Notes
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[1]
Annuaire de l’Institut de droit international, 1954, p. 297.
-
[2]
Affaire du Détroit de Corfou, exception préliminaire, arrêt du 25 mars 1948, 1948, CIJ Recueil 1947-1948, p. 17.
-
[3]
Document Nations unies A/8382, 15 septembre 1971.
-
[4]
Document Nations unies A/58/295, 19 août 2003.
-
[5]
Affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, arrêt du 24 mai 1980, CIJ Recueil 1980, p. 21-22.
-
[6]
Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), arrêt du 26 novembre 1984, CIJ Recueil 1984, p. 435.
-
[7]
Document de la Conférence de San Francisco UNCIO, vol. 13, p. 657, 719 et 833.
-
[8]
Par ordonnance du 10 septembre 2003, le président de la Cour internationale de justice a pris acte de ces désistements.
-
[9]
Documents NU S/16731, S/16745 et S/16749, septembre 1984.
-
[10]
Affaire LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique), arrêt du 27 juin 2001, CIJ Recueil 2001, p. 466.
-
[11]
Conditions de l’admission d’un État comme membre des Nations unies (article 4 de la Charte), avis consultatif du 28 mai 1948, CIJ Recueil 1947-1948, p. 61.
-
[12]
Compétence de l’Assemblée générale pour l’admission d’un État aux Nations unies, avis consultatif du 3 mars 1950, CIJ Recueil 1950, p. 8 et 9 ; Certaines dépenses des Nations unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif du 20 juillet 1962, CIJ Recueil 1950, p. 155.
-
[13]
Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif du 21 juin 1971, CIJ Recueil 1971, p. 53.
-
[14]
Ibid.
-
[15]
Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, CIJ Recueil 1996, p. 226.
-
[16]
Résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 8 décembre 2003.
-
[17]
Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l’Organisation des Nations unies, avis consultatif du 26 avril 1988, CIJ Recueil 1988, p. 12 ; Applicabilité de la section 22 de l’article VI de la convention sur les privilèges et immunités des Nations unies, avis consultatif du 15 décembre 1989, CIJ Recueil 1989, p. 177 ; Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif du 29 avril 1999, CIJ Recueil 1999, p. 62.
-
[18]
Affaire du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt du 3 février 1994, CIJ Recueil 1994, p. 6.
-
[19]
Affaire de la Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, arrêt du 16 mars 2001, CIJ Recueil 2001, p. 40.
-
[20]
Voir la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies 33/119.
-
[21]
Alain Pellet et David Ruzié, Les Fonctionnaires internationaux, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 103.
-
[22]
Résolution 808 du Conseil de sécurité, 22 février 1993, et résolution 827 du 25 mai 1993.
-
[23]
Résolution 955 du Conseil de sécurité, 8 novembre 1995.
-
[24]
Résolution 1315 du Conseil de sécurité, 14 août 2002.
1Le droit et le juge jouent un rôle croissant, parfois tenu pour excessif dans les sociétés contemporaines. Cette constatation s’impose aux États-Unis ; elle s’impose aussi en Europe, que l’on considère les États composant l’Union européenne ou l’Union elle-même. Le rôle croissant des Cours de Luxembourg et de Strasbourg en témoigne et l’on pourrait être tenté, à première vue, de penser qu’il en est de même au niveau mondial, en particulier au sein des Nations unies.
2À ce niveau, le tableau est cependant plus nuancé qu’il n’y paraît au premier abord. En effet, la Société internationale est et demeure composée pour l’essentiel d’États souverains et le droit international est né du consentement des États. Ce fut longtemps un droit dont l’observation reposait exclusivement sur la parole donnée. Aucune autorité indépendante n’avait compétence pour en assurer le respect. Les différends entre États, quelle qu’en soit la nature, se réglaient par la négociation ou par la guerre.
3Le xixe siècle vit se développer les premières formes d’organisation internationale et s’améliorer les procédures d’arbitrage interétatique. Puis, au lendemain de la Première Guerre mondiale, étaient créées la Société des Nations et la Cour permanente de justice internationale. Enfin, le 26 juin 1945, était signée à San Francisco la Charte des Nations unies en même temps qu’était adopté le Statut de la Cour internationale de justice. Depuis lors des juridictions diverses à compétence plus limitée ont été établies dans le cadre de l’ONU et de ses institutions spécialisées. Il n’est par suite pas inutile de faire le point à l’aube du xxie siècle sur la place et le rôle de la Cour et des autres juridictions internationales au sein des Nations unies.
4Selon l’article 92 de la Charte, la Cour internationale de justice constitue l’organe judiciaire principal des Nations unies. Elle fonctionne conformément au Statut annexé à la Charte. Ce Statut fait partie intégrante de la Charte.
5Ainsi la Cour est à la fois un organe judiciaire indépendant et un des organes principaux de l’organisation. Cette double qualité n’est pas sans créer d’inévitables tensions, que l’on considère la composition de la Cour ou son organisation.
6Les quinze juges membres de la Cour sont élus pour neuf ans par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations unies. Il est procédé à cette élection sur proposition des groupes nationaux à la Cour permanente d’arbitrage. Les candidats doivent jouir des qualités morales et des compétences techniques fixées à l’article 2 du Statut. De plus, la Cour doit être composée de manière à assurer dans l’ensemble la représentation des grandes formes de civilisation et des principaux systèmes juridiques du monde.
7Les États qui procèdent à l’élection jouent en fait un rôle déterminant dans le choix des juges. Une pratique s’est ainsi dégagée au sein de l’organisation assurant un siège à chacun des membres permanents du Conseil de sécurité et répartissant le surplus entre les divers groupes géographiques, compte tenu des systèmes juridiques nationaux. C’est ainsi que l’Afrique dispose traditionnellement de trois sièges, l’un étant attribué à l’Afrique au nord du Sahara et les deux autres partagés entre l’Afrique noire anglophone et l’Afrique noire francophone. On observera en outre qu’en ce qui concerne tout particulièrement les membres non permanents du Conseil de sécurité, les élections ont souvent conduit à la Cour des personnalités ayant acquis une longue expérience des Nations unies au sein du Secrétariat, des délégations nationales ou de la commission du droit international.
8Le Statut comporte par ailleurs un grand nombre de dispositions ayant pour objet d’assurer l’indépendance des juges. L’article 16 dispose ainsi que les membres de la Cour ne peuvent exercer aucune fonction politique ou administrative. Selon l’article 18, ils ne peuvent être relevés de leurs fonctions que par décision unanime de leurs collègues. Ils jouissent dans l’exercice de ces fonctions des privilèges et immunités diplomatiques. Ils prennent l’engagement d’exercer leurs attributions en pleine impartialité et en toute conscience. Ils sont rémunérés par les Nations unies et, selon l’article 21, paragraphe 5, leurs traitement, allocations et indemnités ne peuvent être diminués pendant la durée de leur fonction.
9Ces diverses garanties sont certainement heureuses. En revanche, la doctrine s’est parfois interrogée sur le bien-fondé des dispositions de l’article 13 du Statut selon lequel les juges sont rééligibles. Elle a noté que par le passé nombre de juges avaient effectué deux mandats de neuf années et que certains avaient même sollicité et obtenu un troisième mandat. Craignant qu’une telle pratique ne puisse porter atteinte à l’indépendance de la justice, l’Institut de droit international a proposé que ce mandat soit porté à quinze ans sans réélection possible [1].
10Cette proposition laisse cependant hésitant. En effet, les analyses statistiques auxquelles ont procédé divers auteurs, notamment américains, montrent que les membres de la Cour ont toujours manifesté une réelle indépendance vis-à-vis de leur pays d’origine. En outre, le Statut lui-même ne peut être revu que selon une procédure extrêmement lourde qui n’est pas sans risque.
11Bien plus, l’indépendance d’une juridiction n’est pas seulement le fruit de l’indépendance de ses membres. Elle doit aussi être garantie dans les rapports de cette juridiction avec les organes législatifs ou exécutifs.
12À cet égard, deux problèmes se sont posés, l’un mineur, l’autre plus préoccupant. L’article 15 de la Charte prévoit que l’Assemblée générale des Nations unies reçoit et étudie les rapports des autres organes de l’organisation. La Cour a cependant estimé qu’elle n’était pas liée par cette disposition et pendant un quart de siècle elle n’a pas transmis de rapport annuel à l’Assemblée. À partir de 1971, elle a soumis un tel rapport qui est présenté oralement par le président de la Cour. Immédiatement après cette présentation, l’Assemblée prend note du rapport qui n’est ni discuté ni approuvé, et les délégations qui le désirent peuvent alors, mais alors seulement, intervenir. Seules d’ailleurs celles qui souhaitent encourager la Cour dans ses activités le font.
13Le budget de la Cour a soulevé des problèmes plus difficiles. Selon l’article 33 du Statut, les frais de la Cour sont supportés par les Nations unies de la manière que l’Assemblée générale décide. Dans la pratique, le budget de la Cour fait partie intégrante du budget des Nations unies ; il est donc voté par l’Assemblée, conformément à l’article 17 de la Charte. Les propositions budgétaires de la Cour sont par suite examinées par les services compétents du Secrétariat, puis par la Commission consultative pour les questions administratives et budgétaires (CCQAB), enfin par la Cinquième Commission de l’Assemblée statuant aujourd’hui par consensus et par l’Assemblée elle-même. Il en est résulté de nombreuses difficultés pour la Cour dont le budget annuel ne dépasse pas à l’heure actuelle 12 millions de dollars US (soit moins de 10 % du budget du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie). On en fournira seulement un exemple : il a fallu plus de vingt années pour que chaque juge puisse disposer d’une secrétaire et, récemment encore, les autorités budgétaires se sont refusées à affecter un référendaire à chaque juge. Si la modestie des ressources de la Cour dans les années soixante-dix se comprenait, la situation financière actuelle constitue un sérieux handicap pour la justice internationale.
14Passant de la composition et de l’organisation de la Cour à son fonctionnement, il convient de relever dès l’abord que la Cour jouit d’une double compétence. Elle a pour première tâche de régler les différends juridiques entre États. Elle est en second lieu susceptible de donner des avis consultatifs à divers autres organes des Nations unies.
15La Cour ne peut être saisie d’un différend interétatique que du commun accord des États intéressés. Les autres organes des Nations unies n’ont à cet égard qu’un rôle limité. Le Conseil de sécurité tient cependant du chapitre vi de la Charte compétence pour recommander des procédures ou des solutions appropriées aux différends dont la prolongation est susceptible de menacer la paix et la sécurité internationales. Dans cette perspective, le Conseil doit, selon le paragraphe 3 de l’article 36, tenir compte du fait que, d’une manière générale, les différends d’ordre juridique devraient être soumis par les parties à la Cour internationale de justice. Il ne l’a fait qu’une seule fois lorsqu’en 1947 il a recommandé au Royaume-Uni et à l’Albanie de soumettre l’affaire du détroit de Corfou à la Cour [2].
16Par ailleurs, il y a une trentaine d’années, à l’époque où l’activité de la Cour était réduite, l’Assemblée générale s’en était inquiétée et avait, sur la base d’un questionnaire adressé aux États et d’un rapport du Secrétaire général, invité en 1971 ceux-ci à recourir plus fréquemment à la Cour [3]. Cette invitation n’avait pas eu d’effet immédiat, mais la Cour n’avait pas manqué lors de la révision en 1978 de son règlement de procédure de tenir compte des observations des États, en particulier en ce qui concerne la constitution des chambres.
17Enfin, le Secrétaire général a créé en 1989 un Fonds d’affectation spéciale alimenté par des contributions volontaires des États en vue d’aider les plus pauvres d’entre eux à supporter les frais parfois élevés des Conseils auxquels ils ont recours. Plusieurs États africains ont bénéficié de l’aide de ce fonds qui disposait au 31 juillet 2003 de plus de 1 800 000 dollars US [4].
18Ces initiatives des divers organes des Nations unies ont été les bienvenues. Mais elles n’ont joué qu’un rôle modeste dans les progrès récents de la justice internationale. En effet, l’activité contentieuse de la Cour dépend avant tout de la confiance que les gouvernements veulent bien accorder à la justice et au droit international. Longtemps mesurée, cette confiance est aujourd’hui plus grande et, malgré une activité soutenue de la Cour, 23 à 26 affaires demeurent pendantes à La Haye depuis une dizaine d’années. La fin de la Guerre froide et une atmosphère générale plus favorable au règlement juridictionnel ne sont certainement pas étrangères à cette résurrection de la Cour. On peut espérer en outre que la qualité des arrêts rendus y a contribué.
19Ce développement des contentieux a cependant soulevé une autre question : celle des conséquences à tirer du traitement simultané d’une affaire par le Conseil de sécurité et la Cour internationale de justice.
20La Cour, à de nombreuses reprises, avait été amenée à souligner qu’un tel traitement ne soulevait aucune difficulté de principe. C’est ainsi que dans l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, elle a relevé qu’il n’y avait « rien d’irrégulier dans l’exercice simultané par la Cour et le Conseil de sécurité de leurs fonctions respectives ». Elle a ajouté : « C’est à la Cour, organe judiciaire principal des Nations unies, qu’il appartient de résoudre toute question juridique pouvant opposer des parties à un différend ; et la résolution de ces questions juridiques par la Cour peut jouer un rôle important et parfois déterminant dans le règlement pacifique du différend [5]. » De même, dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), la Cour a précisé en 1984 que : « Le Conseil a des attributions politiques ; la Cour exerce des fonctions purement judiciaires. Les deux organes peuvent donc s’acquitter de leurs fonctions distinctes, mais complémentaires à propos des mêmes événements [6]. »
21Ces constatations ne posaient pas problème tant que les décisions de la Cour et celles du Conseil étaient compatibles et tant que la licéité de ces dernières n’était pas contestée devant la Cour.
22Récemment, les affaires de Lockerbie ont soulevé à cet égard des questions nouvelles et importantes. Dans ces affaires, la Libye se prévalait en effet devant le juge de la convention de Montréal de 1971 qui lui laissait le choix entre extrader ou poursuivre les auteurs présumés de l’attentat. Les États-Unis et le Royaume-Uni opposaient à la Libye les résolutions du Conseil de sécurité lui faisant obligation de livrer les intéressés. La Libye enfin contestait devant la Cour par voie d’exception la licéité de ces résolutions au regard de la Charte et du droit international. Se posait dès lors la question de savoir si la Cour avait compétence pour apprécier une telle licéité.
23À San Francisco, la Belgique avait proposé que les divers organes des Nations unies soumettent leurs difficultés en ce qui concerne l’interprétation de la Charte à la Cour internationale de justice. Cette proposition avait été repoussée et il avait été convenu que chaque organe disposerait du droit d’interpréter au quotidien les dispositions de la Charte le concernant [7]. Ainsi tout recours par voie d’action devant la Cour avait été exclu en ce domaine. Mais il restait à déterminer si la Cour peut, à l’occasion d’une affaire contentieuse déterminée, se prononcer par voie d’exception sur la licéité d’une décision d’un autre organe des Nations unies et, dans l’affirmative, quel type de contrôle elle peut exercer sur de telles décisions. La question a été longuement débattue en doctrine, mais la Cour n’aura finalement pas à la trancher dans les affaires de Lockerbie, la Libye s’étant finalement désistée de ses requêtes en 2003 [8].
24On voit enfin réapparaître le Conseil de sécurité lors de l’exécution des décisions de la Cour. L’article 94 de la Charte dispose en effet que « si une partie à un litige ne satisfait pas aux obligations qui lui incombent en vertu d’un arrêt rendu par la Cour, l’autre partie peut recourir au Conseil de sécurité et celui-ci, s’il le juge nécessaire, peut faire des recommandations ou décider des mesures à prendre pour faire exécuter l’arrêt ».
25Dans l’immense majorité des cas, les arrêts de la Cour ont été exécutés. Ils l’ont souvent été avec regrets et parfois avec retard. Mais les juridictions internes elles-mêmes connaissent de telles difficultés. Au total, depuis cinquante ans, il est seulement trois ou quatre cas dans lesquels de réels problèmes d’exécution se sont rencontrés. Aussi bien le Conseil de sécurité n’a-t-il été saisi qu’une seule fois d’un cas d’inexécution sur lequel il n’a pu cependant statuer, les États-Unis ayant opposé leur veto aux demandes du Nicaragua [9].
26Par ailleurs, pendant de longues années, les mesures conservatoires indiquées par la Cour agissant selon une procédure d’urgence n’ont pas toujours été suivies d’effet. La doctrine s’est beaucoup interrogée sur le caractère obligatoire ou non de ces mesures, mais en 2001 la Cour a pris parti à ce sujet en déclarant qu’elles sont bien obligatoires [10]. L’avenir dira si les États se montreront désormais plus respectueux de ces mesures.
27Au total, le Conseil de sécurité n’a joué un rôle important ni dans la saisine de la Cour, ni dans l’exécution de ses décisions. En revanche, l’activité des deux institutions s’est développée parallèlement et ce développement constant pourrait ne pas aller sans problème dans les années qui viennent.
28La Cour internationale de justice étant l’organe judiciaire principal des Nations unies, il aurait été naturel qu’elle connaisse des contentieux de l’organisation. Mais il n’en a rien été pour des raisons historiques. Le Statut de la Cour, tel qu’élaboré en 1945, est en effet inspiré de très près de celui de la Cour permanente préparé au lendemain de la Première Guerre mondiale. Or, à cette époque, seuls les États semblaient jouir de la personnalité juridique internationale et étaient par suite seuls à pouvoir accéder au prétoire. Aussi le Statut de 1920 envisageait-il seulement pour la SDN la possibilité de solliciter des avis consultatifs de la Cour permanente. Il en fut de même à San Francisco.
29Ces avis peuvent être demandés par l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité ou tout autre organe des Nations unies ou des institutions spécialisées autorisées à ce faire par l’Assemblée générale. Par ce biais, la Cour a été à de nombreuses reprises amenée à interpréter la Charte. Se prononçant sur les conditions d’admission d’un État comme membre des Nations unies, elle a en 1948 posé le principe qu’elle avait compétence à l’occasion d’une demande d’avis pour exercer à l’égard de la Charte « une fonction d’interprétation qui relève de l’exercice normal de ses attributions judiciaires [11] ». Dans plusieurs affaires consultatives, la Cour n’a pas hésité à se pencher sur la structure même de la Charte et à se prononcer sur les compétences respectives de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité [12]. Répondant à une demande d’avis consultatif concernant les Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, elle a donné une interprétation d’une grande portée à l’article 25 de la Charte, estimant que ce texte rendait obligatoires pour les États membres des Nations unies toutes les décisions prises sur cette base par le Conseil de sécurité, quel qu’en soit l’objet [13].
30On observera cependant que les demandes d’avis consultatifs ont pour l’essentiel été le fait de l’Assemblée générale et que le Conseil de sécurité n’a pour sa part sollicité qu’une seule fois l’opinion de la Cour [14]. En outre, dans les années récentes, les demandes d’avis se sont faites plus rares et l’Assemblée a préféré interroger la Cour sur des questions de nature toute différente, telles la licéité de l’emploi ou de la menace d’emploi des armes nucléaires [15] ou les conséquences juridiques de la construction d’un mur par Israël [16].
31Ces constatations doivent cependant être nuancées dans un domaine précis, celui des relations entre l’Organisation des Nations unies et ses États membres en matière d’immunités et de privilèges. Ces immunités et privilèges sont en effet le plus souvent fixés dans des accords et notamment des accords de siège selon lesquels en cas de différend relatif à leur application ou à leur interprétation, la Cour internationale de justice peut être saisie d’une demande d’avis, l’avis rendu ayant un caractère obligatoire. Par ce biais, la procédure de l’avis consultatif est transformée en une procédure contentieuse. Il en fut ainsi récemment dans trois cas portant sur le statut du bureau de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à New York et de celui d’un membre de la Commission des droits de l’homme ou d’un rapporteur spécial près la Commission. Par cette procédure furent résolues les difficultés apparues entre les Nations unies d’une part, les États-Unis d’Amérique, la Roumanie et la Malaisie de l’autre [17].
32Au total, la Cour internationale de justice, organe judiciaire principal des Nations unies, a su maintenir son indépendance vis-à-vis des autres organes de l’ONU au cours des cinquante dernières années. Son activité s’est pendant les deux dernières décennies considérablement développée dans le cadre qui lui avait été fixé en 1945.
33Dans plusieurs affaires, telles celles ayant opposé le Tchad à la Libye en ce qui concerne la bande d’Aozou [18] ou le Qatar au Bahreïn pour ce qui est des îles Hawar [19], elle a puissamment contribué au maintien de la paix. Dans nombre d’autres, sa décision a permis d’éviter que s’aggravent des situations dangereuses. De plus, sa jurisprudence dans plusieurs domaines a été décisive dans la formation du droit international.
34Le rôle du juge dans la solution des litiges entre États comporte cependant des limites liées à la nature même du droit, à celle des différends interétatiques, et surtout à la structure même de la Société internationale. Celle-ci demeure composée à l’échelle universelle d’États souverains. Ce sont ces États qui créent l’essentiel du droit. Ce sont le plus souvent les États seuls qui peuvent saisir le juge. Ce sont eux qui assurent pour l’essentiel l’exécution des décisions de justice. De ce fait, les progrès de la justice internationale sont étroitement liés à l’existence même des États et à leur volonté de coopération. Dès lors, si dans l’ordre interne des évolutions récentes ont pu faire craindre le gouvernement des juges, on voit mal comment celui-ci pourrait s’installer dans l’ordre international. Il se heurterait à la méfiance des États et se traduirait par la désertion du prétoire.
35La Cour internationale de justice demeure au sein des Nations unies la seule juridiction à compétence générale et universelle. À côté d’elle sont cependant apparus d’autres tribunaux qui contribuent aujourd’hui au développement de la justice internationale dans le cadre de l’ONU.
36Les premiers d’entre eux ont été institués en vue de statuer sur les différends opposant les fonctionnaires internationaux et leurs employeurs. C’est ainsi qu’en 1949 fut créé le Tribunal administratif des Nations unies (TANU). Celui-ci est composé de sept membres élus par l’Assemblée générale des Nations unies pour trois ans. Leur mandat est renouvelable. Il ne siège cependant qu’en formation de trois membres.
37Le TANU est compétent pour connaître des requêtes présentées contre l’administration par les fonctionnaires de l’Organisation des Nations unies, de l’Organisation de l’aviation civile internationale et de l’Organisation maritime internationale. Il est compétent également pour tout ce qui touche aux décisions prises par la Caisse commune des pensions des Nations unies. Il n’est cependant pas le seul tribunal administratif créé au niveau mondial, puisqu’il coexiste avec le Tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail (OIT), successeur de celui de la Société des Nations, ainsi qu’avec les tribunaux administratifs de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international.
38Cette multiplication des juridictions administratives internationales a été vivement critiquée comme source d’incohérences jurisprudentielles. Mais les tentatives de fusion envisagées par le passé ont toutes échoué [20]. Par ailleurs, le Tribunal administratif des Nations unies, après avoir connu une période de succès sous la longue présidence de Suzanne Bastid, a récemment fait l’objet de diverses critiques, certains auteurs familiers de la question ayant été jusqu’à qualifier ses jugements de « filandreux [21] ».
39Sans aller jusque-là, on observera qu’une sélection plus attentive des juges par l’Assemblée générale et la possibilité pour le Tribunal de se réunir parfois en plénière pourraient certainement contribuer à améliorer la qualité des jugements rendus.
40Plus récemment, les États membres des Nations unies ont éprouvé le besoin de créer des tribunaux en vue de statuer dans des domaines spécifiques sur certains différends interétatiques. Ces juridictions ne sont pas des tribunaux des Nations unies. Leur composition, leur organisation, leur compétence sont fixées par traité et seuls les États parties à ces traités participent à l’élection des juges comme au vote du budget. Seuls ces mêmes États sont susceptibles de devenir parties dans un contentieux déterminé. Il en est ainsi par exemple du Tribunal international du droit de la mer de Hambourg, créé par la convention de Montego Bay le 10 décembre 1982, ou du mécanisme de règlement des différends mis au point à Genève au sein de l’Organisation mondiale du commerce.
41En revanche, le développement récent de la justice pénale internationale doit beaucoup aux Nations unies. Celles-ci ont en effet joué en la matière un rôle précurseur à partir de 1991. À cette époque en effet, les conflits armés qui ont marqué l’éclatement de la Yougoslavie se sont accompagnés de violations du droit humanitaire auxquelles le Conseil de sécurité a été sensible. Il a estimé que la répression des crimes alors commis pourrait contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales et, agissant sur la base du chapitre vii de la Charte, il a créé un Tribunal pénal international chargé d’en connaître [22]. La guerre civile qui opposa en 1994 Tutsis et Hutus au Rwanda le conduisit à procéder de même en ce qui concerne ce pays [23].
42Ces deux tribunaux sont compétents pour se prononcer sur les crimes contre l’humanité ou les crimes de génocide, ainsi que sur certaines violations des lois et coutumes de la guerre et des conventions de Genève de 1949 sur le statut des combattants, des prisonniers de guerre et des personnes civiles en temps de guerre, dès lors que ces infractions ont été commises sur les territoires et dans les périodes de temps fixées par les résolutions du Conseil.
43Les deux tribunaux siègent l’un à La Haye, l’autre à Arusha. Ils se prononcent en chambres et leurs décisions sont susceptibles de recours devant une chambre d’appel constituée à La Haye. Ils ont adopté une procédure accusatoire de type anglo-saxon au cours de laquelle le procureur et les accusés sont amenés à fournir leurs preuves et faire comparaître leurs témoins devant le Tribunal. Il en est résulté des procès d’un coût élevé se prolongeant durant de longs mois et parfois plusieurs années. Aussi le Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie emploie-t-il à l’heure actuelle plus de 1200 agents pour un budget annuel de plus de 120 millions de dollars US (soit plus de 10 % du budget des Nations unies).
44Ce Tribunal a depuis sa création prononcé en dix ans vingt condamnations définitives et cinq acquittements. Le Tribunal a eu en ses débuts une activité limitée, puis s’est intéressé aux agissements de personnes se situant à des niveaux intermédiaires des hiérarchies militaires ou politiques, avant de se saisir enfin de l’affaire Milosevic. Quant au Tribunal pour le Rwanda, après avoir connu certaines difficultés internes de fonctionnement, il a concentré son action sur les principaux responsables des massacres de 1994. Les autres participants à ces événements ont été traduits devant les tribunaux rwandais. Dans les deux cas, les Nations unies s’interrogent aujourd’hui sur les termes à fixer aux investigations de ces juridictions qui ont toujours été conçues comme temporaires.
45L’organisation a par ailleurs contribué à la mise sur pied, dans des circonstances analogues, de tribunaux nationaux poursuivant un but comparable. C’est ainsi que, sur la demande du président de la Sierra Leone et sur l’invitation du Conseil de sécurité [24], le Secrétaire général des Nations unies a conclu avec Freetown un accord qui a conduit à la création d’un Tribunal spécial dont la compétence, la composition et la procédure étaient fixées par l’accord (et auquel participent notamment des juges canadiens et camerounais nommés par le Secrétaire général). Des négociations ayant un but analogue ont été menées avec le Cambodge. Enfin, les Nations unies ont pris en charge la réorganisation de la justice au Timor oriental et ont, dans ce cadre, créé des chambres spéciales au sein de la Cour de Dili en vue de juger certains crimes graves commis à Timor en 1999 et 2000. Chacune de ces chambres est composée d’un juge du Timor oriental et de deux juges étrangers. Une cour d’appel de composition analogue a été établie. Plusieurs dizaines de personnes ont été inculpées, dont un tiers environ condamnées.
46Au lendemain du traité de Versailles comme des procès de Nuremberg et de Tokyo, nombre de commentateurs ont constaté, en le regrettant parfois, que la justice pénale internationale exerçait sa rigueur sur les seuls vaincus des guerres. L’action des Nations unies dans ce domaine a cherché à échapper à cette logique. Les décisions prises n’ont pas moins été limitées tant dans le temps que dans l’espace à des événements bien déterminés et c’est hors du cadre de l’ONU qu’une cour pénale internationale a été créée sur une base permanente par la convention de Rome du 18 juillet 1998. La justice pénale internationale, comme la justice interétatique, échappe difficilement à la logique des souverainetés.
47Au total, la seconde moitié du xxe siècle a vu se multiplier et se diversifier les relations qu’entretiennent les États. Parallèlement des acteurs non étatiques, entreprises multinationales et organisations non gouvernementales, ont fait irruption dans la vie internationale. Le droit international est devenu de ce fait plus complexe et les juridictions internationales sont devenues nombreuses.
48La multiplication de ces juridictions répond aux nouveaux besoins de la société internationale. Elle n’en a pas moins des conséquences malheureuses. Elle augmente les risques de chevauchement de compétence entre juridictions concurrentes et ouvre de ce fait la porte au « forum shopping ». Elle crée des risques de contrariété de jurisprudence qui en fait se sont déjà concrétisés.
49Le droit international doit, certes, s’adapter aux divers domaines qu’il aborde. Mais il doit conserver aussi son unité et fournir aux acteurs de la vie internationale un cadre sûr. La multiplicité des juridictions doit être source d’enrichissement et non conduire au chaos.
50La prudence du législateur et la sagesse des juges peuvent certes contribuer à éviter que l’incohérence progresse. Mais on peut craindre qu’elles soient insuffisantes. Il serait par ailleurs irréaliste de proposer de faire de la Cour internationale de justice le juge suprême de l’ensemble des tribunaux internationaux. Mais on pourrait, me semble-t-il, encourager ces derniers à poser dans certains cas des questions préjudicielles à la Cour, organe judiciaire principal des Nations unies, en usant pour ce faire de la procédure des avis consultatifs. Ces demandes d’avis seraient transmises à la Cour par l’intermédiaire de l’Assemblée générale ou du Conseil de sécurité. La procédure ainsi envisagée remplirait un rôle analogue à celui que joue l’article 234 du traité de Rome qui permet aux juges nationaux d’interroger la Cour de Luxembourg en vue d’assurer l’unité du droit communautaire. Une telle réforme permettrait de répondre grâce aux Nations unies au défi résultant pour le juge international des succès qu’il a remportés au cours des dernières décennies.
51Ces succès n’en demeurent pas moins fragiles et la tentation subsiste pour les plus puissants des États d’ignorer le droit et la justice au nom de l’efficacité de l’action. Mais l’histoire enseigne que le droit et la justice ne protègent pas seulement le faible contre le fort, mais qu’ils protègent parfois le fort contre lui-même.
Notes
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[1]
Annuaire de l’Institut de droit international, 1954, p. 297.
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[2]
Affaire du Détroit de Corfou, exception préliminaire, arrêt du 25 mars 1948, 1948, CIJ Recueil 1947-1948, p. 17.
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[3]
Document Nations unies A/8382, 15 septembre 1971.
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[4]
Document Nations unies A/58/295, 19 août 2003.
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[5]
Affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, arrêt du 24 mai 1980, CIJ Recueil 1980, p. 21-22.
-
[6]
Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), arrêt du 26 novembre 1984, CIJ Recueil 1984, p. 435.
-
[7]
Document de la Conférence de San Francisco UNCIO, vol. 13, p. 657, 719 et 833.
-
[8]
Par ordonnance du 10 septembre 2003, le président de la Cour internationale de justice a pris acte de ces désistements.
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[9]
Documents NU S/16731, S/16745 et S/16749, septembre 1984.
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[10]
Affaire LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique), arrêt du 27 juin 2001, CIJ Recueil 2001, p. 466.
-
[11]
Conditions de l’admission d’un État comme membre des Nations unies (article 4 de la Charte), avis consultatif du 28 mai 1948, CIJ Recueil 1947-1948, p. 61.
-
[12]
Compétence de l’Assemblée générale pour l’admission d’un État aux Nations unies, avis consultatif du 3 mars 1950, CIJ Recueil 1950, p. 8 et 9 ; Certaines dépenses des Nations unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif du 20 juillet 1962, CIJ Recueil 1950, p. 155.
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[13]
Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif du 21 juin 1971, CIJ Recueil 1971, p. 53.
-
[14]
Ibid.
-
[15]
Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, CIJ Recueil 1996, p. 226.
-
[16]
Résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 8 décembre 2003.
-
[17]
Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l’Organisation des Nations unies, avis consultatif du 26 avril 1988, CIJ Recueil 1988, p. 12 ; Applicabilité de la section 22 de l’article VI de la convention sur les privilèges et immunités des Nations unies, avis consultatif du 15 décembre 1989, CIJ Recueil 1989, p. 177 ; Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif du 29 avril 1999, CIJ Recueil 1999, p. 62.
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[18]
Affaire du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt du 3 février 1994, CIJ Recueil 1994, p. 6.
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[19]
Affaire de la Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, arrêt du 16 mars 2001, CIJ Recueil 2001, p. 40.
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[20]
Voir la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies 33/119.
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[21]
Alain Pellet et David Ruzié, Les Fonctionnaires internationaux, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 103.
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[22]
Résolution 808 du Conseil de sécurité, 22 février 1993, et résolution 827 du 25 mai 1993.
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[23]
Résolution 955 du Conseil de sécurité, 8 novembre 1995.
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[24]
Résolution 1315 du Conseil de sécurité, 14 août 2002.