Politix 2014/3 N° 107

Couverture de POX_107

Article de revue

Du « scandale de la prostitution » à l’« atteinte contre les bonnes mœurs »

Contrôle policier et administration des filles publiques sous la Révolution française

Pages 9 à 31

Notes

  • [1]
    Je remercie les organisatrices du panel « Affaires sexuelles, questions sexuelles, sexualités » du 12e congrès de l’Association française de science politique en 2013, Sandrine Lévêque et Frédérique Matonti, sans lesquelles ce texte n’aurait pas vu le jour. Ce dernier a bénéficié des commentaires de Virginie Martin, Frédérique Matonti, Bruno Perreau et Anne Verjus, des discussions du séminaire de l’Institut d’histoire de la Révolution française où une seconde version fut présentée, ainsi que de la relecture attentive et stimulante des évaluateurs anonymes de la revue Politix.
  • [2]
    Le Directoire est le nom du régime établi par la Constitution de l’an III, du 26 octobre 1795 (4 brumaire an IV) au 9 novembre 1799 (18 brumaire an VIII). Reubell est l’un des cinq directeurs qui ont en charge le pouvoir exécutif.
  • [3]
    Archives nationales (AN), AA 15, Dossier 759 : Projet de message au Directoire exécutif, pour obtenir du Conseil des Cinq-Cents une loi contre les filles publiques, 16 nivôse an 4 (6 janvier 1796).
  • [4]
    De Baecque (A.), Le corps de l’histoire : me?taphores et politique, 1770-1800, Paris, Calmann-Lévy, 1993 ; Hunt (L.), Le roman familial de la Révolution française, Paris, Albin Michel, 1995 ; Hunt (L.), « Pornography and the French Revolution », in Hunt (L.), ed., The Invention of Pornography: Obscenity and the Origins of Modernity, 1500-1800, Cambridge, MIT Press, 1993.
  • [5]
    Sabatier (M.), Histoire de la législation sur les femmes publiques et les lieux de débauche, Paris, J. P. Roret, 1828, p. 197 ; Parent-Duchâtelet (A.J.B.), De la prostitution dans la ville de Paris, considérée sous le rapport de l’hygiène publique, de la morale et de l’administration, Bruxelles, Hauman, Cattoir, 1836, p. 602 ; Lecour (C. J.), La prostitution à Paris et à Londres, 1789-1870, Paris, Asselìn, 1870, p. 42 ; Goncourt (E. et J.), Histoire de la société française pendant la Révolution, Paris, Éditions du Boucher, 1889, p. 184-191 ; Fleischmann (H.), Les filles publiques sous la Terreur, Paris, A. Méricant, 1908.
  • [6]
    Dans un ouvrage récent établissant une généalogie scrupuleuse des politiques de la prostitution du Moyen Âge à nos jours, l’auteure, Amélie Maugère, passe ainsi directement du régime répressif de l’Ancien Régime au système de « Tolérance » des années 1800, laissant de côté la décennie révolutionnaire, Maugère (A.), Les politiques de la prostitution : du Moyen Âge au XXIe siècle, Paris, Dalloz, 2009.
  • [7]
    Mis en place sous le ministère de Garat le 3 mai 1793, ces derniers prennent leur forme définitive et régulière sous le Bureau central. Ils ont été pour l’essentiel édités par Aulard (F. A.), dir., Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire : recueil de documents pour l’histoire de l’esprit public à Paris, Paris, L. Cerf, 1898-1902. Pour les rapports d’esprit public du Bureau central que nous citons, les renvois sont indiqués comme tels : Rapport du 6 nivôse an IV (27 décembre 1795), PSD II, p. 572. PSD = Aulard François-Alphonse (dir.), Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire: recueil de documents pour l’histoire de l’esprit public à Paris, Paris, L. Cerf; Quantin, 1898-1902, 5 volumes (chaque volume est indiqué en chiffre romain, exemple : volume I = PSD I).
  • [8]
    La sociohistoire du contrôle policier de la prostitution effectuée par Gwénaëlle Mainsant invite à mobiliser cette perspective pour interroger la police révolutionnaire, Mainsant (G.), L’État et les illégalismes sexuels : ethnographie et sociohistoire du contrôle policier de la prostitution a? Paris, thèse pour le doctorat de sociologie, EHESS, 2012 ; Pour notre période, voir notamment Cohen (D.), « Savoir pragmatique de la police et preuves formelles de la justice : deux modes d’appréhension du crime dans le Paris du XVIIIe siècle », Crime, Histoire & Sociétés/Crime, History & Societies, 12 (1), 2008.
  • [9]
    Barthe (Y.) et al., « Sociologie pragmatique : mode d’emploi », Politix, 103 (3), 2013.
  • [10]
    Cohen (D.), « Savoir pragmatique de la police et preuves formelles de la justice », op. cit., p. 5.
  • [11]
    Foucault (M.), Histoire de la sexualité. Tome 1. La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 37.
  • [12]
    Fassin (É.), « Événements sexuels. D’une « affaire » l’autre, Clarence Thomas et Monica Lewinsky », Terrain, 38, p. 22.
  • [13]
    Benabou (É.-M.), La prostitution et la police des mœurs au XVIIIe siècle, Paris, Perrin, 1987, p. 265.
  • [14]
    Hufton (O.), The Poor of Eighteenth-Century France 1750-1789, London, Oxford University Press, 1974.
  • [15]
    Les politiques de la prostitution ont fait l’objet des chapitres IV et V de notre thèse, Plumauzille (C.), Tolérer et réprimer : prostituées, prostitution et droit de cité dans le Paris révolutionnaire (1789-1799), thèse pour le doctorat d’histoire, Université Paris 1, 2013, p. 339-482.
  • [16]
    Chassin (C. L.), dir., Les E?lections et les cahiers de Paris en 1789, Paris, Jouaust et Sigaux, 1888.
  • [17]
    Cahier particulier de la ville de Paris, Chassin (C. L.), dir., Les E?lections et les cahiers de Paris en 1789. L’assemblée des trois groupes et l’assemblée générale des électeurs au 14 juillet. Tome 3, Paris, Jouaust et Sigaux, 1888, p. 407.
  • [18]
    Shapiro (G), Markoff (J), eds., Revolutionary Demands: a Content Analysis of the Cahiers de Doléances of 1789, Stanford, Stanford University Press, 1998, p. 266.
  • [19]
    Denis (V.), « Ordre public et révolution : la police d’un district parisien (1789-1790) », in Gainot (B.), Denis (V.), dir., Un siècle d’ordre public en Révolution : de 1789 à la Troisième République, Paris, Société des études robespierristes, 2009.
  • [20]
    Hesse (C.), « La logique culturelle de la loi révolutionnaire », Annales. Histoire, sciences sociales, 57 (4), 2002.
  • [21]
    Le Moniteur universel, 18, n° du 4 octobre 1793.
  • [22]
    Conner (S.), « Public Virtue and Public Women : Prostitution in Revolutionary Paris, 1793-1794 », Eighteenth-Century Studies, 28 (2), 1994.
  • [23]
    AN, AA 46, Rapports à la Convention, projets de décrets, dossier 1362 relatif à la prostitution et à la police des mœurs, 19 prairial an III (7 juin 1795).
  • [24]
    Limodin (C. L.), Réflexions générales sur la police, par le citoyen Limodin, S. l, an V, p. 1-2.
  • [25]
    Le Moniteur universel, 29, n° du 12 germinal an V (1er avril 1797).
  • [26]
    Rapport du 4 pluviôse an IV (3 février 1796), Aulard, PSD, II, p. 699.
  • [27]
    Rapport du 3 messidor an IV (21 juin 1796), Aulard, PSD, III, p. 262.
  • [28]
    Rapport du 10 thermidor an II (28 juillet 1794), Aulard, PSD, I, p. 13.
  • [29]
    Rapport du 21 germinal an VI (10 avril 1798), Aulard, PSD, IV, p. 601.
  • [30]
    AN, BB3 84, Rapport du 4 germinal an IV, (24 mars 1796).
  • [31]
    Rapport du 19 germinal an VI (8 avril 1798), Aulard, PSD, IV, p. 598.
  • [32]
    Rapport du 15 vendémiaire an III (6 octobre 1794), Aulard, PSD, I, p. 150.
  • [33]
    Rapport du 17 frimaire an IV (8 décembre 1795), Aulard, PSD, II, p. 474 ; Rapport du 17 nivôse an IV (7 janvier 1796), Ibid., p. 628 ; Rapport du 3 messidor an IV (21 juin 1796), Aulard, PSD, III, op. cit., p. 262 ; Rapport du 25 messidor an IV (13 juillet 1796), Ibid., p. 313 ; Rapport du 11 floréal an VI (30 avril 1798), Aulard, PSD, IV, p. 652 ; Rapport du 10 messidor an VI (28 juin 1798), Ibid., p. 756.
  • [34]
    17 frimaire an IV (8 décembre 1795), Ibid., p. 474 ; Rapport du 17 nivôse an IV (7 janvier 1796), Ibid., p. 628 ; Rapport du 4 pluviôse an IV (24 janvier 1794), Ibid., p. 699 ; Rapport du 3 messidor an IV (21 juin 1796), Aulard, PSD, III, p. 262.
  • [35]
    Rapport du 20 messidor an IV (8 juillet 1796), Aulard, PSD, III, p. 304.
  • [36]
    Rapport du 4 pluviôse an IV (3 février 1796), Aulard, PSD, II, p. 699.
  • [37]
    Cité dans Aulard, PSD, IV, p. 431.
  • [38]
    Elyada (O.), « La représentation de l’opinion publique populaire dans la presse parisienne révolutionnaire », Annales historiques de la Révolution française, 303 (1), 1996.
  • [39]
    Plumauzille (C.), « “Scandale” au Palais-Royal. Les riverains à l’épreuve des “femmes de mauvaise vie” sous la Révolution », Hypothèses, 2014 (1), à paraître.
  • [40]
    Ainsi, dans le quartier du Palais-Royal, haut lieu de la prostitution parisienne, le nombre des plaintes oscille entre 3 et 5 par année de 1795 à 1805, APP, AA 81 – AA 122, section de la Butte des moulins, 1790-1805.
  • [41]
    Rapport du 14 brumaire an VIII (5 novembre 1798), Aulard, PSD V, p. 784.
  • [42]
    Benabou (É.-M.), La prostitution et la police des mœurs au XVIIIe siècle, op. cit. ; Kushner (N.), Unkept Women: Elite Prostitution in Eighteen-Century Paris, 1747-1771, thèse pour le doctorat d’histoire, Columbia University, 2005.
  • [43]
    Pastorello (T.), « Stigmatisation et identification des pratiques homosexuelles masculines à travers des membres des classes populaires parisiennes au cours de la première partie du XIXe siècle », L’Atelier du Centre de recherches historiques. Revue électronique du CRH, 8, 2011.
  • [44]
    Plumauzille (C.), Tolérer et réprimer : prostituées, prostitution et droit de cité dans le Paris révolutionnaire (1789-1799), op. cit., p. 129-193.
  • [45]
    Ce néologisme, utilisé par l’historienne et politiste Anne Verjus, désigne l’idéal régulateur des relations homme-femme légitimant l’autorité maritale et la soumission consentie de l’épouse au tournant du XIXe siècle, Verjus (A.), Le bon mari : une histoire politique des hommes et des femmes à l’époque révolutionnaire, Paris, Fayard, 2010, p. 26.
  • [46]
    Rapport du 7 brumaire an IV (29 octobre 1795), Aulard, PSD, II, p. 344.
  • [47]
    Rapport du 18 ventôse an IV (8 mars 1796), Aulard, PSD, III, p. 31.
  • [48]
    Rapport du 3 messidor an IV (21 juin 1796), Ibid., p. 262.
  • [49]
    Rapport du 20 messidor an IV (8 juillet 1796), Aulard, PSD, III, p. 304.
  • [50]
    AN, BB3 84, Rapport du 24 ventôse an IV (14 mars 1796).
  • [51]
    AN, BB3 84, Rapport du 12 ventôse an IV (2 mars 1796).
  • [52]
    Heuer (J.), Verjus (A.), « L’invention de la sphère domestique au sortir de la révolution », Annales historiques de la Révolution française, 327 (1), 2002 ; Chappey (J.-L.), « Raison et citoyenneté : les fondements culturels d’une distinction sociale et politique sous le Directoire », in Monnier (R.), dir., Citoyen et citoyenneté sous la Révolution française, Paris, Société des études robespierristes, 2006 ; Jainchill (A.), Reimagining Politics after the Terror: the Republican Origins of French Liberalism, Ithaca, Cornell University Press, 2008.
  • [53]
    Rapport du 14 pluviôse an IV (3 février 1796), PSD, II, p. 733.
  • [54]
    DiCaprio (L.), The Origins of the Welfare Wtate : Women, Work, and the French Revolution, Urbana, University of Illinois Press, 2007.
  • [55]
    Aulard (F. A.), dir., Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire, op. cit.
  • [56]
    Parent-Duchâtelet (A.J.B.), De la prostitution dans la ville de Paris, considérée sous le rapport de l’hygiène publique, de la morale et de l’administration, op. cit., p. 603.
  • [57]
    Le Rédacteur, 27 fructidor an V (18 septembre 1797), cité dans Aulard, PSD, IV, p. 342 ; Le Rédacteur, 21 frimaire an VI (11 décembre 1797), cité dans Ibid., p. 621.
  • [58]
    Rapport du 10 messidor an VI (28 juin 1798), Aulard, PSD, IV, p. 756.
  • [59]
    Rousseaux (X.), « Politique judiciaire, criminalisation et répression. La révolution des juridictions criminelles (1792-1800) », in Martin (J.-C.), dir., La Re?volution a? l’œuvre : perspectives actuelles dans l’histoire de la Re?volution franc?aise, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.
  • [60]
    Benabou (É.-M.), La prostitution et la police des mœurs au XVIIIe siècle, op. cit., p. 69-72.
  • [61]
    AN, BB3 84, Rapport du 1er ventôse an IV (20 février 1796).
  • [62]
    Rapport du 27 fructidor an V (13 septembre 1797), Aulard, PSD, IV, p. 342.
  • [63]
    Rapport du 23 brumaire an IV (14 novembre 1795), Aulard, PSD, II, p. 379.
  • [64]
    Simonin (A.), « L’indignité ou les bonnes mœurs républicaines », in Bellot (R.), dir., Tous républicains ! Origine et modernité des valeurs républicaines, Paris, Armand Colin, 2011.
  • [65]
    APP, AA 99, section de la Butte des moulins, 27 pluviôse an IV (16 février 1796).
  • [66]
    AN, AFIV 1479, Rapport du 5 ventôse an VI (23 février 1798) ; AN, AFIV 1480, Rapport du 16 prairial an VI (4 juin 1798).
  • [67]
    AN BB18 755, Lettre du ministre de la Police générale appelant à la sollicitude du ministre [de la Justice] sur la nécessité de réprimer promptement les délits contre les bonnes mœurs qui se multiplient d’une manière effrayante, 7 nivôse an VI (27 décembre 1797).
  • [68]
    AN BB18 755, Lettre du ministre de la Justice au citoyen du Directoire exécutif près le tribunal correctionnel du canton de Paris relative aux délits contre les bonnes mœurs, 30 nivôse an VI (19 janvier 1798).
  • [69]
    AN BB18 758, Envoi d’une copie d’une lettre du Bureau central qui se plaint de l’inutilité de ses efforts pour réprimer la débauche, les juges de paix continuant de mettre en liberté les femmes publiques qu’on traduit devant eux, 15 messidor an VI (3 juillet 1798).
  • [70]
    AN BB18 758, Circulaire n° 1009 de l’Accusateur public du département de la Seine du 7 thermidor an VI relative aux délits contre les bonnes mœurs (25 juillet 1798).
  • [71]
    AN, AF IV 1488, Rapport du 21 messidor an VII (9 juillet 1799).
  • [72]
    AN, F7 3846, Rapports surveillance de la Préfecture de police de l’an XII.
  • [73]
    Berlière (J.-M.), La police des mœurs sous la IIIe Re?publique, Paris, Le Seuil, 1992.
  • [74]
    « La sévérité est de mise pour celles qui dérogent aux devoirs fondamentaux des femmes », souligne ainsi Michèle Perrot à propos de la construction sociale et sexuée de la déviance, Perrot (M.), « Présentation », in Bard (C.), Chauvaud (C.), Perrot (M.), Petit (J.-G.), dir., Femmes et justice pénale, XIXe-XXe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 14-15 ; cf. également Cardi (C.), « Le contrôle social réservé aux femmes : entre prison, justice et travail social », Déviance et Société, 31, 2007.
  • [75]
    D’après les données dépouillées par Conner (S.), « Public Virtue and Public Women », op. cit., p. 229.
  • [76]
    Comptes mensuels du Bureau central, AN, AFIV 1483-1488, an VII (1798/1799).
  • [77]
    Allen (R.), « La justice pénale et les femmes, 1792-1811 », Annales historiques de la Révolution française, 350 (4), 2007, p. 87-107.
  • [78]
    Ibid., p. 104. Cette tendance confirme les travaux de Nicole Castan sur la criminalité féminine sous l’Ancien Régime, Castan (N.), « Criminelle », in Duby (G.), Perrot (M.), Zemon Davis (N.), Farge (A.), dir., Histoire des femmes en Occident. Tome 3, Paris, Plon, 1991.
  • [79]
    Nous rejoignons ici la démarche constructiviste de la sociologie des problèmes sociaux qu’illustre bien le récent ouvrage du sociologue Lilian Mathieu, Mathieu (L.), La fin du Tapin. Sociologie de la croisade pour l’abolition de la prostitution, Paris, Éditions François Bourin, 2013.
  • [80]
    Hesse (C.), « La logique culturelle de la loi révolutionnaire », op. cit. ; Simonin (A.), Le déshonneur dans la République, Paris, Grasset, 2008.
  • [81]
    Serna (P.), « Existe-t-il un “extrême centre” ? », in Guilhaumou (J.), Monnier (R.), Tournier (M.), dir., Des notions-concepts en re?volution autour de la liberte? politique a? la fin du XVIIIe sie?cle, Paris, Société des études robespierristes, 2011, p. 153.
  • [82]
    Scott (J. W.), « Le genre : une catégorie utile d’analyse historique », in Scott (J. W.), De l’utilité du genre, Paris, Fayard, 2012 (e.o. 1986), p. 41.
  • [83]
    Lascoumes (P.), « Révolution ou réforme juridique ? Les codes pénaux français de 1791 à 1810 », in Rousseaux (X.), Dupont-Bouchat (M.-S.), Vael (C.), dir., Révolutions et justice pénale en Europe : modèles français et traditions nationales, 1780-1830, Paris-Montréal, L’Harmattan, 1999, p. 68.

1Le 7 janvier 1796 (17 nivôse an IV) [1], Jean-François Reubell, directeur exécutif [2], interpelle les députés au Conseil des Cinq-Cents sur « les progrès du libertinage, qui, dans les grandes communes et particulièrement à Paris, se propage de la manière la plus funeste ». Constatant que « les lois répressives contre les filles publiques consistent dans quelques ordonnances tombées en désuétude, ou dans quelques règlements de police purement locaux, et trop incohérents pour atteindre un but si désirable », Reubell invite les députés à régénérer la législation sur la prostitution [3]. Cette demande, portée par un individu placé au plus haut niveau de l’État républicain, constitue une tentative unique et exceptionnelle sur l’ensemble de la décennie révolutionnaire. Elle est révélatrice des ambiguïtés de la rhétorique politique des révolutionnaires qui, tout en condamnant avec vigueur le scandale du libertinage et de la débauche, anti-normes d’une communauté civique régénérée [4], ont néanmoins procédé à une dépénalisation en creux de la prostitution. En effet, en vertu des silences du Code pénal et des Codes de police municipale et correctionnelle en 1791, la prostitution et le racolage sur la voie publique disparaissent du droit criminel et correctionnel. Ni le Code des délits et des peines de 1795, ni le Code pénal de 1810 ne reviennent sur ces dispositions, entérinant ainsi, pour les deux siècles à venir, la sortie de la prostitution du domaine de la loi.

2Cette dépénalisation silencieuse, qui s’accompagne alors de la réitération du motif du « scandale de la prostitution » dans le discours des administrateurs de police révolutionnaires, fut interprétée par toute une historiographie du XIXe siècle comme le produit et le moteur de la « licence effrénée » de la période révolutionnaire [5]. Ce regard porté rétrospectivement sur les mœurs publiques révolutionnaires est étroitement associé à un mode d’appréciation et d’interprétation à sens unique de la Révolution : la prostitution y est alors mobilisée comme le symptôme de l’anarchie qui vient, à elle seule, disqualifier dans son ensemble le bouleversement révolutionnaire. Jugement moral, il a cependant contribué à stériliser durablement l’enquête historique sur les politiques révolutionnaires de la prostitution [6].

3Pourtant, si l’appel de Reubell ne rencontre pas les suffrages du Conseil des Cinq-Cents, à l’échelle du travail policier en revanche, sous le Directoire, le phénomène prostitutionnel fait l’objet d’une réflexion et d’une définition administrative soutenues. La production documentaire du Bureau central de police de Paris, opérationnel à la fin de 1795 (15 frimaire an IV), souligne ainsi une vigilance constante exercée à l’égard du scandale de la prostitution qu’elle énonce et dénonce dans ses rapports de l’esprit public. Institution peu connue, le Bureau central est pourtant l’ancêtre de la Préfecture de police de Paris. Il bénéficie ainsi d’un statut à part, entre organisme municipal et organisme d’État, qui fait de lui un acteur central d’une nouvelle dynamique d’ordre dans l’espace de la capitale. Émanation directe du pouvoir exécutif du Directoire, cette administration rend des comptes aux ministres de l’Intérieur et de la Police générale. En outre, la Commune ayant disparu, le Bureau central joue le rôle de mairie de substitution, avec des pouvoirs étendus. Il nomme notamment les commissaires de police conformément à la loi du 19 vendémiaire an IV (11 octobre 1795) et assure la cohérence de leur action sur l’ensemble du territoire parisien par le biais de ses arrêtés. Ses rapports de l’esprit public, composés à l’aide des dizaines de rapports quotidiens des inspecteurs et officiers de paix qui sillonnent la capitale, ont une double fonction [7]. Ils visent tout d’abord à opérer un classement des conduites des Parisiens et à évaluer ces derniers comme membres responsables du corps politique. À destination des directeurs du Bureau central, des ministres de l’Intérieur et de la Police générale, ils sont également un outil de coordination de l’action policière et constituent à ce titre une source administrative de premier ordre pour observer l’État républicain en action.

4Bien plus qu’un simple recueil factuel d’un Paris troublé, ces écrits, par leurs prescriptions, sont en réalité le manifeste d’une production réglementaire en acte, évoluant à côté des silences de la loi révolutionnaire pour y suppléer. De fait, les apports récents des travaux relatifs au contrôle des déviances et à la sociohistoire des politiques publiques ont souligné tout l’intérêt de cette « paperasse » administrative pour appréhender par en bas la fabrique étatique de l’ordre social [8]. Il s’agit donc de prendre au sérieux le discours des administrateurs du Bureau central à l’encontre de la prostitution, c’est-à-dire de rendre compte des logiques normatives et des fondements pratiques qui l’organisent autant que de son efficacité ou de son inefficacité sur le terrain des pratiques policières [9]. Une approche, prenant la rhétorique policière du scandale de la prostitution comme point d’entrée dans l’élaboration d’un nouvel ordre sexuel en Révolution, permet de revisiter à nouveaux frais les politiques révolutionnaires de la prostitution. Pour cela, nous analyserons les enjeux de la fabrique du scandale de la prostitution sous la plume des administrateurs pour en interroger les traductions concrètes à l’échelle du travail policier dans la capitale. Réponses à la dépénalisation de la prostitution, ce discours et les pratiques qui l’accompagnent élaborent les contours d’un nouveau cadre d’action sur la prostitution.

La fabrique du scandale de la prostitution

5Par ces rapports qui accumulent les données tangibles du scandale de la prostitution dans la capitale, l’institution du Bureau central se dote d’un savoir composite et pragmatique sur la prostitution permettant de l’enserrer « dans les mailles de la norme [10] ». Cette force d’action propre à l’énonciation policière est à mettre en perspective avec la « désolation rituelle sur la débauche [11] » qui traverse l’ensemble de la société du XVIIIe siècle. Produit d’un imaginaire social en crise, la dénonciation de ce scandale sexuel est révélatrice « d’un basculement social, d’une rupture d’intelligibilité [12] » ressentis à l’égard du phénomène prostitutionnel. Si les propos des administrateurs s’inscrivent en partie dans la continuité de cette panique morale, ils instrumentalisent également cette dernière à des fins pratiques, légitimant leur prérogative à discipliner ces corps insoumis à la nouvelle pudeur civique.

Retour sur une panique morale en mal de législation

6Dans la ville moderne, la prostitution publique est en effet particulièrement visible ; intégrée au tissu urbain, elle ne forme pas d’isolats. La géographie des lieux prostitutionnels se calque sur la répartition de la population et des activités selon un dégradé allant d’une forte concentration dans les quartiers centraux d’habitat et de travail, situés de part et d’autre de la Seine, à une diminution progressive lorsque l’on s’approche des faubourgs où le maillage urbain se relâche. Centrale et ostentatoire, la prostitution s’impose ainsi à la vue de tous. En outre, la montée en puissance du « péril vénérien », le gonflement du nombre des prostituées parisiennes – entre 20 000 et 30 000 occasionnelles et professionnelles confondues à la fin du siècle –, le déclin des grands bordels et surtout le décloisonnement et l’éparpillement du marché du sexe en une multiplicité de petits foyers temporaires dans la capitale, constituent autant de facteurs tangibles qui, dans le courant du second XVIIIe siècle, viennent alimenter cette panique morale [13]. Ces évolutions d’un phénomène visible et diffus dans les rues de Paris posent alors la question de l’adéquation du régime prohibitionniste de la prostitution en vigueur dans le royaume de France depuis la seconde moitié du XVIe siècle. Le prohibitionnisme correspond à l’interdiction pénale de la prostitution et vise à supprimer cette dernière par la mobilisation d’instruments coercitifs : répression policière, peines infamantes comme l’exposition publique ou le fouet et enfin enfermement des prostituées. Au cours du XVIIIe siècle, cette politique répressive se recentre exclusivement sur la prostitution de rue, prostitution populaire et occasionnelle qui participe régulièrement de l’économie d’expédients des classes féminines laborieuses [14]. Interdite, cette prostitution continue pourtant de proliférer. Mobilisée par l’opinion publique comme le symbole d’une crise morale de la société d’Ancien Régime, sa réglementation constitue alors un défi adressé à l’entreprise révolutionnaire.

7Dans le contexte révolutionnaire, cette crise morale se traduit par une demande populaire en faveur d’une nouvelle réglementation de la prostitution [15]. À Paris, entre 1788 et 1789, une vingtaine de brochures et cahiers de doléances abordent cette question au moment de la convocation des États généraux [16]. Le cahier de la ville de Paris demande ainsi aux députés de faire du respect des mœurs publiques « un moyen essentiel pour maintenir le bon ordre et la sûreté des citoyens » et réclame « de réprimer enfin la licence de la prostitution [17] ». Pour autant, à l’échelle nationale, la prostitution occupe une place mineure dans l’économie générale des doléances, étant abordée dans moins de 1 % des brochures [18]. En outre, si les publications qui la mentionnent ont souligné le besoin d’une nouvelle réglementation, elles ont en revanche très largement échoué à offrir aux législateurs un faisceau d’opinions cohérentes sur le traitement à réserver à la prostitution. Enfin, l’urgence de la préservation d’un nouvel ordre politique à partir de la rupture de l’été 1789 se traduit sur le terrain des pratiques policières par la priorité donnée à la répression des actions contraires à la Révolution au détriment du maintien de l’ordre public quotidien [19]. Aussi, ni la loi révolutionnaire, qui fait de la régénération des mœurs un instrument de transformation et de perfectionnement de la société [20], ni l’administration policière municipale ne parviennent-elles à répondre durablement à cette demande de réglementation de la prostitution dans le courant des premières années de la Révolution.

8Pourtant, cette démission des pouvoirs publics ne signifie pas pour autant la libéralisation de la prostitution. Ainsi, à la faveur de l’avènement d’un mode de gouvernement éthocratique sous la « Terreur », la Commune de Paris entreprend de faire de la lutte contre la prostitution un impératif moral de préservation de la société civile et de l’espace public. Le 4 octobre 1793, elle opère une première « recriminalisation » de la prostitution par un arrêté interdisant expressément « à toutes filles ou femmes de mauvaise vie de se tenir dans les rues, promenades, places publiques, et d’y exciter au libertinage et à la débauche [21] ». Cet arrêté rompt avec la gestion policière a minima qui s’exerçait alors sur le terrain de façon hétérogène et décentralisée depuis les débuts de la Révolution, et entraîne sur une dizaine de mois l’arrestation de plus de sept cents femmes par des rafles systématiques [22]. Cependant, la chute de Robespierre le 9 thermidor an II (27 juillet 1794) et le démantèlement de l’organe insurrectionnel de la Commune par le nouveau pouvoir thermidorien interrompent brutalement ce mouvement de purge de l’espace public.

9Les propos de Reubell en janvier 1796 évoquant les « progrès du libertinage » font ainsi écho à cette situation de transition politique qui redécouvre le problème de la prostitution et de sa police dans la capitale. Si le vocable du « libertinage » demeure, il ne s’agit plus en revanche pour l’administration directoriale de purifier l’espace public au nom d’un impératif moral, mais de pacifier l’espace social et de contrôler les catégories instables de la population sous l’effet d’une police soutenue. En effet, les inspirateurs du projet de loi proposé par Reubell ne sont autres que les membres de l’administration policière de transition du gouvernement thermidorien qui rédigent le 7 juin 1795 une demande de « loi répressive » sur la prostitution [23]. En outre, quelques mois plus tard, un membre du nouveau Bureau central du canton de Police de Paris, Charles-Louis Limodin, ancien commissaire de police et administrateur du département de Paris, appuie la demande de loi de Reubell dans un opuscule intitulé Réflexions générales sur la police :

10

« Malgré des efforts inouïs, ils [les magistrats de police] ont la douleur d’être forcés d’avouer encore leur impuissance. Les filles publiques inondent cette cité, dont elles font la honte et le scandale ; les magistrats chargés de la police ne peuvent les atteindre, parce que les lois sont muettes [24]. »

11À l’instar de l’appel du directeur exécutif, ces réflexions d’un fonctionnaire clef de l’État républicain ne parviennent pourtant pas à mobiliser l’Assemblée. Cette dernière énonce d’ailleurs clairement dans le courant de l’année 1797 son refus de légiférer sur une matière « indigne du corps législatif » selon les termes du député Joseph-Vincent Dumolard [25]. À cette occasion, les législateurs délèguent de façon ferme et explicite à la police un pouvoir discrétionnaire absolu en matière de prostitution. Ainsi, à défaut de pouvoir invoquer l’illégalité de la prostitution, l’administration policière est néanmoins libre d’instruire son procès en illégitimité sur le terrain. Face au silence des lois, les rapports « bavards » du Bureau central fournissent alors un dispositif de reprise en main du problème de la prostitution.

Rapporter l’indignation

12Les répertoires discursifs mobilisés dans les rapports de l’esprit public déjouent la neutralité supposée de l’observation policière. La prostitution, « dégoûtante [26] » et « honteuse [27] », y est qualifiée d’« infâme [28] » ou de « vil métier [29] », de « commerce de débauche [30] », de « fléau [31] » et de « vice », qu’il convient de couper « dans sa racine [32] ». Les émotions des observateurs de police et la mise en scène de leur « ressenti » de la prostitution sont partie prenante de cette écriture. Aussi faut-il s’interroger sur les effets performatifs de cette manière émotionnelle et scandalisée de rendre compte de l’état de la prostitution.

13De fait, dans ces sources, il n’est pas de scandale de la prostitution sans public scandalisé. Les expressions récurrentes de « spectacle hideux du libertinage » ou de « tableau scandaleux de la prostitution » rendent compte du caractère problématique de l’exposition de la prostitution au regard public, qu’il soit celui des observateurs de police ou des « citoyens honnêtes [33] ». Les administrateurs relatent ainsi régulièrement « l’indignation » et « l’irritation des esprits » des citoyens « honnêtes [34] » et « paisibles [35] », placés en victimes de l’obscénité visuelle de la prostitution. À titre d’exemple, ce rapport du 4 pluviôse an IV (3 février 1796) :

14

« Les femmes publiques semblent se multiplier ; elles obstruent le soir presque tous les passages et étalent effrontément la prostitution la plus dégoûtante ; tous les citoyens honnêtes réclament du gouvernement des mesures promptes contre ce désordre [36]. »

15Entité impersonnelle de ces rapports, ce public est figuré par les administrateurs comme une instance légitime de la rue, celle des « citoyens honnêtes », représentants de la communauté républicaine paisible et vertueuse. Les perceptions et le ressenti de ce public, théâtralisés dans ces récits, permettent de générer un effet de réel faisant de ces rapports l’expression presque instantanée d’un public outré. Ces modalités d’écriture rapprochent, à bien des égards, ces sources policières des articles de presse de l’époque, qui entendent également se faire les porte-voix de la communauté. Ainsi, le Patriote français dans sa rubrique « Variétés » du 12 brumaire an IV (1er novembre 1797) rapporte, selon un vocabulaire similaire :

16

« On se plaint de la quantité de filles publiques qui inondent les rues et les portiques du palais, de la débauche et de la dégradation qu’entraîne après elles cette foule de pestiférées, la honte de leur sexe et le poison du nôtre [37]. »

17Journaux et rapports administratifs ont ici en commun de mettre en scène l’opinion publique et de lui servir d’intermédiaires, en s’en faisant sinon l’avocat, du moins l’écho [38]. Cette mise en scène dans les rapports n’est pas seulement instrumentale. Elle témoigne de la porosité entre le diagnostic du Bureau central et celui d’une certaine opinion publique portée par des citoyens établis – généralement d’âge mûr et de sexe masculin – soucieux de contrôler la bonne réputation de leur quartier [39]. Phénomène marginal à l’échelle de la capitale [40], des plaintes de riverains de lieux de prostitution dans différentes sections parisiennes se trouvent pourtant relayées dans les rapports de l’esprit public. Celui du 14 brumaire an VIII (5 novembre 1798) est particulièrement bien circonstancié, et ce d’autant plus que les plaignants appartiennent à la classe politique directoriale :

18

« Informé que des filles prostituées se rassemblent tous les soirs dans la rue Pinon, où elles tiennent les propos les plus scandaleux et troublent la tranquillité publique par les querelles qu’elles suscitent, ce qui a excité les plaintes des citoyens Lerouge et Mennessier, représentants du peuple domiciliés dans cette rue, le Bureau central a chargé le commissaire de police de la division du Mont-Blanc de se transporter dans cette rue, avec une force armée suffisante pour arrêter ces prostituées, et de continuer sa surveillance dans cette rue jusqu’à ce qu’elle en soit entièrement purgée [41]. »

19Le récit des mesures zélées prises par le Bureau central à l’issue de ces plaintes – du mandat d’arrêt à la purge systématique de la rue en question – permet aux administrateurs de souligner que policiers et riverains partagent un même sens de la situation, une même conception de l’ordre public et des comportements féminins et sexuels qu’il proscrit. La rhétorique du scandale de la prostitution dans ces rapports contribue de la sorte à la formalisation d’une pudeur civique qui est ici d’abord et avant tout un regard partagé sur les comportements des individus dans l’espace public. Cette présentation d’une communauté de jugement dépréciative permet à l’administration de police d’instituer le public indigné des « honnêtes citoyens » comme un groupe social légitime, et de redéfinir par là même, à l’aune de leurs réactions, les normes transgressées par la prostitution. Au fil de leurs propos, la cité s’affirme comme un lieu de bannissement de l’impudicité. Ce bannissement est ciblé et atteste de la production sociale et sexuée de l’espace public en Révolution. Dénonçant exclusivement la prostitution publique, il vise les prostituées exerçant dans la rue, les « femmes publiques » désignées comme une classe à part, aux antipodes de la respectabilité républicaine.

Cibler les coupables

20L’attention policière du Bureau central comme l’indignation du public qu’il fabrique se focalisent sur un échantillon spécifique de la prostitution : celui de la prostitution populaire. Au regard de la diversité des espaces sociaux et des acteurs de la prostitution, ces rapports procèdent ainsi à un découpage arbitraire du phénomène. La « femme publique », c’est-à-dire selon les typologies de l’époque la femme du peuple se prostituant dans la rue, constitue le noyau-modèle à partir duquel est dénoncée la prostitution. Ainsi, les tenancières, courtisanes de luxe et femmes entretenues, qui étaient sous étroite surveillance policière dans les décennies précédentes, sont à l’inverse singulièrement absentes du monde de la prostitution que délimitent les administrateurs du Bureau central [42]. En outre, la prostitution masculine, bien qu’elle soit attestée tout au long du siècle, n’est jamais mentionnée [43]. Par ailleurs, la quasi-invisibilité du client dans ce faisceau de descriptions évacue le partenaire pourtant nécessaire de ce commerce prostitutionnel et renforce la spécificité de genre de cette forme de criminalité sexuelle.

21La prostitution est systématiquement rapportée à la « femme de rue », la femme dans la rue, agent provocateur qui trouble l’ordre public et l’ordre moral de la cité. De fait, les études statistiques de cette population rendent compte de jeunes femmes célibataires évoluant entre solitude, autonomie et précarité [44]. Âgées de 15 à 25 ans pour l’essentiel, elles ont quitté leur famille pour gagner leur vie, mais n’ont pas pu encore s’établir, c’est-à-dire se marier. Surtout, elles ne parviennent pas à s’inscrire durablement sur un marché du travail parisien en crise qui ne permet pas aux femmes seules et peu qualifiées de survivre par leurs seuls salaires. Dit autrement, ces jeunes femmes ne disposent pas des ressources économiques et sociales qu’exige la pratique des bonnes mœurs révolutionnaires. Elles ne sont pas, elles ne peuvent pas être ces mères et épouses de citoyens à la « conjugalité vertueuse [45] » que promeut la République directoriale. Leur errance urbaine et leur sexualité vagabonde sont ainsi particulièrement stigmatisées dans les rapports de l’esprit public. Ces derniers présentent des « filles publiques aussi insolentes qu’indécentes [46] », « femmes impudiques [47] », à la « conduite dégoûtante [48] » : « Leurs propos, leurs actions font rougir la pudeur la moins farouche [49]. » Ils dénoncent également leurs fréquentations douteuses avec les « jeunes étourdis », voire criminelles, avec « tous les voleurs, étrangers, les chouans, et les jeunes gens de la première réquisition [50] » qui trouvent soi-disant refuge chez elles. L’amalgame de ces différents individus par leurs rejets des normes dominantes, leurs résistances à la bienséance et leurs fréquentations criminogènes permet de saisir une composante de l’espace parisien informelle, réactive et subversive à laquelle participent les prostituées et que condamnent plus largement les administrateurs. Enfin, les descriptions complaisantes des situations d’ivresse, des chansons obscènes et des rixes qui éclatent dans le sillage des prostituées constituent autant de preuves tangibles de leur identité déviante :

22

« Rue de la Tixérandrie, à l’Épée de bois, il y en avait plusieurs, parmi lesquelles on désigne les nommées Pierrette et Julie Lefevre qui buvaient avec des filous et dans leur ivresse, chantaient les chansons les plus indécentes [51]. »

23Tout autant que l’obscénité sexuelle du racolage, c’est l’obscénité visuelle de la mise en scène des corps des Pierrette et Julie Lefevre dans l’espace public qui est décriée. Les propos des administrateurs à l’encontre des prostituées dévoilent ainsi les préjugés moraux orientant la surveillance policière. Ces derniers puisent leurs racines dans les valeurs et les principes issus de la morale domestique républicaine, morale bourgeoise qui définit la place des femmes dans la cité comme citoyennes protectrices et gardiennes du foyer dont la sexualité ne saurait s’exprimer en dehors de la conjugalité et de la maternité [52]. Entreprenantes, insoumises, visibles et bruyantes, les femmes incriminées dans les rapports le sont pour l’usage public et érotisé de leur corps et de leur sexualité. Si leurs caractéristiques sociales ne sont jamais énoncées en termes explicites, les ressorts de la rhétorique du scandale viennent pourtant stigmatiser expressément un mode de vie populaire, féminin et sexuel, singularisé par son indiscipline et par ses dérèglements.

24À cet égard, il est intéressant de souligner à quel point l’hypersexualisation du phénomène prostitutionnel l’emporte dans la description policière des prostituées. Seuls l’audace, l’impudicité et le libertinage propres à cette catégorie d’individues expliquent leur prostitution. La crise économique d’ampleur qui frappe le Directoire, l’importance du célibat et de l’indigence féminine dans les grandes villes, qui font de la prostitution une stratégie de survie et d’autonomie, sont des facteurs totalement évacués du discours policier. Il n’y a guère qu’un seul rapport qui, le 14 pluviôse an IV (3 février 1796), exprime la détresse éprouvée par cette fraction populaire de la prostitution : « Que veut-on que nous fassions, disent-elles ; nous ne pouvons en travaillant nous procurer suffisamment de pain pour notre subsistance [53]. » Encore faut-il souligner que l’auteur se contente ici de rapporter au style direct le plaidoyer des intéressés, en s’abstenant donc scrupuleusement de tout jugement personnel sur la question. Plutôt que d’acter l’échec du projet social républicain dont les politiques d’assistance ne permettent pas aux jeunes femmes célibataires et sans enfant de bénéficier des soins de la mère patrie, ces rapports opèrent une lecture individualisante et criminalisante de la prostitution [54]. En réduisant la prostitution à un problème strictement moral, les administrateurs permettent de ne pas en faire un problème politique, révélateur de la misère quasi générale du peuple de Paris. Ainsi, le scandale de la prostitution est le seul fait de femmes du peuple immorales, que l’institution policière doit corriger.

25Par la désignation inique des prostituées du peuple comme seules coupables, les administrateurs essentialisent la prostitution comme une criminalité spécifiquement féminine et populaire. En outre, ils ne se contentent pas de caricaturer cette pratique, ils en filtrent très largement la réalité sociologique. Ce faisant, ils contribuent à rendre une partie du phénomène plus aisément appropriable et donc gérable par l’appareil policier. La pudeur civique qu’expriment et fabriquent ces rapports n’est donc pas qu’un discours de distinction, elle est aussi un mode d’action sur la prostitution. C’est pourquoi il faut interroger ses effets au « ras du sol », en confrontant ces sources à d’autres corpus qui rendent compte de l’action policière en matière de prostitution.

Un outil de coordination du contrôle de la prostitution

26Recensant les désordres urbains de la prostitution, commentant l’action policière ou appelant à de nouvelles mesures pour endiguer le scandale, ces rapports offrent au Bureau central, ainsi qu’aux ministères de l’Intérieur, de la Police et de la Justice, une analyse réflexive sur la prostitution et un instrument d’action publique. À la fois savoir et outil policier, ces derniers participent d’une centralisation et d’une coordination du contrôle de la prostitution sur le terrain de la capitale. Mis en œuvre sous l’égide du Bureau central, ce double processus permet la réaffirmation d’une police de la prostitution qui, déjouant les apories du silence des lois révolutionnaires, réinvente un dispositif de régulation qui en fait également une police sur la prostitution.

L’affirmation d’une police de la prostitution

27Au fil de ces rapports de l’esprit public se joue l’affirmation d’une police de la prostitution qui fait du contrôle de cette activité un objet régulier de son administration. Les rapports évoquant la prostitution représentent près de 10 % de la totalité de ce corpus et leur fréquence connaît globalement une progression sur la période directoriale. Pour apprécier cette montée en puissance d’une institution et de son emprise sur la prostitution parisienne, il faut se départir de l’effet homogénéisant de la rhétorique du scandale de la prostitution dans les rapports de l’esprit public et envisager ces derniers de façon pragmatique, c’est-à-dire au regard de leurs objectifs cognitifs et de leurs effets institutionnels.

28Le graphique ci-dessous classe les rapports de l’esprit public du Bureau central par type d’information : les rapports qui constatent les désordres de la prostitution, les rapports qui appellent les autorités à agir, ceux qui rendent compte de ces actions et enfin, les rapports exprimant une satisfaction à l’issue des actions policières menées contre la prostitution.

Classification des rapports de l’esprit public sur la prostitution par type d’information (an II-an VIII)

figure im1

Classification des rapports de l’esprit public sur la prostitution par type d’information (an II-an VIII)

Sources : Rapports de l’esprit public du Bureau central de police du canton de Paris, an II-an VII[55].

29Sur l’ensemble de la période directoriale, on peut distinguer deux configurations où interagissent ces différentes catégories de rapports. La période 1794-1796 constitue un temps de réorganisation de l’activité policière en matière de prostitution. Dans les rapports, s’exprime alors une forte dénonciation des désordres de la prostitution (qui occupe près des deux tiers des rapports) et un appel réitéré à l’intervention des autorités. Les rapports positifs sur l’action policière sont quasi absents (0 pour 1794, 4 pour 1795, 0 pour 1796). Ce pic d’insatisfaction explique probablement le fait que le 7 janvier 1796 pour la première et unique fois, une demande de loi sur la prostitution soit mise à l’ordre du jour par Reubell. Alexandre Parent-Duchâtelet voit d’ailleurs une relation de cause à effet et, selon lui, « le Directoire exécutif, à peine installé dans ses fonctions, s’empressa d’obéir à l’opinion publique qui se manifestait de toutes parts sur les désordres des prostituées [56] ». En outre, les rapports de l’esprit public étant envoyés aux ministères de la Police et de l’Intérieur et régulièrement relayés aux directeurs, l’insatisfaction chronique et la pudeur outrée des administrateurs qu’ils révèlent a certainement participé de la mise à l’agenda d’une loi sur la prostitution.

30L’année 1797 est une année de transition. Elle ne comporte que quatre rapports de l’esprit public consacrés à la prostitution. Si peu représentée qu’elle soit dans les rapports policiers, la prostitution fait cependant l’objet de deux publications des administrateurs du Bureau central dans l’organe de presse officiel du Directoire, Le Rédacteur[57]. Dans ces dernières, la police réaffirme sa volonté de lutter contre l’immoralité, mais fait l’aveu de son incapacité à prendre en charge la totalité de la répression de la prostitution. Elle appelle alors la population à l’aide pour la seconder sur la voie publique. L’objectif est double : promouvoir le Bureau central comme organe de défense des bonnes mœurs au service des « citoyens honnêtes » et inciter ces derniers à témoigner à l’occasion des arrestations sur la voie publique pour faciliter l’inculpation des prostituées.

31Le nombre des rapports de l’esprit public augmente à nouveau sur la période 1798-1799, au moment même où la centralisation des données de la prostitution se renforce grâce à l’institution régulière des rapports généraux de la surveillance du Bureau central, statistiques quotidiennes de la délinquance parisienne. Parallèlement, le nombre des rapports dressant le bilan des actions de police explose (21 en 1798, 36 en 1799, soit plus des deux tiers de la totalité des rapports relatifs à la prostitution). À l’inverse, les rapports qui dénonçaient les désordres et réclamaient des autorités des mesures répressives n’enregistrent qu’une timide hausse. Par ailleurs, les trois quarts des rapports qui expriment la satisfaction des observateurs du Bureau central à l’égard de l’état de la prostitution se concentrent sur cette période (13 sur les 19 rapports relevant de cette catégorie). Le 28 juin 1798 (10 messidor an VI), les administrateurs constatent ainsi que :

32

« Les tableaux scandaleux de la prostitution ont paru moins multipliés, et la hardiesse avec laquelle elle se propageait aux yeux du public a paru modérée par les exemples de sévérité. La surveillance dans le cours de cette décade a séquestré de la société cinquante-six de ces êtres avilis [58]. »

33Ce rapport laudatif quant à l’efficacité et à la sévérité de l’action policière est exemplaire des transformations de la rhétorique du scandale dans les propos des administrateurs de police entre 1796 et 1799. À partir de 1798, le discours administratif apparaît davantage comme un discours sur la police de la prostitution plutôt que comme un discours sur la prostitution en tant que telle, et ce, en raison de la montée en puissance du Bureau central qui contrôle désormais « d’en haut » l’action policière. Ainsi s’observe par l’évolution qualitative des rapports, le passage d’une relative inactivité – ou inefficacité – policière à une intervention de plus en plus maîtrisée sur le terrain de la prostitution : la recension régulière des prostituées et l’affichage croissant des résultats obtenus en sont les manifestations.

L’affirmation d’une police sur la prostitution

34Cette écriture administrative veut influencer l’activité policière sur le terrain. À cet égard, il est essentiel de restituer les rapports de l’esprit public dans leur environnement de papier. Ces derniers sont généralement soumis avec ou à l’intérieur des rapports généraux de la surveillance qui recensent quotidiennement arrestations dans la capitale, interrogatoires au Bureau central et entrées et sorties dans les prisons parisiennes. Les observations des rapports de l’esprit public fournissent ainsi la trame narrative et analytique de la statistique policière des rapports généraux de la surveillance. Dans ces derniers se trouve le flot des sans-papiers, mendiants et vagabonds qui, avec les prostituées, forment les principaux protagonistes de la délinquance ordinaire. Les rapports généraux de la surveillance visent à garder la trace de leur soustraction régulière de la voie publique par les forces de police qui les remettent au dépôt du Bureau central afin de consigner leur identité et de les détenir arbitrairement quelques heures, ou la nuit, avant de leur rendre leur liberté. Ces différents procédés auxquels s’articule le contrôle de la prostitution concourent à la mise en place d’une police sociale sous le Directoire qui fait alors de la surveillance des catégories instables de la population un élément central de la définition de l’ordre public républicain [59].

35Les recensions de la prostitution des rapports de l’esprit public participent donc d’un dispositif plus global de surveillance sociale et morale de la capitale. Elles sont l’un des différents outils mis en œuvre par le Bureau central à partir de 1796 pour assurer le « grand enregistrement » de la prostitution : un recensement de la population des prostituées (20 ventôse an IV/10 mars 1796) ; une surveillance soutenue organisée par les rapports de l’esprit public et les opérations comptables des rapports généraux de la surveillance qui obligent les commissaires de police à rendre compte de leur activité (à partir du 17 frimaire an IV/8 décembre 1795) ; et l’incitation sur le terrain à des arrestations régulières, afin de multiplier contrôles d’identité et interrogatoires au Bureau central où les femmes interpellées pour prostitution sont dorénavant systématiquement amenées (en vertu de la loi du 21 floréal an IV/10 mai 1796).

36Ces mesures s’accompagnent de la progression des arrestations de prostituées sur le terrain. Les deux graphiques ci-dessous, réalisés à partir des arrestations de « filles publiques » comptabilisées par les rapports généraux de la surveillance du Bureau central, donnent à voir autant la progression des arrestations dans la capitale que celle de leur enregistrement. Le premier recense la totalité des arrestations effectuées par les différentes forces de police, et le second rend compte parmi ces dernières de celles qui ont été ordonnées en première instance par le Bureau central.

figure im2
Sources : AN, AF IV 1473-1489, rubrique « Arrestations » des rapports généraux de la surveillance, an IV-an VIII.
figure im3
Sources : AN, AF IV 1473-1489, rubrique « Arrestations » des rapports généraux de la surveillance, an IV-an VIII.

37La progression rapide de ces courbes d’arrestations témoigne du tournant répressif que constitue la période du Directoire à l’égard de la délinquance, jugée dangereuse pour la société et l’État. Bien que ces arrestations ne débouchent généralement par sur une inculpation et des peines de prison, elles permettent d’exercer une pression régulière et arbitraire sur ces populations. Si l’on croise ces deux graphiques, il apparaît que la progression des arrestations de prostituées est fonction de l’intervention du Bureau central. La possibilité qui lui est faite à partir de mai 1796 de délivrer des mandats d’amener et d’arrêter est mise à profit et accompagne la montée en puissance des enregistrements d’arrestations dans la capitale. À mesure que la tutelle du Bureau central sur l’action policière se renforce, l’activité des commissaires sur le terrain s’intensifie. Ainsi, alors que l’activité policière avait été relativement faible et particulièrement contestée entre 1795 et 1797, la courbe des arrestations augmente de façon soutenue et continue de 1797 à 1799 – c’est-à-dire au moment précis où les commissaires sont tenus de faire part au Bureau central du nombre d’arrestations effectuées chaque jour. En témoigne la progression des arrestations de prostituées ordonnées par le Bureau central à partir de 1797. Pour l’année 1798, ce dernier fait procéder à l’arrestation de 671 femmes. Enfin, tandis que la courbe des arrestations ordonnées par le Bureau central décroît à partir de 1798, celle du total des arrestations recensées se maintient en 1799 et laisse à penser que l’impulsion donnée par le Bureau central se maintient sur le terrain des pratiques quotidiennes des commissaires.

38En fin de compte, de ventôse an VI (mars 1796) à brumaire an VIII (octobre 1799), le Bureau central enregistre 5181 arrestations de femmes publiques par les forces de police de la capitale. Dans un tiers des cas, il est directement responsable de ces arrestations pour lesquelles il émet mandats d’amener et mandats d’arrêt. Il est difficile d’interpréter ces chiffres puisque seule la mention « femmes publiques » est inscrite à côté du nombre de personnes arrêtées. Cependant, avec plus de 1500 femmes arrêtées pour prostitution par an, la police du Directoire enregistre des résultats bien supérieurs à la police d’Ancien Régime dont les maxima oscillent entre 700 et 800 arrestations annuelles dans la capitale [60]. L’incrimination normative de la prostitution qui se joue dans les rapports de l’esprit public se double donc d’une incrimination effective sur le terrain. Ainsi, à l’intersection de ces rapports administratifs et de l’activité des forces de police sur le terrain, c’est moins la multiplication des prostituées que la montée en puissance d’un contrôle policier qui s’affirme par le discours de ses administrateurs sur le territoire de la capitale.

39Avant même l’entreprise de « soumission » des filles publiques à la Préfecture de police, qui se traduit par l’inscription de ces dernières sur les registres de la Préfecture ou de la mairie pour les contraindre à exercer sous contrôle policier, la surveillance administrative de la prostitution est instituée par le Bureau central du Directoire et l’enregistrement policier des « filles publiques » est assuré. Enfin, par l’accumulation des dénonciations du scandale de la prostitution et les réactions policières préconisées sur le terrain, le Bureau central facilite la caractérisation d’une activité pourtant dépénalisée comme une infraction manifeste à l’ordre public de la cité.

L’invention d’un délit de prostitution

40Dès l’an III, alors que la prostitution est encore dépénalisée, les rapports du Bureau central vont insister sur sa dimension attentatoire à la morale publique. Celle-ci est un « scandale dont les mœurs ont à gémir [61] », une « atteinte » ou une « insulte » « portée aux mœurs [62] » et les prostituées « outragent la décence et les mœurs [63] ». La formalisation de cette atteinte aux mœurs est une référence directe au Code de police de 1791. À l’instar de l’arrêté de la Commune de Paris du 4 octobre 1793, elle fait du caractère public de la prostitution le cœur du délit. Aussi cette pudeur civique n’est-elle pas qu’une posture dans l’espace public, un rapport de domination sociale des « honnêtes citoyens » sur les filles de rue, elle se formalise également en résonance avec un nouvel environnement juridique qui fait des bonnes mœurs un instrument de moralisation et de discipline de la société.

Le détournement d’une catégorie juridique

41Les réitérations de cette qualification policière d’« atteinte à la morale publique » empruntée au vocabulaire judiciaire contribuent à faire rentrer de facto le scandale de la prostitution dans le champ des délits contre les bonnes mœurs. Nouvelle catégorie de délits créée par le droit révolutionnaire, ils sont institués par l’article 8 du titre II du Code de police de 1791 [64]. Il s’agit d’une notion juridique composite ayant trait au gouvernement des conduites en public et concernant ici plus spécifiquement ce qui relève de la sexualité. Les infractions qu’ils recouvrent sont précisément énumérées : l’exposition d’images pornographiques, l’outrage à la pudeur des femmes, le proxénétisme et la débauche des mineures. À ce titre, ni la prostitution ni le racolage des filles publiques ne s’y trouvent mentionnés. Pourtant, dès 1796, les rapports du Bureau central détournent et adaptent cette catégorie juridique pour dénoncer la prostitution et l’incriminer. Ainsi, à partir du Directoire, l’article 8 du titre II du Code de police s’impose progressivement comme le texte de référence de la procédure policière. La mention d’« attentat public aux bonnes mœurs » pour qualifier le délit de prostitution apparaît pour la première fois dans les procès-verbaux le 16 février 1796 (27 pluviôse an IV) [65]. À partir de 1798 dans la nomenclature des rapports généraux de surveillance du Bureau central, l’association de la prostitution publique aux délits contre les bonnes mœurs est de plus en plus systématique. Le 5 ventôse an VI (23 février 1798), dans la rubrique « Arrestation » la mention de « contravention aux mœurs » apparaît pour la première fois avant d’être rapidement remplacée par celle d’« atteinte aux mœurs » à partir du mois de prairial an VI (4 juin 1798). Désormais, ce délit constitue le motif d’arrestation de 1066 femmes publiques jusqu’à la fin de la période directoriale [66].

42Ce détournement d’une catégorie juridique a pour objectif d’asseoir la légitimité, si ce n’est la légalité, du pouvoir discrétionnaire des policiers sur les prostituées. Il vise à obtenir l’infléchissement du pouvoir judiciaire qui, depuis les premiers temps de la Révolution, se refuse à punir les femmes arrêtées sur seule présomption policière de prostitution. Les plaintes du Bureau central sur cette question sont régulièrement adressées à leurs ministères de tutelle. Le 7 nivôse an VI (27 décembre 1797), le ministre de la Police relaie les plaintes du Bureau central de police et expose à son collègue la nécessité de fixer une procédure judiciaire pour pouvoir réprimer les prostituées arrêtées par les commissaires de section [67]. Après un rappel formel du ministère de la Justice le 30 nivôse an VI [68], la réitération le 15 messidor an VI (3 juillet 1798) des plaintes du Bureau central [69], soutenues par le ministère de la Police, entraîne la publication d’une circulaire du ministère de la Justice énonçant la procédure à suivre pour les officiers de police judiciaire :

43

« L’article 8 du Titre II de la loi du 19 juillet 1791, est applicable à ces prostituées qui, dans les rues, dans les places publiques trafiquent de leur personne. Cette action n’est-elle pas en soi l’atteinte la plus positive et la plus publique aux bonnes mœurs, peut-on exposer aux yeux du public un tableau plus obscène ? Lorsqu’il s’agit de prostitution publique, les preuves se tirent de la provocation de la prostituée, réunie à l’aveu ou à la connaissance de son honteux commerce, le Magistrat ne peut exiger d’avantage [70]. »

44Dans cette circulaire, la loi révolutionnaire est réinterprétée pour ériger la prostitution en parangon de l’atteinte aux bonnes mœurs. Le racolage et la notoriété de la prostituée sont, sans plus de précisions, désignés comme les principales preuves à charge qui viennent conforter l’action policière sur le terrain et dans les tribunaux. Cette association étroite de la prostitution aux délits contre les bonnes mœurs se retrouve également dans la correspondance entre le ministère, le Bureau central et les forces de police. Le 9 juillet 1799 (21 messidor an VII), alors que le ministre de la Police interpelle « l’attention du Bureau central sur le scandale que causent les filles publiques dans les rues de Paris » et le charge « de faire exécuter les lois relatives aux prostituées », ce dernier lui répond « qu’il venait de faire réafficher l’extrait de la loi du 22 juillet 1791 et de recommander aux commissaires de police et officiers de paix d’en surveiller l’exécution [71] ». La force de l’administration policière directoriale réside dans cette récupération de l’héritage législatif de la Constituante. Par son interprétation de la loi relative aux délits contre les bonnes mœurs, elle fait évoluer les frontières du champ d’intervention légitime de la police à l’encontre de la prostitution.

45Par l’accumulation routinière de la dénonciation du scandale de la prostitution et le développement de son « administration de papier », le Bureau central de police transforme la loi révolutionnaire pour l’adapter à ses besoins et répondre à une demande sociale largement instrumentalisée, créant de toutes pièces un nouveau délit contre les bonnes mœurs. Cette fabrique discursive génère des effets d’inertie bien réels puisque cette catégorie d’« outrage aux bonnes mœurs » est la seule retenue et établie définitivement dans les rapports d’arrestation de la Préfecture de police sous le Consulat pour incriminer la prostitution et le racolage à partir de l’an XII (1803-1804) [72] et perdure tout au long du XIXe siècle [73].

Une catégorie à charge contre les prostituées

46À cet égard, il est frappant de constater qu’à la fin du XVIIIe siècle, le monopole de l’agression sexuelle est attribué pour une très large part aux femmes du peuple. La sous-représentation globale des femmes parmi les individus arrêtés pour des délits de droit commun, et leur surreprésentation dans la catégorie des individus arrêtés pour délit contre les mœurs, illustrent ce double mouvement qui, a priori paradoxal, permet de naturaliser et d’exacerber par le traitement pénal la différence des sexes : aux individus masculins, les crimes sociaux et politiques, aux individus féminins, les crimes sexuels [74].

47Ainsi, dans les rapports généraux de la surveillance de l’an VI (1797/1798), il apparaît que si les femmes constituent seulement le quart des individus arrêtés dans Paris tous types de délits confondus, la seule catégorie de crime où ces dernières sont largement majoritaires relève des atteintes aux mœurs où elles constituent 75 % des individus arrêtés par les commissaires de police (voir tableau ci-dessous).

Catégories de crimes et délits par sexe dans le Paris révolutionnaire, 1797-1798

tableau im4
Type de crime ou délit Femmes Hommes Total Contre les biens 565 24 % 1 788 76 % 2 353 Contre les mœurs 1 148 75 % 398 25 % 1 561 Contre les personnes 163 15 % 919 85 % 1 082 Contre les autorités publiques 251 10 % 2 254 90 % 2 505 Autres 47 9 % 471 91 % 518 Total 2 174 27 % 5 830 73 % 8 019

Catégories de crimes et délits par sexe dans le Paris révolutionnaire, 1797-1798

Sources : Rapports généraux de la surveillance du Bureau central, AN, AFIV 1478-1482, F7 3840-3843, An VI (1797/1798) [75]

48À un niveau d’analyse plus fin, les comptes mensuels de l’an VII (1798/1799) permettent d’apprécier la part de la prostitution dans les délits contre les mœurs. Arrestations et interrogatoires confondus, les délits contre les mœurs représentent environ 13 % de la totalité des crimes et délits recensés par le Bureau central à cette période. La prostitution occupe une place centrale dans ces délits contre les bonnes mœurs puisqu’elle est le motif de 97 % des arrestations et interrogatoires recensés dans cette catégorie [76]. C’est donc dire que cette catégorie de délit contre les bonnes mœurs, alors même qu’elle ne vise pas la prostitution publique, n’est cependant utilisée par l’administration de police quasiment qu’à cet effet.

49À la fin du Directoire, l’atteinte aux mœurs constitue donc l’apanage exclusif de la prostitution de rue. Une comparaison avec le système judiciaire révolutionnaire permet de corréler cette affirmation. L’étude de Robert Allen sur les tribunaux criminels démontre que de 1792 à 1811, les femmes accusées de crimes représentent seulement 16 % de la totalité des individus jugés. Il note cependant qu’elles ont obtenu un taux d’acquittement plus élevé, ainsi que des peines moins sévères que les hommes, ce qui s’explique selon lui par l’idée foncièrement « masculine » que se font les jurés des femmes, lesquelles ne peuvent être considérées comme pleinement responsables de leurs actes [77]. En revanche, il constate que les jurés ont particulièrement puni les femmes des classes populaires dont la sexualité semblait menacer l’autorité patriarcale au titre de la disposition de la loi du 19 juillet 1791 relative aux délits contre les bonnes mœurs. Parce qu’elle vise en premier lieu les jeunes filles célibataires, la juridiction criminelle est porteuse d’une certaine « réaction masculine contre la présumée sexualité débridée des femmes [78] ».

50De même, dans les rapports du Bureau central, la dénonciation du scandale de la prostitution témoigne à la fois du durcissement des autorités de police à l’égard des transgressions féminines de la bienséance sexuelle et de la nécessité impérieuse de contrôler les conduites féminines dans l’espace public. Les comportements des prostituées dans la rue sont ainsi érigés en un véritable repoussoir moral venant incarner l’antithèse des bonnes mœurs républicaines, justifiant leur intégration à la marge de la citoyenneté et la poursuite d’une police de leurs modes d’existence et de subsistance dans la capitale.

Conclusion

51Le scandale de la prostitution ne découle pas automatiquement des transformations ou des dysfonctionnements de la société révolutionnaire, mais constitue le produit d’un travail de construction policière d’un problème de la prostitution [79]. Sous l’effet de cette prose policière, cette activité pourtant tolérée par la nouvelle loi révolutionnaire (re)devient intolérable et se trouve insensiblement annexée au champ des délits contre les bonnes mœurs. Par cette accumulation de discours et de pratiques qui détournent la catégorie d’action publique d’« atteinte aux bonnes mœurs », les administrateurs du Bureau central apportent une solution pragmatique à l’appel de Reubell qui, en constatant les « progrès du libertinage », soulignait les limites de l’entreprise de régénération morale portée par le projet légaliste révolutionnaire. La rhétorique policière du scandale de la prostitution offre ainsi une étude de cas située et « au ras du sol » des opérations de légitimation et de légalisation d’un pouvoir policier discrétionnaire en Révolution. Plus spécifiquement, cette capacité de l’administration policière à produire de l’illégalité atteste des reconfigurations de l’espace public républicain qui à la sortie de la « Terreur » ne se trouve plus structuré autour de la loi pénale, mais autour de la police [80].

52Le Bureau central, « entrepreneur de morale » en Révolution, est en effet l’exemple même de ce nouveau pouvoir policier républicain « actionné par le pouvoir exécutif, [et placé] au centre de la régulation républicaine, reléguant le pouvoir législatif dans l’obscurité d’un arrière-plan [81] ». Aussi, son action contre la prostitution participe d’une surveillance sociale plus générale des comportements de genre, de classe et de sexualité, visant à inscrire dans le réel une définition de la bonne citoyenneté conforme au projet républicain. À cet égard, l’étude du discours porté par les rapports d’esprit public rappelle la fonction du genre et de la sexualité comme « langage privilégié signifiant les rapports de pouvoir [82] ». Dans ces derniers, les comportements sexuels des jeunes femmes de la rue parisienne constituent un élément clivant du paysage civique qui appelle un contrôle policier sur le terrain. En retour, la promotion des bonnes mœurs sert à la fois d’outil paralégal d’incrimination de la prostitution et de support à une mise à distance des catégories instables de la communauté des « honnêtes citoyens ». Se trouvent ainsi révélées par cette problématisation policière de la prostitution les logiques sous-jacentes de genre, de classe et de sexualité qui organisent la redéfinition d’un ordre public républicain fondé sur « la distinction qui deviendra récurrente en France au XIXe siècle et qui oppose une classe morale à une classe pervertie [83] ».


Date de mise en ligne : 19/03/2015

https://doi.org/10.3917/pox.107.0007

Notes

  • [1]
    Je remercie les organisatrices du panel « Affaires sexuelles, questions sexuelles, sexualités » du 12e congrès de l’Association française de science politique en 2013, Sandrine Lévêque et Frédérique Matonti, sans lesquelles ce texte n’aurait pas vu le jour. Ce dernier a bénéficié des commentaires de Virginie Martin, Frédérique Matonti, Bruno Perreau et Anne Verjus, des discussions du séminaire de l’Institut d’histoire de la Révolution française où une seconde version fut présentée, ainsi que de la relecture attentive et stimulante des évaluateurs anonymes de la revue Politix.
  • [2]
    Le Directoire est le nom du régime établi par la Constitution de l’an III, du 26 octobre 1795 (4 brumaire an IV) au 9 novembre 1799 (18 brumaire an VIII). Reubell est l’un des cinq directeurs qui ont en charge le pouvoir exécutif.
  • [3]
    Archives nationales (AN), AA 15, Dossier 759 : Projet de message au Directoire exécutif, pour obtenir du Conseil des Cinq-Cents une loi contre les filles publiques, 16 nivôse an 4 (6 janvier 1796).
  • [4]
    De Baecque (A.), Le corps de l’histoire : me?taphores et politique, 1770-1800, Paris, Calmann-Lévy, 1993 ; Hunt (L.), Le roman familial de la Révolution française, Paris, Albin Michel, 1995 ; Hunt (L.), « Pornography and the French Revolution », in Hunt (L.), ed., The Invention of Pornography: Obscenity and the Origins of Modernity, 1500-1800, Cambridge, MIT Press, 1993.
  • [5]
    Sabatier (M.), Histoire de la législation sur les femmes publiques et les lieux de débauche, Paris, J. P. Roret, 1828, p. 197 ; Parent-Duchâtelet (A.J.B.), De la prostitution dans la ville de Paris, considérée sous le rapport de l’hygiène publique, de la morale et de l’administration, Bruxelles, Hauman, Cattoir, 1836, p. 602 ; Lecour (C. J.), La prostitution à Paris et à Londres, 1789-1870, Paris, Asselìn, 1870, p. 42 ; Goncourt (E. et J.), Histoire de la société française pendant la Révolution, Paris, Éditions du Boucher, 1889, p. 184-191 ; Fleischmann (H.), Les filles publiques sous la Terreur, Paris, A. Méricant, 1908.
  • [6]
    Dans un ouvrage récent établissant une généalogie scrupuleuse des politiques de la prostitution du Moyen Âge à nos jours, l’auteure, Amélie Maugère, passe ainsi directement du régime répressif de l’Ancien Régime au système de « Tolérance » des années 1800, laissant de côté la décennie révolutionnaire, Maugère (A.), Les politiques de la prostitution : du Moyen Âge au XXIe siècle, Paris, Dalloz, 2009.
  • [7]
    Mis en place sous le ministère de Garat le 3 mai 1793, ces derniers prennent leur forme définitive et régulière sous le Bureau central. Ils ont été pour l’essentiel édités par Aulard (F. A.), dir., Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire : recueil de documents pour l’histoire de l’esprit public à Paris, Paris, L. Cerf, 1898-1902. Pour les rapports d’esprit public du Bureau central que nous citons, les renvois sont indiqués comme tels : Rapport du 6 nivôse an IV (27 décembre 1795), PSD II, p. 572. PSD = Aulard François-Alphonse (dir.), Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire: recueil de documents pour l’histoire de l’esprit public à Paris, Paris, L. Cerf; Quantin, 1898-1902, 5 volumes (chaque volume est indiqué en chiffre romain, exemple : volume I = PSD I).
  • [8]
    La sociohistoire du contrôle policier de la prostitution effectuée par Gwénaëlle Mainsant invite à mobiliser cette perspective pour interroger la police révolutionnaire, Mainsant (G.), L’État et les illégalismes sexuels : ethnographie et sociohistoire du contrôle policier de la prostitution a? Paris, thèse pour le doctorat de sociologie, EHESS, 2012 ; Pour notre période, voir notamment Cohen (D.), « Savoir pragmatique de la police et preuves formelles de la justice : deux modes d’appréhension du crime dans le Paris du XVIIIe siècle », Crime, Histoire & Sociétés/Crime, History & Societies, 12 (1), 2008.
  • [9]
    Barthe (Y.) et al., « Sociologie pragmatique : mode d’emploi », Politix, 103 (3), 2013.
  • [10]
    Cohen (D.), « Savoir pragmatique de la police et preuves formelles de la justice », op. cit., p. 5.
  • [11]
    Foucault (M.), Histoire de la sexualité. Tome 1. La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 37.
  • [12]
    Fassin (É.), « Événements sexuels. D’une « affaire » l’autre, Clarence Thomas et Monica Lewinsky », Terrain, 38, p. 22.
  • [13]
    Benabou (É.-M.), La prostitution et la police des mœurs au XVIIIe siècle, Paris, Perrin, 1987, p. 265.
  • [14]
    Hufton (O.), The Poor of Eighteenth-Century France 1750-1789, London, Oxford University Press, 1974.
  • [15]
    Les politiques de la prostitution ont fait l’objet des chapitres IV et V de notre thèse, Plumauzille (C.), Tolérer et réprimer : prostituées, prostitution et droit de cité dans le Paris révolutionnaire (1789-1799), thèse pour le doctorat d’histoire, Université Paris 1, 2013, p. 339-482.
  • [16]
    Chassin (C. L.), dir., Les E?lections et les cahiers de Paris en 1789, Paris, Jouaust et Sigaux, 1888.
  • [17]
    Cahier particulier de la ville de Paris, Chassin (C. L.), dir., Les E?lections et les cahiers de Paris en 1789. L’assemblée des trois groupes et l’assemblée générale des électeurs au 14 juillet. Tome 3, Paris, Jouaust et Sigaux, 1888, p. 407.
  • [18]
    Shapiro (G), Markoff (J), eds., Revolutionary Demands: a Content Analysis of the Cahiers de Doléances of 1789, Stanford, Stanford University Press, 1998, p. 266.
  • [19]
    Denis (V.), « Ordre public et révolution : la police d’un district parisien (1789-1790) », in Gainot (B.), Denis (V.), dir., Un siècle d’ordre public en Révolution : de 1789 à la Troisième République, Paris, Société des études robespierristes, 2009.
  • [20]
    Hesse (C.), « La logique culturelle de la loi révolutionnaire », Annales. Histoire, sciences sociales, 57 (4), 2002.
  • [21]
    Le Moniteur universel, 18, n° du 4 octobre 1793.
  • [22]
    Conner (S.), « Public Virtue and Public Women : Prostitution in Revolutionary Paris, 1793-1794 », Eighteenth-Century Studies, 28 (2), 1994.
  • [23]
    AN, AA 46, Rapports à la Convention, projets de décrets, dossier 1362 relatif à la prostitution et à la police des mœurs, 19 prairial an III (7 juin 1795).
  • [24]
    Limodin (C. L.), Réflexions générales sur la police, par le citoyen Limodin, S. l, an V, p. 1-2.
  • [25]
    Le Moniteur universel, 29, n° du 12 germinal an V (1er avril 1797).
  • [26]
    Rapport du 4 pluviôse an IV (3 février 1796), Aulard, PSD, II, p. 699.
  • [27]
    Rapport du 3 messidor an IV (21 juin 1796), Aulard, PSD, III, p. 262.
  • [28]
    Rapport du 10 thermidor an II (28 juillet 1794), Aulard, PSD, I, p. 13.
  • [29]
    Rapport du 21 germinal an VI (10 avril 1798), Aulard, PSD, IV, p. 601.
  • [30]
    AN, BB3 84, Rapport du 4 germinal an IV, (24 mars 1796).
  • [31]
    Rapport du 19 germinal an VI (8 avril 1798), Aulard, PSD, IV, p. 598.
  • [32]
    Rapport du 15 vendémiaire an III (6 octobre 1794), Aulard, PSD, I, p. 150.
  • [33]
    Rapport du 17 frimaire an IV (8 décembre 1795), Aulard, PSD, II, p. 474 ; Rapport du 17 nivôse an IV (7 janvier 1796), Ibid., p. 628 ; Rapport du 3 messidor an IV (21 juin 1796), Aulard, PSD, III, op. cit., p. 262 ; Rapport du 25 messidor an IV (13 juillet 1796), Ibid., p. 313 ; Rapport du 11 floréal an VI (30 avril 1798), Aulard, PSD, IV, p. 652 ; Rapport du 10 messidor an VI (28 juin 1798), Ibid., p. 756.
  • [34]
    17 frimaire an IV (8 décembre 1795), Ibid., p. 474 ; Rapport du 17 nivôse an IV (7 janvier 1796), Ibid., p. 628 ; Rapport du 4 pluviôse an IV (24 janvier 1794), Ibid., p. 699 ; Rapport du 3 messidor an IV (21 juin 1796), Aulard, PSD, III, p. 262.
  • [35]
    Rapport du 20 messidor an IV (8 juillet 1796), Aulard, PSD, III, p. 304.
  • [36]
    Rapport du 4 pluviôse an IV (3 février 1796), Aulard, PSD, II, p. 699.
  • [37]
    Cité dans Aulard, PSD, IV, p. 431.
  • [38]
    Elyada (O.), « La représentation de l’opinion publique populaire dans la presse parisienne révolutionnaire », Annales historiques de la Révolution française, 303 (1), 1996.
  • [39]
    Plumauzille (C.), « “Scandale” au Palais-Royal. Les riverains à l’épreuve des “femmes de mauvaise vie” sous la Révolution », Hypothèses, 2014 (1), à paraître.
  • [40]
    Ainsi, dans le quartier du Palais-Royal, haut lieu de la prostitution parisienne, le nombre des plaintes oscille entre 3 et 5 par année de 1795 à 1805, APP, AA 81 – AA 122, section de la Butte des moulins, 1790-1805.
  • [41]
    Rapport du 14 brumaire an VIII (5 novembre 1798), Aulard, PSD V, p. 784.
  • [42]
    Benabou (É.-M.), La prostitution et la police des mœurs au XVIIIe siècle, op. cit. ; Kushner (N.), Unkept Women: Elite Prostitution in Eighteen-Century Paris, 1747-1771, thèse pour le doctorat d’histoire, Columbia University, 2005.
  • [43]
    Pastorello (T.), « Stigmatisation et identification des pratiques homosexuelles masculines à travers des membres des classes populaires parisiennes au cours de la première partie du XIXe siècle », L’Atelier du Centre de recherches historiques. Revue électronique du CRH, 8, 2011.
  • [44]
    Plumauzille (C.), Tolérer et réprimer : prostituées, prostitution et droit de cité dans le Paris révolutionnaire (1789-1799), op. cit., p. 129-193.
  • [45]
    Ce néologisme, utilisé par l’historienne et politiste Anne Verjus, désigne l’idéal régulateur des relations homme-femme légitimant l’autorité maritale et la soumission consentie de l’épouse au tournant du XIXe siècle, Verjus (A.), Le bon mari : une histoire politique des hommes et des femmes à l’époque révolutionnaire, Paris, Fayard, 2010, p. 26.
  • [46]
    Rapport du 7 brumaire an IV (29 octobre 1795), Aulard, PSD, II, p. 344.
  • [47]
    Rapport du 18 ventôse an IV (8 mars 1796), Aulard, PSD, III, p. 31.
  • [48]
    Rapport du 3 messidor an IV (21 juin 1796), Ibid., p. 262.
  • [49]
    Rapport du 20 messidor an IV (8 juillet 1796), Aulard, PSD, III, p. 304.
  • [50]
    AN, BB3 84, Rapport du 24 ventôse an IV (14 mars 1796).
  • [51]
    AN, BB3 84, Rapport du 12 ventôse an IV (2 mars 1796).
  • [52]
    Heuer (J.), Verjus (A.), « L’invention de la sphère domestique au sortir de la révolution », Annales historiques de la Révolution française, 327 (1), 2002 ; Chappey (J.-L.), « Raison et citoyenneté : les fondements culturels d’une distinction sociale et politique sous le Directoire », in Monnier (R.), dir., Citoyen et citoyenneté sous la Révolution française, Paris, Société des études robespierristes, 2006 ; Jainchill (A.), Reimagining Politics after the Terror: the Republican Origins of French Liberalism, Ithaca, Cornell University Press, 2008.
  • [53]
    Rapport du 14 pluviôse an IV (3 février 1796), PSD, II, p. 733.
  • [54]
    DiCaprio (L.), The Origins of the Welfare Wtate : Women, Work, and the French Revolution, Urbana, University of Illinois Press, 2007.
  • [55]
    Aulard (F. A.), dir., Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire, op. cit.
  • [56]
    Parent-Duchâtelet (A.J.B.), De la prostitution dans la ville de Paris, considérée sous le rapport de l’hygiène publique, de la morale et de l’administration, op. cit., p. 603.
  • [57]
    Le Rédacteur, 27 fructidor an V (18 septembre 1797), cité dans Aulard, PSD, IV, p. 342 ; Le Rédacteur, 21 frimaire an VI (11 décembre 1797), cité dans Ibid., p. 621.
  • [58]
    Rapport du 10 messidor an VI (28 juin 1798), Aulard, PSD, IV, p. 756.
  • [59]
    Rousseaux (X.), « Politique judiciaire, criminalisation et répression. La révolution des juridictions criminelles (1792-1800) », in Martin (J.-C.), dir., La Re?volution a? l’œuvre : perspectives actuelles dans l’histoire de la Re?volution franc?aise, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.
  • [60]
    Benabou (É.-M.), La prostitution et la police des mœurs au XVIIIe siècle, op. cit., p. 69-72.
  • [61]
    AN, BB3 84, Rapport du 1er ventôse an IV (20 février 1796).
  • [62]
    Rapport du 27 fructidor an V (13 septembre 1797), Aulard, PSD, IV, p. 342.
  • [63]
    Rapport du 23 brumaire an IV (14 novembre 1795), Aulard, PSD, II, p. 379.
  • [64]
    Simonin (A.), « L’indignité ou les bonnes mœurs républicaines », in Bellot (R.), dir., Tous républicains ! Origine et modernité des valeurs républicaines, Paris, Armand Colin, 2011.
  • [65]
    APP, AA 99, section de la Butte des moulins, 27 pluviôse an IV (16 février 1796).
  • [66]
    AN, AFIV 1479, Rapport du 5 ventôse an VI (23 février 1798) ; AN, AFIV 1480, Rapport du 16 prairial an VI (4 juin 1798).
  • [67]
    AN BB18 755, Lettre du ministre de la Police générale appelant à la sollicitude du ministre [de la Justice] sur la nécessité de réprimer promptement les délits contre les bonnes mœurs qui se multiplient d’une manière effrayante, 7 nivôse an VI (27 décembre 1797).
  • [68]
    AN BB18 755, Lettre du ministre de la Justice au citoyen du Directoire exécutif près le tribunal correctionnel du canton de Paris relative aux délits contre les bonnes mœurs, 30 nivôse an VI (19 janvier 1798).
  • [69]
    AN BB18 758, Envoi d’une copie d’une lettre du Bureau central qui se plaint de l’inutilité de ses efforts pour réprimer la débauche, les juges de paix continuant de mettre en liberté les femmes publiques qu’on traduit devant eux, 15 messidor an VI (3 juillet 1798).
  • [70]
    AN BB18 758, Circulaire n° 1009 de l’Accusateur public du département de la Seine du 7 thermidor an VI relative aux délits contre les bonnes mœurs (25 juillet 1798).
  • [71]
    AN, AF IV 1488, Rapport du 21 messidor an VII (9 juillet 1799).
  • [72]
    AN, F7 3846, Rapports surveillance de la Préfecture de police de l’an XII.
  • [73]
    Berlière (J.-M.), La police des mœurs sous la IIIe Re?publique, Paris, Le Seuil, 1992.
  • [74]
    « La sévérité est de mise pour celles qui dérogent aux devoirs fondamentaux des femmes », souligne ainsi Michèle Perrot à propos de la construction sociale et sexuée de la déviance, Perrot (M.), « Présentation », in Bard (C.), Chauvaud (C.), Perrot (M.), Petit (J.-G.), dir., Femmes et justice pénale, XIXe-XXe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 14-15 ; cf. également Cardi (C.), « Le contrôle social réservé aux femmes : entre prison, justice et travail social », Déviance et Société, 31, 2007.
  • [75]
    D’après les données dépouillées par Conner (S.), « Public Virtue and Public Women », op. cit., p. 229.
  • [76]
    Comptes mensuels du Bureau central, AN, AFIV 1483-1488, an VII (1798/1799).
  • [77]
    Allen (R.), « La justice pénale et les femmes, 1792-1811 », Annales historiques de la Révolution française, 350 (4), 2007, p. 87-107.
  • [78]
    Ibid., p. 104. Cette tendance confirme les travaux de Nicole Castan sur la criminalité féminine sous l’Ancien Régime, Castan (N.), « Criminelle », in Duby (G.), Perrot (M.), Zemon Davis (N.), Farge (A.), dir., Histoire des femmes en Occident. Tome 3, Paris, Plon, 1991.
  • [79]
    Nous rejoignons ici la démarche constructiviste de la sociologie des problèmes sociaux qu’illustre bien le récent ouvrage du sociologue Lilian Mathieu, Mathieu (L.), La fin du Tapin. Sociologie de la croisade pour l’abolition de la prostitution, Paris, Éditions François Bourin, 2013.
  • [80]
    Hesse (C.), « La logique culturelle de la loi révolutionnaire », op. cit. ; Simonin (A.), Le déshonneur dans la République, Paris, Grasset, 2008.
  • [81]
    Serna (P.), « Existe-t-il un “extrême centre” ? », in Guilhaumou (J.), Monnier (R.), Tournier (M.), dir., Des notions-concepts en re?volution autour de la liberte? politique a? la fin du XVIIIe sie?cle, Paris, Société des études robespierristes, 2011, p. 153.
  • [82]
    Scott (J. W.), « Le genre : une catégorie utile d’analyse historique », in Scott (J. W.), De l’utilité du genre, Paris, Fayard, 2012 (e.o. 1986), p. 41.
  • [83]
    Lascoumes (P.), « Révolution ou réforme juridique ? Les codes pénaux français de 1791 à 1810 », in Rousseaux (X.), Dupont-Bouchat (M.-S.), Vael (C.), dir., Révolutions et justice pénale en Europe : modèles français et traditions nationales, 1780-1830, Paris-Montréal, L’Harmattan, 1999, p. 68.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.172

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions