Notes
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Abréviation de clean technology, technologies propres.
1La prospérité californienne vient de loin. Après la ruée vers l’or, au milieu du xixe siècle, qui a accéléré le rattachement à l’Union, le Golden State était, en 1925, l’un des principaux producteurs de pétrole de la planète (20 % de la production mondiale). Si la région a été particulièrement touchée par la grande crise économique de 1929, c’est pourtant lors de ces années de récession qu’est né son modèle de valorisation de l’innovation. Un modèle qui a permis d’alimenter, depuis la Seconde Guerre mondiale, un dynamisme économique qui a fait de la Californie non seulement l’État le plus riche et le plus peuplé de l’union, mais l’une des régions les plus puissantes de la planète et l’un des principaux phares de l’innovation mondiale, aussi bien dans les technologies de l’information que dans les biotechnologies ou les nanotechnologies. Et demain les technologies vertes.
2Si la Californie, malgré des finances publiques structurellement déséquilibrées, a su se développer si vite et si fort pendant si longtemps, c’est parce qu’elle a su inventer un modèle capable de se régénérer dans le temps. Celui-ci lui permet de stimuler l’innovation scientifique dans de multiples domaines, mais surtout il lui permet de valoriser cette innovation de façon unique au monde. En la transformant immédiatement en produits et services commerciaux que les entreprises de la région sont les premières à adopter avec enthousiasme, un accès privilégié qui leur procure un avantage compétitif incontestable.
3On peut symboliquement faire remonter la naissance de ce modèle de valorisation de l’innovation à la création de l’entreprise Hewlett-Packard, dans un petit garage de Palo Alto en 1938. À cette époque, deux étudiants de l’université de Stanford, Bill Hewlett et David Packard, eurent l’idée de développer un oscillateur audio, à la suite d’une commande de huit exemplaires par… Disney, qui s’en servit pour mettre au point l’un de ses premiers dessins animés, Fantasia.
4Si l’on retient cette anecdote comme acte fondateur de la naissance de la Silicon Valley en tant que principale région pour l’innovation technologique, c’est parce que la création de Hewlett-Packard dans ces conditions rassemble tous les ingrédients (historiques, techniques, financiers, économiques, sociaux) qui servent aujourd’hui encore pour lancer des start-up dans la région.
5Les deux ingénieurs n’avaient que 538 dollars en poche lorsqu’ils s’installèrent dans un petit garage, qui n’avait vraiment rien à voir avec un laboratoire informatique. C’était une simple construction de bois qui aurait dû héberger l’automobile que Dave et Lucile Packard venaient d’acheter en emménageant au 367 Addison Avenue, pour être voisins de Bill Hewlett.
6S’il fut ainsi transformé en atelier de fortune, ce garage le doit d’abord à la grande crise de 1929, dont les effets continuaient de ravager les esprits : malgré leurs diplômes, Bill Hewlett et David Packard étaient persuadés qu’ils ne trouveraient pas de travail.
7Mais si ce garage, aujourd’hui classé « monument historique », est devenu mythique, c’est parce qu’il doit sa transformation en incubateur de start-up à un professeur de l’université de Stanford, véritable créateur idéologique de la notion de parc technologique. En effet, le Dr Frederick Terman encourageait vivement ses étudiants à lancer eux-mêmes, sur place, leur propre entreprise d’électronique, plutôt que d’aller chercher d’hypothétiques emplois dans les zones industrielles de la côte Est. C’est lui qui poussa ses deux étudiants à s’établir chez eux et qui les aida avec les moyens – déjà conséquents – de l’université.
8Avant même de quitter leur garage, en 1940, afin de pouvoir loger leurs premiers salariés, Bill Hewlett et David Packard avaient eu le temps de concevoir les principes fondateurs des entreprises de haute technologie de la Silicon Valley. Dès le début, les deux partenaires imaginèrent un système de bonus versé aux salariés les plus méritants (le premier, de 5 dollars, fut distribué à Noël 1940). Ce système se transforma en une distribution d’actions, origine du système des stock-options qui fut, ces vingt dernières années, le moteur financier pour attirer les meilleurs talents de la planète.
9Alors que l’usage était encore de porter costume et cravate, Bill et Dave visitèrent leurs premiers clients en bras de chemise et lancèrent – sous la risée de leurs concurrents – la mode sacro-sainte en Californie qui consiste à se faire systématiquement appeler par son prénom… Une nécessité aujourd’hui, qui s’est transmise depuis bien longtemps à l’ensemble de l’Amérique.
Pendant des décennies, l’entreprise imagina des systèmes de partage du travail et de flexibilité afin de ne recourir à aucun licenciement, méthode qui fut longtemps considérée comme une exception au regard des industries traditionnelles qui n’avaient, elles, aucun état d’âme. Enfin, autre innovation devenue une caractéristique des firmes high-tech de la Silicon Valley, David Packard organisa son entreprise en fonction de la satisfaction du client et de ses salariés, sacrifiant pour cela une partie de la rémunération des actionnaires. Là encore, la pratique fut longtemps incomprise du capitalisme américain traditionnel, pour lequel les dividendes constituaient une priorité absolue. Mais il en reste quelque chose. De grandes firmes technologiques de la Silicon Valley, comme Apple notamment, ne distribuent toujours pas de dividendes à leurs actionnaires. Ce qui n’empêche pas le titre de grimper au rythme des succès commerciaux de la société de Steve Jobs.
Soixante-dix ans plus tard, le siège de Hewlett-Packard est toujours installé à Palo Alto et le groupe californien a même soufflé la première place mondiale de l’informatique à ibm – géant de la côte Est à la culture d’entreprise bien différente, mais qui dispose néanmoins d’un immense laboratoire scientifique dans la Silicon Valley. Quant au modèle de création de l’entreprise, il n’a pas été oublié : Google a aussi été créé par deux étudiants de Stanford, soutenus par leur université qui les a aidés à lancer leur start-up et à commercialiser leur technologie.
Un modèle de valorisation pérenne
10Au-delà de cette première réussite, c’est véritablement après la Seconde Guerre mondiale – dans les années 1950 – que la Silicon Valley a peaufiné son modèle de valorisation de l’innovation technologique, pour le pérenniser et lui permettre de prouver sa pertinence lors des différents cycles d’innovation qui se sont succédé depuis lors. Nulle part ailleurs n’existe une telle symbiose entre le milieu académique (Stanford, Berkeley, l’université de San Francisco ou de San Jose), le milieu financier (près de la moitié des entreprises de capital-risque américaines sont installées dans la région), le tissu industriel de haute technologie et les services associés (juridiques, experts en propriété intellectuelle, etc.). Cette symbiose vient du fait que non seulement les différents acteurs de ces sphères communiquent étroitement, mais, surtout, ils n’hésitent pas à passer de l’une à l’autre : le professeur d’université peut devenir patron technologique d’une start-up, l’avocat spécialisé en technologie peut aller enseigner à Stanford, tout comme l’entrepreneur qui a déjà réussi peut faire profiter les étudiants de son expérience.
11À ces éléments objectifs s’en ajoutent d’autres, plus subtils mais tout aussi décisifs. Par exemple, les grandes entreprises technologiques américaines n’hésitent pas à recourir aux technologies des start-up locales, même si elles sont particulièrement exigeantes à leur égard. Mais cela permet à ces start-up d’obtenir leurs premières références, d’acquérir de l’expérience et de se préparer idéalement aux marchés globaux.
12C’est le rôle des investisseurs en capital-risque qui fait vraiment la différence. Certes, ils disposent de sommes considérables – qui font souvent rêver les jeunes entrepreneurs français. Mais l’important n’est pas là, même si l’importance de leurs fonds leur permet de miser plus souvent et plus gros, augmentant ainsi leurs chances de toucher le jackpot avec la start-up d’exception. En effet, ces investisseurs prennent certes des risques financiers importants, mais ils jouent surtout un rôle d’accompagnement, crucial. Leur participation au conseil d’administration ne se résume pas à une visite protocolaire mensuelle. Parce qu’ils ont parfois été entrepreneurs et qu’ils disposent dans tous les cas d’une grande expérience, ils conseillent vraiment au quotidien leurs start-up. Notamment, ils suivent de très près la façon dont elles exécutent leur plan d’action. Au besoin, ils ouvrent leur carnet d’adresses pour recruter – n’importe où dans le monde – l’oiseau rare qui lancera un marché nouveau ou développera plus vite un logiciel difficile. Un travail en profondeur qu’ils appliquent à chaque investissement.
13C’est ce modèle qui a prouvé son efficacité lors des différents cycles d’innovation qui se sont succédé en moyenne tous les dix ans, certains pouvant se chevaucher. Dans les années 1950, l’innovation en matière de défense – avec notamment l’invention du radar – a alimenté un cycle qui s’est prolongé jusqu’au milieu des années 1960. Aujourd’hui encore, l’industrie de défense est particulièrement forte en Californie, même si elle n’est plus le moteur de l’innovation technologique de l’État. À la fin des années 1960, c’est la mise au point des semi-conducteurs qui a alimenté le cycle d’innovation suivant, à son tour relayé par l’invention du microprocesseur et l’avènement des grands leaders technologiques dans ce secteur comme Fairchild puis Intel et Advanced Micro Devices. Ces entreprises, avec des milliers d’autres, positionnées sur les marchés du software et du hardware, ont permis le boom de la micro-informatique dans les années 1970 (naissance d’Apple) et sa transformation en une véritable industrie, vitale pour l’ensemble des États-Unis, dans les années 1980. Les années 1990 ont bien sûr été celles de la transformation du réseau Arpanet en un immense espace virtuel de communications et d’échanges dont l’épicentre fut la Silicon Valley. La naissance du pionnier Netscape, suivie de celle de milliers de start-up, jette les bases du commerce électronique, des terminaux communicants, avec ou sans fil, et évidemment des grands ordinateurs (Sun Microsystems) et des technologies d’interconnexions (Cisco) pour donner une substance à ce réseau.
Ces cycles d’innovation qu’a su provoquer la Californie du Nord sont autant d’étapes qui ont permis aux États-Unis de se constituer une avance technologique à la source d’une bonne partie de la croissance économique du pays de ces trente dernières années.
Le poids du politique
14Le modèle de valorisation de l’innovation inventé par la Silicon Valley au bénéfice de la Californie tout entière n’est pas le seul élément expliquant pourquoi le Golden State est si performant dans ce domaine et sa croissance économique si forte. Cette efficacité a été renforcée par des facteurs extérieurs, certains anciens, d’autres plus récents.
15Parmi ceux-ci, la dimension politique – en particulier le rôle joué par le gouverneur depuis son élection il y a sept ans – est incontestable. Acteur et chef d’entreprise comblé, Arnold Schwarzenegger s’est fait élire après une campagne éclair sur un thème improvisé mais qui s’est révélé visionnaire : favoriser l’innovation technologique pour faire de la Californie l’endroit le plus favorable au développement durable de la planète. « La Californie a inventé le futur à plusieurs reprises, nous allons le faire à nouveau », avait-il déclaré, il y a cinq ans déjà, à une nuée de journalistes réunis près de Los Angeles pour le lancement de son programme Hydrogen Superhighway Network.
16En réalité, cette ambition était doublement visionnaire. D’un point de vue environnemental, en 2003, le sujet climatique n’était pas autant d’actualité qu’aujourd’hui. Et pourtant, pour des raisons environnementales, Arnold Schwarzenegger a prolongé une tradition californienne datant des années 1970 lorsque l’État avait voté un premier Clean Air Act. Pendant ses deux mandats successifs, le gouverneur impose des réductions de gaz toxiques aux constructeurs automobiles – comme nulle part ailleurs aux États-Unis –, protège de nombreux sites naturels, interdit des forages pétroliers off shore et surtout impose une modernisation du réseau électrique. Une modernisation fondée sur l’efficacité énergétique qui aura évité à l’État de construire la moindre centrale depuis plus de dix ans, alors que la consommation augmente régulièrement du fait de la croissance économique.
17Aucun gouverneur aux États-Unis n’est plus actif que lui pour favoriser les énergies renouvelables. Il a récemment lancé le programme « Un million de toits solaires », qui doit permettre à la Californie d’équiper en masse les particuliers, incitations fiscales à l’appui.
18L’autre aspect visionnaire de son approche écologique tient au fait qu’elle s’appuie à la fois sur la stimulation de l’innovation technologique et sur la conviction – qu’il va progressivement faire passer auprès du tissu économique californien – que le développement durable n’est pas un fardeau pour les entreprises. Au contraire, c’est un gisement de croissance. Un credo diamétralement opposé à celui du locataire de la Maison-Blanche de l’époque, George Bush, qui a obstinément refusé de ratifier le protocole de Kyoto, persuadé qu’il réduirait la compétitivité des entreprises américaines. En effet, l’ensemble de l’action politique du gouverneur californien – aussi bien les lois et les règlements que les décisions d’ordre fiscal favorables aux énergies renouvelables – a grandement contribué à aider la Californie à se positionner en champion mondial de l’innovation verte.
19Et, de fait, la Silicon Valley a pris la tête de ce mouvement, lançant ainsi un de ces cycles d’innovation dont elle a le secret. On peut estimer que le mouvement a été véritablement lancé fin 2007, lorsque le tout nouveau prix Nobel de la paix, Al Gore, fut l’invité vedette d’une conférence consacrée aux conséquences possibles du changement climatique. Devant la crème des spécialistes de l’innovation, mais également des grands décideurs politiques et économiques de la région, l’ancien vice-président de Bill Clinton a dévoilé la manière dont il entendait poursuivre son action pour le développement durable. Une tâche, à ses yeux, bien plus captivante qu’une nouvelle course à la Maison-Blanche. Al Gore est aujourd’hui investisseur, associé de l’une des plus prestigieuses firmes locales de capital-risque, Kleiner Perkins Caufield & Byers (kpcb). Depuis un quart de siècle, celle-ci fait la pluie et le beau temps dans le financement de l’innovation technologique américaine.
20En personnifiant son engagement résolu à travers le recrutement d’Al Gore, kpcb confirme que la course à l’innovation se mène autant sur le terrain politique que financier. De fait, l’influence politique de la Silicon Valley sur l’innovation verte américaine a largement déteint sur le nouveau président américain lui-même. Bien avant son élection à la Maison-Blanche, alors qu’il venait souvent en Californie pour se familiariser avec les mécanismes de l’innovation technologique, les élites locales ont patiemment aidé Barack Obama à se forger une conviction sur l’action à mener en faveur des énergies renouvelables, puis à construire le programme qu’il a proposé pendant sa campagne, un programme qui prévoit 150 milliards de dollars d’investissements publics sur dix ans et la création de 5 millions d’emplois « verts », ainsi que l’instauration de Bourses où s’échangeraient des droits à polluer, dont le rendement financerait également les clean tech [1].
21Ce programme, désormais en cours d’exécution, va constituer un retour sur investissement pour les financiers et entrepreneurs locaux, car il les encourage à financer les start-up en technologies propres les plus prometteuses. Plus de la moitié de ces investissements en capital-risque clean tech aux États-Unis viennent désormais de Californie. « Les technologies propres font la force de la Silicon Valley : d’importants programmes de recherche académique, des talents scientifiques adaptés, une main-d’œuvre compétente et bien formée », explique Vinod Khosla, considéré comme l’investisseur le plus influent dans ce domaine.
Pragmatique, la Silicon Valley s’appuie en priorité sur ses points forts, c’est pourquoi elle s’est focalisée notamment sur l’énergie solaire. Le mode de production des panneaux solaires nécessite du silicium, donc des semi-conducteurs, dont la Silicon Valley reste la capitale mondiale. Le savoir-faire industriel local et les ressources humaines disponibles ont ainsi permis à de grands acteurs de ce secteur, comme SunPower par exemple, de racheter récemment une usine de semi-conducteurs et de la convertir à la production de panneaux solaires.
Quant aux champions locaux de high-tech, ils ont pris le train en marche, quand ils ne l’ont pas précédé. Google a été certes l’un des premiers à couvrir son siège social de panneaux solaires – en aidant au passage ses salariés à s’équiper eux-mêmes –, mais la compagnie finance abondamment les start-up vertes et les programmes d’efficacité énergétique. Rien de surprenant, finalement, à ce que son pdg, Eric Schmidt, soit devenu l’un des conseillers officiels de Barack Obama en matière de développement durable.
Une loi pour les universités
22Même si les entreprises technologiques savent innover et qu’elles disposent du soutien total des dirigeants politiques, la recette du succès californien intègre également des ingrédients plus institutionnels. Et c’est ainsi que la Californie est l’un des endroits aux États-Unis où les universités savent le mieux valoriser leur innovation, grâce à un contexte législatif national déjà très ancien. En particulier le Bayh-Dole Act, une loi votée en… 1980.
23Elle permet aux universités de conserver la propriété d’une innovation mise au point à travers un programme financé par le gouvernement, elle permet aussi de partager les revenus issus de cette invention commercialisée sous licence. Autre élément clé, la loi encourage ces mêmes universités à privilégier les pme, au détriment des grandes entreprises, lorsqu’il s’agit de choisir des partenaires privés pour cette commercialisation. Sans le Bayh-Dole Act, l’histoire de Google n’aurait jamais vu le jour.
24En 1996, Sergey Brin et Larry Page, les deux co-créateurs de Google, étaient alors étudiants sur le campus de l’université de Stanford, à Palo Alto. Ils travaillaient sur un projet financé par le gouvernement et c’est grâce à ce projet qu’ils ont mis au point le fameux algorithme qui permet de classer les sites en fonction de leur pertinence.
25Aussitôt leur logiciel inventé, l’Office of Technology Licencing, créé grâce à la loi Bayh-Dole, certain qu’il peut bénéficier de la paternité de cette invention, dépose une demande de brevet (en janvier 1997). À ce moment-là, l’idée des deux étudiants et de l’université se limitait à vouloir vendre sous licence cette technologie aux moteurs de recherche en ligne existants. Mais, aussi curieux que cela puisse paraître, aucun d’entre eux ne s’était montré assez intéressé pour l’acquérir…
26L’université pousse donc Brin et Page à monter leur propre start-up pour mieux valoriser leur invention. Grâce à celle-ci, ils perçoivent un droit de commercialisation exclusif de la technologie et Stanford obtient environ 2 millions d’actions. La revente de ces actions, lors de l’introduction en Bourse de Google, a rapporté 336 millions de dollars à Stanford. Bon an, mal an, l’université perçoit environ 200 millions de dollars grâce à l’invention de ses étudiants ou enseignants, qui se partagent ainsi les fruits de leur innovation.
Un leadership contesté ?
27La Californie est-elle pour autant assurée de maintenir pour l’éternité son dynamisme économique grâce à l’innovation technologique ? Ce n’est pas sûr.
28Tout d’abord parce que tout modèle a ses limites. Si les grandes régions technologiques du Golden State (Silicon Valley, San Diego, Los Angeles, etc.) concentrent souvent les meilleurs cerveaux ou certaines des plus belles start-up innovantes de la planète, ces clusters (concentrations) ont tout de même leurs problèmes. Dans la Silicon Valley, par exemple, qui rassemble plus de 25 000 entreprises technologiques, le niveau de vie et le coût for doing business sont si élevés qu’ils dissuadent désormais de très beaux projets de s’installer sur place. Quitte à ne pas bénéficier du formidable maillage de talents et de ressources de la région.
29L’autre grande crainte de la Californie, bordée par l’océan Pacifique, est de perdre, ne serait-ce qu’en partie, son pouvoir d’attraction au bénéfice de l’Asie. Cela fait belle lurette qu’une majorité d’entreprises technologiques californiennes utilisent des ressources scientifiques dans le monde entier pour continuer à innover. Souvent en pratiquant, à leur façon, « les trois huit ». Ainsi un programme scientifique peut-il être partagé par trois équipes : la première, située en Asie, passe le relais, à la fin de sa journée, à la deuxième située en Europe. Qui elle transmet ses avancées à la troisième, en Californie, lorsque son soleil se couche. Si elle peut paraître caricaturale, cette façon de fonctionner en groupes virtuels existe bel et bien. Elle peut être complétée par des pratiques souvent plus sophistiquées, par exemple l’innovation ouverte où les projets scientifiques sont attribués, par morceaux, à des équipes scientifiques indépendantes, souvent situées en Chine, en Inde ou ailleurs en Asie.
30Depuis fort longtemps préoccupée par le réveil économique de la Chine, la Californie voit aujourd’hui avec inquiétude certains de ses scientifiques, formés dans ses meilleures universités et souvent devenus de brillants collaborateurs d’entreprises innovantes, rentrer dans leurs pays d’origine. Chinois et Indiens, notamment, bénéficient désormais d’incitations financières – et de ressources humaines et techniques – suffisamment fortes pour que le mouvement soit devenu significatif.
31Les laboratoires et les centres de recherche californiens ne sont pas en train de se vider et le flot d’immigration des cerveaux reste envié par tous les autres pays du monde, mais il n’empêche, il sera de plus en plus difficile à la Californie de continuer à concentrer sur son sol autant de capacités à innover dans les années qui viennent. Surtout dans les technologies vertes, à propos desquelles la Chine et l’Amérique partagent la même vision : ce sont par elles que passe « l’économie décarbonée » de demain, celle qui permettra de se passer des énergies fossiles. Pour des impératifs de risques climatiques, ou pas.
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Abréviation de clean technology, technologies propres.