Politix 2011/1 n° 93

Couverture de POX_093

Article de revue

La domination politique par les dispositifs financiers

L'exemple de la dotation de solidarité communautaire (DSC)

Pages 141 à 165

Notes

  • [1]
    Sur ces points, Lascoumes (P.), Le Galès (P.), dir., Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2005 ; Crespin (R.), « Quand l’instrument définit les problèmes. Le cas du dépistage des drogues dans l’emploi aux États-Unis » et Zittoun (Ph.), « Entre problème, public et instrument, les enjeux d’un agencement cartographique », in Gilbert (Cl.), Henry (E.), dir., Comment se construisent les problèmes de santé publique, Paris, La Découverte, 2009.
  • [2]
    Entre 1993 et 2009, le nombre de structures intercommunales à fiscalité propre, c’est-à-dire les établissements les plus stratégiques pour les élus, est passé de 466 à 2601. Soit initialement 5071 communes concernées et 16 millions d’habitants pour atteindre, en 2009, 34164 communes et 56,4 millions d’habitants. (Source : ministère de l’Intérieur/DGCL.)
  • [3]
    Le Saout (R.), « L’intercommunalité, une strate politique pertinente ? », in Bidégaray (C.), Cadiou (S.), Pina (C.), dir., L’élu local aujourd’hui, Grenoble, PUG, 2009 ; Boino (P.), « Logique de champ et intercommunalité », in Boino (P.), Desjardins (X.) dir., Intercommunalité : politique et territoire, Paris, La Documentation française, 2009 ; Desage (F.), Le « consensus » communautaire contre l’intégration intercommunale, thèse de doctorat en science politique, Université Lille 2, 2005 ; Le Lidec (P.), Les maires dans la République. L’association des maires de France, élément constitutif des régimes politiques français depuis 1907, thèse de doctorat en science politique, Université de Paris 1, 2001 ; Gaxie (D.), « Les chemins tortueux de l’intercommunalité », in Le Saout (R.) dir., L’intercommunalité Logiques nationales et enjeux locaux, Rennes, PUR, 1997 ; Le Saout (R.), Intercommunalité, démocratie et pouvoir politique. Pour une analyse sociologique des enjeux politiques contenus dans les dynamiques intercommunales, thèse de doctorat de sociologie, Université de Nantes, 1996.
  • [4]
    Les propos tenus par Brice Hortefeux alors ministre délégué aux Collectivités territoriales lors de son intervention le 28 septembre 2006 à la VIe Conférence de l’association des maires des grandes villes de France sont particulièrement révélateurs de ce point du vue. « L’intercommunalité est quantitativement un succès. Persuadé qu’elle est l’élément structurant de la France de demain, le ministre d’État et moi-même avons donné de nouvelles instructions aux préfets afin de répondre aux trois critiques majeures portant sur la rationalisation des périmètres, l’intérêt communautaire et la clarification des relations financières entre le groupement et les communes membres ». En 2008, Nicolas Sarkozy dans son allocution relative à l’installation du comité pour la réforme des collectivités locales reprend la même argumentation : « Les Français sont de plus en plus critiques à l’égard de la décentralisation et de l’organisation des collectivités locales. Ils trouvent d’abord que le nombre d’échelons de collectivités locales est excessif. Ils sont exaspérés par l’augmentation de la fiscalité locale et le coût croissant du fonctionnement des collectivités. Ils critiquent l’enchevêtrement des compétences, leurs multiples redondances et regrettent l’absence de responsabilités claires. La vérité, c’est que ces éléments de diagnostic, nous les partageons tous. Tous nous savons que nos collectivités sont trop nombreuses et trop petites, que le succès réel de l’intercommunalité n’a pas mis fin au nombre particulièrement élevé de communes. Tous nous regrettons la confusion des compétences, les gaspillages et les dysfonctionnements qui en résultent », Allocution de M. le président de la République, Installation du comité pour la réforme des collectivités locales, Paris, Palais de l’Élysée, 22 octobre 2008. Ce comité est plus connu sous l’appellation du Comité Balladur, Édouard Balladur en étant le président.
  • [5]
    Les EPCI à fiscalité propre sont composés des communautés de communes, des communautés d’agglomération et des communautés urbaines.
  • [6]
    En 2009, 20,5 % des EPCI français ont adopté le principe de la DSC (source : ministère de l’Intérieur, site Bantic). En 2007, en France, la DSC s’élevait à 939 millions d’euros, pour un total de reversements des communautés vers les communes de 8,5 milliards d’euros. Autrement dit, la DSC représente une part relativement modeste, mais non marginale des reversements fiscaux. Dans certaines communautés, par exemple pour la communauté d’agglomération du Pays d’Aix-en-Provence, la DSC peut représenter jusqu’à 10 % du budget total de l’EPCI (source : ministère des Finances).
  • [7]
    Cette recherche s’inscrit dans un projet collectif intitulé « Négocier la solidarité territoriale dans les intercommunalités » (SOLITER) financé par le programme « Administrer, gouverner » de l’ANR, également soutenu par la Maison des Sciences de l’Homme de Bretagne (MSHB). Il est codirigé par Matthieu Leprince et Hélène Reigner. Le travail de terrain a été réalisé entre septembre 2008 et mars 2009 selon un double protocole. Une première campagne d’entretiens menée auprès de responsables d’intercommunalités (n = 14, 12 directeurs généraux de services et 2 présidents) a permis de dégager les principales hypothèses. Une seconde phase, plus ciblée sur les communes, a été organisée afin d’étudier plus en détail les applications locales de la DSC et leurs effets. Sept communautés ont été sélectionnées : la communauté d’agglomération du Pays d’Aix-en-Provence (13), la communauté d’agglomération de Vitré communauté (35), la communauté de communes du pays de Chateaugiron (35), la communauté de communes Lamballe communauté (35), la communauté de communes Erdres et Gesvres (44), la communauté de communes de Moyenne Vilaine (35), la communauté de communes des communes du Sud-Ouest de Rennes (35). 24 entretiens ont été réalisés auprès de maires membres de ces différents EPCI.
  • [8]
    Desage (F.), Le « consensus » communautaire contre l’intégration intercommunale, op. cit. Dans ce travail, l’auteur montre avec finesse que les élus communautaires défendent avant tout les intérêts de leur commune. Les groupements ainsi domestiqués par les maires sont convertis en agences de moyens au service des communes.
  • [9]
    En 1990, le produit de la TP représentait 45,34 % des recettes fiscales des communes (source : Les collectivités locales en chiffres, ministère de l’Intérieur, DGCL, 1992).
  • [10]
    Desage (F.), Le « consensus » communautaire contre l’intégration intercommunale, op. cit.
  • [11]
    L’AC ne peut augmenter car elle n’est pas réactualisable, ni indexée. En revanche, elle peut diminuer selon trois cas de figure : lorsque de nouvelles compétences et donc de nouvelles charges sont transférées à l’EPCI, lorsque le produit de l’impôt se réduit et enfin si les communes du groupement le décident à l’unanimité.
  • [12]
    Ils peuvent également décider d’affecter totalement ou en partie ce surplus au financement de nouveaux équipements ou services intercommunaux.
  • [13]
    Alors qu’entre 1993 et 1998, les intercommunalités pouvant adopter ce régime fiscal passent de 466 à 1577 groupements, à la fin de la période, les EPCI qui vont effectivement utiliser le système de la TPU ne sont que 92, soit 5 % des EPCI français
  • [14]
    Examen du projet de loi devant le Sénat, séance du 24 avril 1999.
  • [15]
    Le potentiel fiscal mesure la richesse fiscale relative d’une collectivité. Plus précisément, le potentiel fiscal est le produit théorique que recevrait la commune si elle appliquait à ses propres bases les taux d’imposition moyens nationaux de chacune des quatre principales taxes locales : la taxe d’habitation, la taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties et la taxe professionnelle.
  • [16]
    La loi précise : « L’établissement public de coopération intercommunale peut instituer une dotation de solidarité communautaire […] en tenant compte notamment de l’importance de la population, du potentiel fiscal par habitant et de l’importance des charges de ses communes membres » (souligné par nous).
  • [17]
    Doniou (C.), La dotation de solidarité des communautés de communes à taxe professionnelle unique, Paris, Caisse des dépôts et consignations, juin 2004.
  • [18]
    C’est un jugement du tribunal administratif de Dijon qui, pour régler un contentieux lié à l’interprétation de l’adverbe « notamment », va utiliser pour la première fois le terme « prioritairement ». TA Dijon, 27 décembre 2001, Commune de Chatenoy-en-Bresse/Communauté d’agglomération Chalon-Val de Bourgogne.
  • [19]
    Question au gouvernement n° 76361, JO, 7 février 2006, p. 1337.
  • [20]
    Le Saout (R.), « Les mouvements de personnels entre communes et intercommunalités : une réalité difficilement saisissable », in Boino (P.), Desjardins (X.), dir., Intercommunalité : politique et territoire, op. cit.
  • [21]
    Thomas (O.), « Intercommunalité française et hausse de la pression fiscale : effet collatéral ou stratégie politique délibérée », Revue française d’administration publique, 127, 2008.
  • [22]
    Baudouin (P.), Pemezec (P.), Le livre noir de l’intercommunalité, Paris, 2005. Rozet (P.-J.), Communes, intercommunalités, quels devenirs ?, Paris, Conseil économique et social, Les éditions des journaux officiels, 2005. Mariton (H.), Rapport sur l’évolution de la fiscalité locale, Assemblée Nationale, n° 2436, 5 juillet 2005. Richard (P.), Solidarité et performance. Les enjeux de la maîtrise des dépenses publiques locales, Paris, Ministère du Budget et de la Réforme de l’État, décembre 2006.
  • [23]
    L’intercommunalité en France, Rapport de la Cour des comptes, novembre 2005, p. 113.
  • [24]
    Gilles (M.), Leyat (A.), « L’intercommunalité vue par les chambres régionales et territoriales des comptes », AJDA, 13 avril 2009.
  • [25]
    Certains juristes considèrent cette instabilité comme l’une des causes majeures de l’insécurité juridique de nombreuses dispositions relatives à l’intercommunalité. Brouant (J.-Ph.), dir, Intercommunalité et habitat : les communautés au milieu du gué ?, Paris, La Documentation française, PUCA, 2006.
  • [26]
    Entretien réalisé le 3 mars 2009. Ce vice-président aux finances d’une communauté de communes de 25 680 habitants est cadre financier à la retraite et maire d’une commune de 2340 habitants, actuellement dans son troisième mandat. [Toutes les données démographiques proviennent de l’INSEE – 2006.] Cette citation conforte la thèse d’A. Mévellec selon laquelle la construction de l’ordre communautaire tend globalement à renforcer la domination des maires (qui ont accès à l’information et aux cercles de décision communautaire) sur les simples membres des assemblées délibératives. Sur ce point, Mévellec (A.), La construction politique des agglomérations au Québec et en France. Territoire, gouvernement et action publique, Laval, PUL, 2008.
  • [27]
    Même s’il s’est produit depuis une trentaine d’années une élévation des conditions d’accès aux postes de maire (avec une forte progression des « cadres et professions intellectuelles supérieures »), le personnel politique local (et plus encore dans les petites communes rurales) se recrute parmi les agriculteurs, les artisans, commerçants, les professions intermédiaires, les employés et ouvriers.
  • [28]
    Sur cette fonction, cf. Burlen (K.), Thoenig (J.-C.), « Les secrétaires généraux des villes », Politiques et management public, 16 (1), 1998 ; Le Saout (R.), Olive (M.), « L’intercommunalité et les directeurs des services municipaux. Entre distanciation et engagement », Politiques et management public, 25 (2), 2007.
  • [29]
    L’accès à l’expertise est inégalement distribué entre les communes. Les communes les moins bien dotées fiscalement et/ou les moins peuplées ont généralement peu d’expertise interne. Leur administration se limite pour les plus petites d’entre elles à un simple secrétaire de mairie qui ne dispose ni du temps ni parfois des compétences nécessaires pour se consacrer aux questions relativement complexes liées à la redistribution de la TP. Ces communes n’ont pas non plus les moyens de recourir à une expertise externe souvent coûteuse. Sauf à posséder dans leur personnel politique un élu qui aurait dans son parcours professionnel acquis des connaissances et une appétence dans et pour les domaines fiscal et budgétaire, ces communes apparaissent souvent dénuées de toute capacité à mobiliser une expertise pertinente.
  • [30]
    Entretien réalisé le 3 mars 2009.
  • [31]
    En Ille-et-Vilaine, les services du Conseil Général ont joué un rôle actif de conseil auprès des intercommunalités rurales en ce qui concerne l’établissement des critères de la DSC.
  • [32]
    Entretien réalisé le 8 avril 2009.
  • [33]
    Entretien réalisé le 15 décembre 2008 avec le maire d’une commune de 4085 habitants. Cet administrateur de société est dans son troisième mandat de maire. Il est également vice-président de la communauté d’agglomération et vice-président du Conseil Régional.
  • [34]
    Entretien réalisé le 19 février 2009 avec le maire d’une commune de 1311 habitants. C’est le premier mandat de cet ingénieur en communication de 52 ans. Il est également vice-président en charge de l’environnement de sa communauté de communes.
  • [35]
    Cette commune a intégré la communauté d’agglomération en 2001.
  • [36]
    Entretien réalisé le 15 décembre 2008 avec le directeur général des services de la commune.
  • [37]
    Ibid.
  • [38]
    La présidence s’appuie sur une coalition implicite des communes périphériques contre la commune centre, la plus riche de la communauté : « Dans la tête de certains, il y a un clivage [commune centre] contre le reste de monde. Il y a presque un front des petites communes contre la grosse commune. C’est pour ça qu’on ne veut pas non plus que la présidence revienne à [la commune centre] parce que trop c’est trop ! Tous les services y sont concentrés… L’attitude de l’ancien maire de la [commune centre] a entretenu ce clivage. » Entretien réalisé le 3 mars 2009 avec le maire d’une commune de 912 habitants, président de la communauté de communes depuis 2001. Ce jeune retraité de la Fonction Publique Hospitalière (54 ans) est dans son troisième mandat de maire.
  • [39]
    À ce jour, une seule recherche menée par des économistes s’est intéressée à la DSC. Ce travail quantitatif conclut à la très forte hétérogénéité des usages locaux de la DSC, reflétant par là la diversité des modes de gestion existant au sein des intercommunalités. Guengant (A.), Leprince (M.), Ferreira (D.), Les critères de répartition de la dotation de solidarité communautaire, Rapport pour la Direction Générale des Collectivités Locales, Paris, Ministère de l’Intérieur, 2006.
  • [40]
    Entretien réalisé le 8 avril 2009.
  • [41]
    Entretien réalisé le 3 mars 2009 (cf. note 38).
  • [42]
    Entretien réalisé le 9 avril 2009.
  • [43]
    À l’inverse, les communes au-dessus de 1500 habitants sont perdantes dans cette nouvelle répartition, du moins relativement. En valeur absolue, leurs dotations continuent à augmenter, du fait de la hausse de l’enveloppe globale redistribuée mais moins vite que celles des petites communes. Cette augmentation en valeur absolue constitue une des conditions de l’acceptabilité du changement des critères de la DSC dans le jeu intercommunal : aucune commune ne voit le montant qui lui est accordé diminuer.
  • [44]
    Entretien réalisé le 9 février 2009 avec le maire d’une commune de 4601 habitants, ingénieur informaticien à la retraite de 67 ans. Il est dans son premier mandat de maire, mais dans son cinquième mandat comme élu de la commune dont trois comme adjoint. Il est en outre vice-président de la communauté de communes en charge des travaux.
  • [45]
    Entretien réalisé le 26 janvier 2009 avec l’adjoint aux finances d’une commune de 1948 habitants. Cet agent administratif dans une coopérative agricole est à la retraite depuis un an (61 ans). Il effectue son premier mandat d’élu.
  • [46]
    Entretien réalisé le 15 janvier 2009 avec le maire d’une commune de 4109 habitants. Employée à la retraite du ministère de la Défense de 55 ans, elle effectue son premier mandat de maire mais a été précédemment conseillère municipale et première adjointe.
  • [47]
    Dans le cas présent, les critères de calcul de la DSC prennent en compte l’effort communal en faveur de l’enfance et la jeunesse avec, par exemple, le potentiel d’accueil dans les haltes garderies, les heures hebdomadaire d’animateur de maisons des jeunes… Plus la commune se conforme à ces critères, plus sa DSC augmente.
  • [48]
    Entretien réalisé le 3 mars 2009 avec le maire d’une commune de 4712 habitants. Ce technicien à la retraite de 58 ans a été élu en 2008 maire, sans jamais avoir jusque-là détenu un mandat municipal.
  • [49]
    Entretien réalisé le 16 mars 2009 avec le maire d’une commune de 5868 habitants. Ce technicien à la retraite de l’éducation nationale (61 ans) effectue son premier mandat de maire après avoir été pendant six ans conseiller municipal dans l’opposition. Il est vice-président de la communauté de communes en charge des questions environnementales.
  • [50]
    Entretien réalisé le 17 novembre 2008 avec le maire d’une commune de 5183 habitants. Ce conseiller en gestion d’entreprise (58 ans) est dans son cinquième mandat de maire. Il est également vice-président de sa communauté de communes et vice-président du Conseil général.
  • [51]
    Entretien réalisé le 6 novembre 2008 avec le directeur général des services. Le DGS continue ainsi : « En outre, ici comme ailleurs, les communes qui avaient fait le choix d’intégrer une communauté de communes continuaient d’exercer leurs compétences communales et avaient besoin de financements. On sait bien que le transfert du produit de la TP a privé les budgets communaux d’une ressource beaucoup plus évolutive que la fiscalité qui restait dans le giron communal. Donc, il y avait nécessité de continuer à financer les budgets des communes ».
  • [52]
    Ibid. Le DGS fait ici allusion aux incertitudes pesant sur le remplacement de la TP dont la suppression a été annoncée par N. Sarkozy le 5 février 2009.
  • [53]
    Entretien réalisé le 17 novembre 2008.
  • [54]
    Entretien réalisé le 17 mars 2009 avec le maire de la commune centre (7100 habitants) de cette intercommunalité. Cet ingénieur de formation (62 ans), aujourd’hui à la retraite est dans son cinquième mandat.
  • [55]
    Entretien réalisé le 12 février 2009 avec l’actuel président de la communauté par ailleurs par ailleurs depuis deux mandats adjoint aux finances d’une commune de 4366 habitants, la deuxième commune la plus peuplée de la communauté.
  • [56]
    Entretien réalisé le 19 février 2009 avec le maire d’une commune de 1311 habitants. C’est le premier mandat de cet ingénieur en communication de 52 ans. Il est également vice-président en charge de l’environnement de sa communauté de communes.
  • [57]
    Ibid.
  • [58]
    Entretien réalisé le 3 mars 2009 avec le maire d’une commune de 912 habitants, président de la communauté de communes depuis 2001. Ce jeune retraité de la Fonction Publique Hospitalière (54 ans) est dans son troisième mandat de maire.
  • [59]
    Le président de cette communauté de communes se définit comme un « partisan du partage de tous les revenus que l’on peut avoir sur le territoire que ce soit sous forme de monnaie sonnante et trébuchante au travers de DSC ou sous forme d’investissements qu’il faut répartir sur le territoire et non pas concentrer sur la ville centre ». Cette distribution spatiale est vécue par le président de cette intercommunalité comme un facteur de pacification de la diplomatie intercommunale : « Cela génère de la sérénité ». Entretien réalisé le 3 mars 2009 (cf. note 55).
  • [60]
    Entretien réalisé le 27 novembre 2008. Quand on soulève la question d’une éventuelle (et hypothétique) suppression de la DSC, les élus de cette communauté de communes s’inquiètent de la manière dont elle sera compensée. Comme le dit le maire d’une commune de 2495 habitants, « supprimer ça dépend… Compenser par quoi ? » (entretien réalisé le 8 mars 2009). Si la prise en charge de compétences nouvelles peut être vue, notamment par les petites communes, comme une forme de compensation possible (une « charge en moins »), la question de la distribution spatiale des efforts communautaires en fonction du choix de la compétence déléguée est fréquemment évoquée. Ainsi, le maire d’une commune de 593 habitants se fait l’avocat du choix de la mutualisation de la compétence « voirie » qu’il juge plus équitable car plus favorable aux petites communes dépourvues d’équipements : « Si on supprimait la DSC, il faudrait élargir la compétence de la communauté de communes. Mais il faudrait trouver une compétence équitable. Il y a des communes qui ont des établissements sportifs et d’autres qui n’en ont pas. Tandis que la voirie, tout le monde en profite » (entretien réalisé le 8 avril 2009). Cet employé de la SNCF est dans son troisième mandat de maire. Il est également vice-président de sa communauté de communes en charge de l’environnement.
  • [61]
    Sur ce point, cf. Douglas (M.), « Il n’y a pas de don gratuit », in Douglas (M.,) Comment pensent les institutions, Paris, La Découverte, 1999.
  • [62]
    Kerrouche (E.), L’intercommunalité en France, Paris, Montchrestien, 2008.
  • [63]
    Bezes (P.), Réinventer l’État, op.cit.
  • [64]
    Epstein (R.), « Gouverner à distance. Quand l’État se retire des territoires », Esprit, 11, 2005 ; Epstein (R.), « L’éphémère retour des villes. L’autonomie locale à l’épreuve des recompositions de l’État », Esprit, 2, 2008 ; Epstein (R.), « La différenciation territoriale à l’épreuve des réformes néomanagériales de l’État français », Grenoble, Congrès AFSP, 2009.
  • [65]
    Desage (F.), « Un régime de grande coalition permanente ? Éléments lillois pour une sociologie des “consensus” intercommunaux », Politix, 88, 2009 ; Le Saout (R.), dir., L’intercommunalité en campagne. Rhétoriques et usages de la thématique intercommunale dans les élections municipales de 2008, Rennes, PUR, 2009.

1Quelles relations entretiennent savoirs et pouvoirs politiques ou encore technicité et domination politique ? La question est généralement abordée sous l’angle de l’emprise de l’expertise sur les différentes formes d’action publique ou encore sous celui de la montée de compétences spécialisées sous l’effet de la complexification du travail politique. On voudrait, dans cet article, déplacer le regard pour observer un instrument de l’action publique, ses logiques d’usages et la façon dont localement, en revêtant des dimensions à la fois techniques, sociales et politiques, il transforme la configuration des relations établies entre les acteurs en présence et se transforme lui-même en véritable moyen d’action politique [1]. Le cas de l’intercommunalité comme espace confiné des échanges entre élus locaux et celui du dispositif financier particulier qu’est la dotation de solidarité communautaire constituent, nous semble-t-il, un excellent observatoire de ces processus par lesquels un instrument, mieux que des discours ou des luttes idéologiques, crée des capacités et des modes d’action – certes variables en fonction des configurations locales des ressources en jeu –, délimite ce qu’il est acceptable ou non de faire et contribue à stabiliser une économie du consentement politique en offrant une nouvelle légitimité à ceux qui s’en servent « au mieux ».
Depuis le début des années 1990, l’intercommunalité s’est, en effet, fortement développée en France. Son succès quantitatif, régulièrement souligné [2], s’accompagne néanmoins de nombreuses critiques. Qu’il s’agisse de discuter de son opacité démocratique, de ses économies d’échelles difficilement mesurables ou encore de condamner ses imbrications territoriales, tous les jugements convergent pour souligner la complexité des dispositifs, la variabilité des situations existantes et leur inadéquation à une gestion rationnelle de l’action publique locale. Les recherches portant sur les réformes intercommunales ont montré que ces politiques sont le produit d’un ensemble de compromis passés entre les représentants du pouvoir local, ceux de l’exécutif national et des administrations d’État [3]. Dans ces jeux de négociations, les élus locaux disposent de puissantes capacités d’intervention pour domestiquer les mesures intercommunales et neutraliser leurs orientations les plus contraignantes. Le développement de l’intercommunalité n’est ainsi possible qu’à la condition que les restructurations envisagées ne prennent pas la forme de modifications brutales ou radicales et surtout qu’une grande souplesse soit accordée dans l’application des mesures. Cette plasticité des dispositifs permettant des réappropriations et des usages différents selon les univers locaux dans lesquels elle se déploie, l’intercommunalité prend localement des formes variées tant dans l’organisation de ses territoires, des compétences qu’elle gère, de ses modes de financements ou dans les politiques qu’elle engage. Les complexités territoriales et organisationnelles régulièrement stigmatisées ou condamnées [4] sont, dès lors, moins le signe de dysfonctionnements locaux que le résultat de traductions de dispositions législatives qui, dans leur définition même, sont pensées et conçues comme malléables et ajustables. Il en est ainsi du dispositif financier qu’est la dotation de solidarité communautaire (DSC). Son objectif affiché est double. Il vise à permettre aux intercommunalités de reverser aux communes des ressources financières obtenues par l’impôt sur les entreprises (taxe professionnelle) et à favoriser les solidarités entre les communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) [5], en offrant aux élus les moyens de rééquilibrer les différences de répartition de richesses et de charges sur le territoire intercommunal [6]. Si cet instrument est très technique, il est aussi d’un usage très souple. La DSC n’est pas obligatoire et la définition des montants, des critères d’attribution et de leurs clés de répartition est laissée aux élus locaux. Pour autant – et c’est ce que nous voudrions montrer – cette flexibilité qui est une des conditions de la réussite du fait intercommunautaire est loin de favoriser une négociation équilibrée entre élus ; elle contribue au contraire à renforcer la technicité du dispositif et à restreindre le nombre d’acteurs susceptibles d’en maîtriser la complexité. La DSC participe dès lors à sa façon à la consolidation d’un ordre communautaire en construction, dans la mesure où les élus, notamment ceux des communes les plus pauvres, renforcent, via ce mécanisme de redistribution, leur dépendance à l’intercommunalité [7]. Elle y participe d’autant mieux qu’elle s’accomplit au nom d’une « justice redistributive » au profit des communes les plus démunies de ressources financières. Ainsi, si le compromis entre les maires est plus que jamais central pour l’action publique intercommunale et s’il y a bien une « municipalisation de l’intercommunalité [8] », il reste que s’opère également une « intercommunalisation des municipalités » ou une subordination à l’ordre intercommunautaire, certes implicite, détournée voire déniée, mais qui se réalise avec une efficacité d’autant plus grande qu’elle s’appuie sur des instruments apparemment neutres (la compatibilité) et mettant en scène de façon objective (des chiffres et des cartes) les normes de légitimité revendiquées au sein de l’espace politique intercommunal affichant le « consensus » ou la déconflictualisation des rapports de forces : coopération et collaboration de tous, solidarité et entente entre tous.

La DSC, un dispositif souple et malléable

2Le travail législatif se rapportant à la DSC est tout à fait significatif des orientations politiques prises en matière d’intercommunalité. Celles-ci se caractérisent, entre autres, par la nécessité de ne pas aborder frontalement les élus locaux en leur accordant une relative latitude pour retraduire localement les dispositifs adoptés. Une présentation rapide des principales dispositions prises depuis le début des années 1990 montre combien les mesures retenues relèvent essentiellement d’incitations peu contraignantes, comme si, en la matière, les exécutifs centraux adoptaient une approche prudente intégrant par anticipation les contestations possibles et s’obligeaient à produire des « soft laws » laissant aux élus locaux le soin d’arbitrer entre eux les tensions et les conflits susceptibles d’être alimentés par l’adoption de politiques financières redistributives.

3La dotation de solidarité communautaire a été instaurée par la loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République (Loi ATR). Cette réforme vise à réduire les jeux de concurrences que se livrent les communes pour attirer des entreprises sur leur territoire tout en cherchant à mieux répartir le produit de la richesse fiscale obtenu par l’impôt sur les sociétés. Pour gérer cette double contrainte – moins de concurrence et plus de solidarité –, un nouvel instrument fiscal est élaboré : la taxe professionnelle unique (TPU). Ce dispositif a pour principal enjeu de spécialiser l’impôt sur les entreprises au profit de l’EPCI. Les communes membres d’un établissement de coopération à TPU ne prélèvent plus directement cet impôt et n’en définissent plus les taux. Mais cette confiscation apparente par l’intercommunalité d’un impôt stratégique pour les municipalités [9] doit être très fortement nuancée. D’une part, parce que les élus intercommunaux sont issus des conseils municipaux. Ce sont les représentants des communes membres qui siègent dans les conseils communautaires et dirigent les intercommunalités, ce qui assure des liens de dépendance très étroits entre l’intercommunalité et les communes et finalement un contrôle direct des maires sur l’établissement de coopération [10]. D’autre part, parce que ce transfert de la TP ne se fait pas sans la garantie aux communes d’une restitution des ressources à hauteur du produit de l’impôt économique qu’elles recevaient avant le passage en TPU sous la forme d’une attribution de compensation (AC). Il est, en effet, inenvisageable politiquement sous peine sinon d’une montée de boucliers de la part des élus locaux – qui sont aussi pour nombre d’entre eux députés ou sénateurs – de priver brutalement des municipalités de financements dont elles bénéficiaient précédemment. En tant que principe de compensation, l’AC doit être obligatoirement reversée chaque année par le groupement aux communes. Cependant, si ce mécanisme permet de préserver les situations fiscales acquises, il prive les municipalités des ressources supplémentaires obtenues lorsque le produit de la taxe professionnelle communautaire augmente ; en effet, l’attribution de compensation une fois définie est figée dans le temps [11]. L’instauration d’une dotation de solidarité communautaire permet aux élus, s’ils le souhaitent, de réaffecter une partie de ce surplus d’impôt aux communes [12] selon des modes de répartition relativement souples. L’article 94 de la loi précise que c’est seulement dans le cas où les élus communautaires n’arrivent pas à s’accorder sur des critères dans les trois mois qui suivent la décision de recourir à une DSC que les clés de répartition prévues par la loi s’imposent par défaut.

4Pourtant, bien que définie comme l’enjeu central du projet politique de la loi ATR, l’intercommunalité à TPU considérée comme trop contraignante par les élus s’est finalement très peu développée [13]. Souhaitant relancer vigoureusement ce type de groupements quelques mois après sa prise de fonction comme ministre de l’Intérieur du gouvernent de Lionel Jospin, Jean-Pierre Chevènement engage une nouvelle politique qui aboutit au vote de la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale. Selon une formule du ministre, qui a connu une certaine publicité (Le Monde, 26 mai 1998), « Il faut se donner tous les moyens de lutter sur le long terme contre l’apartheid social. Et, puisqu’il revêt de plus en plus de la forme d’un apartheid spatial, il faut repenser notre organisation urbaine. » Le gouvernement voulant favoriser les péréquations financières entre les communes, l’intention de renforcer les solidarités urbaines passe par un encadrement a priori plus affirmé de la DSC. Face à des sénateurs qui insistent sur la possibilité de tenir compte dans la répartition de la DSC de la croissance des bases économiques des communes selon une logique de « juste retour » aux communes des gains obtenus, le ministre de l’Intérieur leur répond avec fermeté que « le produit de la taxe professionnelle doit financer, d’abord, les compétences croissantes de l’établissement public de coopération intercommunale. Si une dotation de solidarité doit être instituée, il faut qu’elle le soit en priorité à partir de critères péréquateurs ; ce n’est qu’à titre résiduel que d’autres critères de répartition pourraient être choisis [14] ».

5Cette position de l’exécutif s’exprime dans l’article 86 de la loi qui, tout en conservant le caractère facultatif de la DSC, précise que désormais celle-ci doit être répartie en fonction de critères précis : l’importance de la population, l’importance du potentiel fiscal [15] et l’importance des charges des communes membres. Néanmoins, même si une orientation est donnée dans la sélection des critères, en pratique, une très grande liberté d’action est laissée aux élus locaux. En intégrant l’adverbe « notamment » avant de préciser les trois critères à retenir [16], la loi suggère que les élus sont libres d’en choisir les clés de répartition et qu’ils peuvent également en ajouter d’autres. Selon une étude réalisée en 2003, seulement 22,8 % des communautés françaises avaient limité leur choix aux critères indiqués dans la loi et 77,2 % avaient opté pour d’autres critères qu’elles utilisent seuls ou en complément des trois critères proposés par l’article 86 [17]. Cette préservation d’une grande liberté d’action locale est réaffirmée par une nouvelle réforme votée en 2004.

6Sans remanier en profondeur les dispositions qui régissent la DSC, la loi du 13 août 2004 en modifie certains éléments. Elle réajuste le dispositif en introduisant formellement la notion d’obligation légale dans le choix des critères à retenir en supprimant l’adverbe « notamment » au profit de « prioritairement » afin de réduire les risques de contentieux induits par l’approximation de la précédente formulation [18]. La DSC doit, dès lors, être répartie en tenant compte pour une commune de l’importance de sa population et de son potentiel fiscal par habitant. La sélection d’autres critères est laissée à la discrétion des élus et le dispositif conserve sa souplesse. Cette malléabilité est d’ailleurs explicitement revendiquée par le gouvernement. Ainsi, à la question posée le 25 octobre 2005 au gouvernement par la député UMP Marie-Jo Zimmermann, s’interrogeant sur une possible introduction de critères complémentaires dans l’attribution de la DSC, la réponse rappelle cette orientation : « Un critère obligatoire a été supprimé par le Parlement lors des débats sur le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales afin de favoriser une certaine liberté contractuelle au sein des EPCI et, ainsi, faire de cette dotation un pacte politique fort. Aussi la limitation, par l’adjonction de critères obligatoires supplémentaires, de cette liberté voulue par la Parlement il y a à peine plus d’un an n’apparaît pas opportune [19]. »
La relative flexibilité accordée jusque-là aux élus pour définir les normes d’une redistribution de la richesse économique intercommunale fait l’objet d’un réexamen à partir du milieu des années 2000, sans remettre en cause l’économie générale des principes d’adoption de la DSC. À cette période se développe, en effet, un discours beaucoup plus critique sur les « surcoûts » financiers engendrés par le développement des intercommunalités. Celui-ci cible principalement l’augmentation des personnels au sein des intercommunalités [20], la hausse de la pression fiscale [21], l’inefficacité des croisements de compétences entre les EPCI et les communes et, enfin, la clarification des relations financières entre le groupement et les communes membres. De nombreux rapports officiels dressent le constat des dérives financières de l’intercommunalité [22]. L’un d’entre eux, le rapport publié par la Cour des comptes en novembre 2005, connaît une relative publicité et alimente les critiques sur les stratégies opportunistes de certains élus locaux qui cherchent avec l’intercommunalité à capter des financements pour leur commune sans pour autant développer des politiques communautaires affirmées et solidaires : « L’importance des dépenses de redistribution dans le budget des communautés à TPU est à relever dans une partie des communautés. Dans certains cas, elle peut correspondre à une absence de réalité de la nouvelle intercommunalité qui n’est alors qu’une coquille vide permettant aux communes membres de se répartir des dotations de fonctionnement majorées [23]. »
Dès lors, c’est le contrôle des effets inflationnistes de la dynamique intercommunale sur les finances locales qui est inscrit à l’agenda gouvernemental. Les instruments fiscaux et financiers se multiplient pour tenter de réduire les redistributions financières entre les EPCI et les communes et forcer au changement les conduites des élus locaux. La loi de finances pour 2005 introduit ainsi une référence plus précise à la DSC dans le calcul d’un des indicateurs pris en compte pour l’attribution des dotations d’État aux EPCI : le coefficient d’intégration fiscal (CIF). Le CIF est un outil statistique qui permet de mesurer le degré d’intégration communautaire. Plus ce coefficient est élevé, plus les dotations d’État attribuées au groupement le sont également. C’est donc un instrument essentiel du contrôle par l’État de l’engagement des élus dans des logiques intercommunales. La loi de finances pour 2005 intègre dans le calcul du CIF les dépenses de redistribution financière des intercommunalités, c’est-à-dire l’attribution de compensation (AC) à hauteur de 100 % et la DSC pour 50 %. L’introduction de ces deux indicateurs de reversement aux communes est tout à fait significative de la volonté politique d’inciter les élus à minimiser les retours vers les communes. Plus l’EPCI redistribue des ressources financières aux municipalités par l’intermédiaire de l’AC et de la DSC, moins les dotations d’État versées au groupement sont importantes. Là encore, cette incitation financière ne sera pas suffisamment contraignante pour réduire les redistributions vers les communes. En témoignent les observations effectuées entre 2007 et 2009 par les Chambres régionales des comptes indiquant que les retours financiers vers les communes sont toujours substantiels, notamment par l’intermédiaire de la DSC [24].
Ces ajustements réguliers font qu’actuellement les élus locaux disposent d’un cadre normatif malléable et peu stabilisé [25]. L’analyse micro-sociologique des usages locaux de la DSC permet de montrer que la plasticité de ce dispositif, loin d’ouvrir l’accès de tous à la décision, crée une division entre les élus susceptibles d’en maîtriser la complexité. Cet instrument est capté par un nombre réduit d’acteurs qui, en se l’appropriant et en en définissant les contours, tendent à en imposer les formes. Mais c’est surtout par la force de la routine que cet outil s’impose et, avec lui, la représentation de l’ordre communautaire qu’il véhicule.

L’inégale distribution de la maîtrise de l’instrument

7Les discussions locales sur la définition de la DSC concernent des cercles décisionnels relativement restreints, comme le souligne un vice-président aux finances d’une communauté de communes insistant sur l’inégale distribution de la maîtrise de l’instrument DSC parmi les élus : « Je ne suis pas sûr que tout le monde maîtrise bien ces choses-là. La machine avance sur des rails. On ne se pose pas de question. Les membres de la commission connaissent mieux ça que la moyenne, on en parle dans les réunions de maires. Tout le monde dit : on fait confiance. Après ça devient trop technique : je n’en parle pas dans mon conseil municipal [26]. » En effet, le personnel politique formé et informé se limite dans de nombreux cas au président de la communauté, au vice-président en charge des finances et éventuellement aux membres les plus motivés et/ou compétents de la commission des finances. Cette inégale distribution dans les capacités des élus à domestiquer le dispositif est associée, pour partie, aux ressources d’expertise qu’ils sont susceptibles de mobiliser. Les connaissances, savoirs et expériences accumulés leur permettant de saisir et de se saisir du dispositif sont liés à leur expérience politique et institutionnelle. L’ancienneté dans la carrière politique et dans les responsabilités intercommunales, l’assiduité dans les commissions, en particulier celle des finances, dotent certains élus de compétences spécifiques pour traiter ce type de dossiers. Une autre forme d’accumulation de compétences techniques, plus rare, renvoie à l’expérience professionnelle. Certains élus exercent ou ont exercé un métier (cadre financier, directeur d’administration par exemple) qui les familiarise au « jonglage avec les chiffres ». Outre ce cercle très restreint d’élus [27], sont régulièrement associés à la définition de la DSC des professionnels possédant une expertise technique dans le domaine fiscal et financier. Il peut s’agir d’une expertise interne comme celle détenue, dans les communautés rurales, par le directeur général des services [28] ou bien celle des services financiers, souvent étoffés, dans de plus grandes communautés [29]. La réponse du maire d’une commune périurbaine (3317 habitants), agriculteur à la retraite entrant dans son second mandat, est tout à fait significative de l’ignorance dans laquelle sont placés certains élus. Il hésite sur la définition de la DSC : « Alors cette dotation… Elle est un peu… C’est par rapport à la TP qu’elle est distribuée. Je crois qu’il y a quatre ou cinq critères. Le directeur des services sait tout ça beaucoup mieux que moi. Je vais lui demander de venir [30]. » Enfin, l’expertise peut être également d’origine externe. Ponctuellement, des cabinets privés spécialisés ou des institutions publiques de conseil [31] comme les agences d’urbanisme peuvent être consultés.

8Pour autant, même si la maîtrise de la DSC relève d’un cercle limité d’acteurs « initiés », la relation n’est pas mécanique et directe entre capital d’expertise et participation au montage du dispositif. Aux élections municipales de 2008, un expert-comptable de 49 ans a été élu pour la première fois maire d’une commune de 2544 habitants, membre d’une intercommunalité de 25 687 habitants. Mobilisant ses connaissances en finances locales liées à son parcours professionnel, ce nouvel entrant dans le système intercommunal a très rapidement manifesté son intérêt pour les mécanismes de répartition de la TP en général et de la DSC en particulier. Il a demandé à la communauté de communes des bilans comptables : « Les chiffres, on ne les avait pas. Je suis allé à la pêche, je me suis un peu battu avec la communauté de communes pour les obtenir [32]. » Après analyse, il a construit un discours contestataire et critique sur les critères retenus trop défavorables à sa commune : « J’ai soulevé un problème. Il y a un discours à la communauté de communes pour dire que la redistribution de la TP sous forme de DSC doit être favorable aux petites communes. Je n’ai pas de problème avec ça. Là où je ne suis pas spécialement d’accord c’est quand je vois le cas de la commune centre qui bénéficie, j’ai fait le calcul [le maire regarde alors ses documents comptables]…, on leur rend 82 % de ce qu’ils donnent. Ces critères ne sont pas favorables à ma commune qui ne revoit que 71 % de ce qu’elle donne. Ces critères sont à revoir. » Mais récemment élu, nouvel entrant dans l’espace intercommunautaire et éloigné des réseaux de pouvoir qui le contrôlent, cet élu ne réussit pas à se faire entendre. Comme il le précise : « Pour faire changer les critères il faut analyser les gains et les pertes de chacun. Après, il faut une volonté politique [ici, l’élu cite le nom du président de la communauté de communes et de trois membres du bureau], on les appelle les quatre mousquetaires. Ce sont ces gens-là qui ont les retours les plus importants. Ils sont très bien placés pour obtenir quelque chose sur leur territoire. » Si son cas illustre combien une compétence fiscale et financière doit se doubler d’un capital politique pour être entendue et reconnue au sein de l’espace intercommunautaire, il reste qu’il met également en évidence comment l’instrument rend plus apparent qu’auparavant le problème de la « justice spatiale » et favorise la technique de la comparaison entre municipalités. C’est que joue ici la conduite particulière des élus locaux portés à une vigilance stratégique, même chez les plus petits d’entre eux, sur les questions financières.

9De même que le savoir n’implique pas nécessairement la participation au pouvoir, la délégation de la décision aux acteurs les plus compétents en matière financière n’implique pas une soumission inconditionnelle à leur pouvoir d’expert. Certaines solutions contrariant trop fortement les intérêts municipaux peuvent être évacuées du fait de leur inacceptabilité politique. Dans une communauté d’agglomération de 354 660 habitants, les conclusions d’un cabinet privé présentées par le président n’ont pas été suivies par les maires : « Une des propositions du cabinet, c’était d’arrêter la DSC ! C’était sûrement pertinent d’un certain point de vue, mais ça ne pouvait pas être accepté par les communes [33]. » De la même façon, la confiance que les maires accordent au président et au vice-président chargé des finances est fortement ébranlée si le montant dévolu aux communes au titre de la DSC commence à décliner ou si une commune est considérée comme trop gagnante dans la répartition des fonds redistribués. Des déséquilibres trop flagrants peuvent même ouvrir sur une contestation du leadership communautaire. C’est ce dont témoigne le cas d’une communauté de communes de 24 984 habitants où un front alternatif au président de la communauté, maire de la commune centre, a été constitué au motif qu’il ne respectait pas des principes équitables dans la redistribution des ressources financières. Ce front, qui tirait partie de ces déséquilibres pour mobiliser les maires de communes périphériques au nom d’une inégalité de traitement, a réussi à faire changer la présidence : « Il y avait plusieurs aspects. Le premier aspect, c’est qu’incontestablement l’ancien président favorisait d’une manière assez anormale quand même sa propre commune au détriment des autres. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les investissements qui ont été faits sur sa commune, pour voir la différence. J’avais fait le ratio de ce que recevait sa commune par rapport à son nombre d’habitants. Ils arrivaient très, très largement en tête [34]. »
Tout comme la détention d’une compétence financière qui accorde à un nombre restreint d’élus la possibilité de définir la DSC, les capacités offertes aux élus d’imposer une révision du dispositif retenu sont circonscrites par la réalité de la configuration locale dans laquelle elles s’inscrivent. Si, dans la plupart des cas, les maires des communes qui connaissent un fort dynamisme économique, c’est-à-dire celles qui ont à la fois le plus à partager et le plus à perdre dans la répartition de la TP, disposent d’un poids prépondérant dans la révision de la DSC, c’est avant tout dans la manière dont une configuration spatialisée de répartition de la richesse est investie par des alliances entre intérêts municipaux que se reconstruisent les principes de répartition de la richesse sur le territoire intercommunal. Le cas de l’entrée d’une commune relativement favorisée du point de vue de sa richesse économique dans une communauté d’agglomération de 354 660 habitants est tout à fait révélateur de cette logique. Cette commune de 4085 habitants accueille sur son territoire deux très grandes entreprises de microélectronique qui, à elles seules, fournissent près de 40 % du produit de TP de l’ensemble de la communauté. Dans le cadre du Fonds Départemental de Péréquation de la Taxe Professionnelle, une partie de ces ressources est redistribuée à l’échelle départementale via un mécanisme d’écrêtement qu’il est prévu de compenser en l’intégrant dans le calcul de la DSC. L’utilisation de ce mécanisme est néanmoins plafonné : le montant de la DSC versé à chaque commune ne doit pas dépasser 2,5 fois la moyenne communautaire. Au cours des négociations d’adhésion, la commune entrante [35] n’a réussi à obtenir qu’un relèvement très minime de ce plafond : « Le plafond a été augmenté de 2,5 à 2,6 : c’est symbolique. C’est ridicule. Ce n’est pas sérieux. On a la zone d’activité la plus dynamique de la communauté d’agglomération ! Quand on apporte 20 millions d’euros de plus en produit de TP, on touche seulement 20 000 euros de DSC supplémentaire [36]. » Des contraintes, à la fois administratives et politiques, ont fortement limité les marges de négociation de cette commune pourtant relativement bien dotée en ressources fiscales : « On ne pouvait pas rester seul. C’était une volonté du préfet. On a été un peu poussé pour rentrer dans la communauté d’agglomération. En outre, le maire de la commune était ami avec l’ancien maire socialiste […], ce qui a contribué au rapprochement [37]. » La configuration locale et les alliances nouées autour du leadership communautaire peuvent même parfois contribuer à marginaliser des communes riches. Dans une autre communauté de 25 687 habitants, des alliances entre petites communes contre la commune la plus riche [38] en TP a permis de définir une DSC beaucoup plus favorable aux plus faibles contributeurs.
Plus qu’être explicable par des variables dépendantes clairement identifiables [39], l’application locale de la DSC reste avant tout le produit de jeux et d’enjeux qui s’inscrivent dans des configurations de pouvoir localisé. Son montant et sa forme (critères, pondérations), qui se définissent essentiellement à des moments charnières de la trajectoire intercommunale (passage à la TPU, entrée d’une nouvelle commune dans l’EPCI, changement de présidence, intégration de nouvelles compétences), constituent le produit d’une négociation entre des acteurs aux ressources certes inégalement distribuées, mais sans pour autant que les détenteurs d’une expertise technique imposent unilatéralement leurs décisions à des maires passifs ou soumis. L’ordre communautaire est un « ordre négocié » où le pouvoir politique est contraint aux marchandages et ce d’autant plus que l’instrument financier par lequel il s’exerce donne à voir de façon objective les modes de gouvernance à l’œuvre dans les décisions prises en matière de répartition des richesses (ce qui peut, comme on l’a vu, équiper des frondes ou des contestations). Une fois adopté, l’instrument DSC génère encore d’autres effets qui lui sont propres, notamment des effets de dépendance forcée et d’acceptation plus ou moins contrainte et implicite à l’ordre constitué.

La DSC, un instrument d’acceptation de l’intercommunalité

10Avec le mécanisme de redistribution contenu dans la DSC, les communes sont, en effet, placées dans une situation de dépendance par rapport à l’intercommunalité et ce d’autant plus qu’elles sont faiblement dotées en ressources financières. La DSC joue un rôle d’intégration à l’ordre communautaire, les communes les moins dotées ne pouvant plus se passer des ressources ainsi distribuées à partir desquelles les maires bâtissent leurs prévisions budgétaires. Elle tend alors à être perçue par ces communes relativement pauvres à la fois comme un dû et comme une nécessité. Comme le dit cet expert-comptable, maire d’une commune de 2544 habitants pour la première fois élu : « On s’habitue trop aux recettes [40]. » Plus encore, la relation de dépendance est renforcée lorsque les critères de la DSC sont favorables à ce type de commune. Dans une communauté de communes rurales de dix-huit communes et 25 687 habitants, le bourg-centre (6890 habitants) accueille la plus grande partie des entreprises locales et donc du produit de la taxe professionnelle. Le reste de la population est réparti entre trois communes qui comptent environ 2000 habitants et quatorze municipalités se situant entre 1500 et 500 habitants. Politiquement, la communauté de communes est structurée autour d’une alliance des communes les moins peuplées et les moins riches contre la commune centre. Comme le relève le président de cette intercommunalité : « Ici, il y a une grosse disparité de tailles et de richesses. On connaît des difficultés de rivalité entre la commune centre et les communes autour, c’est un peu la guerre. Et donc on n’a jamais eu de président qui était maire de la commune centre [41]. » Non seulement, le président n’est pas issu de la ville-centre, mais il dirige une commune de moins de 1500 habitants, ce qui est souligné par la maire d’une commune de 1132 habitants, agricultrice engagée dans un troisième mandat d’élu local : « Je fais confiance à mon président. J’ai peut-être tort. Depuis qu’il est là, ça a bougé et il est comme nous, c’est le maire d’une petite commune. Si l’intercommunalité tape sur les petites communes, ça pénalise la sienne [42]. » Ce rapport de force favorable aux communes relativement « pauvres » et peu peuplées se traduit dans la définition des clefs de répartition de la DSC. La dotation est divisée en deux parts. La première consiste à répartir les montants identiques à ceux distribués en 2001, au titre d’un mécanisme de péréquation de la TP qui existait avant le passage à la TPU. La part restante est répartie selon trois critères : dans un premier temps, 1 % de la somme restante est distribuée à chaque commune. Le solde est réparti à 50 % en fonction de la population des communes et à 50 % en fonction de la population corrigée par l’inverse de la richesse financière. Le critère du 1 % traduit la place qu’occupent les communes faiblement dotées en ressources fiscales dans cette configuration socio-politique spécifique. Cette clé de répartition leur est particulièrement favorable : elle distribue une part égale de DSC à toutes les communes quelles que soient leur population et leur contribution à l’effort d’attractivité économique. En 2009, le pourcentage de cette clé a été porté à 2 %, signe de la volonté de la présidence communautaire d’aller encore plus loin dans l’aide aux petites communes. De fait, les communes de moins de 1500 habitants ont vu leurs ressources augmenter par rapport aux sommes qui leur auraient été attribuées si les critères de répartition étaient restés inchangés [43]. Comme le précise la maire agricultrice précédemment citée : « Cette augmentation a été faite surtout pour aider les petites communes de moins de 1500 habitants. La communauté de communes ne va pas faire de zones industrielles dans les petites communes, mais elle aide les petites communes d’une autre façon, en augmentant la DSC ». Le montant des fonds ainsi distribués peut sembler modeste (4934 euros en 2008 pour chacune des communes), mais pour celles dont les budgets sont réduits, cet apport de près de 5000 euros n’a rien de négligeable.

11Ces redistributions ne sont pas sans conséquence sur la relation que ces petites communes entretiennent à l’intercommunalité. Plus les élus des petites communes obtiennent des financements via à la DSC, plus ils s’y accoutument et plus ils renforcent le lien de dépendance qui les relie à l’ordre intercommunal. Pour le dire autrement, leur dépendance à l’instrument va croissant, comme l’illustrent ces déclarations : « Ce ne sont pas des sommes très importantes, mais ça nous permet de réaliser certains équipements. On court toujours derrière les financements et là c’est assuré [44]. » « Notre DSC, c’est 22 000 euros en 2008 sur un budget d’investissement d’environ 400 000 euros. Mais ce qu’il faut noter, c’est qu’elle a toujours augmenté depuis six ans. Au début, on avait environ 8000 euros. Elle a plus que doublé. C’est pas mal comme progression [45]. » « En 2008 [le maire consulte un document comptable], la DSC représente 548 697 euros pour un budget d’investissement de 2 390 000 euros. Pour nous, c’est important. C’est presque le quart de nos possibilités d’investissement [46]. »

12En outre, cette dépendance financière peut dans certains cas être redoublée d’une perte d’autonomie politique lorsque les critères de répartition de la DSC intègrent des incitations ciblées sur des domaines particuliers de l’action publique. En effet, la DSC peut être conçue de façon à stimuler certaines politiques au niveau municipal et amener les communes aux budgets les plus serrés à se conformer aux objectifs impulsés par l’intercommunalité : actions en faveur de l’accueil des gens du voyage ou construction de logements sociaux ou encore politiques d’accueil à la petite enfance. Ici, la DSC agit comme un outil visant l’intégration des choix intercommunaux dans les politiques municipales et permettant à l’intercommunalité de passer outre le blocage à l’adoption de nouvelles compétences par certaines communes. Là encore, l’effet d’imposition est d’autant plus fort que les communes sont faiblement dotées financièrement. Comme le précise le maire d’une petite commune rurale récemment élu : « Moi, je respecte le travail fait par l’intercommunalité. Avec les nouveaux critères [47], on s’ajuste. Ces critères, on les a intégrés dans notre campagne électorale. Donc, si on fait notre boulot, notre DSC va augmenter [48]. » Pour un autre élu de la même communauté de communes, l’introduction de ces nouveaux critères a été défavorable. Aussi, envisage-t-il de s’engager dans une politique plus conforme aux attentes de l’EPCI : « Avec l’introduction des nouveaux critères, en 2007, on a perdu environ 4000 euros. Avec le conseil municipal, on a décidé, mais ce n’est pas seulement à cause de la DSC, de plus s’engager dans des actions en faveur de l’enfance [49]. » Les communes les plus riches disposent, quant à elles, du fait de leur relative aisance financière, d’une capacité à renoncer à augmenter leur DSC et donc à ne pas suivre la direction indiquée par les incitations intercommunales, même s’il est difficile symboliquement et politiquement, de présenter des recettes à la baisse.

13La DSC contribue néanmoins de façon ambivalente à la constitution d’un ordre communautaire. Même si cet instrument participe à la consolidation de l’intercommunalité, elle en fige également les contours dans la mesure où les sommes attribuées aux communes ne peuvent être affectées à des politiques ou actions communautaires. Ainsi, à ressources financières communautaires données, la montée en puissance de l’EPCI via la prise en charge de nouvelles compétences entre en contradiction avec le maintien de la redistribution financière contenue dans le principe de DSC. L’ordre communautaire est en quelque sorte prisonnier d’un instrument qui le conforte. Tant que les ressources financières de l’EPCI se maintiennent ou surtout augmentent, celle-ci peut mener ses propres politiques tout en aidant les communes. En revanche, qu’elle soit liée à la moindre dynamique de la taxe professionnelle, aux dotations d’État moins généreuses ou encore à de nouveaux transferts de compétences des communes vers l’EPCI, toute dégradation des marges de manœuvre financières remet en question la situation préalablement définie et les concurrences sont réactivées. Redéfinir la stratégie de répartition ou modifier la DSC n’est pas chose aisée, comme en témoigne l’exemple de cette communauté d’agglomération de 354 660 habitants. À l’origine, le caractère souple de l’instrument DSC a été un élément fondateur du pacte intercommunal : « À la différence de l’attribution de compensation qui est très encadrée, qui est figée, qui est calculée à un temps “t” » et qui ne bouge plus, la DSC présente, elle, une souplesse d’utilisation beaucoup plus grande. Donc, effectivement, cet outil DSC a été utilisé pour attirer les communes. C’était un argument fort notamment par rapport à des communes qui se développaient en créant des infrastructures économiques. Ces communes ne voulaient pas perdre les retombées de ces investissements. C’était le cas dans notre commune. On nous a expliqué que la DSC pouvait servir à assurer une forme de retour sur investissement pour la commune, puisqu’on avait investi dans une zone d’activités communale [50]. » L’usage de la DSC, pour amortir les redistributions financières liées à la mise en commun de la TP était d’autant plus aisé que la communauté d’agglomération disposait de marges de manœuvre budgétaires confortables : « Au démarrage de la communauté, l’exercice des compétences communautaires se réduisait au traitement des déchets et à quelques réhabilitations de zones d’activités, quelques actions dans le domaine de la culture et c’est à peu près tout. L’exercice de ces compétences ne nécessitait pas des financements tels qu’ils consommaient la totalité des marges de manœuvre. Il restait donc de l’argent, un montant significatif, qui a été redistribué par le biais de la DSC tout simplement [51]. » Cependant, la montée en puissance de l’intégration communautaire (construction d’équipement, transferts des nouvelles compétences, embauche de personnels, etc.) a peu à peu restreint les possibilités financières de redistribution : « On a la conjonction d’un certain nombre de facteurs qui font que nos perspectives budgétaires sont actuellement moins favorables. On a maintenant la charge des équipements créés pendant la mandature. Nos dépenses de fonctionnement ont fortement augmenté. Et nos recettes seront certainement moins évolutives que par le passé. On a des incertitudes sur quelle sera la ressource qui va remplacer la TP [52]. » La DSC, autrefois instrument de mobilisation et de liaison intercommunautaire du fait de sa souplesse d’usage, devient de facto dans ce contexte une entrave au bon fonctionnement intercommunal ; c’est que les élus, attachés aux recettes qui leur permettent d’agir sur leur territoire et de se montrer auprès des habitants comme un bon défenseur de leurs intérêts, refusent de revenir sur les montants qui leur sont alloués. Les plus politiques d’entre eux anticipent très largement ces réactions qu’ils perçoivent comme un véritable risque politique collectif comme le donne à entendre cette déclaration d’un conseiller en gestion d’entreprise, maire d’une commune de plus de 5000 habitants depuis cinq mandats, vice-président de la communauté de communes et vice-président du Conseil général : « J’ai tiré la sonnette d’alarme plusieurs fois notamment par rapport aux frais de personnel. On a gonflé les services pour faire des belles opérations, de beaux projets et aujourd’hui on se rend compte qu’on a beaucoup de personnel et donc des charges de fonctionnement lourdes. Cela aboutit à nous mettre en difficulté. Si on en arrivait à faire baisser la DSC, ce serait la révolution dans la commune. On ne peut pas supporter de diminution de la DSC. On serait “très mal” en ce qui concerne nos budgets communaux. On a des charges incompressibles. Donc, je pense et j’espère qu’on ne touchera pas à la DSC [53]. » Pour autant, l’éventuelle baisse de la DSC ne représente pas une menace équivalente pour toutes les communes. Les principales victimes d’une diminution de la DSC seraient les petites communes de l’intercommunalité, pour qui la DSC représente une ressource budgétaire non négligeable : « Dans notre DSC, il y a un volet de solidarité par rapport aux petites communes qui n’avaient pas ou peu de produit de TP. Elles sont avantagées par les critères. Cela représente certes des petites sommes : ça ne pénalise pas des grosses communes. Mais pour beaucoup de petites communes, ça a été un bol d’air, un ballon d’oxygène par rapport à leurs ressources », poursuit cet élu.
Le cas d’une autre communauté de communes rurale de 24 984 habitants illustre également la difficulté à modifier la DSC, les maires intégrant les montants précédemment obtenus dans leurs projections budgétaires : « À partir du moment où on a fait un effort de redistribution par la solidarité, chaque commune, l’année suivante, s’attend à recevoir une dotation de solidarité au moins aussi importante que celle qu’elle a reçue l’année dernière. Elle le prévoit à son budget. Et elle prévoit aussi, je dirais, des actions en fonction de ces ressources qu’elle s’attend à recevoir [54]. » Dans cette communauté de communes, l’augmentation régulière du montant redistribué constituait un dispositif d’évitement des conflits : « Sous le mandat précédent, régulièrement on se disait qu’il fallait revoir les critères de répartition. Et puis avec ces critères, il y en a toujours certains qui gagnent plus et certains qui gagnent moins. C’est toujours comme ça. Pour acheter la paix, le principe était toujours d’augmenter le volume réparti. Comme ça, personne ne perdait en valeur absolue. Mais tout ça contribuait à augmenter le volume distribué. Cela faisait un débat pervers parce que les gens venaient à la discussion non pas sur les principes, car peu importe les principes du moment que je gagne plus. Pour échapper à cette perversité-là, et je peux le comprendre, l’idée était de distribuer plus pour mettre tout le monde d’accord [55]. » Selon le maire d’une petite commune membre de cette intercommunalité et vice-président en charge de l’environnement, la DSC était le cœur d’une stratégie politique visant à contenter les élus municipaux en échange de leur bienveillance ou leur silence sur la politique intercommunale d’équipement très favorable à la commune centre : « Je ne voudrais pas employer le mot “acheter les gens”, mais c’est ça. Les élus ont été achetés. Et comme les maires étaient à peu près tous de la même génération, ça marchait. Finalement la situation convenait à tout le monde [56]. » Mais, confronté à un CIF très dégradé, le nouveau président de la communauté de communes, arrivé au pouvoir en 2008, veut changer la donne en baissant les montants de DSC versés jusque-là aux communes. Pour convaincre les élus de jouer le jeu, il est contraint de mettre en avant de nouvelles contreparties : la prise en charge de compétences nouvelles par l’intercommunalité comme la petite enfance et l’intensification des aides directes aux équipements communaux jusqu’ici relativement marginales. La stratégie déployée a été prudente afin d’éviter les conflits et a joué sur les attentes des élus. Dans un premier temps, il fait voter un budget où figure une diminution de 5 % du volume de la DSC par rapport à l’année précédente, mais après avoir initialement proposé en commission des finances de diminuer de 10 %, en sachant pertinemment que la proposition ne passerait pas. La tactique était de se créer ainsi une marge de négociation. Selon le maire d’une petite commune membre de cette intercommunalité : « Le président voulait plus de 5 %. Moi, je n’étais pas prêt à lâcher plus, je ne peux me permettre de trop diminuer ma DSC. Je ne veux pas perdre toute capacité d’investissement. Il avait proposé autour de 10 %. Mais il savait que ça ne serait pas passé. C’est de la stratégie. Là-dessus c’est un fin stratège [57]. » Dans un second temps, le président a cherché à préparer les esprits des élus en déclarant souhaiter rééditer chaque année cette baisse de 5 % de la DSC. L’initiative a été présentée lors du débat d’orientation budgétaire avec une simulation d’une baisse annuelle de 5 % jusqu’en 2014. Mais ce débat n’avait aucune valeur d’engagement, il s’agissait là d’une démarche incrémentale assumée visant à construire, pas à pas, l’acceptabilité du changement. « Je n’ai pas voulu faire de rupture brutale. Sinon, je me faisais allumer en vol au bout de trois mois », avoue-t-il, révélant ainsi combien il lui a fallu créer les ressources de son pouvoir pour imposer un nouveau point de vue « communautaire ».
Dans une autre communauté de communes rurale de 25 687 habitants, la croissance des ressources fiscales liées à la taxe professionnelle a longtemps permis de mener de front une stratégie de redistribution croissante de financements vers les communes et une politique de transfert de compétences vers le niveau intercommunal. De 2002 (passage en TPU) à 2008, le montant global versé aux communes par l’intercommunalité au titre de la DSC a augmenté de 20 % par an et est passé de 387 000 euros en 2002 à 785 000 euros en 2008. À partir de 2009, l’augmentation a été limitée à 15 % afin de dégager des ressources budgétaires supplémentaires pour permettre à l’EPCI de prendre en charge la compétence « Jeunesse » récemment déléguée à l’échelon intercommunal. Le président et les services communautaires auraient d’ailleurs souhaité aller beaucoup plus loin dans ce mouvement à la baisse. Cependant, et même si la malléabilité technique de l’outil DSC le permettait, une telle possibilité n’entrait pas dans l’horizon des choix politiquement acceptables localement, tant une augmentation importante du montant de la DSC était considérée par les communes membres comme un acquis. Le président le précise : « Cette année, on a baissé la DSC. On ne l’a augmentée que de 15 % mais les maires avaient pris l’habitude que l’on augmente de 20 % chaque année. Les communes attendent beaucoup du retour du développement économique. On a beau leur expliquer que ce n’est pas bon pour nos finances, les maires ont eu du mal à accepter cette baisse [58]… » L’accord sur une baisse du rythme d’augmentation n’a été possible que grâce à la mobilisation des services administratifs qui ont fait la démonstration technique des conséquences de l’augmentation du montant affecté à la DSC sur le CIF et donc d’une baisse des sommes versées par l’État via la DGF à l’EPCI. Parallèlement, des compensations ont été mises en place : par exemple, la prise en charge par l’intercommunalité des coûts liées à la politique jeunesse qui se substitue partiellement aux financements directement versés aux communes [59]. Selon la directrice générale des services de cette communauté de communes : « Les élus sont désormais conscients du problème. On a commencé déjà à réduire leur demande d’augmentation de la DSC car nous sommes en train de prendre des compétences et des charges qui s’alourdissent. Il faut qu’on mette en parallèle les rentrées et les charges pour qu’ils comprennent que nous, communauté de communes, on a besoin de se préserver une enveloppe pour fonctionner et qu’on mette en parallèle les investissements que l’on va réaliser sur le territoire. C’est un peu la condition pour qu’ils disent OK. On va réduire un peu la DSC, mais en leur montrant qu’il y a des actions communautaires qui seront réparties sur tout le territoire [60]. »
Il semble ainsi que les changements en matière de DSC ne soient acceptables que dans la mesure où ils s’inscrivent dans une économie du don et du contre-don [61]. Dans ce type d’économie, le fait de recevoir implique, de manière implicite, l’obligation de donner en retour. Tout se passe comme si le fait de recevoir les produits de la taxe professionnelle, autrefois versés aux communes, obligeait les structures intercommunales à effectuer un geste en retour vers les communes membres par l’intermédiaire de la DSC. Toucher au montant de la DSC implique de présenter d’autres formes de compensation pour préserver l’économie du don qui fonde l’ordre intercommunal. Cependant, ceci ne signifie pas que les structures intercommunales réceptrices soient dominées par les communes donatrices. En effet, le don en retour (la dynamique de la TP reversée sous forme de DSC) crée lui-même une dépendance municipale à l’intercommunalité, les communes comptant sur les contributions financières intercommunales pour mener à bien leurs projets. Cette économie du don contribue ainsi à tisser un réseau d’interdépendances complexe entre communes membres et structure intercommunale, réseau d’interdépendances qui constitue la base d’un nouvel ordre institutionnel local : l’ordre communautaire.

Conclusion

14Le redéploiement de l’intercommunalité française amorcé au début des années 1990 s’inscrit dans une orientation politique qui cherche à rationaliser l’action publique communale en définissant de nouvelles institutions, mais aussi en produisant de nouveaux instruments fiscaux ou financiers susceptibles d’améliorer l’efficacité des politiques publiques locales [62]. S’il est possible de considérer que cette évolution récente de l’intercommunalité participe des mêmes logiques et des mêmes justifications que celles analysées par Philippe Bezes pour l’administration d’État [63], en revanche, tout tend à montrer que les orientations prises dans ce domaine sont très loin de vérifier la thèse selon laquelle les territoires locaux seraient confrontés à une réaffirmation de l’emprise de l’État [64]. Loin d’être un « pilotage à distance », en matière de réformes intercommunales, il semble que nous soyons plutôt confrontés à un « pilotage à vue » tant les ajustements sont permanents. Les évolutions législatives de l’instrument DSC en sont un exemple particulièrement significatif. Cette soft law contribue à faire des intercommunalités des institutions qui sont réappropriées et investies par les maires. Localement, les communautés, plus que de s’imposer aux municipalités, prennent essentiellement la forme d’agences de moyens domestiquées par les maires [65]. Cette orientation municipaliste tend à transformer les EPCI en de nouveaux espaces de marchandage structurés autour de la captation de ressources par les municipalités. Cependant, on l’a vu, selon la place occupée par les élus dans la configuration de pouvoir formée par les liens d’interdépendance que construit la participation à l’action intercommunale, les possibilités offertes d’imposer leurs points de vue et leurs orientations politiques sont très variables. Traiter des redistributions financières intercommunales à travers l’instrument DSC revient, en mettant au jour la nature des rapports de force qui se jouent au sein des espaces intercommunautaires, à montrer également comment l’intercommunalité s’impose aux élus locaux. En laissant de grandes marges de manœuvre aux acteurs locaux, les dispositifs législatifs contribuent non seulement à favoriser l’acceptation du fait intercommunal mais aussi à reproduire des systèmes de domination préexistants localement voire à les renforcer dans la mesure où les élus qui représentent les communes relativement les moins dotées financièrement deviennent de plus en plus dépendants d’un ordre communautaire sur lequel ils n’ont finalement qu’une faible prise. Pour le dire autrement, dans l’économie du don et du contre-don qui organise les relations entre les communes et les intercommunalités, pour les maires qui occupent les positions les plus faibles l’obtention de financements supplémentaires pour leur commune via les outils de redistribution financière mis à disposition par l’intercommunalité ne semble pouvoir s’opérer qu’au prix d’une perte d’une grande partie de leur autonomie politique.

Notes

  • [1]
    Sur ces points, Lascoumes (P.), Le Galès (P.), dir., Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2005 ; Crespin (R.), « Quand l’instrument définit les problèmes. Le cas du dépistage des drogues dans l’emploi aux États-Unis » et Zittoun (Ph.), « Entre problème, public et instrument, les enjeux d’un agencement cartographique », in Gilbert (Cl.), Henry (E.), dir., Comment se construisent les problèmes de santé publique, Paris, La Découverte, 2009.
  • [2]
    Entre 1993 et 2009, le nombre de structures intercommunales à fiscalité propre, c’est-à-dire les établissements les plus stratégiques pour les élus, est passé de 466 à 2601. Soit initialement 5071 communes concernées et 16 millions d’habitants pour atteindre, en 2009, 34164 communes et 56,4 millions d’habitants. (Source : ministère de l’Intérieur/DGCL.)
  • [3]
    Le Saout (R.), « L’intercommunalité, une strate politique pertinente ? », in Bidégaray (C.), Cadiou (S.), Pina (C.), dir., L’élu local aujourd’hui, Grenoble, PUG, 2009 ; Boino (P.), « Logique de champ et intercommunalité », in Boino (P.), Desjardins (X.) dir., Intercommunalité : politique et territoire, Paris, La Documentation française, 2009 ; Desage (F.), Le « consensus » communautaire contre l’intégration intercommunale, thèse de doctorat en science politique, Université Lille 2, 2005 ; Le Lidec (P.), Les maires dans la République. L’association des maires de France, élément constitutif des régimes politiques français depuis 1907, thèse de doctorat en science politique, Université de Paris 1, 2001 ; Gaxie (D.), « Les chemins tortueux de l’intercommunalité », in Le Saout (R.) dir., L’intercommunalité Logiques nationales et enjeux locaux, Rennes, PUR, 1997 ; Le Saout (R.), Intercommunalité, démocratie et pouvoir politique. Pour une analyse sociologique des enjeux politiques contenus dans les dynamiques intercommunales, thèse de doctorat de sociologie, Université de Nantes, 1996.
  • [4]
    Les propos tenus par Brice Hortefeux alors ministre délégué aux Collectivités territoriales lors de son intervention le 28 septembre 2006 à la VIe Conférence de l’association des maires des grandes villes de France sont particulièrement révélateurs de ce point du vue. « L’intercommunalité est quantitativement un succès. Persuadé qu’elle est l’élément structurant de la France de demain, le ministre d’État et moi-même avons donné de nouvelles instructions aux préfets afin de répondre aux trois critiques majeures portant sur la rationalisation des périmètres, l’intérêt communautaire et la clarification des relations financières entre le groupement et les communes membres ». En 2008, Nicolas Sarkozy dans son allocution relative à l’installation du comité pour la réforme des collectivités locales reprend la même argumentation : « Les Français sont de plus en plus critiques à l’égard de la décentralisation et de l’organisation des collectivités locales. Ils trouvent d’abord que le nombre d’échelons de collectivités locales est excessif. Ils sont exaspérés par l’augmentation de la fiscalité locale et le coût croissant du fonctionnement des collectivités. Ils critiquent l’enchevêtrement des compétences, leurs multiples redondances et regrettent l’absence de responsabilités claires. La vérité, c’est que ces éléments de diagnostic, nous les partageons tous. Tous nous savons que nos collectivités sont trop nombreuses et trop petites, que le succès réel de l’intercommunalité n’a pas mis fin au nombre particulièrement élevé de communes. Tous nous regrettons la confusion des compétences, les gaspillages et les dysfonctionnements qui en résultent », Allocution de M. le président de la République, Installation du comité pour la réforme des collectivités locales, Paris, Palais de l’Élysée, 22 octobre 2008. Ce comité est plus connu sous l’appellation du Comité Balladur, Édouard Balladur en étant le président.
  • [5]
    Les EPCI à fiscalité propre sont composés des communautés de communes, des communautés d’agglomération et des communautés urbaines.
  • [6]
    En 2009, 20,5 % des EPCI français ont adopté le principe de la DSC (source : ministère de l’Intérieur, site Bantic). En 2007, en France, la DSC s’élevait à 939 millions d’euros, pour un total de reversements des communautés vers les communes de 8,5 milliards d’euros. Autrement dit, la DSC représente une part relativement modeste, mais non marginale des reversements fiscaux. Dans certaines communautés, par exemple pour la communauté d’agglomération du Pays d’Aix-en-Provence, la DSC peut représenter jusqu’à 10 % du budget total de l’EPCI (source : ministère des Finances).
  • [7]
    Cette recherche s’inscrit dans un projet collectif intitulé « Négocier la solidarité territoriale dans les intercommunalités » (SOLITER) financé par le programme « Administrer, gouverner » de l’ANR, également soutenu par la Maison des Sciences de l’Homme de Bretagne (MSHB). Il est codirigé par Matthieu Leprince et Hélène Reigner. Le travail de terrain a été réalisé entre septembre 2008 et mars 2009 selon un double protocole. Une première campagne d’entretiens menée auprès de responsables d’intercommunalités (n = 14, 12 directeurs généraux de services et 2 présidents) a permis de dégager les principales hypothèses. Une seconde phase, plus ciblée sur les communes, a été organisée afin d’étudier plus en détail les applications locales de la DSC et leurs effets. Sept communautés ont été sélectionnées : la communauté d’agglomération du Pays d’Aix-en-Provence (13), la communauté d’agglomération de Vitré communauté (35), la communauté de communes du pays de Chateaugiron (35), la communauté de communes Lamballe communauté (35), la communauté de communes Erdres et Gesvres (44), la communauté de communes de Moyenne Vilaine (35), la communauté de communes des communes du Sud-Ouest de Rennes (35). 24 entretiens ont été réalisés auprès de maires membres de ces différents EPCI.
  • [8]
    Desage (F.), Le « consensus » communautaire contre l’intégration intercommunale, op. cit. Dans ce travail, l’auteur montre avec finesse que les élus communautaires défendent avant tout les intérêts de leur commune. Les groupements ainsi domestiqués par les maires sont convertis en agences de moyens au service des communes.
  • [9]
    En 1990, le produit de la TP représentait 45,34 % des recettes fiscales des communes (source : Les collectivités locales en chiffres, ministère de l’Intérieur, DGCL, 1992).
  • [10]
    Desage (F.), Le « consensus » communautaire contre l’intégration intercommunale, op. cit.
  • [11]
    L’AC ne peut augmenter car elle n’est pas réactualisable, ni indexée. En revanche, elle peut diminuer selon trois cas de figure : lorsque de nouvelles compétences et donc de nouvelles charges sont transférées à l’EPCI, lorsque le produit de l’impôt se réduit et enfin si les communes du groupement le décident à l’unanimité.
  • [12]
    Ils peuvent également décider d’affecter totalement ou en partie ce surplus au financement de nouveaux équipements ou services intercommunaux.
  • [13]
    Alors qu’entre 1993 et 1998, les intercommunalités pouvant adopter ce régime fiscal passent de 466 à 1577 groupements, à la fin de la période, les EPCI qui vont effectivement utiliser le système de la TPU ne sont que 92, soit 5 % des EPCI français
  • [14]
    Examen du projet de loi devant le Sénat, séance du 24 avril 1999.
  • [15]
    Le potentiel fiscal mesure la richesse fiscale relative d’une collectivité. Plus précisément, le potentiel fiscal est le produit théorique que recevrait la commune si elle appliquait à ses propres bases les taux d’imposition moyens nationaux de chacune des quatre principales taxes locales : la taxe d’habitation, la taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties et la taxe professionnelle.
  • [16]
    La loi précise : « L’établissement public de coopération intercommunale peut instituer une dotation de solidarité communautaire […] en tenant compte notamment de l’importance de la population, du potentiel fiscal par habitant et de l’importance des charges de ses communes membres » (souligné par nous).
  • [17]
    Doniou (C.), La dotation de solidarité des communautés de communes à taxe professionnelle unique, Paris, Caisse des dépôts et consignations, juin 2004.
  • [18]
    C’est un jugement du tribunal administratif de Dijon qui, pour régler un contentieux lié à l’interprétation de l’adverbe « notamment », va utiliser pour la première fois le terme « prioritairement ». TA Dijon, 27 décembre 2001, Commune de Chatenoy-en-Bresse/Communauté d’agglomération Chalon-Val de Bourgogne.
  • [19]
    Question au gouvernement n° 76361, JO, 7 février 2006, p. 1337.
  • [20]
    Le Saout (R.), « Les mouvements de personnels entre communes et intercommunalités : une réalité difficilement saisissable », in Boino (P.), Desjardins (X.), dir., Intercommunalité : politique et territoire, op. cit.
  • [21]
    Thomas (O.), « Intercommunalité française et hausse de la pression fiscale : effet collatéral ou stratégie politique délibérée », Revue française d’administration publique, 127, 2008.
  • [22]
    Baudouin (P.), Pemezec (P.), Le livre noir de l’intercommunalité, Paris, 2005. Rozet (P.-J.), Communes, intercommunalités, quels devenirs ?, Paris, Conseil économique et social, Les éditions des journaux officiels, 2005. Mariton (H.), Rapport sur l’évolution de la fiscalité locale, Assemblée Nationale, n° 2436, 5 juillet 2005. Richard (P.), Solidarité et performance. Les enjeux de la maîtrise des dépenses publiques locales, Paris, Ministère du Budget et de la Réforme de l’État, décembre 2006.
  • [23]
    L’intercommunalité en France, Rapport de la Cour des comptes, novembre 2005, p. 113.
  • [24]
    Gilles (M.), Leyat (A.), « L’intercommunalité vue par les chambres régionales et territoriales des comptes », AJDA, 13 avril 2009.
  • [25]
    Certains juristes considèrent cette instabilité comme l’une des causes majeures de l’insécurité juridique de nombreuses dispositions relatives à l’intercommunalité. Brouant (J.-Ph.), dir, Intercommunalité et habitat : les communautés au milieu du gué ?, Paris, La Documentation française, PUCA, 2006.
  • [26]
    Entretien réalisé le 3 mars 2009. Ce vice-président aux finances d’une communauté de communes de 25 680 habitants est cadre financier à la retraite et maire d’une commune de 2340 habitants, actuellement dans son troisième mandat. [Toutes les données démographiques proviennent de l’INSEE – 2006.] Cette citation conforte la thèse d’A. Mévellec selon laquelle la construction de l’ordre communautaire tend globalement à renforcer la domination des maires (qui ont accès à l’information et aux cercles de décision communautaire) sur les simples membres des assemblées délibératives. Sur ce point, Mévellec (A.), La construction politique des agglomérations au Québec et en France. Territoire, gouvernement et action publique, Laval, PUL, 2008.
  • [27]
    Même s’il s’est produit depuis une trentaine d’années une élévation des conditions d’accès aux postes de maire (avec une forte progression des « cadres et professions intellectuelles supérieures »), le personnel politique local (et plus encore dans les petites communes rurales) se recrute parmi les agriculteurs, les artisans, commerçants, les professions intermédiaires, les employés et ouvriers.
  • [28]
    Sur cette fonction, cf. Burlen (K.), Thoenig (J.-C.), « Les secrétaires généraux des villes », Politiques et management public, 16 (1), 1998 ; Le Saout (R.), Olive (M.), « L’intercommunalité et les directeurs des services municipaux. Entre distanciation et engagement », Politiques et management public, 25 (2), 2007.
  • [29]
    L’accès à l’expertise est inégalement distribué entre les communes. Les communes les moins bien dotées fiscalement et/ou les moins peuplées ont généralement peu d’expertise interne. Leur administration se limite pour les plus petites d’entre elles à un simple secrétaire de mairie qui ne dispose ni du temps ni parfois des compétences nécessaires pour se consacrer aux questions relativement complexes liées à la redistribution de la TP. Ces communes n’ont pas non plus les moyens de recourir à une expertise externe souvent coûteuse. Sauf à posséder dans leur personnel politique un élu qui aurait dans son parcours professionnel acquis des connaissances et une appétence dans et pour les domaines fiscal et budgétaire, ces communes apparaissent souvent dénuées de toute capacité à mobiliser une expertise pertinente.
  • [30]
    Entretien réalisé le 3 mars 2009.
  • [31]
    En Ille-et-Vilaine, les services du Conseil Général ont joué un rôle actif de conseil auprès des intercommunalités rurales en ce qui concerne l’établissement des critères de la DSC.
  • [32]
    Entretien réalisé le 8 avril 2009.
  • [33]
    Entretien réalisé le 15 décembre 2008 avec le maire d’une commune de 4085 habitants. Cet administrateur de société est dans son troisième mandat de maire. Il est également vice-président de la communauté d’agglomération et vice-président du Conseil Régional.
  • [34]
    Entretien réalisé le 19 février 2009 avec le maire d’une commune de 1311 habitants. C’est le premier mandat de cet ingénieur en communication de 52 ans. Il est également vice-président en charge de l’environnement de sa communauté de communes.
  • [35]
    Cette commune a intégré la communauté d’agglomération en 2001.
  • [36]
    Entretien réalisé le 15 décembre 2008 avec le directeur général des services de la commune.
  • [37]
    Ibid.
  • [38]
    La présidence s’appuie sur une coalition implicite des communes périphériques contre la commune centre, la plus riche de la communauté : « Dans la tête de certains, il y a un clivage [commune centre] contre le reste de monde. Il y a presque un front des petites communes contre la grosse commune. C’est pour ça qu’on ne veut pas non plus que la présidence revienne à [la commune centre] parce que trop c’est trop ! Tous les services y sont concentrés… L’attitude de l’ancien maire de la [commune centre] a entretenu ce clivage. » Entretien réalisé le 3 mars 2009 avec le maire d’une commune de 912 habitants, président de la communauté de communes depuis 2001. Ce jeune retraité de la Fonction Publique Hospitalière (54 ans) est dans son troisième mandat de maire.
  • [39]
    À ce jour, une seule recherche menée par des économistes s’est intéressée à la DSC. Ce travail quantitatif conclut à la très forte hétérogénéité des usages locaux de la DSC, reflétant par là la diversité des modes de gestion existant au sein des intercommunalités. Guengant (A.), Leprince (M.), Ferreira (D.), Les critères de répartition de la dotation de solidarité communautaire, Rapport pour la Direction Générale des Collectivités Locales, Paris, Ministère de l’Intérieur, 2006.
  • [40]
    Entretien réalisé le 8 avril 2009.
  • [41]
    Entretien réalisé le 3 mars 2009 (cf. note 38).
  • [42]
    Entretien réalisé le 9 avril 2009.
  • [43]
    À l’inverse, les communes au-dessus de 1500 habitants sont perdantes dans cette nouvelle répartition, du moins relativement. En valeur absolue, leurs dotations continuent à augmenter, du fait de la hausse de l’enveloppe globale redistribuée mais moins vite que celles des petites communes. Cette augmentation en valeur absolue constitue une des conditions de l’acceptabilité du changement des critères de la DSC dans le jeu intercommunal : aucune commune ne voit le montant qui lui est accordé diminuer.
  • [44]
    Entretien réalisé le 9 février 2009 avec le maire d’une commune de 4601 habitants, ingénieur informaticien à la retraite de 67 ans. Il est dans son premier mandat de maire, mais dans son cinquième mandat comme élu de la commune dont trois comme adjoint. Il est en outre vice-président de la communauté de communes en charge des travaux.
  • [45]
    Entretien réalisé le 26 janvier 2009 avec l’adjoint aux finances d’une commune de 1948 habitants. Cet agent administratif dans une coopérative agricole est à la retraite depuis un an (61 ans). Il effectue son premier mandat d’élu.
  • [46]
    Entretien réalisé le 15 janvier 2009 avec le maire d’une commune de 4109 habitants. Employée à la retraite du ministère de la Défense de 55 ans, elle effectue son premier mandat de maire mais a été précédemment conseillère municipale et première adjointe.
  • [47]
    Dans le cas présent, les critères de calcul de la DSC prennent en compte l’effort communal en faveur de l’enfance et la jeunesse avec, par exemple, le potentiel d’accueil dans les haltes garderies, les heures hebdomadaire d’animateur de maisons des jeunes… Plus la commune se conforme à ces critères, plus sa DSC augmente.
  • [48]
    Entretien réalisé le 3 mars 2009 avec le maire d’une commune de 4712 habitants. Ce technicien à la retraite de 58 ans a été élu en 2008 maire, sans jamais avoir jusque-là détenu un mandat municipal.
  • [49]
    Entretien réalisé le 16 mars 2009 avec le maire d’une commune de 5868 habitants. Ce technicien à la retraite de l’éducation nationale (61 ans) effectue son premier mandat de maire après avoir été pendant six ans conseiller municipal dans l’opposition. Il est vice-président de la communauté de communes en charge des questions environnementales.
  • [50]
    Entretien réalisé le 17 novembre 2008 avec le maire d’une commune de 5183 habitants. Ce conseiller en gestion d’entreprise (58 ans) est dans son cinquième mandat de maire. Il est également vice-président de sa communauté de communes et vice-président du Conseil général.
  • [51]
    Entretien réalisé le 6 novembre 2008 avec le directeur général des services. Le DGS continue ainsi : « En outre, ici comme ailleurs, les communes qui avaient fait le choix d’intégrer une communauté de communes continuaient d’exercer leurs compétences communales et avaient besoin de financements. On sait bien que le transfert du produit de la TP a privé les budgets communaux d’une ressource beaucoup plus évolutive que la fiscalité qui restait dans le giron communal. Donc, il y avait nécessité de continuer à financer les budgets des communes ».
  • [52]
    Ibid. Le DGS fait ici allusion aux incertitudes pesant sur le remplacement de la TP dont la suppression a été annoncée par N. Sarkozy le 5 février 2009.
  • [53]
    Entretien réalisé le 17 novembre 2008.
  • [54]
    Entretien réalisé le 17 mars 2009 avec le maire de la commune centre (7100 habitants) de cette intercommunalité. Cet ingénieur de formation (62 ans), aujourd’hui à la retraite est dans son cinquième mandat.
  • [55]
    Entretien réalisé le 12 février 2009 avec l’actuel président de la communauté par ailleurs par ailleurs depuis deux mandats adjoint aux finances d’une commune de 4366 habitants, la deuxième commune la plus peuplée de la communauté.
  • [56]
    Entretien réalisé le 19 février 2009 avec le maire d’une commune de 1311 habitants. C’est le premier mandat de cet ingénieur en communication de 52 ans. Il est également vice-président en charge de l’environnement de sa communauté de communes.
  • [57]
    Ibid.
  • [58]
    Entretien réalisé le 3 mars 2009 avec le maire d’une commune de 912 habitants, président de la communauté de communes depuis 2001. Ce jeune retraité de la Fonction Publique Hospitalière (54 ans) est dans son troisième mandat de maire.
  • [59]
    Le président de cette communauté de communes se définit comme un « partisan du partage de tous les revenus que l’on peut avoir sur le territoire que ce soit sous forme de monnaie sonnante et trébuchante au travers de DSC ou sous forme d’investissements qu’il faut répartir sur le territoire et non pas concentrer sur la ville centre ». Cette distribution spatiale est vécue par le président de cette intercommunalité comme un facteur de pacification de la diplomatie intercommunale : « Cela génère de la sérénité ». Entretien réalisé le 3 mars 2009 (cf. note 55).
  • [60]
    Entretien réalisé le 27 novembre 2008. Quand on soulève la question d’une éventuelle (et hypothétique) suppression de la DSC, les élus de cette communauté de communes s’inquiètent de la manière dont elle sera compensée. Comme le dit le maire d’une commune de 2495 habitants, « supprimer ça dépend… Compenser par quoi ? » (entretien réalisé le 8 mars 2009). Si la prise en charge de compétences nouvelles peut être vue, notamment par les petites communes, comme une forme de compensation possible (une « charge en moins »), la question de la distribution spatiale des efforts communautaires en fonction du choix de la compétence déléguée est fréquemment évoquée. Ainsi, le maire d’une commune de 593 habitants se fait l’avocat du choix de la mutualisation de la compétence « voirie » qu’il juge plus équitable car plus favorable aux petites communes dépourvues d’équipements : « Si on supprimait la DSC, il faudrait élargir la compétence de la communauté de communes. Mais il faudrait trouver une compétence équitable. Il y a des communes qui ont des établissements sportifs et d’autres qui n’en ont pas. Tandis que la voirie, tout le monde en profite » (entretien réalisé le 8 avril 2009). Cet employé de la SNCF est dans son troisième mandat de maire. Il est également vice-président de sa communauté de communes en charge de l’environnement.
  • [61]
    Sur ce point, cf. Douglas (M.), « Il n’y a pas de don gratuit », in Douglas (M.,) Comment pensent les institutions, Paris, La Découverte, 1999.
  • [62]
    Kerrouche (E.), L’intercommunalité en France, Paris, Montchrestien, 2008.
  • [63]
    Bezes (P.), Réinventer l’État, op.cit.
  • [64]
    Epstein (R.), « Gouverner à distance. Quand l’État se retire des territoires », Esprit, 11, 2005 ; Epstein (R.), « L’éphémère retour des villes. L’autonomie locale à l’épreuve des recompositions de l’État », Esprit, 2, 2008 ; Epstein (R.), « La différenciation territoriale à l’épreuve des réformes néomanagériales de l’État français », Grenoble, Congrès AFSP, 2009.
  • [65]
    Desage (F.), « Un régime de grande coalition permanente ? Éléments lillois pour une sociologie des “consensus” intercommunaux », Politix, 88, 2009 ; Le Saout (R.), dir., L’intercommunalité en campagne. Rhétoriques et usages de la thématique intercommunale dans les élections municipales de 2008, Rennes, PUR, 2009.
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