Pouvoirs 2010/3 n° 134

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Article de revue

Des effets du contrôle parlementaire

Pages 123 à 139

Notes

  • [1]
    Peut-être le Groupe d’étude sur la vie parlementaire (gevipar) récemment créé par quelques universitaires et praticiens – après son devancier, depuis longtemps endormi, le Groupe d’étude des parlements (getupar) – permettra-t-il de relancer des recherches sur le sujet.
  • [2]
    André Chandernagor, Un parlement pour quoi faire ?, Gallimard, 1967 ; Pierre Birnbaum, Francis Hamon et Michel Troper, Réinventer le parlement, Flammarion, 1978 ; Jean-Michel Belorgey, Le Parlement à refaire, Gallimard, 1991 ; Paul Quilès, Les 577. Des députés pour quoi faire ?, Stock, 2001.
  • [3]
    Une Ve République plus démocratique, rapport du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, Fayard- La Documentation française, 2008, p. 103. Le rapport évoque en outre « l’atonie du contrôle parlementaire » (p. 103), relève que « le Parlement n’exerce qu’imparfaitement la mission que la Constitution lui reconnaît » (p. 106).
  • [4]
    La situation est particulièrement grave en France du fait que juristes et politistes ne s’intéressent plus sérieusement aux parlements (sauf en ce qui concerne le droit parlementaire, qui bénéficie notamment des précieux travaux de Pierre Avril et Jean Gicquel) et ignorent très largement la littérature étrangère, parfois féconde, sur le sujet. Il se peut que ce désastre scientifique soit lié à l’espèce d’anesthésie provoquée par l’esprit largement antiparlementaire des principaux fondateurs de la Ve République. Pourtant, la fin de la « souveraineté parlementaire » à la française en 1958 aurait pu être l’occasion de repenser le parlementarisme moderne, notamment à l’aide du comparatisme, et ouvrir la voie à une révision des schémas conceptuels de la doctrine et des élites françaises. On en reste loin.
  • [5]
    Considérations sur le gouvernement représentatif, éd. Guillaumin, 1877, p. 135.
  • [6]
    Ibid., p. 130-131.
  • [7]
    Sur cette distinction, voir Armel Le Divellec, Le Gouvernement parlementaire en Allemagne, LGDJ, 2004, p. 16, 274 et 384.
  • [8]
    Ce qu’a résumé un analyste allemand en notant fort justement : « En réaction à la toute-puissance parlementaire d’avant 1958, il était dans l’intention […] [du] général de Gaulle et de Michel Debré d’empêcher le Parlement de tirer à soi le pouvoir ou de seulement s’ériger en Parlement cogérant » (Adolf Kimmel, L’Assemblée nationale sous la Cinquième République, PFNSP, 1991, p. 58).
  • [9]
    Impeachment : procédure de mise en accusation d’un haut fonctionnaire du gouvernement ou d’un représentant de l’exécutif.
  • [10]
    Bien entendu, cette situation idéale-typique peut n’être pas toujours réalisée en pratique : selon les configurations politiques, un cabinet peut être minoritaire, de transition ou bien encore composé de techniciens pris hors du parlement, etc. Toutefois, ce genre de cas s’est raréfié depuis cinquante ans en Occident et il s’analyse en une autolimitation du parlement, qui renonce (pour diverses raisons) à exercer pleinement sa fonction élective.
  • [11]
    Cette maîtrise subsiste même là où l’exécutif détient un droit de dissolution de la chambre : la fonction élective s’en trouve simplement déplacée vers le parlement nouvellement élu.
  • [12]
    Ce que confirment a contrario les secondes chambres dans un bicamérisme inégalitaire : elles sont marquées également par la dualité majorité / opposition mais de façon moins forte, dans la mesure où elles ne peuvent renverser le cabinet. Dès lors, elles retrouvent une capacité d’autonomie critique à l’endroit de celui-ci et leur activité de contrôle routinier s’en trouve renforcé. Un bon exemple est le cas du Sénat français, qui produit parfois de remarquables rapports d’information.
  • [13]
    Armel Le Divellec, « La problématique du contrôle parlementaire de l’administration », in Bertrand Seiller (dir.), Le Contrôle parlementaire de l’administration, à paraître chez Dalloz.
  • [14]
    Hanspeter Kriesi, Le Système politique suisse, Economica, 1995, notamment p. 207.
  • [15]
    Mais elle est formalisée par une procédure dans certains pays (voir Armel Le Divellec, « Le gouvernement, portion dirigeante du parlement », Jus Politicum, n° 1, 2009, p. 185-225).
  • [16]
    On doit souligner ici la spécificité française tenant au fait que le gouvernement parlementaire y est « à captation présidentielle » : la majorité parlementaire est en grande partie gouvernée de l’extérieur (Pierre Avril), la relation de confiance entre gouvernement et députés de la majorité est surdéterminée par la présence du leadership présidentiel ; à cela s’ajoute l’effet psychologique (beaucoup plus que strictement juridique) du « parlementarisme négatif » : les interventions des députés de la majorité sont généralement vues comme illégitimes par l’exécutif.
  • [17]
    Je remercie Marc Culot pour ses précieuses indications sur ce point.
  • [18]
    Charles Waline, Pascal Desrousseaux, Bernard Pellé, Contrôle et Évaluation des finances publiques, La Documentation française, 2009. Jean-Pierre Camby, « Le renouveau du contrôle parlementaire », rapport à la Journée d’études du gevipar, mars 2010.
  • [19]
    Adrien Gouteyron, Quels indicateurs de performance pour le contrôle parlementaire ? L’exemple des contrôles de la mission « Action extérieure de l’État », Sénat, rapport n° 464, 25 septembre 2007, p. 9.
  • [20]
    La France a fini par créer une Délégation parlementaire au renseignement (loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007), commune à l’Assemblée nationale et au Sénat, composée de quatre députés et quatre sénateurs (dont les présidents des commissions des lois et de la défense, membres de droit). Elle a rendu son premier rapport public en décembre 2009 (voir les sites internet de l’Assemblée nationale et du Sénat).

1In cauda venenum. Traiter, à la fin d’une série de contributions sur le contrôle parlementaire, la question de ses effets revient à risquer d’aborder un sujet qui pourrait fâcher : le contrôle parlementaire produit-il vraiment, en pratique, des effets ? Poser cette question est déjà suggérer que la réponse ne va pas de soi, qu’elle pourrait n’être pas entièrement positive – et la cause semble d’ailleurs largement entendue en ce qui concerne la France, si l’on en croit le diagnostic, sévère, délivré par le rapport du comité Balladur en 2007 (on y reviendra). Quoi qu’il en soit, l’interrogation est tout de même légitime. Mieux : la question des effets du contrôle parlementaire doit évidemment être posée dans toutes les démocraties représentatives libérales, puisque le principe selon lequel le pouvoir des gouvernants doit être limité, et donc contrôlé, leur est inhérent. C’est un des aspects de leur génie propre : la responsabilité des gouvernants est une condition de leur légitimité. Et il ne suffit pas de se contenter d’en affirmer le principe (tous les ordres constitutionnels le font), il faut en vérifier la réalité.

2Pourtant, on doit indiquer d’emblée qu’il s’agit d’une question à laquelle… il est impossible de répondre précisément et de manière synthétique ! Pouvoir l’approcher, ne serait-ce qu’approximativement, supposerait un examen général des pratiques, dans tous les secteurs de la politique, ayant cours dans toutes les démocraties libérales. Or, il manque cruellement des études minutieuses sur le sujet, notamment en langue française, parce que la science politique a, en France, depuis une trentaine d’années, tout à fait déserté ce genre de questions et que les juristes répugnent habituellement à pousser en profondeur leurs investigations sur l’efficacité des normes et instruments juridiques [1]. Mais, de toute manière, la mesure serrée des effets du contrôle parlementaire nécessiterait plus que l’évocation de quelques exemples qui, au mieux, peuvent être significatifs, mais ne rendraient pas nécessairement compte de manière rigoureuse de l’ensemble de la situation tant pour la France que pour les autres grandes démocraties libérales.

3Encore cette absence d’outils de mesure très précis peut-elle être, pour le cas français, en partie compensée par la convergence des constats opérés par les acteurs et observateurs patentés de la vie publique. La liste des récriminations sur la faiblesse du parlement français – et notamment sa fonction de contrôle – est longue et les critiques n’ont pas faibli un instant, comme en témoignent les ouvrages bien connus d’André Chandernagor, Pierre Birnbaum, Francis Hamon et Michel Troper, Jean-Michel Belorgey, Paul Quilès [2], et bien d’autres encore…

4S’inscrivant dans une longue lignée de propositions réformistes, le comité Balladur n’a-t-il pas proposé de « renforcer l’efficacité du contrôle parlementaire » (titre du troisième paragraphe de son chapitre ii), précisant notamment que « la singularité française tient à ce que, là où les parlements étrangers se sont dotés d’instruments de contrôle appropriés aux nécessités d’une critique utile de l’action du gouvernement et de son administration, le nôtre n’a pas su donner leur pleine efficacité aux moyens, pourtant nombreux, qui sont à sa disposition dans les domaines de l’évaluation des politiques publiques et du contrôle effectif des administrations. Fort de ce constat […], le Comité s’est attaché à définir les voies et moyens d’un contrôle parlementaire digne d’une démocratie moderne […] [3] ».

5Ainsi la cause, disions-nous, est nettement entendue pour la France, et il n’est pas tout à fait certain qu’on ne puisse en dire de même (sinon, au mieux, avec quelques nuances) des démocraties voisines, comme le fait pourtant le rapport précité : le phénomène de la domination des gouvernements et de l’administration est apparemment trop général et écrasant, depuis le xxe siècle, pour qu’il en soit autrement. Aucun observateur étranger, que l’on sache, n’aura l’outrecuidance d’affirmer que le contrôle parlementaire est si réellement efficace dans son pays qu’il n’a pas besoin d’être amélioré.

6Mais il nous semble que le problème est ailleurs : formule-t-on de manière pertinente la question des effets du contrôle parlementaire ? Dans quelles conditions doit s’apprécier cette question ? Le contrôle peut-il vraiment être mesuré ?

7Il importe de dire ici que la question du contrôle parlementaire nous semble être, en France notamment, posée généralement avec une grande naïveté et, pour tout dire, d’une manière archaïque. On la réduit arbitrairement à quelques opérations typées, on formule simultanément des attentes démesurées à son endroit, on ne se lasse jamais d’en espérer des améliorations… qui sont toujours déçues. Et pour cause.
Les termes du problème sont biaisés parce que, fondamentalement, acteurs (les parlementaires eux-mêmes) et analystes (les universitaires ou observateurs de la vie institutionnelle) se réfèrent à des schémas en partie dépassés [4] : on postule le plus souvent, quoique implicitement, que les assemblées parlementaires sont des institutions homogènes placées en face d’un pouvoir exécutif et d’une administration nettement séparés d’elles, comme dans les premières monarchies limitées des xviiie et xixe siècles, sans s’interroger sur les conditions structurelles – celles du système de gouvernement – dans lesquelles ce contrôle peut aujourd’hui s’exercer. On continue en outre de considérer essentiellement le contrôle parlementaire comme un ensemble de réactions des parlements face aux institutions gouvernantes ou administratives (« le contrôle est opposé à l’action », selon Littré). La notion de contrôle parlementaire fait partie de ces sujets en apparence trop évidents, mais flous. Elle n’a jamais fait l’objet d’une délimitation univoque et les auteurs peuvent diverger sur la façon de l’appréhender.
Il est donc indispensable de commencer par préciser les conditions d’une approche adaptée de la question des effets du contrôle parlementaire avant de proposer non pas un tableau exhaustif, évidemment irréalisable, mais un aperçu succinct de ses tendances principales.

La nécessité d’une approche renouvelée de l’appréciation des effets du contrôle parlementaire

8Sont potentiellement visées par le contrôle parlementaire toute institution et toute activité de l’État, qu’il s’agisse du gouvernement proprement dit, de l’administration au sens le plus large du terme (conceptuellement distincte mais largement liée au gouvernement) ou encore, dans une certaine mesure, des juridictions (il n’y a pas lieu de les exclure a priori de la problématique, même si, en raison de la spécificité de leur fonction, elles occupent une place un peu à part).

9Le contrôle parlementaire ne s’exerce évidemment plus tout à fait de la même manière qu’aux débuts du gouvernement représentatif moderne : l’État interventionniste, technicien, la démocratie médiatique ont pour le moins bouleversé la conduite de l’action publique et modifié les conditions d’exercice du contrôle parlementaire. Mais il y a plus : on ne peut tenter d’apprécier, même de façon très synthétique comme on le fera ici, les effets du contrôle parlementaire sans préciser soigneusement la problématique dans laquelle il s’inscrit structurellement. Plusieurs observations complémentaires sont ici nécessaires.

Parlement de parole et parlement de travail

10Dans les situations d’incertitude conceptuelle (et les autres aussi), il convient de se référer aux grands auteurs. John Stuart Mill est de ceux qui ont particulièrement réfléchi à la question dans ses Considerations on Representative Government (1861). On connaît sa célèbre formule : « Le véritable office d’une assemblée représentative n’est pas de gouverner, elle y est radicalement impropre ; mais bien de surveiller et de contrôler le gouvernement, de mettre en lumière toutes ses actions, d’en exiger l’exposé et la justification, quand ces actes paraissent contestables, de les blâmer s’ils sont condamnables, de chasser de leur emploi les hommes qui composent le gouvernement s’ils abusent de leur charge ou s’ils la remplissent d’une façon contraire à la volonté expresse de la nation, et de nommer leurs successeurs, soit expressément, soit virtuellement [5]. » On a là une première indication précise du champ général du contrôle parlementaire qui, dans une certaine mesure, peut être reprise pour la situation contemporaine.

11Toutefois, il faut ajouter que Mill ne se lassait pas d’insister sur les limites intrinsèques du rôle des assemblées : « En fait de législation comme d’administration, la seule tâche dont une assemblée représentative soit capable, n’est pas de faire la besogne elle-même, mais de la faire faire, de décider à qui on la confiera et, une fois qu’elle est faite, de lui accorder ou de lui refuser la sanction nationale [6]. » Ce faisant, le philosophe utilitariste esquissait le paradigme britannique du contrôle parlementaire qui, en dépit d’évolutions sensibles, reste encore assez largement déterminant pour les régimes de type Westminster : soucieuses de gouvernabilité, les assemblées parlementaires de tradition britannique se sont de tout temps (et surtout à partir du moment où le cabinet fut entièrement parlementarisé, c’est-à-dire légitimé par elles) considérées davantage comme un forum de débats publics que comme une institution entrant dans le détail minutieux de la législation et examinant de manière fouillée les opérations de l’administration. C’est ce que la doctrine allemande, inspirée par Max Weber, a qualifié de « parlement de parole » (ou de discours) par opposition à un « parlement de travail » [7], tradition qui explique que les Communes aient tardé à développer leur système de commissions.

12À l’inverse, la France, depuis 1789, a longtemps favorisé les assemblées suractives, ayant la forte propension à s’ingérer directement dans l’administration – même si elles cultivaient simultanément le culte de la rhétorique. Plus radicalement encore, quoique, à partir de prémisses distinctes et surtout de conditions institutionnelles différentes, le Congrès des États-Unis, le Riksdag suédois d’avant 1917 et le Reichstag de l’Allemagne d’avant 1918, en privilégiant la minutie du travail parlementaire, spécialement à travers de puissantes commissions, sont ou furent les incarnations même du « parlement de travail ». Après 1958, des efforts considérables ont été faits pour que le parlement français soit ramené, sous ce rapport, vers une conception de type britannique [8], avec néanmoins cette différence essentielle que l’exécutif n’en émanait plus exclusivement et directement.

13Tendanciellement, la nature parlementaire de l’exécutif poussait vers le parlement de parole, tandis que le parlement de travail était favorisé par la logique d’autonomie propre aux systèmes d’exécutifs non parlementaires. Mais les pays ayant connu une longue phase non parlementaire (Allemagne, Suède, Danemark notamment) ont perpétué leur tradition malgré l’avènement du gouvernement responsable.
Aujourd’hui, sans doute, la distinction s’est brouillée et chaque parlement concilie, en proportion variable, le travail et la parole. Il n’en demeure pas moins que les différences à la fois des cadres institutionnels (pour faire court : le type de système de gouvernement) et des traditions nationales concourent à poser de manière sensiblement différente la question du contrôle parlementaire, de ce que l’on en attend et de ce qu’il peut donner.
Concrètement, cela veut dire que la tradition de parlement de travail a offert le cadre pour maintenir l’illusion qu’un contrôle étroit émanant des assemblées était praticable. À l’inverse, la tradition de parlement de parole regarde tendanciellement le contrôle sous le jour spécifique de la critique publique, plutôt générale et ayant une visée gouvernementale.

Le poids des logiques institutionnelles

14L’exercice du contrôle parlementaire n’est donc pas séparable des conditions structurelles, juridiques et politiques, dans lesquelles opèrent les assemblées représentatives : il diffère nettement dans ce qu’il est convenu d’appeler les régimes présidentiels et les régimes parlementaires, sans oublier le régime directorial helvétique. Outre que les instruments du contrôle sont, en partie, différents, leur finalité et les conditions de leur usage sont, elles aussi, en partie différentes : en régime parlementaire, les instruments peuvent théoriquement aller plus loin (« renverser » ou du moins forcer à la démission un gouvernement ou un ministre, et, parfois même, dans certaines républiques, destituer le chef de l’État) qu’en régime présidentiel (l’impeachment[9] est resté si exceptionnel qu’il n’intervient guère comme arme de contrôle courant).

15Mais, en réalité, le poids des logiques institutionnelles va plus loin car le sens global des systèmes parlementaires parvenus à maturité complète est de remettre dans les mains du parlement (généralement la seule chambre élue au suffrage universel direct) la « création » même du gouvernement : on aura reconnu ce que Walter Bagehot appelait la « fonction élective » de la chambre des communes et qui se trouve réalisée, en droit ou par des conventions, dans tout système parlementaire, comme la face anticipée et positive de la responsabilité politique. Il en résulte un changement de paradigme : le gouvernement est désormais, en principe, non pas une institution étrangère au parlement mais au contraire « la chair de sa chair », comme le disait Hugo Preuss, sa créature (dans un sens qui n’a rien de péjoratif) [10]. Dès lors, le sens du contrôle par la majorité parlementaire ne peut être identique à ce qu’il était lorsque les ministres étaient réellement l’émanation d’une autre volonté politique (celle du roi, le plus souvent). Contrôler un tel gouvernement serait contrôler une partie de soi-même. Dans ces conditions, le « contrôle » est transformé en une fonction de légitimation d’un sens nouveau : soutenir l’action de ceux que l’on a portés au pouvoir jusqu’à ce que, éventuellement, cesse l’accord politique initial, éventuellement sous l’arbitrage du corps électoral [11]. Il ne s’agit pas d’un « contre-rôle » mais d’une maîtrise du destin du cabinet comme incarnation d’une ligne politique déterminée.

16Cela explique que les « parlements parlementaires » fonctionnent concrètement selon une dualité majorité-opposition généralement stricte [12]. Et il découle de cette structuration interne que le parlement n’apparaît plus véritablement comme une institution homogène et indépendante de l’exécutif (en principe, la majorité exerce en priorité une fonction de soutien – et le contrôle qu’elle peut vouloir exercer s’inscrit ordinairement dans le respect de ce soutien –, tandis que l’opposition exerce surtout une fonction de critique publique – l’un des aspects du contrôle, précisément –, mais qui ne peut qu’exceptionnellement aboutir à des sanctions, puisqu’elle est en principe minoritaire).
À l’inverse, les législatures, dans les systèmes non parlementaires, ont conservé largement leur autonomie effective : n’étant pas contraintes d’exercer une fonction de légitimation permanente de l’exécutif, elles ne sont pas liées structurellement à lui, n’en sont pas a priori solidaires. On comprend que, dans ces conditions, la dynamique du contrôle en est naturellement favorisée, et le congrès comme institution est globalement plus libre pour exercer sa surveillance et sa critique sur un corps qui lui est essentiellement étranger.

Abandonner quelques idées reçues

17On peut, dans le même registre, ajouter quelques observations complé­mentaires destinées à montrer la complexité, la difficulté qu’il y a à mesurer les effets du contrôle.

  • Contrôle et législation : cette distinction, ressassée par les manuels, parfois reprise par les textes (par exemple, la nouvelle rédaction de l’article 24, alinéa 1er de la Constitution française, ou bien le titre III du règlement de l’Assemblée nationale), occulte le lien intime qui réunit les deux notions. La majorité des lois sont des textes d’adaptation d’une législation existante. Très fréquemment, un débat législatif est l’occasion d’évoquer puis de corriger une politique ponctuelle et d’examiner par la même occasion l’action du gouvernement et de l’administration. Lorsqu’il légifère, le parlement exerce à l’évidence une forme de contrôle.
  • Contrôle a posteriori et contrôle anticipé ou préventif : l’une des représentations parmi les plus répandues de ce que devrait être le contrôle parlementaire est l’idée de surveillance, de vérification puis éventuellement de correction ou de sanction de ce qui s’est déjà produit (une décision gouvernementale ou administrative par exemple). Ces configurations existent, certes, mais elles ne sont pas les seules : une partie de l’activité de contrôle des parlements consiste à accompagner des processus, à tenter d’agir sur eux d’une manière préventive et parfois régulatrice (pour améliorer les décisions). De nombreuses études empiriques sur le Bundestag allemand ont montré combien les parlementaires (ce sont surtout ceux de la majorité) exercent un véritable contrôle en amont, « d’accompagnement » (begleitende Kontrolle) ou de direction (Richtungskontrolle) des décisions ministérielles ou même administratives [13]. Ce type de contrôle préventif peut se réaliser au cours d’un processus législatif aussi bien qu’au cours d’un débat en séance plénière ou en commission, ou bien encore par la rédaction de rapports, l’usage de questions, de résolutions ou de tout autre instrument de travail parlementaire. Il est évidemment impossible de tenter de « quantifier » l’importance de ce contrôle pourtant d’autant plus fondamental qu’il est privilégié par la majorité, et qu’il est le plus souvent dénué de toute hostilité envers l’exécutif, et qu’il vise à sa régulation. Comme telle, son efficacité est souvent très importante.
  • Contrôle formel et informel : de même les études courantes sur le contrôle parlementaire s’attachent trop exclusivement à la part visible du contrôle, l’utilisation des outils officiels (questions, interpellations, enquêtes, etc.). Or, une grande part (sans doute même la plus grande part) de ce qui est important en fait de surveillance lato sensu de la politique gouvernementale se déroule à l’extérieur des procédures officielles et publiques. Cette dimension pourtant essentielle de la pratique des régimes représentatifs est trop souvent méconnue (notamment par les juristes). On songe au fameux « parlementarisme de couloirs » pour les États-Unis, mais aussi et surtout aux intenses relations informelles entre les ministres et les parlementaires (surtout ceux de la majorité) dans les systèmes de gouvernement responsable. Dans ce dernier cas, l’intensité de ces échanges dépend de la nature de la majorité et des traditions nationales (par exemple, la pratique des comités de coalition en Allemagne, en Autriche ou en Belgique ou bien tout simplement les réunions hebdomadaires des groupes de la majorité). Or, c’est bien souvent à ce niveau, à l’abri du regard public, que sont discutées, éventuellement critiquées et corrigées des décisions fondamentales sur la conduite de la politique gouvernementale, cela bien souvent davantage qu’en séance publique. Là encore, cette part du contrôle parlementaire ne peut être mesurée car les protagonistes ont en général intérêt à rester discrets sur ces échanges. À l’inverse, lorsque existent des statistiques sur l’utilisation des instruments formels du contrôle parlementaire, l’analyste ne peut guère en tirer de conclusions véritablement utiles puisqu’une bonne partie d’entre elles sera en trompe-l’œil (qu’il s’agisse du nombre de questions de complaisance posées aux ministres par les députés de la majorité ou bien du nombre d’amendements adoptés). L’informel ne peut par définition se mesurer.
  • La question de la perception : on fera enfin observer que l’appréciation des effets du contrôle parlementaire pose également une difficulté tenant au problème de la perspective : celle-ci change ou peut changer radicalement selon que l’on se place du point de vue du contrôleur, du contrôlé ou des observateurs extérieurs (en faisant parmi ceux-ci des distinctions entre les spécialistes d’une question, les journalistes et le grand public). Une même opération de contrôle peut ainsi être appréciée d’une manière totalement différente par les uns ou les autres.
Le contrôle parlementaire est, en somme, protéiforme et ne saurait être appréhendé sous le seul angle de l’usage d’instruments juridiques formels.

Aperçu sur les effets contrastés du contrôle parlementaire

18Sous le bénéfice des observations qui précèdent, on peut avancer que toute tentative d’évaluation même approximative des effets du contrôle parlementaire gagnerait, semble-t-il, à distinguer deux plans distincts (même s’ils ne sont évidemment pas étanches) : celui de la direction politique générale menée et celui des détails de la politique journalière.

Le contrôle parlementaire de la direction politique générale

19Les assemblées parlementaires modernes détiennent bien un certain pouvoir de contrôle de la direction politique générale du pays. Elles peuvent l’exercer tant par la voie organique, c’est-à-dire par une intervention directe sur la composition du gouvernement, que par une voie que l’on peut appeler fonctionnelle, c’est-à-dire en cherchant à déterminer ou à influencer la ligne politique générale menée par le gouvernement en place.

Le contrôle organique

20C’est ici, comme on sait, que la différence entre les systèmes de gouvernement parlementaires et les autres est la plus évidente.

21En système (malheureusement) nommé « présidentiel » (États-Unis et, avec quelques variations, parfois notables, la plupart des États d’Amérique latine), l’exécutif élu du peuple est, par définition, organiquement non parlementaire. Différents éléments institutionnels concourent à une forte autonomie du corps représentatif et de l’exécutif (incompatibilité des fonctions de parlementaire et d’agent exécutif ; pas de droit d’entrée et de parole des agents exécutifs au parlement ; en principe pas de droit de dissolution). Le Congrès américain ne détient que des moyens réduits pour peser directement sur la composition et le maintien de l’exécutif présidentiel. Étranger à sa création, il peut en revanche mettre exceptionnellement en jeu sa responsabilité en le destituant. On sait toutefois que l’impeachment n’a, en pratique, pas été utilisé comme arme ordinaire contre le président aux États-Unis. Les choses sont un peu moins nettes en Amérique latine (destitution des présidents, notamment au Brésil en 1992, au Venezuela en 1993, au Pérou en 2000).

22S’agissant des autres agents exécutifs, le Sénat des États-Unis détient une compétence de confirmer les nominations présidentielles. Ce mécanisme comporte certainement un effet dissuasif, ce qui fait que les propositions sont rarement repoussées, mais il n’est pas ordinairement instrumentalisé pour empêcher le président de choisir ses collaborateurs (il en est de même pour la nomination des juges à la Cour suprême).

23Si le congrès de type américain ne peut, dès lors, guère diriger l’exécutif, son extranéité lui donne en contrepartie une grande liberté pour contrôler le travail de l’administration présidentielle.

24Dans le régime directorial helvétique, les conseillers fédéraux sont élus (d’ailleurs séparément) par l’Assemblée fédérale, mais, à travers la fameuse « formule magique » de répartition des postes, dans une optique de concordance (i.e. celle qui privilégie, au nom du consensus, la coopération entre un grand nombre de partis idéologiquement assez éloignés les uns des autres) [14] qui ne crée pas de solidarité politique forte avec les parlementaires. Il en résulte que, comme en régime présidentiel, les chambres conservent une grande liberté pour exercer ensuite un contrôle sur l’administration.

25Dans les systèmes parlementaires prévaut le principe Men, not measures pour renverser l’antique formule d’Edmund Burke : priorité est donnée au choix des hommes qui gouverneront (Mill avait commencé à le formuler avant que Bagehot ne le systématise) plutôt que des mesures à prendre. Le premier moyen de « contrôle » que détient le parlement sur l’exécutif est donc rien de moins que de désigner au moins le chef du ministère. La fonction élective, ce « travail invisible » (unseen work) de la chambre d’après l’auteur de The English Constitution[15], conçue comme l’aboutissement du principe de responsabilité politique inclut la faculté d’opérer la recomposition anticipée du cabinet, ce que manifeste de façon judicieuse l’instrument de la motion de défiance constructive inventée par les constitutions allemandes après 1945 et reprise dans quelques pays (Espagne, Hongrie, Pologne, etc.). Quoi qu’il en soit, dans tous les régimes parlementaires, le parlement contrôle le gouvernement d’abord en désignant son chef (plus rarement ses membres), en le maintenant au pouvoir ou en le remplaçant par un autre.
Si l’unité politique entre le cabinet et le parlement est censée être établie d’emblée, après chaque élection générale, il n’empêche qu’il arrive que le parlement provoque la démission d’un seul ministre. Ces cas sont devenus rares dans les régimes dits majoritaires, mais ces hypothèses demeurent, notamment en cas d’incident ponctuel (ainsi, par exemple, le ministre fédéral de l’Intérieur allemand Seiters démissionna en 1993 suite à la mort suspecte de terroristes présumés dans une opération de police. De tels cas sont légion, du moins ailleurs qu’en France.) À l’extrême, la démission d’un ministre peut conclure un processus de contrôle préalable. On peut citer, au Danemark, l’affaire dite « des Tamouls » (1987-1995), qui s’est soldée par la mise en accusation, par le Folketing, de l’ancien ministre de la Justice qui fut finalement condamné par la Haute Cour deux ans plus tard à quatre mois de prison avec sursis pour le gel des demandes de regroupement familial (contraire à la loi) et le manquement à ses devoirs de ministre (il avait tenté d’esquiver les demandes d’explication formulées par les députés).

L’orientation de la politique

26En système parlementaire, une fois le gouvernement en place et même s’il est fermement appuyé par une majorité fixe, le parlement exerce en principe un contrôle directionnel secondaire. Sans doute est-ce généralement le cabinet qui est le moteur de la politique générale (principales initiatives législatives, mise à l’agenda, etc.). Mais le contrôle intra-majoritaire existe, même si c’est en intensité variable selon les pays. Il est difficile à mesurer, peu visible pour le grand public. La capacité des groupes de la majorité (ou au moins de leurs principaux dirigeants) à peser sur les choix du cabinet est entièrement déterminée par les rapports politiques internes à cette majorité. Si la direction gouvernementale est généralement ferme (dans les systèmes westminstériens), voire autoritaire (en France [16]), elle peut être plus douce dans les pays où la majorité repose sur une coalition et / ou là où les groupes majoritaires sont conscients de leur force (le cas allemand est ici exemplaire). Une multiplicité de situations existe, tenant principalement à la culture politico-institutionnelle nationale.

27Le Danemark constitue un exemple assez remarquable de régime dans lequel le multipartisme relativement fluide, joint à une forte assurance des parlementaires, permet régulièrement au Folketing de contraindre (notamment par le biais de résolutions) le gouvernement à suivre ses indications. Un exemple parmi d’autres est la politique de défense et de sécurité depuis les années 1980 dont l’orientation globalement antinucléaire a été imposée par le Parti radical (centriste), parti charnière qui, soit dans l’opposition, soit dans la coalition gouvernementale, fut le garant d’une majorité constante au parlement sur cet aspect de la politique gouvernementale [17]. On pourrait en dire autant de la politique européenne.
Il est rare que l’opposition soit en mesure de peser sur la ligne directrice générale du gouvernement, sauf dans les configurations partisanes non majoritaires qui peuvent lui permettre à l’occasion de trouver des alliés pour former une majorité ponctuelle. La part de « contrôle » qu’elle remplit signifie ici, en général, critique publique, mais elle n’a qu’exceptionnellement vocation à mener à une sanction. La fonction de vigilance remplie par l’opposition, telle celle des oies du Capitole, est nécessaire pour stimuler le débat public et forcer gouvernement et majorité à justifier publiquement leurs décisions.

Le contrôle parlementaire d’actions concrètes

28Toutes les activités de contrôle menées par les parlementaires n’ont pas nécessairement un impact sur la détermination de la politique générale et sur les personnes qui la portent. L’étendue du champ des politiques sectorielles et des mesures ponctuelles menées par l’exécutif et l’administration est immense, qui offre de vastes possibilités de contrôle. Prendre la mesure de la réalité de celui-ci exigerait de se pencher soigneusement sur chaque cas particulier. On ne pourra ici que souligner quelques points généraux.

29Les éléments évoqués plus haut (distinction des attitudes de la majorité et de l’opposition, pratique de contrôles anticipés et régulateurs, place de l’informel) s’appliquent assez largement au contrôle parlementaire de l’action quotidienne et ponctuelle de la puissance publique.

30La logique interne aux systèmes de gouvernement parlementaire d’une distinction des rôles et des moyens offerts à la majorité et à l’opposition demeure fondamentalement ; mais on pourrait avancer que, au-delà de ces clivages, des convergences sont possibles lorsque l’existence et la ligne politique générale du gouvernement sont à peu près hors de cause. Face à l’administration ordinaire, les parlementaires des deux bords peuvent retrouver des intérêts communs, le député ou le sénateur de la majorité peut lui aussi retrouver une certaine marge de liberté pour examiner, surveiller, parfois critiquer l’action administrative, voire tenter de la faire évoluer.

31Bien qu’elles constituent des opérations à visibilité forte (quoique éphé­mère), les enquêtes parlementaires ne représentent pas la partie la plus représentative du contrôle parlementaire. Quantitativement, leur usage est très varié (4 commissions en Suisse entre 1963 et 2009, 37 en Allemagne depuis 1949, environ 67 en France). Qualitativement, leur impact est très variable : les commissions d’enquête du Bundestag allemand dans les affaires Flick et Neue Heimat dans les années 1980 ont débouché sur une adaptation de la législation en matière de financement public des partis. L’enquête parlementaire sur les tribunaux de commerce en France en 1998 n’a, en revanche, pas été suivie d’effets. La vertu (et le revers) des commissions d’enquête dans les régimes parlementaires est sans doute de susciter une vigilance forte sur l’instant. Mais on peut douter qu’elle ait toujours une grande efficacité.

32Dans une perspective plus « routinière », le contrôle parlementaire s’est, en outre, technicisé ces dernières décennies, en particulier du fait du développement des contrôles d’ordre budgétaire et financier ou bien encore relatifs à l’application des lois (avec des fortunes très relatives dans le cas de la France) [18].

33On trouve des considérations intéressantes à ce sujet dans le rapport d’information du sénateur Gouteyron en 2007 [19]. Il énonce que « le pouvoir du parlement se mesure bien, in fine, à sa capacité à faire évoluer les structures, dans le sens d’une plus grande efficience, c’est-à-dire en améliorant le rapport entre le coût pour les finances publiques et la performance administrative, au service de l’intérêt général ». Il poursuit en avançant qu’un premier indicateur de l’effet du contrôle est le « bruit médiatique » fait par l’acte de contrôle (ce qui suppose un écho dans les médias). Mais cela n’est pas nécessairement gage de réussite ou de qualité. Vient alors un second indicateur, plus important : « la prise en compte des préconisations du Parlement ». Le rapport Gouteyron affirme que 62 % des 58 préconisations avancées par lui en 2006 dans le cadre de la mission sénatoriale « Action extérieure de l’État » avaient été intégralement prises en compte à la date du 25 septembre 2007. Seules 11 % n’avaient été suivies d’aucun effet de la part de l’administration. De manière intéressante, Adrien Gouteyron précise : « Que faire des recommandations auxquelles l’administration est restée insensible ? » Tel est le dilemme du « rapporteur spécial-contrôleur » qui, dans le cadre des institutions de la Ve République, soutient le gouvernement, et n’aspire à entretenir aucun rapport conflictuel avec l’administration, mais veut faire valoir les prérogatives du parlement, conformément aux souhaits, exprimés par l’ensemble des citoyens, de la classe politique et du gouvernement de « réhabiliter le rôle du Parlement ». Se trouve ainsi formulée une situation typique du contrôle parlementaire sur des politiques ponctuelles. Le sénateur a précisé que sa communication visait donc à « maintenir la pression sur l’administration » et qu’il avait engagé un dialogue avec l’administration sur ses propositions, sur le fondement de l’article 60 de la lolf qui dispose que « lorsqu’une mission de contrôle et d’évaluation donne lieu à des observations notifiées au gouvernement, celui-ci y répond par écrit dans un délai de deux mois ». Il a noté que ce dialogue avait été d’autant plus fructueux que le contrôle avait été médiatisé.

34On peut également noter que le parlement tend de plus en plus à faire appel à des auxiliaires, les ombudsmen, dans de nombreux pays (ils sont surtout étroitement liés aux parlements dans les pays nordiques et leur autorité repose largement sur un prestige acquis par une longue histoire), diverses autorités administratives, les cours des comptes et, finalement, les cours constitutionnelles lorsque les parlementaires portent devant elles des controverses avec le succès croissant (sous un certain rapport) que l’on sait. Mais, dans ces cas, le contrôle tend à sortir du parlement.
Reste qu’il existe des « trous noirs » particuliers dans le contrôle parlementaire, notamment à l’égard de la politique étrangère (où l’emprise globale des assemblées paraît faible) et surtout des services de renseignement, en dépit de l’existence de commissions de contrôle dans plusieurs pays [20]. On bute ici sur le cœur de la « prérogative lockienne », inévitablement la plus forte limite au contrôle par les assemblées.
Comme aux premiers temps du gouvernement représentatif moderne, la justification du contrôle parlementaire est la recherche d’une forme de vertu : il est censé améliorer la qualité des décisions des détenteurs du pouvoir immédiat (le gouvernement et l’administration, voire d’autres institutions jouant un rôle dans l’espace public). Il est simultanément l’un des moyens par lesquels les représentants élus exercent leur rôle de médiation entre ces gouvernants et les citoyens. Mais les conditions modernes de son exercice et, par suite, la question de ses effets ne peuvent être réduites à un schéma exagérément simplifié. Différents facteurs structurels comme contingents influent sur son intensité et sa qualité, en particulier la culture parlementaire propre à chaque pays. Des études plus poussées permettraient peut-être d’identifier, par exemple, une culture positive (exemple de l’Allemagne), consensuelle (Benelux, Autriche), conflictuelle (Danemark) et négative (France). Quoi qu’il en soit, l’efficacité du contrôle parlementaire ne peut jamais être autre chose qu’un horizon, toujours loin devant celui qui le regarde.


Date de mise en ligne : 24/09/2010

https://doi.org/10.3917/pouv.134.0123

Notes

  • [1]
    Peut-être le Groupe d’étude sur la vie parlementaire (gevipar) récemment créé par quelques universitaires et praticiens – après son devancier, depuis longtemps endormi, le Groupe d’étude des parlements (getupar) – permettra-t-il de relancer des recherches sur le sujet.
  • [2]
    André Chandernagor, Un parlement pour quoi faire ?, Gallimard, 1967 ; Pierre Birnbaum, Francis Hamon et Michel Troper, Réinventer le parlement, Flammarion, 1978 ; Jean-Michel Belorgey, Le Parlement à refaire, Gallimard, 1991 ; Paul Quilès, Les 577. Des députés pour quoi faire ?, Stock, 2001.
  • [3]
    Une Ve République plus démocratique, rapport du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, Fayard- La Documentation française, 2008, p. 103. Le rapport évoque en outre « l’atonie du contrôle parlementaire » (p. 103), relève que « le Parlement n’exerce qu’imparfaitement la mission que la Constitution lui reconnaît » (p. 106).
  • [4]
    La situation est particulièrement grave en France du fait que juristes et politistes ne s’intéressent plus sérieusement aux parlements (sauf en ce qui concerne le droit parlementaire, qui bénéficie notamment des précieux travaux de Pierre Avril et Jean Gicquel) et ignorent très largement la littérature étrangère, parfois féconde, sur le sujet. Il se peut que ce désastre scientifique soit lié à l’espèce d’anesthésie provoquée par l’esprit largement antiparlementaire des principaux fondateurs de la Ve République. Pourtant, la fin de la « souveraineté parlementaire » à la française en 1958 aurait pu être l’occasion de repenser le parlementarisme moderne, notamment à l’aide du comparatisme, et ouvrir la voie à une révision des schémas conceptuels de la doctrine et des élites françaises. On en reste loin.
  • [5]
    Considérations sur le gouvernement représentatif, éd. Guillaumin, 1877, p. 135.
  • [6]
    Ibid., p. 130-131.
  • [7]
    Sur cette distinction, voir Armel Le Divellec, Le Gouvernement parlementaire en Allemagne, LGDJ, 2004, p. 16, 274 et 384.
  • [8]
    Ce qu’a résumé un analyste allemand en notant fort justement : « En réaction à la toute-puissance parlementaire d’avant 1958, il était dans l’intention […] [du] général de Gaulle et de Michel Debré d’empêcher le Parlement de tirer à soi le pouvoir ou de seulement s’ériger en Parlement cogérant » (Adolf Kimmel, L’Assemblée nationale sous la Cinquième République, PFNSP, 1991, p. 58).
  • [9]
    Impeachment : procédure de mise en accusation d’un haut fonctionnaire du gouvernement ou d’un représentant de l’exécutif.
  • [10]
    Bien entendu, cette situation idéale-typique peut n’être pas toujours réalisée en pratique : selon les configurations politiques, un cabinet peut être minoritaire, de transition ou bien encore composé de techniciens pris hors du parlement, etc. Toutefois, ce genre de cas s’est raréfié depuis cinquante ans en Occident et il s’analyse en une autolimitation du parlement, qui renonce (pour diverses raisons) à exercer pleinement sa fonction élective.
  • [11]
    Cette maîtrise subsiste même là où l’exécutif détient un droit de dissolution de la chambre : la fonction élective s’en trouve simplement déplacée vers le parlement nouvellement élu.
  • [12]
    Ce que confirment a contrario les secondes chambres dans un bicamérisme inégalitaire : elles sont marquées également par la dualité majorité / opposition mais de façon moins forte, dans la mesure où elles ne peuvent renverser le cabinet. Dès lors, elles retrouvent une capacité d’autonomie critique à l’endroit de celui-ci et leur activité de contrôle routinier s’en trouve renforcé. Un bon exemple est le cas du Sénat français, qui produit parfois de remarquables rapports d’information.
  • [13]
    Armel Le Divellec, « La problématique du contrôle parlementaire de l’administration », in Bertrand Seiller (dir.), Le Contrôle parlementaire de l’administration, à paraître chez Dalloz.
  • [14]
    Hanspeter Kriesi, Le Système politique suisse, Economica, 1995, notamment p. 207.
  • [15]
    Mais elle est formalisée par une procédure dans certains pays (voir Armel Le Divellec, « Le gouvernement, portion dirigeante du parlement », Jus Politicum, n° 1, 2009, p. 185-225).
  • [16]
    On doit souligner ici la spécificité française tenant au fait que le gouvernement parlementaire y est « à captation présidentielle » : la majorité parlementaire est en grande partie gouvernée de l’extérieur (Pierre Avril), la relation de confiance entre gouvernement et députés de la majorité est surdéterminée par la présence du leadership présidentiel ; à cela s’ajoute l’effet psychologique (beaucoup plus que strictement juridique) du « parlementarisme négatif » : les interventions des députés de la majorité sont généralement vues comme illégitimes par l’exécutif.
  • [17]
    Je remercie Marc Culot pour ses précieuses indications sur ce point.
  • [18]
    Charles Waline, Pascal Desrousseaux, Bernard Pellé, Contrôle et Évaluation des finances publiques, La Documentation française, 2009. Jean-Pierre Camby, « Le renouveau du contrôle parlementaire », rapport à la Journée d’études du gevipar, mars 2010.
  • [19]
    Adrien Gouteyron, Quels indicateurs de performance pour le contrôle parlementaire ? L’exemple des contrôles de la mission « Action extérieure de l’État », Sénat, rapport n° 464, 25 septembre 2007, p. 9.
  • [20]
    La France a fini par créer une Délégation parlementaire au renseignement (loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007), commune à l’Assemblée nationale et au Sénat, composée de quatre députés et quatre sénateurs (dont les présidents des commissions des lois et de la défense, membres de droit). Elle a rendu son premier rapport public en décembre 2009 (voir les sites internet de l’Assemblée nationale et du Sénat).

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