Politix 2011/3 n° 95

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Article de revue

Une xénophobie d'État ?

Les « médecins étrangers » en France (1945-2006)

Pages 207 à 231

Notes

  • [1]
    La xénophobie est définie ici comme étant d’une part l’acte de catégoriser des individus suivant leur nationalité réelle ou supposée et, d’autre part, d’attribuer des caractéristiques négatives aux groupes ainsi constitués ou de les présenter comme une menace pour d’autres groupes. Nous nous inspirons ici librement de Miles (R.), Brown (M.), Racism, 2nd ed., London-New York, Routledge, 2003.
  • [2]
    Sur ces mobilisations, cf. notamment Evleth (D.), « Vichy France and the Continuity of Medical Nationalism », Social History of Medicine, 8 (1), 1995 et Noiriel (G.), Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècle). Discours publics, humiliations privées, Paris, Fayard, 2007.
  • [3]
    Evleth (D.), « Vichy, France and the Continuity… », art. cit.
  • [4]
    Miles (R.), Brown (M.), Racism, op. cit.
  • [5]
    Cf. notamment Bertrand (R.), « Les sciences sociales et le “moment colonial” : de la problématique de la domination coloniale à celle de l’hégémonie impériale », CERI, Questions de recherche, 18, 2006 ; Bayart (J.-F.), Les études postcoloniales. Un carnaval académique, Paris, Karthala, 2010 ; Saada (E.), « Coloniser, exterminer : sur la guerre et l’État colonial » [note de lecture], Critique internationale, 32, 2006.
  • [6]
    Le Cour Grandmaison (O.), La République impériale : politique et racisme d’État, Paris, Fayard, 2009. Cf. la recension que Simon Jackson en a faite pour La vie des idées, disponible sur : http://www.laviedesidees.fr/Liberte-egalite-fraternite-empire.html.
  • [7]
    Cet article s’appuie sur des sources variées : archives publiques et privées ; textes juridiques et circulaires ; débats parlementaires ; documents produits par des organisations professionnelles ou d’autres acteurs mobilisés sur la question des médecins à diplôme extracommunautaire ; journaux et bulletins professionnels ; presse généraliste ; entretiens semi-directifs avec des agents de l’État et des médecins. La place nous étant comptée, nous ne pouvons pas préciser davantage ici la manière dont nous avons constitué nos sources. Sur ce point, le lecteur pourra consulter notre thèse, L’emprise des quotas. Les médecins, l’État et la régulation démographique du corps médical (années 1960-années 2000), thèse pour le doctorat de science politique, Université Paris 1, 2007. Au moment de l’enquête, une partie des archives consultées avait été versée à la mission des archives du ministère de la Santé, mais n’avait pas encore été reversée au Centre des archives contemporaines (CAC). Ces « archives intermédiaires » (AI) seront donc citées sous la cote provisoire qui leur était attribuée lorsque nous les avons dépouillées. Sauf mention expresse, les données statistiques citées proviennent des ministères de l’Éducation nationale et de la Santé. Cet article a bénéficié à divers stades de son écriture des remarques et des conseils judicieux de Florent Champy, de Patrice Pinell et des participants à l’école d’été organisée par mon unité de recherche à Porquerolles en juin 2010. Qu’ils soient ici chaleureusement remerciés.
  • [8]
    AI DHOS/2002/012. Souligné dans le document original.
  • [9]
    AI DHOS/2002/012.
  • [10]
    Ces chiffres incluent également les étudiants inscrits en odontologie.
  • [11]
    Déplaude (M.-O.), « Instituer la “sélection” dans les facultés de médecine. Genèse et mise en œuvre du numerus clausus de médecine dans les années 68 », Revue d’histoire de la protection sociale, 2, 2009.
  • [12]
    Comme le rapporte l’un d’entre eux au cours d’une réunion de la commission en 1976, « la France a fait l’objet de reproches au colloque des UER de langue française qui s’est tenu récemment à Marseille et où il a été déclaré que les médecins originaires de pays en voie de développement s’installeraient en France après y avoir fait leurs études et servaient de ce fait à couvrir les besoins de notre pays. […]. La France pratiquerait ainsi une politique de spoliation plutôt que de coopération vis-à-vis de ses anciens territoires d’Outre-Mer » (CAC 2001284).
  • [13]
    Hurwitz (L.), « La libre circulation des médecins dans la communauté européenne. Le cas de la France », Revue française des affaires sociales, 42 (3), 1988.
  • [14]
    Rigaudiat (D.), Les médecins en provenance d’un pays hors CEE dans l’hôpital public, Paris, Fondation de l’Avenir, 1990. Leur effectif était probablement supérieur en raison des difficultés de recensement de ces médecins aux positions précaires et du fait que certains établissements ne déclaraient pas ceux qu’ils employaient pour ne pas afficher des situations d’illégalité auprès du ministère de la Santé. Les chiffres cités n’incluent pas non plus les médecins qui occupaient des postes non médicaux et étaient employés comme aide-soignant ou infirmier (voir infra).
  • [15]
    Tout médecin français détenteur du diplôme d’État et inscrit à l’Ordre peut être conventionné par l’assurance maladie. Cela signifie notamment que ses honoraires et prescriptions peuvent être remboursés par la Sécurité sociale et les mutuelles.
  • [16]
    Il existait en outre, pour certaines disciplines, des concours d’internat spécifiques, comme l’internat de psychiatrie et l’internat d’ophtalmologie de l’hôpital des Quinze-Vingt à Paris.
  • [17]
    Note du Bureau des études et du Plan de la direction générale de la Santé (DGS), octobre 1978, archives privées.
  • [18]
    Chevandier (C.), L’hôpital dans la France du XXe siècle, Paris, Perrin, 2009.
  • [19]
    Ils ont respectivement été créés en 1981 et en 1987. Le statut d’attaché associé a remplacé celui d’attaché à titre étranger, qui datait de 1974.
  • [20]
    En 1994, les FFI touchaient une rémunération inférieure d’un tiers à celle des internes de première année (déjà moins bien payés que les internes des années supérieures), et trois fois moindre que celle d’un assistant associé. Toujours en 1994, les vacations effectuées par les attachés associés dans les hôpitaux généraux étaient rémunérées à hauteur de 221 francs, contre 250 à 293 francs pour les attachés français. On retrouve des écarts similaires pour la rémunération des gardes.
  • [21]
    Weisz (G.), The Emergence of Modern Universities in France, 1863-1914, Princeton (NJ), Princeton University Press, 1983.
  • [22]
    À la demande des doyens de certaines facultés de médecine du Maghreb, un concours d’internat à titre étranger, très sélectif, a également été mis en place en 1987 : seulement sept à huit étudiants le réussissaient chaque année jusqu’à sa fusion avec les DIS en 2000.
  • [23]
    Il n’existe pas de données statistiques permettant de dire comment ces étudiants se répartissaient entre les deux types de formations. Nous pouvons vraisemblablement estimer, au regard de nos sources, que les DU représentaient la majorité des inscriptions.
  • [24]
    Une circulaire ministérielle de 1992 rappelle que les « étudiants inscrits en AFS ou AFSA [formations courtes] peuvent être pris [comme stagiaires à l’hôpital] en surnombre non rémunérés » (circulaire DGS/OD/DH n° 92-322 du 2 octobre 1992). Lors d’une enquête conduite en 1990 au CHU de la Pitié-Salpêtrière, il a été relevé que sur les quatre cents étudiants étrangers qui y travaillaient, la moitié effectuait des stages non rémunérés. D’après Denour (L.), Junker (R), « Les médecins étrangers dans les hôpitaux français », Revue européenne des migrations internationales, 11 (3), 1995.
  • [25]
    Ibid.
  • [26]
    À partir de 1975, plusieurs circulaires ont précisé les conditions auxquelles les médecins à diplôme extracommunautaire pouvaient être recrutés comme aides-soignants ou infirmiers. Cela devait initialement permettre à ces médecins d’avoir une activité rémunérée en attendant d’obtenir une autorisation de plein exercice.
  • [27]
    En 1994, les deux tiers d’entre eux auraient acquis la nationalité française. D’après Malvy (P.), « L’exercice en France des médecins étrangers (problèmes posés par l’application de la loi du 13 juillet 1972) », Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 178 (7), 1994.
  • [28]
    Coldefy (M.), « 7 500 médecins à diplôme non européen dans les hôpitaux français en 1995 », Solidarité et santé, 1, 1999.
  • [29]
    Amiel (M.), Commission P.A.C. (praticien adjoint contractuel), rapport pour le secrétaire d’État à la Santé, 1998, non paginé.
  • [30]
    Sicard (A.), « Sur la situation actuelle de la chirurgie française », Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 172 (9), 1988.
  • [31]
    Le Médecin de France, 17 novembre 1989.
  • [32]
    Archives du cabinet du ministère des Affaires sociales, note datée du 8 septembre 1993, CAC 19960368.
  • [33]
    Ibid.
  • [34]
    Palier (B.), Gouverner la Sécurité sociale. Les réformes du système de protection sociale depuis 1945, Paris, Presses universitaires de France, 2002.
  • [35]
    Note de la DGS, de la direction des Hôpitaux (DH) et de la direction des Populations et migrations, automne 1993, CAC 19960368.
  • [36]
    Note manuscrite d’un agent de la DH, 1995, CAC 19960368.
  • [37]
    Le Figaro Magazine, 29 octobre 1993. Le cas d’Hamid (dont nous occultons ici le nom) a été mentionné pour la première fois par l’hebdomadaire d’extrême-droite Minute dans son édition du 29 septembre 1993. Il sera encore évoqué, avec un grand luxe de détails, dans un numéro du Point daté du 27 mai 1995.
  • [38]
    Le Monde, 26 octobre 1995.
  • [39]
    D’après une note de la sous-direction des Professions de santé, 24 juin 1993, CAC 19960368.
  • [40]
    En 1997 et 1998, deux circulaires autorisent temporairement les hôpitaux à employer des médecins à diplôme extracommunautaire ne préparant pas un diplôme homologué par l’État.
  • [41]
    Ferrand (G.), « Des boucs émissaires », Le Monde, 18 mai 1994.
  • [42]
    Selon le professeur Haertig (A.), « La titularisation des médecins étrangers », Le Figaro, 5 janvier 1995.
  • [43]
    Déplaude (M.-O.), « De l’erreur en politique. Le cas de la régulation démographique du corps médical en France (1980-2005) », in Chauviré (C.), Ogien (A.), Quéré (L.), dir., Dynamiques de l’erreur, Paris, Éditions de l’EHESS (« Raisons pratiques 19 »), 2009.
  • [44]
    Fassin (D.), « L’invention française des discriminations », Revue française de science politique, 52 (4), 2002.
  • [45]
    Entretien avec un ancien membre du cabinet du secrétaire d’État à la Santé, 9 mars 2006.
  • [46]
    La nouvelle procédure d’autorisation a été mise en place en 2004 seulement. Les candidats à une autorisation de plein exercice doivent passer un concours comportant un nombre de places prédéterminé par spécialité, puis travailler au moins trois ans à l’hôpital avant d’être soumis de nouveau à une évaluation. Au total, c’est environ deux cents médecins qui sont accueillis chaque année dans les hôpitaux depuis 2005.
  • [47]
    Cour des comptes, Les personnels des établissements publics de santé, Paris, 2006.
  • [48]
    Comme en 2006, lorsque le président du Syndicat national des gynécologues obstétriciens a déclaré à un journaliste de l’Agence France Presse que si les patients ne sont pas d’accord pour payer des « compléments d’honoraires » pour certains soins spécialisés en médecine ambulatoire, « il faut qu’ils aillent à l’hôpital se faire soigner par des praticiens à diplôme étranger » (cité dans Le Monde, 3-4 septembre 2006).
  • [49]
    Valluy (J.), « Du retournement de l’asile (1948-2008) à la xénophobie de gouvernement : construction d’un objet d’étude », Culture & Conflits, 69, 2008.

1Dès la fin du XIXe siècle, les médecins français se sont mobilisés pour limiter l’accès des étrangers à l’exercice de leur métier. Après avoir obtenu en 1892 que l’exercice de la médecine soit réservé aux détenteurs du diplôme d’État français de docteur en médecine et, en 1896, que soient créés des diplômes réservés aux étrangers ne leur donnant pas le droit d’exercer en France, ils ont réussi à faire voter, en 1933, une loi imposant de surcroît une condition de citoyenneté française. En 1935, une autre loi introduit à leur demande un système complexe de pénalités visant à retarder l’installation des médecins naturalisés n’ayant pas effectué le service militaire français, même si c’était pour des raisons de santé, de sexe ou d’âge. Ces mobilisations successives se sont accompagnées de discours ouvertement xénophobes [1]. Les médecins étrangers ont été collectivement accusés d’être à l’origine de l’encombrement de la profession et de prendre des places qui devaient revenir en priorité aux nationaux. Cela était présenté comme d’autant plus préjudiciable au bien public que ces médecins étaient supposés ne pas avoir les qualités morales requises par l’exercice de la médecine et pratiquer leur art dans un esprit mercantile [2].

2Jusqu’au début des années 1970, la profession médicale a été pratiquement fermée aux médecins n’ayant pas le diplôme d’État français et la citoyenneté française. Or, à partir des années 1970 et surtout des années 1980, les hôpitaux publics ont commencé à pourvoir les postes laissés vacants par les nationaux en employant des « médecins étrangers », c’est-à-dire des médecins provenant, en très grande majorité, des ex-colonies et protectorats français. Les autorisations d’exercer dans le secteur libéral n’étant délivrées qu’au compte-gouttes, plusieurs milliers d’entre eux ont accepté les emplois qui leur étaient proposés à l’hôpital, en dépit de leur caractère précaire et mal rémunéré. À la fin des années 1990, suite à de vifs débats, l’État a fini par accorder à environ huit mille d’entre eux un droit d’exercice identique à celui des ressortissants nationaux, leur permettant ainsi d’accéder au secteur libéral et à l’ensemble des emplois salariés.

3La xénophobie constitue le principal fondement des barrières légales qui ont été mises en place entre la fin du XIXe siècle et les années 1930 pour dissuader les étrangers d’exercer la médecine en France. Doit-on pour autant considérer que cette xénophobie, inscrite dans le droit, demeure le principal facteur explicatif du cantonnement des médecins originaires des ex-colonies et protectorats français à des emplois peu valorisés à l’intérieur du champ médical et des décisions publiques qui ont été prises à leur sujet avant les mesures de régularisation de la fin des années 1990 ? Autrement dit, la situation faite à ces médecins jusque dans les années 1990 peut-elle être décrite comme le produit d’une xénophobie d’État, reflet direct de celle exprimée ouvertement dans les années 1930 – et même après-guerre [3] – par la profession médicale ?

4Cet article propose d’apporter des éléments de réponse à cette question en analysant l’évolution de la situation des médecins « étrangers » en France de l’après-guerre au milieu des années 2000, d’une part, et la dynamique des débats et des mesures dont ils ont été l’objet d’autre part. Pour ce faire, nous nous appuierons sur deux hypothèses principales. La première, dérivée des analyses de Robert Miles et Malcolm Brown sur le racisme, pose que la xénophobie ne peut pas être présumée du simple fait de l’existence de discriminations touchant les étrangers [4]. Divers facteurs peuvent être à leur origine – qu’il s’agit, précisément, de déterminer empiriquement. La seconde hypothèse porte sur la profession médicale et sur l’État, que nous considérerons comme des ensembles segmentés, caractérisés par de multiples luttes internes obéissant à des logiques propres. Une telle affirmation est banale : les critiques qui ont été formulées à propos des post-colonial studies ont pourtant montré que de nombreux travaux s’inscrivant dans ce courant donnent à voir une image monolithique de l’État et sous-estiment les luttes internes aux élites sociales, administratives et politiques [5]. Cela a pu conduire certains auteurs à postuler que les membres de ces élites étaient animés par la même vision raciste ou xénophobe du monde, et que cette conception a constitué l’élément moteur des politiques coloniales [6].

5Ces éléments étant posés, nous défendrons l’argument suivant : la situation subie en France par les médecins issus des ex-colonies et protectorats français jusque dans les années 1990 est le résultat de plusieurs dynamiques socio-historiques, et pas seulement de la xénophobie. De même, les décisions publiques prises à leur sujet ont été le résultat de compromis effectués entre des intérêts souvent peu compatibles, aboutissant parfois à des résultats qui n’étaient souhaités par aucune des parties en présence.

6Cet article est organisé en trois temps. Nous préciserons d’abord comment le régime juridique qui s’est appliqué aux médecins étrangers ou à diplôme étranger a évolué et été mis en œuvre entre l’après-guerre et le début des années 1980. Nous exposerons ensuite comment les hôpitaux publics ont été amenés à recruter un nombre important de médecins à diplôme extracommunautaire dans les années 1980-1990. Enfin, dans un dernier temps, nous nous intéresserons aux réactions que ces recrutements ont suscitées à l’intérieur du corps médical, et aux mesures prises en retour par les pouvoirs publics à leur sujet [7].

De la clôture nationale à la clôture communautaire

Le régime juridique de l’ordonnance du 24 septembre 1945

7Fixée par une ordonnance promulguée le 24 septembre 1945, la réglementation s’appliquant aux praticiens ne satisfaisant pas aux conditions générales d’exercice de la médecine en matière de citoyenneté et de diplôme reprend celle qui prévalait avant-guerre, à l’exception des dispositions introduites en 1935 à l’encontre des médecins naturalisés.

8Appliquée en concertation étroite avec l’Ordre des médecins et la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), principale organisation syndicale de l’époque, cette réglementation a fait l’objet de plusieurs dérogations, certaines datant d’avant-guerre. Les plus nombreuses portent sur la condition de citoyenneté. Dès les années 1930, des « conventions d’établissement » dispensant les ressortissants des États signataires de la condition de citoyenneté ont été signées avec d’autres pays européens, comme l’Italie ou la Roumanie. Lorsque les colonies françaises acquièrent leur indépendance à partir du milieu des années 1950, des conventions analogues sont signées avec les États qui en sont issus. Au début des années 1960, l’exemption de la condition de citoyenneté française dont bénéficient les Marocains et les Tunisiens est même inscrite dans le Code de la santé publique.

9Les dérogations en matière de diplôme sont, en revanche, octroyées de manière très parcimonieuse. Certaines le sont dans le cadre de « conventions » signées avec des pays limitrophes. Conclues respectivement avec le Luxembourg, la Suisse et la Belgique en 1879, 1889 et 1910, elles autorisent des médecins établis dans ces pays à exercer également en France dans des communes limitrophes, à condition qu’aucun médecin français n’y réside (et réciproquement). Ces conventions prévoient que si ces médecins étrangers ont le droit d’exercer en France, ils ne peuvent en aucune façon s’y installer et doivent renoncer à leur clientèle française si un médecin français vient s’installer dans la commune où ils exercent. Elles sont appliquées avec beaucoup de rigueur. En 1956, commentant une pétition adressée par les habitants d’une commune limitrophe de la Belgique, qui demandent qu’un praticien belge puisse continuer à les soigner malgré l’installation d’un médecin français sur leur territoire, le secrétaire d’État à la Santé publique et à la Population rappelle au préfet du Nord que la convention franco-belge est « une réglementation d’exception[8] » : la pétition est rejetée sans autre forme de procès.

10Une nouvelle possibilité de déroger à la condition de diplôme est introduite par une loi promulguée le 9 juin 1949. Celle-ci prévoit que, lorsqu’un État étranger accorde à des médecins français le droit d’exercer sur son territoire, les ressortissants de cet État peuvent être autorisés à exercer la médecine en France, à condition qu’un accord bilatéral ait été passé avec leur État et que leur diplôme ait été reconnu équivalent au diplôme d’État français. Les médecins concernés doivent en outre passer un examen de « culture générale » et un autre visant à tester leur « connaissance des lois médico-sociales » françaises. Enfin – et c’est le point le plus important – les accords signés dans le cadre de cette loi doivent fixer par avance le nombre des praticiens autorisés à s’installer dans chaque pays, celui-ci devant respecter « la parité effective ». Cela signifie que les autorisations d’exercice sont accordées dans chaque État l’une après l’autre, de manière à ce que le nombre de médecins ayant obtenu une autorisation d’exercice dans chaque pays reste toujours identique jusqu’à épuisement du quota défini par l’accord.

11Ces accords, qui ont toujours donné lieu à une consultation préalable de l’Ordre des médecins et de la CSMF, ont concerné un tout petit nombre de praticiens. Une lettre de la sous-direction des professions de santé adressée au ministère des Affaires étrangères en février 1967 rappelle ainsi que de tels « accords de réciprocité » ont été signés avec la Colombie et le Pérou, mais que ceux-ci se sont conclus par un simple « échange de notes », vu leur « portée limitée [9] ». L’accord conclu avec l’Espagne en 1968 le montre bien : il ne porte que sur un seul médecin pour chaque pays. Renouvelé en 1973, il est étendu à seulement quatre autres médecins. C’est dire la faible incidence de tels accords au niveau de la profession.

12Les médecins étrangers ne bénéficiant pas de tels accords ont, certes, toujours la possibilité de faire convertir leur diplôme pour obtenir le doctorat d’État français. Mais les conditions requises sont dissuasives, puisqu’ils ne peuvent être dispensés que des trois premières années d’études de médecine (sur six) et doivent passer les examens correspondant aux années dont ils ont été exemptés.

13Bien plus que la condition de citoyenneté française, le diplôme constitue pour les étrangers l’obstacle le plus important à l’exercice de la médecine en France. Contrairement aux années d’avant-guerre, ce ne sont pas les étrangers suivant des études de médecine en France qui constituent le principal sujet de préoccupation de la profession médicale, mais les médecins ayant reçu leur formation initiale à l’étranger. En effet, en raison sans doute de la disparition des étudiants provenant d’Europe centrale et du développement de l’enseignement médical dans les ex-colonies et protectorats français, la proportion d’étrangers parmi les étudiants en médecine s’est fortement réduite par rapport aux années d’avant-guerre : en 1967, les étrangers ne représentaient que 8,5 % des étudiants en médecine, contre 24 % en 1933. L’ouverture de la profession médicale à des praticiens « étrangers » dans les années 1970 va donc concerner principalement les médecins formés à l’étranger.

Une ouverture limitée dans les années 1970

14Les changements touchant l’accueil des médecins à diplôme étranger en France dans les années 1970 ne sont pas le résultat d’évolutions internes à la profession médicale, mais de pressions externes à celle-ci. La première vient du ministère français des Affaires étrangères. Tirant argument du Protocole de New York en 1967, qui étend la Convention de Genève aux réfugiés issus des pays non européens, il demande au ministère de la Santé de faire adopter des dispositions en vue de permettre à des médecins réfugiés ou apatrides d’exercer leur métier en France. Le 13 juillet 1972, le gouvernement promulgue une loi en ce sens. Elle prévoit la mise en place d’une commission consultative chargée d’attribuer des autorisations individuelles de plein exercice dans les limites d’un quota fixé par le ministre chargé de la Santé. Les candidats à ces autorisations devront voir leur diplôme reconnu comme équivalent au diplôme d’État français et passer si nécessaire des épreuves d’aptitude.

15L’adoption de cette loi s’est heurtée à de fortes résistances de la part de l’Ordre des médecins, qui s’était déjà opposé avec succès à un premier projet de loi en ce sens en 1965. En effet, l’Ordre est préoccupé par l’accroissement très rapide du nombre d’étudiants de médecine, passé de 31 500 en 1960-1961 à 54 700 en 1966-1967, après une quasi-stagnation dans les années 1950 [10]. Les effectifs d’étudiants inscrits en année préparatoire de médecine ont augmenté à eux seuls de 60 % entre 1965-1966 et 1967-1968. Suite aux événements de mai 1968, qui n’épargnent ni les facultés de médecine ni les hôpitaux universitaires, l’Ordre demande avec d’autres organisations professionnelles la mise en place d’un numerus clausus en début d’études médicales. Cette revendication est satisfaite en 1971, les pouvoirs publics étant également préoccupés par l’impact d’une croissance non maîtrisée du nombre de médecins sur les dépenses de l’assurance maladie [11]. Le numerus clausus, qui se traduit par l’institution d’un concours en fin de première année d’études médicales, doit donc conduire à une diminution progressive du nombre d’étudiants de médecine.

16Dans ce contexte, l’accueil en France de médecins formés à l’étranger doit être contenu. Pour les professeurs de médecine siégeant à la Commission des autorisations d’exercice, qui se réunit à partir de mars 1975, il n’est en effet pas question d’accorder un trop grand nombre d’autorisations, à la fois pour des raisons d’équité vis-à-vis des étudiants ayant échoué au concours de fin de première année de médecine et pour ne pas léser les États étrangers ayant assuré la formation initiale de leurs médecins [12]. Pour les représentants de l’Ordre des médecins et des syndicats de médecins libéraux, ces autorisations doivent également être attribuées avec parcimonie, en raison de l’arrivée sur le marché du travail d’importantes promotions de docteurs en médecine alors même que le gouvernement dit vouloir contenir l’accroissement des dépenses de santé. En 1976, les membres de la commission s’accordent donc pour que le nombre d’autorisations délivrées chaque année soit fixé en fonction du numerus clausus de médecine et ne représente pas plus de 1 % de ce dernier. La commission, qui accorde cent 194 autorisations d’exercice en 1975, n’en délivre plus que 72 en 1981 (figure 1).

17La transposition en droit français des directives communautaires du 16 juin 1975 visant à rendre effective pour les médecins la libre circulation des personnes et des services prévue par le Traité de Rome de 1957 suscite nettement moins de résistances au niveau de la profession médicale, ses représentants escomptant que les migrations de médecins à l’intérieur de la CEE seront limitées ou se compenseront. Les praticiens ressortissants d’un État membre de la CEE sont ainsi autorisés à exercer en France sans autorisation préalable à partir du 1er janvier 1977.

18Si les directives européennes de 1975 ont eu des effets migratoires limités avant l’élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale en 2004 et en 2007 [13], elles sont en revanche à l’origine d’une discrimination nouvelle entre les médecins originaires d’un État membre de la CEE et ceux issus d’autres États : les premiers acquièrent les mêmes droits en matière d’exercice que les médecins formés en France, tandis que les seconds doivent, pour avoir des droits similaires, obtenir une autorisation préalable. Or, comme nous l’avons vu, la commission qui les accorde le fait avec beaucoup de parcimonie.

Figure 1

Évolution du numerus clausus et du quota annuel d’autorisations individuelles d’exercice entre 1975 et 1992

Figure 1

Évolution du numerus clausus et du quota annuel d’autorisations individuelles d’exercice entre 1975 et 1992

Source : Journal officiel de la République française.

19Pour les médecins formés en dehors de la CEE, les possibilités d’exercer la médecine en France demeurent, à la fin des années 1970, très limitées. Pourtant, les médecins hospitalo-universitaires, dont certains entretiennent des relations régulières avec leurs homologues francophones du Maghreb, d’Afrique ou du Proche-Orient, encouragent la venue en France de médecins souhaitant y acquérir un complément de formation. Sous des statuts divers, ceux-ci se voient confier des responsabilités médicales dans les hôpitaux, au même titre que les internes de médecine (c’est-à-dire des étudiants en médecine français ayant réussi le concours de l’internat et se formant généralement à une spécialité). Confrontés à des difficultés de recrutement dans certaines disciplines, les hôpitaux étaient d’ailleurs autorisés à employer des médecins ne satisfaisant pas aux conditions générales d’exercice de la médecine. Les médecins ainsi recrutés étaient généralement des praticiens qui avaient réussi les épreuves d’aptitude prévues par la loi du 13 juillet 1972 (ou en avaient été exemptés) et espéraient obtenir une autorisation de plein exercice. Cependant, jusqu’au début des années 1980, peu de places étaient vacantes pour ces médecins : la plupart étaient occupées par les internes et les étudiants préparant le diplôme d’État français, alors nombreux en raison d’un numerus clausus élevé et d’un accès aux formations spécialisées peu régulé.

Des hôpitaux sous contrainte

20Confrontés à un manque croissant de personnel médical à partir des années 1980, les hôpitaux publics ont été conduits à recruter, sous couvert de formation, de nombreux médecins à diplôme extracommunautaire pour assurer le fonctionnement de leurs services. L’Académie nationale de médecine, puis le ministère de la Santé ont tenté de mesurer l’ampleur de ces recrutements. D’après les recensements effectués entre 1993 et 1995, ce sont près de 8 000 médecins à diplôme extracommunautaire qui travaillent alors dans les hôpitaux publics – et plus particulièrement dans les hôpitaux généraux situés dans des zones géographiques peu attractives [14]. L’importance qu’ont acquis les médecins à diplôme extracommunautaire dans le fonctionnement des services hospitaliers au cours des années 1980-1990 est le résultat de plusieurs dynamiques socio-historiques, dont nous reconstituons ici les principales.

Diminution du numerus clausus et réforme des études spécialisées

21Les recrutements de médecins à diplôme extracommunautaire par les hôpitaux publics sont tout d’abord dus à la diminution du nombre de médecins en formation, consécutive à la baisse du numerus clausus et à la réforme des études médicales de 1982, qui vise à améliorer la formation des futurs spécialistes et à contingenter l’accès au titre de spécialiste.

22C’est à partir de 1977 que les pouvoirs publics ont entrepris de réduire le numerus clausus de médecine mis en place six années plus tôt. De 8671 en 1977, il passe à 6409 en 1981 et descend en dessous de la barre des 4 000 en 1992. Cette politique reçoit le soutien très appuyé des syndicats de médecins libéraux, confrontés à un fort accroissement des effectifs de la profession médicale, effet direct de la hausse du nombre d’étudiants de médecine une décennie plus tôt : entre 1975 et 1984, le nombre de médecins en exercice passe de 81 000 à 140 000. Du côté de la direction du Budget, de la direction de la Sécurité sociale et des gestionnaires de l’assurance maladie, le numerus clausus est vu comme un instrument de maîtrise des dépenses : moins les universités formeront de médecins, moins ceux-ci seront nombreux à peser sur le budget de l’assurance maladie [15]. De manière concomitante, le gouvernement souhaite limiter le développement de la médecine spécialisée et former une proportion plus élevée de généralistes, dont les soins sont jugés moins coûteux que ceux des spécialistes. Cette politique est également soutenue par les syndicats de médecins libéraux et de spécialistes, pour lesquels la situation matérielle des spécialistes se serait fortement dégradée depuis le milieu des années 1970.

23Or, jusqu’au début des années 1980, l’accès aux études spécialisées était peu régulé. Il existait jusque-là deux filières principales pour devenir médecin spécialiste. La plus sélective et la plus prestigieuse consistait à passer les concours d’internat organisés par les centres hospitaliers et universitaires (CHU). Rémunérés, les internes de CHU se voyaient confier diverses responsabilités hospitalières et accomplissaient de nombreuses gardes et astreintes. À l’issue de leur internat, ils obtenaient l’équivalence d’un ou plusieurs Certificats d’études spéciales (CES) suivant les stages qu’ils avaient effectués. L’autre filière, beaucoup moins sélective, consistait à préparer directement un CES. À la différence des internes de CHU, les étudiants inscrits en CES n’avaient pas de responsabilités hospitalières de droit. La grande majorité d’entre eux effectuaient toutefois des stages à l’hôpital, généralement en tant que faisant fonction d’interne (FFI) ou « interne des régions sanitaires » s’ils avaient réussi l’un des concours d’internat organisés par les hôpitaux généraux [16]. En 1978, on comptait, pour 4 300 postes d’internes de CHU, 2 600 postes d’internes des régions sanitaires et 3 700 postes de FFI, ces derniers étant situés aux deux tiers dans les hôpitaux généraux [17]. À la fin des années 1970, les hôpitaux généraux accueillaient donc de nombreux médecins en formation, dont la majorité se destinait à un exercice spécialisé.

24La réforme de 1982, mise en œuvre à partir de 1984-1985, consiste à fusionner l’ensemble des concours d’internat existants au profit d’un concours national, et à faire de ce concours la seule voie d’accès aux formations spécialisées. Le nouveau concours de l’internat permet donc de contingenter strictement l’accès à la médecine spécialisée, puisque désormais l’accès aux formations spécialisées se fait dans les limites d’un quota. Les étudiants non reçus au concours sont, quant à eux, destinés à devenir médecins généralistes après une formation pratique de deux ans. En outre, la réforme prévoit que les futurs spécialistes devront être formés avant tout dans les CHU, les futurs généralistes devant l’être principalement dans les hôpitaux généraux. Or c’était dans les hôpitaux généraux que la place des internes et des FFI était la plus importante avant la réforme : en 1976, ils représentaient en équivalent temps plein 48 % des médecins travaillant dans ces hôpitaux, contre 31 % pour les CHU.

25En concentrant la formation des spécialistes dans les CHU, la réforme de 1982 retire donc aux hôpitaux généraux des spécialistes en formation dont ils manquent cruellement à partir du milieu des années 1980. Les CHU, épargnés au départ par ces difficultés, subissent quelques années plus tard les effets de la réduction progressive du nombre de places offertes au concours de l’internat : ce dernier diminue de 20 % entre 1985 et 1995, avec une baisse plus marquée pour les hôpitaux de la région parisienne et du Sud de la France.

La dévalorisation des carrières hospitalières

26La baisse du nombre de médecins en formation – futurs généralistes ou spécialistes – a des effets d’autant plus importants sur les hôpitaux que, dans le même temps, leurs besoins en praticiens s’accroissent. En effet, la généralisation de la médecine hospitalière à temps plein, consécutive à la réforme hospitalo-universitaire de 1958, se traduit par une intensification du travail médical en milieu hospitalier. La durée de séjour des malades à l’hôpital se raccourcit, tandis que des tâches effectuées autrefois par des praticiens en formation ou d’autres catégories de soignants doivent être désormais accomplies par des médecins titulaires [18]. De nombreux postes de praticiens hospitaliers sont créés. Cependant, non seulement ces créations de postes ne compensent pas entièrement la diminution du nombre de médecins en formation, mais les postes ainsi créés sont très difficiles à pourvoir, surtout dans les hôpitaux généraux. Le nombre de postes statutairement vacants, c’est-à-dire de postes budgétés mais non pourvus par des médecins ayant passé les concours hospitaliers, s’accroît. En 1985, une enquête de la direction des Hôpitaux fait apparaître 900 postes de médecins hospitaliers vacants (sur 6 900) dans les hôpitaux généraux. En 1989, on en compte 2282 pour l’ensemble des hôpitaux publics, dont 1766 pour les hôpitaux généraux.

27Ces difficultés de recrutement sont liées à la réforme des études médicales, qui a entraîné une forte diminution du nombre de médecins formés dans certaines spécialités, et donc une raréfaction des candidats aux postes hospitaliers. Mais elles sont dues, plus encore, à la dévalorisation des carrières hospitalières. En effet, la très grande majorité des postes de médecins créés dans les hôpitaux publics à partir de la fin des années 1970 le sont dans les hôpitaux généraux : entre 1978 et 1995, la part des médecins travaillant dans ces derniers passe de 30 % à 58 % de l’ensemble des praticiens hospitaliers à temps plein. La très grande majorité des postes créés sont donc des postes mono-appartenants, c’est-à-dire des postes exclusivement hospitaliers, et non des postes bi-appartenants, hospitaliers et universitaires. Or, non seulement les postes de mono-appartenants sont moins prestigieux que ceux de bi-appartenants, mais ils sont aussi moins bien rémunérés. De fait, la concurrence pour les postes de médecins bi-appartenants est plus grande, ce qui se traduit à la fois par des conditions de travail plus dures en début de carrière et par des perspectives professionnelles plus incertaines. Ces évolutions expliquent que, pour beaucoup de jeunes médecins, l’exercice libéral puisse apparaître plus attractif que l’hôpital, tant du point de vue des revenus que de celui des conditions de travail. Significativement, c’est dans les spécialités les plus lucratives dans le secteur libéral (comme la radiologie, la chirurgie et l’anesthésie-réanimation) et dans les établissements situés dans les zones rurales ou dans les banlieues pauvres des grandes villes que les postes hospitaliers sont les plus difficiles à pourvoir.

Des médecins disposés à accepter des emplois astreignants

28Face à ces difficultés de recrutement, les hôpitaux publics ont la possibilité réglementaire d’embaucher des médecins à diplôme extracommunautaire en réallouant les sommes budgétées pour les postes non pourvus d’interne ou de praticien hospitalier. La quasi-totalité des médecins ainsi recrutés sont employés comme FFI, attachés associés ou assistants associés, ces deux derniers statuts leur étant réservés [19]. Si les assistants associés ont une rémunération pratiquement identique à celle des assistants français, les FFI et les attachés associés touchent, quant à eux, des rémunérations nettement inférieures à celles des internes et des attachés français [20]. En outre, les assistants bénéficient de contrats de travail d’un à deux ans (renouvelables pour une durée maximale de quatre ans, portée à six ans en 1995), alors que les FFI ne peuvent signer que des contrats de six mois, et que les attachés associés sont rémunérés à la vacation. Or les médecins à diplôme extracommunautaire sont très majoritairement employés sous ces deux derniers statuts, les moins bien rémunérés et les plus précaires : d’après les recensements effectués par l’Académie nationale de médecine et le ministère chargé de la Santé, c’était le cas de plus des deux tiers d’entre eux en 1994-1995.

29Les hôpitaux n’ont pas de mal à pourvoir ces postes. En effet, les candidats à ces emplois sont nombreux, en raison d’une politique de coopération universitaire visant à inciter les médecins issus des pays étrangers à venir compléter leur formation en France. S’inscrivant dans une tradition ancienne [21], cette politique vise pour les autorités universitaires et diplomatiques françaises à favoriser les échanges pédagogiques et scientifiques internationaux. Pour les États étrangers intéressés – principalement les États issus de l’empire colonial français –, il s’agit de permettre à leurs diplômés d’acquérir des compétences spécialisées auxquelles ils ne peuvent pas les former eux-mêmes. Certes, leurs étudiants ont la possibilité de préparer des diplômes d’université (DU), mais ces diplômes non homologués par l’État, aux intitulés très variables d’une université à l’autre, n’offrent pas aux yeux des autorités universitaires des États étrangers des garanties suffisantes en matière de formation. En outre, depuis la réforme des études médicales de 1982, le concours de l’internat est fermé à leurs étudiants. C’est donc en vue de mieux organiser les formations complémentaires que leurs diplômés viennent suivre en France que les dirigeants des facultés de médecine francophones des pays du Sud obtiennent, suite à des discussions nouées avec la Conférence des doyens des facultés de médecine française, la mise en place de cursus spécifiques. Calqués sur le modèle des diplômes d’études spécialisées (DES) réservés aux internes français, des Diplômes interuniversitaires de spécialité (DIS) sont créés en 1985 [22]. Les étudiants d’origine extracommunautaire peuvent s’inscrire à ces formations, d’une durée de trois à quatre ans, après avoir obtenu une attestation d’études préparatoires de spécialité puis, à partir de 1991, après avoir réussi un concours. En 1991, des formations plus courtes, comprises entre six mois et deux ans, sont également mises en place. Comme pour les DIS, il est expressément indiqué que ces formations ne donnent pas le droit d’exercer la médecine en France, conformément au souhait des États étrangers, qui veulent que les médecins dont ils ont assuré la formation initiale reviennent sur leur territoire après avoir acquis une spécialisation en France.

30Au total, on compte, en 1992-1993, 15 500 étudiants étrangers inscrits à un diplôme de troisième cycle dans les facultés de médecine françaises. Ils proviennent principalement des pays du Maghreb, du Proche-Orient et d’Afrique francophone. Parmi eux, seuls quelques centaines, ayant réussi le concours de fin de première année, préparent le diplôme d’État. Les autres se répartissent entre les formations homologuées qui leur sont réservées et les DU [23]. Leur nombre est donc bien supérieur au nombre de postes qui leur sont proposés par les hôpitaux. Beaucoup doivent se contenter d’effectuer des stages hospitaliers non rémunérés [24]. La possibilité d’avoir des fonctions hospitalières rémunérées, même mal, constitue donc une perspective intéressante pour ces médecins, d’autant plus que beaucoup ne sont pas issus de familles aisées [25]. En raison des faibles perspectives professionnelles offertes dans leurs pays d’origine, dont certains sont de surcroît en proie à des troubles politiques (comme l’Algérie des années 1990), beaucoup cherchent à prolonger leur séjour en France en se faisant employer à l’hôpital, y compris comme aide-soignant ou infirmier [26]. Espérant obtenir un jour une autorisation de plein exercice, plusieurs milliers de ces médecins, s’inscrivant successivement à plusieurs diplômes et acquérant la confiance de leurs chefs de service et de leurs collègues, ont ainsi pu s’installer durablement en France, y fonder une famille et acquérir la nationalité française [27].

31Le développement des recrutements de médecins à diplôme extracommunautaire dans les hôpitaux publics à partir du milieu des années 1980 n’est donc pas le résultat d’une politique volontariste des pouvoirs publics. Bien que ces derniers aient initialement facilité ces recrutements en créant des statuts réservés à ces médecins, ils ont très rapidement cherché à les limiter. À partir de 1987, plusieurs circulaires ont été publiées dans le but d’encadrer et de durcir les conditions d’embauche des FFI et des attachés associés. En 1991, un décret, complété par un arrêté l’année suivante, a interdit aux hôpitaux de recruter des FFI étrangers ne préparant pas des diplômes homologués par l’État à compter du 1er janvier 1994.

32Toutefois, les pouvoirs publics n’ont pas réussi à faire appliquer ces mesures. En effet, les responsables hospitaliers locaux cherchent avant tout à assurer le fonctionnement de leurs services et à maintenir des conditions de travail acceptables pour les médecins titulaires. Ces derniers délèguent aux médecins à diplôme extracommunautaire une partie importante du « sale boulot » hospitalier, comme les gardes et les urgences. D’après une enquête conduite par le ministère chargé de la Santé en 1994-1995, les médecins d’origine extracommunautaire accomplissent alors 6,1 nuitées de garde par mois en moyenne, contre 3,8 pour les médecins étrangers d’origine communautaire, probablement soumis à un régime proche de celui des médecins français [28]. Compte tenu de la précarité de leur statut et de la faiblesse de leurs revenus, la grande majorité des médecins à diplôme extracommunautaire doivent accepter les postes délaissés par les internes et les médecins français et effectuer les tâches qu’ils rechignent le plus à accomplir. Cela explique qu’en dépit des statuts de FFI et d’attaché associé, selon lesquels ces derniers doivent travailler « sous la responsabilité directe » de leur chef de service ou de l’un de ses collaborateurs, les médecins à diplôme extracommunautaire bénéficient généralement d’une grande autonomie dans leur travail, comme l’a reconnu un rapport officiel en 1997 : « [Ces] médecins occupent des responsabilités cliniques “de fait” qui les mettent en position d’équivalence avec des médecins français, en particulier pour assurer les parties les plus contraignantes de ces métiers que représentent les gardes et les urgences [29]. »

L’irruption des « médecins étrangers » sur la scène publique

33À partir de la fin des années 1980, les recrutements de médecins à diplôme extracommunautaire commencent à susciter des critiques ouvertes à l’intérieur de la profession médicale. Celles-ci émanent de ses fractions dominantes. Un syndicat de chirurgiens libéraux, le Collège national des chirurgiens français, se saisit le premier de cette question. En décembre 1988, il obtient que l’Académie nationale de médecine prononce un « vœu » sur la situation de la chirurgie française, selon lequel l’exercice de la chirurgie se serait dévalorisé, tant dans le secteur libéral que dans les hôpitaux publics [30]. Les recrutements de médecins à diplôme extracommunautaire sont présentés comme symptomatiques d’une dégradation des conditions d’exercice à l’hôpital et d’un affaiblissement du prestige de certaines spécialités, comme la chirurgie.

34Les médecins qui dénoncent ces recrutements le font également au nom de la santé publique, en mettant en doute les compétences des médecins à diplôme extracommunautaire. Toujours dans le même vœu, l’Académie de médecine s’inquiète de ce que les postes vacants à l’hôpital puissent être « parfois occupés depuis plusieurs années par des chirurgiens étrangers qui ne sont ni qualifiés, ni qualifiables en France ». En 1989, c’est au tour de la CSMF et de l’Association nationale des étudiants en médecine de France de défendre l’idée qu’« il ne faut pas laisser entrer dans les hôpitaux une main-d’œuvre étrangère, sous-qualifiée et sous-payée [31] ». Pour ces organisations, le problème posé par les recrutements de médecins à diplôme extracommunautaire se pose en des termes différents que pour les chirurgiens : s’ils sont si nombreux à être recrutés, c’est précisément parce que nombreux sont les jeunes diplômés français à ne plus vouloir faire carrière à l’hôpital et à faire le choix d’un exercice libéral. La dévalorisation des carrières hospitalières aurait donc pour effet d’accentuer la concurrence interprofessionnelle dans le secteur libéral et d’alimenter une « pléthore » que la diminution du numerus clausus engagée depuis la fin des années 1970 devait justement limiter.

35De leur côté, les pouvoirs publics commencent à s’intéresser de plus près à la question des médecins à diplôme extracommunautaire. Comme nous l’avons vu, les mesures prises à partir de 1987 pour limiter les recrutements de ces médecins ont été sans effet. Or ceux-ci vont à l’encontre de la politique gouvernementale menée en matière de démographie médicale depuis la fin des années 1970 et du souci affiché de maîtriser l’évolution des dépenses de santé. En outre, les critiques dont les recrutements de médecins « étrangers » font l’objet dans la presse médicale font craindre aux gouvernants une médiatisation accrue du problème qui pourrait les mettre en difficulté sur le plan politique. Les doutes émis sur les compétences des médecins « étrangers » alors même qu’ils sont autorisés à travailler dans les hôpitaux publics et les conditions dans lesquelles ils sont employés pourraient donner prise à des critiques sur la politique du gouvernement en matière de santé publique et à des « accusations de xénophobie [32] ». Enfin, la situation de ces médecins est vue comme un « problème humain [33] », les conditions dans lesquelles ils sont employés ne rendant pas justice à l’importance des services qu’ils rendent aux hôpitaux.

36Ces différentes raisons conduisent Simone Veil à se saisir de la question des médecins à diplôme extracommunautaire dès sa nomination comme ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville en mars 1993. Toutefois, le double souci de ne pas prendre des mesures allant à l’encontre de l’objectif affiché de maîtrise des dépenses de santé et de ne pas trop heurter la profession médicale a abouti à une loi qui, contrairement à l’intention première de ses initiateurs, a eu pour effet de rendre plus visibles les discriminations subies par ces médecins en matière d’exercice.

L’échec d’une « intégration larga manu » : la loi du 4 février 1995

37La question des médecins à diplôme extracommunautaire est inscrite à l’ordre du jour du gouvernement dans un contexte budgétaire difficile. En effet, la récession économique de 1993 se traduit par une aggravation brutale du déficit de l’assurance maladie, ce dernier atteignant 27,6 milliards de francs contre 4,1 milliards l’année précédente [34]. Entre mai et août 1993, le gouvernement prend de nombreuses mesures visant à réduire les dépenses publiques en matière d’assurance maladie. Mais s’il réussit à limiter l’accroissement des déficits, il ne parvient pas à les réduire.

38Dans un tel contexte, le ministère des Affaires sociales considère que si la situation des médecins non originaires de la CEE doit être améliorée, cela doit se faire à un coût modéré pour l’assurance maladie. L’octroi d’autorisations de plein exercice est exclu d’emblée :

39

« Ces mesures auraient une incidence financière non négligeable : outre le risque qu’il y aurait à augmenter le nombre de médecins pouvant s’installer en libéral, l’intégration possible dans le statut hospitalier de droit commun de collaborateurs médicaux dont les rémunérations actuelles […] sont médiocres aurait comme conséquence directe une augmentation des dépenses des hôpitaux [35]. »

40En décembre 1993, le ministre des Affaires sociales retient donc le projet de créer un « corps d’intégration », c’est-à-dire un statut spécifique pour les médecins à diplôme extracommunautaire. Les bénéficiaires de ce statut seraient recrutés sur une base contractuelle et toucheraient une rémunération inférieure à celle des praticiens hospitaliers. Par ailleurs, ils n’auraient pas le droit d’exercer en dehors de l’hôpital. Ces particularités sont justifiées par le fait que l’accès à ce statut serait peu sélectif, pour permettre au plus grand nombre d’en bénéficier. C’est donc une « intégration larga manu[36] » qui est envisagée, le ministère des Affaires sociales estimant qu’elle pourrait concerner 8 500 médecins.

41Cependant, lorsque le projet de loi est déposé auprès du Parlement à l’automne 1994, il soulève de vives critiques à l’intérieur de la profession médicale. Arguant du fait que les médecins à diplôme extracommunautaire n’auraient pas tous des compétences suffisantes, les syndicats de médecins hospitaliers et de jeunes médecins (internes et chefs de clinique) exigent que, contrairement à l’intention initiale du ministère des Affaires sociales, les bénéficiaires du futur statut passent des épreuves fortement sélectives. En outre, les pouvoirs publics affichent alors, de concert avec les syndicats de médecins libéraux, une forte volonté de lutter contre la « pléthore médicale », notamment par le maintien du numerus clausus à un niveau très bas. Dans ce contexte, offrir un statut stable à un grand nombre de médecins à diplôme extracommunautaire est présenté comme une injustice vis-à-vis des étudiants en médecine ayant échoué au concours de fin de première année.

42Ces critiques sont relayées par les médias généralistes. Elles ont parfois une teneur ouvertement xénophobe, les « médecins étrangers », comme on les appelle, étant stigmatisés dans leur ensemble, au nom de leur incompétence supposée et de leur non-maîtrise de la langue française. Plusieurs journaux rapportent des récits d’interventions chirurgicales ayant mal tourné et des témoignages ou suspicions de trafics de diplôme. Certaines anecdotes sont ainsi présentées comme emblématiques du « problème », comme l’histoire d’« Hamid [***], peintre en bâtiment, […] qui a pu exercer durant cinq ans la fonction de FFI à l’hôpital d’Oyonnax, et [qui] y serait encore si son épouse ne venait pas de le dénoncer [37] ».

43L’emploi de ces stéréotypes xénophobes reste cantonné aux journaux s’adressant à un lectorat conservateur ou d’extrême droite. On ne les retrouve pas dans les débats parlementaires. Toutefois, en raison de l’opposition de plusieurs députés de la majorité, qui reprennent les critiques formulées par la profession médicale, le gouvernement doit recourir à la procédure du vote bloqué pour faire adopter le texte. La loi est finalement promulguée le 4 février 1995. Elle est ensuite complétée, en mai 1995, par divers décrets et arrêtés précisant le statut des « praticiens adjoints contractuels » (PAC) et définissant la nature des épreuves permettant d’y accéder.

44Concernant le statut lui-même, les dispositions adoptées sont conformes aux intentions initiales du gouvernement. Les PAC ne bénéficient pas d’une autorisation de plein exercice, mais d’une autorisation restreinte au secteur hospitalier. Ils ne pourront donc pas exercer dans le secteur libéral, jugé encombré par les syndicats de médecins libéraux. En outre, cette autorisation d’exercice n’est valable que pour la durée de leur contrat fixée à trois ans renouvelables. De manière significative, la loi prévoit que ces médecins ayant une autorisation d’exercer partielle et temporaire soient inscrits sous une « rubrique spécifique » au tableau de l’Ordre des médecins. Enfin, leur rémunération en début de carrière est inférieure de moitié à celle des praticiens hospitaliers titulaires, et la progression des revenus en cours de carrière est particulièrement lente.

45En revanche, les épreuves à passer pour devenir PAC et les conditions requises pour s’y inscrire sont nettement plus sélectives que le gouvernement le souhaitait. Ainsi, d’après une étude effectuée par l’Assistance publique des hôpitaux de Paris auprès de son personnel en 1995, « sur les 1750 [médecins à diplôme extracommunautaire] recensés en mai, moins de 30 % remplissent a priori les conditions pour se présenter aux épreuves nationales d’aptitude [38] ». De fait, ce sont à peine 4 000 candidats qui sont reçus à l’issue des quatre sessions organisées entre 1996 et 1999, et non 8 500 comme l’espérait initialement le ministère des Affaires sociales. Autrement dit, plus de la moitié des médecins à diplôme extracommunautaire recensés dans les hôpitaux au moment de la promulgation de la loi n’ont pas pu accéder au statut de PAC.

46Cette situation explique que les hôpitaux continuent à embaucher ces médecins sous les statuts préexistants, y compris lorsqu’ils ne préparent pas des diplômes homologués par l’État, ce que la loi interdit à compter du 1er janvier 1996. Certes, les pouvoirs publics auraient pu arguer de ces illégalités pour imposer la fermeture des services concernés. Pour les agents du ministère de la Santé, l’existence de nombreuses « petites structures hospitalières », dotées de leurs propres services d’urgence et de chirurgie, est la « racine du mal [39] » : la transformation de ces hôpitaux peu attractifs auprès des médecins français en « structures médico-sociales », c’est-à-dire en établissements de long séjour peu médicalisés, est considérée comme la seule solution à même de mettre fin aux recrutements des médecins à diplôme extracommunautaire dans les hôpitaux publics. Cependant, bien qu’une telle solution soit également avancée par les fractions dominantes du champ médical – médecins hospitalo-universitaires parisiens et chirurgiens, notamment –, le ministère de la Santé n’ignore pas que ces mesures dites de « restructuration » se heurtent à des obstacles politiques importants au niveau local, et donc qu’elles ne peuvent pas constituer une solution de court terme pour mettre fin aux problèmes de recrutement des hôpitaux. D’où l’adoption, par les pouvoirs publics, d’une ligne pragmatique consistant à fermer les yeux sur les recrutements illégaux [40].

Le tournant des régularisations

47Bien que présentée par les pouvoirs publics comme une avancée pour les médecins à diplôme extracommunautaire, la loi du 4 février 1995 et ses textes d’application suscitent de multiples critiques. Dès 1994, certains médecins, souvent issus des fractions dominées de la médecine hospitalière, s’étaient élevés contre les discours des porte-parole dominants de la profession médicale, en dénonçant la présomption d’incompétence dont faisait l’objet les « médecins étrangers ». Le chef d’un service de psychiatrie d’un hôpital de la région parisienne écrivait ainsi, à propos d’un rapport de l’Académie nationale de médecine :

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« Une fois de plus, l’amalgame est fait entre les médecins étrangers travaillant en grand nombre dans les hôpitaux publics et leur manque de qualification professionnelle. […] [Les médecins des hôpitaux] chaque jour peuvent témoigner de leurs qualités et, comme pour tous les autres médecins, de leurs éventuelles insuffisances [41]. »

49En outre, les mêmes médecins qui avaient réclamé que les praticiens à diplôme extracommunautaire souhaitant continuer à exercer soient soumis à un examen rigoureux critiquent, très tôt, le statut de PAC. En effet, l’existence d’une catégorie de praticiens n’ayant pas le droit d’exercer en dehors de l’hôpital risque à leurs yeux de dévaloriser les hôpitaux publics, car cela pourrait laisser « entendre que l’hôpital est moins exigeant que le secteur libéral [42] ». Les organisations de jeunes médecins craignent également que la possibilité pour les hôpitaux de créer des postes de PAC ne réduise leurs chances d’être recrutés comme praticien hospitalier (PH) dans les hôpitaux universitaires : soumis à de fortes contraintes budgétaires, ces derniers pourraient être tentés de créer des postes de PAC plutôt que des postes de PH, plus coûteux. Les porte-parole des jeunes médecins, des médecins hospitaliers et des médecins hospitalo-universitaires demandent donc que les médecins à diplôme extracommunautaire puissent bénéficier de la plénitude d’exercice au même titre que les médecins ayant le diplôme d’État français — ce qui signifie qu’ils pourraient concourir à des postes de PH ou exercer dans le secteur libéral, à condition toutefois de subir un examen rigoureux. La redéfinition du problème de la démographie médicale à partir du milieu des années 1990 favorise cette évolution. La crainte de la « pléthore médicale » fait place à celle de la « pénurie » : l’Ordre des médecins et plusieurs syndicats de médecins libéraux ou hospitaliers s’inquiètent désormais de la diminution escomptée du nombre de médecins à partir des années 2000, et craignent que cela se traduise par un alourdissement de leur charge de travail [43].

50Or, au même moment, les médecins à diplôme extracommunautaire commencent à s’organiser. Plusieurs organisations sont fondées, dont les dirigeants expriment publiquement les discriminations dont eux-mêmes et leurs homologues font l’objet. À partir d’avril 1995, ils sont cités à plusieurs reprises par le journal Le Monde, qui dénonce le caractère discriminatoire de la loi du 4 février 1995 et de ses textes d’application. En octobre 1995, le Comité des médecins à diplôme étranger et l’Association des attachés associés organisent, pour la première fois, deux journées de grève. Ces mêmes organisations tentent également des recours juridiques visant à faire annuler les textes d’application de la loi du 4 février 1995, tout d’abord auprès du Conseil d’État puis, après l’échec de cette première démarche, auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Surtout, les médecins à diplôme extracommunautaire reçoivent le soutien de plusieurs associations de médecins humanitaires et d’organisations de défense des droits des étrangers et des droits de l’homme, comme Médecins du Monde, Médecins sans frontières, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), la Cimade ou la Ligue des droits de l’homme. Mettant en regard l’importance des services rendus par les médecins à diplôme extracommunautaire dans les hôpitaux publics avec les conditions dans lesquelles ils sont employés, ces organisations constituent un relais puissant pour sensibiliser les journaux et les pouvoirs publics à leur cause. En février 1998, elles créent une « Commission pour l’égalité des droits de tous les médecins exerçant en France ». Leur action aboutit à la tenue, en novembre 1998, d’un colloque à l’Assemblée nationale « pour l’égalité de l’exercice de la médecine en France » dans le but de sensibiliser les gouvernants à cette question.

51Les élections législatives de 1997, qui aboutissent à la victoire surprise des partis de gauche, favorisent la réinscription du problème des médecins à diplôme extracommunautaire sur l’agenda gouvernemental. En effet, le nouveau gouvernement fait de la lutte contre les discriminations touchant les étrangers une priorité politique [44]. Le rapport du Haut Conseil à l’intégration remis au Premier ministre en décembre 1998, intitulé Lutte contre les discriminations : faire respecter le principe d’égalité, est le premier rapport officiel à être consacré expressément à cette question.

52De manière stratégique, les organisations regroupées au sein de la Commission pour l’égalité des droits de tous les médecins exerçant en France recourent largement au motif des discriminations. Peu après sa nomination comme secrétaire d’État à la Santé, Bernard Kouchner se saisit de cette question. En juillet 1997, il promulgue un décret assouplissant les conditions requises pour passer les épreuves de PAC, conformément à ce qu’avait proposé un rapport commandé par le gouvernement précédent. Toutefois, il entend apporter une réponse plus large au problème et obtenir qu’une grande partie des médecins à diplôme extracommunautaire travaillant dans les hôpitaux se voient attribuer des autorisations de plein exercice. Cependant, l’acceptabilité politique de cette mesure supposait que, dans le même temps, il obtienne un relèvement du numerus clausus de médecine : il ne fallait pas que les médecins « étrangers » apparaissent comme prenant des places normalement destinées aux « Français ». Fort du soutien du Premier ministre, il obtient en décembre 1998 que le numerus clausus soit relevé de 3583 à 3700, contre l’avis de la direction de la Sécurité sociale, de la direction du Budget et des gestionnaires de l’assurance maladie, toujours soucieux de contenir l’accroissement des dépenses de santé. Bien que faible, cette hausse constitue « une rupture par rapport à la politique précédente [45] », qui a consisté à réduire puis à maintenir le numerus clausus à un niveau très bas. Le relèvement du numerus clausus se poursuit durant les années ultérieures : il passe de 3 700 en 1999 à 7 000 en 2006.

53Ce changement de politique en matière de démographie médicale facilite l’adoption d’importantes mesures de régularisation à partir du mois de décembre 1998. Tout d’abord, le quota des autorisations individuelles d’exercice est fortement augmenté : alors qu’il était de 75 en 1997, il est fixé à 400 en décembre 1998 et à 300 l’année suivante. Par ailleurs, en juin 1999, un décret autorise les PAC à passer le concours de praticien hospitalier et supprime la condition de nationalité jusque-là requise pour passer le concours. Cela revient donc à accorder aux PAC qui auront réussi le concours de PH une autorisation de plein exercice. 872 le réussissent dès l’année 2000.

54Toutefois, la réforme la plus importante porte sur le régime des autorisations d’exercice, profondément remanié par la loi dite « CMU » du 27 juillet 1999. En premier lieu, l’organisation des épreuves de PAC, dont les dernières devaient avoir lieu en 1999, est prolongée de deux ans. En second lieu, les PAC sont désormais inscrits au tableau général de l’Ordre des médecins (et non plus dans une rubrique à part) et leur statut est amélioré. Ils peuvent, au bout de trois années d’exercice sous ce statut ou de six années de fonctions hospitalières, obtenir de droit une autorisation de plein exercice et ce, hors quota. En troisième lieu, les médecins qui avaient réussi les épreuves nationales d’aptitudes prévues par loi du 13 juillet 1972, mais qui n’avaient pas obtenu une autorisation de plein exercice ou réussi le concours de PAC, peuvent obtenir, toujours hors quota, une autorisation de plein exercice s’ils ont travaillé pendant au moins six ans à l’hôpital. Enfin, en dernier lieu, une commission dite « des dix ans » est instituée pour examiner au cas par cas les dossiers des médecins exerçant depuis au moins dix ans dans les hôpitaux français, mais ayant échoué aux épreuves d’aptitude prévues par la loi du 13 juillet 1972.

55Au total, d’après une note établie par la direction de l’Hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) en 2006, 4 236 PAC ont obtenu une autorisation de plein exercice ; environ 2 600 ont été accordées hors quota à des médecins qui avaient réussi les épreuves d’aptitude, et 153 autres ont été délivrées par la Commission des dix ans. Ce sont donc au total près de 8 000 médecins à diplôme extracommunautaire qui ont, en l’espace de quelques années, obtenu la plénitude d’exercice en France, soit près de quatre fois plus qu’entre 1975 et 1998.

56Toutefois, la loi du 27 juillet 1999, en régularisant la situation des médecins travaillant déjà dans les hôpitaux français, cherche également à mieux organiser les recrutements futurs de médecins à diplôme extracommunautaire et à les limiter. Elle prévoit ainsi la mise en place d’une nouvelle procédure d’autorisation d’exercice, tout en interdisant, comme la loi du 4 février 1995, le recrutement par les hôpitaux de médecins ne préparant pas un diplôme homologué par l’État, à l’exception des réfugiés, apatrides ou demandeurs d’asile. Cependant, en raison du retard pris par la mise en place de cette nouvelle procédure puis de son incapacité à faire face aux besoins des hôpitaux [46], ces derniers continuent à recruter des médecins à diplôme extracommunautaire sous des statuts précaires, même s’ils ne préparent pas des diplômes homologués par l’État. Six ans après la promulgation de la loi de 1999, une enquête conduite par la DHOS, à laquelle 76 % des établissements interrogés ont répondu, recense plus de 6 700 médecins employés sous des statuts de FFI, d’attaché associé ou d’assistant associé [47]. Au milieu des années 2000, la situation préexistant à la loi du 4 février 1995 s’était donc reconstituée, donnant lieu à de nouvelles mobilisations et de nouvelles mesures de régularisation de la part des pouvoirs publics.

57*

58Les barrières légales qui ont été mises en place entre la fin du XIXe siècle et les années 1930 pour dissuader les étrangers d’exercer la médecine en France ont connu des aménagements importants dans l’après-guerre. La condition de citoyenneté française a été vidée d’une partie de son contenu par la signature de nombreuses conventions avec des États étrangers. La condition de diplôme, elle, a été maintenue de manière nettement plus rigide. Elle oppose, à partir de 1977, les médecins ayant été formés dans un État membre de la CEE, qui acquièrent en matière d’exercice des droits identiques à ceux des médecins ayant le diplôme d’État français, aux médecins à diplôme extracommunautaire qui doivent, pour bénéficier de ces mêmes droits, obtenir une autorisation préalable du ministère de la Santé. Or ces autorisations, accordées depuis 1975, le sont avec une grande parcimonie.

59Toutefois, ce cadre réglementaire laisse aux hôpitaux la possibilité de recruter des médecins ne satisfaisant pas aux conditions générales d’exercice de la médecine pour pourvoir certains types d’emplois, dont certains leur sont même statutairement réservés, comme ceux d’attaché associé et d’assistant associé. À partir des années 1980, plusieurs milliers de médecins à diplôme extracommunautaire sont ainsi embauchés dans les hôpitaux publics, où ils sont souvent cantonnés à des fonctions astreignantes et mal rémunérées. Ces recrutements peuvent être expliqués, comme nous l’avons montré, par l’impact sur les hôpitaux de la réforme des études médicales de 1982 et de la politique gouvernementale en matière de démographie médicale, par l’accentuation des disparités internes au champ médical et par la présence en France d’un important vivier de médecins issus du Maghreb, du Proche-Orient et d’Afrique francophone, incités à venir en France pour y acquérir un complément de formation.

60Les décisions publiques qui ont été prises à partir de la fin des années 1980 au sujet des médecins à diplôme extracommunautaire peuvent être analysées comme des compromis effectués entre des préoccupations diverses, et parfois contradictoires comme le souci de garantir la compétence de ces médecins, de respecter une certaine équité vis-à-vis des étudiants ayant échoué au concours de fin de première année de médecine, de contenir l’accroissement des dépenses de santé, d’inciter les médecins venus acquérir en France une formation complémentaire à retourner ensuite dans leurs pays d’origine ou encore d’accorder des statuts acceptables aux médecins ayant néanmoins réussi à prolonger leur séjour en France. Ces préoccupations ont été portées par plusieurs catégories d’acteurs émanant de la sphère politico-administrative, du champ médical, du milieu associatif, des médias et également des États étrangers. Les décisions prises au sujet des médecins à diplôme extracommunautaire ne consistent pas en un simple enregistrement, au niveau de l’État français, d’un consensus exprimé au sein de la profession médicale. Ces décisions ont au contraire été le résultat de luttes entre des acteurs porteurs d’intérêts différents, luttes dont l’issue a dépendu des rapports de force, inégaux, noués entre ces acteurs et des prises que le monde social leur a offertes pour étayer leurs positions.

61Rendre compte de la situation des médecins à diplôme extracommunautaire employés dans les hôpitaux publics et des décisions qui ont été prises à leur sujet jusque dans les années 1990 en termes exclusifs de xénophobie serait donc réducteur. Des propos xénophobes ont bien été exprimés publiquement lors des débats qui ont eu lieu sur ces médecins dans les années 1990 – et même après [48]. Cependant, loin s’en faut, les décisions publiques prises au sujet de ces médecins ne l’ont pas été exclusivement, ni même principalement, en fonction de considérations xénophobes. Lorsque l’on présume trop facilement de la xénophobie de certaines élites administratives, politiques, professionnelles ou intellectuelles, et de « l’osmose idéologique [49] » qui existerait entre elles, on court ainsi le risque de faire du concept de xénophobie un mot écran, empêchant de voir l’ensemble des logiques sociales et politiques concourant à la production et à la perpétuation des discriminations touchant les étrangers.

62Aujourd’hui encore, l’attribution d’autorisations de plein exercice à des médecins à diplôme extracommunautaire se fait dans le cadre d’un quota. Doit-on y voir une survivance des mobilisations xénophobes de la fin du XIXe siècle et des années 1930 ? L’exercice de la médecine en France s’est profondément transformé depuis. Deux changements importants doivent être pris en compte ici : d’une part, la généralisation de l’assurance maladie obligatoire à partir de 1945, qui a contribué à améliorer la situation économique de la grande majorité des médecins et à tempérer la concurrence intraprofessionnelle, mais qui a également abouti à faire du montant global des dépenses de santé une affaire d’État ; et, d’autre part, l’institution du numerus clausus de médecine en 1971, qui a conduit à poser en termes d’équité le problème que constitue l’octroi d’autorisations de plein exercice à des médecins qui n’ont pas passé le concours. Or maîtrise des dépenses de santé et numerus clausus sont intimement liés : plutôt que de remettre en question le droit qu’ont tous les médecins ayant la nationalité et les diplômes requis d’être conventionnés par l’assurance maladie – et donc de voir leurs honoraires et leurs prescriptions remboursés par la Sécurité sociale –, les pouvoirs publics ont préféré, avec l’appui de certains segments de la profession médicale, limiter le nombre de médecins formés en France par l’institution d’un numerus clausus en début d’études. Pour les mêmes raisons, l’imposition d’un quota à destination des médecins formés à l’étranger en découle nécessairement, si l’on craint qu’ils soient trop nombreux à être candidats à un exercice de la médecine en France – ce que l’on redoute, précisément, pour les médecins d’origine extracommunautaire. Toutefois, ces exigences d’équité et de maîtrise des dépenses publiques peuvent entrer en conflit avec des exigences touchant les droits de l’homme. Ces conflits entre des exigences difficiles à concilier, dont certaines reposent sur des arguments moraux forts, expliquent que la question des « médecins étrangers » ait pu donner lieu à des débats particulièrement vifs dans l’espace public, d’où la xénophobie n’a pas été absente.

Notes

  • [1]
    La xénophobie est définie ici comme étant d’une part l’acte de catégoriser des individus suivant leur nationalité réelle ou supposée et, d’autre part, d’attribuer des caractéristiques négatives aux groupes ainsi constitués ou de les présenter comme une menace pour d’autres groupes. Nous nous inspirons ici librement de Miles (R.), Brown (M.), Racism, 2nd ed., London-New York, Routledge, 2003.
  • [2]
    Sur ces mobilisations, cf. notamment Evleth (D.), « Vichy France and the Continuity of Medical Nationalism », Social History of Medicine, 8 (1), 1995 et Noiriel (G.), Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècle). Discours publics, humiliations privées, Paris, Fayard, 2007.
  • [3]
    Evleth (D.), « Vichy, France and the Continuity… », art. cit.
  • [4]
    Miles (R.), Brown (M.), Racism, op. cit.
  • [5]
    Cf. notamment Bertrand (R.), « Les sciences sociales et le “moment colonial” : de la problématique de la domination coloniale à celle de l’hégémonie impériale », CERI, Questions de recherche, 18, 2006 ; Bayart (J.-F.), Les études postcoloniales. Un carnaval académique, Paris, Karthala, 2010 ; Saada (E.), « Coloniser, exterminer : sur la guerre et l’État colonial » [note de lecture], Critique internationale, 32, 2006.
  • [6]
    Le Cour Grandmaison (O.), La République impériale : politique et racisme d’État, Paris, Fayard, 2009. Cf. la recension que Simon Jackson en a faite pour La vie des idées, disponible sur : http://www.laviedesidees.fr/Liberte-egalite-fraternite-empire.html.
  • [7]
    Cet article s’appuie sur des sources variées : archives publiques et privées ; textes juridiques et circulaires ; débats parlementaires ; documents produits par des organisations professionnelles ou d’autres acteurs mobilisés sur la question des médecins à diplôme extracommunautaire ; journaux et bulletins professionnels ; presse généraliste ; entretiens semi-directifs avec des agents de l’État et des médecins. La place nous étant comptée, nous ne pouvons pas préciser davantage ici la manière dont nous avons constitué nos sources. Sur ce point, le lecteur pourra consulter notre thèse, L’emprise des quotas. Les médecins, l’État et la régulation démographique du corps médical (années 1960-années 2000), thèse pour le doctorat de science politique, Université Paris 1, 2007. Au moment de l’enquête, une partie des archives consultées avait été versée à la mission des archives du ministère de la Santé, mais n’avait pas encore été reversée au Centre des archives contemporaines (CAC). Ces « archives intermédiaires » (AI) seront donc citées sous la cote provisoire qui leur était attribuée lorsque nous les avons dépouillées. Sauf mention expresse, les données statistiques citées proviennent des ministères de l’Éducation nationale et de la Santé. Cet article a bénéficié à divers stades de son écriture des remarques et des conseils judicieux de Florent Champy, de Patrice Pinell et des participants à l’école d’été organisée par mon unité de recherche à Porquerolles en juin 2010. Qu’ils soient ici chaleureusement remerciés.
  • [8]
    AI DHOS/2002/012. Souligné dans le document original.
  • [9]
    AI DHOS/2002/012.
  • [10]
    Ces chiffres incluent également les étudiants inscrits en odontologie.
  • [11]
    Déplaude (M.-O.), « Instituer la “sélection” dans les facultés de médecine. Genèse et mise en œuvre du numerus clausus de médecine dans les années 68 », Revue d’histoire de la protection sociale, 2, 2009.
  • [12]
    Comme le rapporte l’un d’entre eux au cours d’une réunion de la commission en 1976, « la France a fait l’objet de reproches au colloque des UER de langue française qui s’est tenu récemment à Marseille et où il a été déclaré que les médecins originaires de pays en voie de développement s’installeraient en France après y avoir fait leurs études et servaient de ce fait à couvrir les besoins de notre pays. […]. La France pratiquerait ainsi une politique de spoliation plutôt que de coopération vis-à-vis de ses anciens territoires d’Outre-Mer » (CAC 2001284).
  • [13]
    Hurwitz (L.), « La libre circulation des médecins dans la communauté européenne. Le cas de la France », Revue française des affaires sociales, 42 (3), 1988.
  • [14]
    Rigaudiat (D.), Les médecins en provenance d’un pays hors CEE dans l’hôpital public, Paris, Fondation de l’Avenir, 1990. Leur effectif était probablement supérieur en raison des difficultés de recensement de ces médecins aux positions précaires et du fait que certains établissements ne déclaraient pas ceux qu’ils employaient pour ne pas afficher des situations d’illégalité auprès du ministère de la Santé. Les chiffres cités n’incluent pas non plus les médecins qui occupaient des postes non médicaux et étaient employés comme aide-soignant ou infirmier (voir infra).
  • [15]
    Tout médecin français détenteur du diplôme d’État et inscrit à l’Ordre peut être conventionné par l’assurance maladie. Cela signifie notamment que ses honoraires et prescriptions peuvent être remboursés par la Sécurité sociale et les mutuelles.
  • [16]
    Il existait en outre, pour certaines disciplines, des concours d’internat spécifiques, comme l’internat de psychiatrie et l’internat d’ophtalmologie de l’hôpital des Quinze-Vingt à Paris.
  • [17]
    Note du Bureau des études et du Plan de la direction générale de la Santé (DGS), octobre 1978, archives privées.
  • [18]
    Chevandier (C.), L’hôpital dans la France du XXe siècle, Paris, Perrin, 2009.
  • [19]
    Ils ont respectivement été créés en 1981 et en 1987. Le statut d’attaché associé a remplacé celui d’attaché à titre étranger, qui datait de 1974.
  • [20]
    En 1994, les FFI touchaient une rémunération inférieure d’un tiers à celle des internes de première année (déjà moins bien payés que les internes des années supérieures), et trois fois moindre que celle d’un assistant associé. Toujours en 1994, les vacations effectuées par les attachés associés dans les hôpitaux généraux étaient rémunérées à hauteur de 221 francs, contre 250 à 293 francs pour les attachés français. On retrouve des écarts similaires pour la rémunération des gardes.
  • [21]
    Weisz (G.), The Emergence of Modern Universities in France, 1863-1914, Princeton (NJ), Princeton University Press, 1983.
  • [22]
    À la demande des doyens de certaines facultés de médecine du Maghreb, un concours d’internat à titre étranger, très sélectif, a également été mis en place en 1987 : seulement sept à huit étudiants le réussissaient chaque année jusqu’à sa fusion avec les DIS en 2000.
  • [23]
    Il n’existe pas de données statistiques permettant de dire comment ces étudiants se répartissaient entre les deux types de formations. Nous pouvons vraisemblablement estimer, au regard de nos sources, que les DU représentaient la majorité des inscriptions.
  • [24]
    Une circulaire ministérielle de 1992 rappelle que les « étudiants inscrits en AFS ou AFSA [formations courtes] peuvent être pris [comme stagiaires à l’hôpital] en surnombre non rémunérés » (circulaire DGS/OD/DH n° 92-322 du 2 octobre 1992). Lors d’une enquête conduite en 1990 au CHU de la Pitié-Salpêtrière, il a été relevé que sur les quatre cents étudiants étrangers qui y travaillaient, la moitié effectuait des stages non rémunérés. D’après Denour (L.), Junker (R), « Les médecins étrangers dans les hôpitaux français », Revue européenne des migrations internationales, 11 (3), 1995.
  • [25]
    Ibid.
  • [26]
    À partir de 1975, plusieurs circulaires ont précisé les conditions auxquelles les médecins à diplôme extracommunautaire pouvaient être recrutés comme aides-soignants ou infirmiers. Cela devait initialement permettre à ces médecins d’avoir une activité rémunérée en attendant d’obtenir une autorisation de plein exercice.
  • [27]
    En 1994, les deux tiers d’entre eux auraient acquis la nationalité française. D’après Malvy (P.), « L’exercice en France des médecins étrangers (problèmes posés par l’application de la loi du 13 juillet 1972) », Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 178 (7), 1994.
  • [28]
    Coldefy (M.), « 7 500 médecins à diplôme non européen dans les hôpitaux français en 1995 », Solidarité et santé, 1, 1999.
  • [29]
    Amiel (M.), Commission P.A.C. (praticien adjoint contractuel), rapport pour le secrétaire d’État à la Santé, 1998, non paginé.
  • [30]
    Sicard (A.), « Sur la situation actuelle de la chirurgie française », Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 172 (9), 1988.
  • [31]
    Le Médecin de France, 17 novembre 1989.
  • [32]
    Archives du cabinet du ministère des Affaires sociales, note datée du 8 septembre 1993, CAC 19960368.
  • [33]
    Ibid.
  • [34]
    Palier (B.), Gouverner la Sécurité sociale. Les réformes du système de protection sociale depuis 1945, Paris, Presses universitaires de France, 2002.
  • [35]
    Note de la DGS, de la direction des Hôpitaux (DH) et de la direction des Populations et migrations, automne 1993, CAC 19960368.
  • [36]
    Note manuscrite d’un agent de la DH, 1995, CAC 19960368.
  • [37]
    Le Figaro Magazine, 29 octobre 1993. Le cas d’Hamid (dont nous occultons ici le nom) a été mentionné pour la première fois par l’hebdomadaire d’extrême-droite Minute dans son édition du 29 septembre 1993. Il sera encore évoqué, avec un grand luxe de détails, dans un numéro du Point daté du 27 mai 1995.
  • [38]
    Le Monde, 26 octobre 1995.
  • [39]
    D’après une note de la sous-direction des Professions de santé, 24 juin 1993, CAC 19960368.
  • [40]
    En 1997 et 1998, deux circulaires autorisent temporairement les hôpitaux à employer des médecins à diplôme extracommunautaire ne préparant pas un diplôme homologué par l’État.
  • [41]
    Ferrand (G.), « Des boucs émissaires », Le Monde, 18 mai 1994.
  • [42]
    Selon le professeur Haertig (A.), « La titularisation des médecins étrangers », Le Figaro, 5 janvier 1995.
  • [43]
    Déplaude (M.-O.), « De l’erreur en politique. Le cas de la régulation démographique du corps médical en France (1980-2005) », in Chauviré (C.), Ogien (A.), Quéré (L.), dir., Dynamiques de l’erreur, Paris, Éditions de l’EHESS (« Raisons pratiques 19 »), 2009.
  • [44]
    Fassin (D.), « L’invention française des discriminations », Revue française de science politique, 52 (4), 2002.
  • [45]
    Entretien avec un ancien membre du cabinet du secrétaire d’État à la Santé, 9 mars 2006.
  • [46]
    La nouvelle procédure d’autorisation a été mise en place en 2004 seulement. Les candidats à une autorisation de plein exercice doivent passer un concours comportant un nombre de places prédéterminé par spécialité, puis travailler au moins trois ans à l’hôpital avant d’être soumis de nouveau à une évaluation. Au total, c’est environ deux cents médecins qui sont accueillis chaque année dans les hôpitaux depuis 2005.
  • [47]
    Cour des comptes, Les personnels des établissements publics de santé, Paris, 2006.
  • [48]
    Comme en 2006, lorsque le président du Syndicat national des gynécologues obstétriciens a déclaré à un journaliste de l’Agence France Presse que si les patients ne sont pas d’accord pour payer des « compléments d’honoraires » pour certains soins spécialisés en médecine ambulatoire, « il faut qu’ils aillent à l’hôpital se faire soigner par des praticiens à diplôme étranger » (cité dans Le Monde, 3-4 septembre 2006).
  • [49]
    Valluy (J.), « Du retournement de l’asile (1948-2008) à la xénophobie de gouvernement : construction d’un objet d’étude », Culture & Conflits, 69, 2008.
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