Politix 2011/2 n° 94

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Article de revue

En quête d'une introuvable action antidiscriminatoire

Une sociologie de ce qui fait défaut

Pages 81 à 105

Notes

  • [1]
    Sur un autre cas : Stavo-Debauge (J.), Trom (D.), « Le pragmatisme et son public à l’épreuve du terrain. Penser avec Dewey contre Dewey », in Karsenti (B.), Quéré (L.), dir., La croyance et l’enquête. Aux sources du pragmatisme (Raisons pratiques 15), Paris, EHESS, 2004. Également, Terzi (C.), « L’expérience constitutive des problèmes publics. La question des “fonds en déshérence” », in Barril (C.) et al., dir., Le public en action, Usages et limites de la notion d’espace public en sciences sociales, Paris, L’Harmattan, 2003 ; Lemieux (C.), « Rendre visible les dangers du nucléaire. Une contribution à la sociologie de la mobilisation », in Lahire (B.), Rosental (C.), dir., La cognition au prisme des sciences sociales, Paris, Éditions des Archives Contemporaines, 2008 ; Roca i Escoda (M.), La reconnaissance en chemin. L’institutionnalisation des couples homosexuels à Genève, Zurich/Genève, Seismo, 2010. Récemment, Y. Barthe a montré que la recherche des causes d’un problème contribue pour ses victimes à l’expérience du dommage, « Cause politique et “politiques des causes”. La mobilisation des vétérans des essais nucléaires français », Politix, 91, 2010. Dans le cas des discriminations, en France, la difficulté intervient avant même toute recherche des causes, elle est relative à la simple factualisation des inégalités ethniques et « raciales », activité antérieure aux opérations décrites dans Felstiner (W.), Abel (R.), Sarat (A.), « L’émergence et la transformation des litiges : réaliser, reprocher, réclamer… », Politix, 16, 1991. À ce propos, Stavo-Debauge (J.), « Les vices d’une inconséquence conduisant à l’impuissance de la politique française de lutte contre les discriminations. I : Tu ne catégoriseras point ! », Carnets de Bord, 6, 2003 ; « L’invisibilité du tort et le tort de l’invisibilité. L’embarras des sciences sociales françaises devant la “question raciale” et la “diversité ethnique” », Espacestemps, 2007 (http://espacestemps.net/document2233.html) ; « Faut-il s’en remettre aux pouvoirs de la statistique pour agir contre les discriminations et réaliser le droit ? La catégorisation ethnique et raciale en question au Royaume-Uni et en France », in Lyon-Caen (A.), Perulli (A.), dir., Efficacia e diritto del lavoro, Padova, Cedam, 2008.
  • [2]
    Au moment des ethnographies, réalisées entre 2001 et 2004 dans la région parisienne, la HALDE n’existait pas et les objectifs de la promotion de la « diversité » étaient moins frayés : Chappe (V.-A.), La genèse de la HALDE : un consensus a minima, Sarrebruck, Éditions universitaires européennes, 2010 ; Béréni (L.), « “Faire de la diversité une richesse pour l’entreprise” : la transformation d’une contrainte juridique en catégorie managériale », Raisons Politiques, 35, 2009.
  • [3]
    Thévenot (L.), « Les sciences économiques et sociales et le droit : quels biens reconnus, pour quelles évaluations ? », in Lyon-Caen (A.), Perulli (A.), dir., Efficacia e diritto del lavoro, Padova, Cedam, 2008 ; Stavo-Debauge (J.), Venir à la communauté. Une sociologie de l’hospitalité et de l’appartenance, Thèse pour le doctorat de sociologie, Paris, EHESS, 2009.
  • [4]
    Sur le concept de hantise, à partir d’une sociologie pragmatique des épreuves, outre la thèse citée précédemment, cf. Stavo-Debauge (J.), « Dé-figurer la communauté ? Hantises et impasses de la pensée (politique) de J.-L. Nancy », in Kaufmann (L.), Trom (D.), dir., Qu’est-ce qu’un collectif ? (Raisons pratiques 20), Paris, Éd. de l’EHESS, 2010.
  • [5]
    Par exemple, G. Calvès et A. Blum. Pour une critique de leur position, cf. nos articles et le rapport du COMEDD.
  • [6]
    Rigaux (F.), « L’opacité du fait face à l’illusoire limpidité du droit », Droit et Société, 41, 1999, p. 85.
  • [7]
    Morning (A.), Sabbagh (D.), « From Sword to Plowshare: Using Race for Discrimination and Antidiscrimination in the United States », International Social Science Journal, 183, 2005, p. 63.
  • [8]
    La seule fois où des catégories dites « ethniques » ont été confectionnées au sein d’une instance de la statistique publique, c’est lors d’une étude expérimentale visant à mesurer l’acceptabilité de la caractérisation de l’« origine ». Simon (P.), Clément (M.), Rapport de l’enquête « Mesure de la diversité ». Une enquête expérimentale pour caractériser l’origine (Documents de travail 139), Paris, INED, 2006.
  • [9]
    Un exemple : « La soudaine conversion des chefs d’entreprises […] à la comptabilisation des minorités ou des origines est d’ailleurs peut-être une façon de contourner l’objectif affiché de lutte contre les discriminations. Dans un récent rapport au premier ministre, Claude Bébéar propose que chaque salarié réponde par oui ou non à la question “Estimez-vous faire partie d’une minorité visible ?” ». Weil (P.), La République et sa diversité. Immigration, intégration, discrimination, Paris, Le Seuil, 2005, p. 89. Quoi de plus normal que les acteurs qui sont les premiers à pouvoir être inquiétés par le droit s’essayent à factualiser les torts dont ils pourraient être rendus comptables et s’efforcent de trouver des solutions afin de ne pas tomber sous le coup de la loi ? La proposition de C. Bébéar était ajustée à la lutte contre les discriminations « indirectes » – dont P. Weil réclamait pourtant aux entreprises de s’occuper, sans en penser la logistique.
  • [10]
    P. Weil repoussait ainsi le « monitoring » proposé par C. Bébéar : « Compter par race, ethnie, religion ou minorité est contraire à nos traditions. Cela rappelle en outre les périodes les plus sombres de notre histoire, celles de l’esclavage, de la colonisation ou du régime de Vichy. » (Ibid.).
  • [11]
    Le livre du CARSED, Le retour de la race, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2009, illustre ce trajet de l’inquiétude. Son titre fait référence à un sombre passé, tandis que la première phrase de l’introduction indique un présent en trompe-l’œil et agite un funeste futur : « La politique actuelle en matière de discrimination représente un leurre politique. Elle se justifie au moyen d’un leurre scientifique qui porte en germe de graves dangers de catégorisations et de fractures au sein de la population résidant en France » (soulignement dans l’original).
  • [12]
    Stavo-Debauge (J.), « Prendre position contre les catégories ethniques. Le sens commun constructiviste, une manière de se figurer un danger », in Laborier (P.), Trom (D.), dir., Historicité de l’action publique, Paris, PUF, 2003 ; Thévenot (L.), « Droit et bonnes pratiques statistiques en matière de discrimination. Jalons historiques d’un questionnement sur les origines », Communication aux Journées de l’histoire de la statistique, Paris, 15-16 février 2006. Sous ce prisme, c’est le fait même de la catégorisation de certaines différences qu’il faudrait éviter, même pour révéler des différentiels indus. Cette défiance s’accrochait à la saisie des triples pouvoirs de la statistique publique, à la fois discipline scientifique, branche de l’État, et réseau socio-technique. Bénéficiant de ces triples pouvoirs (d’assertions ontologiques de la science, de consécration de l’État et de propagation des réseaux), l’inscription de telles catégories dans la statistique publique menacerait d’accréditer l’existence mondaine et la pertinence politique de « groupes ethniques » au sein de la « communauté des citoyens », au risque de fragmenter cette dernière et d’affecter la réalisation de la bonne forme d’appartenance promue par la « politique de l’intégration » – qui souhaite rendre invisible la provenance des personnes « issues de l’immigration » et les figurer en « individus » détachés de leurs mondes originaires et partageant les « pratiques » communes de la « société d’accueil », à laquelle il faudrait qu’elles s’identifient sans reste, la « naturalisation » marquant le terme de leur « intégration ».
  • [13]
    Si elle tournait autour du traitement des données d’une enquête (MGIS) qui se targuait de « mesurer l’intégration/assimilation » des « populations issues de l’immigration », ses contradicteurs ne sont pas sortis de cette problématique. Argumentant depuis son site même, ils estimaient que l’évaluation de l’« intégration » en menacerait l’accomplissement, en générant des maux (fragmentation, stigmatisation, et cetera) figurant l’exact contrepoint de l’horizon de ladite politique. Son empreinte est évidente dans la « note » (rédigée par F. Héran en 1999) autour de laquelle les instances de la statistique publique se rassemblèrent pour siffler la fin de la controverse, ajournant durablement la réflexion sur les « discriminations ».
  • [14]
    Stavo-Debauge (J.), « Les vices d’une inconséquence conduisant à l’impuissance de la politique française de lutte contre les discriminations. II : Apprêter un chemin au droit et confectionner des catégories pour l’action publique », Carnets de bord, 7, 2004.
  • [15]
    Calvès (G.), Sabbagh (D.), « Les politiques de discrimination positive : une renégociation du modèle républicain ? », communication au 6e Congrès de l’association française de science politique, 1999, p. 9.
  • [16]
    Ibid., pp. 11-12.
  • [17]
    Ibid., p. 14.
  • [18]
    Il répondait à la transformation d’une action publique appelée à se « rapprocher » de ses usagers : Breviglieri (M.), Pattaroni (L.), Stavo-Debauge (J.), « Quelques effets de l’idée de proximité sur la conduite et le devenir du travail social », Revue Suisse de Sociologie, 29 (1), 2003.
  • [19]
    Calvès (G.), Sabbagh (D.), « Les politiques de discrimination positive… », art. cit., p. 15.
  • [20]
    Ibid., pp. 14-15.
  • [21]
    La circulaire n° 99/164 du 15 mars 1999 (DPM-DIIJ-DGEFP-DIV-DAS) emploie indifféremment les termes « issus de l’immigration » et « d’origines étrangères ou étrangers ».
  • [22]
    Hamilton-Krieger (L.), « The Content of Our Categories: A Cognitive Bias Approach to Discrimination and Equal Employment Opportunity », Stanford Law Review, 47 (6), 1995.
  • [23]
    Koselleck (R.), Le futur passé, Paris, Éditions de l’EHESS, 1990.
  • [24]
    Charte nationale du parrainage, 1999.
  • [25]
    Eymard-Duvernay (F.), « Le marché est-il bon pour les libertés ? », in De Munck (J.), Zimmermann (B.), dir., La liberté au prisme des capacités. Amartya Sen au-delà du capitalisme (Raisons pratiques 18), Paris, Éditions de l’EHESS, 2008, p. 210.
  • [26]
    Habermas (J.), « De la tolérance religieuse aux droits culturels », Cités, 13, 2003, p. 167.
  • [27]
    Margalit (A.), La société décente, Paris, Climats, 1999, p. 150.
  • [28]
    Eymard-Duvernay (F.) et al., Façons de recruter, Paris Métailié, 1997.
  • [29]
    Breviglieri (M.), Stavo-Debauge (J.), « Sous les conventions. Accompagnement social à l’insertion : entre sollicitude et sollicitation », in Eymard-Duvernay (F.), dir., L’économie des conventions. Méthodes et résultats, t. II : Développements, Paris, La Découverte, 2006.
  • [30]
    Calvès (G.), Sabbagh (D.), « Les politiques de discrimination positive… », art. cit., p. 15.
  • [31]
    Ressorts ne faisant pas acception de la personne, conditionnés par un salaire et adressés à une classe anonyme d’ayant droits.
  • [32]
    Ricœur (P.), Le Juste 2, Paris, Esprit, 2001, p. 90.
  • [33]
    Offrant ainsi toutes les propriétés sémantiques et phénoménales d’un « don » tactiquement utilisé pour ouvrir l’accompagnement.
  • [34]
    Pattaroni (L.), « Le sujet en l’individu : la promesse d’autonomie du travail social au risque d’une colonisation par le proche », in Cantelli (F.), Genard (J.-L.), dir., Action publique et subjectivité, Paris, LGDJ, 2007.
  • [35]
    Breviglieri (M.), « Bienfaits et méfaits de la proximité dans le travail social », in Ion (J.), dir., Le travail social en débat(s), Paris, La Découverte, 2005.
  • [36]
    Marion (J.-L.), Le phénomène érotique, Paris, Grasset, 2003, p. 43.
  • [37]
    Marraine, réunion de coordination.
  • [38]
    Lorcerie (F.), « La lutte contre les discriminations ou l’intégration requalifiée », VEI enjeux, 121, 2000.
  • [39]
    Rappelant qu’il convient « de ne pas croire que seul ce qui se passe devant les tribunaux mérite d’être compris », H. L. A. Hart écrivait qu’» il ne faut pas chercher les fonctions essentielles du droit, considéré comme moyen de contrôle social, dans les litiges privés ou dans les poursuites judiciaires qui représentent des préoccupations vitales, mais auxiliaires, et qui trouvent leur source dans les défauts du système. Il faut chercher ces fonctions essentielles dans les différentes manières dont le droit est utilisé pour contrôler, régir et organiser la vie en dehors des tribunaux » ; Hart (H. L. A.), Le concept de droit, Bruxelles, Publications des Facultés Universitaires Saint-Louis, 1976, p. 59. Afin d’« organiser la vie en dehors des tribunaux », le droit doit passer par des intermédiaires et mettre à la disposition des sujets des normes juridiques des dispositifs susceptibles de les aider (i) à supporter la charge cognitive qui pèse sur eux lorsqu’ils veulent faire valoir leurs droits, ou (ii) à régler les embarras du jugement quand il leur faut satisfaire en situation aux obligations légales.
  • [40]
    Le maintien de la désignation « issus de l’immigration » revient à ne pas les compter comme des membres à part entière et à les réinscrire dans un déplacement (celui de la migration) auquel ils n’ont très souvent pas pris part. Cette figuration va littéralement à rebours de ce vers quoi il s’agit d’aller et qu’une politique du même nom à longtemps nommé, tout en s’en faisant une idée bien peu hospitalière : « l’intégration ». En faisant entendre une arrivée qui n’en finit pas, cette désignation repousse le passage à l’appartenance dûment reconnue. On peut y voir le symptôme des fautes d’une communauté politique qui ne parvient pas à se mouvoir vers le plan de la reconnaissance de l’appartenance à part entière de nombre de ses membres ou résidents.
  • [41]
    Thévenot (L.), « Les investissements de forme », in Thévenot (L.), dir., Conventions économiques, Paris, PUF, 1986.
  • [42]
    Ricœur (P.), Parcours de la reconnaissance, Paris, Stock, 2004, p. 292.
  • [43]
    Thévenot (L.) L’action au pluriel. Sociologie des régimes d’engagement, Paris, La Découverte, 2006.
  • [44]
    « Agir intéressé » consistant à naviguer lucidement entre les « opportunités » et les « désutilités » dont l’usager prend connaissance à mesure de son exploration du marché, en révisant la forme de la satisfaction de ses intérêts quand l’environnement lui est objectivement défavorable.
  • [45]
    Et non des effets d’une « rationalité probabiliste » par laquelle, dans une « situation d’information imparfaite », les recruteurs s’économiseraient des calculs et s’éviteraient des « coûts » en recherche d’« informations » plus probantes en se repliant sur des saillances renvoyant à une appartenance susceptible d’être traitée comme un indicateur de « risques » d’une moindre « productivité » au travail . De Schutter (O.), Discriminations et marché du travail. Liberté et égalité dans les rapports d’emploi, Bruxelles, P.I.E. - Peter Lang, 2001.
  • [46]
    « Depuis quatre cinq ans, les Missions Locales se tournent vers l’accès à des gens qui […] ont une connaissance en entreprise. […] Le parrain “carnet d’adresses” n’est plus […] une nécessité » (Conseiller emploi).
  • [47]
    Parrain, réunion de coordination.
  • [48]
    Eymard-Duvernay (F.) et al., Façons de recruter…, op. cit., p. 78.
  • [49]
    Le parrainage à l’emploi existe toujours.
  • [50]
    Fassin (D.), « L’invention française de la discrimination », Revue française de science politique, 52 (4), 2002.
  • [51]
    Ibid., p. 403.
  • [52]
    Ibid., p. 404.
  • [53]
    Pour Axel Honneth, les « idéologies » sont « identifiables par leur incapacité structurelle de pourvoir aux conditions matérielles de réalisation effective » d’un ensemble de choses publiquement promues. Afin qu’une politique soit plus qu’une « idéologie », « quelque chose dans le monde physique des faits institutionnels ou des manières de se comporter doit changer », « pour que le destinataire puisse effectivement être convaincu d’être reconnu d’une nouvelle manière ». Ici, « reconnu » comme porteur d’un droit effectif à ne pas être discriminé, ce qui suppose de pouvoir faire reconnaître le tort dont on fait l’objet. Honneth (A.), La société du mépris, Paris, La Découverte, 2006, p. 272.
  • [54]
    Fassin (D.), « Du déni à la dénégation. Psychologie politique de la représentation des discriminations », in Fassin (D.), Fassin (É.), dir., De la question sociale à la question raciale, Paris, La Découverte, 2006.
  • [55]
    Ibid., p. 141.
  • [56]
    N’ayant pas nécessairement à en souffrir, il peut aussi leur coûter de s’avouer qu’ils en bénéficient.
  • [57]
    Dewey (J.), La formation des valeurs, Paris, La Découverte, 2011, pp. 108-109.

1En France, le problème public des discriminations ethniques et raciales est un cas étrange. D’un point de vue pratique, il permet de revenir sur les critères avec lesquels juger de l’existence et du traitement d’un problème public. Ont-ils trait au surgissement d’un nouveau langage et à la diffusion d’un lexique, comme de nombreux travaux le laissent accroire ? Suffit-il seulement de juger des actions publiques sur leurs intentions déclaratives et leurs formes publiques de justifications, sans prêter attention à ce qu’y font les acteurs ? On y reviendra en conclusion, mais on peut déjà dire que l’existence d’un problème public devrait être rapportée à la capacité des acteurs à en avoir l’expérience et à être en disposition de mobiliser les moyens appropriés à la transformation des choses mises en question [1]. Dans le cas des discriminations, les moyens sont de nature juridique. Le droit est donc l’instrument principal. Pour soutenir sa réalisation, il va souvent avec des dispositifs d’enquête et des actions publiques. On se consacrera ici au parrainage à l’emploi, proposé par l’État, en 1998, au titre de l’action antidiscriminatoire et on s’intéressera à ce qu’en firent ses animateurs, dans un environnement peu apprêté à l’avancée du droit [2].

2D’un point de vue théorique, ce problème public a cela d’étonnant qu’il oblige le chercheur l’ayant pris pour objet à travailler sur des équipements manquants et des dispositifs absents. S’y intéresser, c’est devoir faire la sociologie d’équipements qui n’ont donc pas toujours l’actualité et la densité de choses existantes et effectives, consolidées et au travail, observables donc. Par équipements manquants et dispositifs absents, on entend l’ensemble des appuis logistiques et des moyens cognitifs qui permettent d’apprêter un chemin au droit antidiscriminatoire, en préparant les sujets des normes juridiques aux contraintes de son jugement. Que ces équipements manquent, cela n’est pas étranger à l’absence d’une réflexion sur la réalisation du (des) droit(s) [3], mais cela tient aussi à la hantise [4] que suscitait le grand absent de toute cette affaire : un dispositif de catégories ethniques et/ou raciales.

3Longtemps, de nombreux acteurs (y compris chercheurs et juristes [5]) ont pu laisser entendre que le « fait » discriminatoire se donnait de lui-même à l’attention et que ses « victimes » apparaissaient en plein jour, avant toute enquête comparative mobilisant des catégories ad hoc et incorporant un nécessaire raisonnement statistique. Pourtant, l’interprétation de ce qui est le « cas » ne saurait remplacer l’établissement de la réalité de l’inégalité ou du désavantage, et la recherche de ses causes ne peut se déployer qu’une fois l’inégalité constituée en l’état d’un « fait ». « En dépit de la distinction – théoriquement discutable et pratiquement invivable – entre le fait et le droit, le premier ne se présente pas comme un bloc directement perceptible, saisissable et réductible au concept juridique approprié. Non seulement aucun fait n’est, pour le juriste, séparable du droit, mais il faut d’abord combattre l’illusion du caractère immédiat de la perception qu’on peut en avoir [6]. »

4Dans le cas des discriminations, le « fait » ne peut être constitué sans catégories adéquates et sans la mise en œuvre d’un raisonnement statistique élémentaire. En vertu de la grammaire même qui gouverne l’usage de ce concept intrinsèquement comparatif, une « discrimination » ne peut s’établir en réalité et s’éprouver comme factualité que pour qui dispose de catégories permettant de distinguer les individus descriptibles sous X de ceux qui le sont sous Y, afin de s’enquérir des différentiels de traitement dont ils font l’objet. Comme le dit F. Rigaux, « le fait est inconnaissable si on prétend le séparer de la conceptualisation qui en détermine la pertinence ». Ici, sa « conceptualisation » faisant fond sur une logique comparative, son dévoilement est solidaire d’une enquête de facture statistique, et c’est par ce moyen que se constitue le « fait » d’une inégalité qui sera soumise à l’attention du juge qui y verra ou non une entorse au droit. Cette nécessité des catégories « ethniques » est donc inhérente au droit antidiscriminatoire, et à sa mise en politique : « L’adoption d’une politique antidiscriminatoire implique la définition de critères d’identification des groupes défavorisés [7]. »

5Néanmoins, concernant ces catégories, on peut dire que leur actualité même (et depuis plus de dix ans maintenant) n’a jamais consisté qu’en leur inactualité, elles n’existaient qu’en tant qu’elles n’existaient pas. C’est leur absence, applaudie ou regrettée, qui a fait leur actualité et qui très souvent a « fait l’actualité ». Parler de hantise à leur propos tombe sous le sens, leur mode d’existence a bien été de cet ordre, leur présence était spectrale, elles planaient au-dessus des têtes, comme une menace ou comme une promesse, entre fantômes du passé et ombre portée de communautés politiques auxquelles on craignait de ressembler. Si ces catégories ont hanté le débat public pendant plus de dix ans, elles n’y ont pourtant jamais reçu une phénoménalité plus consistante que celle qui revient à un souhait ou à une menace [8]. Or un souhait et une menace sont relatifs à ce qui pourrait arriver et non à ce qui est et existe d’une pleine actualité. Celui qui émet un souhait voudrait voir arriver quelque chose, il l’appelle à l’existence, mais il se peut qu’il ne fasse rien de plus, tandis que celui qui pressent une menace voudrait que cette même chose n’arrive pas, et il peut s’occuper à en repousser la venue à l’existence, parfois sans s’être soucié de quoi il retournait vraiment [9].

6Ce n’est donc pas seulement leur mode d’existence qui a fait de ces catégories une hantise. Elles avaient cette phénoménalité parce qu’elles étaient l’objet d’une inquiétude spécifique qui se nourrissait d’une mémoire malheureuse alimentée par des rapports anachroniques à/sur l’histoire. Leur rejet convoquait la réactualisation du traumatisme de sombres périodes historiques durant lesquelles des catégories usant des termes « race » et/ou « ethnie » ont fondé des œuvres de mort ou accompagné des projets de domination [10]. Elles figuraient ce qui ne doit pas devenir une réalité, parce que le passé instruit (« on sait d’où ça vient ») et qu’il en va de l’avenir de la communauté politique (« on sait où ça mène ») [11].

7Si un épisode a joué dans la difficulté de la France à traiter le problème des discriminations, c’est bien la « controverse des démographes ». La hantise de la catégorisation s’est diffusée à cette occasion, en s’arrimant à un « sens commun constructiviste », dont elle a aussi consacré le partage [12]. Bien que contemporaine d’une apparente ouverture au problème des discriminations, cette « controverse des catégories ethniques » est néanmoins restée à l’intérieur du cadre de la « politique d’intégration » [13]. Son premier effet a d’ailleurs été de le consolider, en ancrant plus fermement les catégories centrées sur l’« immigration » et en laissant en souffrance la question de « la mesure des discriminations », au moment même de son irruption, dans le sillage des Directives européennes [14].

8Dans un tel contexte, voyons comment les agents du parrainage à l’emploi se sont débrouillés de cette action publique, institutionnalisée en un temps hostile aux catégories dites « ethniques », sans qu’on leur ait donné les moyens de scruter les vices d’un marché du travail qu’ils devaient pourtant rendre hospitalier aux « jeunes issus de l’immigration » (tout en se gardant bien d’en franchir le seuil et d’intervenir sur sa conformation). Leur expérience malheureuse devrait convaincre le lecteur que, pour lutter contre les discriminations, encore faut-il être au fait de leur existence, et cela suppose bien des équipements, notamment statistiques, qui faisaient cruellement défaut.

Un étrange décompte

9Plusieurs chercheurs ont considéré que ce dispositif marquait une « rupture », en s’affranchissant d’une « approche spatialisée des handicaps sociaux » [15]. Si « la formulation par l’actuel gouvernement d’un objectif de lutte contre les discriminations racistes traduit une hésitation croissante sur la portée qu’il convient d’accorder à la composante color-blind du modèle républicain », la figuration du « public » du Parrainage (les « jeunes issus de l’immigration » ou « d’origine étrangère ») fait que ce n’est plus seulement « incidemment que les populations issues de l’immigration se trouvent être, de fait, les destinataires (proportionnellement) privilégiées des politiques de lutte contre l’exclusion » [16]. Il serait l’équivalent « de l’affirmative action américaine des années 60 », où « il y a bien prise en compte du facteur ethnique, mais celui-ci n’intervient que dans une phase préliminaire au recrutement proprement dit » [17].

10Ce « facteur ethnique » ne suffit pas à éloigner le parrainage de politiques antérieures. D’autant qu’il existait antérieurement à son institutionnalisation et n’était pas destiné à lutter contre les discriminations [18]. En ses premières versions, il n’était pas spécialement attentif aux « jeunes issus de l’immigration ». La définition de ce « public-cible » serait donc contemporaine d’une reconnaissance de la spécificité de sa situation, seule « la volonté de lutter contre une forme d’exclusion autonomisée par rapport aux formes plus générales d’exclusion “sociale” justifie le recours à un critère de désignation jusqu’ici prohibé » [19].

11Revenons sur cette « prise en compte du facteur ethnique », spécificité d’une action où les « jeunes demandeurs d’emploi issus de l’immigration » forment un « public-cible », « intégré en tant que tel », et à ce titre, « dans l’appareil statistique du ministère » [20]. Des statistiques devant être produites, il revenait donc aux missions locales de faire remonter des chiffres à l’administration. Dès la réponse à l’appel à projet lancé par le ministère le « public visé » devait être caractérisé par la mission locale candidate au parrainage. Si la « fiche type » de l’appel à projet ne proposait pas de formes catégoriales standards aux contractants, une liste d’items était jointe à la partie qualitative du « Bilan annuel qualitatif et quantitatif par projet » : « public visé (préciser nombre potentiel de jeunes, leurs traits caractéristiques, leurs éventuelles difficultés rencontrées, le nombre de jeunes d’origines étrangères…) ». Et le tableau du « bilan quantitatif » disposait les entrées catégoriales suivantes :

tableau im1
Jeunes entrés dans le parrainage Nombre de jeunes Caractéristiques Sexe Issus de l’immigration Niveau de formation H F VI-V IV et + (Bilan quantitatif, Tableau n° 2 Caractéristiques et devenir des jeunes parrainés)

12Son remplissage suppose de comptabiliser les jeunes « issus de l’immigration ». Pour cette rubrique, il n’y a pas de paires de catégories, comme c’est le cas pour la rubrique « sexe » qui dispose de deux entrées : « H » et « F ». « Issus de l’immigration » ne s’inscrit dans aucune paire catégoriale, la catégorie est laissée sans vis-à-vis et sans complément. L’administration proposait un mode de catégorisation bien étrange. Il s’agissait de distinguer un ensemble de personnes dans une population donnée, mais la population restante, celle qui ne tombait pas sous la catégorie « issus de l’immigration », n’était ni désignée ni nommée. La chose est intrigante au regard de l’affichage antidiscriminatoire du Parrainage. Pour qu’il y ait quelque chose comme une discrimination (i.e. une inégalité injustifiée), il faut au moins deux « groupes », une « minorité » et une « majorité », des « noirs » et des « blancs », des « femmes » et des « hommes », etc. En sus, aucune consigne n’était adressée aux missions locales pour remplir la fiche « bilan ». La qualité « issus de l’immigration » était tenue pour être aussi perceptivement accessible que le « sexe » ou aussi formellement gagée que le « niveau de formation ». Un résultat chiffré devait être produit, mais l’administration ne se souciait pas de savoir comment – selon quelle procédure, à l’issue de quel type d’enquête et en s’appuyant sur quel format d’informations.

13Le parrainage ne semblait pas nécessiter un paramétrage des critères d’appréhension de son « public ». Même quand venait le moment de l’évaluation, c’est un cadre assez lâche qui était fourni aux agents. Il y avait bien une catégorie « jeunes issus de l’immigration » [21], elle figurait parmi les principaux critères du « public visé », et son existence était confirmée par les « bilans » à établir. Mais la catégorie elle-même ne recevait pas de définition et les agents des missions locales ne recevaient pas d’instructions quant à la technique à employer pour inscrire certains membres du « public » sous cette catégorie. Ils n’avaient pas à décomposer le chemin procédural qui les conduisait à la ratifier. Il n’était pas requis par le ministère qu’ils indiquent comment ils en faisaient usage pour figurer une partie de leur « public », c’est seulement un nombre global qui leur était demandé. À la lecture des « bilans » et des documents officiels, on ne sait donc pas comment ils arrêtaient une réponse et quelle pertinence ils donnaient à ce « facteur ethnique » dans le cours de l’action.

14Au premier abord, c’est un embarras qui suivait cette question, bien qu’elle justifiât l’existence du dispositif. Lors de notre rencontre avec les responsables d’une mission locale, quand on a demandé comment se composait la population éligible à leurs actions, une de nos interlocutrices a répondu que « 80 % de leurs “clients” » étaient « d’origines étrangères ». Après l’énonciation de ce pourcentage intuitif, elle (se) corrigeait, « on ne calcule pas, on ne l’a jamais fait et on ne souhaite pas le faire », révélant un scrupule accordé à la hantise évoquée auparavant.

15Ce parrainage comptait onze jeunes et « tous sont d’origine étrangère », spécification armée d’une enquête indiciaire minimale : « ça se voit sur le nom, et pour deux d’entre eux… la couleur de peau ». La catégorisation résultait d’une simple épreuve perceptuelle, elle était rejointe au travers de la sonorité d’un patronyme ou dans l’immédiate reconnaissance visuelle d’un contraste phénotypique. Selon nos interlocuteurs, ce questionnement peu poussé tenait à la composition du « public » de la mission locale, sise dans un département notoirement marqué par la concentration de « population immigrée ». Aucune inquiétude quant à la rencontre des critères d’accès au dispositif ne se faisait jour. Le compte y était, tous les jeunes mis sur le parrainage « sont d’origines étrangères ».

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« Ils ont tous […] ou bien des noms qui montrent leur origine ou bien… je pense à une jeune qui a un prénom et un nom tout à fait français mais qui est tamoul, elle est très foncée de peau, donc on voit aussi son origine. Il n’y en a pas un qui soit… avec un vrai profil, avec un nom français… euh… blanc quoi. D’abord parce que ce n’est pas la population qu’on voit ici, qui est 80 % de jeunes issus de l’immigration. »
(Chargée de mission)

17La base perceptuelle informant cette catégorisation était donc publiquement accessible, elle se donnait à la perception de quiconque et tombait sous les sens visuels et auditifs de chacun. Elle semblait donc qualifiée pour valoir comme un élément susceptible de donner lieu à une « discrimination directe » (éventuellement non intentionnelle [22]). Et lorsque les agents la déployaient, la catégorie « issus de l’immigration » se diffractait en une pluralité de modes de figurations référés à des termes ethniques et/ou « raciaux » (« Tamouls », « Gitans », « foncée de peau », « blanc »). Ils corrigeaient ainsi d’eux-mêmes le caractère étrangement célibataire de la catégorie « issue de l’immigration » proposée sur le formulaire de l’administration publique. Les figurations ethniques et « raciales » retrouvaient leur vis-à-vis, elles s’inscrivaient dans des paires catégoriales composées de termes « asymétriques » et « antonymes » [23]. La question de la discrimination pouvait donc être posée : « Il n’y en a pas un qui soit… avec un vrai profil, avec un nom français… euh… blanc quoi ».

18Pourtant, l’identifiabilité du « public » en des termes ethniques et/ou « raciaux » ne s’accompagnait d’aucun sentiment d’évidence quant aux discriminations dont il pouvait avoir à souffrir. L’immédiate visibilité ou audibilité de l’« origine », aisément figurable puisque spontanément perçue, n’amenait pas les agents de la mission locale à conclure que leurs usagers étaient certainement confrontés à des discriminations. Et les bénévoles ne semblaient pas non plus participer à un dispositif qui « symbolise la volonté concrète de lutter contre les discriminations dans le monde du travail, et notamment contre les discriminations raciales » [24]. En tant que parrain, leur rôle était plutôt d’aider les professionnels à disposer les jeunes aux épreuves de l’appartenance à la communauté, en les apprêtant aux exigences du marché du travail.

Du marché en communauté, l’appartenance mise en question par l’inhospitalité de ses épreuves

19Il peut sembler étonnant de caractériser ce dispositif, concerné par le marché du travail, avec l’idée d’épreuves de l’appartenance à la communauté. Étrange, puisque le lexique du marché est fort éloigné du réseau notionnel de l’appartenance, qu’il ne connaît que comme possession. Avec le marché, on serait très loin d’une communauté mettant en partage des choses moins détachées que des « produits » apprêtés pour la circulation et pour un jugement conventionnel focalisé sur une évaluation par le « prix » ou les « coûts », lesquels gouverneraient des échanges entre des « individus » mus par l’escompte de la maximisation d’un gain d’utilité. Notre spécification du dispositif porterait à faux, l’entrée sur le marché ne relèverait nullement de la venue à une communauté au sein de laquelle il s’agirait d’édifier et de faire reconnaître une appartenance dont les modalités de réalisation varieraient avec sa configuration.

20Les choses sont néanmoins plus compliquées, spécialement avec le marché du travail où c’est « la notion même de marché » qui « est problématique » [25]. D’autant que ce marché n’est pas exempt d’interrogations sur le juste. La justice de ses épreuves peut être mise en cause. Le fait même de ces mises en cause indique qu’il n’est pas à ce point détaché d’une communauté, puisque c’est à l’horizon de cette dernière et depuis le site de la variété des biens communs et des principes de justice (éventuellement consacrés par le droit) sur lesquels elle souhaite se fonder que s’arment les critiques adressées et que se mettent en œuvre des dispositifs destinés à leur donner effet, en les inscrivant dans la texture du monde.

21Tel était officiellement le rôle du parrainage à l’emploi, institutionnalisé afin de lutter contre les discriminations. Le problème des discriminations renvoie plus immédiatement à la question de la communauté, il porte en puissance une inquiétude sur l’appartenance commune et ouvre un soupçon sur le mécompte dont certains de ses membres font l’objet. S’inquiéter de ces méfaits revient à se pencher sur les défauts de l’égale réalisation de l’appartenance, en traquant des inégalités d’accès à un ensemble de sphères et de biens (privés ou publics) par lesquels l’appartenance à la communauté se réalise : « L’exclusion de certains domaines de la vie sociale montre ce qui est refusé aux personnes discriminées : une appartenance sociale sans limites [26]. »

22Même si le monde du marché était apuré d’illégitimes discriminations, l’appartenance n’y serait néanmoins pas « sans limites » et resterait viciée d’inhospitalités multiples. Tout comme une communauté réclame aux personnes des capacités dont l’activation est requise pour que soit reconnue la modalité d’appartenance mise en valeur en son sein, le marché du travail demande lui aussi d’importantes capacités conatives et cognitives. S’il se veut, en principe, ouvert, il suppose néanmoins la mobilisation de pouvoirs et de savoirs conséquents, très inégalement distribués entre les personnes. Et la violence des évaluations qu’elles y endurent n’est pas sans effet sur leur intégrité, surtout si les appréciations dont elles font l’objet sont contaminées par des discriminations, qui ne sont pas « seulement une question de justice distributive mais encore un sujet d’humiliation » [27]. L’ascension aux exigences des « conventions de compétences » [28] équipant le marché du travail et l’heureuse présentation à ses épreuves présupposent toute une « anthropologie capacitaire » [29] dont l’actualisation n’a rien d’évident.

23Les agents des missions locales entendaient édifier ces capacités, afin que leurs usagers arrivent à se faire valoir devant les épreuves du marché, sans voir ployer leur détermination sous ses sanctions négatives. Selon la circulaire du ministère de l’Emploi et de la Solidarité (Circulaire DIIJ-DPM-DGEFP-DIV-DAS n° 2000/313 du 7 juin 2000), pour prendre part au parrainage, il fallait qu’ils aient manifesté la volonté de « s’insérer » et soient correctement disposés à l’égard du « monde du travail ». Bien que comptés comme disposés à « accéder à un emploi », ils manqueraient d’appuis, ou subiraient l’affront de torts retenant leur ascension au « monde économique ».

24Qu’en était-il in situ ? Pour ses animateurs, le dispositif se comprend comme un lieu de stimulation de la volonté dont l’usager a fait preuve en franchissant le seuil de la mission locale. Il s’agit de prolonger ses premiers pas et d’exercer sur lui une poussée afin de l’orienter vers le marché, en veillant à ce qu’il ne soit pas démis par les sanctions, vices et injustices qui s’y exercent. Cette poussée en direction du marché appelle un travail de formation et d’affermissement des pouvoirs réclamés par des épreuves de recrutement auxquelles les jeunes sont soumis. On peut donc dire que le parrainage « consiste, pour les pouvoirs publics, à susciter, canaliser et soutenir des candidatures – sans peser sur le recrutement proprement dit » [30], mais cette absence de pesée sur le « recrutement proprement dit » ne permettait justement pas de lui reconnaître une portée antidiscriminatoire.

Un bénévole détaché de/par l’institution

25Pour les agents du parrainage, il ne s’agit pas simplement de « mettre en relation » les usagers avec le « monde économique » ; leur travail mêle manifestation d’un intérêt porté à leur personne, stimulation de leur vouloir, valorisation de leurs pouvoirs, information des réalités du marché et mise en garde contre ses vices. Réclamant que les jeunes s’en remettent aux pouvoirs de ses animateurs, ce travail repose sur l’installation d’une confiance relative à l’authenticité de l’attention dont on les crédite, à la sincérité de l’intérêt qu’on leur prête et à la crédibilité des conseils qu’on leur fournit. De telles conditions étaient loin d’être toujours remplies. Pour y remédier, les agents se sont appuyés sur les vertus du parrain, ce bénévole qui, selon la circulaire, était censé « introduire » les jeunes au marché du travail local et surseoir à la « méfiance » des employeurs. Si l’accompagnement lui était parfois dévolu, c’est en raison des « représentations » négatives nourries par certains jeunes à l’endroit de l’institution, minant l’atmosphère de confiance requise à son ouverture, lorsque l’attention bienveillante du conseiller doit d’abord tendre à renforcer la motivation d’une démarche hésitante en prenant soin de marquer un intérêt pour les premiers pas de chaque usager.

26En se défiant de ceux qu’ils appréhendaient comme des « représentants » d’un « système injuste », nombre de jeunes manquaient à reconnaître cette marque d’intérêt, essentielle à l’enclenchement de l’accompagnement. Comme le signale un conseiller emploi, navré de voir son intérêt pour leur sort être nié sans ménagements, « ils ne se rendent pas compte que, eh bien, quand on leur pose des questions, c’est parce qu’on s’intéresse à eux, purement et simplement ». Ce soupçon doit beaucoup à l’« l’objectivité » de sa « position » institutionnelle ou de sa « fonction » professionnelle, et aux ressorts attentionnels qui s’y attachent [31].

27

« Certains jeunes, ils viennent à la Mission Locale en se disant “Putain ! Les conseillers et tout ça c’est des… ils en ont rien à foutre de mon cas !”. Puis, en plus, ils sont là à dire “ouais, vous êtes quand même là pour gagner votre croûte”, […] ils se font une image, une représentation de la structure et après ils arrivent toujours avec. »
(Conseiller emploi)

28Réverbérant leur initiale défiance, sa « position » fait écran à la réception de l’intérêt qu’il porte à leur personne et entache la crédibilité de ses conseils, qui risquaient de n’être crédités d’aucune puissance de suggestion et de ne pouvoir guider leurs premiers pas vers le marché.

29

« On se trouve parfois confronté à un problème : c’est qu’ils nous perçoivent comme des “professionnels”, comme des gens qui sont là pour apporter une réponse institutionnelle. […] Moi, quand un jeune me parle, parfois j’ai l’impression qu’il va se rendre compte que je suis là aussi pour le conseiller et que c’est l’individu lambda qui lui parle, et il y en a certains autres qui ne me conçoivent que comme un “professionnel”, et parfois qui perçoivent la réponse que je leur apporte comme une réponse d’INSTITUTION, prémâchée ; où ils se disent : “Bon Monsieur D., la personne qui est en face de moi elle est garante d’un ordre social établi, bon la réponse qu’il m’apporte c’est un truc qu’il doit dire à tout le monde, c’est pas une vérité.” »
(Conseiller emploi)

Effets de surprise

30Le recours aux parrains par les agents de la mission locale regardait d’abord les écueils de leur travail auprès des jeunes. Les propriétés du parrain – un bénévole non attaché à l’institution et détaché auprès d’un unique usager – désarment la méfiance de certains jeunes. Ni pleinement attaché à l’institution ni rétribué par elle, le parrain autoriserait la suspension d’une « humeur anti-institutionnelle ». Si les agents de la mission locale sont sensibles à sa venue, c’est qu’elle ouvre pour l’usager la restauration de sa confiance en lui-même. Stimulé par cette marque d’intérêt, il verrait sa résolution à vouloir « s’insérer » s’affermir et trouverait de quoi étayer son sentiment de pouvoir réussir en gagnant en assurance quant à sa capacité à se mouvoir vers le marché. Soulignant l’écart entre sa situation et celle du parrain, ce même conseiller emploi indique le mécanisme sur lequel ils pariaient.

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« Le rôle du parrain ça peut être de redonner confiance aussi, de faire un déclic parfois : “Tiens, il y a un adulte, quelqu’un qui à la limite n’a rien à y gagner, qui s’intéresse à moi. Quand même s’il s’intéresse à moi, c’est que je suis digne d’intérêt. Et malgré que je lui fasse des crasses, il est toujours là.” Parfois ça suffit à les faire réfléchir sur eux-mêmes, et ça rétablit une espèce de confiance en eux comme ça. Que nous parfois on n’arrive pas à rétablir, puisqu’ils se disent “tiens ce mec-là il discute avec moi, il s’intéresse à ce que je fais, mais à la limite, bon, c’est son boulot. Il est même payé pour faire ça”. Parce qu’ils ont quand même une image comme ça de nous, “vous êtes payé pour aider les gens”, ce qui n’est pas forcément vrai. »

32La rencontre avec le parrain est bénéfique à l’avancée vers le marché, car l’usager y gagnerait une confiance en lui-même, mise de départ essentielle lui permettant de surmonter un dirimant sentiment d’impuissance pratique – « la confiance que je mets dans ma puissance d’agir fait partie de cette puissance même » [32]. La marque d’intérêt vaudrait révélation d’une « puissance d’agir », agissant comme un « déclic ». La métaphore du « déclic » n’est pas anodine : indiquant un choc qui réveille une puissance inaperçue, désignant le franchissement d’un palier qui porte au ton de l’action, elle s’inscrit dans la sémantique de la volonté avec laquelle les agents décrivent leur activité. La responsable du dispositif souligne pareillement la dimension de surprise qui donne le ton de cette rencontre :

33

« Il a un petit coup de fouet en se disant “y’a quelqu’un qui vient de l’extérieur, qui n’est pas payé, qui vient donner son temps pour moi”, parfois ça les étonne hein. Quand on leur parle du parrainage c’est : “Mais pourquoi est-ce qu’il vient s’occuper de moi ?” Là le jeune ça lui donne un petit coup de fouet. »
(Chargée de mission)

34En réfléchissant à son étonnement, l’usager pourrait se poser une question – « mais pourquoi est-ce qu’il vient s’occuper de moi ? » – donnant lieu à un sentiment plus stable relatif à sa propre valeur, logée dans sa capacité à susciter l’intérêt d’autrui – « quand même, s’il intéresse à moi, c’est que je suis digne d’intérêt ». Si cette rencontre a l’effet d’un « coup de fouet » et que l’attention du parrain prend tout l’éclat d’un surprenant témoignage d’intérêt, c’est qu’elle est donnée par « quelqu’un qui vient de l’extérieur » et ne se prodigue qu’à un seul, dans une allure de spontanéité [33]. Ce mécanisme était valorisé par les parrains eux-mêmes. Ainsi d’une marraine qui, essuyant des reproches pour sa conduite avec son filleul, se défendra en arguant des vertus de sa manière de s’inscrire dans une certaine économie du don. Défense efficace, car malgré leur crainte d’une illimitation du don et en dépit de leur défiance du caractère asymétrique de son économie, les agents publics lui reconnaissaient des effets positifs.

35

« Marraine – Moi j’ai reçu le jeune chez moi, ça c’est très bien passé. Mais mes enfants m’ont dit “mais maman, ça va pas et si tu t’attaches ? Et nous ?”
Conseiller Emploi – Il faut marquer les limites objectives à la relation, déjà les lieux.
Marraine – Pour moi, je donne, je donne et y’a pas de commune mesure.
Responsable du dispositif – Oui, d’accord, mais vous donnez pour l’emploi, c’est ça l’objectif, hein ?
Marraine – C’est important de donner, ils ont jamais connu quelqu’un qui s’intéresse à eux. »
(Réunion de coordination)

36La venue du parrain peut aussi révéler des failles qui ne s’avouaient pas devant le représentant d’une institution. La coordinatrice du dispositif se félicitait qu’« une fois on a su par une marraine qu’un de nos jeunes avait quarante mille francs de dettes de loyer. C’est arrivé par la marraine parce qu’il y avait, je sais pas, plus une confiance ». Libération de la parole pareillement mise au crédit du bénévolat :

37

« S’il se dit, (1°), “on s’intéresse à moi”, (2°), il va se dire “ben je peux parler”. […] Parfois ils ont des petites histoires un peu sordides comme ça, et puis ils n’osent l’avouer à personne, parce qu’ils ont peur de la réaction. […] Alors que leur planche de salut c’est d’arriver à le dire, parfois, à quelqu’un qui ne soit pas un professionnel. […] S’il voit un travailleur social, il va se dire “bon lui c’est son boulot de l’entendre”. […] Mais s’il voit quelqu’un qui est complètement bénévole, et qu’il arrive à le dire, après il se dit : “Putain merde, il me rappelle, il m’a pas jugé, il m’a compris.” […] Quand ils arrivent à le verbaliser une fois à quelqu’un, et que cette personne-là arrive à leur dire “mais tu sais ça c’est peut-être important aussi pour ton conseiller de le savoir”, ils arrivent à le reverbaliser. »
(Conseiller emploi)

38Pour déconstruire les « représentations » négatives de l’institution, ils jouaient donc sur le caractère électif et personnalisé du dispositif. Dans le choc salutaire produit par l’arrivée du parrain se trouve aussi une première fissuration de l’« image » que « certains jeunes » se font de ce « monde du travail » auquel ils doivent se rendre. La chose était bienvenue, le parrain ayant pour autre tâche de faire accepter la factualité, voire la légitimité, d’un ensemble de « règles » inhérentes au « monde du travail » – « Il faut leur faire comprendre que le système est comme ça ».

39

« Il s’agit déjà en fait d’intervenir sur leur représentation du monde du travail. Et le parrain, […] ça permet de multiplier les interlocuteurs qui vont leur dire des choses. […] Le problème, c’est que le monde du travail, il a des règles, des procédures, des manières de fonctionner que l’individu lambda ne peut pas changer, et c’est clair que ces règles-là, si la personne ne s’y conforme pas, elle n’intégrera pas le monde du travail. On est quand même dans une espèce de mise en conformité, c’est clair. […] On est là aussi pour leur dire que […] le monde du travail il a des règles […] et puis qu’il y a un jeu […] avec des règles. »
(Conseiller emploi)

40Bien sûr, cette présentation des « règles » pouvait être hypothéquée par leur caractère inique et illégitime ; difficile de les faire accepter lorsqu’elles ont des effets discriminatoires. Cet aspect n’était pas sans gêner l’orientation des jeunes au seuil de ce marché, dont les parrains devaient attester la praticabilité, en se retenant d’y intervenir.

Guider aux seuils du marché

41Le travail d’accompagnement restait bridé par l’horizon d’une « autonomie » à « instituer » [34] et les agents de la mission locale se montraient toujours inquiets d’en respecter la grammaire. Bien qu’il s’agisse ici d’un accompagnement rapproché, permettant de compter sur les bienfaits du « travail de la proximité » [35], la pesée de cette grammaire de l’autonomie ne se démentait pas pour autant, elle restait un index téléologique pour juger de l’action entreprise. À son prisme, il était impératif que les parrains n’aillent pas trop loin dans l’accompagnement de leur filleul et prennent garde à ne pas risquer de générer une dépendance coupable, viciant l’établissement pérenne de son autonomie future et rendant méconnaissable sa capacité à agir de lui-même et pour lui-même. C’est au seuil des épreuves de recrutement qu’ils devaient retenir leur intervention, pour éviter de donner à penser aux employeurs que le jeune manquait d’autonomie.

42

« C’est la question qui avait été posée lors de la réunion : est-ce que le parrain accompagnait aux entretiens d’embauche, c’est-à-dire concrètement, son filleul ? Et là on avait dit non. Parce que s’il l’accompagne concrètement pour dire “eh bien voilà mon filleul” et être là à l’entretien d’embauche, eh bien l’entreprise va dire “il manque d’autonomie”. Il y a une limite où il ne faut pas rendre le jeune dépendant, il faut toujours bien travailler l’autonomie du jeune. »
(Chargée de mission)

43Le parrain valait donc comme un « guide », telle que l’idée résonne lorsqu’il en va d’un guide de montagne, et que l’on décrit tout l’art de son métier en disant qu’il « assure son client » [36]. S’il le peut, si le « client » accepte de cheminer sous sa garde, c’est que le bon guide est souvent de ceux qui ont « ouvert une voie ». « Ouvrir une voie », c’est tracer un chemin d’ascension inédit ou escalader un versant inexploré ou jugé impraticable. Celui qui « ouvre une voie » va bien sûr la signer, mais il atteste également de sa praticabilité, il l’ouvre ainsi pour d’autres qui peuvent s’instruire de son expérience, suivre ses traces et se mettre dans ses pas.

44Lors des appariements, les responsables du parrainage faisaient en sorte que le parrain puisse valoir auprès du jeune comme le vivant témoignage d’une possibilité de futur le concernant. Au seuil de cet intimidant marché du travail, le parrain devait attester de sa praticabilité. Non content de faire entrevoir des possibles, il les incarnait en personne, en disposant d’une « situation » ou en exerçant un métier convoité par le jeune. Il importe que le parrain ait des attaches avec le monde du travail au sein duquel sa « grandeur » est établie, ce qui hausse substantiellement les bienfaits de l’intérêt qu’il marque à l’endroit du jeune qu’il prend pour filleul.

45Il pouvait néanmoins être valorisé comme porteur d’une « grandeur » en apparence négative ; en apparence, puisque sa situation professionnelle démontrait qu’il avait su la surmonter. Il pouvait être apparié à un filleul en ce qu’il partageait avec lui de mêmes attributs malvenus au monde du travail, notamment des attaches ethniques ou des traits « raciaux », qui pour autant ne l’auraient pas empêché d’y « réussir ». Sans même que ce témoignage ait à transiter par la parole, le parrain attesterait remarquablement que de tels traits ne sont pas rédhibitoires et que le marché est en mesure de ne pas les retenir contre l’usager.

46Ainsi d’un jeune « d’origine maghrébine » montrant quelques signes de découragement, après son exposition à des déclarations ouvertement discriminatoires dans le secteur où il guignait une « insertion ». Pour conjurer l’éventualité de l’effondrement de sa confiance et de la perte conjointe de son estime, il fut apparié à une marraine ayant « réussi sa vie professionnelle » (i.e. cadre supérieure dans une grande banque) bien qu’elle soit « d’origine africaine » (i.e. « noire »). Son propre parcours témoignant de la possibilité d’une « réussite » malgré un environnement hostile, elle se trouvait bien placée pour ressusciter l’élan de l’usager. Et c’est sur la base d’une appréciation de sa volonté qu’elle louera les capacités de « rebonds » de son filleul : « Le mien, il avait envie d’arriver, il avait envie, et puis il n’était pas buté [37]. » L’un des conseillers emploi s’était inquiété de la capacité de certains jeunes à accepter la « donnée discriminatoire ».

47

« Je suis pas non plus là pour dire au jeune “voilà le système il est comme ça et moi je l’accepte”, parce que c’est pas non plus l’image que je dois lui renvoyer, parce que sinon après on lui dit “bon ben écoute ce que tu peux faire c’est très bien mais bon écoute t’es noir”… Je ne suis pas là non plus pour entretenir ce système. […] Lui, […] il s’est entendu dire clairement par un professionnel en poste : “Ben tu sais, […] ça va être très dur d’être embauché sur un poste technico-commercial.” […] Donc il a un peu changé son projet en fonction de ça quoi. Et c’est vrai qu’on s’aperçoit que y’a des jeunes qui arrivent très bien, hélas trop bien à mon goût, à intégrer cette donnée-là quoi, la donnée discriminatoire. »
(Conseiller emploi)

48Les agents de la mission locale considèrent donc les attaches ethniques et leurs possibles traitements discriminatoires, mais pas pour les dénoncer, ou en appeler au droit. Ils espèrent seulement que ce jeune verra sa marraine comme une personne qui est passée par un chemin qu’il aspire à son tour à emprunter et qui a buté elle aussi sur des obstacles qui objectent à sa venue. L’origine ethnique semblable ou la similarité de traits « raciaux » leur laissaient cependant présager une commune passibilité à des « expériences » typiques (notoirement celle de l’affront d’un tort racial) qu’il leur semblait profitable de mettre en partage, pour instruire le jeune des difficultés et l’aider à les surmonter. Plus rarement, certains agents s’efforçaient de faire entrevoir aux usagers que ce qui les expose à des discriminations pouvait être une source de valorisation, en leur rendant disponible des capacités et des savoir-faire rencontrant l’intérêt des recruteurs.

49

« Et tout ça, c’est des choses qu’on essaye de leur expliquer, au fur et à mesure. Parfois, […] ils vont sur des postes de chargé d’accueil, et ils vont gommer qu’ils sont d’origine euh… Ils ont des noms à consonances étrangères et par exemple ils parlent l’arabe, alors sur des postes d’accueil, […] ça peut être important. Dans les postes d’accueil, de plus en plus, c’est des choses qui sont recherchées au niveau des institutions comme la RATP, la Poste. […] Et parfois le jeune va gommer tout ça, essayer d’enfouir tout ça. […] Ils ont du mal quand même à se valoriser. […] On essaye de leur dire, […] “montre-toi sous ton meilleur jour, ou sous ton jour le plus intéressant”, c’est-à-dire “rends-toi intéressant”, pour l’entreprise. »
(Conseiller emploi)

Une action antidiscriminatoire ?

50Qu’en était-il de l’aspect antidiscriminatoire du parrainage ? Si on a vu qu’il veillait à apprêter aux épreuves de recrutement, il se gardait bien de s’enquérir de leur justice et d’essayer de les corriger. Pourtant, c’est au nom de la lutte contre les discriminations qu’il reçut les « jeunes issus de l’immigration » pour « public-cible ». Selon certains observateurs, il participait même d’une « requalification » de la « politique de l’intégration » en « politique de lutte contre les discriminations raciales et ethniques » [38], politique qui d’ordinaire fait du droit son moteur premier. Or voilà ce qui faisait défaut au parrainage : le droit, auquel il n’ouvrait pas un chemin praticable, afin qu’il soit engagé pour réformer les épreuves de recrutement [39]. Toujours coincé sur le seuil d’une « politique de l’intégration » (dont les cadres de pensée étaient encore actifs), il se trouvait en butte aux exigences d’une politique antidiscriminatoire bien comprise et correctement équipée.

51Cette seconde politique réclamait une conversion du regard porté sur les patients de l’action publique, y compris en les figurant autrement [40], ainsi que sur les épreuves auxquelles ils font face, ce qui supposait que de conséquents « investissements de formes » [41] soient consentis : pour factualiser les méfaits touchant spécifiquement certaines personnes et amener la règle de droit vers les situations où sévissent les discriminations. Si le parrainage faisait mine de reconnaître la spécificité du tort enduré par les « jeunes issus de l’immigration », sans en distinguer l’ethnicité, il marquait donc le pas et ne sortait finalement guère des tropismes de la « politique d’intégration ». Tout comme cette dernière, il se focalisait prioritairement (si ce n’est exclusivement) sur la rectitude des dispositions et de la volonté de ceux qui sont catégorisés comme « issus de l’immigration », sans jamais considérer symétriquement les dispositions de ceux qui les « accueillent » et sans interroger les dispositifs au moyen desquels ils font communauté (en privilégiant indûment le culturellement semblable et le racialement similaire).

Un rapport ambivalent au problème

52À défaut de pouvoir s’appuyer sur une politique conséquente, en raison de l’« hystérésis » des cadres cognitifs du « problème » dit de « l’intégration », et parce que les équipements statistiques assurant la factualisation des discriminations étaient absents, nos acteurs étaient étrangement disposés à l’égard du phénomène dont ils devaient officiellement s’occuper. Dans un premier cas, ils faisaient avec, traitant les discriminations comme un étrange « fait », à la fois vague et tout en extériorité, objectant à toute intervention et sur lequel il convenait de ne pas trop revenir, si ce n’est pour s’en désoler. Ils en informaient seulement les usagers qui devaient s’approprier cette réalité dans leur démarche de recherche d’emploi. On en a vu un exemple avec ce jeune « d’origine maghrébine » apparié à une marraine « d’origine africaine », chargée d’amortir le choc produit par cette « information ». Face à l’ajournement de ses tentatives pour obtenir un poste ajusté à ses centres d’intérêts, il lui fut conseillé de se réorienter vers un domaine professionnel où les discriminations seraient moins vives. Plutôt que d’essayer de faire peser la question de l’égalité sur le secteur concerné, sa conseillère se félicitera de l’avoir vu réagir « correctement » à la révélation de l’arbitraire discriminatoire.

53

« Au départ il voulait aller vers la vente, et il a fallu lui dire, brut de décoffrage, que dans ces métiers là il y avait de la discrimination. Donc il a fallu qu’il s’approprie cette information, qu’il fasse le deuil de son premier désir et maintenant il a trouvé quelque chose de vraiment bien. »
(Conseillère emploi)

54Dans d’autres cas, ils peinaient à faire aveu de l’existence des « faits » discriminatoires (rarement constitués), ce qui s’accordait paradoxalement à leur volonté d’en protéger les usagers. À leurs yeux, certains jeunes étaient trop fragiles pour encaisser le coup d’une telle « information » et pour réajuster en conséquence leur « projet professionnel ». Afin de ne pas porter atteinte à la mobilisation de leur volonté, ils se gardaient d’en parler et pouvaient même tenter d’infléchir leur « projet » plus en amont, pour contourner des secteurs où la justice des épreuves était sujette à caution :

55

« La réalité c’est qu’en fait, dans le cas des jeunes en question, c’est qu’ils ont changé de projet professionnel. On n’a pas pu changer le monde du travail, on ne leur a pas permis de s’intégrer dans ce qu’ils voulaient. »
(Conseiller emploi)

56Leur réticence à cette publication se rapporte à leur hantise de deux dynamiques préjudiciables, d’abord, celle d’un découragement, ensuite, celle d’une indignation : deux manières d’attenter au « projet d’insertion », en éteignant (dans le cas du découragement) ou en détournant (dans le cas de l’indignation) la mobilisation de l’énergie motrice nécessaire à sa réalisation. En effet, « l’indignation peut désarmer autant que mobiliser » [42], celui qui est sous le coup de l’indignation risque de sortir du « plan d’action » [43] dans lequel il est engagé, ou de consumer l’énergie nécessaire à son avancée. Leur souci que le jeune ne cède pas à l’indignation devant l’affront de l’injustice s’accordait aussi à une propédeutique à un « agir intéressé » [44]. Dès lors, ils étaient comme obligés de l’inviter à mettre ses « convictions » sous l’éteignoir, pour rester concentré sur la satisfaction d’un bien individuel strictement délimité : « être intégré et rester dans une entreprise ».

57

« Ça fait partie aussi des frustrations, […] nous on ne change pas le système non plus. Ce n’est pas notre rôle, mais on aimerait bien. […] Et c’est pour ça que nous on essaye de faire comprendre aux jeunes qu’il y a des réponses que nous on ne peut pas leur apporter […] et que la seule chose à faire c’est d’accepter les règles du jeu telles qu’elles sont. C’est-à-dire qu’on leur apprend parfois à séparer le professionnel de l’affectif ; […] “eh bien tu vois tu as un ensemble de revendications et de convictions personnelles qui sont louables […] mais si tu veux être intégré et rester dans une entreprise, il faut que tu les gardes de côté : tout ce que tu peux penser là, eh bien tu ne l’apportes pas dans l’entreprise parce que ça sera toujours un problème pour que tu y rentres et un problème pour que tu y restes”. C’est dommage mais c’est… »
(Conseiller emploi)

58S’ils s’en tenaient à la formation à cet « agir intéressé », les discriminations n’avaient pas « d’impact » sur leur « stratégie ». Moins qu’un « obstacle » injustifiable, elles se présentaient comme l’une des multiples « informations » que le jeune devait « intégrer ». Sous ce format, les discriminations n’étaient plus la source d’une légitime indignation. Naturalisées comme une contrainte du marché, elles faisaient parties d’un ensemble d’« éléments objectifs ».

59

« [Pour évaluer] on a tous les éléments objectifs, qualification, les exigences du marché en termes d’expérience professionnelle acquise, parfois les exigences de marché en termes, hélas, […] de critères totalement discriminatoires, la couleur, les origines. […] Hélas pour nous c’est des éléments qui sont… ben qui sont objectifs… […] Moi, je ne me sens pas d’envoyer un jeune au casse-pipe en l’envoyant sur un domaine où je sais que, hélas, même si je ne suis pas d’accord avec le système, […] sa couleur de peau ne va pas faciliter. »
(Conseiller emploi)

60Néanmoins, elles ne pouvaient être ravalées au rang d’une « information » ordinaire. Gardant quelque chose de malvenues, elles débordaient ce format de l’« élément objectif ». Raison pour laquelle il ne se sentait « pas d’envoyer un jeune au casse-pipe », là où sa collègue souhaitait que l’usager soit « capable de se faire envoyer à la figure cet aspect-là ».

61

« Moi je n’ai pas le sentiment que c’est un obstacle… Je ne vais pas me dire ce jeune est d’origine africaine, par exemple, et il veut aller dans tel secteur où on sait qu’il ne sera pas obligatoirement le bienvenu. Pour moi ça n’aura pas d’impact sur la stratégie que je vais mettre en place, parce que soit il est capable de se faire envoyer à la figure cet aspect-là, soit… Moi, je n’ai pas eu trop l’occasion de travailler ça. Alors peut-être que je ne veux pas voir… »
(Conseillère emploi)

Une vision obsolète du parrain

62Dans les premières expérimentations associatives du parrainage, avant son institutionnalisation, le bénévole devait « introduire » le jeune auprès des employeurs, en franchissant avec lui le seuil menant au recrutement. La Circulaire DIIJ-DPM-DGEFP-DIV-DAS n° 2000/313 du 7 juin 2000 lui conférait un rôle similaire, ce qui s’ajustait à l’idée que les discriminations résulteraient d’une « méfiance » des employeurs [45]. Il était acquis pour les concepteurs du dispositif qu’elles provenaient essentiellement de « préjugés » que l’entremise d’un parrain – fort d’une grandeur réputationnelle dans le monde du travail à proximité – suffirait à défaire.

63Il était douteux de croire que le parrainage puisse araser les « préjugés », d’abord parce qu’ils s’accommodent très bien de contre-exemples, mais aussi parce que ces contre-exemples étaient paradoxalement produits par le dispositif lui-même, son caractère électif ayant précisément pour effet de singulariser un jeune et de le sortir du lot. Percevoir quelqu’un à partir de « stéréotypes » ou nourrir des « préjugés » à son endroit, c’est lui dénier une individualité propre et le tenir pour le membre générique d’un « groupe », en lui attribuant automatiquement un ensemble de traits dont serait affublé quiconque y appartient. Or le jeune qui obtient la faveur d’un parrain n’est plus ce membre générique, la sélective élection dont il bénéficie l’ayant mis à part de ses supposés congénères et semblables. Un conseiller emploi raillait ce « cercle vertueux » voulant que l’embauche d’un premier jeune, isolé des autres par l’opération même du parrainage, parvienne à dissoudre « la conception d’ensemble » des employeurs :

64

« On a vanté aussi l’idée qu’on allait ouvrir l’entreprise au monde social en leur mettant sous le nez que les jeunes ne sont pas tous des jeunes difficiles. […] Et c’est quand même en partie du “pipeau” parce que vous avez parfois des réactions du genre : “Ah ben oui mais le jeune que vous m’avez donné il n’est pas difficile”. Ils ont toujours cette perception là je veux dire ! […]. Et ils croient qu’on leur a donné un jeune qui n’est pas un jeune lambda, […] mais ils ne vont pas se dire “peut-être que finalement j’avais tort sur ma conception d’ensemble”. »
(Conseiller emploi)

65Cette vision du Parrainage convoquait la figure du parrain dit « carnet d’adresses », qui « recommande » les usagers aux employeurs et se mêle du recrutement. Mais cette figure était obsolète depuis déjà longtemps : « c’était comme ça que ça marchait au début, vers 95-96. […] [Maintenant] ça va être plutôt des gens […] qui ne vont plus tous avoir un réseau socioprofessionnel qui va leur permettre d’ouvrir des portes directes sur l’emploi ». Le besoin de ses connaissances pratiques du monde de l’entreprise n’était plus une « nécessité », les Missions Locales s’étant entre-temps ouvertes à la venue de conseillers emploi [46]. Sa disparition tenait aussi à la menace qu’il faisait peser sur l’instauration de la personne de l’usager en tant qu’« individu autonome et responsable ». Les parrains se gardaient de prendre contact avec les employeurs : « Le fait de téléphoner à un employeur à la place du jeune laisse sous-entendre un manque d’autonomie [47]. » Lors d’une réunion postérieure, la responsable du dispositif dira comment s’approprier l’action : « Le jeune parrainé a un projet réaliste et réalisable, validé par le conseiller. Le parrainage c’est “faire avec”, ce n’est ni “faire pour” ni “faire à la place de”. » Le parrain « carnet d’adresses » était donc condamné, il rendait illisible les épreuves de l’autonomie et ne permettait pas d’en faire saillir les capacités.

66

« Si on fait cet ensemble de démarches là avec quelqu’un, c’est clair que ça va avoir des influences positives. Mais on ne va pas créer quelque chose, si par exemple le jeune manque de confiance en lui-même, on ne va pas lui permettre d’avoir confiance. Il va réussir à faire quelque chose mais toujours en étant tributaire de quelqu’un. […] Il y a des gens qui ne se posent jamais la question : “Ce que j’ai, est-ce que je le mérite, est-ce que c’est moi qui l’ai fait ?” […] Parce que presque n’importe quel jeune qui viendrait sur le pôle emploi dont je m’occupe, et je lui dis “bon écoute, viens, tant pis pour ton autonomie, je vais te trouver des offres, je vais téléphoner pour toi”, forcément, je vais les placer en entreprise. […] C’est comme si je disais, bon, eh bien voilà, je vais créer une entreprise et je vais les embaucher moi-même. »
(Conseiller emploi)

67Ce souci de l’autonomisation les disposait à se montrer méfiant à l’égard des discriminations dont les usagers se disaient victimes. Leur incrédulité se nourrissait de la crainte que le jeune ayant subi un rejet n’en prenne prétexte pour ne pas se mieux préparer à l’épreuve de recrutement, en révisant son jugement sur ses « compétences ».

68

« Donc, est-ce que c’est par discrimination à l’embauche ou est-ce que c’est parce qu’ils n’avaient pas les compétences ? De toute façon, le jeune, lui, il voit une discrimination, même si c’est parce qu’il n’avait pas les compétences, il se retranche aussi derrière ça. »
(Travailleuse sociale)

69À leur décharge, relevons que si la sanction est claire, le jeune n’a pas été rappelé à l’issue d’un entretien ou n’a pu en obtenir, les raisons qui la déterminent restent souvent opaques ; « les rejets sont faiblement justifiés, contrairement aux choix qui font l’objet d’une attention soutenue » [48], et l’opacité s’accroît en cas de discrimination, celui qui s’en rend coupable n’allant pas le crier sur les toits. En outre, à l’époque, le tort des discriminations ne connaissait aucune factualisation. Les autorités étaient dans l’incapacité à le sortir de l’invisibilité et à en fournir un tableau probant, à quelque échelle que ce soit.

70

« On n’a aucune lisibilité […] des discriminations […] dont peuvent être victimes un certain nombre de personnes. À partir de là, quand on a du mal à élaborer le diagnostic, on a beaucoup de mal à mettre en place des actions. Je ne suis pas capable de dire […] si y’a un phénomène de discrimination que rencontrent les jeunes qui recherchent du boulot sur notre territoire. Là, là-dessus, franchement, je crois qu’on n’a aucune donnée. »
(Travailleur social)

71Il n’est pas étonnant que les agents aient appréhendé le problème sur un mode conjectural, sans trop savoir en répondre. Une évidence leur donnait raison : aucune enquête n’ayant été menée, aucune entreprise n’ayant été soumise à la question de l’égalité, rien ne leur permettait de s’assurer précisément des discriminations – en quelque façon, elles relevaient d’un problème qui n’était justement pas public, c’est-à-dire communément accessible à une expérience publique. Ils n’étaient pas dupes de ce qui faisait défaut, et rendait leur action partiellement insensée.

72

« Le jeune il peut très bien être tombé sur une entreprise pour laquelle ça ne gênait pas du tout d’embaucher, et là le parrainage ne fera rien changer. Franchement ça aurait changé quelque chose si on avait réussi à intégrer le jeune dans une entreprise dont on sait qu’elle était discriminatoire. […] Il faudrait déjà arriver à déterminer quelles entreprises ont des pratiques discriminantes. »
(Conseiller emploi)

Les critères d’un problème public bien équipé

73L’intérêt de ce cas n’est pas seulement historien [49], il permet d’interroger les critères mobilisés en sciences sociales pour juger de l’équipement d’un problème public. Nombre de chercheurs ont été un peu vite en besogne en arguant de l’édification d’une politique antidiscriminatoire. Au lieu de sonder les exigences de sa mise en œuvre, ils se sont fondés sur l’apparition d’un « lexique » et ont compté avec de rares dispositifs d’action publique, prenant pour argent comptant leurs missions officielles. Armé de tels critères, D. Fassin concluait à l’« invention » de la « discrimination » en 2002 [50].

74Surévaluant les effets performatifs du langage et sa capacité à s’inscrire dans les faits, il écrivait que « le mot » de « discrimination » apparaît « à la fin des années quatre-vingt-dix dans le lexique ordinaire de l’action publique en France » et que « le terme et l’idée qu’il recouvre ont désormais une place privilégiée dans le langage savant comme pour le sens commun, la “lutte contre la discrimination” tendant même à être proposée, dans les politiques publiques et les mouvements associatifs, comme un mot d’ordre plus réaliste et plus mobilisateur que les slogans rebattus de “la citoyenneté” et de “l’intégration” » [51]. Dénombrant un « ensemble de gestes et de mesures » politiques, il ajoutait, « les dispositifs et les dispositions évoqués ne sont pas des leurres avec lesquels on prétendrait abuser les victimes et leurs défenseurs » [52].

75Or, à cette époque, ni la sortie de « la politique de l’intégration » ni l’entrée de plain-pied dans une politique antidiscriminatoire conséquente n’avait vraiment eu lieu, au mieux cette dernière n’était encore qu’une « idéologie » [53]. Il ne fallait pas attendre 2006 pour s’en rendre compte, année où D. Fassin diagnostique un phénomène de « dénégation » des discriminations [54]. Toujours centré sur l’aspect langagier du problème, sur ce qui en est dit, il écrit, « ainsi est-on passé en une décennie d’un déni – la réalité était représentée mais non interprétée et les discriminations raciales demeuraient absentes du débat public – à une dénégation – la réalité est énoncée mais pour pouvoir être mieux écartée et les discriminations raciales désormais nommées font l’objet d’une euphémisation » [55].

76Curieusement, cette phrase participe de ce qu’elle dénonce, l’auteur faisant comme s’il suffisait que les « discriminations » soient « nommées » (où et par qui ?) et non proprement factualisées. C’est-à-dire objectivement établies dans le format d’un « fait », à l’aide d’équipements probatoires ad hoc et par le moyen d’enquêtes usant de catégories adéquates, seule manière d’attester publiquement de la réalité des discriminations et d’en faire reconnaître la teneur auprès de tiers qui n’en ont pas toujours l’immédiate expérience [56]. C’est bien par là que le problème se posait dès le départ, en tant qu’il n’était justement pas posé au devant de ceux qui avaient à s’en soucier. Ils n’étaient donc pas en mesure d’en avoir l’expérience – dont le partage suppose figuration – qui leur aurait permis de s’y attaquer vraiment, en toute connaissance de cause, et en sachant ce qu’il leur fallait mettre en cause pour en adresser les causes.

77Cette difficulté n’avait pas échappé aux agents du parrainage. L’un d’eux liait la faible mobilisation du droit au défaut d’équipements attestant de la réalité des discriminations, au seuil comme au sein des entreprises, et concluait : « Voyez, on ne peut pas pointer du doigt. Faire la preuve qu’il y ait discrimination, je crois que c’est un truc qui est complètement sous-jacent à tout ça. » Il avait ainsi pratiquement réalisé que la lutte antidiscriminatoire ne pouvait faire l’économie de dispositifs d’enquêtes légalement contraignants, appuyés sur des catégories ajustées aux motifs du droit, au moyen desquels factualiser les vices du monde du travail, rendre comptable ses acteurs et guider l’action corrective, en facilitant l’appel à la règle de non-discrimination et en apprêtant les épreuves à ses exigences. De manière plus générale et pour finir sur cette question des critères, on remarquera avec J. Dewey que « la valeur qu’une personne attache à une fin donnée ne se mesure pas à ce qu’elle dit de sa préciosité, mais au soin qu’elle met à obtenir et à utiliser les moyens sans lesquels cette fin ne peut être atteinte », « le manque de désir ou d’intérêt s’atteste par la négligence à l’égard des moyens » [57]. Ces moyens ne sont pas seulement langagiers ou discursifs, les mots ne suffisent pas à changer le monde et dire un attachement au bien ne présage pas de la lutte contre les maux face auxquels on se dresse.


Date de mise en ligne : 23/08/2011

https://doi.org/10.3917/pox.094.0081

Notes

  • [1]
    Sur un autre cas : Stavo-Debauge (J.), Trom (D.), « Le pragmatisme et son public à l’épreuve du terrain. Penser avec Dewey contre Dewey », in Karsenti (B.), Quéré (L.), dir., La croyance et l’enquête. Aux sources du pragmatisme (Raisons pratiques 15), Paris, EHESS, 2004. Également, Terzi (C.), « L’expérience constitutive des problèmes publics. La question des “fonds en déshérence” », in Barril (C.) et al., dir., Le public en action, Usages et limites de la notion d’espace public en sciences sociales, Paris, L’Harmattan, 2003 ; Lemieux (C.), « Rendre visible les dangers du nucléaire. Une contribution à la sociologie de la mobilisation », in Lahire (B.), Rosental (C.), dir., La cognition au prisme des sciences sociales, Paris, Éditions des Archives Contemporaines, 2008 ; Roca i Escoda (M.), La reconnaissance en chemin. L’institutionnalisation des couples homosexuels à Genève, Zurich/Genève, Seismo, 2010. Récemment, Y. Barthe a montré que la recherche des causes d’un problème contribue pour ses victimes à l’expérience du dommage, « Cause politique et “politiques des causes”. La mobilisation des vétérans des essais nucléaires français », Politix, 91, 2010. Dans le cas des discriminations, en France, la difficulté intervient avant même toute recherche des causes, elle est relative à la simple factualisation des inégalités ethniques et « raciales », activité antérieure aux opérations décrites dans Felstiner (W.), Abel (R.), Sarat (A.), « L’émergence et la transformation des litiges : réaliser, reprocher, réclamer… », Politix, 16, 1991. À ce propos, Stavo-Debauge (J.), « Les vices d’une inconséquence conduisant à l’impuissance de la politique française de lutte contre les discriminations. I : Tu ne catégoriseras point ! », Carnets de Bord, 6, 2003 ; « L’invisibilité du tort et le tort de l’invisibilité. L’embarras des sciences sociales françaises devant la “question raciale” et la “diversité ethnique” », Espacestemps, 2007 (http://espacestemps.net/document2233.html) ; « Faut-il s’en remettre aux pouvoirs de la statistique pour agir contre les discriminations et réaliser le droit ? La catégorisation ethnique et raciale en question au Royaume-Uni et en France », in Lyon-Caen (A.), Perulli (A.), dir., Efficacia e diritto del lavoro, Padova, Cedam, 2008.
  • [2]
    Au moment des ethnographies, réalisées entre 2001 et 2004 dans la région parisienne, la HALDE n’existait pas et les objectifs de la promotion de la « diversité » étaient moins frayés : Chappe (V.-A.), La genèse de la HALDE : un consensus a minima, Sarrebruck, Éditions universitaires européennes, 2010 ; Béréni (L.), « “Faire de la diversité une richesse pour l’entreprise” : la transformation d’une contrainte juridique en catégorie managériale », Raisons Politiques, 35, 2009.
  • [3]
    Thévenot (L.), « Les sciences économiques et sociales et le droit : quels biens reconnus, pour quelles évaluations ? », in Lyon-Caen (A.), Perulli (A.), dir., Efficacia e diritto del lavoro, Padova, Cedam, 2008 ; Stavo-Debauge (J.), Venir à la communauté. Une sociologie de l’hospitalité et de l’appartenance, Thèse pour le doctorat de sociologie, Paris, EHESS, 2009.
  • [4]
    Sur le concept de hantise, à partir d’une sociologie pragmatique des épreuves, outre la thèse citée précédemment, cf. Stavo-Debauge (J.), « Dé-figurer la communauté ? Hantises et impasses de la pensée (politique) de J.-L. Nancy », in Kaufmann (L.), Trom (D.), dir., Qu’est-ce qu’un collectif ? (Raisons pratiques 20), Paris, Éd. de l’EHESS, 2010.
  • [5]
    Par exemple, G. Calvès et A. Blum. Pour une critique de leur position, cf. nos articles et le rapport du COMEDD.
  • [6]
    Rigaux (F.), « L’opacité du fait face à l’illusoire limpidité du droit », Droit et Société, 41, 1999, p. 85.
  • [7]
    Morning (A.), Sabbagh (D.), « From Sword to Plowshare: Using Race for Discrimination and Antidiscrimination in the United States », International Social Science Journal, 183, 2005, p. 63.
  • [8]
    La seule fois où des catégories dites « ethniques » ont été confectionnées au sein d’une instance de la statistique publique, c’est lors d’une étude expérimentale visant à mesurer l’acceptabilité de la caractérisation de l’« origine ». Simon (P.), Clément (M.), Rapport de l’enquête « Mesure de la diversité ». Une enquête expérimentale pour caractériser l’origine (Documents de travail 139), Paris, INED, 2006.
  • [9]
    Un exemple : « La soudaine conversion des chefs d’entreprises […] à la comptabilisation des minorités ou des origines est d’ailleurs peut-être une façon de contourner l’objectif affiché de lutte contre les discriminations. Dans un récent rapport au premier ministre, Claude Bébéar propose que chaque salarié réponde par oui ou non à la question “Estimez-vous faire partie d’une minorité visible ?” ». Weil (P.), La République et sa diversité. Immigration, intégration, discrimination, Paris, Le Seuil, 2005, p. 89. Quoi de plus normal que les acteurs qui sont les premiers à pouvoir être inquiétés par le droit s’essayent à factualiser les torts dont ils pourraient être rendus comptables et s’efforcent de trouver des solutions afin de ne pas tomber sous le coup de la loi ? La proposition de C. Bébéar était ajustée à la lutte contre les discriminations « indirectes » – dont P. Weil réclamait pourtant aux entreprises de s’occuper, sans en penser la logistique.
  • [10]
    P. Weil repoussait ainsi le « monitoring » proposé par C. Bébéar : « Compter par race, ethnie, religion ou minorité est contraire à nos traditions. Cela rappelle en outre les périodes les plus sombres de notre histoire, celles de l’esclavage, de la colonisation ou du régime de Vichy. » (Ibid.).
  • [11]
    Le livre du CARSED, Le retour de la race, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2009, illustre ce trajet de l’inquiétude. Son titre fait référence à un sombre passé, tandis que la première phrase de l’introduction indique un présent en trompe-l’œil et agite un funeste futur : « La politique actuelle en matière de discrimination représente un leurre politique. Elle se justifie au moyen d’un leurre scientifique qui porte en germe de graves dangers de catégorisations et de fractures au sein de la population résidant en France » (soulignement dans l’original).
  • [12]
    Stavo-Debauge (J.), « Prendre position contre les catégories ethniques. Le sens commun constructiviste, une manière de se figurer un danger », in Laborier (P.), Trom (D.), dir., Historicité de l’action publique, Paris, PUF, 2003 ; Thévenot (L.), « Droit et bonnes pratiques statistiques en matière de discrimination. Jalons historiques d’un questionnement sur les origines », Communication aux Journées de l’histoire de la statistique, Paris, 15-16 février 2006. Sous ce prisme, c’est le fait même de la catégorisation de certaines différences qu’il faudrait éviter, même pour révéler des différentiels indus. Cette défiance s’accrochait à la saisie des triples pouvoirs de la statistique publique, à la fois discipline scientifique, branche de l’État, et réseau socio-technique. Bénéficiant de ces triples pouvoirs (d’assertions ontologiques de la science, de consécration de l’État et de propagation des réseaux), l’inscription de telles catégories dans la statistique publique menacerait d’accréditer l’existence mondaine et la pertinence politique de « groupes ethniques » au sein de la « communauté des citoyens », au risque de fragmenter cette dernière et d’affecter la réalisation de la bonne forme d’appartenance promue par la « politique de l’intégration » – qui souhaite rendre invisible la provenance des personnes « issues de l’immigration » et les figurer en « individus » détachés de leurs mondes originaires et partageant les « pratiques » communes de la « société d’accueil », à laquelle il faudrait qu’elles s’identifient sans reste, la « naturalisation » marquant le terme de leur « intégration ».
  • [13]
    Si elle tournait autour du traitement des données d’une enquête (MGIS) qui se targuait de « mesurer l’intégration/assimilation » des « populations issues de l’immigration », ses contradicteurs ne sont pas sortis de cette problématique. Argumentant depuis son site même, ils estimaient que l’évaluation de l’« intégration » en menacerait l’accomplissement, en générant des maux (fragmentation, stigmatisation, et cetera) figurant l’exact contrepoint de l’horizon de ladite politique. Son empreinte est évidente dans la « note » (rédigée par F. Héran en 1999) autour de laquelle les instances de la statistique publique se rassemblèrent pour siffler la fin de la controverse, ajournant durablement la réflexion sur les « discriminations ».
  • [14]
    Stavo-Debauge (J.), « Les vices d’une inconséquence conduisant à l’impuissance de la politique française de lutte contre les discriminations. II : Apprêter un chemin au droit et confectionner des catégories pour l’action publique », Carnets de bord, 7, 2004.
  • [15]
    Calvès (G.), Sabbagh (D.), « Les politiques de discrimination positive : une renégociation du modèle républicain ? », communication au 6e Congrès de l’association française de science politique, 1999, p. 9.
  • [16]
    Ibid., pp. 11-12.
  • [17]
    Ibid., p. 14.
  • [18]
    Il répondait à la transformation d’une action publique appelée à se « rapprocher » de ses usagers : Breviglieri (M.), Pattaroni (L.), Stavo-Debauge (J.), « Quelques effets de l’idée de proximité sur la conduite et le devenir du travail social », Revue Suisse de Sociologie, 29 (1), 2003.
  • [19]
    Calvès (G.), Sabbagh (D.), « Les politiques de discrimination positive… », art. cit., p. 15.
  • [20]
    Ibid., pp. 14-15.
  • [21]
    La circulaire n° 99/164 du 15 mars 1999 (DPM-DIIJ-DGEFP-DIV-DAS) emploie indifféremment les termes « issus de l’immigration » et « d’origines étrangères ou étrangers ».
  • [22]
    Hamilton-Krieger (L.), « The Content of Our Categories: A Cognitive Bias Approach to Discrimination and Equal Employment Opportunity », Stanford Law Review, 47 (6), 1995.
  • [23]
    Koselleck (R.), Le futur passé, Paris, Éditions de l’EHESS, 1990.
  • [24]
    Charte nationale du parrainage, 1999.
  • [25]
    Eymard-Duvernay (F.), « Le marché est-il bon pour les libertés ? », in De Munck (J.), Zimmermann (B.), dir., La liberté au prisme des capacités. Amartya Sen au-delà du capitalisme (Raisons pratiques 18), Paris, Éditions de l’EHESS, 2008, p. 210.
  • [26]
    Habermas (J.), « De la tolérance religieuse aux droits culturels », Cités, 13, 2003, p. 167.
  • [27]
    Margalit (A.), La société décente, Paris, Climats, 1999, p. 150.
  • [28]
    Eymard-Duvernay (F.) et al., Façons de recruter, Paris Métailié, 1997.
  • [29]
    Breviglieri (M.), Stavo-Debauge (J.), « Sous les conventions. Accompagnement social à l’insertion : entre sollicitude et sollicitation », in Eymard-Duvernay (F.), dir., L’économie des conventions. Méthodes et résultats, t. II : Développements, Paris, La Découverte, 2006.
  • [30]
    Calvès (G.), Sabbagh (D.), « Les politiques de discrimination positive… », art. cit., p. 15.
  • [31]
    Ressorts ne faisant pas acception de la personne, conditionnés par un salaire et adressés à une classe anonyme d’ayant droits.
  • [32]
    Ricœur (P.), Le Juste 2, Paris, Esprit, 2001, p. 90.
  • [33]
    Offrant ainsi toutes les propriétés sémantiques et phénoménales d’un « don » tactiquement utilisé pour ouvrir l’accompagnement.
  • [34]
    Pattaroni (L.), « Le sujet en l’individu : la promesse d’autonomie du travail social au risque d’une colonisation par le proche », in Cantelli (F.), Genard (J.-L.), dir., Action publique et subjectivité, Paris, LGDJ, 2007.
  • [35]
    Breviglieri (M.), « Bienfaits et méfaits de la proximité dans le travail social », in Ion (J.), dir., Le travail social en débat(s), Paris, La Découverte, 2005.
  • [36]
    Marion (J.-L.), Le phénomène érotique, Paris, Grasset, 2003, p. 43.
  • [37]
    Marraine, réunion de coordination.
  • [38]
    Lorcerie (F.), « La lutte contre les discriminations ou l’intégration requalifiée », VEI enjeux, 121, 2000.
  • [39]
    Rappelant qu’il convient « de ne pas croire que seul ce qui se passe devant les tribunaux mérite d’être compris », H. L. A. Hart écrivait qu’» il ne faut pas chercher les fonctions essentielles du droit, considéré comme moyen de contrôle social, dans les litiges privés ou dans les poursuites judiciaires qui représentent des préoccupations vitales, mais auxiliaires, et qui trouvent leur source dans les défauts du système. Il faut chercher ces fonctions essentielles dans les différentes manières dont le droit est utilisé pour contrôler, régir et organiser la vie en dehors des tribunaux » ; Hart (H. L. A.), Le concept de droit, Bruxelles, Publications des Facultés Universitaires Saint-Louis, 1976, p. 59. Afin d’« organiser la vie en dehors des tribunaux », le droit doit passer par des intermédiaires et mettre à la disposition des sujets des normes juridiques des dispositifs susceptibles de les aider (i) à supporter la charge cognitive qui pèse sur eux lorsqu’ils veulent faire valoir leurs droits, ou (ii) à régler les embarras du jugement quand il leur faut satisfaire en situation aux obligations légales.
  • [40]
    Le maintien de la désignation « issus de l’immigration » revient à ne pas les compter comme des membres à part entière et à les réinscrire dans un déplacement (celui de la migration) auquel ils n’ont très souvent pas pris part. Cette figuration va littéralement à rebours de ce vers quoi il s’agit d’aller et qu’une politique du même nom à longtemps nommé, tout en s’en faisant une idée bien peu hospitalière : « l’intégration ». En faisant entendre une arrivée qui n’en finit pas, cette désignation repousse le passage à l’appartenance dûment reconnue. On peut y voir le symptôme des fautes d’une communauté politique qui ne parvient pas à se mouvoir vers le plan de la reconnaissance de l’appartenance à part entière de nombre de ses membres ou résidents.
  • [41]
    Thévenot (L.), « Les investissements de forme », in Thévenot (L.), dir., Conventions économiques, Paris, PUF, 1986.
  • [42]
    Ricœur (P.), Parcours de la reconnaissance, Paris, Stock, 2004, p. 292.
  • [43]
    Thévenot (L.) L’action au pluriel. Sociologie des régimes d’engagement, Paris, La Découverte, 2006.
  • [44]
    « Agir intéressé » consistant à naviguer lucidement entre les « opportunités » et les « désutilités » dont l’usager prend connaissance à mesure de son exploration du marché, en révisant la forme de la satisfaction de ses intérêts quand l’environnement lui est objectivement défavorable.
  • [45]
    Et non des effets d’une « rationalité probabiliste » par laquelle, dans une « situation d’information imparfaite », les recruteurs s’économiseraient des calculs et s’éviteraient des « coûts » en recherche d’« informations » plus probantes en se repliant sur des saillances renvoyant à une appartenance susceptible d’être traitée comme un indicateur de « risques » d’une moindre « productivité » au travail . De Schutter (O.), Discriminations et marché du travail. Liberté et égalité dans les rapports d’emploi, Bruxelles, P.I.E. - Peter Lang, 2001.
  • [46]
    « Depuis quatre cinq ans, les Missions Locales se tournent vers l’accès à des gens qui […] ont une connaissance en entreprise. […] Le parrain “carnet d’adresses” n’est plus […] une nécessité » (Conseiller emploi).
  • [47]
    Parrain, réunion de coordination.
  • [48]
    Eymard-Duvernay (F.) et al., Façons de recruter…, op. cit., p. 78.
  • [49]
    Le parrainage à l’emploi existe toujours.
  • [50]
    Fassin (D.), « L’invention française de la discrimination », Revue française de science politique, 52 (4), 2002.
  • [51]
    Ibid., p. 403.
  • [52]
    Ibid., p. 404.
  • [53]
    Pour Axel Honneth, les « idéologies » sont « identifiables par leur incapacité structurelle de pourvoir aux conditions matérielles de réalisation effective » d’un ensemble de choses publiquement promues. Afin qu’une politique soit plus qu’une « idéologie », « quelque chose dans le monde physique des faits institutionnels ou des manières de se comporter doit changer », « pour que le destinataire puisse effectivement être convaincu d’être reconnu d’une nouvelle manière ». Ici, « reconnu » comme porteur d’un droit effectif à ne pas être discriminé, ce qui suppose de pouvoir faire reconnaître le tort dont on fait l’objet. Honneth (A.), La société du mépris, Paris, La Découverte, 2006, p. 272.
  • [54]
    Fassin (D.), « Du déni à la dénégation. Psychologie politique de la représentation des discriminations », in Fassin (D.), Fassin (É.), dir., De la question sociale à la question raciale, Paris, La Découverte, 2006.
  • [55]
    Ibid., p. 141.
  • [56]
    N’ayant pas nécessairement à en souffrir, il peut aussi leur coûter de s’avouer qu’ils en bénéficient.
  • [57]
    Dewey (J.), La formation des valeurs, Paris, La Découverte, 2011, pp. 108-109.

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