Notes
1L’analyse conventionnelle de l’économie politique des monarchies du Golfe veut que ces régimes utilisent la redistribution de la rente pétrolière pour pacifier leurs sociétés et maintenir des systèmes autoritaires de gouvernement. Il n’était donc pas surprenant que les régimes de la région réagissent instinctivement aux soulèvements de 2011 avec des politiques clientélistes internes.
2Par contre, l’échelle de cette politique était inattendue. En Arabie saoudite, les sommes allouées par décrets en février et mars 2011 pour l’emploi, le logement et les mesures sociales ont atteint un montant total de 130 milliards de dollars, montant supérieur à celui de l’ensemble du budget du pays pour l’année 2007. En septembre 2012, le conseil des ministres a annoncé que près de trois cent mille Saoudiens et Saoudiennes avaient été embauchés par le gouvernement pour cette seule année – ce qui équivaut à peu près au total (officiel) de l’augmentation de l’emploi public pour toute la décennie précédente et correspond à près de la moitié de l’emploi dans le secteur privé en 2010.
3Le reste des pays du Golfe ont poursuivi des politiques similaires. Par exemple, le gouvernement de Bahreïn a promis vingt mille nouveaux emplois dans son ministère de l’Intérieur, ce qui correspond à 7 % de la population active du pays, et le gouvernement d’Oman a promis cinquante mille emplois supplémentaires.
4À Bahreïn, le clientélisme n’a pas empêché le réveil du grave conflit religieux qui existait avant le soulèvement régional de 2011. Dans le reste de la région, le clientélisme semble avoir réussi, permettant aux différents pays de traverser la crise sans troubles domestiques majeurs. En dehors de ses régions chiites de l’est, l’Arabie saoudite n’a connu que de petites manifestations. Dans le sultanat d’Oman, les manifestations avançant des revendications socio-économiques furent plus importantes, mais elles se sont graduellement éteintes au cours de l’année.
5Ce qui est peut-être plus impressionnant, alors que la jeunesse arabe poursuivait ses manifestations et ses luttes dans les rues du Caire, de Damas, Sanaa et Tunis, une enquête de 2012 sur la jeunesse arabe [1] indiquait que l’approbation de leur gouvernement par les jeunes Saoudiens avait augmenté de façon significative entre 2011 et 2012. Alors que, en 2011, 60 % des Saoudiens âgés de 18 à 25 ans estimaient que « le pays allait dans la bonne direction », ce pourcentage était de 75 % en 2012, un résultat supérieur à la fois aux moyennes pour les pays du Conseil de coopération des États arabes du Golfe et les autres États. Le reste des pays du Golfe ont aussi enregistré des taux de satisfaction supérieurs à la moyenne des autres pays arabes pour ces deux années.
6Ces résultats semblent confirmer les clichés qui présentent la jeunesse du Golfe comme étant peu active politiquement, sans doute naïve et facilement achetée par un régime paternaliste. Ceci est moins surprenant pour le Qatar et les Émirats arabes unis où les populations nationales sont peu nombreuses et la rente per capita très élevée. Mais c’est plus frappant en Arabie saoudite, pays au revenu moyen avec un sérieux problème de chômage. Ce royaume sera au centre de l’analyse présentée ici. Mais les arguments développés à son propos sont également valables pour toute la région, même si les menaces identifiées sont plus imminentes pour Bahreïn et Oman, et demeurent diffuses et à plus long terme pour les pays plus riches tels que le Qatar, le Koweït et les Émirats arabes unis.
7S’il existe une poussée militante parmi les jeunes Saoudiens, elle semble actuellement se limiter au militantisme moral salafi ou au djihadisme à l’étranger, ou bien à la délinquance de jeunes bandes de chauffards, sans options intermédiaires. On est alors tenté de conclure que les jeunes Saoudiens soit sont heureux de se faire acheter soit s’enferment dans une sorte de délire qui n’est pas menaçant politiquement.
8Pour tenter d’expliquer la stabilité politique de l’Arabie saoudite jusqu’à la fin 2014, on pourrait peut-être s’arrêter à ces quelques constatations. En dehors des régions chiites, la population saoudienne est restée remarquablement calme : les rares militants politiques téméraires qui se sont exprimés publiquement contre le régime étaient âgés de 30, 40 ou 50 ans. S’il est difficile de mesurer quel rôle le clientélisme a joué dans cette situation, il est possible d’attribuer l’amélioration des résultats des sondages entre 2011 et 2012 à l’augmentation des mesures paternalistes en faveur des sujets saoudiens.
9Cependant, les effets du clientélisme vont au-delà de la pacification des populations nationales. Les décrets clientélistes signalent un retour aux pratiques politiques de la période du boom pétrolier des années 1970 – sur une échelle bien supérieure mais moins viable et concernant des revendications bien plus complexes – et un coup d’arrêt des tendances à long terme vers une plus grande autonomie socio-économique des entreprises et citoyens saoudiens. Du fait d’un effet de cliquet par lequel les nouvelles mesures de redistribution sont faciles à créer mais difficiles à supprimer, celles-ci sapent la viabilité socio-économique à long terme du système saoudien. Des forces similaires sont à l’ œuvre dans le reste des pays du Golfe.
10Ces politiques ont placé un fardeau beaucoup plus lourd sur l’État, qui se trouve désormais sur une trajectoire fiscale difficilement supportable, alors même que les effets pacificateurs seront temporaires dans la mesure où les nouvelles mesures de redistribution vont inévitablement être considérées comme un dû tandis que les attentes ne cesseront de s’accroître. À moyen terme, il pourrait s’avérer plus difficile d’acheter et de diviser par des mesures clientélistes la population saoudienne, en particulier la jeunesse éduquée, que ce ne fut le cas pour les générations précédentes. D’un côté, cette population revendique ses « droits de consommateur » de façon bien plus ferme et mieux organisée face à l’État saoudien redistributeur. D’un autre côté, ses revendications non matérielles sont devenues plus complexes du fait de niveaux d’éducation plus élevés, de l’utilisation des médias sociaux et de la connaissance des évolutions régionales et internationales. Il est plus difficile de la diviser entre les camps traditionnels des « libéraux » et des « islamistes ». Un groupe plus limité de jeunes militants a déjà manifesté son mécontentement face aux largesses du régime et le niveau général de politisation des jeunes Saoudiens est bien supérieur à celui de la génération précédente.
11Afin de développer les arguments présentés ci-dessus, nous allons, dans ce qui suit, tout d’abord présenter une vue d’ensemble du système clientéliste saoudien, en décrivant comment ce système a marginalisé l’activité économique privée et comment, en général, la jeunesse saoudienne a été désavantagée par ce processus. Ensuite, nous analyserons l’impact des mesures clientélistes de 2011 et 2012 sur le système saoudien en termes économiques et politiques, en insistant à nouveau sur la jeunesse du pays, avant de présenter la politisation croissante et parfois même le militantisme de cette jeunesse. Nous conclurons par quelques brèves remarques sur les déclencheurs potentiels de mobilisations politiques à grande échelle et sur la viabilité économique du système clientéliste actuel.
Le système clientéliste saoudien
12L’économie politique de l’Arabie saoudite se caractérise par un rôle exceptionnellement dominant de l’État, dans la mesure où tous les revenus pétroliers sont accaparés par le gouvernement et que la redistribution de la rente continue d’être le moteur essentiel de la croissance et, dans une grande mesure, de la formation des groupes sociaux. Le rôle central de l’État redistributeur a entraîné non seulement la marginalisation de la production privée, mais également de l’organisation sociale autonome, puisque la plupart des formations sociales – les réseaux familiaux, les élites urbaines, les classes sociales, etc. – en sont venues à s’organiser de façon concentrique autour de l’État.
13Les Saoudiens bénéficient d’une grande variété de services gratuits ou largement subventionnés, y compris l’éducation et la santé, fournies gracieusement par des agences publiques, et l’eau, l’électricité et les carburants pour les transports, proposés à un prix qui se situe en dessous des coûts de production et bien en dessous des coûts d’opportunité. La composante politiquement la plus importante du système clientéliste saoudien reste cependant l’emploi public. Environ deux tiers des Saoudiens employés le sont par le gouvernement – la moyenne internationale est plus proche de 20 %. Les dépenses pour les salaires publics ont à peu près triplé depuis 2000. Par ailleurs, la population des employés du secteur privé est dominée par des travailleurs étrangers dont le salaire est bas.
14Malgré cette tentative de partager la richesse issue du pétrole à travers l’emploi à grande échelle dans le secteur public, la société saoudienne souffre de considérables inégalités. L’éventail des salaires du secteur public est très large (de 3 000 à 42 000 rials saoudiens par mois, soit de 630 à 8 800 euros). De façon plus significative, étant donné la forte poussée démographique, nombre de Saoudiens sont exclus de l’emploi public. Nombreux sont ceux qui sont exclus de la force de travail – la population active représente 36 % seulement de la population totale – ou rejoignent le secteur privé où les salaires sont en général plus faibles.
Les entreprises et l’État : la génération de la demande
15Comme le reste de la population, le monde des affaires saoudien est fondamentalement dépendant de l’État. Les aides et le favoritisme peuvent prendre la forme de l’octroi de terres et de contrats publics, d’intrants subventionnés tels que l’électricité et le gaz à bas coût ou de crédits publics. Contrairement à ce qui se passe dans les économies développées conventionnelles, les entreprises ne contribuent quasiment pas aux ressources de l’État, dans la mesure où il n’y a pratiquement pas d’impôts en Arabie saoudite.
16Depuis des décennies, les marchands saoudiens ont accumulé et réinvesti leurs capitaux, amélioré leur capacité managériale et augmenté leur degré d’autonomie au quotidien par rapport à l’État. Même la demande du consommateur « privé » saoudien que les entreprises cherchent à satisfaire est générée en grande partie par l’État, dans la mesure où elle dépend des salaires publics et est donc, à moyen terme, totalement dépendante des dépenses publiques. Les salaires du secteur privé sont faibles et concernent majoritairement les expatriés, qui envoient une grande partie de leurs gains dans leur pays d’origine.
17Le fait que les entreprises saoudiennes préfèrent la force de travail étrangère bon marché pousse les citoyens saoudiens qui veulent travailler à se tourner vers l’État et, en retour, la marginalité des citoyens sur le marché du travail privé rend les entreprises encore plus dépendantes des dépenses publiques pour stimuler l’économie. La part de la consommation publique par rapport à la consommation privée en Arabie saoudite est plus de deux fois plus élevée que dans les pays développés et en voie de développement non producteurs de pétrole, ce qui induit un rôle disproportionné de l’État dans l’économie.
18Nous verrons que le bras long du clientélisme permet au régime de contrôler et de pacifier temporairement la population nationale plus facilement que ne peuvent le faire les gouvernements des pays arabes plus pauvres – mais le système clientéliste est aussi moins viable à long terme, car il établit des niveaux toujours plus élevés de prestations sans accroissement correspondant des capacités productives de la société saoudienne. L’inégalité que le système engendre – même si elle est non intentionnelle – est son talon d’Achille politique.
La jeunesse saoudienne en marge du clientélisme
19En Arabie saoudite, les inégalités ont une dimension générationnelle particulièrement marquée, ce qui augmente leur impact politique. Malgré une période de transition démographique, la population saoudienne continue d’augmenter de 2 % par an, alors que la force de travail croît beaucoup plus rapidement, de plus de 4 % par an au cours de la décennie 2000-2009.
20Plus de quatre cent mille jeunes Saoudiens et Saoudiennes atteignent l’âge d’entrer sur le marché du travail chaque année, alors que moins de soixante-dix mille Saoudiens atteignent l’âge de la retraite. Si l’on tient compte des décès liés au travail, l’augmentation nette de la population en âge de travailler est d’environ trois cent mille Saoudiens par an. Plus de 80 % des Saoudiens au chômage enregistrés auprès du ministère du Travail ont entre 20 et 34 ans et nombre d’entre eux n’obtiennent un emploi stable qu’à la trentaine. En outre, lorsqu’ils ont un emploi, les jeunes reçoivent dans le privé des salaires bien inférieurs à ceux de leurs aînés : les travailleurs qui ont entre 40 et 49 ans gagnent 2,5 fois plus que les travailleurs âgés de 22 à 29 ans – pour le Royaume-Uni, par exemple, ce ratio est de 1,4.
21Les limites de l’État redistributeur se font donc ressentir de façon plus aiguë parmi les jeunes qui sont dans l’incapacité de trouver un emploi adéquat dans le secteur privé et doivent attendre de nombreuses années sur des listes d’attente pour accéder à un emploi dans le secteur public. Ce phénomène est encore plus sévère chez les jeunes femmes. Le taux de chômage des femmes approche en effet 30 %.
22De la même façon, les jeunes Saoudiens bénéficient moins que les autres citoyens des régimes de subventions existants. Ils sont exclus de facto de l’aide publique au logement du fait de longues listes d’attente, ce qui signifie en retour qu’ils profitent aussi moins des services publics bon marché que leurs compatriotes plus âgés. On peut dire que la subvention dont ils profitent le plus est l’essence bon marché, qui en l’absence de travail ne sert pas à grand-chose, si ce n’est à se balader inutilement.
23Les inégalités intergénérationnelles ne peuvent expliquer l’existence de troubles politiques si, par ailleurs, la situation est bonne. Mais ce ne sera pas toujours le cas. La seule période sérieuse de mobilisation d’une opposition dans l’histoire moderne de l’Arabie saoudite – la vague de protestations islamistes du début des années 1990 – comportait une forte dimension générationnelle et, ce qui est essentiel, était survenue en période de crise économique. Elle trouvait ses racines dans les inégalités matérielles entre les générations qui sont apparues à l’ère de l’austérité et de la stagnation économique des années 1980 et 1990. De nombreux jeunes islamistes avaient été intégrés tardivement dans le système saoudien et restaient enferrés dans le chômage ou aux niveaux inférieurs de l’administration et dominés par une génération de « libéraux » qui avaient connu une accélération de leurs carrières à l’époque du boom pétrolier des années 1970.
24Les opportunités sont plus nombreuses aujourd’hui, dans la mesure où les dépenses publiques ont enregistré des taux de croissance à deux chiffres durant presque toute la décennie 2000. La situation est probablement trop bonne pour nourrir une insatisfaction aiguë et diffuse. Il n’en reste pas moins que la position de la jeunesse saoudienne, à la marge du système de redistribution, reste assez précaire. Les jeunes Saoudiens sont aujourd’hui si nombreux que, pour étendu qu’il soit, le clientélisme gouvernemental n’en atteint qu’une fraction. Comme au cours des années 1990, une tension structurelle persistante existe entre, d’un côté, un régime dirigé par une petite génération vieillissante de technocrates et, de l’autre, une bien plus nombreuse cohorte démographique jeune, éduquée et impatiente. Et cette tension s’est exprimée depuis 2011, bien que de façon limitée, dans une nouvelle vague de militantisme parmi les jeunes inspirés par le printemps arabe.
Les effets des mesures redistributives
25Les décrets clientélistes du printemps 2011 avaient pour but, entre autres choses, d’étendre les réseaux distributionnels de l’État aux nombreux jeunes mobilisés politiquement. Outre les trois cent mille nouvelles embauches dans le secteur public et un salaire minimum de 3 000 rials saoudiens (630 euros) dans ce secteur dont profitèrent avant tout les employés au bas de l’échelle avec peu d’ancienneté, le gouvernement a introduit une assurance chômage offrant une allocation mensuelle de 2 000 rials saoudiens (420 euros) à tous les demandeurs d’emploi du pays pour une période maximum de douze mois. La mise en chantier de cinq cent mille nouveaux logements par le gouvernement visait également la jeunesse saoudienne, mais en son sein plutôt ceux approchant la trentaine que les étudiants et les plus jeunes à la recherche d’un premier emploi.
26Ces nouvelles mesures ont permis de redistribuer la fortune du royaume un peu plus largement. Cependant, elles ont aussi, pour une nouvelle génération de Saoudiens et pour le secteur privé, entraîné un retour à une forte dépendance par rapport à l’État, avec des conséquences potentiellement débilitantes à long terme pour le développement économique du royaume et sa viabilité fiscale. Et encore une fois, ces mesures atteignent les bénéficiaires visés, en particulier parmi les jeunes, de façon inégale.
Les effets sur les citoyens
27Les dépenses actuelles du gouvernement saoudien – incluant les salaires publics et les transferts sociaux – ont spectaculairement augmenté de 20 % en 2011 et d’environ 10 % annuellement depuis. Alors que le gouvernement fait pression sur les entreprises privées pour qu’elles embauchent des Saoudiens, les récentes mesures redistributives limitent la perspective d’une intégration durable de ces derniers au sein de la force de travail privée. Les allocations chômage, même si elles sont modestes par rapport au niveau de vie saoudien, sont environ 50 % plus élevées que le salaire moyen dans le secteur privé, ce qui peut potentiellement inciter les Saoudiens à abandonner les emplois privés peu payés ou, du moins, à ne pas accepter d’emploi dans le secteur privé avant que leurs allocations n’expirent.
28De façon plus problématique, le nouveau salaire minimum dans le secteur public est plus de deux fois supérieur au salaire moyen de l’ensemble des travailleurs du privé et seulement 15 % inférieur au salaire moyen des Saoudiens dans le privé. Ajoutés à la nouvelle vague d’embauche par le gouvernement, ces éléments incitent fortement les jeunes Saoudiens à rejoindre la masse de ceux qui attendent d’obtenir un emploi public et à continuer de suivre des formations qui ne sont pas pertinentes en vue d’intégrer le secteur privé – notamment lorsqu’ils optent pour un cursus en sciences humaines, dont les diplômes offrent néanmoins des avantages sur le marché du travail public similaires aux diplômes plus difficiles à obtenir en Arabie saoudite.
29La perspective d’obtenir un emploi public à la rémunération généreuse a sans doute augmenté les prétentions salariales des jeunes Saoudiens, les excluant encore plus du marché du travail privé et accentuant leurs attentes vis-à-vis de conditions de travail convenables. En même temps, le gouvernement a maintenu sa politique ouverte d’immigration, soutenant ainsi la tendance aux salaires de misère proposés dans le secteur privé. Le différentiel d’employabilité entre les nationaux et les expatriés dans le secteur privé a rarement été aussi grand.
Les effets sur les entreprises
30À première vue, il semble plus difficile d’affirmer que les conséquences des récentes politiques redistributives ont été mauvaises pour le secteur privé. Depuis 2004, le taux de croissance réel du secteur privé n’a jamais été inférieur à 5 %. Cependant, une analyse plus minutieuse montre que la part des dépenses publiques dans le produit intérieur brut non pétrolier a augmenté en moyenne d’environ 55 % durant la période 2000-2005 à plus de 60 % depuis l’année 2011, marquée par les troubles dans la région, alors que le clientélisme local se développait fortement.
Part de la dépense publique dans le produit intérieur brut non pétrolier
Part de la dépense publique dans le produit intérieur brut non pétrolier
31En conséquence, une grande partie de l’activité privée résulte de la demande générée par l’État. En comparaison de la période maigre des années 1980 et 1990, la contribution privée à la consommation s’est réduite. Le gouvernement a également augmenté sa part dans le développement du capital. En 2011, pour la première fois depuis la deuxième guerre du Golfe de 1990-1991, sa contribution a dépassé celle du secteur privé. Dans les années 1990 et au début des années 2000, le développement du capital privé a été cinq fois plus élevé que celui du capital public.
32La croissance du secteur privé au cours des dernières années a été impressionnante. Cependant, ce phénomène se traduit par un niveau de dépendance par rapport à l’État que l’on n’avait plus constaté depuis le début des années 1980. Outre la demande générée par l’État, les entreprises saoudiennes dépendent aussi toujours des intrants bon marché fournis par l’État, que ce soit l’énergie ou la force de travail à bas coût venant d’Asie. Le débat concernant la réforme des subventions attribuées à l’énergie et au gaz a volé en éclat au lendemain du Printemps arabe et a été relancé récemment mais de façon très prudente. Ce qui représente un nouveau coup de frein pour le projet visant à orienter le royaume vers une croissance durable fondée sur la diversification technologique plutôt que l’énergie bon marché et la hausse permanente des dépenses publiques.
La jeunesse saoudienne au lendemain du Printemps arabe
33Comment les récentes mesures clientélistes ont-elles influencé l’attitude politique des jeunes Saoudiens ? Si l’on en juge par les résultats des sondages présentés dans l’introduction du présent article, elles ont sans doute contribué à limiter et isoler toute tentative de protestation. On perçoit cependant les signes d’un nouveau militantisme de la jeunesse, qui semble moins facilement contrôlable que par le passé à travers les mesures traditionnelles de cooptation et la politique du « diviser pour mieux régner », et qui se positionne de façon délibérée contre un ordre social et politique dominé par les générations plus âgées. En février 2011, une nouvelle génération de militants prodémocratie formée aux nouvelles technologies de l’information s’est organisée autour d’un certain nombre de revendications politiques, incluant une réforme constitutionnelle et l’abaissement de l’âge moyen des ministres à 40 ans et celui des membres de la chambre haute (Majlis al-Shura) à 45 ans.
34Parce qu’ils tentent d’éviter de se voir attribuer les étiquettes de « libéraux » et d’« islamistes », les jeunes militants sont – selon l’expression de Stéphane Lacroix [2] – « post-idéologiques ». Ils sont ainsi moins faciles à diviser que les mouvements antérieurs, organisés selon des lignes de partage idéologiques et souvent régionales plus rigides. Début 2011 également, des milliers de militants ont apposé leur signature au bas d’une pétition exigeant la démission du ministre de l’Intérieur, le prince Nayef, ce qui reflétait non seulement un affaiblissement des divisions idéologiques mais aussi un degré d’audace sans précédent.
35Certains jeunes Saoudiens ont également rejeté les largesses « sultanesques » qui leur ont été octroyées au lendemain du Printemps arabe, considérant que tenter de « les acheter » ainsi était un affront fait à leurs aspirations à une plus grande participation politique et civique. L’absence d’autonomie économique des Saoudiens implique aussi sans aucun doute un manque d’autonomie des citoyens de plus en plus insupportable, en proie qu’ils sont à la merci du favoritisme discrétionnaire du régime.
36Les revendications politiques des jeunes militants semblent cependant être encore embryonnaires et le Sahwa, principal mouvement islamiste à s’être mobilisé contre le régime dans les années 1990, dominé par des hommes d’âges moyens ou plus avancés, suit toujours une stratégie loyaliste. En outre, ces jeunes militants disposaient de réseaux organisationnels bien plus faibles que leurs homologues tunisiens et surtout égyptiens. Les militants d’Afrique du Nord avaient mis au centre de leurs revendications, par ailleurs très diversifiées, le retrait du chef de l’État. Les opposants saoudiens sont loin d’avancer des revendications aussi radicales et n’ont pas d’exigences centrales autour desquelles se regrouper. Il existe aussi un espoir résiduel, au moins chez certains militants, de voir dans le roi Abdallah un réformateur potentiel.
37À court terme, des mobilisations à grande échelle restent donc peu probables, même autour de modestes revendications constitutionnelles. Pour le moment, nombre de jeunes Saoudiens sont apolitiques et ceux qui souhaitent un changement sont souvent adeptes d’une approche graduelle. Cela ne signifie pas, cependant, que les jeunes Saoudiens vont continuer à se faire « acheter » aussi facilement que les générations précédentes. Les mesures clientélistes passées ont toujours produit cet effet de cliquet par lequel le geste généreux de la veille devient un droit acquis aujourd’hui, entraînant une résistance farouche (et en général victorieuse) face à toute tentative de remise en cause des mesures consenties. Les Saoudiens sont habitués à profiter de niveaux élevés de redistribution de la part de l’État et de nouvelles mesures clientélistes lors de prochaines crises pourraient être excessivement coûteuses. Comme l’a montré Caryle Murphy, même suite aux récents décrets clientélistes, la majorité des jeunes Saoudiens partagent le sentiment qu’ils ne jouissent pas du même niveau de bien-être et de sécurité économique que la bien moins nombreuse génération de leurs parents [3].
38En même temps, une crise de l’emploi s’annonce qui est en partie de la responsabilité du gouvernement lui-même. Les attentes élevées de la jeunesse saoudienne sur le marché du travail découlant des décrets de 2011 ne sont pas susceptibles d’être satisfaites par le secteur privé ; parallèlement, le secteur public n’est pas à lui seul capable d’absorber l’importante nouvelle cohorte de demandeurs d’emploi, même si les politiques menant au suremploi sont poursuivies. Une montée des revendications économiques à moyen terme est bien plus envisageable aujourd’hui qu’elle ne l’était en 2010.
Une approche attentiste : l’expansion d’un enseignement supérieur de mauvaise qualité
39Un des principaux facteurs qui pourraient contribuer à une telle crise est le niveau très élevé d’éducation des jeunes Saoudiens. Au cours des années 2000, le gouvernement a rapidement développé son système d’enseignement supérieur, en partie en agrandissant les universités existantes, mais également en construisant dans l’urgence de nouvelles universités de qualité douteuse en province.
Les étudiants en Arabie saoudite (hommes et femmes)
Les étudiants en Arabie saoudite (hommes et femmes)
40Alors que le nombre de Saoudiens en âge de s’inscrire à l’université a augmenté d’environ 60 % au cours des quinze dernières années, le nombre total d’inscrits a pour sa part augmenté de 300 %. Environ trois cent mille nouveaux étudiants entrent désormais dans le système universitaire saoudien chaque année, ce qui correspond aux trois quarts environ de cette tranche d’âge. En outre, cent quatre-vingt mille étudiants sont actuellement inscrits dans des universités à l’étranger. Alors que les étudiants à l’université représentaient moins d’un tiers de leur tranche d’âge dans les années 1990, ils en représentent aujourd’hui l’écrasante majorité.
41L’expansion de l’enseignement supérieur a permis de mettre temporairement dans des universités locales les jeunes Saoudiens qui, pour la plupart, se seraient autrement retrouvés au chômage. L’allocation mensuelle dont bénéficient les étudiants saoudiens est similaire à l’allocation prévue par l’assurance chômage. Mais repousser à plus tard le problème de l’emploi par le biais de cette expansion démesurée du système universitaire a sans doute considérablement fragilisé celui-ci. Alors que la qualité de l’enseignement supérieur demeure médiocre et que les perspectives d’emploi bien rémunéré dans le secteur privé sont faibles, les attentes matérielles se sont certainement accrues parmi les jeunes diplômés et nombreux sont ceux qui refuseront un emploi de chauffeur, de vendeur en magasin ou d’agent de sécurité – seuls types d’activité où le nombre de places à pourvoir serait suffisant pour accueillir les futurs demandeurs d’emploi. Par ailleurs, le taux élevé d’échec en cours d’études n’aide guère à améliorer la situation. L’enquête de 2012 sur la jeunesse arabe indique en outre que les jeunes Saoudiens sont plus préoccupés par l’économie et le chômage que la moyenne des jeunes Arabes.
42De la même façon que les attentes et préoccupations matérielles semblent s’être accrues, le niveau de conscience politique des jeunes Saoudiens est bien plus élevé qu’il n’était dix ans auparavant, ce qui est dû à la fois au niveau plus élevé d’éducation (même s’il reste médiocre) et à un très haut degré de pénétration d’internet. Dans la même enquête sur la jeunesse arabe, parmi les douze nationalités sélectionnées, ce sont les Saoudiens qui donnent la plus haute importance à l’accès à internet et qui déclarent le plus utiliser quotidiennement internet, la plus forte hausse à ce sujet s’étant produite entre 2011 et 2012. Après le sultanat d’Oman et la Tunisie, le royaume compte également le pourcentage le plus élevé d’interrogés qui se tiennent au courant quotidiennement ou presque de l’actualité et, entre 2011 et 2012, l’augmentation de ce pourcentage a été plus forte en Arabie saoudite que dans tous les autres pays du Conseil de coopération des États arabes du Golfe.
43Ce qui est peut-être plus surprenant, c’est que 68 % des jeunes Saoudiens déclaraient en 2012 que vivre dans un pays démocratique était très important à leurs yeux, résultat partagé avec la Libye et dépassé seulement par l’Égypte. Le sondage ne nous dit pas à quel type de régime démocratique les Saoudiens aspirent, ni dans quelles circonstances ils seraient prêts à se mobiliser pour y parvenir, mais il va à l’encontre du cliché selon lequel la jeunesse saoudienne serait apolitique et hédoniste. Outre le fait que les jeunes Saoudiens soient confrontés à l’insécurité socio-économique, ils semblent aussi avoir – au moins de façon latente – d’importantes revendications politiques non matérielles.
44Les identités des jeunes Saoudiens semblent également être moins fragmentées régionalement que celles des générations précédentes, ce qui est peut-être le résultat du développement rapide des médias sociaux. Par le passé, la société saoudienne était scindée socialement et politiquement en grande partie à cause d’un système clientéliste segmenté verticalement qui a permis au régime de reproduire différents clivages. Ce système de clientélisme segmenté a cependant moins d’impact sur la jeunesse qui en est exclue.
Les facteurs potentiels de mécontentement
45Une petite minorité a récemment pris d’énormes risques pour exprimer ses revendications politiques. Qu’est-ce qui pourrait amener une plus grande part de la jeunesse mécontente matériellement et politiquement à lui emboîter le pas ? Il est évident qu’il faudrait qu’une crise plus grave advienne, probablement une crise avec une composante socio-économique susceptible de mobiliser de larges pans de la population, comme cela fut le cas dans la plupart des soulèvements du Printemps arabe. À ce stade, seules quelques hypothèses sont susceptibles d’être émises, mais un certain nombre de propositions peuvent être avancées.
46Une des préoccupations majeures de la population saoudienne est la corruption au sein du gouvernement. Des cas de corruption impliquant des cadres qui n’appartiennent pas à la famille royale et se trouvant au-dessous du niveau ministériel sont de plus en plus souvent rapportés dans la presse, et des rumeurs de corruption à tous les niveaux du gouvernement circulent largement sur les réseaux sociaux. De nombreux Saoudiens sont excédés par le trafic d’influence et la vénalité au sein de l’État, même si de telles pratiques en aident certains à profiter des ressources du royaume. Des histoires concernant l’appropriation de terres appartenant à l’État sont assez souvent entendues et impliquent pour la plupart des membres de la famille des Saoud. Ce genre de rumeurs est particulièrement exaspérant pour la population du fait de la visibilité des propriétés foncières – y compris les terrains restés inoccupés afin de favoriser la spéculation – dans les villes saoudiennes. Nombreux sont ceux, parmi la majorité des citoyens qui n’ont pas les moyens de s’acheter leur propre maison, qui rendent responsables du prix élevé des terres les spéculateurs qui s’approprient le marché.
47De même, les citoyens saoudiens semblent très exigeants envers leur gouvernement en ce qui concerne la qualité des services publics et les avantages sociaux. Les Saoudiens se mobilisent fréquemment pour défendre leurs droits en tant que consommateurs. Au cours des dernières années ont eu lieu des manifestations contre la corruption et la mauvaise gestion de plusieurs universités, des rassemblements de diplômés au chômage exigeant des emplois publics, ainsi que des appels à la grève parmi les enseignants du privé auxquels le gouvernement avait promis un salaire minimum de 5 000 rials saoudiens (1 050 euros). La mauvaise qualité de différents services publics est très souvent pointée du doigt, ce qui débouche souvent sur des pétitions à travers les réseaux sociaux.
48Le pacte social saoudien étant en large partie fondé sur le favoritisme et l’allocation d’avantages sociaux, le régime se montre bien plus tolérant envers les mobilisations en faveur des droits des consommateurs. Cependant, ces protestations pourraient bien induire des revendications plus politiques – tout comme en Égypte les défaillances quotidiennes des services publics et la corruption ont été attribuées au régime de Moubarak – et être utilisées comme telles par l’opposition.
49C’est précisément ce qu’ont tenté de faire cinq jeunes Saoudiens fin 2011, lorsqu’ils ont diffusé des vidéos sur YouTube révélant les défauts de construction de certains projets immobiliers du gouvernement. Ils furent bien sûr arrêtés. Cependant, de façon générale, le gouvernement dispose de peu de ressources ou de raisons légitimes pour réprimer les campagnes menées au sein des réseaux sociaux dénonçant la corruption ou des services publics déficients, qui pourraient être utilisées à l’avenir pour construire des réseaux d’expérience en vue d’éventuelles mobilisations. Le régime semble ne pas bien savoir comment traiter ces contestations de faible intensité. Une répression généralisée à l’égard des réseaux sociaux, dont le bruit court parfois, serait considérée comme une atteinte majeure du régime contre la liberté d’expression, qui risquerait d’entraîner une réaction très négative de l’opinion publique.
50La corruption et les droits des consommateurs pourraient devenir des problématiques encore plus explosives avec l’introduction de nouveaux avantages sociaux, l’augmentation du niveau d’éducation, puisque la gratitude se transforme très vite en défense des droits acquis. En eux-mêmes, les problèmes liés aux droits des consommateurs ne sont pas suffisants pour provoquer un large mouvement en faveur de réformes politiques, mais ils pourraient se combiner aux problèmes relatifs au chômage des jeunes, aux inégalités et à la stagnation sociale en vue de protestations plus importantes – qui pourraient être déclenchées par un cas de corruption particulièrement frappant ou des incidents lors de la répression de protestations plus limitées. La paralysie des hauts responsables ou la fragmentation en leur sein en cas d’invalidité du roi Abdallah ou de faiblesse de son successeur pourraient accroître la probabilité que de tels événements aient lieu. Même si les résultats du sondage cités en introduction signalent que les jeunes Saoudiens sont remplis d’espoir quant à l’avenir de leur pays, cela pourrait rapidement se transformer en frustration si leurs attentes ne sont pas satisfaites et, peut-être, si le roi Abdallah qui incarne cette espérance disparaissait de la scène.
51En cas de mobilisation de masse, la première ligne de défense serait sans doute un recours plus vaste aux mesures clientélistes par de nouvelles allocations chômage et une hausse de l’emploi public. De telles mesures pourraient être suffisantes à court terme pour endiguer la mobilisation de la majorité des protestataires, à l’exception des militants convaincus. Elles pourraient être fiscalement viables au moins pendant quelques années. Le royaume continue en effet d’enregistrer des excédents budgétaires malgré une multiplication par quatre des dépenses publiques annuelles depuis 2012 et les réserves saoudiennes à l’étranger correspondent environ à l’équivalent de trois budgets annuels au niveau actuel des dépenses du gouvernement.
52Cependant, il est très difficile de revenir sur des engagements concernant la redistribution et toute mesure clientéliste supplémentaire risquerait d’accroître les distorsions sur le marché du travail, d’approfondir la dépendance envers l’État et de raccourcir la durée de vie du modèle économique saoudien tel que nous le connaissons aujourd’hui. Une hausse des dépenses qui se ferait sur le modèle de redistribution existant ne permettrait que de rapprocher l’heure du bilan, qui ne dépend que du prix du pétrole et du futur niveau des dépenses. Le rôle dominant de l’État saoudien dans l’économie et sur le marché du travail faisait la force de ce système durant la période de crise politique et économique récente. Il risque de devenir son point faible lorsque les ressources du gouvernement s’affaibliront, en l’absence d’activité économique autonome dans le reste de la société. Et l’effondrement du système pourrait être d’autant plus violent que la population et les entreprises auront atteint un niveau de dépendance envers l’État inédit depuis le boom pétrolier des années 1970-1980.
53*
54La réaction sur le plan fiscal du gouvernement saoudien au Printemps arabe a considérablement accru le rôle de l’État dans la société et l’économie. De nouvelles mesures clientélistes ont créé un certain nombre de stimulants économiques pervers, augmentant la dépendance des entreprises vis-à-vis de l’État et empêchant les citoyens de participer au développement de leur propre économie. Bien que le système saoudien soit plus institutionnalisé que dans les années 1970, il suit à nouveau une logique de clientélisme et de croissance générée par l’État.
55De nombreux jeunes Saoudiens sont encore exclus de l’économie politique du clientélisme d’État, mais ils sont plus conscients politiquement et ont des attentes matérielles plus élevées – ce qui est en partie dû aux conséquences des politiques clientélistes qui s’adressent spécifiquement à eux, notamment l’expansion de l’enseignement supérieur. Une nouvelle génération « post-idéologique » est sans doute moins facile à diviser en différents camps politiques, comme ce fut le cas des jeunes générations antérieures. Elle pourrait se mobiliser politiquement si des facteurs tels que la crise imminente de l’emploi et le mécontentement généralisé face à la corruption et l’inégalité d’accès aux services publics se combinaient pour former une protestation socio-économique plus large.
56Bien que cet article prenne pour objet d’analyse l’Arabie saoudite, la plupart des tendances examinées sont pertinentes pour l’univers plus large des monarchies rentières et conservatrices. Des propos similaires pourraient être tenus à propos d’Oman, du Koweït et, dans une certaine mesure, de Bahreïn. Dans tous ces pays, la redistribution de la rente a provoqué des effets de cliquet, entraîné d’autres revendications et, avec le temps, perdu une partie de sa fonction de dépolitisation, malgré une dépendance persistante de larges secteurs de la société envers l’État. Le clientélisme rentier a créé, involontairement peut-être, de profondes inégalités – malgré un niveau d’institutionnalisation, une puissance de l’État et une idéologie paternaliste beaucoup plus élevés que dans beaucoup d’autres États pétroliers en voie de développement. Avec un certain retard, les processus de modernisation créant une classe moyenne urbaine plus politisée ont également commencé à produire leurs effets au sein des pays rentiers du Golfe grâce à l’éducation, un accès plus important aux médias modernes et la formation de réseaux sociaux laïcs.
57Le réservoir idéologique et social d’une jeunesse politisée est plus restreint dans le Golfe, mais structurellement similaire à celui de la Tunisie et de l’Égypte. Son émergence en Arabie saoudite, au Koweït et à Oman pourrait préfigurer l’avenir des Émirats arabes unis et du Qatar, pays plus riches qui ont une puissance fiscale supérieure et dont l’histoire de la redistribution de la rente à grande échelle est relativement plus brève mais structurellement très similaire.