Notes
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[1]
La dernière en date est celle du 4 février 2008 (loi constitutionnelle 2008-103) relative au titre XV, consécutive à la décision du Conseil constitutionnel (2007-560 du 20 décembre 2007, Traité de Lisbonne, Pouvoirs, n° 125, p. 173 et 180).
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[2]
Voir Pierre Avril, « L’Assemblée d’aujourd’hui », Pouvoirs, n° 34, 1985, p. 5 ; Guy Carcassonne, « Réhabiliter le Parlement », Pouvoirs, n° 49, 1989, p. 37. En bonne logique, la réédition du Traité de droit politique électoral et parlementaire d’Eugène Pierre, avec une préface de Michel Ameller et un avant-propos de Pierre Avril et du signataire (Éditions Loysel), en 1989, a suivi d’une année la première édition du manuel de droit parlementaire de ces derniers.
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[3]
Voir le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, Pour une Ve République plus démocratique, Fayard/La Documentation française, 2007, p. 209.
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[4]
Voir Jacques Bourdon, « Un Parlement renforcé », Revue politique et parlementaire, octobre 2007, p. 42.
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[5]
Voir Jean-Louis Hérin, « La qualité de la loi », in Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux (dir.), La Réforme du travail législatif, Dalloz, 2006, p. 41.
-
[6]
Voir Jean Gicquel, « Le temps parlementaire », ibid., p. 13.
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[7]
Parallèlement à la séance plénière, les commissions siègent en permanence en vue d’assurer l’information des élus et de contrôler le gouvernement.
-
[8]
Particularité, la discussion immédiate d’un texte peut être demandée à tout moment au Sénat (art. 30RS). Ce qui a pour effet d’écarter l’ordre du jour prioritaire du gouvernement. Le dépôt d’une motion de censure par les députés (art. 49, al. 2C) produit le même résultat. Voir Pierre Avril et Jean Gicquel, Droit parlementaire, 3e éd., Montchrestien, 2004, n° 164.
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[9]
Le nombre des saisines était de l’ordre de 10 % des lois votées. Depuis la XIIe législature (2002-2007), on observe une augmentation substantielle proche de 40 %. Voir Trente Ans de saisine parlementaire du Conseil constitutionnel, La Documentation française, 2006.
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[10]
En revanche, le Conseil constitutionnel (14 décembre 2006, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, Pouvoirs, n° 121, p. 53) a mis un terme au bicamérisme inversé, en obligeant le Sénat au respect de cet article. Sans modifier son règlement, celui-ci a mis en œuvre un contrôle préalable au moment du dépôt (rapport Arthuis, 2007).
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[11]
Voir Jean Gicquel, « Le renouveau du contrôle parlementaire », in Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux (dir.), Responsabilité et Démocratie, Dalloz, 2007, p. 25.
-
[12]
Le gouvernement, qui ne disposait que d’une majorité relative, n’a dû son salut qu’aux mécanismes du parlementarisme rationalisé. Il en sera ainsi de ses successeurs (Édith Cresson et Pierre Bérégovoy) tout au long de la IXe législature (1988-1993).
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[13]
Voir Pauline Türk, Les Commissions parlementaires permanentes et le Renouveau du Parlement sous la Ve République, 2005.
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[14]
À l’Assemblée nationale, le rapport est confié à un député de l’opposition (voir Rapport spécial, n° 276, annexe 30, 2007).
-
[15]
Voir Jean-Pierre Camby, « La lolf et les rapports entre les institutions », Revue française de finances publiques, n° 97, 2007, p. 17 ; Philippe Séguin, « La lolf et la Cour des comptes », ibid., p. 41.
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[16]
La logique de la lolf a été étendue aux finances sociales (art. LO 111-3 du code de la sécurité sociale), ainsi que la mission d’assistance de la Cour des comptes. Une mission d’évaluation et de contrôle (mecss) a été formée en 2004, au sein de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, sur le modèle de la mec.
-
[17]
Jean-Claude Colliard, entretien, Revue politique et parlementaire, octobre 2007, p. 9.
-
[18]
Voir annexe 3 : Synthèse des propositions du Comité, in Pour une Ve République plus démocratique, op. cit., p. 215.
-
[19]
On relève, entre autres, la possibilité reconnue aux assemblées, par un veto conjoint, de s’opposer à la procédure d’urgence dans le cadre de la procédure législative (proposition n° 24) ; l’encadrement du droit d’amendement lorsqu’il revêt la forme d’articles additionnels d’origine gouvernementale (proposition n° 31) ou la publicité de l’avis rendu par le Conseil d’État (proposition n° 27).
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[20]
Le Parlement serait appelé à émettre un avis sur des nominations aux emplois supérieurs ressortissant à la compétence du chef de l’État (proposition n° 8), en dehors de celles qui sont à la décision du gouvernement.
-
[21]
À deux reprises, la majorité s’est rebellée : en 1971, avec le manifeste des présidents des commissions qui contribua à la chute du gouvernement Chaban-Delmas l’année suivante et, en 2006, lorsqu’elle géra la crise du cpe provoquant la neutralisation du chef de l’État et du Premier ministre.
« Je ne changerai pas les grands équilibres de nos institutions... Je ne tournerai pas la page de la Ve République. »
1En cette année du jubilé, la vitalité de la Constitution de 1958 (C) ne saurait être discutée, à l’aune des 23 révisions adoptées [1].
2Si, comme le prétendait Raymond Aron, les hommes font l’histoire, ils ne savent pas quelle histoire ils font. Qu’en est-il de la vie institutionnelle ? Les modifications intervenues s’inscrivent-elles dans une perspective d’ensemble ; en d’autres termes, ont-elles un sens ? À tout bien considérer, et pour autant qu’on puisse en juger, un mouvement consensuel s’esquisse depuis la présidence de Valéry Giscard d’Estaing qui, prenant acte de l’irréversibilité de la révolution copernicienne de 1958, s’évertue à corriger les aspects abrupts du parlementarisme rationalisé, à l’origine de la Constitution orthopédique (M. Prélot). À l’unisson de la modernité constitutionnelle, la primauté du pouvoir exécutif, magnifié par le fait majoritaire, ce miracle politique, se concilie désormais avec la réévaluation du rôle des assemblées.
3Cette démarche qui, naguère, n’avait pas échappé à l’opinion d’observateurs avisés, et favorisé la résurrection du droit parlementaire, demeure d’actualité [2]. Il est indispensable de rééquilibrer les pouvoirs du Parlement par rapport à ceux de l’exécutif : ce but assigné au comité Balladur par le chef de l’État (lettre de mission du 18 juillet 2007) [3] est à l’origine de 43 propositions sur un total de 77, soit l’essentiel du rapport, selon son président [4]. Dans l’attente de leur adoption, on observe que ce dernier s’inscrit dans une démarche pérenne, le Parlement étant le destinataire principal des révisions constitutionnelles. En cédant à une énumération démonstrative, de la première relative aux dates des sessions parlementaires (loi constitutionnelle du 30 décembre 1963), ayant emprunté, au demeurant, le cheminement de l’article 89C, au point d’orgue de celle du 4 août 1995 (tout un symbole !) élaborée de facto par les assemblées, créant la session unique (art. 28) et l’ordre du jour parlementaire prioritaire (art. 48), la sollicitude du pouvoir constituant ne s’est pas démentie. À preuve, l’extension régulière du périmètre parlementaire au contrôle de constitutionnalité (1974 et 1992) ; au financement de la sécurité sociale (1996) ; au droit communautaire dérivé (1992 et 2008), sans perdre de vue la procédure de destitution du président de la République, en 2007. Entre-temps, la réforme de 1993 a créé la Cour de justice de la République composée, pour l’essentiel, de parlementaires, et celle de 1999 a favorisé la représentativité du Parlement par l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux.
4De ce nombre significatif de lois constitutionnelles, on ne manquera pas de rapprocher l’intervention du législateur organique (lolf du 1er août 2001) et celle du législateur ordinaire (création de délégations parlementaires), parallèlement à la jurisprudence libérale du Conseil constitutionnel restituant à la loi son domaine traditionnel (30 juillet 1982, Blocage des prix et des revenus). Les lignes de force de la Ve République ont évolué, sans être percées pour autant. Le Parlement est de retour : ni souverain ni soumis. Par suite, il occupe désormais une place médiane en harmonie avec le rôle dirigeant du pouvoir exécutif.
5Au terme d’une démarche dialectique entre la forme juridique et la force politique, on peut discerner un redéploiement de l’activité parlementaire ou un recentrage, pour tout dire, tenant à légiférer moins pour contrôler plus. À ce compte, la reparlementarisation a cessé de relever de l’incantation au profit d’une constatation, résumée par la contraction du président Philippe Séguin selon laquelle le Parlement contrôle l’activité législative du gouvernement. Il s’ensuit que tout en demeurant un législateur limité, celui-là aspire à devenir un contrôleur avisé.
Le Parlement demeure un législateur limité
6La loi est votée par le Parlement (art. 34C). À la vérité, l’affirmation s’avère plus formelle que réelle. Elle permet d’authentifier, d’un point de vue organique, la loi au sein de l’univers normatif ; là se limite sa pertinence, tant il est évident que le législateur est moins le Parlement que l’exécutif – soit une contrainte gouvernementale à l’origine de la résistance des élus.
La contrainte gouvernementale
7Une expression en rend compte : celle de gouvernement-législateur. Un oxymore devenu une banalité de nos jours. Sous cet aspect, la loi finalise le programme de l’exécutif, transformé en atelier législatif. Si bien que le Parlement n’élabore plus la loi, il se borne, pour l’essentiel, à entériner la volonté gouvernementale. Des explications politique et juridique peuvent être avancées.
8La première est déterminante : la politique étant la source du droit. Avec la fin de la souveraineté parlementaire, il appartient au gouvernement, investi du pouvoir décisionnel (art. 20C), de traduire en termes formels les choix du chef de l’État. Gouverner, c’est communiquer mais, plus encore, légiférer. François Mitterrand affirmait, en 1981, que ses engagements constituaient la charte de l’action gouvernementale autant que la charte de l’action législative. En écho, Nicolas Sarkozy proclame, en 2007 : « Le gouvernement n’a désormais qu’un seul devoir, celui de mettre en œuvre le programme présidentiel. » Au surplus, l’allégeance des parlementaires au chef de l’État découle, à l’évidence, du fait majoritaire. Un même destin politique les unit, à l’image de la verticalité du pouvoir.
9La seconde est éclairante. À cet effet, il suffit d’évoquer l’arsenal dont dispose le gouvernement pour se persuader de sa maîtrise sur le processus de formation de la loi : maîtrise de l’ordre du jour (art. 48) ; maîtrise des amendements (art. 40, 41 et 44) ; maîtrise des relations entre les assemblées (art. 45) ; maîtrise de l’initiative dans des matières réservées : finances (art. 47), financement de la sécurité sociale (art. 47-1), autorisation de ratification des traités (art. 53) et transposition de directives communautaires (art. 88-1) ; maîtrise du temps (délai de délibération imposé au Parlement dans le domaine précité des prélèvements obligatoires), et, singulièrement, maîtrise des sources du droit, par suite de l’éviction du Parlement (art. 38). Tant et si bien que le recours aux ordonnances est devenu le principal mode de législation (Conseil d’État, rapport public, 2006). Quand l’exception se substitue au principe, la divagation est accomplie ! Mais cette prééminence a suscité la réaction salutaire des élus.
La résistance parlementaire
10Résister à l’effacement : cette volonté des élus est partagée par le Conseil constitutionnel qui, soucieux de la protection de leurs droits face au bloc majoritaire, a posé le principe de la clarté et de la sincérité du débat parlementaire (13 octobre 2005, RAN, Rec., p. 144) et paré la loi des qualités de sincérité (21 juin 1993, Loi de finances rectificative pour 1993, p. 146), d’accessibilité et d’intelligibilité (16 décembre 1999, Codification, p. 136), et de normativité (21 avril 2005, Avenir de l’école, p. 72) [5].
11En dehors de quelques lois emblématiques d’origine parlementaire, qui ont transformé les mentalités, sinon la société (loi Neuwirth de 1967 relative à la contraception ; loi Michel de 1999 sur le pacs) ou changé la constitution financière de la France et propulsé la réforme de l’État (loi organique du 1er août 2001), les parlementaires sont parvenus à recouvrer des espaces d’autonomie.
12Ils disposent, d’abord, d’une meilleure emprise sur le temps, depuis 1995, avec l’avènement de la session unique ou ordinaire ; une session de neuf mois [6]. Le temps de la démocratie à mi-temps (Philippe Séguin) est bien révolu ; d’autant que les sessions extraordinaires se sont multipliées récemment. Le Parlement siège désormais pratiquement en permanence [7]. Au demeurant, manifestation de l’autonomie du droit parlementaire, il appartient, depuis cette révision, au règlement de chaque assemblée de déterminer les jours et les horaires des séances (art. 28C in fine). De même, et de manière symbolique, la prérogative parlementaire a été restaurée : une séance par mois est réservée par priorité à l’ordre du jour fixé par chaque assemblée (art. 48C, al. 3). L’ordre du jour prioritaire du gouvernement, négocié le plus clair du temps avec la majorité, coexiste désormais avec celui de chaque assemblée. Cette séance mensuelle, la séance d’initiative parlementaire, est attribuée à chaque groupe parlementaire, qui dispose ainsi d’un droit de tirage [8].
13L’autonomie substantielle du Parlement a été ensuite renforcée à l’égal du domaine d’intervention de la loi (décision précitée du Conseil constitutionnel du 30 juillet 1982). Une troisième lecture (Georges Vedel) s’y déroule.
14La saisine a été ouverte, en effet, à l’opposition au titre du contrôle de constitutionnalité de la loi (art. 61C, révision du 29 octobre 1974) et de contrariété du traité (art. 54C, révision du 25 juin 1992). On n’insistera jamais assez sur cette trouée décisive à l’origine de l’essor de l’État de droit, qui a changé la physionomie de la Ve République en retournant de manière paradoxale le contrôle contre le gouvernement [9].
15Les finances sociales ressortissent, de la même manière, au vote du Parlement (art. 47-1C, révision du 22 février 1996). Au reste, celui-ci participe en amont à la législation communautaire. En l’espèce, il appartient à chaque assemblée de voter une résolution, laquelle n’est plus limitée aux seules mesures d’ordre intérieur comme à l’origine, ayant certes valeur d’avis (Conseil constitutionnel, 17 décembre 1992, RAN) sur les actes de l’Union européenne comportant des dispositions qui sont du domaine de la loi (art. 88-4C, révision du 25 juin 1992). Dans le même esprit, une convention de la constitution négociée, en 1994, entre les présidents des assemblées et le Premier ministre, autorise les représentants français dans les instances communautaires à invoquer la réserve d’examen parlementaire tant qu’une assemblée n’a pas émis un avis.
16L’autonomie parlementaire s’est, par ailleurs, manifestée avec l’assouplissement de l’étreinte découlant de l’irrecevabilité financière (art. 40C) [10]. Les élus peuvent présenter des amendements majorant les crédits d’un ou de plusieurs programmes inclus dans une mission, dès lors que les crédits de cette dernière ne sont pas augmentés (art. 47 lolf). Ce mécanisme a été étendu à la loi de financement de la sécurité sociale (LO du 2 août 2005).
17Enfin et surtout, les parlementaires sont parvenus à sauvegarder, en la renouvelant, leur initiative législative par l’exercice du droit d’amendement (art. 44C). Une procédure de substitution qui représente la forme essentielle de leur activité ; le temps fort de la délibération, et souvent son abcès de fixation. En dehors de l’explosion de leur nombre, cette arme privilégiée de l’opposition incline à l’obstruction. Mais la majorité ne la dédaigne nullement, car elle lui permet de réécrire ou de cogérer un texte, en échange de sa discipline de vote. Cependant, il a appartenu au Conseil constitutionnel d’en réguler le cours afin d’en prévenir les abus : l’amendement ne doit pas être dépourvu de tout lien avec l’objet du texte en discussion (19 juin 2001, Statut de la magistrature, LPA, 13 juillet 2001, note Pierre Avril et Jean Gicquel). En outre, consécration de la jurisprudence de l’entonnoir et préservation du bicamérisme, ce droit est appelé à s’exercer pleinement en première lecture, en dehors des cas destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec les textes en cours d’examen ou à corriger une erreur matérielle (19 janvier 2006, Lutte contre le terrorisme, LPA, 15 février 2006, note Pierre Avril et Jean Gicquel). L’essor et les limites du droit d’amendement sont représentatifs, à bien des égards, de la place occupée par le Parlement dans la pièce législative. Il y demeure présent, ayant su sauvegarder son rôle institutionnel face au gouvernement. Mais, en tant que lieu de pouvoir, la relation entre l’opposition et la majorité relativise, à l’évidence, son influence ; celle-ci mettant ses compétences à la disposition de l’exécutif. De manière révélatrice, le Conseil constitutionnel a rappelé le Parlement à leur respect, en censurant son dessaisissement (un comble !), au titre de l’incompétence négative (12 janvier 2002, Modernisation sociale, Pouvoirs, n° 102, p. 160) ou d’une habilitation législative, laquelle ne peut intervenir qu’à la seule demande du gouvernement (20 janvier 2005, Juridiction de proximité, Pouvoirs, n° 114, p. 193).
18L’ombre du Parlement-législateur ne saurait cependant occulter la lumière tamisée du Parlement-contrôleur.
Le Parlement aspire à devenir un contrôleur avisé
19Faute de pouvoir rivaliser avec le gouvernement-législateur, la Ve République n’ayant, à la vérité, que consacré la tendance qui s’esquissait sous la précédente, le Parlement redécouvre sa mission de contrôleur de l’activité exécutive : sa seconde nature, en clair. Un exemple récent l’atteste. L’idée avancée, en janvier 2008, de la notation des ministres par le premier d’entre eux a été considérée, à bon droit, comme une provocation, une atteinte inacceptable à la prérogative parlementaire.
20Contrôle ? Une notion classique, qui n’en est pas moins polysémique. Ce réactif de la démocratie, selon la vision classique d’Alain, s’oppose à la législation.
21En écho à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration, le gouvernement est appelé naturellement à répondre de ses actes devant la représentation nationale.
22De ce point de vue, le contrôle lato sensu, on le sait, recouvre des procédures variées englobant la mise en jeu de la responsabilité du gouvernement, les diverses activités informatives et le vote de résolution communautaire. À cet égard, le contrôle s’est ramifié, à la mesure de son caractère diversifié ; bref, sa finalité tend moins à mettre en cause la responsabilité du gouvernement, par la perte de son pouvoir, qu’à influencer sa politique. Il s’ensuit la translation d’un contrôle passéiste à un contrôle futuriste, ordonné autour de l’évaluation des politiques publiques, en vue de satisfaire l’efficacité du travail parlementaire [11].
La perte du pouvoir gouvernemental
23Hors le cas spécifique de la mise en cause de la responsabilité politique du président de la République (art. 68C), le fait majoritaire, sublimé depuis 2002, par la présence du groupe ump dans chaque assemblée, a neutralisé le principe de responsabilité (art. 20 et 49C), ainsi que le droit de dissolution (art. 12). En un demi-siècle d’existence, un seul gouvernement, en 1962, a été censuré par les députés. Dès lors, la responsabilité joue devant le chef de l’État, et, en définitive, devant les électeurs, selon la technique du vote-sanction. À cet égard, aucune majorité sortante n’a été reconduite au rythme de l’alternance au cours de trois décennies de 1978 à 2007. Ce monisme inversé est parvenu à éroder les mécanismes de contrôle, séparés ou combinés, visés à l’article 49C.
24Concernant la question de confiance simple (art. 49, al. 1er), son application ressortit à la clause de style, soit une bonne manière du gouvernement à l’égard de sa majorité, tant à l’Assemblée qu’au Sénat. Cependant, une situation inédite s’est présentée, le 12 mai 2006, lorsque Dominique de Villepin a été invité par le chef de l’État à ne pas y recourir à propos de la ténébreuse affaire Clearstream, qui faisait suite au rejet du cpe (contrat première embauche) par la rue. Il a appartenu, en cette circonstance, à l’opposition de s’y substituer en déposant une motion de censure (art. 49, al. 2). Cette dernière contraint, en règle générale, le gouvernement à s’expliquer lorsqu’il donne le sentiment de se dérober.
25L’acmé de la rationalisation de l’activité parlementaire (art. 49, al. 3) s’est présenté à 82 reprises depuis 1958, suscitant la réplique de 48 motions de censure. Aucune d’entre elles n’est parvenue à ses fins ; même si celle relative à la création de la csg en novembre 1990 manqua sa cible à 5 voix près. Le mécanisme utilisé par Michel Rocard à 28 reprises, de 1988 à 1991, à la manière des questions de confiance en rafales d’antan [12] ; ignoré par le gouvernement de la gauche plurielle de Lionel Jospin (1997-2002), a été sollicité, de manière contrastée, sous la XIIe législature (2002-2007). Cette arme suprême a été employée, de manière classique, afin de mettre un terme à l’obstruction de l’opposition, en faisant tomber les colonnes d’amendements qui obstruaient le chemin gouvernemental. Jean-Pierre Raffarin y a été contraint en novembre 2003 (élection des conseillers régionaux) et en juillet 2004 (libertés et responsabilités locales) ; de même que Dominique de Villepin en février 2006 (égalité des chances). Cependant, contre toute attente, cette disposition a été remisée, au surplus, à l’occasion du vote de réformes structurelles relatives aux régimes des retraites (juillet 2003) et de l’assurance-maladie (juillet 2004). Le temps, la patience et le vote de la majorité ont eu raison finalement de l’opposition. Un cas de figure insolite, véritable comble institutionnel, s’est présenté, en septembre 2006, à propos du projet de loi sur l’énergie, à l’origine du dépôt de 137 000 amendements (un record absolu !). Un accord politique est intervenu entre le président Debré et l’opposition afin d’éviter au Premier ministre… d’y recourir et de contraindre la majorité à se prononcer positivement (Pouvoirs, n° 121, p. 141).
L’influence sur la politique gouvernementale
26À information renforcée, contrôle stimulé ! Sous cet aspect, l’activisme de bon aloi des commissions parlementaires en vue de la préparation du débat public doit être relevé. Ces dernières assurent, en permanence, l’information des assemblées afin de leur permettre d’exercer le contrôle sur le gouvernement. Sans conteste, elles illustrent le renouveau du Parlement [13]. Les commissions d’enquête interviennent désormais sur le domaine réservé hier au pouvoir exécutif, à propos du Rwanda (1998) et du Kosovo (1999). En outre, elles peuvent être investies des prérogatives propres aux commissions d’enquête (art. 5 ter de l’ordonnance du 17 novembre 1958, rédaction de la loi du 14 juin 1996) et créer en leur sein des missions d’information. Elles veillent au suivi de l’application des lois au Sénat, depuis 1972, et à l’Assemblée nationale, en mettant à contribution le rapporteur à partir de 2004 (nouvelle rédaction de l’article 86, RAN).
27Ramené à l’essentiel, ce dynamisme est à l’origine d’une percée dans le domaine budgétaire et d’une poussée en matière communautaire. La mise en œuvre de la lolf du 1er août 2001 s’identifie à une révolution culturelle en transformant les prérogatives de la représentation nationale. La logique de moyens s’efface, en effet, au profit d’une logique de résultat et de performance. L’information renouvelée, dont disposent les parlementaires, est le gage d’une autorisation éclairée, au regard des nouveaux moyens d’investigation dont ils sont investis.
28Les commissions des finances suivent et contrôlent l’exécution des lois de finances et procèdent à l’évaluation de toute question relative aux finances publiques (art. 57 lolf). Leur rapporteur général et leurs rapporteurs spéciaux procèdent à toutes investigations sur pièces et sur place, et à toutes auditions qu’ils jugent utiles (ibid.). Ils peuvent en appeler au juge des référés pour faire cesser une entrave à une demande de renseignements sous astreinte (art. 59). Mieux, la commission des finances de l’Assemblée nationale, présidée par un membre de l’opposition depuis 2007, a créé en son sein, en 1999, une structure opérationnelle agissant tel un fer de lance : la mission d’évaluation et de contrôle (mec). Les responsabilités politiques y sont réparties entre la majorité et l’opposition. Au reste, le partenariat entre le Parlement et la Cour des comptes se révèle performant en matière d’expertise et d’audit (art. 58 lolf). On n’aura garde d’oublier la procédure efficace des questionnaires budgétaires (art. 49) adressés avant le 10 juillet et retournés au plus tard le 10 octobre, à l’origine d’une authentique percée dans des domaines longtemps fermés à l’information parlementaire. Au titre de la mission Pouvoirs publics [14], le laconisme, voire le silence initial, à propos de la dotation de la présidence de la République a fait place, depuis 2006, à une utile clarification concernant le traitement du chef de l’État et la rémunération des personnels mis à disposition. L’opacité des budgets des assemblées parlementaires et, à un moindre degré, du Conseil constitutionnel, se résorbe (rapport Arthuis, Sénat, n° 91, annexe 21, 2007). Dans le même ordre d’idées, le rapport relatif à la mission Conseil et Contrôle de l’État, confié à un député de l’opposition, a permis d’obtenir de précieuses justifications sur la matière hautement sensible de l’affectation des fonds spéciaux. La création d’une délégation parlementaire commune au renseignement (loi du 9 octobre 2007) s’inscrit dans cette démarche.
29On complétera cette vision en évoquant les deux temps significatifs qui encadrent la délibération parlementaire. En amont, le débat d’orientation budgétaire (dob) (art. 48 lolf) permet, dès le mois de juin, un échange fructueux entre les élus et le gouvernement [15]. Ce chaînage vertueux préfigure, pour une part importante, la structure des dépenses publiques. En aval, la restauration de la loi de règlement qui comporte, depuis 2007, en annexe, la certification de la régularité de la sincérité et de la fidélité des comptes de l’État, délivrée par la Cour des comptes (art. 58), est de nature à vivifier le contrôle parlementaire [16].
30D’un ordre juridique à un autre, ce dernier progresse dans l’espace communautaire. Une diplomatie parlementaire se met en place, écornant le privilège traditionnel du pouvoir exécutif, à l’exemple du déplacement du président Debré, accompagné des présidents de groupe de l’Assemblée, en Turquie, en février 2005, s’agissant de l’entrée éventuelle de celle-ci dans l’Union européenne. En outre, selon une formule inédite, les Parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l’Union, aux termes de l’article 12 du traité consolidé de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007. Outre les résolutions (art. 88-4C), il appartiendra à chaque assemblée, si ledit traité entre en vigueur, de contrôler le respect du principe de subsidiarité soit par un avis motivé adressé aux autorités communautaires, soit par un recours formé devant la Cour de justice de l’Union européenne (nouvel article 88-6C, rédaction de la loi constitutionnelle du 4 février 2008). De la même façon, par le vote d’une motion commune, les assemblées auront la possibilité de s’opposer à une modification des règles d’adoption d’actes de l’Union européenne au titre de la procédure simplifiée ou de la coopération judiciaire civile (nouvel article 88-7) (voir rapport Gélard, Sénat, n° 175, 2008). Enfin, les assemblées reçoivent communication par les soins du sgae des ordres du jour prévisionnels des conseils de l’Union (circulaire Jospin du 13 décembre 1999). Au surplus, chacun d’entre eux donne lieu, depuis novembre 2004, à un débat parlementaire préalable et à son issue (précédent de juillet 2007) ; le chef de l’État, chef de la diplomatie, accepte ainsi d’être éclairé et de rendre compte à la représentation nationale.
31Sur ces entrefaites, le comité Balladur s’est mobilisé, en 2007, en vue de la défense du Parlement. La force et l’audace de certaines de ses propositions [17] méritent le détour d’une brève présentation dans l’attente de sa réception par le pouvoir constituant.
32Ce manifeste de droit parlementaire, à la limite, se décline, au prix d’une simplification, en dispositions principielles et modalités d’application [18]. Au premier cas, il s’agit de la consécration d’un statut de l’opposition (propositions nos 60 et 61) et de l’attribution du droit de résolution au Parlement (proposition n° 48). Au second cas, outre le renvoi au règlement intérieur de l’Assemblée et l’accroissement du nombre de ses commissions permanentes (de 6 à 10, proposition n° 34), trois dispositions stratégiques, en matière législative, emportent la conviction : le partage de l’ordre du jour entre le gouvernement et les assemblées, sachant qu’une semaine de séances sur quatre sera réservée au contrôle et à l’évaluation des politiques publiques (proposition n° 20) ; le fait que la discussion des projets et des propositions de loi portera en séance publique sur le texte adopté par la commission compétente (proposition n° 37) et que le droit d’amendement s’exercera en séance ou en commission (proposition n° 36). Un changement de comportement des acteurs et tout particulièrement du gouvernement ne manquera pas d’en résulter ; celui-ci veillant à ce que ni son calendrier ni ses choix ne soient remis en cause, en première lecture. On sait, par expérience, qu’il est malaisé de revenir en arrière dans la discussion parlementaire. Si d’autres aspects sont dignes d’intérêt [19], à l’opposé, un nouvel assouplissement de l’article 40C (proposition n° 32) apparaît inopportun. Il reste que la limitation de la portée de l’article 49, alinéa 3C aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale (proposition n° 23) se révèle inopérante ; motif pris de ce que le gouvernement est habilité à se substituer au Parlement défaillant. Plus encore, on déplorera que le recours extensif (abusif ?) aux ordonnances n’ait pas été endigué. En dernière analyse, le contrôle parlementaire s’étend au président de la République à l’occasion de sa venue, à sa demande, devant une assemblée (proposition n° 5) ou une commission d’enquête (proposition n° 6). Qu’il soit mis fin, en l’occurrence, à un anachronisme est une chose ; affecter le statut d’irresponsabilité du chef de l’État, au point de se détourner du régime, en est une autre [20]. La création d’un comité d’audit parlementaire (proposition n° 43) présenterait, en revanche, l’avantage insigne de synthétiser le droit de regard du Parlement sur la gestion exécutive.
33Avec le comité Balladur, la reparlementarisation de la Ve République est-elle sur le point de franchir une étape décisive ? Rien n’est moins sûr, à la réflexion. La montée en puissance du contrôle est d’ores et déjà indéniable, mais elle se heurte au temps parlementaire, dont les trois quarts sont consacrés au vote de la loi et, plus encore, telle une limite de verre, à la logique majoritaire. Disposer de moyens sans avoir la volonté de les exercer où le contrôle-solidarité, cette nouvelle culture modélisée au Royaume-Uni, reste à découvrir [21]. Au total, le renforcement du Parlement est d’abord celui de la majorité et, par voie de corollaire, du gouvernement. Ironie du sort ? Non, à la réflexion. Il s’agit là de l’expression normale du présidentialisme. À ce compte, la reparlementarisation se borne donc à une perspective d’évolution… du jeu majoritaire, ou du dialogue intra-majoritaire.
34La rédaction de cet article a été achevée en février 2008. Entre-temps, le président Sarkozy a fait déposer, au mois d’avril, un projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République sur le bureau de l’Assemblée nationale (n° 820), qui reprend, pour l’essentiel, les propositions formulées par le comité Balladur. Voir « Du nouveau dans la Constitution ? », LPA, 14 mai 2008.
Notes
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[1]
La dernière en date est celle du 4 février 2008 (loi constitutionnelle 2008-103) relative au titre XV, consécutive à la décision du Conseil constitutionnel (2007-560 du 20 décembre 2007, Traité de Lisbonne, Pouvoirs, n° 125, p. 173 et 180).
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[2]
Voir Pierre Avril, « L’Assemblée d’aujourd’hui », Pouvoirs, n° 34, 1985, p. 5 ; Guy Carcassonne, « Réhabiliter le Parlement », Pouvoirs, n° 49, 1989, p. 37. En bonne logique, la réédition du Traité de droit politique électoral et parlementaire d’Eugène Pierre, avec une préface de Michel Ameller et un avant-propos de Pierre Avril et du signataire (Éditions Loysel), en 1989, a suivi d’une année la première édition du manuel de droit parlementaire de ces derniers.
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[3]
Voir le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, Pour une Ve République plus démocratique, Fayard/La Documentation française, 2007, p. 209.
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[4]
Voir Jacques Bourdon, « Un Parlement renforcé », Revue politique et parlementaire, octobre 2007, p. 42.
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[5]
Voir Jean-Louis Hérin, « La qualité de la loi », in Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux (dir.), La Réforme du travail législatif, Dalloz, 2006, p. 41.
-
[6]
Voir Jean Gicquel, « Le temps parlementaire », ibid., p. 13.
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[7]
Parallèlement à la séance plénière, les commissions siègent en permanence en vue d’assurer l’information des élus et de contrôler le gouvernement.
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[8]
Particularité, la discussion immédiate d’un texte peut être demandée à tout moment au Sénat (art. 30RS). Ce qui a pour effet d’écarter l’ordre du jour prioritaire du gouvernement. Le dépôt d’une motion de censure par les députés (art. 49, al. 2C) produit le même résultat. Voir Pierre Avril et Jean Gicquel, Droit parlementaire, 3e éd., Montchrestien, 2004, n° 164.
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[9]
Le nombre des saisines était de l’ordre de 10 % des lois votées. Depuis la XIIe législature (2002-2007), on observe une augmentation substantielle proche de 40 %. Voir Trente Ans de saisine parlementaire du Conseil constitutionnel, La Documentation française, 2006.
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[10]
En revanche, le Conseil constitutionnel (14 décembre 2006, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, Pouvoirs, n° 121, p. 53) a mis un terme au bicamérisme inversé, en obligeant le Sénat au respect de cet article. Sans modifier son règlement, celui-ci a mis en œuvre un contrôle préalable au moment du dépôt (rapport Arthuis, 2007).
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[11]
Voir Jean Gicquel, « Le renouveau du contrôle parlementaire », in Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux (dir.), Responsabilité et Démocratie, Dalloz, 2007, p. 25.
-
[12]
Le gouvernement, qui ne disposait que d’une majorité relative, n’a dû son salut qu’aux mécanismes du parlementarisme rationalisé. Il en sera ainsi de ses successeurs (Édith Cresson et Pierre Bérégovoy) tout au long de la IXe législature (1988-1993).
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[13]
Voir Pauline Türk, Les Commissions parlementaires permanentes et le Renouveau du Parlement sous la Ve République, 2005.
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[14]
À l’Assemblée nationale, le rapport est confié à un député de l’opposition (voir Rapport spécial, n° 276, annexe 30, 2007).
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[15]
Voir Jean-Pierre Camby, « La lolf et les rapports entre les institutions », Revue française de finances publiques, n° 97, 2007, p. 17 ; Philippe Séguin, « La lolf et la Cour des comptes », ibid., p. 41.
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[16]
La logique de la lolf a été étendue aux finances sociales (art. LO 111-3 du code de la sécurité sociale), ainsi que la mission d’assistance de la Cour des comptes. Une mission d’évaluation et de contrôle (mecss) a été formée en 2004, au sein de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, sur le modèle de la mec.
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[17]
Jean-Claude Colliard, entretien, Revue politique et parlementaire, octobre 2007, p. 9.
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[18]
Voir annexe 3 : Synthèse des propositions du Comité, in Pour une Ve République plus démocratique, op. cit., p. 215.
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[19]
On relève, entre autres, la possibilité reconnue aux assemblées, par un veto conjoint, de s’opposer à la procédure d’urgence dans le cadre de la procédure législative (proposition n° 24) ; l’encadrement du droit d’amendement lorsqu’il revêt la forme d’articles additionnels d’origine gouvernementale (proposition n° 31) ou la publicité de l’avis rendu par le Conseil d’État (proposition n° 27).
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[20]
Le Parlement serait appelé à émettre un avis sur des nominations aux emplois supérieurs ressortissant à la compétence du chef de l’État (proposition n° 8), en dehors de celles qui sont à la décision du gouvernement.
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[21]
À deux reprises, la majorité s’est rebellée : en 1971, avec le manifeste des présidents des commissions qui contribua à la chute du gouvernement Chaban-Delmas l’année suivante et, en 2006, lorsqu’elle géra la crise du cpe provoquant la neutralisation du chef de l’État et du Premier ministre.