Pouvoirs 2009/1 n° 128

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Article de revue

Y a-t-il encore une place pour la responsabilité pénale ?

Pages 43 à 47

1À travers la punition, l’autorité étatique exerce la plus emblématique et la plus étendue de ses prérogatives. Elle peut en effet supprimer des droits, priver de liberté et infliger une souffrance morale ainsi que physique. De cette façon, elle affirme son emprise sur la personne humaine et la soumet à ses volontés par des moyens de coercition qui assurent sa domination.

2Un tel pouvoir a besoin de justifications. Elles n’ont pas manqué. La plupart d’entre elles tournent autour de la nécessité de garantir la paix sociale. Thomas Hobbes en a été le théoricien lucide et radical. Par nature, et même par droit de nature, chacun a la liberté d’user, selon son jugement, de ses pouvoirs propres pour préserver sa vie. Ce droit s’étend non seulement aux choses animées et inanimées dont il est permis d’abuser pour sa sauvegarde mais également aux êtres humains. Ces derniers, étant exposés au droit de chacun de se servir d’eux dans un intérêt personnel, n’ont aucune raison de se laisser faire. Il est dès lors prévisible que la paix sera difficile à maintenir, qu’il s’ensuivra un état de guerre de chacun contre chacun et que, dans cet état, il sera loisible à chacun de se défendre par tous les moyens possibles. L’état de guerre étant la conséquence inéluctable de l’exercice des droits naturels, il n’y a pas d’espoir de vivre tranquille sans renoncer à la plus grande partie de ces droits, mais une telle renonciation qui conduit à se désarmer ne peut avoir lieu sans réciprocité. L’intérêt commande donc à chacun de s’accorder avec chacun dans un contrat aux termes duquel les droits naturels seront abandonnés et transférés à une personne souveraine, personne physique ou assemblée, qui les exercera en lieu et place de tous. L’objet du contrat est de conférer au souverain une puissance absolue car, sans elle, ses sujets auraient la tentation de reprendre tout ou partie des droits cédés. Dans cet État rationnel et totalitaire, la puissance du souverain s’appliquera aux corps mais aussi aux esprits sans être pour autant illimitée. S’il advenait en effet que le souverain ne parvienne pas à protéger la vie de ses sujets, laquelle constitue un droit inaliénable, le contrat de chacun avec chacun serait rompu, le souverain perdrait son autorité et ses sujets retrouveraient le plein usage de leurs droits naturels.

3Bien entendu, le droit de punir figure parmi les droits transférés mais, dans la théorie de Hobbes, la plus totalitaire jamais conçue, ce droit trouve sa limite dans l’obligation pesant sur celui qui l’exerce de préserver la vie et l’intégrité des personnes qu’il tient en sa puissance.

4D’une manière générale, il est impossible de concevoir et de définir un droit sans limites. Le droit de punir n’échappe pas à la règle. Il peut même être dit qu’il y échappe moins qu’aucun autre car, portant en lui un risque de graves abus, il est menacé d’atteindre à tout instant la limite au-delà de laquelle il s’autodétruit.

5L’abus des choses inanimées n’entraîne que leur destruction tandis que l’abus, à l’occasion de l’exercice du droit de punir, des êtres de raison n’entraîne pas seulement leur destruction mais aussi celle du droit lui-même, celui-ci n’ayant été instauré que pour atteindre une fin comportant également la sauvegarde et l’intégrité de la personne sanctionnée.

6Il est toujours possible de maltraiter les choses, les animaux ainsi que les personnes réduites en esclavage mais il est impossible d’exercer, au nom des prérogatives légales de la puissance publique, le droit de punir sur une personne qui ne jouissait pas de sa liberté au moment des faits qu’on lui reproche.

7Ce principe, fondé sur une logique rationnelle, a été adopté par la plupart des systèmes répressifs et, en particulier, par ceux qui sont inspirés par une idée religieuse attribuant à la personne humaine une partie du caractère sacré de la divinité censée l’avoir créée, mais il est indépendant de ces doctrines. Assurément, le fort peut punir le faible dans n’importe quelle situation mais il n’en a le droit que dans la limite et le respect des raisons qui le lui ont donné. À défaut, la punition suscite la révolte légitime de la personne qu’elle atteint et crée les conditions de sa négation.

8C’est aussi pourquoi le droit de punir, indissociable des modalités de fonctionnement des pouvoirs publics, a nécessairement affaire au statut du citoyen, autrement dit de l’homme libre.

9Le Code pénal définit les infractions punissables et les peines applicables à leurs auteurs, c’est le livre de la répression mais c’est aussi le livre de la liberté puisqu’il permet de faire ou de ne pas faire tout ce qu’il n’a pas érigé en actions ou omissions illicites. Aucune action ou omission n’étant punissable en dehors d’un texte qui l’édicte, il en résulte que l’auteur de l’infraction est réputé avoir agi librement et en connaissance de cause. Il en résulte également que l’absence d’intention criminelle ou l’absence de discernement sont des causes d’exonération pour l’auteur de l’infraction. En effet, ces absences démontrent que la personne soupçonnée ou bien n’avait pas conscience de commettre une illégalité, ou bien n’avait pas voulu la commettre. Ayant agi comme si son comportement entrait dans la catégorie des choses permises, elle n’est punissable qu’en passant par l’anéantissement du Code pénal lui-même puisque celui-ci a pour objet de distinguer ce qui est permis et ce qui est interdit. Le défaut de discernement et / ou d’intention abolissant cette distinction vide la notion de responsabilité, corollaire de celle de liberté, de sa substance. Certes, le dommage n’a pas disparu, pas plus que la responsabilité de ceux qui avaient sous leur garde les auteurs matériels du fait dommageable. Ces derniers doivent, à ce titre, le réparer mais la responsabilité pénale de l’auteur involontaire ou inconscient subsiste-t-elle ?

10Il est admis que des coups ayant causé la mort sans intention de la donner créent une responsabilité pénale, de même qu’un homicide peut être involontaire. Encore faut-il que le coup à l’origine de la mort ou l’imprudence à l’origine de l’accident mortel ait été donné ou commise volontairement.

11L’acte involontaire ou inconscient ne peut ouvrir la voie au droit de punir puisque celui-ci a perdu sa justification à l’instant même où le délinquant a perdu sa liberté de choisir. La liberté individuelle fonde la responsabilité pénale de même que la loi pénale garantit la liberté individuelle.

12La loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté sape ces principes en instituant une peine sans crime. À la fin de leur peine, certains condamnés, considérés comme dangereux par la juridiction qui les a jugés, pourront être détenus pendant une période de temps indéterminée s’il en est décidé ainsi après consultation d’une commission d’experts. Avec cette loi opportuniste, la notion de faute est remplacée par celle de risque et celle de responsabilité par celle de dangerosité. La personne n’est pas punie pour ce qu’elle a fait mais pour ce qu’elle risque de faire.

13De cette façon, le législateur a littéralement empoisonné le Code pénal puisqu’il a introduit l’idée qu’une mesure aussi coercitive que la privation de liberté pouvait être ordonnée, en dehors d’un fait criminel avéré, au seul motif que la personne ainsi sanctionnée risquait de commettre un nouveau crime. Une telle mesure constitue bien un empoisonnement car elle conduit à la destruction de la responsabilité pénale et, partant, de la loi pénale.

14Tel qui aura purgé quinze ans de réclusion criminelle en exécution d’une décision judiciaire prononcée après un débat contradictoire portant sur les faits reprochés et sur sa personnalité verra sa peine prolongée au-delà de la durée initialement fixée au motif que des experts en psychiatrie auront estimé qu’il était potentiellement dangereux. La raison d’être ainsi que la finalité de la loi pénale est de sanctionner des faits résultant d’actes délibérément accomplis, librement et consciemment. Elle repose sur ce principe qu’aucun acte envisagé, conçu ou même ouvertement désiré ne peut être puni aussi longtemps qu’il n’a pas été accompli. Durant le temps qui sépare la conception de l’acte en imagination et sa réalisation, la possibilité de renoncer au projet jusqu’au dernier instant laisse ouvert un champ d’incertitude que la liberté seule peut clôturer. Que l’homme libre renonce à l’acte envisagé et il est innocent, qu’il l’accomplisse et il est coupable.

15En décidant que cet homme encore libre de s’abstenir de tout acte illicite peut être privé de liberté au-delà de ce qui a été décidé en fonction de ce qu’il a fait, la loi ordonne à des tiers de se substituer à lui et, pareils à des sorciers, de pénétrer à l’intérieur de sa conscience, de parler en son nom et d’appréhender son libre arbitre à sa place. Abolissant sa liberté et le soumettant à sa domination, la loi détruit aussi la distinction fondatrice du droit de punir entre ce qui est permis et ce qui est interdit. Désormais, la punition frappe alors que rien d’interdit n’a été accompli.

16Sans doute la politique peut-elle être considérée comme l’art de faire croire aux hommes que la vie est sans danger ou, plus exactement, que la plupart des dangers de la vie peuvent être prévenus. La loi sur la rétention de sûreté va au-delà de ce genre de promesses. Elle s’inscrit dans un mouvement plus vaste tendant à faire croire qu’on peut déceler le mal aussi facilement qu’on observe la couleur des yeux. Personne n’y croit mais cette politique rassure, ce qui nous fait oublier qu’elle asservit. C’est elle qui enferme les enfants et punit les fous comme autrefois on maudissait le ciel et faisait fouetter la mer après le naufrage.


Date de mise en ligne : 06/01/2009.

https://doi.org/10.3917/pouv.128.0043
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