1La démocratie n’est pas un état mais un processus de consolidation et de défense de certains principes et institutions. La société russe n’est pas entrée dans le royaume de la démocratie proclamée. Elle s’était engagée d’un pas plutôt hésitant vers un régime démocratique à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Or ce processus est aujourd’hui menacé.
2Les possibilités réelles d’une « modernisation autoritaire » ont toujours été limitées. L’expérience russe des xviiie-xxe siècles a montré que toute initiative venant du pouvoir servait pour l’essentiel à donner un vernis moderne aux institutions archaïques et à mettre en place des éléments de la modernisation – complexe militaro-industriel, infrastructure – sans les renforcer par des institutions, ni garantir les droits qui font de l’individu un acteur du processus de modernisation. Et, chaque fois, c’est une bureaucratie corrompue qui a été l’instigatrice du changement. Ainsi, la modernisation « soviétique », archaïque et traditionnelle, a été la moins efficace et la plus coûteuse qui soit en ressources humaines et morales.
3Aujourd’hui, le slogan d’une modernisation autoritaire reflète une tentative de reprendre le contrôle des grandes entreprises, des provinces et des citoyens. À tous les tournants difficiles de l’histoire de la Russie, les modèles de changement autoritaires passent au premier plan. Et ce n’est pas parce qu’ils sont efficaces ni même parce qu’ils sont soutenus par des forces puissantes et bien organisées, mais parce qu’ils sont plus simples et plus accessibles à la population comme aux élites. Se laisser tirer vers le bas exige moins d’efforts que se hisser vers des modèles plus complexes d’organisation sociale. La variante archaïque de la modernisation semble toujours à portée de main, elle prend facilement le dessus sur les autres variantes plus complexes, plus ardues et de plus long terme.
4Jusqu’à présent, la moitié de la population (49 %) estime que la voie du développement choisie après 1985 lui a été « imposée artificiellement », contre seulement 37 % qui trouvent ce processus « naturel et inévitable » (1 600 personnes interrogées en janvier 2004). Comme toujours, les lignes de démarcation se situent à la quarantaine et au niveau d’études supérieures. 41 % sont prêts à approuver le retour à l’époque brejnévienne, mais ils ne sont pas plus de 5 % à estimer que ce soit possible (1 600 personnes interrogées en mars 2004).
Quatre scénarios d’élection présidentielle
5Quatre élections présidentielles ont eu lieu en Russie – 1991, 1996, 2000 et 2004. Chaque scrutin est unique en son genre, non seulement du point de vue de l’abstention, mais aussi au regard du choix ou du non-choix auquel les électeurs ont été confrontés.
6Les premières élections qui ont porté Boris Eltsine à la présidence de la Fédération de Russie au sein de l’Union soviétique ont eu un caractère essentiellement symbolique et démonstratif. Il ne s’agissait pas de modifier la donne, mais de choisir entre le maintien ou le refus des mécanismes institutionnels du système soviétique à parti unique. En ce sens, l’élection présidentielle de 1991 a poursuivi la tradition des campagnes protoparlementaires des années 1989-1990 (comme celle des élections au Congrès des députés de l’URSS puis de Russie). Un sondage de juillet 1991 témoigne de l’atmosphère émotionnelle de ces journées. Sur les 82 % qui soutenaient Boris Eltsine, 56 % lui accordaient une pleine confiance (Mikhaïl Gorbatchev, encore président pour quelques mois, n’avait plus la confiance que de 15 % des habitants de Russie). Il n’y avait pas d’autre alternative que de choisir entre les traditions du passé soviétique, désapprouvées mais toujours vivaces, et l’image extrêmement floue d’un avenir « démocratique ». Cette seconde perspective avait été accueillie avec sympathie aussi bien par la nomenklatura libérale favorable à la perestroïka que par les démocrates radicaux et la national-démocratie. À ce moment-là, l’enjeu électoral ne paraissait pas très important car le régime soviétique était toujours en place et, peut-être pour cette raison, l’élection fut très libre. Les élections des années 1989-1990 sont sans précédent dans l’histoire car elles ont marqué l’effondrement du régime de parti unique (69 % des sondés avaient reconnu que le Parti communiste s’était discrédité), alors même qu’il avait conservé toutes ses institutions officielles.
7Tout autre est le tableau d’ensemble de la deuxième élection présidentielle, en 1996. Formellement, l’électeur avait le choix entre le pouvoir eltsinien, réformiste et instable, et la revanche « rouge ». Le pouvoir n’était plus largement soutenu ni par la population pour n’avoir pas su défendre ses intérêts au cours des réformes, ni par l’intelligentsia démocratique qui s’était montrée hostile à la guerre en Tchétchénie et aux démêlés sanglants avec le Soviet suprême en 1993. Au moment du scrutin de juin 1996, 41 % de la population accordaient encore leur confiance à Boris Eltsine, mais seuls 9 % leur « pleine confiance ».
8Les électeurs dans leur majorité se sont laissé guider par le principe du « moindre mal », qui consiste à ne rien changer, donnant au président, dès le premier tour, un certain avantage contre le candidat des communistes, Ziouganov, dans le contexte d’une confrontation artificiellement exacerbée. Au second tour, toutes les ressources administratives ont été mises en œuvre. C’est ainsi que les sympathies des électeurs du Tatarstan ont viré brusquement, que l’électorat d’Alexandre Lebed a été « intercepté » en faveur d’Eltsine. L’argument décisif pour les deux tiers de ceux qui avaient voté pour Boris Eltsine était qu’il n’y avait pas eu d’autre choix (1 600 personnes interrogées en juin 1996). L’ultime tentative entreprise entre les deux tours des élections de modifier l’entourage d’Eltsine en faveur des réformateurs tels qu’Anatoli Tchoubaïs s’est révélée infructueuse. Jusqu’à la fin de sa présidence en 1999, Eltsine a balancé sans trop de succès entre les siloviki et les démocrates, les étatistes et les réformateurs. Le pouvoir a pris ainsi un caractère administratif, « distributif » bien marqué. La transformation de l’administration présidentielle en institution principale du pouvoir est l’un des signes principaux de ce changement. Pour rester au pouvoir, Boris Eltsine a renoncé au rôle de démocrate radical qu’il avait dû assumer à la fin des années 1980 et au début des années 1990.
9La troisième élection présidentielle, en l’an 2000, s’est déroulée dans un changement complet de contexte politique où le suffrage universel ne joue plus le même rôle. Le choix portait plus sur le style d’administration que sur une orientation de la politique. Il ne s’agissait pas de choisir un successeur mais plutôt un fossoyeur du régime Eltsine. Poutine a été élu presque sans lutte parce que son adversaire – le mode de gouvernement précédent – avait perdu toute influence avant même le début de la campagne électorale. Les intérêts de tous les groupes de bureaucrates au pouvoir et les attentes de la population ont convergé vers un fonctionnaire ponctuel façon militaire sans visage politique apparent. L’absence de programme a longtemps permis à l’équipe de Vladimir Poutine de manœuvrer tour à tour avec la droite et la gauche ou contre les uns et les autres en se montrant, du moins en apparence, favorable à des programmes opposés. L’intrigue principale de cette campagne a consisté à écraser puis à récupérer la formation créée à la va-vite par le groupe rival Youri Loujkov-Evgueni Primakov, éliminant par là même toute alternative sérieuse à l’élection présidentielle. Ainsi, pour la première fois depuis la fin de l’époque soviétique, on a vu se réaliser un modèle d’élections sans alternative. Les tentatives de s’y opposer n’ont pas abouti.
10Aujourd’hui, il est évident que le premier mandat présidentiel de Vladimir Poutine s’est soldé entre autres par une dépolitisation de l’espace politique. Un appareil qui est conforme à un mode administratif de gestion ne fait que répartir les ressources matérielles et les pouvoirs et ne défend aucun programme. Il met en danger les fondements du pluralisme en s’appropriant les programmes de la droite et de la gauche, des occidentalistes et des patriotes, que ce soit l’augmentation des retraites ou le développement des relations avec l’Occident.
11La quatrième élection présidentielle, autrement dit la réélection de Poutine, en 2004, a révélé de nombreux ressorts et mécanismes cachés de ce régime politique. Comme les élites au pouvoir s’étaient consolidées pour assurer à Poutine son second mandat, la seule chose que l’on pouvait craindre était que les électeurs ne se rendent pas aux urnes. Aussi toutes les ressources susceptibles d’influencer l’électorat ont-elles été mobilisées pour contrecarrer cette menace. La défaite de « la gauche » (les communistes) aux élections à la Douma en décembre 2003, inattendue par son ampleur, ainsi que l’échec de « la droite » (les démocrates) sont le résultat de la dépolitisation de l’espace politique au cours de ces dernières années. Les problèmes politiques à proprement parler ont été repoussés au second plan.
12Comme on pouvait s’y attendre, l’enjeu principal de la présidentielle de mars 2004 a été d’assurer la continuité du pouvoir en prévision du cycle électoral suivant (2008 ou même au-delà). On sait qu’aucun régime en Russie depuis cent ans n’a pu arriver à ses fins. Chaque changement de la « Garde » au sommet du pouvoir est apparu comme la négation de l’activité et des hommes politiques de la période précédente. La démission du gouvernement Kassianov, en février 2004, juste avant l’élection, a montré cette fois que le pouvoir poutinien était sérieusement préoccupé par la consolidation de ses prérogatives sans risque de confrontation. Il y a tout lieu de penser que, dans un avenir très proche, on assistera au choix d’un « successeur » ad hoc, et à la création d’un mécanisme qui le soutiendra (partis et autres institutions du pouvoir), ainsi qu’à l’élimination de l’opposition… Que le problème de la continuité du pouvoir se pose bien avant un cycle électoral révèle le peu de confiance en la fiabilité du mécanisme administratif et des institutions de contrôle.
13Les années 2003-2004 ont confirmé l’évolution du modèle d’élections sans alternative. L’opposition de droite et de gauche n’a cherché qu’à maintenir sa présence sur la scène politique. Il n’y a pas eu de changement dans le rapport de force. Le bon fonctionnement des mécanismes du pouvoir, testés ces quatre dernières années, s’est tout simplement confirmé. Aucune apparence de pluralisme, aucun appel aux traditions démocratiques n’ont été nécessaires. S’il y a eu un semblant de concurrence aux élections législatives et présidentielle, c’était uniquement pour afficher le respect de la loi et peut-être même pour rendre les électeurs un peu plus actifs. On peut y voir aussi une des manifestations de ce même processus de dépolitisation du pouvoir, du passage des méthodes politiques de gestion aux méthodes administratives.
14Les élections ont montré que ce passage aujourd’hui ne se heurte en fait à aucune résistance sérieuse des forces politiques, des médias influents ou de l’opinion. Enfin, ce cycle électoral a montré, plus nettement que les élections de 1999-2000, les possibilités de manipulation en utilisant des moyens bureaucratiques et médiatiques.
Paramètres sociaux des élections
15Les résultats quantitatifs des élections passées exigent une étude sérieuse et minutieuse. Nous ne nous limiterons qu’à quelques indices (cf. tableau 1, page suivante).
16Lors de sa réélection, Poutine a bénéficié d’un large soutien des jeunes de moins de 30 ans. Mais comme, par ailleurs, le soutien du favori parmi les groupes les plus âgés a été plus important, l’âge moyen de ceux qui ont élu le président n’a pas changé.
17À chaque nouveau cycle électoral, le nombre des abstentions à la présidentielle grandit.
Les présidentielles de 1991-2004
Les présidentielles de 1991-2004
Nombre des abstentions à la présidentielle
Nombre des abstentions à la présidentielle
18La part des abstentionnistes parmi les personnes âgées de plus de 40-50 ans grandit visiblement. Chez les jeunes, elle accuse aussi une certaine hausse. Si l’on prend en considération que les présidents doivent de plus en plus leur victoire aux femmes (elles étaient 60 % à voter pour Poutine en 2004, contre 40 % d’hommes), on peut supposer que les facteurs émotionnels du choix jouent un rôle de plus en plus important.
19Après l’élection de l’an 2000, 35 % de ceux qui ont voté pour le favori ont indiqué avoir été influencés dans leur décision par son activité récente, et 50 % se sont référés au fait que le pays « n’avait pas d’autre choix ». Mais en 2004, alors que les électeurs étaient beaucoup mieux informés sur son activité qu’il y a quatre ans, on indiquait moins souvent la première cause (21 %) et plus souvent la seconde (53 %). L’absence d’alternative en tant que justification la plus simple et la plus universelle d’un vote légitimiste apparaît au premier plan.
20Cependant, au nombre des motifs d’abstention, les raisons politiques sont les plus souvent invoquées. 43 % des abstentionnistes les mentionnaient en 1996, contre 59 % en l’an 2000 et 62 % en 2004. L’abstention (et non le vote nul) devient le moyen le plus répandu d’exprimer son mécontentement politique.
Les attentes des électeurs
21On ne peut évaluer l’indice qualitatif des processus sociaux que si l’on tient compte des attentes des individus qui s’accompagnent toujours de doutes et de déceptions. Ne se révoltent que ceux dont les espoirs ont été trompés, disait Tocqueville. Ce que confirment en particulier les péripéties de la montée et de la chute de Gorbatchev et d’Eltsine. Les convulsions politiques ont été épargnées au pays uniquement parce que la majorité de la population se contente d’espoirs modestes.
22Le bilan soulève des questions. Ces témoignages ont été recueillis avant la présidentielle, autrement dit avant l’euphorie qui s’installe après l’annonce de la victoire. Dans l’ensemble, la veille de la présidentielle, 49 % des personnes interrogées estiment que les espoirs qu’elles avaient mis en Poutine n’ont pas été déçus : pour 9 % ils étaient pleinement justifiés et pour 40 % plutôt oui que non. 32 % estiment que ces espoirs n’ont pas été réalisés, parmi lesquels 9 % sont catégoriques. 14 % pensent que ces espoirs « n’avaient pas existé et n’existent pas ». Ainsi le score est 49/46.
23Pour le mandat présidentiel suivant, 39 % fondent plus d’espoirs qu’ils n’en avaient au cours des quatre premières années, 28 % autant, 12 % moins et 18 % n’en nourrissent aucun. Comme il fallait s’y attendre, ceux qui estiment que leurs espoirs ont été justifiés font le plus confiance en Poutine.
Succès et échecs de Poutine au cours de son premier mandat de quatre ans
Succès et échecs de Poutine au cours de son premier mandat de quatre ans
24Poutine reste donc le « président de l’espoir ». 30 % de ceux qui ont voté pour lui (14 % des sondés) estiment que le président « a bien gouverné le pays pendant ces quatre dernières années », 39 % (18 % des sondés) espèrent qu’au cours du mandat suivant il pourra venir à bout des problèmes auxquels est confronté le pays et 29 % (13 % des sondés) que l’on ne peut compter sur personne d’autre.
25Aussi est-il important de voir ce que représentent ces espoirs après les élections.
26Ainsi, même lors de la campagne électorale, la population s’est montrée peu confiante dans la capacité du président à régler les problèmes clés du pays. En 2000 tout comme en 2004, ils n’étaient pas plus de la moitié à croire que les objectifs seraient atteints.
27Ni l’évaluation du succès du président au cours des années précédentes, ni les nouveaux espoirs fondés sur lui ne sauraient expliquer le phénomène essentiel des élections : l’absence d’alternative.
Objectifs à atteindre par le président élu* et ses chances de succès
Objectifs à atteindre par le président élu* et ses chances de succès
Des élections sans choix
28La politique implique toujours une concurrence, une lutte, l’expression et la défense des intérêts de diverses forces sociales. Par contre, sous un régime administratif, les ordres reçus sont simplement exécutés. S’il y a lutte et concurrence entre les exécutants, elles sont le plus souvent cachées et ne visent qu’à répartir avantageusement les ressources. L’élimination des rivaux réduit la lutte politique aux intrigues menées en coulisse à tous les échelons du pouvoir, y compris au sommet, selon les vieilles traditions de notre pays.
29Le développement d’un système administratif depuis 1999 implique la levée des barrières entre les sphères des intérêts et des responsabilités – et ce à tous les niveaux : horizontal (fédéralisme), vertical (hiérarchie du pouvoir) et fonctionnel (branches du pouvoir). L’analogie avec le régime soviétique est évidente, mais tout de même ce n’est qu’une analogie et non une reconstitution. L’indépendance acquise par les agents économiques est un obstacle presque infranchissable sur la voie d’une centralisation totale. On ne peut plus compter sur le mécanisme universel de l’État-Parti soviétique, ni sur l’habitude de vivre en totale dépendance.
30Sous un tel régime, il n’y a pas de place pour l’alternance. La position exclusive du numéro un ne dépend pas de ses talents ou succès, ni de ses réalisations, mais en premier lieu de son statut dans le système de pouvoir. La grande majorité de la population met ses espoirs dans la fonction présidentielle, ce qui explique la bonne cote de confiance du président.
31C’est à cette transformation du champ socio-politique que l’on doit la régression du pluralisme politique qui était né après l’effondrement du système soviétique. Pendant les années d’instabilité politique et sociale, sous Gorbatchev et Eltsine, le pluralisme encore fragile et une certaine prise d’autonomie des médias et de l’opinion publique étaient indispensables pour donner à l’étranger une image démocratique tout en gardant une marge de manœuvre à l’intérieur. Mais ils deviennent inutiles dans le cas d’une « démocratie dirigée ». Le sort qui a été réservé à l’opposition de gauche et de droite après 1999, surtout après les élections de 2003 et 2004, est révélateur.
32Le rôle des intrigues politiques et des techniques de provocation en période électorale est trop bien connu pour que l’on s’y attarde. Après les élections de la Douma en 2003, les électeurs dans leur majorité avaient très bien compris le rôle joué par les « ressources administratives » et le soutien direct du président dans la victoire du « parti du pouvoir », Russie Unie : en janvier 2004, seuls 13 % des sondés estimaient que ce parti devait sa victoire à son programme, 17 % au recours efficace des « ressources administratives » et 63 % au soutien direct du président.
33La lourde défaite du pluralisme politique en 2003-2004 n’est pas due à ce que tel ou tel parti n’a pas réussi à dépasser la barre des 5 % pour entrer à la Douma. Même s’ils avaient réussi cette fois-ci, rien n’aurait changé dans l’esprit du Parlement actuel, ni dans le paysage politique du pays. Ainsi, le rôle tenu par le parti de Jirinovski (Parti libéral démocratique de Russie, LDPR), qui se veut oppositionnel, présente un certain intérêt. Seul ce parti créé à la fin de l’époque soviétique est susceptible de rassembler le potentiel de protestation sociale et de le canaliser pour offrir un soutien loyal au pouvoir. Par ailleurs, il donne l’image d’un extrémisme outrancier permettant ainsi au pouvoir de garder l’apparence d’une respectabilité centriste.
34Il semblerait que l’opinion ne s’oppose pas à cette tendance antidémocratique. Ainsi, en février 2004, 77 % des sondés admettaient que l’administration présidentielle devait « contrôler le travail de la Douma ». En mars, au lendemain de l’élection, 68 % s’accordaient à reconnaître que la concentration du pouvoir entre les mains de Poutine « serait profitable à la Russie » et 54 % qu’un gouvernement « entièrement soumis au président et à son administration » serait plus efficace (32 % donnaient la préférence à un gouvernement « qui prendrait des décisions indépendantes et répondrait de ses actes »). La place exceptionnelle qu’occupe Poutine dans l’opinion publique se reflète dans des jugements extrêmes : le président est protégé des critiques, très sévères à l’égard des organes exécutifs. Ainsi, en mars 2004, ils étaient 61 % des sondés à accorder leur pleine confiance au président, contre 6 % qui ne lui en accordaient aucune (respectivement 12 et 29 % au gouvernement, et 9 et 33 % à la Douma).
35La question est de savoir dans quelle mesure et pour combien de temps encore une gestion administrative et autoritaire peut se montrer efficace dans un pays confronté à de difficiles problèmes sociaux et économiques. Confier toutes les responsabilités à une seule instance de pouvoir revient à remettre les décisions de l’État entre les mains des fonctionnaires et à réduire la politique du pays à des intrigues de cabinet. Il est évident que ces tendances encouragent l’irresponsabilité et la corruption à tous les échelons.
36Traduit du russe par Marina Vichnevskaïa.