Notes
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[1]
Koopmans (R.), Statham (P.), « How National Citizenship Shapes Transnationalism. A Comparative Analysis of Migrants Claims-Making in Germany, Great Britain and the Netherlands », Revue européenne des migrations internationales, 17 (2), 2001. Pour le mouvement aléviste, cf. Massicard (E.), « Alevist Movements at Home and Abroad: Mobilization Spaces and Disjunction », New Perspectives on Turkey, 28-29, 2003.
-
[2]
Les alévis sont un groupe confessionnel hétérodoxe, dont les liens avec l’islam sont sujets à controverses, que l’on estime constituer entre 15 et 20 % de la population de Turquie. Je distingue entre « alévité » (le fait sociologique) et « alévisme » (la mobilisation en son nom), et donc aussi entre « alévis » (« sociologiques ») et « alévistes ».
-
[3]
D’autres, moins nombreux, ont milité dans le premier mouvement aléviste, d’ampleur assez réduite, dans les années 1960.
-
[4]
Fillieule (O.), « Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel », Revue française de science politique, 51 (1-2), 2001.
-
[5]
Il s’agit de carrières relativement « typiques », en ce qu’au bout de quelques dizaines d’entretiens, l’enquêtrice ressent un début de compréhension des parcours personnels, de cohérence face à certaines histoires de vie qui lui en rappellent d’autres, lui font anticiper certaines réponses des enquêtés, et lui font saisir peu à peu certaines logiques d’engagement. Siméant (J.), Dauvin (P.), Le travail humanitaire. Du siège au terrain, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, p. 71.
-
[6]
Vorhoff (K.) Zwischen Glaube, Nation und neuer Gemeinschaft: Alevitische Identitat in der Türkei der Gegenwart, Berlin, Klaus Schwarz, 1995.
-
[7]
Certains interviewés – surtout en Turquie – ont préféré ne pas dire dans quel(s) groupe(s) ils avaient été actifs.
-
[8]
Dans divers groupes politiques ou syndicaux. Cet engagement peut également concerner des groupes illégaux, parfois armés. Parmi les membres éminents du mouvement aléviste, on trouve des anciens du TKP-ML maoïste (Türkiye Komünist Partisi/Marksist-Leninist, Parti Communiste de Turquie – marxiste léniniste), de Dev-Genç (Devrimci Gençlik, Jeunesse Révolutionnaire), de Dev-Yol (Devrimci Yol, Voie Révolutionnaire, organisation de gauche radicale créée en 1977 pour prendre la relève de Dev-Genç), ou encore de groupes révolutionnaires kurdes. Sur Dev-Genç, cf. l’article d’Ay?en Uysal dans ce numéro.
-
[9]
L’expérience de la clandestinité avant 1980 ne semble pas déterminante dans la suite de leur parcours. En effet, lycéens à cette époque, ils n’ont pas pris le maquis et n’ont pas connu la clandestinité « extrême » avant le coup d’État. Ensuite, toutes les organisations, même légales, sont interdites en 1980. C’est au plus tard à ce moment-là qu’ils font l’expérience de la clandestinité. Les compétences « illégales » (maniement des armes notamment) ne seront pas actualisées par la suite dans ce type de trajectoire, et ne constituent donc pas une variable discriminante.
-
[10]
Interviewé A, ancien militant du TKP-ML et de la gauche révolutionnaire kurde, né en 1959 dans un village d’Anatolie centrale, devenu ingénieur cartographe. Entretien à Ankara, 16 novembre 2000.
-
[11]
Interviewé B, ancien militant de gauche, né dans un village d’Anatolie centrale, devenu avocat. Entretien, Ankara, 14 novembre 2000.
-
[12]
Ils n’ont pas tous voulu dire s’ils avaient eux-mêmes employé la violence. En revanche, certains prennent soin de souligner qu’ils ne l’ont pas employée.
-
[13]
Interviewé B.
-
[14]
Interviewé C, ancien militant d’un groupe de gauche durant ses années au lycée professionnel, né en 1961 en Anatolie centrale. Alors qu’il travaillait déjà en tant que lycéen, il a fui à Istanbul après le coup d’État. Il y a été admis à l’université en droit, et est devenu avocat. Entretien à Ankara le 27 novembre 2000.
-
[15]
Bozarslan (H.), « Le phénomène milicien : une composante de la violence politique dans la Turquie des années 1970 », Turcica, XXXI, 1999.
-
[16]
Le coup d’État entendait mettre un terme à la « politisation » en dissolvant tous les partis et la majorité des organisations, ainsi que par des arrestations et emprisonnements massifs : 650 000 personnes en garde à vue, des centaines de décès suspects, une purge de l’administration donnent une idée du degré sans précédent de coercition employé. En raison de l’orientation idéologique de la junte, la répression est globalement plus sévère envers les militants de gauche qu’envers ceux de droite.
-
[17]
Interviewé D, ancien militant d’un groupe de jeunesse armé, né en 1962 dans un village d’Anatolie centrale. Après avoir étudié la philosophie, il est devenu fonctionnaire municipal tout en faisant du commerce. Entretiens à Ankara, 22 septembre 1999 et 13 novembre 2000.
-
[18]
Interviewé B.
-
[19]
Interviewé A.
-
[20]
Interviewé C.
-
[21]
Le régime militaire prend fin en 1983, mais les associations et activités politiques ne sont pas tout de suite autorisées. Ces restrictions durent plus longtemps pour la gauche, sans parler de la peur.
-
[22]
Cf. McAdam (D.), « Pour dépasser l’analyse structurale de l’engagement militant », in Fillieule (O.), dir., Le désengagement militant, Paris, Belin, 2005 ; voir aussi Opp (K.-D.), Roehl (W.), « Repression, Micromobilization, and Political Protest », Social Forces, 69 (2), 1990. Fillieule (O.), Bennani-Chraïbi (M.), « Exit, Voice, Loyalty… et bien d’autres choses encore », in Bennani-Chraïbi (M.), Fillieule (O.), dir., Résistances et protestations dans les sociétés musulmanes, Paris, Presses de Sciences Po, 2003.
-
[23]
C’est probablement une différence avec ceux qui étaient déjà à l’université à la fin des années 1970, dont le cursus a souvent été bouleversé, voire empêché, par leur engagement politique, les universités étant des lieux d’affrontement. Or les individus qui n’ont pas poursuivi d’études supérieures n’ont pas atteint ces positions de responsabilité dans les organisations alévistes (certains en sont de simples membres). De ce fait, ils ne figurent pas dans l’échantillon étudié.
-
[24]
C’est-à-dire avant l’ouverture des universités privées et de nombreuses universités de province.
-
[25]
Certains sont passés de justesse. L’un d’entre eux, bien qu’ayant réussi le concours d’admission à l’université, a été empêché de s’inscrire car il était prévenu dans un procès. Il a dû représenter le concours deux ans plus tard, puis changer d’université.
-
[26]
La loi de libération conditionnelle n’intervient qu’en 1991.
-
[27]
C’est aussi au cours des années 1980 que, pour la plupart, ils se marient et, pour certains, ont leurs premiers enfants.
-
[28]
Il est difficile d’affirmer que ces individus ont choisi des métiers « de cause » comme avocat, le choix de la branche d’études et de la profession en Turquie étant très contraint par le système d’entrée à l’université, comme en témoigne l’interviewé B : « Je ne savais pas trop [quoi étudier], je pensais plutôt être médecin. C’était ma quatrième préférence, d’étudier le droit. C’est sorti comme cela, en fait, ce métier n’est pas vraiment à mon goût. »
-
[29]
Certains s’investissent de nouveau dans des partis de gauche modérée ou dans des syndicats, mais seulement après s’être engagés dans d’autres types d’organisations.
-
[30]
La gauche radicale survit cependant, et est animée notamment par des personnes pour lesquelles la répression a entraîné une rupture biographique majeure, qui n’ont souvent « plus rien à perdre ».
-
[31]
Certaines, d’ailleurs, n’ont pas été fermées.
-
[32]
Cf. à ce sujet Lagroye (J.), dir., La politisation, Paris, Belin, 2003.
-
[33]
Cf. notre article « Entre l’intermédiaire et l’“homme d’honneur” : savoir-faire et dilemmes notabiliaires en Turquie », Politix, 67, 2004.
-
[34]
Sur ces organisations, voir le dossier dirigé par Jeanne Hersant et Alexandre Toumarkine, « Hometown Organizations in Turkey », European Journal of Turkish Studies, 2005 [en ligne : http://ejts.revues.org/index359.html].
-
[35]
Par exemple Ya?ar (N.), Bursa Kent Merkezinde Faaliyet gösteren Hem?ehri Dernekleri ve bu Derneklerin Bursa’n?n sosyo-politik Yap?s?na Katk?lar?, Yüksek Lisans tezi, ?stanbul, Marmara Üniversitesi, 1999.
-
[36]
Quartier périphérique peuplé de migrants issus de l’exode rural, dans lequel la gauche était dominante dans les années 1970.
-
[37]
Habitat auto-construit. Interviewé A.
-
[38]
Pour l’articulation entre associations de villages et organisations plus larges, voir notre article : « Politiser la provenance. Les organisations d’originaires de Sivas à Istanbul et Ankara », European Journal of Turkish Studies, 2, 2005 [En ligne : http://ejts.revues.org/index362.html].
-
[39]
Quand ce type de regroupement n’existe pas pour une région donnée, ces anciens militants peuvent aussi impulser leur création. C’est le cas de l’un de nos interviewés, qui contribue à la création en 1993 d’une fédération d’associations de village de gauche, très sensible aux questions sociales.
-
[40]
Partiya Karkeren Kurdistan, Parti des travailleurs du Kurdistan formé en 1978 et menant une lutte armée.
-
[41]
Ils constituent l’un des deux profils types de fondateurs, l’autre étant constitué par des personnes plus âgées, qui souvent s’étaient déjà engagées dans la première mobilisation aléviste des années 1960, et qui ont souvent une orientation plus religieuse et conservatrice.
-
[42]
En 1993, une association de village dirigée par d’anciens militants de gauche organise une manifestation culturelle à connotation alévie à Sivas, une ville conservatrice d’Anatolie. Des groupes nationalistes et islamistes mettent le feu à l’hôtel où les participants résident. Trente-sept d’entre eux meurent dans l’incendie.
-
[43]
Massicard (E.) « Les mobilisations “identitaires” en Turquie après 1980 : une libéralisation ambiguë », in Dorronsoro (G.), dir., La Turquie conteste. Action collective et régime sécuritaire en Turquie, Paris, CNRS Éditions, 2005.
-
[44]
Ancien militant d’un groupe de gauche armé, né en 1961. Avocat depuis 1987, il participe aux procès politiques. Cofondateur d’un regroupement d’associations de village au début des années 1990, puis actif dans la création et la défense d’organisations alévies.
-
[45]
Pour une restitution de l’espace du mouvement aléviste et de ses lignes de clivage, cf. Massicard (E.), L’autre Turquie. Le mouvement aléviste et ses territoires, Paris, Presses universitaires de France, 2005, p. 89-109.
-
[46]
L’association aléviste la plus à gauche était à l’origine l’association du village d’un poète rebelle du XVIe siècle, figure centrale et de l’alévité et des mouvements de gauche. C’est cette association qui a organisé la manifestation culturelle qui a été la cible des événements de Sivas.
-
[47]
Précisons que les organisations hem?ehri sont peu nombreuses en Allemagne et n’occupent pas la place qu’elles ont en Turquie dans l’espace social des mobilisations. Il en est de même pour les organisations professionnelles, en tout cas concernant les migrants de Turquie.
-
[48]
Certains militants sont venus en Allemagne en tant qu’exilés politiques à la fin des années 1970 ou en 1980. D’autres sont venus en tant que travailleurs, en général plus tôt, et se sont engagés dans la gauche puis dans la cause aléviste en Allemagne. Nous n’avons pas pu établir de lien fort entre le « type » de migration et le type d’engagement. Cf. à ce sujet aussi Dufoix (S.), Politiques d’exil, Paris, Presses universitaires de France, 2003.
-
[49]
Bozarslan (H.), « Une communauté et ses institutions : le cas des Turcs en RFA », Revue européenne des migrations internationales, 6 (3), 1990.
-
[50]
Interviewé E, né en 1949, ancien enseignant syndiqué à gauche en Turquie, réfugié en Allemagne en 1978, où il devient ouvrier et peintre ; cofondateur de la première organisation alévie de Berlin. Berlin, 9 juillet 2001.
-
[51]
Vertovec (S.), « Berlin Multikulti: Germany, “Foreigners” and “World-openness” », New Community 22(3), 1996. Pour l’influence de ces politiques sur le développement des organisations alévies, cf. Kaya (A.), « Multicultural Clientelism and Alevi Resurgence in the Turkish Diaspora: Berlin Alevis », New perspectives on Turkey, 18, 1998.
-
[52]
Comme l’interviewé E, condamné à 23 ans de prison dans le procès d’un syndicat d’enseignants de gauche, avant d’être acquitté. Il ne retournera en Turquie qu’après 1995.
-
[53]
Abréviation courante pour les politiques publiques de promotion du multiculturalisme.
-
[54]
Sur l’importance de l’Allemagne comme espace d’implantation du PKK, cf. Grojean (O.), La cause kurde, de la Turquie à l’Europe, thèse de doctorat en sociologie, EHESS, 2008.
-
[55]
Schwalgin (S.), Sökefeld (M.), Institutions and their Agents in Diaspora: A comparison of Armenians in Athens and Alevis in Germany, Working Paper « transnational communities », WPTC-2K-11, 2000 [en ligne : http://www.transcomm.ox.ac.uk/working%20papers/schwal.pdf].
-
[56]
Almanya Alevi Birlikleri Federasyonu, Fédération des communautés alévies d’Allemagne, fondée en 1993.
-
[57]
Cf. Massicard (E.), L’autre Turquie, op. cit., p. 219-222.
1Les différences de stratégies et d’actions d’un mouvement « transnational », c’est-à-dire implanté dans plusieurs contextes nationaux, sont souvent conçues en termes de ressources ou de structures des opportunités politiques [1]. Ces différences sont donc reliées non pas au mouvement, souvent pensé comme homogène, mais à la disparité des contextes dans lesquels il agit. Cet article défend l’idée que les trajectoires contrastées des militants investis dans les espaces en question peuvent également expliquer les différences de stratégies et d’actions observées.
2Cet article questionne ainsi les trajectoires des entrepreneurs du mouvement aléviste [2], apparu à la fin des années 1980 à la fois en Turquie et dans la migration de Turquie en Europe. L’une des caractéristiques de cette mobilisation est que ses cadres sont très rarement des primo-militants. Ils ont souvent milité avant le coup d’État de 1980, dans leur grande majorité à gauche [3], sous différentes formes : partisane, syndicale, associative, légale ou non, armée ou non. Ces anciens militants de gauche constituent encore aujourd’hui une proportion très importante des cadres du mouvement aléviste. En outre, ils dominent (et ce depuis le début de la mobilisation) la majeure partie des organisations alévistes, à la fois en Turquie et en Europe. Ce poly-engagement diachronique (qui n’exclut pas l’existence de poly-engagements synchroniques) est une constante chez les cadres alévistes aussi bien en Turquie qu’en Allemagne. En revanche, les autres causes investies dans les années 1980 et 1990, c’est-à-dire après les engagements à gauche et avant ou en parallèle à l’engagement aléviste, divergent d’un espace à l’autre. On note ainsi, en Turquie, un passage massif par des organisations professionnelles (chambres d’avocats, d’ingénieurs, de médecins en particulier) ainsi que par des organisations de pays (regroupant les originaires d’un village ou d’une région). En Allemagne, à l’inverse, ces deux types d’engagement sont pratiquement absents. On note toutefois des passages par des causes comme la défense des droits des migrants et des organisations « multiculturelles », suivis donc par des reconversions dans l’alévisme.
3Cette contribution ambitionne de suivre les carrières de ces militants ayant connu une primo-socialisation politique analogue (dans la gauche), avant de connaître des reconversions divergentes dans des espaces différents, puis de devenir militants d’une cause de nouveau commune, l’alévisme. En effet, ces trajectoires divergentes fournissent une occasion de questionner les phénomènes de reconversion et notamment les contraintes pesant sur le poly-engagement et son évolution. On se propose ici d’articuler itinéraires militants et trajectoires biographiques, pour saisir comment ces individus se sont frayé un chemin dans l’univers des possibles que dessinent les contraintes structurelles [4]. Ces différentes formes de reconversion reflètent les transformations de l’offre d’engagement, elle-même fortement localisée : elle diverge en Turquie (répression sévère accompagnant le coup d’État de 1980, suivie par l’essor de causes et d’organisations « non politiques ») et en Allemagne (où l’offre d’engagement en tant que migrant est par nature différente).
4Ces trajectoires contrastées dans des espaces différents ont amené ces militants, à partir d’une expérience similaire, à côtoyer des mouvements distincts. Quelles compétences communes y ont-ils actualisées, valorisées, développées, éventuellement différemment, ou au contraire oubliées ? Dans quelle mesure y ont-ils acquis des savoir-faire et des ressources nouvelles, mais aussi des positions sociales différentes ? Leurs ressources, trajectoires et savoir-faire différenciés ont-ils influencé la manière dont ils ont in fine investi la même cause aléviste ? Quelles dispositions, compétences et relations formées lors de ces expériences militantes intermédiaires ont été recyclées et actualisées dans leurs manières de militer pour la cause aléviste ? Peut-on repérer dans les espaces turc et allemand des divergences de manières de militer pour la cause aléviste, que l’on pourrait rapporter aux socialisations militantes intermédiaires différentes ?
Stratégie de recherche
5Face à ces questions, force est de prendre acte de l’impossibilité d’effectuer une analyse quantitative. Tout d’abord, il est quasiment impossible d’accéder à des listes de membres (qui ne permettraient pas d’ailleurs d’isoler les alévis, sur lesquels on souhaite se concentrer ici). La plupart des organisations de gauche en Turquie dans les années 1970 (y compris légales) ont été fermées et leurs archives saisies par la junte militaire. Elles ont disparu de la circulation et sont aujourd’hui inaccessibles. La seule source existante, mais uniquement pour les organisations illégales, est constituée par les actes d’accusation des procès. Cette source pose des problèmes spécifiques et est difficile à exploiter. De plus, les individus en question sont issus de différentes organisations. Cela induit une limite importante : l’engagement dans les années 1970 était massif, mais l’on ne dispose pas des données qui permettraient d’évaluer quantitativement les phénomènes de réengagement après 1980 ou de comprendre qui ils concernent.
6La même limite vaut pour les organisations alévistes. Les fichiers d’adhérents sont demeurés inaccessibles : soit ils n’existent pas, ce qui est souvent le cas, soit il est très difficile au chercheur d’y avoir accès, en raison des réticences des organisations à divulguer ces informations, en particulier pour des raisons de confiance. Aucune donnée précise sur les membres des organisations alévistes n’est donc disponible, empêchant toute analyse par cohorte qui permettrait d’isoler ceux qui étaient engagés dans la gauche avant 1970. De ce fait, la description de ces trajectoires contrastées d’engagement, qu’on ne peut mesurer, est nécessairement impressionniste, même si elle repose sur des années de fréquentation de ces organisations.
7Dans ces conditions, que peut-on faire ? Plutôt que de tenter de comprendre le réengagement dans la cause aléviste à partir de variables indisponibles, j’ai préféré sélectionner parmi les nombreux récits de vie que j’ai recueillis les profils comparables sur les espaces turc et allemand. J’ai donc isolé une génération marquée par une même première expérience d’engagement spécifique et très forte dans la gauche avant 1980, dont les protagonistes ont subi la répression du coup d’État, puis sont devenus, dix ou quinze années plus tard, cadres alévistes en Turquie ou en Allemagne. Cette « génération » présente plusieurs caractéristiques saillantes [5] : il s’agit exclusivement d’hommes nés à la fin des années 1950 ou au début des années 1960, qui sont parmi les premiers à s’être engagés dans la cause naissante aléviste au début des années 1990 (voire à la fin des années 1980) ; en outre, ils l’ont fait non pas comme simples membres, mais très vite dans des positions de responsables ; enfin, ils l’ont fait dans un secteur spécifique du mouvement aléviste, celui situé le plus à gauche. Ils présentent également des caractéristiques sociales spécifiques – bien que relativement courantes dans cette génération – sur lesquelles nous reviendrons plus précisément plus loin dans l’article : ils sont issus de milieux ruraux très modestes et ont souvent connu une ascension sociale importante, en particulier par l’éducation.
8Comment ai-je procédé ? J’avais recueilli des parcours de vie lors de mon travail de doctorat. Après avoir restitué leurs trajectoires dans le contexte plus large de ce que l’on connaît des biographies de certains cadres alévistes [6], je suis retournée voir certaines personnes que j’avais alors interviewées, cette fois en fonction de ces nouvelles interrogations, et j’en ai rencontré quelques autres. En raison de contraintes de temps, je n’ai pu retourner qu’en Turquie et non en Allemagne, ce qui induit un certain déséquilibre. J’ai procédé avant tout par entretiens semi-directifs approfondis et récits de vie avec un nombre limité de cadres alévistes, dans le but de recueillir des éléments de compréhension de l’entrée dans ces engagements : sur les raisons du maintien de l’engagement – fût-ce sous des formes évolutives – ou de son abandon ; sur les formes et raisons des reconversions ; sur les compétences, ressources et liens acquis dans ces différents contextes, et sur la perception de ces évolutions. Les questions étaient systématiquement assorties d’une demande de datation.
9Cette manière de procéder comporte d’évidentes limites. Elle induit en particulier la reconstitution rétrospective des itinéraires. En outre, l’évocation d’un passé pas toujours cicatrisé comporte une dimension émotionnelle forte : s’il est relativement aisé de parler de la garde à vue, de la prison ou de l’exil, il reste souvent difficile d’évoquer l’appartenance, même révolue, à des organisations illégales ou armées [7], ou encore le fait d’avoir été torturé. Dans la mesure du possible, j’ai donc complété les entretiens par des observations et des connaissances accumulées grâce au suivi de certains de ces cadres sur plusieurs années, aux conversations informelles, aux anecdotes, plus globalement à « l’envers du décor ». À travers ces méthodes qualitatives, j’ai cherché à mieux cerner la dynamique des carrières, les trajectoires des militants investis, à repérer les positionnements multiples de ces cadres et leurs passages d’un champ à un autre, ainsi que les compétences et liens acquis et leur(s) recyclage(s). De même, j’ai tenté de repérer au sein des biographies les épisodes significatifs qui ont pu infléchir certains parcours. Je vais donc proposer une étude dynamique des carrières militantes caractéristiques de ces cadres, en articulant une analyse compréhensive des raisons d’agir avancées par les individus et l’objectivation des positions qu’ils ont successivement occupées. Il s’agira de lier les récits aux contextes auxquels ils se réfèrent aussi bien qu’aux caractéristiques de leurs émetteurs, faisant ainsi entrevoir, au-delà de la singularité des itinéraires individuels, des régularités et trajectoires types.
10Je présenterai la primo-socialisation politique analogue (dans la gauche) de ces cadres alévistes, avant de m’attarder dans un deuxième temps sur les trajectoires militantes divergentes qu’ils ont suivies en Turquie et en Allemagne, puis de revenir sur les manières différentes dont ils sont entrés et militent dans une cause commune, l’alévisme, dans ces deux espaces.
Un primo-engagement commun dans la gauche avant 1980
11Les entrepreneurs alévistes ici étudiés ont une primo-socialisation politique commune, faite d’un engagement à gauche dans les années 1970, puis de la répression qui s’en est suivie.
L’engagement à gauche avant 1980
12En dehors de quelques dignitaires alévis traditionnels, la grande majorité des cadres alévistes ont connu un engagement préalable à gauche, pouvant aller de la social-démocratie aux différents avatars du marxisme [8]. Il date dans la majorité des cas des années 1970, même s’il remonte pour quelques individus plus âgés aux années 1960. Les individus ici étudiés sont nés grosso modo entre 1955 et 1965. Ils étaient trop jeunes pour avoir véritablement vécu le coup d’État de 1971 : aucun n’en parle dans les entretiens. Ce n’est donc pas une expérience décisive pour eux. Leur socialisation politique date de la fin des années 1970. En quoi consiste-t-elle ? Ces individus ont appris comment fonctionne une organisation, parfois clandestine [9]. Ils ont tous fait l’expérience des débats idéologiques, des réunions. Tous ont participé à des défilés de rue, certains ont distribué des tracts. Cette socialisation s’est faite entre autres en milieu scolaire – pour la plupart au lycée, pour certains dès le collège. C’est en général à la période du lycée qu’ils font remonter leur engagement. Dès cette période, certains jouaient un rôle actif : « Je dirigeais le comité étudiant du lycée de Mamak [à Ankara]. Nous avons été blessés, plusieurs fois [10]. » Mais d’autres étaient entraînés par la dynamique des événements : « J’étais au lycée, mais ces phénomènes allaient jusqu’au collège. Ce qui se passait c’est que les grands frères organisaient des manifestations, des actions et les petits frères, qui étaient dans la même école ou pas loin, participaient [11]. » La politique est donc une expérience qu’ils vivent au quotidien, au sein de l’institution scolaire (luttes avec d’autres lycéens, avec l’administration scolaire), mais aussi parfois dans le cercle familial, au sein du quartier (altercations dans la rue), donc qui marque plus largement les sociabilités quotidiennes, ce qui en fait une expérience subjectivement très marquante. Tous font aussi l’expérience de la violence. Soit activement [12], soit passivement (certains sont blessés), ou encore par l’intermédiaire de proches. Au minimum, tous ont été témoins de scènes de violence, notamment de combats de rue.
13Ces premiers engagements à gauche, dans ce contexte très spécifique, constituent une socialisation secondaire marquante. Tous les interlocuteurs qualifient cette période de centrale dans la constitution de leur identité. L’un d’entre eux précise ainsi : « Je vis toujours dans la psychologie de ces années [avant 1980]. Je crois toujours au socialisme, comme la seule solution aux problèmes et pour l’humanité. C’est-à-dire que je n’ai pas coupé. Mais j’ai changé de méthode, de formes [13]. » Un autre ancien militant de gauche établit explicitement une continuité dans sa trajectoire militante, malgré le changement de cause : « J’ai été très influencé [par la période des années 1970]. J’ai changé, mais je me suis resté fidèle [14]. » Bien que très forte, cette expérience n’est pas discriminante, dans la mesure où il s’agit d’une période de politisation massive, notamment chez les jeunes [15] : les processus de « sélection » qui feront de ces individus des cadres alévistes interviennent plus tard.
La répression
14Une autre constante est que tous ces individus font une expérience personnelle et marquante de la répression, qui intervient au plus tard en 1980 avec le coup d’État militaire [16]. Certains l’éprouvent avant : ils subissent des sanctions disciplinaires en milieu scolaire en raison de leurs activités politiques. Les plus « mouillés » n’ont pas attendu 1980 pour passer par la case prison : l’un d’entre eux, membre d’un groupe illégal, fait un mois de prison par an en moyenne à partir de 1978, alors qu’il n’a que seize ans, et y subit la torture. Comment se manifeste cette expérience de la répression ? Tous sont passés en garde à vue. La majorité a fait de la prison. Beaucoup ont été torturés. Ils sont donc « fichés », connus des services de sécurité. Rares sont ceux – mais ils existent – qui sont passés à travers les mailles du filet, par exemple en fuyant leur lieu d’habitation ou en partant à temps à l’étranger. L’un d’eux se réfugie ainsi à Istanbul pour passer inaperçu. La répression est souvent aussi l’expérience de l’arbitraire. L’un d’entre eux raconte : « Ils cherchaient un homme grand et brun. Raté, je suis petit et blond. Ils m’ont embarqué quand même. C’était ridicule ! Quand j’ai été traîné devant le juge, il n’a pas pu s’empêcher de rire [17]. » Cette expérience de la répression renforce leur conviction que les institutions sont « fascistes » et les conforte dans leur opposition au « système ». « Comme tout le monde, j’ai eu des problèmes parce que je suis alévi. Soit tu subis le bâton, la torture ou alors c’est une torture plus perfide, des obstacles, l’exclusion, le fait d’être assiégé [18]. »
15Après cette socialisation politique commune, les individus ici étudiés suivent des trajectoires militantes très différentes en Turquie et en Allemagne.
En Turquie : désengagement et retour progressif à la militance à travers des causes « apolitiques »
Un désengagement provisoire
16Ceux qui restent en Turquie sont pratiquement obligés d’abandonner leurs activités politiques après 1980. S’engager à gauche, alors que les organisations sont démantelées et les dirigeants emprisonnés, suppose d’accepter des risques très importants (ce que personne ne peut alors ignorer) pour des chances de réussite minimes. Ces anciens militants sont isolés : « À Konya [où il étudie], j’habitais dans un foyer [étudiant]. J’y suis arrivé après le 12 septembre [1980, date du coup d’État]. Il y avait une ambiance de répression, de peur […]. Le premier jour, j’ai pleuré dans les toilettes. Personne de connu. Autour de moi il n’y avait que des gens apolitiques [19]. » Un autre, désirant poursuivre ses activités militantes, se trouve confronté à un contexte qui ne le permet tout simplement pas : « [Les membres de l’organisation avaient été arrêtés]. Du coup, à Istanbul, j’étais isolé, nos relations se sont interrompues. Je suis allé travailler à l’usine où je voulais recommencer des activités politiques. Mais il n’y avait pas de telles activités, les ouvriers avaient des valeurs très simples. C’est ainsi que j’ai compris qu’il fallait étudier pour pouvoir faire de la politique. Et c’est à l’université que j’ai vraiment ressenti la répression, la lourdeur du coup d’État. À Istanbul, d’abord l’armée était plus forte, et nous l’étions moins, nous n’avions pas d’argent, pas d’endroit où nous réfugier. Du coup, j’avais cinq à six amis… sur les 1 600 de la promotion, et nous ne parlions à personne d’autre sinon. Car il y avait des agents [espions] partout. Nous ne faisions aucune activité, nous essayions seulement de survivre. Nous ne pouvions rien faire d’autre [20]. » Cette période de désengagement obligé dure au moins cinq ans [21].
17Au niveau individuel, cette situation pose la question complexe des effets de la répression sur l’engagement [22]. Pourquoi ces individus se sont-ils ensuite réengagés, alors qu’ils ont subi de plein fouet la répression et qu’ils perçoivent les risques de l’engagement ? Comme beaucoup d’autres, ils auraient pu rompre avec l’activité militante. La dialectique que permet la notion de carrière entre les contextes et l’histoire individuelle, l’articulation qu’elle permet entre les changements dans la sphère des engagements et les changements dans la carrière professionnelle et personnelle, prend ici tout leur sens. Un élément d’explication de leur réengagement est sans doute la temporalité du coup d’État par rapport à leur histoire individuelle. En 1980, ces individus ont autour d’une vingtaine d’années. C’est pour eux la période des études et de l’entrée dans la vie active. Or ces anciens militants de gauche qui ont plus tard atteint des positions de direction dans les organisations alévistes en Turquie sont pratiquement tous diplômés du supérieur [23]. Ceci est d’autant plus décisif qu’en Turquie à cette période, une partie relativement réduite de la population est diplômée d’université [24], à plus forte raison encore dans les milieux modestes et d’extraction rurale dont sont issus ces individus. Ce sont donc des individus qui, bien qu’engagés précocement, n’ont pas dû sacrifier leurs études à leur engagement [25]. Cela confirme en outre le fait qu’ils n’étaient pas alors des leaders de gauche – ceux-ci soit ont été incarcérés, soit ont dû se cacher ou s’exiler pendant plusieurs années et donc n’ont pas pu poursuivre d’études durant cette période [26]. La carrière professionnelle de ces individus n’a donc pas été brisée par le coup d’État. Ils entament une vie professionnelle relativement normale, et connaissent assez peu de difficultés liées à la répression. Seuls certains – en particulier ceux qui entrent dans la fonction publique – subissent quelques obstacles, notamment en matière d’avancement.
18Quand s’engager redevient possible vers la fin des années 1980, leur position sociale a donc radicalement changé : ce ne sont plus des lycéens ni des étudiants, mais des pères de famille [27] installés dans la vie active, de surcroît dans des positions professionnelles relativement élevées. Durant les années de non-engagement, ces hommes ont acquis de nouvelles ressources. Des ressources culturelles d’abord, principalement des diplômes du supérieur leur donnant accès à des métiers valorisés mais ne nécessitant pas de capital financier ni social : fonction publique, avocat, ingénieur [28]. En second lieu, ils ont acquis le capital social qui accompagne ces diplômes, notamment en termes de liens de promotion et d’associations de diplômés de telle ou telle université. Ce capital social se renforce à l’entrée dans la vie active, en particulier pour les fonctionnaires qui peuvent développer des relations au sein de l’administration. Enfin, ces individus ont acquis des compétences professionnelles qui, pour certaines, peuvent être réinvesties dans l’engagement. C’est en particulier le cas des avocats et des fonctionnaires.
Le réengagement pour des causes « apolitiques »
19Ces ressources et compétences sont valorisables pour militer, mais n’ont pas la même valeur dans tous les types de militance. Ainsi, elles en ont assez peu dans des causes radicales, révolutionnaire ou nationaliste kurde par exemple. Cependant, l’accumulation de ces ressources ne permet pas d’expliquer pourquoi ces individus se réengagent. Ils le font d’ailleurs à un moment précis (vers la fin des années 1980) et d’une manière spécifique. Non pas – au moins dans un premier temps – dans des organisations de gauche [29], mais dans d’autres types d’organisations, ici encore particulières : principalement dans des organisations professionnelles et de solidarité de pays. Pourquoi ? Pour expliquer la manière dont s’opèrent les choix militants, il convient de prendre en compte non seulement l’accumulation de ressources, mais aussi l’offre politique, et donc de reconstituer l’espace des possibles dans lequel se jouent les engagements successifs. Or l’offre militante des années 1980 en Turquie est radicalement différente de celle des années 1970. L’environnement hostile à la gauche persiste au-delà du régime militaire. Les activités de la gauche radicale sont celles qui restent bannies le plus longtemps, jusqu’au début des années 1990 [30]. La gauche modérée et parlementaire est, elle aussi, lourdement affectée – les individus ici étudiés la soutiennent électoralement, et pour certains y militeront, mais quelques années plus tard. La création d’associations est de nouveau autorisée à partir de 1983, mais cette ouverture est contrainte et partielle. C’est donc dans des types d’organisations qui semblent n’avoir rien à voir avec la gauche, et qui figurent parmi les premières autorisées à se reformer [31] – car largement considérées comme « apolitiques » – que ces individus s’engagent, peut-être par défaut. Le changement des modes d’action est ici indéniable : ils n’utilisent plus ni violence, ni actions illégales. C’est précisément le changement de registre et de mode d’action qui semble leur permettre de se réengager, alors même qu’ils ont connu une répression très dure : l’ouverture de cette offre alternative leur permet de réinvestir l’arène des activités sociales sous une bannière a priori peu politique, et donc moins risquée (ou perçue comme moins risquée) qu’un engagement considéré comme « politique [32] ». En outre, ce réengagement leur permet de valoriser leurs ressources récemment acquises, bref de concilier des aspirations sociales, politiques et professionnelles.
20Les organisations professionnelles sont souvent les premières investies par ces individus. En être membre est parfois obligatoire (le barreau pour les avocats). C’est en tout cas conseillé pour toutes les professions libérales. Ces organisations permettent d’abord aux individus de valoriser leurs ressources professionnelles et sociales récemment acquises, ce également dans une logique de reconnaissance sociale. Les individus ici étudiés n’occupent pas de positions dirigeantes dans ces organisations (ou ne les ont pas encore acquises ?). En effet, ils sont alors jeunes dans leur carrière professionnelle et ne constituent pas l’élite de leur profession. En revanche, cette étape est importante, car elle leur permet de se socialiser dans leur milieu professionnel et participe de leur entrée dans le rôle de « notable [33] ». En outre, elle leur fait réinvestir – souvent insensiblement – l’arène des activités sociales.
21Le second type d’engagement, très massif, se fait dans les organisations de pays (hem?ehri [34]). Ces associations de hem?ehri, qui sont apparues suite au début de l’exode rural dans les années 1950, se développent de manière considérable après 1983. Beaucoup d’observateurs estiment que, jusqu’en 1980, les migrants se réunissaient davantage dans des organisations politiques et syndicales. Après cette date, les restrictions pesant sur la vie politique auraient ouvert la voie à la création d’associations de hem?ehri, ou dynamisé des organisations existantes [35]. Selon certains de leurs membres, ces groupements ont servi d’ersatz aux militants dans les années consécutives au coup d’État. Selon une ancienne responsable d’une association de solidarité d’originaires de la région de Sivas, marquée à gauche : « Il y avait [dans les années 1980] un besoin de former un environnement social pour tous les gens qui avaient été actifs en politique avant le coup d’État. Ils se sont retrouvés dans les organisations de la société civile après 1980, et ce sont notamment les associations de hem?ehri qui ont joué ce rôle. »
22Pourquoi les individus ici étudiés s’investissent-ils presque tous sans exception dans ce type d’organisation ? Un point important est qu’ils sont tous nés dans un village, ce qui les distingue d’autres anciens militants de gauche qui sont d’extraction urbaine et suivent ensuite des trajectoires différentes. Ceux qui nous occupent ici ont connu la vie villageoise dans des conditions difficiles (souvent sans eau courante ni électricité) avant de migrer en ville pendant leurs études, parfois dès le collège. Mais les difficultés continuent après l’exode rural : tous ont fait des petits boulots pour financer leurs études, vendu des bricoles dans la rue ou travaillé en usine. « J’ai grandi dans des conditions très difficiles, comme mon père était fonctionnaire. Nous n’avions aucune possibilité sociale. Nous étions officiellement à Ankara, mais en fait nous en étions coupés. Nous habitions à ?ahintepe, Tuzluçay?r [36] […] J’ai vu pour la première fois K?z?lay [le centre-ville] à 20 ans. J’ai vendu des petits pains dans la rue, j’ai fait des travaux manuels. Jusqu’à 20 ans, j’ai vécu dans un gecekondu [37]. » Ils font donc partie des rares personnes de leur village à avoir étudié. Parfois, ils sont « le premier étudiant du village ». Ils ont donc connu une ascension sociale importante. De ce fait, ils sont porteurs des caractéristiques sociales qui trouvent le mieux à s’exprimer dans les organisations de hem?ehri. Mais ils sont également poussés par leurs co-villageois – pour qui ils sont des « notables » – à s’investir activement dans ces organisations : ces derniers ont souvent recours à eux pour toutes sortes de services (accueil en ville, information, aide en tout genre y compris financière, conseil pour faire avancer les dossiers, recommandation, etc.). Ce faisant, les co-villageois obligent leurs « notables » à maintenir des liens avec le village, que ces derniers le veuillent ou non. En entretien, ces individus expliquent d’ailleurs leur engagement dans les organisations de hem?ehri par la responsabilité qu’ils ressentent envers les co-villageois dont ils ont partagé les conditions de vie difficiles avant de s’en sortir. Ces individus sont donc poussés par leur co-villageois non seulement à s’engager dans ces associations de village, mais aussi à y assumer des responsabilités : dans la mesure où les membres dirigeants de ces associations sont élus par les membres, ils y acquièrent souvent, et assez rapidement, des positions dirigeantes. Ce n’est cependant pas dans ces organisations qu’ils s’investissent le plus, ni elles qu’ils valorisent le plus. Au contraire, ils tentent même souvent de s’en « dégager » une fois qu’ils sont devenus cadres d’organisations alévistes.
23En effet, s’ils investissent le registre hem?ehri, ils ne le font pas sur n’importe quelle base. Ils délaissent souvent les organisations de village car ils ne se satisfont pas de l’entraide villageoise qu’ils jugent trop limitée et dont on peut supposer qu’elle leur offre peu de possibilités d’ascension ou de diversification de leur portefeuille relationnel, au profit de regroupements hem?ehri plus larges, au niveau des arrondissements ou des régions [38]. Comme l’explique un ancien militant dans un parti de gauche avant 1980, médecin, investi dans son association de village, mais surtout actif dans un regroupement d’associations de villages d’un arrondissement de Sivas à Ankara, ainsi que dans les organisations alévistes, et plus récemment dans la politique partisane : « Je joue à un niveau au-dessus. » La différence entre associations de village et regroupements hem?ehri régionaux ne se situe pas uniquement au niveau de l’envergure géographique de l’origine ; elle est aussi sociale. Alors que les associations de village s’adressent à tous les originaires, les regroupements rassemblent des originaires « choisis », de statut social relativement important, présents dans différents secteurs d’activité (médecins, ingénieurs, fonctionnaires, entrepreneurs, etc.) [39]. Dans les métropoles, être membre de ces organisations confère un certain prestige, une carte de visite et, éventuellement, du poids pour représenter les intérêts d’une région. Ces individus se tournent vers ces organisations car ils y côtoient des pairs, enrichissent leur capital social, mais aussi pour retrouver un environnement politique qui leur convient.
24De fait, ces regroupements ne sont jamais politiquement neutres, mais portent un projet social plus large. À leur arrivée, ces anciens militants de gauche peuvent également dynamiser ces organisations. Ainsi, selon un ancien sympathisant de gauche devenu avocat : « Lorsque je suis arrivé en 1991 [au regroupement régional], les dirigeants étaient un peu las, ils ne faisaient pas grand-chose. Et il y avait un groupe de gens, avec lesquels nous avons formé une liste, qui étaient jeunes, tous diplômés d’une école supérieure ou d’une université, souvent jeunes cadres dynamiques, qui avaient leur propre entreprise et étaient appréciés de leur entourage. C’était probablement aussi ma situation. Nous avons formé une belle liste, qui a bien plu. » Lors de la législature suivante, c’est un ancien militant d’un groupe révolutionnaire kurde, qui a connu prison et torture, qui prend la direction de l’association. Il est probable que l’arrivée de militants issus d’organisations plus idéologisées a entraîné un processus de politisation de certaines de ces associations : ainsi, au début des années 1990, la région d’attache de cette association est un lieu d’affrontements entre le PKK [40] et l’armée turque. Cette organisation proteste alors contre les exactions des forces de sécurité turques contre les villageois : elle organise une délégation, rédige un rapport très critique envers les autorités, qu’elle rend public. Lors de cette action qu’ils impulsent, les dirigeants font intervenir leurs compétences précédemment acquises dans d’autres types de militantisme, ainsi que leurs réseaux (barreau, syndicats, médias). Sous couvert d’une cause neutre et « apolitique » – la défense de la population locale –, ils font un usage de cette organisation politiquement très orienté et contestataire, car visant directement les forces de sécurité. On voit ici comment s’actualisent, à travers des individus ayant des trajectoires militantes spécifiques, des dispositions « anti-système » dans des organisations qui pourtant sont loin de les favoriser a priori.
L’engagement dans l’alévisme
25Les anciens militants de gauche qui nous occupent sont parmi les premiers à s’engager dans le registre aléviste, pour certains d’entre eux en tant que fondateurs de ces organisations [41]. Ils le font avant la massification de l’engagement dans cette cause, qui intervient à partir de 1993 après « l’événement de Sivas [42] ». Pourquoi passent-ils à ce nouveau registre, et contribuent-ils à sa formation ? Les regroupements d’organisations hem?ehri se font, nous l’avons vu, sur une base idéologique commune ; c’est-à-dire, en fait, souvent sur une base sociologiquement alévie en raison du large recoupement dans certaines régions mixtes entre clivages confessionnels et politiques. De l’aveu même d’une ancienne responsable, cette association d’originaires de la région de Sivas à Istanbul « représente le groupe alévi, de gauche ». De même, certains regroupements ne rassemblent en fait que des villages alévis. Pourquoi dès lors créer un nouveau type d’organisation ? Certaines pesanteurs sont associées aux organisations de hem?ehri, notamment liées à l’interconnaissance et aux hiérarchies villageoises. Créer des organisations alévistes permet à ces individus, d’une part, de créer « leurs » propres organisations et, d’autre part, de départiculariser des liens villageois conçus comme primordialistes, en vue de gagner une dimension plus large. De plus, il s’agit d’une période dans laquelle l’identité devient en Turquie un registre central de revendication et d’articulation des intérêts, qu’ils investissent souvent contre les mobilisations nationalistes kurdes ou islamistes alors en plein essor [43]. La dimension « politique » se fait de plus en plus présente par rapport aux organisations professionnelles ou hem?ehri. Mais ces individus ont désormais moins peur puisque, depuis 1980, ils ont connu des expériences de militantisme moins traumatisantes. En outre, ils sont devenus des personnes publiques et ont gagné en respectabilité.
26Ces individus sont d’autant plus « demandés » par des organisations nouvelles qui doivent se faire une place qu’ils disposent à la fois de la respectabilité, d’un important capital social, et de savoir-faire militants. Ils mettent ces derniers rapidement en pratique, par exemple en organisant des manifestations de grande envergure (100 000 personnes à Istanbul en 1993). Leurs compétences leur permettent également de faire avancer des dossiers, notamment dans le cas des avocats : « Nous avions fondé une association [alévie]. Parmi ses objectifs, il y avait “faire vivre la culture alévie” ; mais le mot “alévi” était interdit. C’est moi qui me suis occupé de ce procès, pendant trois ans [44]. » Cette expertise est vitale pour des organisations qui, au début, doivent affirmer leur existence sur le plan juridique. Ces anciens militants de gauche, au capital culturel et social important, se retrouvent rapidement à des positions de direction, qu’ils sont parvenus à pérenniser depuis lors.
27On l’a vu, ces anciens militants de gauche s’étaient positionnés sur un secteur spécifique des organisations de hem?ehri. De même, ils se positionnent sur un secteur spécifique du mouvement aléviste : les organisations qu’ils investissent ou créent sont les plus à gauche du mouvement, celles qui promeuvent une vision politique de l’alévité, et qui ont tendance à passer sous silence sa dimension religieuse. La plupart défendent une vision de l’alévisme proche du socialisme et de valeurs de gauche comme l’universalisme, la lutte contre l’injustice ou la défense de la laïcité [45]. Ces différents types d’engagement – dont nous avons retracé l’ordre chronologique « typique » – sont parfois aussi simultanés [46]. De fait, on observe de nombreux va-et-vient, et ces milieux sont en lien permanent entre eux, voire se recoupent largement.
En Allemagne : des reconversions « culturelles » avant le passage à l’alévisme
Une poursuite du militantisme dans un nouveau cadre « culturel »
28La manière dont les anciens militants de gauche arrivent à l’alévisme en Allemagne est très différente [47].
29Le coup d’État de 1980 a également des effets sur la situation en Allemagne. Ce pays accueille de très nombreux migrants de Turquie à la fin des années 1970. Cette migration est motivée principalement par des raisons politiques ; ce sont en majorité des militants de gauche qui y recourent. Beaucoup d’entre eux arrivent – légalement ou non – soit dans le cadre de l’asile politique, soit dans celui du regroupement familial. Pour eux, même si certains ont aussi expérimenté la prison ou la torture, la répression signifie d’abord l’exil et l’impossibilité de retourner en Turquie [48].
30À la différence de la Turquie, il reste possible en Allemagne de se mobiliser à gauche, y compris de façon radicale. Les grandes villes allemandes voient alors une floraison d’organisations d’extrême gauche de Turquie qui déplacent leur QG à Cologne [49]. Les activités des organisations de gauche radicale en Allemagne sont alors presque exclusivement orientées vers le changement politique en Turquie. Bien qu’elles ne subissent pas la répression qui y sévit alors, ces organisations traversent une crise au milieu des années 1980. L’une des plus grandes organisations est interdite en Allemagne en 1983 après l’occupation du consulat de Turquie à Cologne par des activistes armés, et dissoute peu après dans plusieurs villes. En plus des obstacles juridiques, si la ferveur et le nombre des militants tendent à décliner, c’est aussi parce que le scénario d’une révolution en Turquie perd en plausibilité après le coup d’État – et à plus forte raison encore après la chute du mur de Berlin.
31Un point important distingue ainsi les possibilités de reconversion de ces militants de celles de leurs homologues en Turquie. Ils n’ont pas pu accumuler de ressources par le passage par l’université : ceux qui avaient commencé des études en Turquie les ont interrompues et ne peuvent pas les reprendre en l’absence d’équivalences ; les autres n’y pensent même pas, la plupart ne parlant pas l’allemand. Leurs perspectives professionnelles en sont restreintes d’autant. Ainsi, l’un des fondateurs de l’organisation aléviste de Berlin, qui avait commencé à exercer comme enseignant en Turquie, fuit peu avant le coup d’État en Allemagne, où il doit se résigner à travailler comme ouvrier en usine [50]. En outre, l’Allemagne après deux chocs pétroliers n’est plus le paradis des travailleurs qu’elle a pu être. Certains ne savent pas faire grand-chose d’autre que militer. En outre, à leur arrivée, le militantisme leur fournit une grande partie de leurs relations sociales.
32Beaucoup tentent alors de poursuivre le militantisme dans un autre cadre. Les anciens militants de gauche que l’on retrouve à la tête d’organisations alévistes quelques années plus tard opèrent un type précis de reconversion : ils s’engagent pour les droits des migrants. Il s’agit alors d’une cause en plein essor en Allemagne : à la fin des années 1980, les institutions allemandes commencent à promouvoir des politiques publiques dites « multiculturelles » et financent des institutions qui favorisent les relations interculturelles [51], ce qui implique la création d’opportunités de travail. Nombre d’anciens militants de gauche, sociologiquement alévis mais ne se revendiquant pas encore comme tels, s’y engagent en tant que volontaires ou salariés. Les droits des migrants constituent en outre un cadre dans lequel ils peuvent valoriser à la fois leurs compétences militantes, leur sensibilité aux questions sociales, et leur origine de Turquie – la plus importante numériquement parmi les migrants en Allemagne. Cette reconversion s’accompagne d’une réorientation géographique de leur engagement : ils s’engagent alors non plus (uniquement) en direction de la Turquie, mais aussi par rapport à la situation en Allemagne, ce qui s’accompagne en général d’une ouverture envers la société environnante, et souvent d’un apprentissage de l’allemand. Cet engagement leur permet de côtoyer les institutions allemandes et de mieux percevoir les opportunités qu’elles offrent. Ce type de reconversion n’est probablement pas étranger au fait que ces exilés réalisent peu à peu qu’ils ne retourneront pas en Turquie à brève échéance ; beaucoup sont prévenus en Turquie dans des procès d’organisations politiques fermées en 1980 et ne peuvent dont pas rentrer sous peine d’être incarcérés [52] ; d’autres font leur vie en Allemagne ; c’est une période durant laquelle, d’une manière générale, les engagements des Turcs d’Allemagne se détournent du pays d’origine pour s’orienter vers le pays d’accueil.
33Ce type d’engagement pour les droits des migrants accompagne et renforce une attention portée aux questions de différence culturelle. Dans cette sensibilité interviennent, outre des facteurs « allemands » – comme la vague « Multi-Kulti [53] » – des déterminants « turcs ». Parallèlement en effet, depuis le début des années 1980, le PKK mène un combat pour les droits des Kurdes. En défendant le droit à la différence contre le nationalisme homogénéisant, il met cette question à l’ordre du jour en Turquie, mais aussi en Allemagne [54]. Beaucoup d’alévis sont sensibles à cette dimension, soit qu’ils soient kurdes eux-mêmes, soit qu’ils aient côtoyé des Kurdes dans les organisations de gauche, dont certains prennent alors leurs distances pour se rapprocher du PKK. En outre, nombre d’entre eux perçoivent l’islam politique en plein essor comme une menace, sentiment renforcé par les événements de Sivas qui ont un grand retentissement en Allemagne.
L’engagement dans l’alévisme
34Ces anciens militants de gauche reconvertis dans le « Multi-Kulti » sont parmi les premiers à formuler la question de l’alévité en termes d’identité culturelle. En 1988, les douze fondateurs du « groupe culturel alévi » à Hambourg – le premier regroupement ouvertement sous la bannière alévie – ont tous été précédemment actifs en Allemagne dans un ancien regroupement de gauche à connotation alévie, Dev-Yol, l’association des sociaux-démocrates, et/ou dans les institutions de promotion du multiculturalisme [55]. Le directeur de la plus importante fédération alévie d’Allemagne, l’AABF [56], depuis la fin des années 1990 est l’illustration même de ce parcours type : arrivé en Allemagne en tant que réfugié politique en 1980, il fut d’abord militant de l’organisation de gauche radicale Dev-Yol. Il a d’ailleurs été condamné à une peine de prison par contumace en 1982. Dans la seconde moitié des années 1980, il s’engage pour l’amélioration des conditions de vie des migrants en Allemagne, en travaillant comme conseiller social au sein d’une institution de conseil interculturel à Hambourg. Il fait partie des fondateurs du « groupe culturel alévi » en 1988 puis de l’organisation aléviste qui en est issue. Il devient rapidement un acteur de premier plan du mouvement aléviste en Allemagne.
35Ce profil est l’un des deux typiques des fondateurs d’organisations alévistes qui se multiplient en Allemagne au tournant des années 1990. L’autre type de fondateurs est plutôt constitué de migrants souvent arrivés en Allemagne de plus longue date, en tant que migrants de travail. Alors que les anciens militants de gauche mettent l’accent sur des activités publiques, en relation avec la société allemande, et les questions sociales et politiques, les migrants de travail, qui en général n’ont pas d’expérience militante, défendent une conception plus traditionaliste, souvent aussi plus religieuse, de l’alévité, et entendent se concentrer sur des activités internes, dirigées exclusivement vers les alévis. De ce fait, les individus qui nous intéressent ici se positionnent sur un secteur spécifique du mouvement aléviste, qui est similaire à celui sur lequel se positionnent leurs homologues en Turquie.
36Face au choc suscité par les événements de Sivas en 1993, les différentes organisations alévistes d’Allemagne engagent un mouvement d’unification. Pour protester contre cet événement, les militants ayant une expérience politique mettent à profit leurs compétences pour organiser une grande manifestation à Cologne, qui rassemble environ 60 000 personnes. Suite à ce succès, ce sont les plus « politiques » qui prennent en main l’unification du mouvement. Ce sont eux qui dominent la Fédération des unions alévies d’Allemagne à partir de sa fondation en 1993. Dans les organisations locales également, ce sont les anciens militants de gauche qui prennent en charge la direction et la gestion, leur expérience organisationnelle et leur connaissance de la société allemande se révélant bien souvent précieuses. Ces dernières années cependant, leur leadership sur les associations alévistes, établi depuis le début des années 1990, commence à connaître la concurrence d’autres types de profils : il s’agit de migrants de la seconde génération, nés en Allemagne, qui maîtrisent donc l’allemand et les institutions allemandes ; mais ils disposent en outre d’une ressource culturelle importante, valorisable dans les associations alévistes, et dont ne jouissent pas les individus ici étudiés : ce sont les premiers diplômés alévis de l’université allemande.
Conclusion : toutes les voies mènent-elles à l’alévisme ?
37On voit ici par quelles voies des engagements un temps réprimés resurgissent sous d’autres formes, tout en générant de multiples modalités de reconversion des ressources militantes précédemment acquises. Ces changements de registres peuvent être rapportés à des transformations des formes de mobilisation et de légitimation, parallèles aux changements des contraintes de l’action collective. Comment penser ces continuités et discontinuités, à la fois dans le temps et dans l’espace ? Nous suivons l’hypothèse que, loin de traverser les espaces indemnes, laissant leurs intérêts et justifications inchangés, les organisations alévistes s’inscrivent dans des territoires militants spécifiques, dont l’histoire contribue à des socialisations militantes localisées et donc nécessairement différentes.
38Les différences de stratégies et d’action existant au sein d’un même mouvement implanté dans différents contextes nationaux sont souvent conçues en termes de ressources ou de structures des opportunités politiques. Cependant, ce travail exploratoire suggère qu’il est pertinent de s’interroger aussi sur le poids de trajectoires militantes divergentes et/ou convergentes. Par exemple, l’importance du recours au registre juridique dans le mouvement aléviste de Turquie [57] est certainement due au blocage du règlement politique de la question. Mais n’est-elle pas également liée à la place des avocats dans certaines organisations alévistes, elle-même conséquence des processus de sélection et de reconversion militantes observables dans ce contexte précis ? À l’inverse, le registre juridique apparaît peu utilisé, tardivement et toujours de manière défensive, par les alévistes d’Allemagne. Cette différence à la fois temporelle et d’intensité peut s’expliquer par les trajectoires militantes. Les premiers alévistes à maîtriser le droit en Allemagne sont les premiers diplômés de droit, c’est-à-dire des migrants de la seconde génération, qui sortent de l’université à partir du début des années 2000, alors que les fondateurs et cadres d’organisations alévistes dans les années 1990 étaient dépourvus de cette compétence. En outre, ces jeunes diplômés sont peu nombreux à s’engager dans l’alévisme. Enfin, à de rares exceptions près, ces diplômés sont encore, de par leur âge, relativement dominés au sein des associations.
39De la même manière, comment expliquer que les organisations alévistes d’Allemagne dirigées par d’anciens militants de gauche soient en relation beaucoup plus étroite avec les autorités allemandes que les organisations plus religieuses – au point que ce sont des organisations politiques dirigées par des athées, et non des organisations religieuses, qui ont obtenu le statut convoité de « communauté religieuse » – si ce n’est par les compétences de leurs cadres ? Il reste cependant très difficile – et d’ailleurs assez vain – d’isoler ces facteurs les uns des autres, d’autant plus que les environnements conditionnent et façonnent l’actualisation des compétences dans les engagements intermédiaires. La prise en compte des trajectoires différenciées des militants ne se substitue donc pas à celle des opportunités politiques mais peut au contraire s’y articuler, dans la mesure où ces trajectoires sont fortement liées aux « offres politiques » accessibles selon les contextes et les ressources des acteurs engagés. Il nous semble que cette perspective permet de complexifier et d’enrichir la lecture en termes d’offres politiques, et fournit en quelque sorte une manière de sociologiser la question de l’influence des contextes sur les mouvements. Elle permet également de réintégrer la sociologie interne des organisations, souvent négligée dans l’étude des mouvements transnationaux.
40Ce qu’on a coutume d’appeler la « transnationalisation » d’un mouvement, en l’occurrence la mise en relation d’organisations sur différents espaces, peut dès lors être entendu comme la diversification des trajectoires et des compétences militantes investies dans une même cause. Comment sont gérées ces différences ? Cette perspective pose de manière spécifique la question de la répartition du travail militant dans des mouvements implantés sur différents espaces. L’étude des mobilisations dites « transnationales » gagnerait probablement à prendre en compte cette dimension.
Notes
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[1]
Koopmans (R.), Statham (P.), « How National Citizenship Shapes Transnationalism. A Comparative Analysis of Migrants Claims-Making in Germany, Great Britain and the Netherlands », Revue européenne des migrations internationales, 17 (2), 2001. Pour le mouvement aléviste, cf. Massicard (E.), « Alevist Movements at Home and Abroad: Mobilization Spaces and Disjunction », New Perspectives on Turkey, 28-29, 2003.
-
[2]
Les alévis sont un groupe confessionnel hétérodoxe, dont les liens avec l’islam sont sujets à controverses, que l’on estime constituer entre 15 et 20 % de la population de Turquie. Je distingue entre « alévité » (le fait sociologique) et « alévisme » (la mobilisation en son nom), et donc aussi entre « alévis » (« sociologiques ») et « alévistes ».
-
[3]
D’autres, moins nombreux, ont milité dans le premier mouvement aléviste, d’ampleur assez réduite, dans les années 1960.
-
[4]
Fillieule (O.), « Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel », Revue française de science politique, 51 (1-2), 2001.
-
[5]
Il s’agit de carrières relativement « typiques », en ce qu’au bout de quelques dizaines d’entretiens, l’enquêtrice ressent un début de compréhension des parcours personnels, de cohérence face à certaines histoires de vie qui lui en rappellent d’autres, lui font anticiper certaines réponses des enquêtés, et lui font saisir peu à peu certaines logiques d’engagement. Siméant (J.), Dauvin (P.), Le travail humanitaire. Du siège au terrain, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, p. 71.
-
[6]
Vorhoff (K.) Zwischen Glaube, Nation und neuer Gemeinschaft: Alevitische Identitat in der Türkei der Gegenwart, Berlin, Klaus Schwarz, 1995.
-
[7]
Certains interviewés – surtout en Turquie – ont préféré ne pas dire dans quel(s) groupe(s) ils avaient été actifs.
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[8]
Dans divers groupes politiques ou syndicaux. Cet engagement peut également concerner des groupes illégaux, parfois armés. Parmi les membres éminents du mouvement aléviste, on trouve des anciens du TKP-ML maoïste (Türkiye Komünist Partisi/Marksist-Leninist, Parti Communiste de Turquie – marxiste léniniste), de Dev-Genç (Devrimci Gençlik, Jeunesse Révolutionnaire), de Dev-Yol (Devrimci Yol, Voie Révolutionnaire, organisation de gauche radicale créée en 1977 pour prendre la relève de Dev-Genç), ou encore de groupes révolutionnaires kurdes. Sur Dev-Genç, cf. l’article d’Ay?en Uysal dans ce numéro.
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[9]
L’expérience de la clandestinité avant 1980 ne semble pas déterminante dans la suite de leur parcours. En effet, lycéens à cette époque, ils n’ont pas pris le maquis et n’ont pas connu la clandestinité « extrême » avant le coup d’État. Ensuite, toutes les organisations, même légales, sont interdites en 1980. C’est au plus tard à ce moment-là qu’ils font l’expérience de la clandestinité. Les compétences « illégales » (maniement des armes notamment) ne seront pas actualisées par la suite dans ce type de trajectoire, et ne constituent donc pas une variable discriminante.
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[10]
Interviewé A, ancien militant du TKP-ML et de la gauche révolutionnaire kurde, né en 1959 dans un village d’Anatolie centrale, devenu ingénieur cartographe. Entretien à Ankara, 16 novembre 2000.
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[11]
Interviewé B, ancien militant de gauche, né dans un village d’Anatolie centrale, devenu avocat. Entretien, Ankara, 14 novembre 2000.
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[12]
Ils n’ont pas tous voulu dire s’ils avaient eux-mêmes employé la violence. En revanche, certains prennent soin de souligner qu’ils ne l’ont pas employée.
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[13]
Interviewé B.
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[14]
Interviewé C, ancien militant d’un groupe de gauche durant ses années au lycée professionnel, né en 1961 en Anatolie centrale. Alors qu’il travaillait déjà en tant que lycéen, il a fui à Istanbul après le coup d’État. Il y a été admis à l’université en droit, et est devenu avocat. Entretien à Ankara le 27 novembre 2000.
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[15]
Bozarslan (H.), « Le phénomène milicien : une composante de la violence politique dans la Turquie des années 1970 », Turcica, XXXI, 1999.
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[16]
Le coup d’État entendait mettre un terme à la « politisation » en dissolvant tous les partis et la majorité des organisations, ainsi que par des arrestations et emprisonnements massifs : 650 000 personnes en garde à vue, des centaines de décès suspects, une purge de l’administration donnent une idée du degré sans précédent de coercition employé. En raison de l’orientation idéologique de la junte, la répression est globalement plus sévère envers les militants de gauche qu’envers ceux de droite.
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[17]
Interviewé D, ancien militant d’un groupe de jeunesse armé, né en 1962 dans un village d’Anatolie centrale. Après avoir étudié la philosophie, il est devenu fonctionnaire municipal tout en faisant du commerce. Entretiens à Ankara, 22 septembre 1999 et 13 novembre 2000.
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[18]
Interviewé B.
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[19]
Interviewé A.
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[20]
Interviewé C.
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[21]
Le régime militaire prend fin en 1983, mais les associations et activités politiques ne sont pas tout de suite autorisées. Ces restrictions durent plus longtemps pour la gauche, sans parler de la peur.
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[22]
Cf. McAdam (D.), « Pour dépasser l’analyse structurale de l’engagement militant », in Fillieule (O.), dir., Le désengagement militant, Paris, Belin, 2005 ; voir aussi Opp (K.-D.), Roehl (W.), « Repression, Micromobilization, and Political Protest », Social Forces, 69 (2), 1990. Fillieule (O.), Bennani-Chraïbi (M.), « Exit, Voice, Loyalty… et bien d’autres choses encore », in Bennani-Chraïbi (M.), Fillieule (O.), dir., Résistances et protestations dans les sociétés musulmanes, Paris, Presses de Sciences Po, 2003.
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[23]
C’est probablement une différence avec ceux qui étaient déjà à l’université à la fin des années 1970, dont le cursus a souvent été bouleversé, voire empêché, par leur engagement politique, les universités étant des lieux d’affrontement. Or les individus qui n’ont pas poursuivi d’études supérieures n’ont pas atteint ces positions de responsabilité dans les organisations alévistes (certains en sont de simples membres). De ce fait, ils ne figurent pas dans l’échantillon étudié.
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[24]
C’est-à-dire avant l’ouverture des universités privées et de nombreuses universités de province.
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[25]
Certains sont passés de justesse. L’un d’entre eux, bien qu’ayant réussi le concours d’admission à l’université, a été empêché de s’inscrire car il était prévenu dans un procès. Il a dû représenter le concours deux ans plus tard, puis changer d’université.
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[26]
La loi de libération conditionnelle n’intervient qu’en 1991.
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[27]
C’est aussi au cours des années 1980 que, pour la plupart, ils se marient et, pour certains, ont leurs premiers enfants.
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[28]
Il est difficile d’affirmer que ces individus ont choisi des métiers « de cause » comme avocat, le choix de la branche d’études et de la profession en Turquie étant très contraint par le système d’entrée à l’université, comme en témoigne l’interviewé B : « Je ne savais pas trop [quoi étudier], je pensais plutôt être médecin. C’était ma quatrième préférence, d’étudier le droit. C’est sorti comme cela, en fait, ce métier n’est pas vraiment à mon goût. »
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[29]
Certains s’investissent de nouveau dans des partis de gauche modérée ou dans des syndicats, mais seulement après s’être engagés dans d’autres types d’organisations.
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[30]
La gauche radicale survit cependant, et est animée notamment par des personnes pour lesquelles la répression a entraîné une rupture biographique majeure, qui n’ont souvent « plus rien à perdre ».
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[31]
Certaines, d’ailleurs, n’ont pas été fermées.
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[32]
Cf. à ce sujet Lagroye (J.), dir., La politisation, Paris, Belin, 2003.
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[33]
Cf. notre article « Entre l’intermédiaire et l’“homme d’honneur” : savoir-faire et dilemmes notabiliaires en Turquie », Politix, 67, 2004.
-
[34]
Sur ces organisations, voir le dossier dirigé par Jeanne Hersant et Alexandre Toumarkine, « Hometown Organizations in Turkey », European Journal of Turkish Studies, 2005 [en ligne : http://ejts.revues.org/index359.html].
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[35]
Par exemple Ya?ar (N.), Bursa Kent Merkezinde Faaliyet gösteren Hem?ehri Dernekleri ve bu Derneklerin Bursa’n?n sosyo-politik Yap?s?na Katk?lar?, Yüksek Lisans tezi, ?stanbul, Marmara Üniversitesi, 1999.
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[36]
Quartier périphérique peuplé de migrants issus de l’exode rural, dans lequel la gauche était dominante dans les années 1970.
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[37]
Habitat auto-construit. Interviewé A.
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[38]
Pour l’articulation entre associations de villages et organisations plus larges, voir notre article : « Politiser la provenance. Les organisations d’originaires de Sivas à Istanbul et Ankara », European Journal of Turkish Studies, 2, 2005 [En ligne : http://ejts.revues.org/index362.html].
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[39]
Quand ce type de regroupement n’existe pas pour une région donnée, ces anciens militants peuvent aussi impulser leur création. C’est le cas de l’un de nos interviewés, qui contribue à la création en 1993 d’une fédération d’associations de village de gauche, très sensible aux questions sociales.
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[40]
Partiya Karkeren Kurdistan, Parti des travailleurs du Kurdistan formé en 1978 et menant une lutte armée.
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[41]
Ils constituent l’un des deux profils types de fondateurs, l’autre étant constitué par des personnes plus âgées, qui souvent s’étaient déjà engagées dans la première mobilisation aléviste des années 1960, et qui ont souvent une orientation plus religieuse et conservatrice.
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[42]
En 1993, une association de village dirigée par d’anciens militants de gauche organise une manifestation culturelle à connotation alévie à Sivas, une ville conservatrice d’Anatolie. Des groupes nationalistes et islamistes mettent le feu à l’hôtel où les participants résident. Trente-sept d’entre eux meurent dans l’incendie.
-
[43]
Massicard (E.) « Les mobilisations “identitaires” en Turquie après 1980 : une libéralisation ambiguë », in Dorronsoro (G.), dir., La Turquie conteste. Action collective et régime sécuritaire en Turquie, Paris, CNRS Éditions, 2005.
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[44]
Ancien militant d’un groupe de gauche armé, né en 1961. Avocat depuis 1987, il participe aux procès politiques. Cofondateur d’un regroupement d’associations de village au début des années 1990, puis actif dans la création et la défense d’organisations alévies.
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[45]
Pour une restitution de l’espace du mouvement aléviste et de ses lignes de clivage, cf. Massicard (E.), L’autre Turquie. Le mouvement aléviste et ses territoires, Paris, Presses universitaires de France, 2005, p. 89-109.
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[46]
L’association aléviste la plus à gauche était à l’origine l’association du village d’un poète rebelle du XVIe siècle, figure centrale et de l’alévité et des mouvements de gauche. C’est cette association qui a organisé la manifestation culturelle qui a été la cible des événements de Sivas.
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[47]
Précisons que les organisations hem?ehri sont peu nombreuses en Allemagne et n’occupent pas la place qu’elles ont en Turquie dans l’espace social des mobilisations. Il en est de même pour les organisations professionnelles, en tout cas concernant les migrants de Turquie.
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[48]
Certains militants sont venus en Allemagne en tant qu’exilés politiques à la fin des années 1970 ou en 1980. D’autres sont venus en tant que travailleurs, en général plus tôt, et se sont engagés dans la gauche puis dans la cause aléviste en Allemagne. Nous n’avons pas pu établir de lien fort entre le « type » de migration et le type d’engagement. Cf. à ce sujet aussi Dufoix (S.), Politiques d’exil, Paris, Presses universitaires de France, 2003.
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[49]
Bozarslan (H.), « Une communauté et ses institutions : le cas des Turcs en RFA », Revue européenne des migrations internationales, 6 (3), 1990.
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[50]
Interviewé E, né en 1949, ancien enseignant syndiqué à gauche en Turquie, réfugié en Allemagne en 1978, où il devient ouvrier et peintre ; cofondateur de la première organisation alévie de Berlin. Berlin, 9 juillet 2001.
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[51]
Vertovec (S.), « Berlin Multikulti: Germany, “Foreigners” and “World-openness” », New Community 22(3), 1996. Pour l’influence de ces politiques sur le développement des organisations alévies, cf. Kaya (A.), « Multicultural Clientelism and Alevi Resurgence in the Turkish Diaspora: Berlin Alevis », New perspectives on Turkey, 18, 1998.
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[52]
Comme l’interviewé E, condamné à 23 ans de prison dans le procès d’un syndicat d’enseignants de gauche, avant d’être acquitté. Il ne retournera en Turquie qu’après 1995.
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[53]
Abréviation courante pour les politiques publiques de promotion du multiculturalisme.
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[54]
Sur l’importance de l’Allemagne comme espace d’implantation du PKK, cf. Grojean (O.), La cause kurde, de la Turquie à l’Europe, thèse de doctorat en sociologie, EHESS, 2008.
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[55]
Schwalgin (S.), Sökefeld (M.), Institutions and their Agents in Diaspora: A comparison of Armenians in Athens and Alevis in Germany, Working Paper « transnational communities », WPTC-2K-11, 2000 [en ligne : http://www.transcomm.ox.ac.uk/working%20papers/schwal.pdf].
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[56]
Almanya Alevi Birlikleri Federasyonu, Fédération des communautés alévies d’Allemagne, fondée en 1993.
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[57]
Cf. Massicard (E.), L’autre Turquie, op. cit., p. 219-222.