Notes
-
[1]
Archives de la Commission européenne à Bruxelles (désormais CEAB) 2/321 CECA, Doc. 2/1955-1957.
-
[2]
Cf. Livre blanc sur une politique de communication européenne (p. 3) publié par la Commission en février 2006.
-
[3]
Stocking (G. W.), « On the Limits of “Presentism” and “Historicism” in the Historiography of the Behavioral Sciences » (1965), in Race, Culture and Evolution: Essays in the History of Anthropology, New York, Free Press, 1968.
-
[4]
Cf. Livre blanc…, op. cit.
-
[5]
Lascoumes (P.), « L’obligation d’informer et donc de débattre. Une mise en public des données de l’action publique », in Gerstlé (J.), dir., Les effets d’information en politique, Paris, L’Harmattan, 2001.
-
[6]
« Souvent anonyme et technique » la littérature bureaucratique sur l’État « semble n’obéir qu’à des considérations pratiques » mais « véhicule des représentations de l’État qui sont constitutives de la réalité même de l’État ». Bourdieu (P.) et al., « Sur la science de l’État », Actes de la recherche en sciences sociales, 133, 2000, p. 5.
-
[7]
Briquet (J.-L), « Communiquer en actes. Prescriptions de rôle et exercice quotidien du métier politique », Politix, 28, 1994.
-
[8]
Notre matériau d’enquête est constitué des CEAB et d’entretiens avec les « protagonistes » passés et actuels de l’EB (agents communautaires, sondeurs, etc.). Je remercie Cécile Robert, Antoine Vauchez et mes relecteurs anonymes pour leurs remarques.
-
[9]
On préférera le terme transcommunautaire au qualificatif européen qui établit une confusion entre le territoire de l’Europe politique (l’UE) et le continent géographique ou culturel.
-
[10]
Rabier (J.-R.), « La naissance d’une politique d’information sur la Communauté européenne (1952-1967) » in Dasseto (F.), Dumoulin (M.), dir., Naissance et développement de l’information européenne, Bern, Peter Lang, 1993.
-
[11]
Smith (A.), « La Commission et le “peuple”. L’exemple d’usages politiques des Eurobaromètres », in Bréchon (P.), Cautrès (B.), dir., Les enquêtes Eurobaromètres. Analyse comparée des données socio-politiques, Paris, L’Harmattan, 1998.
-
[12]
Situation où les interactants coopèrent sans appartenir aux mêmes univers professionnels, et ne sont donc pas vraiment en concurrence pour les mêmes rétributions matérielles ou immatérielles. Ils disposent de ressources en partie différenciées et sont pris dans des relations qui sont instituées (sans être toujours explicitement réglées) et contingentes à l’égard des univers d’appartenance des interactants. Cf. Elias (N.), Qu’est-ce que la sociologie ?, Paris, Pocket, 1991, p. 83 et s.
-
[13]
Elias définit la configuration comme un « modèle d’interpénétration », « un jeu à l’intérieur duquel il existe une hiérarchie de plusieurs relations » et dont l’une des « particularités structurelles » est d’établir « un équilibre fluctuant des tensions » qui le traversent (ibid., p. 154 et s.).
-
[14]
Inglehart (R.), Reif (K.), eds., Eurobarometer: The Dynamics of European Public Opinion. Essays in Honour of Jacques-René Rabier, Londres, Mac Millan, 1991 ; Bréchon (P.), Cautrès (B.), dir., Les enquêtes Eurobaromètres, op. cit.
-
[15]
Karila-Cohen (P.), L’État des esprits. L’invention de l’enquête politique en France (1814-1848), Rennes, PUR, 2008.
-
[16]
Cohen (A.) et al., « Esprits d’État, entrepreneurs d’Europe », Actes de la recherche en sciences sociales, 166-167, 2007.
-
[17]
« Rapport de l’Assemblée commune sur les relations avec la presse et l’information de l’opinion publique en ce qui concerne l’activité et les objectifs de la Communauté » (Rapporteur E. Carboni), février 1957.
-
[18]
Par un activisme très intensif (soutien à des colloques, à des revues spécialisées) qui sera prolongé par la politique européenne de la Recherche.
-
[19]
Bailleux (J.), « Comment l’Europe vint au droit. Le premier congrès international de la CECA (1957) et la naissance d’un groupe dans la construction d’une doctrine communautaire », Revue française de science politique, 60 (2), 2010.
-
[20]
Blondiaux (L.), La fabrique de l’opinion. Une histoire sociale des sondages, Paris, Éd. du Seuil, 1998.
-
[21]
Sur les catégories de sens des élites comme catégories pré-statistiques, cf. Héran (F.), « L’assise statistique de la sociologie », Économie et statistique, 169, 1984.
-
[22]
Doc. 347/54 f (lettre datée du 22 janvier 1954), CEAB 1/257 CECA.
-
[23]
« L’opinion publique et la CECA », Note confidentielle, 10 décembre 1957, Doc. 4686-57f, CEAB 3/767.
-
[24]
« Renseignements tirés des sondages sur le CECA », 29 octobre 1957, Doc. 7581/57f, CEAB 3/767.
-
[25]
Une stratégie d’information et de communication pour l’Union européenne, 2002, COM(2002) 350 final/2.
-
[26]
Desrosières (A.), La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte, 1993.
-
[27]
Visites au siège de la Commission (journalistes, dirigeants économiques, syndicalistes), conférences, réception de personnalités ; partenariats avec les milieux scolaires, subventions à des associations (Maisons de l’Europe, Comité international de formation européenne).
-
[28]
Publications pour les « publics déterminés » (écoles, universités, milieux agricoles), diffusions de films, fourniture d’émissions aux radios et télévisions, création de « symboles » et « insignes de marque communautaire ».
-
[29]
« Programme d’activité du service du porte-parole de la Haute Autorité pour l’année 1961 », 26 septembre 1960, CEAB 2/1115, Doc. 5635/60f.
-
[30]
« Résolution sur la politique d’information dans les Communautés européennes », 24 novembre 1960.
-
[31]
Manin (B.), « Le concept d’opinion publique », in Manin (B.) et al., dir., Opinion publique et démocratie, Paris, CNRS, 1987.
-
[32]
« L’opinion publique et l’Europe des Six. Une enquête internationale auprès du grand public en Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas », 1962, CEAB 2/2174.
-
[33]
Ibid., p. 3.
-
[34]
Ibid., p. 7.
-
[35]
Ibid., p. 12 et 13.
-
[36]
Publié en 1953 par les éditions de l’Université de l’Illinois (Urbana).
-
[37]
« Rapport du groupe de travail sur les sondages d’opinions courantes concernant les pays étrangers », 1956, archives de l’UNESCO.
-
[38]
« Ce que les Européens pensent des Américains », Le Courrier de l’UNESCO, avril 1952.
-
[39]
Même s’il existe d’intéressantes controverses scientifiques sur la comparabilité des opinions recueillies. Cf. Dogan (M.), Rokkan (S.), eds., Quantitative Ecological Analysis in the Social Sciences, Cambridge, MIT Press, 1969.
-
[40]
Entre autres, ce comité comprend T. H. Marshall, H. Lasswell, S. Rokkan, D. Lerner, H. Riffaut (au titre de l’IFOP) et J. Stoetzel (au titre de l’Université de Paris).
-
[41]
Barton (A.), « Paul Lazarsfeld and Applied Social Research: Invention of the University Applied Social Research », Social Science History, 3 (3-4), 1979.
-
[42]
Blondiaux (L.), « Paul F. Lazarsfeld (1901-1976) et Jean Stoetzel (1910-1987) et les sondages d’opinion : genèse d’un discours scientifique », Mots, 23, 1990.
-
[43]
Dans un cours donné en 1965 à l’Institut d’études européennes de Bruxelles, Rabier adosse son analyse des mécanismes d’opinion aux travaux de Stoetzel, Lazarsfeld et Easton. Cf. Rabier (J.-R.), « L’information des Européens et l’intégration de l’Europe », 1965 (doc. repr.).
-
[44]
Sur la base des « conclusions des experts » du sondage de 1962, le réarmement de l’action d’information proposé par la Commission opère désormais une distinction entre les « leaders d’opinion » et la « masse du grand public ». Cf. Mémorandum sur la politique des Communautés en matière d’information, 1963, COM(63).
-
[45]
« Résolution sur la politique d’information dans les Communautés européennes », 23 novembre 1962.
-
[46]
Costa (O.), Magnette (P.), « Idéologies et changements institutionnels dans l’Union européenne : pourquoi les gouvernements ont-ils constamment renforcé le Parlement », Politique européenne, 9, 2003.
-
[47]
« Une analyse multivariée des relations entre les réponses à chaque paire d’items […] qui permet de constituer des échelles hiérarchisées, composées chacune d’un ensemble d’items qui ont non seulement une corrélation significative entre eux ». Cf. « Les Européens et l’unification de l’Europe, Analyse des résultats d’une enquête menée dans les six pays de la Communauté européenne », 1972, CEAB, BAC 3/1974.
-
[48]
Dans les « Conclusions et perspectives pour l’action » (ibid.), sont désignés les « obstacles » au développement du sentiment européen : « nationalisme, ethnocentrisme, conservatisme et l’image techno-bureaucratique des réalisations actuelles ».
-
[49]
Ibid., p. 1.
-
[50]
Ibid., p. 211.
-
[51]
Ibid., p. 26.
-
[52]
Lazarsfeld (P.) et al., The People’s Choice: How the Voter Makes Up his Mind in a Presidential Campaign, New York, Columbia University Press, 1944.
-
[53]
Peters (G.), « Bureaucratic Politics and the Institutions of European Community », Sbragia (A.), ed., Euro-Politics. Institutions and Policy-Making in the “New” European Community, Washington, Brookings Institution, 1991.
-
[54]
Eymeri (J.-M.), Georgakakis (D.), « Les hauts fonctionnaires de l’Union européenne », in Belot (C.) et al., dir., Science politique de l’Union européenne, Paris, Economica, 2008.
-
[55]
« Programme d’activité d’information pour 1971 », SEC(71) 590 final, 2 avril 1971, p. 4.
-
[56]
Ibid., p. 10.
-
[57]
Membre du cabinet de Monnet à la Haute Autorité où il a en charge la presse et d’information, il dirige ensuite le SPI (1961-1967) puis à partir de 1970 la DG-X de la Commission. En janvier 1973, il doit céder son poste à un haut fonctionnaire irlandais.
-
[58]
Il collabore à la revue Esprit à la fin des années 1940.
-
[59]
Autour des travaux de K. Deutsch (Political Community at the International Level, New York, Doubleday and Co, 1954) qui portent sur l’intégration européenne (France, Germany, and the Western Alliance, New York, Schribner’s and Sons, 1967).
-
[60]
Haas (E.), The Uniting of Europe: Political, Social and Economic Forces, 1950-1957, Stanford, Stanford University Press, 1958.
-
[61]
Haas (E.), « The Uniting of Europe and the Uniting of Latin America », Journal of Common Market Studies, 5 (4), 1967.
-
[62]
Easton (D.), Framework for Political Analysis, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1965.
-
[63]
Puchala (D.), « The Common Market and Political Federation in Western European Public Opinion », International Studies Quarterly, 24 (1), 1970.
-
[64]
Lindberg (L.), « The European Community as a Political System: Notes Toward the Construction of a Model », Journal of Common Market Studies, 5 (4), 1967.
-
[65]
Inglehart (R.), « Public Opinion and Regional Integration », International Organization, 24 (4), 1970.
-
[66]
Elle quittera en 1987 l’université pour collaborer directement à l’unité EB de la Commission avant d’en prendre la direction de 1993 à 1999. Depuis 2005, elle est membre du Bureau des conseillers politiques de la Commission.
-
[67]
Alors assistant du professeur Sidjanski, Barroso sera un politiste très investi dans le réseau international des études européennes (visiting Scholar à Luxembourg puis Florence), fondant l’Association universitaire d’études européennes (1979). En 1983, il publie Le système portugais face à l’intégration européenne. Partis politiques et opinion publique, Lausanne, LEP.
-
[68]
Inglehart (R.), « The New Europeans : Inward or Outward Looking », International Organization, 24 (1), 1970.
-
[69]
Inglehart (R.), Rabier (J.-R.), « Europe Elects a Parliament: Cognitive Mobilization, Political Mobilization and Pro-European Attitudes as Influences on Voter Turnout », Government and Opposition, 14 (4), 1979.
-
[70]
En septembre 1972, les Norvégiens refusent par référendum l’adhésion à la CE ; en juin 1975, les Anglais votent le maintien de leur pays dans la CE ; en 1976, est adoptée l’élection des eurodéputés au suffrage universel.
-
[71]
Au nom de l’IFOP puis de l’institut Faits et Opinons.
-
[72]
Les données sont aujourd’hui stockées au Zentralarchiv für Empirische Sozialforschung de l’Université de Cologne. Initialement (1987), elles étaient transmises à l’Université Ann Arbor (Michigan) d’Inglehart et au Mannheimer Zentrum für Europäische Sozialforschung de Schmitt (qui abrita, avec le soutien financier de la Commission, l’éphémère Zentrum für Europäische Umfrageanalysen und Studien).
-
[73]
Pour une analyse des questionnaires EB, Aldrin (P.), « L’Eurobaromètre et la fabrique officielle de l’opinion européenne » in Gaxie (D.) et al., dir., L’Europe des Européens, Paris, Economica, 2010 (à paraître).
-
[74]
Inglehart (R.), The Silent Revolution. Changing Values and Political Styles Among Western Publics, Princeton, Princeton University Press, 1977.
-
[75]
Blondiaux (L.), La fabrique de l’opinion, op. cit, p. 235.
-
[76]
L’EB sonde les attitudes sur l’élection des eurodéputés en 1979 (EB 9) et comporte en 1984 un référendum fictif sur l’éventualité d’un passeport européen, d’une monnaie unique, d’une équipe européenne aux Jeux olympiques (EB 21).
-
[77]
Entretiens et A. Smith, « La Commission et le “peuple” », art. cit.
-
[78]
Cf. les « Orientations et objectifs 1985-1988 de la politique d’information et de communication de la Commission » adoptées en 1985 (CEAB) ou le rapport Baget Bozzo du Parlement sur la politique d’information de la CE en 1986.
-
[79]
Sur cette notion, cf. Manin (B.), Principes du gouvernement représentatif, Paris, Champs-Flammarion, 1995, p. 279.
-
[80]
Depuis 1975, ils analysent les trains de questions commandés par les différentes DG, intégrés aux vagues de l’EB Standard et portant sur un problème social ou une politique communautaire.
-
[81]
Pierson (P.), Politics in Time: History, Institutions and Social Analysis, Princeton, Princeton University Press, 2004.
-
[82]
Inglehart (R.), Reif (K.), eds., Eurobarometer, op. cit. (qui s’ouvre sur une photographie pleine page de Rabier).
-
[83]
Inglehart (R.), La transition culturelle dans les sociétés industrielles avancées, Paris, Economica, 1993.
-
[84]
Piloté par R. de Moor (Université de Tilburg), l’EVS a réalisé quatre vagues (1981, 1990, 1999 et 2008). Y contribuent Rabier, Stoetzel, Melich, Riffaut, Noelle et Inglehart qui va créer le World Values Surveys.
-
[85]
Expression employée par plusieurs de nos interlocuteurs pendant l’enquête, notamment Rabier et Melich.
-
[86]
Santer met un terme aux Continous Track Surveys et limite le media monitoring. Prodi dissout la DG X en 1999 avant de la recréer sous la pression des eurodéputés.
-
[87]
Certaines DG en font un usage régulier (Développement, Énergie, Recherche, Politique régionale) ou occasionnel (Économie-finances, Transports, Agriculture) ou pas d’usage (Politique industrielle, Concurrence, Affaires extérieures). Cf. Smith (A.), « La Commission et le “peuple” », art. cit.
-
[88]
Même si on peut y voir l’effet mécanique de tout questionnaire sur le « dialogue », la « coordination » ou l’« harmonie » entre décideurs politiques.
-
[89]
En 2008, les crédits d’engagement consacrés par la seule DG-Comm aux enquêtes d’opinion s’élevaient à plus de 10 millions d’euros (sources : Commission), hors enquêtes commandées par les autres DG ou le Parlement.
-
[90]
Pour une synthèse raisonnée, Belot (C.), « Les logiques sociologiques de soutien au processus d’intégration européenne : éléments d’interprétation », Revue internationale de politique comparée, 9 (1), 2002.
-
[91]
Bourdieu (P.), « Remarques à propos de la valeur scientifique et des effets politiques des enquêtes d’opinion », Pouvoirs, 33, 1985.
Telle est la conclusion du groupe de travail de l’Assemblée commune de la CECA chargé d’examiner le « problème de l’information de l’opinion publique ». Formulés en novembre 1956, entre la conférence de Messine et les traités de Rome, ces mots invitent à interroger la perspective adoptée habituellement à propos de l’« opinion publique européenne », sur deux points majeurs : son historicité et sa problématisation. L’appréciation rétrospective du « problème » de l’opinion qui serait posé à l’Union européenne est altérée par l’historiographie officielle qui en situe l’apparition à la (difficile) ratification du traité de Maastricht [2]. Or l’extrait placé ici en exergue indique des origines plus lointaines qu’il convient d’explorer en se méfiant toutefois des mirages du présentisme [3]. Il serait tentant en effet de rapprocher le souci de légitimation des premiers responsables communautaires des récents « plans de communication » de l’UE [4]. L’analogie trouverait argument dans l’idée que la « mise en public » de l’action publique sert toujours, quel que soit l’habillage conceptuel (transparence, devoir d’information, participation), à promouvoir le capital symbolique des institutions [5]. Mais, à y regarder de plus près, les raisons comme les façons de produire des soutiens derrière la « construction européenne » n’ont cessé d’évoluer avec celle-ci. Chaque phase du processus d’intégration a conduit à redéfinir la nature du problème communautaire de l’opinion, en recourant à des formes d’expertise scientifique et technique elles aussi en mouvement. Le second point a trait au cadrage de ce même problème que les institutions de l’UE ont, en outre, abondamment contribué à façonner. Comme toute parole d’institution, ce cadrage doit être mis à distance, pris comme un ensemble de textes bureaucratiques et de gestes politiques destinés à être publicisés, producteurs d’une théorie de l’institution sur elle-même [6]. L’activité dite communicationnelle des institutions ne ressortit pas seulement d’une analyse en termes de production symbolique et discursive. Travail de légitimation en actes [7], on peut aussi l’approcher sous l’angle des processus d’équipement technique, humain et conceptuel qui l’opérationnalisent. Et, dans cette perspective précise, l’opinion européenne est d’abord le point de fixation de toute l’instrumentation qui la fait exister comme problème communautaire, variable politique et force sociale.« Aucune politique n’est viable si elle ne correspond pas à un courant réel de l’opinion publique […]. Bien plus, la formation d’une opinion publique nous incombe. Après avoir créé un commencement d’Europe, il nous faut des Européens [1]. »
Cet article entend éprouver ce déplacement de perspective sur l’opinion européenne en revenant sur la genèse d’un des principaux éléments de son instrumentation : le programme permanent de sondages dont la Commission européenne se dote en 1973 sous le nom d’Eurobaromètre (désormais EB) [8]. Ce programme prolonge des enquêtes expérimentées dès les années 1950 et autour desquelles s’organise un monde des sondages d’opinion transcommunautaires [9] composé d’agents communautaires et de spécialistes de l’analyse comparée des attitudes sociopolitiques. En retraçant leur collaboration, qui permettra l’invention de l’opinion publique européenne, notre propos vise trois objectifs. D’abord, montrer que les sondages transcommunautaires trouvent leurs raisons sociologiques au-delà des coordonnées institutionnelles, sociales et chronologiques de l’EB. Ensuite, mettre au jour les enjeux politiques successifs que recouvre la production de tels sondages, et réviser ainsi la thèse officielle qui fait de la création de l’EB la réponse naturelle au besoin de « feed-back » des dirigeants européens [10]. Dès son lancement, l’« instrument d’observation des attitudes du public » (EB 1, 1974) sert à réguler la politique d’information, à évaluer les marges politiques de la Commission et promouvoir son action [11]. Enfin et surtout, contribuer à une sociologie de la collaboration entre les agents communautaires et le monde académique. La genèse de l’EB donne en effet à voir comment leurs interactions ont toujours été conditionnées par leurs opportunités respectives d’y investir des ressources spécifiques et d’en tirer des bénéfices : une expertise incontestable pour les uns ; des bases de données, des contrats commerciaux et une vitrine européenne les autres. Mais, si ces opportunités à jouer ensemble – au sens éliassien du jeu [12] – ont certes dépendu des chances conjoncturelles d’accorder leurs vues sur la façon d’interroger les « attitudes européennes », elles ont plus encore été conditionnées par le degré de contrôle exercé par les dirigeants de la Commission sur l’EB. En privilégiant une analyse configurationnelle [13] du monde des sondages transcommunautaires, nous espérons contribuer à sortir le passé de l’EB d’une vision vaguement systémique, volontiers héroïque et produite jusqu’ici pour l’essentiel par ses fondateurs, leurs continuateurs et les principaux interlocuteurs académiques du programme [14].
Les entrepreneurs d’Europe et la cause de l’opinion
2L’histoire des sondages transcommunautaires peut s’écrire de différentes manières. Si l’on écarte le registre déjà épuisé de la success story, il faut encore composer avec deux autres registres analytiques – d’ailleurs non exclusifs – d’égale attraction. Le registre critique, d’abord, visant à retracer cette histoire sur le mode de la captation ou de l’asservissement progressif par le pouvoir européen d’une expertise scientifique et de ses propriétés performatives, ici celles de la mesure et de l’analyse des opinions. Le registre fonctionnaliste, ensuite, expliquant les logiques stratégiques de la coopération par les bénéfices (solution, légitimation croisée) d’un « jeu structuré » entre deux espaces d’activités, l’espace politico-administratif européen et l’espace académique international de la recherche appliquée. Les deux registres font sens ici mais ne permettent pas de rendre totalement compte de la réalité. La première permettrait de mettre en exergue, dans une approche référée à l’œuvre de Michel Foucault, la façon dont l’Europe politique, en s’accaparant l’expertise de la survey research, actualise ou renouvelle la relation ancillaire du savoir au pouvoir. Or la constitution du monde des sondages transcommunautaires, au moins dans sa phase originelle, repose plutôt sur un rapport de dépendance réciproque entre agents du pouvoir et gens de savoir. La deuxième, causalement tout aussi éclairante, tendrait à naturaliser la coopération entre les acteurs d’un système dont seraient négligées l’historicité (et donc les effets d’institutionnalisation ou de path dependence) et la contingence (introduite par les tensions du jeu politique communautaire) des interactions. Aussi, sans perdre de vue la fertilité de ces deux voies explicatives, nous essaierons d’ouvrir une autre ligne analytique, celle de la convergence vers un même jeu de relations de plusieurs catégories d’entrepreneurs. Ce qui suppose tout d’abord de nous dé-familiariser avec nos évidences de contemporains sur les sondages internationaux et de nous re-familiariser avec les enjeux politiques, scientifiques et commerciaux qu’ils recouvraient dans les années 1950.
Faire du « grand public » un enjeu politique communautaire
3Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, à Luxembourg comme dans les milieux étatiques nationaux, les sondages sont conçus comme une méthode de suivi et d’analyse épisodiques des opinions. Le sondage d’opinion se conçoit encore alors comme le prolongement « scientifique » des enquêtes sur « l’état des esprits » qui se sont imposées dès le XIXe siècle parmi les sciences de gouvernement des régimes parlementaires naissants [15]. « Outil de feed-back », selon la terminologie alors en vogue, la technique de l’enquête sur échantillon est maîtrisée par des experts extérieurs (sondeurs et chercheurs en sciences sociales) et mise accessoirement au service de la politique d’information dont elle est alors inséparable. Mais les plus intégrationnistes des agents communautaires vont rapidement en faire un autre usage : réclamer et justifier une véritable politique de formation à l’Europe du grand public. Le projet d’accroître sensiblement la communication sur l’unification est en effet défendu principalement par des membres de l’Assemblée commune acquis aux idées fédéralistes et par des dirigeants de la CECA proches de Jean Monnet et de son cabinet. Or ce projet achoppe sur la réticence des gouvernements nationaux à voir la nouvelle instance supranationale s’adresser directement à leurs ressortissants. Pour les entrepreneurs d’Europe [16], l’enjeu consiste donc à conférer à leur cause la force et l’urgence d’une obligation politique vitale pour l’intégration. Le passage d’un recours externe sporadique à une production interne systématique des sondages sera leur victoire.
4Le rapport des parlementaires de la CECA donne lieu à l’adoption début 1957 d’une résolution [17] qui préconise un effort significatif en matière d’information et témoigne de la perception déjà aiguë des enjeux politiques liés à l’attitude de l’opinion publique et des médias. Pour les entrepreneurs d’Europe, l’accélération du processus d’intégration suppose de faire du « problème de l’opinion publique » un enjeu politiquement prioritaire. Or, si la solution en est déjà connue (intensifier la communication), le ralliement des autres partenaires de la décision communautaire – notamment les acteurs gouvernementaux – impose de leur en fournir un diagnostic unanimement incontestable. Le recours à l’expertise scientifique va jouer ici un rôle déterminant. Très tôt, en effet, les agents communautaires initient et soutiennent les projets scientifiques qui se donnent l’intégration pour objet de réflexion et d’études [18]. Si l’enrôlement des juristes pour la reconnaissance d’un « droit européen » tourne alors court [19], la thématique de l’« opinion européenne » trouve un écho favorable auprès des cercles académiques spécialisés. Apparus sur la scène politique dans les années 1930, les sondages s’y installent après la guerre [20] avec la réputation d’une méthode scientifique, donc impartiale et fiable. Reflétant fidèlement les catégories de sens des milieux cosmopolites des années 1950, où circulent comparatistes et sondeurs et où se recrutent les agents communautaires [21], les premiers sondages sur la CECA vont fournir aux entrepreneurs d’Europe matière à imposer leur thèse.
Les sondages : une solution pour faire exister un problème
5Les premiers résultats de sondages « européens » sont publiés en juin 1950 par l’Institut für Demoskopie (Allensbach) après enquête auprès d’un échantillon de citoyens allemands questionnés sur le Plan Schuman rendu public un mois plus tôt. Le Nederlands Instituut voor de publieke Opinie (NIPO, Amsterdam) en 1954, l’Institut français de l’opinion publique (IFOP, Paris) en 1955, puis l’Institut universitaire d’information économique et sociale (INSOC, Bruxelles) en 1957, réalisent chacun un sondage du même genre auprès d’échantillons nationaux. Toutes ces enquêtes cherchent à identifier les segments de la population qui connaissent et soutiennent la CECA. Les instituts, eux, cherchent à faire valoir leur savoir-faire en matière de sondages internationaux. La systématisation de telles enquêtes laisse entrevoir des perspectives commerciales enviables, comme le montre la lettre adressée par le directeur du NIPO à René Renckens, alors responsable du Service de presse de la Haute Autorité :
« Nous espérons vous rencontrer à nouveau dans un délai assez rapproché à Luxembourg (ou à Amsterdam) ; il nous serait agréable, à cette occasion, de pouvoir échanger nos vues sur le sondage de l’opinion publique pratiqué sur le plan international (d’une manière rationnelle et synchronisée), et cela dans divers pays de l’Europe occidentale. Nous sommes les seuls, en Europe occidentale, à nous spécialiser dans cette matière, et notre institut est le seul en Europe qui possède une expérience considérable dans ce domaine [22]. »
7Les conditions d’une convergence d’intérêts sont déjà réunies mais pâtissent entre 1954 et 1957 d’un contexte politique peu favorable. L’échec de la CED ouvre une période troublée où l’avenir de l’intégration devient incertain. Mais la « relance de Messine », concrétisée par les traités de Rome, impulse un élan nouveau. Les données apportées par les premières enquêtes nationales sur « l’Europe » servent alors à formuler le « problème » communautaire de l’opinion dont les termes s’imposent pour trois décennies. Le diagnostic proposé peut se résumer ainsi : l’essentiel de l’opinion est sous-informée sur les Communautés mais la minorité informée soutient leur existence et leur action ; le soutien aux Communautés étant corrélé au niveau d’information, il est donc vital d’intensifier l’effort d’information. Cette thèse est sertie par le responsable du service d’information de la Haute autorité, Jacques-René Rabier, quelques mois seulement après les traités de Rome. Dans une note confidentielle (rédigée avec G. Klunhaar, étudiant néerlandais stagiaire à la CECA) [23], il propose une analyse croisée des résultats des sondages déjà réalisés. S’ouvrant sur les limites d’une telle compilation de résultats (produits selon des techniques d’échantillonnage et des questionnaires différents), le propos se clôt sur des considérations plus définitives et directement opératoires :
« Le public n’est guère informé au sujet de la CECA. Les prises de position catégorique font défaut ; nombreux sont ceux qui hésitent à se prononcer ou qui ne peuvent le faire parce qu’ils ne sont que médiocrement informés et intéressés. […] Les informations telles qu’elles sont présentées à l’homme de la rue ont-elles peut-être un caractère trop académique et supposent-elles, dans une trop large mesure des connaissances déjà acquises ? […] Il s’agit avant tout de faire savoir au public qu’un premier progrès a été réalisé sur la voie de la Communauté européenne ; qu’il existe maintenant un “ministère européen” doté de pouvoirs supranationaux ; que le succès de cette première construction européenne est manifeste et enfin, que nous devons progresser dans cette voie de l’intégration européenne, qui sert l’intérêt général [24]. »
9L’interprétation des sondages invite – déjà, serait-on tenté de dire, tant l’analyse est proche de la récente « stratégie de communication [25] » – à ajuster le message en fonction des publics et à diffuser des contenus non explicitement informatifs ou institutionnels dans les médias de masse. Formulées sur la seule foi de sondages, ces assertions montrent comment la méthode donne appui et objective la réalité [26], autorisant ainsi la saisie politique d’un problème jusque-là confinée aux intuitions respectives des parties en présence. Grâce à leur origine savante et à la puissance intrinsèquement irréfutable du chiffre, les sondages font façon de preuve, donc de justification imparable à la cause de l’opinion des intégrationnistes. Dans les semaines qui suivent et en application des traités de Rome, s’installe à Bruxelles la Commission, exécutif de la toute nouvelle Communauté économique. Bien que le régime des Communautés prolonge un système où les institutions supranationales sont encore dominées par les tractations intergouvernementales et la collaboration diplomatique, l’extension des domaines relevant du supranational se traduit par une augmentation notable des actions communautaires d’information et de communication. Une nouvelle division du travail d’information est bientôt mise en place au sein de la Commission avec la création d’un Service de presse et d’information (SPI) commun aux trois Communautés et celle d’un Service du porte-parole (SPP) chargé des relations avec les journalistes accrédités auprès de l’institution. Cette répartition opère un certain alignement de la communication communautaire sur les pratiques ayant cours dans les institutions gouvernementales : utilisation méthodique du répertoire des relations publiques [27], effort ciblé de « vulgarisation [28] » et rationalisation de « l’action sur la presse ». Dans une note interne rédigée en 1960, le porte-parole de la CECA, Louis Janz, examine les moyens de « manier l’information comme un instrument politique d’emprise et d’influence sur l’opinion publique » et conclut :
Quelques semaines plus tard, une résolution du Parlement européen demande que soit réalisée « une enquête d’opinion sur les attitudes de la population à l’égard de l’unification de l’Europe [30] ». À l’orée des années 1960, la mesure de l’opinion apparaît comme le moyen de donner un « vis-à-vis [31] » aux institutions communautaires. C’est dans cet esprit que les Communautés financent leurs premiers sondages en 1962.« Des sondages d’opinion seraient à prévoir avec la fréquence d’un ou deux par an afin d’évaluer le degré de connaissance des populations de l’activité de la CECA et par là même l’efficacité de notre travail [29]. »
La conversion des Communautés à la recherche sociale appliquée
10Le SPI, alors dirigé par Rabier, est le commanditaire de cette première enquête d’opinion véritablement transcommunautaire – principe d’échantillonnage identique, questionnaire uniformisé, interprétation comparée des résultats – coordonnée par l’IFOP (représentant alors Gallup International). L’examen du compte rendu d’enquête révèle deux éléments importants pour la compréhension de ce monde des sondages européens naissant. D’une part, la distillation et l’analyse des résultats reflètent des choix d’exposition très politiques, au sens où elles portent trace d’une mise en avant des résultats les plus positifs (notamment le fort soutien à l’unification). D’autre part, les schémas interprétatifs qui sont mobilisés pour donner une perspective scientifique aux résultats sont explicitement empruntés aux débats immédiatement contemporains des sciences sociales, et notamment de la recherche sociale appliquée et comparative. L’hybridation de l’énonciation, et donc des destinataires supposés du rapport d’enquête, qui se fait tour à tour scientifique ou politique caractérise la convergence effective de deux entreprises dans les potentialités de la survey research.
Entrepreneurs politiques et scientifiques d’enquêtes internationales
11Le rapport publié en 1962 par la Commission présente l’enquête comme « un programme de recherche » en deux phases : un sondage sur échantillon généraliste et un sondage plus ciblé sur « les milieux qui se révèlent particulièrement intéressants à connaître pour l’avancement de l’entreprise européenne [32] ». Pourtant, l’appropriation politique des résultats apparaît dès la lecture des premières lignes.
« L’objectif est de comparer les dispositions générales du public dans chacun des six pays, de dégager les grandes lignes de l’opinion, de déceler les réactions communes, aussi bien que les divergences de vues et les oppositions. On va voir qu’il existe déjà une “opinion publique européenne”. […] Ce qui ressort le plus remarquablement, c’est l’adhésion très large de ce public à l’idée de l’unification européenne. […] Plus significatif encore est le fait que la minorité opposée à l’Europe est extrêmement faible [33]. »
13Le caractère de première expérimentation d’une survey research à l’échelle des Communautés est néanmoins omniprésent, perceptible à la récurrence des précisions et remarques méthodologiques mais aussi au vocabulaire notionnel théoriquement très situé. Il est ainsi longuement question du « taux de pénétration » des médias de masse, de « comportements politiques », des « problèmes multiples que pose l’élévation du niveau des aspirations dans le domaine économique » ou encore de corrélation entre identification partisane et intérêt pour l’actualité politique [34]. Le rapport comporte une « annexe technique » précisant l’échantillonnage et le déroulement de l’enquête. Cette inscription dans le style des rapports scientifiques est un révélateur des conditions de production de cette enquête et des anticipations sur sa réception. Aussi, comme les rapports de la recherche sociale appliquée de cette période, l’affirmation ostentatoire de la scientificité et le caractère positiviste (l’emploi des méthodes statistiques comme accès direct à la réalité sociale) le partagent à des considérations axiologiques sur le devenir des sociétés. L’ensemble témoigne de la façon dont la science est alors unanimement conçue par les « experts scientifiques » et leurs commanditaires politiques comme un outil d’amélioration des conditions d’existence de l’humanité, c’est-à-dire un savoir au service de la société, donc du politique.
« La recherche du progrès, compris dans son sens non matérialiste, c’est-à-dire intellectuel, spirituel et humaniste, est une des motivations spontanément exprimée par le public partisan de l’Europe. […] Si l’on voulait mobiliser la bonne volonté – actuellement passive – des partisans de l’Europe, ce sont ces différents thèmes [recherche du progrès, de la sécurité et du mieux-être] qui pourraient être mis en relief pour engager les partisans dans une action constructive [35]. »
15Les thèmes explorés sont conformes à ceux des enquêtes alors largement diffusées dans les milieux académiques et les institutions internationales : sentiments réciproques entre les peuples et évolution des valeurs (en lien avec la perception des « dangers » ou les « attentes »). Pour le premier thème, le rapport fait d’ailleurs référence à l’ouvrage How Nations See Each Other de Hartley Cantril et William Buchanan [36] rendant compte d’une enquête commandée par l’UNESCO qui, « dans le cadre de (ses) activités tendant à promouvoir la compréhension internationale », a obtenu de « rechercher l’avis de spécialistes [37] ». Plusieurs enquêtes de ce type sont ainsi conduites au début des années 1950 sous l’égide des Nations unies, en collaboration avec des partenaires qui mêlent ancrage universitaire, prestation commerciale de services d’expertise scientifique et discours sur les vertus pacificatrices du cosmopolitisme. Toutes expriment les espoirs fondés alors sur les vertus des sondages.
La multiplication de telles enquêtes témoigne de l’attrait des institutions internationales pour les potentialités expérimentales de la survey research dans le climat politique d’après-guerre. Les élites administratives et politiques des institutions communautaires partagent cet engouement, dans une Europe en reconstruction marquée par l’intensification des échanges internationaux. Le projet d’intégration s’inscrit d’ailleurs totalement dans cet esprit du temps qui veut faire primer le droit sur la force et le dialogue sur les incompréhensions mutuelles. Des deux côtés de l’Atlantique, c’est autant cet esprit du temps que le positivisme normatif de la comparaison psychosociologique qui rapprochent idéologies politiques et promotion de la recherche sociale appliquée [39]. On ne s’étonnera pas de trouver Jean Stoetzel et Elisabeth Noelle parmi les experts universitaires que l’UNESCO charge en 1956 de lui livrer des recommandations en matière d’études comparatives [40]. Tous deux sont en Europe des passeurs de la science américaine de l’opinion ; tous deux placés à l’interface des univers universitaires, économiques et politiques. Coordonnateur de l’enquête de 1962 et bientôt de l’EB, Stoetzel a fondé l’IFOP (1938) au retour d’un séjour d’études à New York où il a travaillé avec Lazarsfeld et son équipe, dont l’influence sur l’essor de la recherche sociale appliquée est connue [41]. Comme Lazarsfeld et Gallup avant lui, il est à la fois entrepreneur scientifique (professeur à la Sorbonne) et entrepreneur économique (directeur d’une société commerciale, l’IFOP). Double investissement, et donc « ambiguïté fondatrice [42] » de l’œuvre commune à Noelle qui a effectué sa thèse aux États-Unis avant de fonder l’Institut für Demoskopie, partenaire de l’enquête de 1962 et bientôt de l’EB.« Si nous voulons vraiment que règne la paix, il nous faut reconnaître la nécessité pour les peuples de se comprendre les uns les autres. C’est une vérité aujourd’hui universellement acceptée. D’autre part, on admet de plus en plus qu’une enquête sur l’opinion publique peut jouer un rôle capital – même s’il est indirect – dans la réalisation de cet objectif [38]. »
Sondages et politiques : un mariage de raisons
17Les liens d’échanges intellectuels qu’entretiennent Rabier, Stoetzel et Riffault depuis l’époque de la CECA permettent sans doute d’expliquer la pénétration des thèses lazarsfeldiennes de la recherche appliquée américaine dans les cadres d’analyse du SPI [43] et l’orientation de son action [44]. Mais ces accointances ne suffisent pas à expliquer la structuration, au cours des années 1960, d’un véritable réseau de travail autour des sondages transcommunautaires. D’autres facteurs que les seules affinités électives peuvent être avancés pour réintroduire les déterminants politiques et institutionnels dans l’analyse. Et en premier lieu le soutien indéfectible du Parlement européen à la cause des sondages en l’absence de suffrage européen. Ses membres exercent en effet une pression chronique sur les autres institutions pour développer l’information auprès du grand public et sollicitent dans cette optique un suivi régulier des « attitudes de la population à l’égard de l’unification de l’Europe [45] ». Selon l’idée, répandue alors dans les courants progressistes, que le développement d’une opinion publique transnationale serait un facteur de pacification des relations entre les États et d’amélioration du fonctionnement démocratique [46]. Un deuxième facteur tient au souci des agents de la Commission de connaître l’état de l’opinion qui, en l’absence d’un véritable vote européen appelé à se développer, passe par les sondages. La commande directe à des instituts offrant l’avantage d’adapter à l’envi le protocole d’enquête (date, questionnaires, échantillons) aux besoins spécifiques des décideurs européens. Enfin, avec l’apparition d’un marché des sondages « européen », se structurent des réseaux d’acteurs spécialisés. À la fin des années 1960, les instituts de sondages tôt investis sur le marché de l’opinion européenne s’organisent en véritables réseaux professionnels internationaux : l’International Research Associates (INRA) regroupe l’Institut für Demoskopie (Allemagne) et l’INRA (Belgique) tandis que l’institut Doxa (Italie), le NIPO (Pays-Bas) et l’IFOP s’associent sous le label Gallup International.
18La convergence de ces différentes entreprises s’accélère donc à la fin des années 1960 et se matérialise par une nouvelle enquête transcommunautaire, commandée par la Commission. Étirée sur trois années, cette enquête a vocation à dresser la cartographie sociale des opinions sur l’Europe. S’y entremêlent toujours les apprêts du discours scientifique [47] et des considérations plus normatives ou programmatiques sur les façons de fabriquer des Européens plus europhiles [48]. Dans le volumineux rapport d’enquête (214 pages) publié par la Commission, affleurent les raisons qui donnent à l’ensemble les traits d’une coproduction associant scientifiques-sondeurs du monde des enquêtes internationales et agents-dirigeants communautaires intégrationnistes.
« À l’origine [de cette enquête] se trouve la suggestion d’un groupe de spécialistes des problèmes de jeunesse, réunis à Bruxelles, en juin 1967, à l’initiative de la Commission. […] Plus précisément, l’objectif était d’aller plus loin que ne le permettent la plupart des sondages d’opinion, de ne pas se limiter à “photographier” pays par pays les attitudes des jeunes à l’égard de l’unification de l’Europe. […] Il s’agissait pour la première fois, de rechercher quelle est la signification précise des mots “Europe” ou “Européens” pour les jeunes générations ; […] quels sont les centres d’intérêts des destinataires directs ou indirects des messages “européens” d’information et de formation ; quelle est l’influence des divers canaux de communication [49]. »
20Mais si l’introduction vante le caractère scientifiquement inédit et la finesse sans équivalent des données recueillies, les conclusions en appellent à l’« audace » et affirment que la Communauté ne pourra gagner l’opinion si elle s’enferre à « louvoyer dans la grisaille des tendances implicitement contradictoires ».
Cette adresse explicite aux atermoiements de certains dirigeants nationaux contraste fortement avec l’appareil méthodologique sophistiqué. Ce mariage des raisons politiques et statistiques scelle les liens du monde des sondages transcommunautaires : les assertions politiques prennent appui sur un « indice d’attitude pro-européenne » résultant des scores des répondants à six questions dont la formulation est loin d’être neutre : degré de faveur « à l’égard de l’unification européenne » ; pour ou contre « l’évolution du marché commun vers la formation des États-Unis d’Europe » ; pour ou contre « qu’il y ait au-dessus du gouvernement (de son pays) un gouvernement européen responsable de la politique commune dans les domaines des Affaires étrangères, de la Défense et de l’Économie » ; pour ou contre « que la monnaie (de son pays) soit remplacée par une monnaie européenne » ; disposition « à faire certains sacrifices personnels, par exemple sur le plan financier, pour que l’unification européenne se fasse » ; type de sentiment (« grands regrets, indifférence ou soulagement ») en cas d’abandon du Marché commun [51]. Inspiré sans aucun doute de l’indice de prédisposition politique de Lazarsfeld [52], cet indice d’attitude pro-européenne repose sur des questions dont on n’imagine pas qu’elles eussent été introduites dans l’enquête si la Commission n’en eût été le commanditaire. Pourtant, au moins du point de vue institutionnel et politique, le rapport d’enquête publié en 1972 contient l’acte de naissance de l’« opinion européenne », qui, par la grâce des sondages, existe désormais comme une réalité certaine : 27 % des « Européens » sont « très favorables », 36 % « favorables », 24 % « vaguement favorables » quand seulement 13 % se montrent « indifférents, indécis ou défavorables ». Mieux : deux sur trois « ne s’opposeraient pas à l’extension des efforts d’unification de l’Europe du domaine économique au domaine politique ». On voit ici à l’œuvre la double face – empirique et prospective – des sondages, instrument dont les effets autolégitimants fondent le cercle hybride de ses producteurs-promoteurs, unis par ses promesses tant scientifiques que politiques ou commerciales. Le programme EB sera lancé l’année suivante.« Les résultats de l’étude ne nous montrent pas seulement qu’il est maintenant nécessaire de prendre le risque de politiser le processus et de démocratiser les procédures d’unification de l’Europe, en donnant des pouvoirs à une assemblée représentative élue. […] Pratiquement, il serait opportun de publier à bref délai des projets concrets, portant sur des objectifs à moyen terme relativement simples, faciles à comprendre et à populariser, en donnant la priorité à ceux qui répondent la triple exigence [valeurs démocratiques, qualité de vie et humanisation de la société] et qui, en outre, correspondent à des domaines d’action où l’impuissance de l’État national “indépendant et souverain” est plus facilement perceptible, sinon déjà clairement perçue [50]. »
Emprise et déprise des social scientists sur l’Eurobaromètre
22Rétrospectivement, la mise en œuvre à partir de 1973 du programme EB – livrant semestriellement des données préparées par et pour la Commission – peut s’analyser comme la réponse au besoin grandissant de feed-back des institutions communautaires. Mais on peut y voir aussi l’accomplissement du lointain projet de segments intégrationnistes de systématiser l’usage des sondages. L’initiative dépend d’ailleurs autant de la conjoncture politique immédiate que de l’enrôlement déjà ancien des experts de l’opinion dans la construction conceptuelle de l’Europe. D’abord déterminante, la position des experts scientifiques dans le dispositif de production de l’EB va progressivement reculer. L’examen systématique des rapports laisse apercevoir un déplacement de la problématisation communautaire de l’opinion (orientations des questionnaires, valorisation des résultats) qui peut expliquer ce déclin. Assez vite finalement, l’EB ne sert plus seulement à livrer des indicateurs du soutien populaire à l’intégration. Avec un profit politique toujours mieux assuré, les opinions des Européens sont auscultées sur des dossiers précis que la Commission gère ou entend gérer, sur des interventions (fonds, programmes, politiques publiques, campagnes d’information, etc.) qu’elle conduit ou souhaite conduire. Cette plus grande instrumentalisation politique de l’instrument subvertit peu à peu les règles du jeu organisant le monde des sondages transcommunautaires. Dans les années 1970 et 1980, les scientifiques exercent encore un ascendant certain sur la conception des questionnaires et l’analyse des données. En contrepartie de leur collaboration et du crédit scientifique qu’ils apportent à la production des EB, quelques-uns bénéficient même de libéralités pour expérimenter à leur profit les immenses potentialités du programme. Mais dès le milieu des années 1980, par un paradoxe au vrai peu énigmatique, ils sont assignés à un rôle de simples garants de la méthode scientifique de l’EB. Cette déprise est le corollaire d’une réappropriation graduelle de l’instrument par les acteurs politiques, les commissaires notamment, au fur et à mesure qu’ils en découvrent tout le potentiel stratégique.
Une science de l’opinion européenne
23L’historiographie de l’EB est attachée au nom d’un haut fonctionnaire européen, Rabier. Il n’y aurait pas lieu de s’en étonner tant les agents hiérarchiques de l’administration européenne, comme d’autres grands serviteurs d’« État », bénéficient d’une latitude d’action politique importante du fait de leurs compétences spécialisées et de leur expérience des dossiers et des procédures acquise par une permanence relative au cœur du pouvoir. Impliqués dans la conception de politiques et dans la rédaction d’initiatives et de textes législatifs, les hauts fonctionnaires communautaires, relèvent traditionnellement de la figure des « fonctionnaires gouvernants [53] » entretenant leurs propres réseaux d’interlocuteurs et de partenaires. De par leur profil de surdiplômés cosmopolites et leur allégeance supposée à la cause européenne, les auteurs néo-fonctionnalistes en ont fait les principaux vecteurs d’un ordre politique européen en construction [54]. Mais, sans ignorer le rôle de certains « protagonistes », une approche sociologique de l’EB suppose d’en dé-personnifier la création et restituer ses déterminants structurels et contextuels. Dans cette perspective, il faut d’abord rappeler que le principe de faire réaliser des sondages transcommunautaires est officiellement arrêté au sein du Collège dès 1971 :
« La Commission a décidé de réaliser périodiquement des sondages d’opinion sur les grands thèmes communautaires. Ils devraient permettre de suivre de près l’évolution de l’opinion publique et d’orienter ainsi la politique d’information [55]. »
25Initialement, il est envisagé que ces sondages périodiques seront réalisés « en coopération et à frais partagés avec des services publics ou des organisations privées [56] » sur le modèle d’un sondage réalisé en octobre 1970 conjointement par la Commission et le Ministère de l’Agriculture français auprès d’un échantillon d’exploitants agricoles au sujet de la PAC. En réaffirmant que « le développement de l’opinion fait partie de l’infrastructure démocratique de la Communauté », les parlementaires européens apportent en 1972 leur soutien à ce projet qu’ils relient à la nécessité d’une « rétro-information » sur les efforts d’information des publics et de formation d’« une conscience politique européenne » :
27Faute de soutien de la part des administrations nationales, le président de la Commission, François-Xavier Ortoli, se risque début 1973 à financer seul le projet qu’il confie à Rabier. Ce dernier entre alors dans sa troisième carrière communautaire [57] et ne correspond plus trait pour trait à la figure du fonctionnaire gouvernant. C’est en qualité de directeur général honoraire et conseiller spécial de la Commission (donc dans un hors-champ mal défini de l’organigramme) qu’il prend en charge, avec une secrétaire pour tout personnel, la coordination d’un programme dont la durée de vie est encore indéterminée et la mission circonscrite à sonder l’humeur des populations à l’égard de la Communauté pour en informer les responsables communautaires. Pour ce faire, l’homme possède surtout des qualités d’intermédiaire privilégié avec les experts des sondages. De ses études de sciences politiques et de sa proximité avec le mouvement personnaliste, il a toujours gardé des relations étroites avec les milieux intellectuels [58] et universitaires. Son intérêt pour l’étude de l’opinion publique et pour les nouvelles méthodes empiriques importées des États-Unis date des années 1950 quand il a en charge l’information de la CECA. Depuis lors, il s’est rapproché des spécialistes de ces questions et principalement de Stoetzel, principal importateur français desdites méthodes. Pour cette raison, le programme qu’il met à flot est ouvert aux entrepreneurs d’enquêtes comparatives. Et, pendant près de deux décennies, les rapports EB posséderont cette forme hybride, caractérisée plus haut, entre compte rendu savant et note d’analyse politique. Mais il reste à expliquer comment l’on va passer de ces premiers rapports présentés comme « documents de travail de la Commission », et dont le caractère confidentiel vaut aussi pour leur diffusion ou leur usage dans les milieux de la décision communautaire, à l’instrument de gouverne européenne. Le rappel du contexte scientifique et politique de son apparition sur la scène communautaire permet de comprendre son institutionnalisation aussi rapide qu’inattendue.
28Dans les débats qui agitent alors la science politique, surtout américaine, l’opinion européenne devient à la fin des années 1960 l’un des points de cristallisation des théories générales sur le processus d’intégration régionale [59]. L’intérêt pour l’expérience politique à la fois singulière et modèle des Communautés participe d’ailleurs du processus d’autonomisation des European Studies. Après 1965, la théorie de l’intégration fonctionnelle initiée par Ernst Haas [60] connaît une profonde révision. Fondée sur le principe du spill over effect – postulant que l’intégration des fonctions sectorielles et techniques des États entraînera une généralisation mécanique du transfert de leurs fonctions à l’autorité supranationale –, cette thèse néo-fonctionnaliste a influencé les responsables européens des premières années 1960, au même titre que le fonctionnalisme de David Mitrany avait dix ans auparavant fortement pénétré l’esprit des « pères fondateurs » de l’Europe. Mais les crises et les blocages politiques du projet d’intégration déjouent pour partie la portée explicative et prophétique du néo-fonctionnalisme. L’idée d’une extension graduelle mais inéluctable de l’intégration économique à l’unification politique est infléchie dans un sens probabiliste (et non plus mécaniste) par Haas lui-même [61], mais aussi par des auteurs qui y réintroduisent des facteurs politiques externes (le contexte diplomatique) et internes (l’attitude des citoyens). Les analyses systémiques [62] (et la notion d’inputs) venant compléter le modèle incrémental de Haas. Ainsi, sans perdre de vue les facteurs fondamentaux de l’intégration que sont la solidarité économique, les transactions et communications entre élites ou encore l’établissement de règles du jeu (procedural code) spécifiques, Donald Puchala [63], Leon Lindberg [64] et Ronald Inglehart [65] mettent en avant l’importance des « attitudes psycho-politiques » des populations dans la stabilité et le devenir de la Communauté. Qu’elle s’exprime en termes de soutien (systemic support), de confiance, ou de permissive consensus, l’opinion se trouve dès lors au cœur des théorisations sur l’Europe politique. Or ces nouvelles propositions théoriques ont très vite pénétré les milieux communautaires, notamment grâce aux rencontres sinon aux partenariats entre décideurs politiques, entrepreneurs économiques, sondeurs et politistes que favorise le développement d’une survey research européenne. Dès 1967, la DG X s’intéresse de près aux travaux de Lindberg et Puchala qu’elle fait traduire en français (alors principale langue de travail à Bruxelles). L’hybridation des univers impliqués dans la survey research se traduit par une certaine porosité des frontières professionnelles : Rabier œuvre à la création et l’animation d’un groupe de travail sur l’unification de l’Europe au sein de l’Association internationale de Science politique (IPSA) et Inglehart devient consultant scientifique de l’EB. Jeune politiste diplômé de l’Université d’Ann Arbor, ce dernier est visiting professor à Genève (1969-70) quand il se rapproche de l’équipe de Rabier. D’autres jeunes universitaires du Département de Sciences politiques de l’Université de Genève, récemment fondé par Dusan Sidjanski, s’intéressent aux enquêtes que finance la Commission, tels Anna Melich [66] ou José Manuel Durao Barroso [67], mais Inglehart manifeste alors l’intérêt le plus vif pour les sondages transcommunautaires. Convaincu que l’intégration européenne produit des effets sur les attitudes des masses (tels que le rapprochement des valeurs et l’émergence d’un sentiment européen) et réciproquement, il met utilement à profit les résultats [68] issus de l’enquête de 1969. Entre la fin des années 1970 et les années 1980, Rabier et Inglehart écrivent ensemble une dizaine d’articles académiques et présentent leurs réflexions théoriques fondées sur les données EB dans des colloques scientifiques internationaux [69]. Les EB et la production scientifique qui s’y abreuve suscitent l’intérêt des dirigeants communautaires qui, dans le contexte troublé de la scène politique européenne et internationale des années 1975-1985, sont enclins à suivre de près les avancées de cette science de l’opinion européenne. Le développement d’une survey research européenne mais aussi les incertitudes que les opinions nationales font désormais planer sur la construction européenne [70] permettent de comprendre la pérennisation d’un programme d’abord expérimental.
État des esprits et esprit d’État
29Pendant les quinze premières années d’existence de l’EB, l’influence des experts académiques sur le programme se repère à sa résonance avec les débats qui traversent les réseaux internationaux de politistes comparatistes. Parmi les indices de cette empreinte scientifique, on en mentionnera ici les trois principaux. Le premier est la prégnance du lexique, des thématiques et des méthodes directement issus des milieux académiques. Les premiers rapports EB, coordonnés par Stoetzel [71], sont qualifiés de « travaux de recherche » et comportent de nombreuses précisions sur les modalités de génération et de traitement statistique des données. S’ils s’adressent au commanditaire politique (reprises synthétiques et interprétation forcée de certaines tendances), ils sont aussi de véritables comptes rendus d’enquête destinés aux publics académiques (détails sur les échantillons, l’administration du questionnaire et les opérations statistiques). Le deuxième indice réside dans la façon dont le programme répond à deux problématiques scientifiques majeures de son temps : d’une part, l’impératif d’établir des séries longitudinales d’enquêtes, qui sera justement avancé comme la raison d’être de l’EB dès les premières lignes du premier rapport publié en 1974 ; d’autre part, l’urgence d’assurer l’archivage et la mise à disposition des masses de données produites par la survey research, bientôt satisfaite par la transmission intégrale des données à des centres universitaires [72] pour faciliter leur analyse secondaire. Troisième indice, enfin, l’usage ostensiblement expérimental de l’instrument qui, jusqu’à la fin des années 1980, connaît une floraison d’indices et indicateurs : « indice de leadership » (EB 10, 1979) ; « indice de rendement de l’information européenne » (EB 12, 1980), « indice d’exposition médiatique » (EB 13, 1980), « indicateur de stabilité des systèmes politiques » (id.), « indice de mobilisation cognitive [73] ». Ces indicateurs signalent l’influence montante d’Inglehart dans la production de l’EB. Avec l’effacement progressif de la tutelle scientifique exercée par Stoetzel, c’est autour des thèmes qu’Inglehart développe dans ses propres travaux scientifiques (la confiance entre les peuples, les besoins et valeurs « postmatérialistes ») et les thèses (« mobilisation cognitive », émergence d’un clivage idéologique « libertaire vs. autoritaire [74] ») que s’organisent bientôt les questionnaires de l’EB.
30Indéniablement, il y a là, comme au cours de la première séquence de conquête des sondages aux États-Unis, « une participation des universitaires au renforcement du dispositif symbolique [75] » de la méthode. Mais d’une manière assez inédite puisqu’il s’agit d’un programme permanent financé par une institution politique. L’influence des universitaires se prolonge quelques années après le départ de Rabier en 1987. Son successeur, Karlheinz Reif est un politiste de l’Université de Mannheim qui, avant d’en assurer la coordination, collabore assidûment à la production de l’EB comme Hermann Schmitt et d’autres chercheurs du Mannheimer Zentrum für Europäische Sozialforschung. Permettant toutes les expérimentations imaginables (tests, quizz, questions de politique-fiction, etc.) sur les attitudes latentes ou manifestes des Européens, l’EB se révèle un outil de prospective capable d’indiquer à tout moment la marge d’initiative de l’Europe politique, et singulièrement de la Commission [76]. L’EB devient donc une véritable institution à l’intérieur et à l’extérieur du jeu communautaire, faisant au passage la fierté des agents qui en assurent le fonctionnement [77]. Mais en livrant continûment à la fois des données longitudinales sur les « tendances » de l’opinion et des mesures focales sur des problématiques conjoncturelles, le programme EB glisse d’une fonction évaluative à un usage plus systématiquement politique. Cette évolution tient à l’institutionnalisation progressive de la notion même d’opinion européenne. Selon l’effet de réalité des sondages, l’opinion européenne existe puisque les EB l’arpentent et en sondent les changements d’humeur. Redimensionnée voire confondue avec l’outil qui la mesure, l’opinion européenne est naturalisée à la fois comme réalité objectivée (par des courbes, des chiffres, des graphiques) et comme acteur de la donne européenne invoquée plus systématiquement à partir des années 1980 comme le public de l’UE, avec ses segments plus ou moins europhiles substantialisés par des pourcentages, des histogrammes, des projections cartographiques [78]. La période qui s’étend de la première élection des eurodéputés à la ratification du traité de Maastricht est bien celle d’une mutation des principes de légitimation de l’Europe politique qui entre alors dans la démocratie du public [79]. Dorénavant, la légitimité des initiatives de « Bruxelles » – incarnation nouvelle quoique encore fantomatique d’un pouvoir européen produisant continûment des normes contraignantes – repose d’abord sur le soutien des eurocitoyens exprimé dans les urnes (et la participation électorale) et dans les sondages. Cette nouvelle donne politique, où le climat de l’opinion est le premier horizon de l’action gouvernante, conduit à une diversification du programme : aux EB dits « standard » et « spéciaux » [80], s’ajoutent en 1987 les EB Flash (sondages par téléphone sur public ciblé) destinés à améliorer la réactivité de la Commission aux mouvements d’opinions plus sectorielles puis les Continuous Track Surveys (vague hebdomadaire continue de sondages sur échantillons représentatifs) qui permettent d’opérer une veille permanente de l’opinion. Avec l’installation d’une démocratie électorale européenne, l’instrument génère des effets cumulatifs (sédimentation des « tendances » de l’opinion européenne) et des effets de seuil (impression d’aggravation soudaine de la défiance de l’opinion) [81] confirmant ses propriétés politiques auprès des instances commanditaires. Plus qu’un outil de connaissance des « tendances » longues et du « climat » immédiat de l’opinion, l’EB devient un instrument de gestion de l’agenda et d’aide à la décision politique. Ce changement d’usages suppose aussi des changements de pilotage de l’instrument.
Aussi, le début des années 1990 symbolise la reconnaissance académique de l’instrument avec la publication de deux ouvrages, l’un rassemblant la plupart des utilisateurs-conseillers scientifiques du programme et dédié à son « fondateur [82] », l’autre marquant l’œuvre d’Inglehart et commençant par cette phrase : « Cet ouvrage est basé sur un ensemble considérable de sondages, les “Euro-baromètres”, réalisés sans interruption depuis près de vingt ans et financés par la Commission de la CEE [83]. » Mais déjà le reflux de l’ascendant scientifique sur sa production est amorcé. Si le programme alimente toujours les travaux de nombreux comparatistes des deux côtés de l’Atlantique, l’initiative et la montée en visibilité d’une expérience parallèle, l’European Values Study (EVS) conduite par un réseau d’universitaires, témoignent d’une volonté de s’affranchir de l’imperium de la Commission. Le réseau EVS recoupe certes largement le monde de l’EB [84] mais dépasse les frontières et la focale communautaires des questionnaires EB. Après le départ de Rabier, deux politistes – Reif puis Melich – dirigent l’EB jusqu’en 1999 mais la reprise en main graduelle de l’instrument par les responsables politiques est déjà engagée. Les mandats Delors (1985-1995), marqués par l’intensification de l’activité normative de la Commission, correspondent à un « âge d’or de l’opinion [85] » et des sondages à Bruxelles. Les résultats sont alors discutés régulièrement par les commissaires. Et, à partir de 1993, se formalise un débat mensuel au sein du Collège sur les résultats des différents EB. Les questions les plus polémiques – comme celles de l’abandon ou des pays non désirés – disparaissent. Si cet « âge d’or » de l’EB marque le pas sous le Collège Santer et les premiers mois du Collège Prodi [86], l’appropriation de l’instrument par les Commissaires et les directions générales [87] de la Commission amorcée sous Delors indique que le temps des expérimentations scientifiques est clos.
Conclusion : une science sans savant ?
31Les sondages font partie de l’équipement de l’action publique communautaire depuis ses origines. D’abord sous la forme d’un accessoire de la politique de formation et d’information des populations des États membres, puis comme outil d’évaluation des attentes et des perceptions des citoyens européens et enfin comme instrument de gouverne de l’UE. La façon de faire des sondages « européens » n’a donc cessé de se transformer avec l’Europe politique elle-même. La position des experts scientifiques dans la chaîne de production de ces sondages est l’un des meilleurs indicateurs de son hétéronomie. Les premiers rapprochements entre responsables communautaires et spécialistes de la survey research comparative s’opèrent à l’occasion des enquêtes d’opinion encore nationales mais européo-centrées des années 1950-1957 dont les résultats permettent l’ébauche d’une théorie empiriste des attitudes à l’égard de l’intégration. Cette proto-théorie de l’opinion européenne est l’amorce d’une convergence croissante des intérêts que poursuivent entrepreneurs d’Europe et entrepreneurs d’enquêtes internationales. Dans l’univers hybride où coopèrent agents communautaires, sondeurs et universitaires, les positions et les méthodes académiques sont alors valorisées par les garanties de scientificité qu’elles apportent aux enquêtes. Les milieux intégrationnistes tirent le meilleur parti d’enquêtes qui enregistrent un désir majoritaire pour plus d’Europe [88] mais aussi des nouvelles propositions théoriques qui font de l’opinion un paramètre du succès de l’intégration. En contrepartie du crédit scientifique qu’ils apportent à l’opinion européenne, des chercheurs (Inglehart, Schmitt, Sinnott) exercent un certain ascendant sur la conception des questionnaires. Mais la rationalisation politique de l’instrument EB impose bientôt qu’il n’obéisse qu’aux seuls besoins des décideurs communautaires. En 1989, l’INRA, consortium d’instituts de sondages, remporte le contrat-cadre des sondages de la Commission et met fin à la tutelle historique de Faits et Opinions. Sous l’influence des conseillers de l’INRA, les rapports EB se transforment rapidement en instrument de communication : présentation systématique des résultats sous formes graphiques et projections cartographiques (en couleur sur papier glacé), communiqué de presse, relégation de l’appareil méthodologique en annexe, communication événementielle à l’occasion de la publication des résultats, mise en ligne des rapports sur le site de la Commission. La politisation des usages et la médiatisation accrue des EB entraînent une normalisation des questionnaires ainsi qu’un lissage institutionnel des analyses. Toute l’expertise opérationnelle des EB est désormais fournie par des entreprises commerciales. En 1990, Inglehart s’éloigne. La marginalisation des académiques dans la production des sondages transcommunautaires se confirme au cours des années 2000 où l’EB est érigé en instrument modèle de la nouvelle « gouvernance européenne », suite au livre blanc du même nom publié en 2001. Dans le mouvement de démocratisation procédurale de l’UE où les répondants sont tous peu ou prou des stakeholders des politiques communautaires, le programme est intensément mis à contribution après l’échec du traité constitutionnel. L’exploitation directement politique des sondages exige plus que jamais docilité et réactivité. Nulle intermédiation académique donc, seulement des contrats commerciaux [89], dans les commandes que les DG de la Commission et désormais le Parlement passent directement auprès du consortium TNS Opinion & Social qui gère et coordonne contractuellement la réalisation des différents EB. Si la base de données EB inspire toujours autant d’analyses secondaires [90], elle est aujourd’hui le produit d’une « science sans savant [91] » tel le baromètre auquel le programme emprunte son nom. Le rôle des savants de l’opinion auprès de la Commission s’est ainsi normalisé, circonscrit en somme à des sollicitations à la fois ponctuelles – sous forme de comité d’experts – et strictement encadrées par l’appareil bureaucratique ou les conseillers politiques de la Commission.
Notes
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[1]
Archives de la Commission européenne à Bruxelles (désormais CEAB) 2/321 CECA, Doc. 2/1955-1957.
-
[2]
Cf. Livre blanc sur une politique de communication européenne (p. 3) publié par la Commission en février 2006.
-
[3]
Stocking (G. W.), « On the Limits of “Presentism” and “Historicism” in the Historiography of the Behavioral Sciences » (1965), in Race, Culture and Evolution: Essays in the History of Anthropology, New York, Free Press, 1968.
-
[4]
Cf. Livre blanc…, op. cit.
-
[5]
Lascoumes (P.), « L’obligation d’informer et donc de débattre. Une mise en public des données de l’action publique », in Gerstlé (J.), dir., Les effets d’information en politique, Paris, L’Harmattan, 2001.
-
[6]
« Souvent anonyme et technique » la littérature bureaucratique sur l’État « semble n’obéir qu’à des considérations pratiques » mais « véhicule des représentations de l’État qui sont constitutives de la réalité même de l’État ». Bourdieu (P.) et al., « Sur la science de l’État », Actes de la recherche en sciences sociales, 133, 2000, p. 5.
-
[7]
Briquet (J.-L), « Communiquer en actes. Prescriptions de rôle et exercice quotidien du métier politique », Politix, 28, 1994.
-
[8]
Notre matériau d’enquête est constitué des CEAB et d’entretiens avec les « protagonistes » passés et actuels de l’EB (agents communautaires, sondeurs, etc.). Je remercie Cécile Robert, Antoine Vauchez et mes relecteurs anonymes pour leurs remarques.
-
[9]
On préférera le terme transcommunautaire au qualificatif européen qui établit une confusion entre le territoire de l’Europe politique (l’UE) et le continent géographique ou culturel.
-
[10]
Rabier (J.-R.), « La naissance d’une politique d’information sur la Communauté européenne (1952-1967) » in Dasseto (F.), Dumoulin (M.), dir., Naissance et développement de l’information européenne, Bern, Peter Lang, 1993.
-
[11]
Smith (A.), « La Commission et le “peuple”. L’exemple d’usages politiques des Eurobaromètres », in Bréchon (P.), Cautrès (B.), dir., Les enquêtes Eurobaromètres. Analyse comparée des données socio-politiques, Paris, L’Harmattan, 1998.
-
[12]
Situation où les interactants coopèrent sans appartenir aux mêmes univers professionnels, et ne sont donc pas vraiment en concurrence pour les mêmes rétributions matérielles ou immatérielles. Ils disposent de ressources en partie différenciées et sont pris dans des relations qui sont instituées (sans être toujours explicitement réglées) et contingentes à l’égard des univers d’appartenance des interactants. Cf. Elias (N.), Qu’est-ce que la sociologie ?, Paris, Pocket, 1991, p. 83 et s.
-
[13]
Elias définit la configuration comme un « modèle d’interpénétration », « un jeu à l’intérieur duquel il existe une hiérarchie de plusieurs relations » et dont l’une des « particularités structurelles » est d’établir « un équilibre fluctuant des tensions » qui le traversent (ibid., p. 154 et s.).
-
[14]
Inglehart (R.), Reif (K.), eds., Eurobarometer: The Dynamics of European Public Opinion. Essays in Honour of Jacques-René Rabier, Londres, Mac Millan, 1991 ; Bréchon (P.), Cautrès (B.), dir., Les enquêtes Eurobaromètres, op. cit.
-
[15]
Karila-Cohen (P.), L’État des esprits. L’invention de l’enquête politique en France (1814-1848), Rennes, PUR, 2008.
-
[16]
Cohen (A.) et al., « Esprits d’État, entrepreneurs d’Europe », Actes de la recherche en sciences sociales, 166-167, 2007.
-
[17]
« Rapport de l’Assemblée commune sur les relations avec la presse et l’information de l’opinion publique en ce qui concerne l’activité et les objectifs de la Communauté » (Rapporteur E. Carboni), février 1957.
-
[18]
Par un activisme très intensif (soutien à des colloques, à des revues spécialisées) qui sera prolongé par la politique européenne de la Recherche.
-
[19]
Bailleux (J.), « Comment l’Europe vint au droit. Le premier congrès international de la CECA (1957) et la naissance d’un groupe dans la construction d’une doctrine communautaire », Revue française de science politique, 60 (2), 2010.
-
[20]
Blondiaux (L.), La fabrique de l’opinion. Une histoire sociale des sondages, Paris, Éd. du Seuil, 1998.
-
[21]
Sur les catégories de sens des élites comme catégories pré-statistiques, cf. Héran (F.), « L’assise statistique de la sociologie », Économie et statistique, 169, 1984.
-
[22]
Doc. 347/54 f (lettre datée du 22 janvier 1954), CEAB 1/257 CECA.
-
[23]
« L’opinion publique et la CECA », Note confidentielle, 10 décembre 1957, Doc. 4686-57f, CEAB 3/767.
-
[24]
« Renseignements tirés des sondages sur le CECA », 29 octobre 1957, Doc. 7581/57f, CEAB 3/767.
-
[25]
Une stratégie d’information et de communication pour l’Union européenne, 2002, COM(2002) 350 final/2.
-
[26]
Desrosières (A.), La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte, 1993.
-
[27]
Visites au siège de la Commission (journalistes, dirigeants économiques, syndicalistes), conférences, réception de personnalités ; partenariats avec les milieux scolaires, subventions à des associations (Maisons de l’Europe, Comité international de formation européenne).
-
[28]
Publications pour les « publics déterminés » (écoles, universités, milieux agricoles), diffusions de films, fourniture d’émissions aux radios et télévisions, création de « symboles » et « insignes de marque communautaire ».
-
[29]
« Programme d’activité du service du porte-parole de la Haute Autorité pour l’année 1961 », 26 septembre 1960, CEAB 2/1115, Doc. 5635/60f.
-
[30]
« Résolution sur la politique d’information dans les Communautés européennes », 24 novembre 1960.
-
[31]
Manin (B.), « Le concept d’opinion publique », in Manin (B.) et al., dir., Opinion publique et démocratie, Paris, CNRS, 1987.
-
[32]
« L’opinion publique et l’Europe des Six. Une enquête internationale auprès du grand public en Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas », 1962, CEAB 2/2174.
-
[33]
Ibid., p. 3.
-
[34]
Ibid., p. 7.
-
[35]
Ibid., p. 12 et 13.
-
[36]
Publié en 1953 par les éditions de l’Université de l’Illinois (Urbana).
-
[37]
« Rapport du groupe de travail sur les sondages d’opinions courantes concernant les pays étrangers », 1956, archives de l’UNESCO.
-
[38]
« Ce que les Européens pensent des Américains », Le Courrier de l’UNESCO, avril 1952.
-
[39]
Même s’il existe d’intéressantes controverses scientifiques sur la comparabilité des opinions recueillies. Cf. Dogan (M.), Rokkan (S.), eds., Quantitative Ecological Analysis in the Social Sciences, Cambridge, MIT Press, 1969.
-
[40]
Entre autres, ce comité comprend T. H. Marshall, H. Lasswell, S. Rokkan, D. Lerner, H. Riffaut (au titre de l’IFOP) et J. Stoetzel (au titre de l’Université de Paris).
-
[41]
Barton (A.), « Paul Lazarsfeld and Applied Social Research: Invention of the University Applied Social Research », Social Science History, 3 (3-4), 1979.
-
[42]
Blondiaux (L.), « Paul F. Lazarsfeld (1901-1976) et Jean Stoetzel (1910-1987) et les sondages d’opinion : genèse d’un discours scientifique », Mots, 23, 1990.
-
[43]
Dans un cours donné en 1965 à l’Institut d’études européennes de Bruxelles, Rabier adosse son analyse des mécanismes d’opinion aux travaux de Stoetzel, Lazarsfeld et Easton. Cf. Rabier (J.-R.), « L’information des Européens et l’intégration de l’Europe », 1965 (doc. repr.).
-
[44]
Sur la base des « conclusions des experts » du sondage de 1962, le réarmement de l’action d’information proposé par la Commission opère désormais une distinction entre les « leaders d’opinion » et la « masse du grand public ». Cf. Mémorandum sur la politique des Communautés en matière d’information, 1963, COM(63).
-
[45]
« Résolution sur la politique d’information dans les Communautés européennes », 23 novembre 1962.
-
[46]
Costa (O.), Magnette (P.), « Idéologies et changements institutionnels dans l’Union européenne : pourquoi les gouvernements ont-ils constamment renforcé le Parlement », Politique européenne, 9, 2003.
-
[47]
« Une analyse multivariée des relations entre les réponses à chaque paire d’items […] qui permet de constituer des échelles hiérarchisées, composées chacune d’un ensemble d’items qui ont non seulement une corrélation significative entre eux ». Cf. « Les Européens et l’unification de l’Europe, Analyse des résultats d’une enquête menée dans les six pays de la Communauté européenne », 1972, CEAB, BAC 3/1974.
-
[48]
Dans les « Conclusions et perspectives pour l’action » (ibid.), sont désignés les « obstacles » au développement du sentiment européen : « nationalisme, ethnocentrisme, conservatisme et l’image techno-bureaucratique des réalisations actuelles ».
-
[49]
Ibid., p. 1.
-
[50]
Ibid., p. 211.
-
[51]
Ibid., p. 26.
-
[52]
Lazarsfeld (P.) et al., The People’s Choice: How the Voter Makes Up his Mind in a Presidential Campaign, New York, Columbia University Press, 1944.
-
[53]
Peters (G.), « Bureaucratic Politics and the Institutions of European Community », Sbragia (A.), ed., Euro-Politics. Institutions and Policy-Making in the “New” European Community, Washington, Brookings Institution, 1991.
-
[54]
Eymeri (J.-M.), Georgakakis (D.), « Les hauts fonctionnaires de l’Union européenne », in Belot (C.) et al., dir., Science politique de l’Union européenne, Paris, Economica, 2008.
-
[55]
« Programme d’activité d’information pour 1971 », SEC(71) 590 final, 2 avril 1971, p. 4.
-
[56]
Ibid., p. 10.
-
[57]
Membre du cabinet de Monnet à la Haute Autorité où il a en charge la presse et d’information, il dirige ensuite le SPI (1961-1967) puis à partir de 1970 la DG-X de la Commission. En janvier 1973, il doit céder son poste à un haut fonctionnaire irlandais.
-
[58]
Il collabore à la revue Esprit à la fin des années 1940.
-
[59]
Autour des travaux de K. Deutsch (Political Community at the International Level, New York, Doubleday and Co, 1954) qui portent sur l’intégration européenne (France, Germany, and the Western Alliance, New York, Schribner’s and Sons, 1967).
-
[60]
Haas (E.), The Uniting of Europe: Political, Social and Economic Forces, 1950-1957, Stanford, Stanford University Press, 1958.
-
[61]
Haas (E.), « The Uniting of Europe and the Uniting of Latin America », Journal of Common Market Studies, 5 (4), 1967.
-
[62]
Easton (D.), Framework for Political Analysis, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1965.
-
[63]
Puchala (D.), « The Common Market and Political Federation in Western European Public Opinion », International Studies Quarterly, 24 (1), 1970.
-
[64]
Lindberg (L.), « The European Community as a Political System: Notes Toward the Construction of a Model », Journal of Common Market Studies, 5 (4), 1967.
-
[65]
Inglehart (R.), « Public Opinion and Regional Integration », International Organization, 24 (4), 1970.
-
[66]
Elle quittera en 1987 l’université pour collaborer directement à l’unité EB de la Commission avant d’en prendre la direction de 1993 à 1999. Depuis 2005, elle est membre du Bureau des conseillers politiques de la Commission.
-
[67]
Alors assistant du professeur Sidjanski, Barroso sera un politiste très investi dans le réseau international des études européennes (visiting Scholar à Luxembourg puis Florence), fondant l’Association universitaire d’études européennes (1979). En 1983, il publie Le système portugais face à l’intégration européenne. Partis politiques et opinion publique, Lausanne, LEP.
-
[68]
Inglehart (R.), « The New Europeans : Inward or Outward Looking », International Organization, 24 (1), 1970.
-
[69]
Inglehart (R.), Rabier (J.-R.), « Europe Elects a Parliament: Cognitive Mobilization, Political Mobilization and Pro-European Attitudes as Influences on Voter Turnout », Government and Opposition, 14 (4), 1979.
-
[70]
En septembre 1972, les Norvégiens refusent par référendum l’adhésion à la CE ; en juin 1975, les Anglais votent le maintien de leur pays dans la CE ; en 1976, est adoptée l’élection des eurodéputés au suffrage universel.
-
[71]
Au nom de l’IFOP puis de l’institut Faits et Opinons.
-
[72]
Les données sont aujourd’hui stockées au Zentralarchiv für Empirische Sozialforschung de l’Université de Cologne. Initialement (1987), elles étaient transmises à l’Université Ann Arbor (Michigan) d’Inglehart et au Mannheimer Zentrum für Europäische Sozialforschung de Schmitt (qui abrita, avec le soutien financier de la Commission, l’éphémère Zentrum für Europäische Umfrageanalysen und Studien).
-
[73]
Pour une analyse des questionnaires EB, Aldrin (P.), « L’Eurobaromètre et la fabrique officielle de l’opinion européenne » in Gaxie (D.) et al., dir., L’Europe des Européens, Paris, Economica, 2010 (à paraître).
-
[74]
Inglehart (R.), The Silent Revolution. Changing Values and Political Styles Among Western Publics, Princeton, Princeton University Press, 1977.
-
[75]
Blondiaux (L.), La fabrique de l’opinion, op. cit, p. 235.
-
[76]
L’EB sonde les attitudes sur l’élection des eurodéputés en 1979 (EB 9) et comporte en 1984 un référendum fictif sur l’éventualité d’un passeport européen, d’une monnaie unique, d’une équipe européenne aux Jeux olympiques (EB 21).
-
[77]
Entretiens et A. Smith, « La Commission et le “peuple” », art. cit.
-
[78]
Cf. les « Orientations et objectifs 1985-1988 de la politique d’information et de communication de la Commission » adoptées en 1985 (CEAB) ou le rapport Baget Bozzo du Parlement sur la politique d’information de la CE en 1986.
-
[79]
Sur cette notion, cf. Manin (B.), Principes du gouvernement représentatif, Paris, Champs-Flammarion, 1995, p. 279.
-
[80]
Depuis 1975, ils analysent les trains de questions commandés par les différentes DG, intégrés aux vagues de l’EB Standard et portant sur un problème social ou une politique communautaire.
-
[81]
Pierson (P.), Politics in Time: History, Institutions and Social Analysis, Princeton, Princeton University Press, 2004.
-
[82]
Inglehart (R.), Reif (K.), eds., Eurobarometer, op. cit. (qui s’ouvre sur une photographie pleine page de Rabier).
-
[83]
Inglehart (R.), La transition culturelle dans les sociétés industrielles avancées, Paris, Economica, 1993.
-
[84]
Piloté par R. de Moor (Université de Tilburg), l’EVS a réalisé quatre vagues (1981, 1990, 1999 et 2008). Y contribuent Rabier, Stoetzel, Melich, Riffaut, Noelle et Inglehart qui va créer le World Values Surveys.
-
[85]
Expression employée par plusieurs de nos interlocuteurs pendant l’enquête, notamment Rabier et Melich.
-
[86]
Santer met un terme aux Continous Track Surveys et limite le media monitoring. Prodi dissout la DG X en 1999 avant de la recréer sous la pression des eurodéputés.
-
[87]
Certaines DG en font un usage régulier (Développement, Énergie, Recherche, Politique régionale) ou occasionnel (Économie-finances, Transports, Agriculture) ou pas d’usage (Politique industrielle, Concurrence, Affaires extérieures). Cf. Smith (A.), « La Commission et le “peuple” », art. cit.
-
[88]
Même si on peut y voir l’effet mécanique de tout questionnaire sur le « dialogue », la « coordination » ou l’« harmonie » entre décideurs politiques.
-
[89]
En 2008, les crédits d’engagement consacrés par la seule DG-Comm aux enquêtes d’opinion s’élevaient à plus de 10 millions d’euros (sources : Commission), hors enquêtes commandées par les autres DG ou le Parlement.
-
[90]
Pour une synthèse raisonnée, Belot (C.), « Les logiques sociologiques de soutien au processus d’intégration européenne : éléments d’interprétation », Revue internationale de politique comparée, 9 (1), 2002.
-
[91]
Bourdieu (P.), « Remarques à propos de la valeur scientifique et des effets politiques des enquêtes d’opinion », Pouvoirs, 33, 1985.