de l’économie cf. Grignon (F.), « Le multipartisme au Kenya ? Reproduction autoritaire, légitimation et culture politique en mutation (1990-1992) », Travaux et Documents de l’IFRA, 12, Nairobi, 1993.
  • [38]
    On reprend ici l’expression de N. Guilhot, op. cit.
  • [39]
    Environ 50 millions d’euros. Selon les chiffres du quotidien économique Kenyan, le Business Daily, 20 décembre 2010.
  • [40]
    Soit plus de 6,7 millions d’euros.
  • [41]
    Naishi, Natumaini/Najitolea daima Kenya/Hakika ya bendera/Ni uthabiti wangu/Nyeusi ya wananchi na nyekundu ni ya damu/Kijani ni ya ardhi, nyeupe ya amani/Daima mimi mkenya/Mwananchi mzalendo [Je vis, j’espère, je me consacre au Kenya/Sans nul doute son drapeau est mon inébranlable soutien/Le noir est son peuple, le rouge est son sang/Le vert est son sol/Le blanc est la paix/Pour toujours je suis kényan/Un citoyen et un patriote].
  • [42]
    Kimani (E.), « Take Philanthropy to the next level by creating water-tight guidelines », Business Daily, 15 mars 2012.
  • [43]
    « Kenyans 4 Kenya is the kind of thing we want to be remember for as a country, not our 2008 post election violence but a people who forgot their difference and come together to save ourselves », http://www.samgichuru.com, consulté le 6 septembre 2011.
  • [44]
    « The story of Kenyans for Kenya reminds me of the story of Moses, God asked Moses “what are you holding” and he said “a rod”, while Moses saw a rod, God saw a tool that could be used to bring change. […] Like Moses, we used the tools we work with, our skills, tellers at a supermarket, students on sms, facebook and twitter and the end results was Kshs 1 Billion, people have been fed and sustainability programs are being discussed and strategies being put in place by the principles, that is the power of unity in less than 60 days », ibid.
  • [45]
    Cf. Bayart (J.-F.), « L’Afrique dans le monde… », art. cit.
  • [46]
    Lonsdale (J.), « Ornamental Constitutionalism in Africa : Kenyatta and the Two Queens », The Journal of Imperial and Commonwealth History, 1 (34), 2006.
  • [47]
    On reprend également ici les conclusions de J.-F. Bayart sur l’incohérence du concept de bourgeoisie nationale en Afrique. Bayart (J.-F.), L’État en Afrique, op. cit.
  • [48]
    « Saving Africa from Herself », Lettre de Fai Amario à Jesse Jackson, 8 juin 1999, reproduit dans Amario, 1999, op. cit., p. 11.
  • [49]
    « Tunajua Mahali/Tutawapeleka/Pasipo Chuki/Pasipo Vita/Haki Imeeea (x2)/Kwa Wote », Amario, ibid, p. 3.
  • [50]
    On reprend ici un terme de Ferguson (J.), Expectations of Modernity. Myths and Meanings of Urban Life on the Zambian Copperbelt, Berkeley, University of California Press, 1999, p. 236.
  • [51]
    On reprend ici l’un des éléments les plus intéressants de la définition que M. Bloch donne de la bourgeoisie, certes circonscrite au cas français, mais qui vaut ici par cet aspect particulier, « J’appelle donc bourgeois [celui] qui enfin se sent ou se croit appartenir à une classe vouée à tenir dans la nation un rôle directeur », cf. Bloch (M.), L’étrange défaite, Paris, Gallimard, 1990, p. 14.
  • [52]
    On pourrait appliquer un raisonnement similaire à la notion de classe moyenne, téléologique dans un contexte africain.
  • [53]
    On reprend ici l’idée de « communauté imaginée » chère à Anderson (B.), L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1991 [1983], p. 19 et 21 avec cependant quelques amendements : la communauté dont nous parlons n’est pas nationale et l’imaginaire qui la constitue est tout autant matériel, pratique, physique que discursif ; on renvoie à cet égard à la note critique de Christine Chivallon, qui insiste particulièrement sur ces amendements, Chivallon (C.), « Retour sur la “communauté imaginée” d’Anderson. Essai de clarification théorique d’une notion restée floue », Raisons politiques, 3 (27), 2007.
  • [54]
    C’est ainsi qu’on traduit la notion de membership employée par Ferguson (J.), « Of Mimicry and Membership : Africans and the “New World Society” », Cultural Anthropology, 4 (17), 2002.
  • [55]
    Sur ces promesses d’inclusion, cf. Abrahamsen (R.), « The Power of Partnerships in Global Governance », Third World Quarterly, 25 (8), 2004.
  • [56]
    On reprend ici Ferguson (J.), Global Shadows. Africa and the Neoliberal World Order, op. cit., p. 174.
  • [57]
    Aussi dénommée Konza City, ce qui n’est aujourd’hui qu’une friche en pays kamba, près de la route reliant Nairobi à Mombasa, est appelé à devenir la grande technopole kényane, dont le plan des gratte-ciel est directement inspiré par ceux de Dubai (cf. http://www.konzacity.co.ke).
  • [58]
    On reprend l’expression de Lonsdale (J.), Low (D.A.), « East Africa : Towards a New Order », in Low (A.D.), dir., Eclipse of Empire, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 207.

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