Notes
-
[1]
Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Seuil, 2006. Yann Algan, Pierre Cahuc, La Société de défiance. Comment le modèle social français s’autodétruit, Paris, éditions de la rue d’Ulm, 2007.
-
[2]
« Qui dit intérêt, dit conflit » (Arlette Martin-Serf, « L’évolution législative et les conflits dans les entreprises en difficulté », Gazette du Palais, 26 juin 2008, p. 9).
-
[3]
Jacques Chevallier, Présentation, in Jacques Chevallier (dir.), La Gouvernabilité, Paris, CURAPP-PUF, 1996, p. 5 sq., notamment p. 11.
-
[4]
Cf. Jean-Pierre Gaudin, La Démocratie participative, Armand Colin, 2007 ; Marc Crépon, Bernard Stiegler, De la démocratie participative : fondements et limites, Paris, Mille et une nuits, 2007.
-
[5]
Alain Boyer, « Ce serait folie d’ignorer les conséquences », Archives de philosophie du droit, n° 48, 2004, p. 275 sq.
-
[6]
Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Comment agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2001.
-
[7]
François Ost, Michel van de Kerchove, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Presses des Facultés universitaires Saint-Louis, 2002.
-
[8]
Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1977, notamment p. 20.
-
[9]
Décret 2010-1072 du 10 septembre 2010 instaurant une Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, présidée par Jean-Marc Sauvé, dont le rapport a été remis le 26 janvier 2011 (Pour une nouvelle déontologie de la vie publique, notamment p. 19-20).
-
[10]
« Une situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés de nature à compromettre l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction. »
-
[11]
Pierre-François Cuif, « Le conflit d’intérêts : essai sur la détermination d’un principe juridique en droit privé », RTD commercial, n° 1, janvier-mars 2005, notamment p. 1.
-
[12]
Claire Ogier, Le Conflit d’intérêts, thèse de doctorat, Université Jean-Monnet, Saint-Étienne, 2008, p. 278.
-
[13]
Cf. par exemple Cass., crim., 5 novembre 1998, Bull. crim., n° 289.
-
[14]
Cass., 1re civ., 4 juillet 2012, n° 11-19624.
-
[15]
Projet de loi sur la moralisation de la vie publique adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 25 juin 2013.
-
[16]
Sur ce point, cf. Jean-Bernard Auby, « Conflits d’intérêts et droit administratif », Droit administratif, n° 12, décembre 2010. Cumul des mandats que propose de prohiber la commission présidée par Lionel Jospin.
-
[17]
Cf. par exemple la proposition n° 25 du Sénat qui suggère de modifier l’article LO 146-1 du code électoral pour interdire à un parlementaire de devenir avocat ou conseil au cours de son mandat.
-
[18]
Cass., com., 15 novembre 2011, n° 10-15.049, F-P+B, Sté DL finances c/A. : JurisData n° 2011-025126.
-
[19]
Cass., soc., 12 janvier 2012, n° 10-20.600, F D, C. c/ Sté Assistance par le travail : JurisData n° 2012-000325.
-
[20]
Cf. François Bourricaud, « Loyauté », in Encyclopædia Universalis, 1990, p. 1195 sq, notamment p. 1195.
-
[21]
Cf. Amartya Sen, Éthique et économie, Paris, PUF, 1993, p. 55 sq. ; le même, L’Idée de Justice, Paris, Flammarion, 2009, notamment p. 66 sq.
-
[22]
Jean-Denis Bredin, « Remarques sur la transparence », Revue de jurisprudence commerciale, numéro spécial, 1993, p. 175.
-
[23]
Cf. Fabrice Riem, La Notion de transparence dans le droit de la concurrence, Paris, L’Harmattan, 2002.
-
[24]
Cf. Manuel Castells, La Société en réseaux. L’ère de l’information, Paris, Fayard, 1998.
-
[25]
Cf. Mustapha Mekki, « L’information en droit privé. Réflexions critiques sur le dogme de la transparence », in L’Information, viiie journées juridiques franco-japonaises, Société de législation comparée, vol. 11, 2012, p. 139 sq.
-
[26]
Jean Carbonnier, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e éd., Paris, LGDJ, 2001, p. 321.
-
[27]
Jean-Marc Varaut, « Secret et transparence », Gazette du Palais, 14 septembre 2002, p. 2 sq.
-
[28]
Le décret 2013-414 du 21 mai 2013, publié au Journal officiel du 22 mai, prévoit « la mise à disposition du public […] de tous les avantages [consentis aux professionnels] en nature ou en espèces d’une valeur supérieure ou égale à 10 euros TTC ».
-
[29]
Cf. par exemple les articles L. 225-102-1 et L. 225-21 du code de commerce.
-
[30]
Acronyme de l’organisation patronale Mouvement des entreprises de France.
-
[31]
Pour une vue d’ensemble, cf. Daniel Cohen, « Indépendance des arbitres et conflits d’intérêts », Revue de l’arbitrage, n° 3, 2011, p. 611 sq.
-
[32]
Jean Carbonnier, « Effectivité et ineffectivité de la règle de droit », in Jean Carbonnier, Flexible droit, op. cit., p. 133 sq.
-
[33]
Cf. par exemple la disqualification d’un acte authentique en acte sous seing privé en raison d’un conflit d’intérêts, notaire qui a instrumenté un acte dont l’une des parties était son père (Cass., 3e civ., 31 octobre 2012, n° 11-25789, P+B+I).
-
[34]
Jean-Étienne-Marie Portalis, Discours et rapports sur le Code civil, Paris, Joubert, 1844 ; rééd. Caen, Centre de philosophie politique et juridique, 1989, p. 54.
1La notion de conflit d’intérêts est l’objet, depuis quelques années, d’une inflation verbale. La première difficulté d’une telle notion réside dans sa définition même. Le conflit, selon le Petit Robert, renvoie « à l’antagonisme, à la conflagration, à la discorde, à la lutte, à l’opposition ou au tiraillement ». Les intérêts en conflit, quant à eux, sont multiples : individuels, collectifs, catégoriels, publics, locaux, régionaux, généraux, mondiaux... Ces conflits d’intérêts relevaient un temps du simple fait divers, de l’anecdote. Ils deviennent, notamment par le relais des médias et en raison d’un sentiment général de défiance à l’égard des décideurs politiques, économiques et juridiques, une question de société monopolisant l’espace public de discussion. Les affaires Woerth, Bettencourt, Servier, Cahuzac, constituent de tristes illustrations d’un phénomène plus large de prise de distance progressive et dangereuse entre les gouvernants et les gouvernés, entre les producteurs de la norme et leurs destinataires [1]. La lutte contre les conflits d’intérêts est devenue une nécessité devant la confusion de plus en plus fréquente des intérêts publics et privés. Cependant, la fin ne justifie pas n’importe quels moyens. Pour que la lutte contre les mauvais conflits d’intérêts soit efficace, encore faut-il choisir les moyens les plus adaptés afin d’éviter l’instauration d’une « société de défiance » et de favoriser la mise en place d’une « société de confiance ».
2Le conflit d’intérêts est le propre de l’homme [2]. Au sens le plus large, il y a conflit d’intérêts lorsque l’agent a un lien avec un autre intérêt qui vient en conflit ou en opposition avec celui dont il a la charge. Ces hypothèses se font aujourd’hui plus nombreuses, pour de multiples raisons. L’action publique, dans un système prônant le modèle de la « gouvernance », est devenue « le produit d’interactions entre des acteurs multiples publics et privés dont on cherche à concilier les stratégies et harmoniser les intérêts [3] ». La loi est elle-même désacralisée. Les études d’impact, les diverses négociations, consultations ou concertations avec les membres de la société civile, lors d’« états généraux », de « grenelles » ou de forums de discussion, exposent le législateur à une plus forte influence des groupes d’intérêts menaçant l’idée d’une loi qui serait l’expression de la volonté générale. Le droit négocié et la démocratie participative semblent être à ce prix [4] ! Le juge, de son côté, se tourne davantage vers les experts et les membres de la société civile. Il adopte une méthode conséquentialiste qui l’expose lui aussi au jeu des influences [5]. Enfin, vivre dans un « monde incertain », qui est en outre dominé par le dogme du marché, amène à accorder une place plus importante aux experts et à leur évaluation [6]. Cette « démocratie technique ou expertale » intensifie les risques de conflits d’intérêts. Phénomène autrefois isolé, en raison d’une forte hiérarchisation et d’une rigoureuse sectorisation des intérêts privés et publics, l’organisation en réseau, qui s’appuie sur une conciliation permanente des intérêts en présence, a augmenté les risques et les cas de conflits d’intérêts [7]. Or ces conflits d’intérêts rejaillissent sur la légitimité des décisions et la méfiance s’installe : la loi qui a été votée, la décision de justice qui a été rendue, la politique qui a été choisie, l’ont-elles été par une prise en considération équitable de tous les intérêts en présence ? C’est cette légitimité qui est aujourd’hui menacée et rend nécessaire des mesures destinées à lutter contre les mauvais conflits d’intérêts et à restaurer un lien de confiance. Il faut cependant éviter l’écueil de « la bipolarité des erreurs [8] » en remplaçant un mal par un autre. « Méfie-toi de ton prochain », ne sera jamais une maxime utile à la construction ou à la reconstruction du lien social. Il convient de poser les bases saines d’un nouveau lien de confiance : confiance des citoyens, des usagers, des sujets de droit…
3Pour que confiance ne rime pas avec défiance, il faut opter pour une stratégie juridique qui peut être mise en œuvre en deux temps. La première étape suppose de clarifier la notion de conflit d’intérêts. Les fantasmes autour de cette notion sont, en effet, contre-productifs. Il convient de mettre en lumière les bons et les mauvais conflits d’intérêts. Seuls les conflits d’intérêts illégitimes doivent être la cible des mesures mises en œuvre. La première étape de la stratégie juridique doit donc consister à identifier les conflits d’intérêts. Il faut, ensuite, réfléchir à la meilleure manière de les encadrer. Prohiber tous les conflits d’intérêts est une utopie. Encadrer les conflits d’intérêts illégitimes reste un défi.
4En définitive, le meilleur moyen d’instaurer un lien de confiance qui ne tombe pas dans les travers d’une société de défiance suppose, dans un premier temps, d’identifier les conflits d’intérêts illégitimes afin de pouvoir envisager, dans un second temps, un encadrement plus efficace.
Identifier les conflits d’intérêts
5Pour éviter que règne une méfiance injustifiée à l’égard de tous les décideurs politiques et juridiques, et pour mettre à mal tout fantasme collectif, il faut faire la lumière sur ce que peut recouvrir le vocable « conflit d’intérêts », au nom d’une plus grande transparence. Les définitions proposées par divers rapports publics et par la doctrine sont aujourd’hui légion. Pour en saisir la pertinence, il convient de procéder au dépeçage du terme en déterminant, d’une part, la nature des intérêts en conflit et, d’autre part, la nature du conflit entre les intérêts.
La nature des intérêts en conflit
6Pour instaurer un climat de confiance et ne pas s’épuiser à prendre des mesures symboliques relevant du simple discours politique, il convient d’avoir une approche relativement large des intérêts en conflit. Les hypothèses sont tellement nombreuses qu’il paraît inopportun de délimiter de manière trop stricte les intérêts concernés. C’est en ce sens que les définitions proposées par la doctrine universitaire et les divers rapports publics peuvent être approuvées, en faisant le choix de se référer aux intérêts en général, sans distinction de nature. Cependant, s’il est opportun de ne pas se limiter à une liste des intérêts typiques qui pourraient être en conflit, il ne faut pas, à l’inverse, favoriser un climat de défiance. C’est la raison pour laquelle seule l’existence d’un intérêt significatif devrait être retenue, caractère qui pourrait être déterminé par convention, via des seuils ou critères légaux, ou laissé à l’appréciation du juge. Dans la sphère publique, le rapport déposé par la commission présidée par le vice-président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé, propose en ce sens de définir le conflit d’intérêts comme « une situation d’interférence entre une mission de service public et l’intérêt privé d’une personne qui concourt à l’exercice de cette mission, lorsque cet intérêt, par sa nature et son intensité, peut raisonnablement être regardé comme étant de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions [9] », définition qui a fortement inspiré celle de la commission « Pour un renouveau démocratique » présidée par Lionel Jospin (9 novembre 2012) [10]. Au-delà de la seule sphère publique, il a été proposé de considérer le conflit d’intérêts comme la « situation dans laquelle une personne voit ses intérêts personnels entrer en conflit avec des intérêts dont elle a la charge [11] », ou encore comme « la situation dans laquelle un intérêt à protéger en vertu d’une mission issue d’une compétence et d’un pouvoir, intérêt objectivement apprécié, est sacrifié au profit d’un intérêt opposé [12] ». Quelle que soit la définition retenue, l’intérêt est abordé de manière générique pour embrasser la très grande diversité des conflits d’intérêts susceptibles d’exister en droit public et en droit privé.
7Les intérêts en conflit peuvent ainsi être de nature économique, qu’ils soient financiers ou professionnels. Constituerait un conflit d’intérêts une participation financière d’un député dans une société d’un montant supérieur à 15 000 euros, soumise à déclaration en vertu de l’article 4 du code de déontologie de l’Assemblée nationale. Constituerait, dans le domaine privé, un conflit d’intérêts la participation financière d’un salarié dans une société en relation commerciale avec l’entreprise qui l’emploie et à l’insu de son employeur. Les intérêts peuvent également être de nature familiale. Ainsi de la loi 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé qui interdit aux experts de se trouver en conflit avec des membres de leur famille (art. L. 1452-2 du code de la santé publique). En matière pénale, la prise illégale d’intérêts peut découler de l’établissement d’un simple intérêt moral de nature familiale [13]. Les intérêts des proches de l’agent concerné doivent aussi être sondés. Tel est le cas de la proposition n° 14 du rapport public du Sénat qui préconise la déclaration d’intérêts des proches du parlementaire dès lors qu’il en a ou aurait dû en avoir connaissance.
8Pour une lutte efficace contre les conflits d’intérêts, il faut avoir égard aux intérêts passés et futurs sans se limiter aux intérêts présents. L’arsenal juridique existant est déjà en ce sens. Parmi les professions du chiffre, les commissaires aux comptes (art. L. 822-12, al. 1er, du code de commerce) et les administrateurs ou liquidateurs judiciaires (art. L. 811-2, al. 3, du même code) doivent procéder à la déclaration des liens passés, dans la limite de cinq années, qu’ils ont pu avoir avec la société contrôlée. L’article 4 du code de déontologie de l’Assemblée nationale oblige les députés, dans le même esprit, à déclarer leurs activités dans les cinq années précédant leur mandat. Même constat pour les intérêts futurs qui peuvent être pris en compte, par exemple, dans la qualification pénale de prise illégale d’intérêts qui intègre le « délit de pantouflage » consistant à avoir, à l’issue de son mandat ou de sa mission de service public, un intérêt dans une société que l’agent était chargé de contrôler pendant son mandat (art. L. 432-13 du code pénal).
9En définitive, la mise en place d’un système efficace de lutte contre les conflits d’intérêts suppose de renoncer à l’établissement d’une liste d’intérêts typiques. Tous les intérêts doivent être pris en compte. Cependant, pour ne pas tomber dans l’écueil d’une méfiance institutionnalisée, seuls les intérêts significatifs doivent être encadrés par la loi et par les juges. Il faut alors approuver la jurisprudence la plus récente de la Cour de cassation qui ne sanctionne un conflit d’intérêts, dans le cadre d’un arbitrage, qu’à la condition que le conflit d’intérêts soit réel et sérieux [14], limitant ainsi les risques d’une dangereuse « chasse aux sorcières ».
10Après avoir identifié les intérêts en conflit, il reste à s’interroger sur la nature du conflit entre les intérêts.
La nature du conflit entre les intérêts
11Le conflit d’intérêts est souvent mal connu voire méconnu tant par les agents concernés que par ceux qui sont censés le prévenir et le sanctionner. Aussi, pour lutter efficacement contre les mauvais conflits d’intérêts, faut-il avoir une connaissance des principaux scenarii. En ciblant les types de conflits d’intérêts les plus significatifs et les plus fréquents, on facilite le travail de ceux qui sont chargés de les encadrer et on informe les personnes concernées des situations sensibles dans lesquelles elles doivent prendre plus de précaution.
12Les conflits d’intérêts peuvent exister tant dans le cadre d’une relation verticale que dans celui d’une relation horizontale. Dans un cadre vertical, on pense immédiatement aux députés, sénateurs, élus locaux, administrateurs publics, fonctionnaires et autres agents chargés d’une mission de service public qui, devant agir dans l’intérêt général, ne peuvent tirer un profit personnel direct ou indirect de leur fonction. C’est dans ce contexte que se pose actuellement, à l’aube d’une réforme sur la moralisation de la vie publique [15], la question du cumul des mandats, source d’un conflit entre intérêt local et intérêt général [16], ou encore celle du cumul de la fonction d’élu avec le métier d’avocat ou de consultant [17]. Ce conflit d’intérêts de nature verticale n’est pas réservé au droit public et peut se manifester dans la relation entre un dirigeant social et son entreprise dont il doit faire prévaloir l’intérêt au détriment de son intérêt personnel [18]. Dans le même esprit, un salarié ne peut réaliser des actes dans son intérêt personnel qui seraient contraires à l’intérêt de l’entreprise [19].
13Les conflits d’intérêts ne sont pas l’apanage des relations verticales et sont également nombreux dans les relations dites horizontales. D’une manière très générale, un juge doit être impartial, principe phare du droit à un procès équitable de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. La Charte de déontologie de la juridiction administrative publiée par le Conseil d’État le 12 janvier 2012 prévient ce type de conflits en imposant une déclaration d’intérêts alors que le projet de loi organique 3705 du 27 juillet 2011, aujourd’hui abandonné, prévoyait un tel mécanisme pour les magistrats exerçant les plus hautes fonctions dans l’ordre judiciaire (art. 2). C’est surtout dans la sphère privée que ces conflits de nature horizontale sont les plus nombreux. Que l’on songe à l’interdiction faite au mandataire de se porter acquéreur du bien qu’il est chargé de vendre au nom et pour le compte du mandant (art. 1596 du code civil), au dirigeant social fiduciaire qui doit faire prévaloir les intérêts des actionnaires sur ses propres intérêts, aux experts du chiffre ou de la santé qui doivent agir de manière impartiale et indépendante.
14Malgré la diversité des hypothèses, une grille de lecture peut être proposée permettant de décoder la plupart des conflits d’intérêts. Cette grille peut s’appuyer sur un fondement et trois idéaux-types. Le fondement de la condamnation des conflits d’intérêts illégitimes est la loyauté. Il ne s’agit pas d’un principe exclusivement juridique mais d’un devoir moral, d’un devoir social. Il est au fondement du lien de confiance qui doit imprégner tout lien social [20]. Celui qui se place dans une situation de conflit d’intérêts et/ou qui ne révèle pas une telle situation manque à son devoir de loyauté. Ce principe fédérateur, applicable tant au domaine public qu’au domaine privé, est aux confins du droit, de la morale, de l’économie et du politique [21]. Le devoir de loyauté fonde la prohibition du conflit d’intérêts dans trois principales hypothèses que l’on peut donc qualifier d’idéaux-types.
15Le premier type de conflit se rapporte à un agent à qui un pouvoir a été confié. Le pouvoir se définit comme une prérogative confiée à une personne qui doit l’exercer, au moins en partie, dans l’intérêt d’autrui. Entre dans cette catégorie l’élu chargé de représenter l’intérêt général ou l’intermédiaire chargé de représenter son donneur d’ordre. Le deuxième idéal-type est l’agent chargé d’une mission d’« arbitrage ». Sont ici visés les juges, les arbitres, les médiateurs et conciliateurs. Enfin, troisième et dernier idéal-type, l’agent à qui est attribuée une mission d’évaluation en sa qualité d’expert juridique, financier, comptable ou scientifique. Dans ces trois hypothèses, des mesures spécifiques doivent être prises pour prévenir et sanctionner tout conflit d’intérêts.
16Reste, enfin, à déterminer l’intensité du conflit prohibé. Pour une lutte efficace, ce n’est pas seulement le conflit d’intérêts réel qu’il faut encadrer mais la simple apparence de conflit. À l’instar du principe selon lequel « justice must not only be done, it must also be seen to be done », l’apparence de conflit et la seule potentialité de conflits doivent être prises en compte car elles sont la source principale de défiance des citoyens et des sujets de droit. Bien entendu, si un conflit d’intérêts potentiel ou apparent doit nécessairement faire l’objet d’une révélation, il n’est cependant pas certain qu’il soit suffisamment significatif pour être sanctionné. En revanche, ne pas le révéler devient source de responsabilité.
17Finalement, tout en ayant conscience des limites d’une telle entreprise, une définition « globalisante » du conflit d’intérêts, commune à la sphère publique et à la sphère privée, peut être proposée. Il y a conflit d’intérêts lorsqu’il existe une situation d’interférence entre les intérêts confiés à une personne, en vertu d’un pouvoir qui lui a été délégué ou conféré, d’une mission d’arbitre qui lui a été confiée ou d’une fonction d’évaluation qui lui a été attribuée, et un autre intérêt public et/ou privé, direct ou indirect, interférence de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice loyal de sa mission.
18Lutter contre les conflits d’intérêts afin de restaurer une société de confiance, qui se veut l’antithèse d’une société de défiance, supposait au préalable de faire la lumière sur les conflits d’intérêts concernés, en identifiant clairement les situations problématiques. Une fois cette première étape achevée, il est alors possible de déterminer, dans un deuxième temps, quels sont les moyens d’un encadrement efficace des conflits d’intérêts illégitimes.
Encadrer les conflits d’intérêts
19Encadrer les conflits d’intérêts nécessite de répondre à une question préalable : faut-il se contenter d’un ensemble de règles spéciales, toujours plus nombreuses, de droit dur ou de droit souple, ou doit-on privilégier un principe général de prohibition des conflits d’intérêts ? À dire le vrai, il faut, pour ne pas mettre en place un système de défiance permanente, trouver un juste milieu. Les règles spéciales doivent se concilier avec un droit commun qui se fonde sur un principe général de loyauté intégrant les valeurs d’impartialité, d’indépendance et de transparence. À ce titre, l’absence d’une règle spéciale ne doit pas interdire la sanction de certains conflits d’intérêts.
20En partant de cette combinaison des droits spéciaux et du droit commun des conflits d’intérêts, il reste à s’interroger sur la meilleure stratégie juridique pour lutter efficacement contre ces conflits. Moins attentatoire aux libertés, il faut privilégier un ensemble de moyens préventifs. Quant aux mesures curatives, elles doivent demeurer des mesures ultimes, un dernier recours. En d’autres termes, il vaut mieux prévenir que guérir.
Prévenir
21Devant la grande diversité des situations et pour restaurer un lien de confiance, il convient d’encourager un ensemble de mesures préventives. Cependant, les mesures doivent être d’intensité variable et se combiner entre elles pour jouer le rôle de filtres. S’il faut parfois interdire, il faut surtout garantir une meilleure information par souci de transparence et mettre en place une politique d’acculturation.
22Si les interdictions per se peuvent être encouragées, cet ensemble de mesures doit rester exceptionnel. Actuellement, ces interdictions proviennent surtout de règles déontologiques. Cette primauté accordée à la déontologie se justifie par la forte coloration morale et éthique de la notion de conflit d’intérêts qui est aux interstices du droit et dont la condamnation constitue, avant tout, un jugement de valeur. Tel est l’esprit qui se dégage de la plupart des propositions faites par la commission présidée par Jean-Marc Sauvé qui prône une « nouvelle déontologie de la vie publique », des codes de déontologie mis en place par l’Assemblée nationale ou des propositions faites par le bureau du Sénat, instaurant respectivement un déontologue et une autorité de déontologie. Les interdictions recouvrent tant en droit public qu’en droit privé un ensemble d’incompatibilités. En ce sens, la commission présidée par Lionel Jospin, dont les propositions s’adressent aux membres du gouvernement, a proposé d’étendre les cas d’incompatibilités de ces derniers et d’élargir ces interdictions aux collaborateurs de cabinets (propositions n° 23 et 24). L’interdiction la plus polémique demeure celle qui se rapporte à la profession d’avocat. En première lecture, le projet de loi sur la transparence et la moralisation de la vie publique semble moins ambitieux que prévu. Aucun métier ne sera a priori interdit aux parlementaires. Mais l’activité de conseil ne sera accessible qu’aux professions réglementées (experts-comptables, avocats). Il sera en revanche interdit de commencer une nouvelle activité professionnelle en cours de mandat. Le Sénat était allé plus loin et avait proposé, dans son rapport, d’interdire la poursuite de la profession d’avocat pendant le mandat des parlementaires à moins d’obtenir une autorisation du bureau ou de l’autorité de déontologie. Il proposait d’interdire, en outre, de commencer à exercer une fonction d’avocat ou de conseil pendant leur mandat. Dans le domaine privé, de telles interdictions sont légion. Que l’on songe au mandataire, fiduciaire, tuteur ou personne assimilée qui se voit interdire de se porter contrepartie. Que l’on songe, encore, à ces nombreuses professions telles que les commissaires aux comptes (art. L. 822-10 sq. du code de commerce), notaires (art. 2, décret 71-941 du 26 novembre 1971) ou dirigeants (art. L. 225-38 et 225-43 du même code), frappées par de multiples incompatibilités.
23Interdire est une mesure efficace mais peut générer un fort sentiment de défiance parfois injustifié. Le régime de l’interdiction a également pour inconvénient de manquer de souplesse et de porter atteinte aux libertés, qu’elles soient de nature politique ou économique. Plutôt que de multiplier les mesures d’interdiction per se, qui doivent rester des mesures exceptionnelles et très ciblées, il faut préférer l’instauration d’un système fondé sur un principe de transparence, tout aussi efficace et moins attentatoire aux libertés.
24La diversité des conflits d’intérêts impose l’instauration d’un système fondé sur la transparence née de l’information. La transparence symbolise « la vérité, la limpidité, la pureté [22] ». La transparence du marché, celle de la vie politique ou d’une procédure sont autant d’appréciations portées sur un état des choses. La transparence est une vertu voire un principe [23]. Nous vivons dans l’ère de l’information et de la transparence [24]. En rendant publics les conflits d’intérêts réels ou potentiels, on instaure une transparence remplissant une double fonction. Elle est d’abord un instrument normatif car, en rendant publics ces conflits, on fait jouer à la publicité un rôle dissuasif et incitatif [25]. La transparence facilite également le contrôle a posteriori.
25Cette transparence peut être garantie par un régime préventif d’autorisation préalable tel qu’il existe, par exemple, en droit des sociétés à propos des conventions réglementées. Mais ce régime reste encore trop attentatoire aux libertés. La transparence souhaitée serait mieux assurée par la technique de la déclaration d’intérêts.
26L’obligation de révélation par une déclaration d’intérêts est encouragée, avec une étendue variable, par les différents rapports publics, que ce soit la commission Sauvé, Jospin, ou les rapports établis par l’Assemblée nationale ou le Sénat. Les projets de loi organique et ordinaire sur la moralisation de la vie publique, actuellement débattus, font de la transparence l’objectif premier et envisagent la création d’une « Haute autorité de la transparence de la vie publique ». Cette déclaration d’intérêts serait complétée par une déclaration des patrimoines. Dans le cadre de cette réforme, les membres du gouvernement, parlementaires nationaux et européens, principaux responsables exécutifs locaux, membres des autorités administratives indépendantes, collaborateurs des cabinets ministériels et du président de la République, titulaires d’emploi à la décision du gouvernement nommés en conseil des ministres et responsables des principales entreprises publiques, devront déclarer leurs intérêts et patrimoines auprès de la Haute autorité. Cette autorité sera dotée d’un pouvoir d’enquête et pourra même délivrer un avis d’incompatibilité avec l’exercice de fonctions publiques électives et non électives. Elle veillera enfin au respect, à la fin du mandat des membres du gouvernement, d’un délai de viduité.
27Il faut cependant prendre garde à ne pas se laisser séduire par une idéologie, au sens péjoratif du terme, de la transparence. Il faut éviter les « tendances vitricides » de la transparence [26]. Il faut aussi avoir égard au respect des secrets et de l’intimité de la vie privée. En outre, souvent, dire la transparence n’est pas rendre transparent et « les eaux les plus transparentes ne sont pas les plus profondes [27] ». Pour illustration des dangers d’un simple discours sur la transparence, il peut être cité le cas des deux décrets d’application du 21 mai 2013 de la loi 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé qui excluent de l’obligation de publication les contrats conclus avec des experts qui donnent lieu à facturation. Ainsi un « expert » pourra-t-il continuer à être rémunéré par un laboratoire sans publicité, situation qui avait été dénoncée lors du scandale sanitaire du Mediator.
28Pour éviter cette dictature de la transparence, les déclarations d’intérêts devraient être accessibles aux pairs et autorités de déontologie, sans pour autant l’être toujours aux citoyens. Ce n’est pas la voie qu’avait choisie la commission Jospin qui souhaitait que le public ait accès aux déclarations d’intérêts et d’activités des membres du gouvernement. Seules auraient été préservées les déclarations de patrimoine. La même polémique existe aujourd’hui à propos des déclarations de patrimoine dans le projet de loi sur la moralisation de la vie publique. Ces informations devaient au départ être librement accessibles à tous. Elles seront, finalement et selon le projet passé en première lecture à l’Assemblée nationale, seulement mises à la disposition des citoyens qui devront en faire la demande auprès de la préfecture géographiquement compétente. Ce compromis est appréciable afin d’éviter que la transparence ne devienne la cause d’une trop grande défiance à l’égard des parlementaires. Cette transparence quérable est d’ailleurs encadrée car les informations obtenues ne pourraient être rendues publiques sous peine de sanctions pénales.
29Au-delà des élus, la transparence est devenue le fer de lance de la réforme des activités de santé. La loi susmentionnée relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé est composée, en ce sens, d’un titre premier consacré à la « transparence des liens d’intérêts ». Même si les décrets d’application prêtent le flanc à de nombreuses critiques, cette initiative d’une plus grande transparence est appréciable. L’article 2 de la loi impose ainsi aux laboratoires pharmaceutiques de « rendre publique l’existence des conventions » passées avec les différents acteurs du système de santé [28].
30Enfin, la transparence est destinée à lutter contre le jeu d’influence obscur des lobbies. Pour un « lobbying responsable », des registres d’inscription ont été instaurés à l’Assemblée nationale et au Sénat, prenant pour modèles les registres de la Commission européenne et du Parlement européen. De tels registres sont préconisés par la commission Sauvé au sein de toutes les administrations (proposition n° 15). Le système manquant d’efficacité, un rapport a été remis par le député Christophe Sirugue au président de l’Assemblée nationale le 27 février 2013 qui propose de renforcer le contrôle des « représentants d’intérêts ».
31Ces obligations de révélation existent aussi en droit privé. Le terrain privilégié d’une telle transparence est aujourd’hui le monde de l’entreprise. Il est tout de même dommage que ces obligations de déclaration y demeurent ponctuelles [29] là où une obligation générale de révélation serait la bienvenue, à l’instar de ce que préconise d’ailleurs le Medef [30] dans son code de gouvernement d’entreprise (art. 17). À défaut d’obligations légales, les obligations de révélation sont imposées par des codes de bonne conduite ou autres chartes de comportement. Elles sont parfois imposées par le juge comme ce fut le cas à l’occasion d’une jurisprudence chaotique relative aux arbitres [31].
32À l’analyse, il s’avère que les procédures préventives ne seront véritablement efficaces qu’à la condition d’être complétées par une politique d’acculturation.
33La notion de conflit d’intérêts est une notion contingente et la limite qui sépare les bons des mauvais conflits d’intérêts varie dans le temps et dans l’espace. La lutte contre ces conflits relève donc d’une question de culture. La prise de conscience des agents susceptibles de se trouver dans un cas de conflit d’intérêts est l’étape première pour garantir aux différentes mesures préventives leur pleine efficacité. En somme, il convient de cultiver les esprits avant de pouvoir encadrer les actes. Il faut construire une culture des conflits d’intérêts. Tel a été le discours de la commission Sauvé qui a défendu comme on l’a vu la construction d’une « nouvelle culture de la déontologie », relayée en ce sens par la commission Jospin. Une « culture de la prévention des conflits d’intérêts » a même été formellement évoquée par le rapport du Sénat. On comprend mieux alors l’importance qui est accordée, dans la sphère publique, aux règles de déontologie. Leur fonction pédagogique est souvent mise en avant. L’Assemblée nationale avec son déontologue et le Sénat avec son autorité de déontologie créent un relais pédagogique susceptible d’éclairer et d’orienter les parlementaires. Si cette acculturation au conflit d’intérêts se développe rapidement dans le domaine public, elle se fait plus timide en droit privé. Certes, quelques codes de déontologie en font état et le monde de l’entreprise est irradié par la peur du conflit d’intérêts, justifiant la création de départements entièrement consacrés à la compliance, départements chargés de contrôler le respect d’une certaine éthique au sein de l’entreprise. Cependant, globalement, un effort de formation doit être fourni en la matière. En droit privé encore, les contrats peuvent aussi servir à véhiculer une éthique des conflits d’intérêts au moyen, notamment, de « clauses de conflits d’intérêts » qui se développent principalement dans les entreprises de culture anglo-américaines mais devraient s’étendre, avec le temps, à l’ensemble des entreprises.
34Si la prévention des conflits d’intérêts n’est pas suffisante, il faut alors envisager comme mesure ultime la mise en œuvre de mesures curatives. Si prévenir n’a pas suffi, il faut guérir.
Guérir
35Autant les mesures préventives sont convergentes dans le domaine public et dans le domaine privé, autant les mesures curatives y sont très distinctes.
36Dans le domaine public, les sanctions prises à l’encontre des agents publics qui se sont trouvés dans un cas de conflit d’intérêts sont essentiellement d’ordre disciplinaire et accessoirement d’ordre pénal. Sur le plan disciplinaire, la plupart des propositions faites par l’Assemblée nationale et le Sénat consistent à développer les sanctions « en interne », un jugement par les pairs, au moyen de mesures disciplinaires allant du rappel à l’ordre à l’exclusion temporaire en passant par la censure ou le déport « suggéré ». Quant aux sanctions pénales, il est préconisé par le rapport du Sénat de réduire la portée de l’article L. 432-12 du code pénal régissant le délit de prise illégale d’intérêts, car la sanction serait trop large et trop imprécise. Ces mesures ne peuvent, en l’état, contribuer à restaurer la confiance des citoyens. En effet, un jugement par les pairs n’est jamais un bon message adressé aux citoyens. Cette méfiance est d’autant plus justifiée que le déontologue de l’Assemblée nationale est dépourvu de tout pouvoir disciplinaire et le magistrat au sein de l’autorité de déontologie du Sénat demeure un simple conseil privilégié sans réel pouvoir. Quant à la « retouche » de l’infraction de prise illégale d’intérêts, elle serait justifiée par le « peu d’effectivité » de l’infraction. Ne peut-on pas, cependant, inverser le raisonnement et considérer qu’une infraction peu appliquée est peut-être la preuve de son effectivité, voire de son efficacité ? La relecture du doyen Jean Carbonnier serait ici très instructive [32].
37Dans le domaine privé, les sanctions sont plus variées car elles peuvent atteindre les personnes mais aussi les actes. La récusation est une manière de faire cesser l’illicite, la responsabilité civile, contractuelle ou extra-contractuelle, est un moyen de réparer le préjudice causé par la faute de l’agent. Quant aux actes, la sanction doit également être adaptée au but poursuivi et l’anéantissement de l’acte accompli doit être la dernière alternative [33].
38Gageons qu’à l’avenir la lutte efficace contre les conflits d’intérêts, qui sapent la légitimité de l’État et de la démocratie, ne sera pas un prétexte pour instaurer un régime de contrôle permanent, sclérosant et menaçant pour les libertés. L’exigence d’une plus grande transparence ne doit pas faire sombrer dans un système de défiance. Rappelons-nous, à cette fin, la pensée modérée de Jean-Étienne-Marie Portalis : « Sans doute, il ne faut pas que les hommes puissent se tromper mutuellement ensemble, mais il faut laisser quelque latitude à la confiance et à la bonne foi. Des formes inquiétantes et indiscrètes perdent le crédit, sans éteindre les fraudes, elles accablent sans protéger. Nous nous sommes effectivement convaincus que nos dernières lois sur cette matière ne pouvaient contribuer qu’à paralyser toutes les affaires de la société, à fatiguer toutes les parties intéressées, par des procédures ruineuses […]. Nous avons cru devoir revenir à un régime moins soupçonneux et plus modéré [34]. »
Notes
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[1]
Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Seuil, 2006. Yann Algan, Pierre Cahuc, La Société de défiance. Comment le modèle social français s’autodétruit, Paris, éditions de la rue d’Ulm, 2007.
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[2]
« Qui dit intérêt, dit conflit » (Arlette Martin-Serf, « L’évolution législative et les conflits dans les entreprises en difficulté », Gazette du Palais, 26 juin 2008, p. 9).
-
[3]
Jacques Chevallier, Présentation, in Jacques Chevallier (dir.), La Gouvernabilité, Paris, CURAPP-PUF, 1996, p. 5 sq., notamment p. 11.
-
[4]
Cf. Jean-Pierre Gaudin, La Démocratie participative, Armand Colin, 2007 ; Marc Crépon, Bernard Stiegler, De la démocratie participative : fondements et limites, Paris, Mille et une nuits, 2007.
-
[5]
Alain Boyer, « Ce serait folie d’ignorer les conséquences », Archives de philosophie du droit, n° 48, 2004, p. 275 sq.
-
[6]
Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Comment agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2001.
-
[7]
François Ost, Michel van de Kerchove, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Presses des Facultés universitaires Saint-Louis, 2002.
-
[8]
Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1977, notamment p. 20.
-
[9]
Décret 2010-1072 du 10 septembre 2010 instaurant une Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, présidée par Jean-Marc Sauvé, dont le rapport a été remis le 26 janvier 2011 (Pour une nouvelle déontologie de la vie publique, notamment p. 19-20).
-
[10]
« Une situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés de nature à compromettre l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction. »
-
[11]
Pierre-François Cuif, « Le conflit d’intérêts : essai sur la détermination d’un principe juridique en droit privé », RTD commercial, n° 1, janvier-mars 2005, notamment p. 1.
-
[12]
Claire Ogier, Le Conflit d’intérêts, thèse de doctorat, Université Jean-Monnet, Saint-Étienne, 2008, p. 278.
-
[13]
Cf. par exemple Cass., crim., 5 novembre 1998, Bull. crim., n° 289.
-
[14]
Cass., 1re civ., 4 juillet 2012, n° 11-19624.
-
[15]
Projet de loi sur la moralisation de la vie publique adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 25 juin 2013.
-
[16]
Sur ce point, cf. Jean-Bernard Auby, « Conflits d’intérêts et droit administratif », Droit administratif, n° 12, décembre 2010. Cumul des mandats que propose de prohiber la commission présidée par Lionel Jospin.
-
[17]
Cf. par exemple la proposition n° 25 du Sénat qui suggère de modifier l’article LO 146-1 du code électoral pour interdire à un parlementaire de devenir avocat ou conseil au cours de son mandat.
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[18]
Cass., com., 15 novembre 2011, n° 10-15.049, F-P+B, Sté DL finances c/A. : JurisData n° 2011-025126.
-
[19]
Cass., soc., 12 janvier 2012, n° 10-20.600, F D, C. c/ Sté Assistance par le travail : JurisData n° 2012-000325.
-
[20]
Cf. François Bourricaud, « Loyauté », in Encyclopædia Universalis, 1990, p. 1195 sq, notamment p. 1195.
-
[21]
Cf. Amartya Sen, Éthique et économie, Paris, PUF, 1993, p. 55 sq. ; le même, L’Idée de Justice, Paris, Flammarion, 2009, notamment p. 66 sq.
-
[22]
Jean-Denis Bredin, « Remarques sur la transparence », Revue de jurisprudence commerciale, numéro spécial, 1993, p. 175.
-
[23]
Cf. Fabrice Riem, La Notion de transparence dans le droit de la concurrence, Paris, L’Harmattan, 2002.
-
[24]
Cf. Manuel Castells, La Société en réseaux. L’ère de l’information, Paris, Fayard, 1998.
-
[25]
Cf. Mustapha Mekki, « L’information en droit privé. Réflexions critiques sur le dogme de la transparence », in L’Information, viiie journées juridiques franco-japonaises, Société de législation comparée, vol. 11, 2012, p. 139 sq.
-
[26]
Jean Carbonnier, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e éd., Paris, LGDJ, 2001, p. 321.
-
[27]
Jean-Marc Varaut, « Secret et transparence », Gazette du Palais, 14 septembre 2002, p. 2 sq.
-
[28]
Le décret 2013-414 du 21 mai 2013, publié au Journal officiel du 22 mai, prévoit « la mise à disposition du public […] de tous les avantages [consentis aux professionnels] en nature ou en espèces d’une valeur supérieure ou égale à 10 euros TTC ».
-
[29]
Cf. par exemple les articles L. 225-102-1 et L. 225-21 du code de commerce.
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[30]
Acronyme de l’organisation patronale Mouvement des entreprises de France.
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[31]
Pour une vue d’ensemble, cf. Daniel Cohen, « Indépendance des arbitres et conflits d’intérêts », Revue de l’arbitrage, n° 3, 2011, p. 611 sq.
-
[32]
Jean Carbonnier, « Effectivité et ineffectivité de la règle de droit », in Jean Carbonnier, Flexible droit, op. cit., p. 133 sq.
-
[33]
Cf. par exemple la disqualification d’un acte authentique en acte sous seing privé en raison d’un conflit d’intérêts, notaire qui a instrumenté un acte dont l’une des parties était son père (Cass., 3e civ., 31 octobre 2012, n° 11-25789, P+B+I).
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[34]
Jean-Étienne-Marie Portalis, Discours et rapports sur le Code civil, Paris, Joubert, 1844 ; rééd. Caen, Centre de philosophie politique et juridique, 1989, p. 54.