Notes
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[1]
Pour plus de détails sur ces élections, voir notre article : « Fin de “règne” conservateur au Royaume-Uni : les élections générales du 1er mai 1997 », Pouvoirs, n° 83, 1997, p. 165-175.
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[2]
Sur le rôle, les pouvoirs et l’organisation des nouvelles institutions ainsi que les premières élections parlementaires écossaises, voir Jacques Leruez, « Le nouveau parlement écossais et les élections du 6 mai 1999 », Pouvoirs, n° 90, 1999, p. 153-164.
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[3]
Au moment du référendum sur la dévolution de septembre 1997, une majorité d’électeurs estimaient que la création du parlement devait entraîner l’amélioration (beaucoup ou un peu) de l’état de l’économie (54 %), de la situation de l’emploi (38 %), de l’enseignement (62 %), du service de santé (60 %), de la protection sociale (48 %). Source : « 1997 Scottish Election Survey », in Scottish Affairs, n° spécial Understanding Constitutional Change, the Scottish Electorate and the Scottish Parliament, tab. 2, p. 43.
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[4]
Communiqué n° 42 du Service de presse de l’Ambassade de Grande-Bretagne à Paris, 2 juillet 1999.
-
[5]
Voir « Le nouveau parlement écossais… », op. cit., p. 157-158.
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[6]
Bien que les Britanniques soient, en général, hostiles au cumul des mandats, la loi de 1998 avait autorisé, pour une période transitoire, les députés des Communes à se faire élire au parlement écossais (ou à l’assemblée galloise) sans démissionner des Communes, avec la possibilité de siéger dans les deux enceintes jusqu’à la fin du mandat des Communes élues en 1997. Pour eux, le véritable choix eut lieu en 2001 et la plupart ne se représentèrent pas aux Communes.
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[7]
J.-P. Langellier, « Les Écossais font état d’un certain désenchantement », Le Monde, 5 mars 2002.
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[8]
The State of the Nation : Edinburgh City Chambers, Constitution Unit Annual Lecture, 11 p.
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[9]
Il fut installé provisoirement, et pour deux ans, dans les locaux où se réunit habituellement l’Assemblée générale de l’Église d’Écosse. Il y est encore !
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[10]
Sondages NFO System Three.
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[11]
NFO System Three, sondage par téléphone effectué entre les 11 et 15 avril, The Herald, 17 avril 2003.
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[12]
Qui a remplacé Alex Salmond. en septembre 2000. Ce dernier avait sans doute été un des meilleurs dirigeants que le SNP ait eu depuis qu’il existe (1934). Sous sa direction, le SNP a clarifié ses objectifs à court et à moyen terme, acceptant la dévolution comme « première étape sur la voie de l’indépendance », se convertissant à l’intégration européenne (adoption du slogan de « l’indépendance dans l’Europe ») et, sur le plan économique et social, présentant un programme de centre gauche cohérent. À la surprise générale, Alex Salmond a choisi de se consacrer à sa fonction de député à Westminster ; or, on peut se demander, compte tenu de la dévolution, si le SNP, dont l’action est limitée à l’Écosse, a encore un rôle à jouer à Westminster.
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[13]
Rappelons les modalités du scrutin : les électeurs ont droit à deux votes concrétisés par la remise de deux bulletins et la présence de deux urnes. (En réalité, il y avait trois urnes, car on votait également pour les conseils locaux.) Le premier vote consistait à élire 73 députés selon le mode de scrutin traditionnel : uninominal à un seul tour et à majorité relative, dans les circonscriptions prévues pour les élections à la Chambre des Communes. Le second vote est un vote proportionnel régional de liste, l’Écosse étant divisée en huit régions à peu près égales élisant chacune sept députés. Mais il ne s’agit pas d’un vote additionnel mais d’un vote correcteur, qui permet aux partis défavorisés par le premier vote de se rattraper au second. En revanche, les partis favorisés au premier vote, comme le parti travailliste, obtiennent très peu de sièges au second. Aussi, les électeurs se sont-ils aperçus, dès 1999, que voter pour la liste travailliste était en fait perdre sa voix, sauf dans les deux régions où ce parti est plus faible : le Nord-Est et les Highlands et Islands. En réalité, en 2003, ce sont tous les grands partis qui ont souffert du second choix des électeurs, autre façon de voter utile !
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[14]
Déjà une des plus basses depuis la guerre. Entre 1945 et 2001, la participation aux élections générales a dépassé deux fois 80 % (1950 et 1951) et huit fois 75 % sur un total de 16 élections. La participation de 2001 était de loin la plus basse depuis l’apparition du suffrage universel intégral (1928).
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[15]
Il avait perdu le siège d’Ayr au profit des conservateurs, à l’occasion d’une élection partielle, en septembre 2000.
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[16]
Voir note 13.
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[17]
Le même jour, nous l’avons déjà indiqué, avaient lieu les élections dites « locales », pour le renouvellement total des conseils des collectivités territoriales : 32 autorités uniques « à tout faire » (all-purpose authorities), élues jusqu’à nouvel ordre selon le mode de scrutin traditionnel. Le recul travailliste y est également assez net : 508 sièges contre 551 en 1999, ainsi que celui du SNP : 182 contre 204 ; les autres partis progressent : libéraux-démocrates : 175 (155), conservateurs : 123 (108), SSP : 4 (1) ainsi que les indépendants : 230 (204). Le recul travailliste n’empêche pas ce parti de garder le contrôle des conseils qu’il dirigeait déjà et de prendre le contrôle de deux conseils qu’aucun parti ne dirigeait à lui seul. Les libéraux-démocrates prennent le contrôle d’un conseil. Onze conseils sont sans majorité et doivent être dirigés par des coalitions.
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[18]
Sunday Herald, 4 mai 2003.
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[19]
En fait, les voix des oppositions ont été réduites à 61, car George Reid (SNP), qui était président adjoint dans le parlement sortant, a été élu président sans opposition. Beau geste de la part des travaillistes qui auraient pu imposer l’un des leurs, mais pas tout à fait désintéressé néanmoins car le président est au-dessus des partis et ne vote pas, ce qui fait perdre une voix au SNP et à l’opposition.
1La période 1997-1999 avait été une période de grands changements pour l’Écosse. En mai 1997, en envoyant au Parlement de Westminster 56 députés travaillistes sur un contingent global de 72 – et aucun élu du seul grand parti qui fût hostile à la dévolution, le parti conservateur –, elle avait puissamment aidé à la victoire de Tony Blair, même si – et c’est un fait suffisamment rare pour être souligné – les travaillistes avaient également obtenu une large majorité de sièges en Angleterre seule : 328 contre 165 au parti de John Major qui subissait une défaite humiliante [1]. En même temps, elle contribuait à la rupture avec dix-huit ans de « règne » conservateur, période où elle avait été dirigée par un gouvernement qui, aux yeux de nombreux Écossais, n’avait aucune légitimité, puisqu’il n’avait pas une seule fois disposé d’une majorité de la représentation écossaise. Le 11 septembre 1997, à l’occasion du référendum pré-législatif sur la dévolution, l’Écosse, par un double oui (respectivement 74,3 % et 63,5 % des votants) approuvait la création d’un parlement autonome, doté de pouvoirs fiscaux, limités mais réels, confirmant ainsi ses choix de mai. Le 19 novembre 1998, le Scotland Act 1998 recevait la sanction royale et pouvait donc être mis en œuvre. Le 7 mai 1999, était élu pour quatre ans le « nouveau » parlement qui, pour beaucoup d’Écossais, toujours soucieux de continuité historique, n’était en fait que le « vieux » parlement, aboli en 1707, à la suite du vote du Traité d’union avec l’Angleterre et le Pays de Galles, qui renaissait de ses cendres [2].
Le changement de climat de 1997 à 2003
2Même s’il y avait eu une baisse continue de la participation : 71,4 % aux élections générales de 1997, 60,4 % au référendum de la même année, 58,7 % aux élections au nouveau parlement en 1999, on sentait que la société écossaise avait repris de l’assurance après les traumatismes de l’ère thatchérienne (1979-1990), où elle avait vu ses puits de mines, ses chantiers navals, ses usines de métallurgie lourde fermer les uns après les autres. Certes, en 1997, le PIB par tête (indice 96) était encore inférieur à celui du reste de la Grande-Bretagne (indice 100) et le taux de chômage moyen était de 7,7 % (6,6 % de moyenne britannique). Néanmoins, ces chiffres étaient bien meilleurs que dans le passé et on avait assisté à une rénovation complète de l’industrie manufacturière, dont la productivité avait triplé en quinze ans et qui fournissait, avec 16 % des emplois, 22 % du PIB. Aberdeen avait prospéré grâce au pétrole de la mer du Nord. La ville de Glasgow avait vu se multiplier les emplois tertiaires et son visage s’était transformé. De plus, malgré l’ombre portée de la Cité de Londres, la place financière d’Édimbourg (banques, assurances, fonds de pension) était la sixième d’Europe. Plus généralement, le secteur des services : commerce de détail, transports, tourisme, finance, recherche scientifique, fournissait plus des trois quarts des emplois.
3Cinq ans plus tard, cette situation enviable avait-elle fondamentalement changé ? Sans doute pas. Toutefois, le ralentissement mondial et l’éclatement de la bulle spéculative avaient affecté l’Écosse comme le reste du Royaume-Uni ; sans doute moins que l’Europe continentale d’ailleurs, mais suffisamment pour que cela se lise dans les statistiques : moindre activité de la Silicon Glen et de la place d’Édimbourg en 2002, entraînant une chute de 25 % des exportations manufacturières et une perte de 24 000 emplois. En outre, alors que les responsables politiques soulignaient à l’envi le petit nombre de jeunes affectés par le chômage de longue durée, elles oubliaient de dire que le nombre des 15-29 ans avait opéré une chute spectaculaire de 14 % en dix ans (1991-2001), sans doute parce que les jeunes générations sont moins nombreuses mais, aussi et surtout, parce que les jeunes Écossais ont recommencé à s’expatrier. Enfin, l’Écosse avait été relativement plus touchée par l’épidémie de fièvre aphteuse que l’Angleterre. On se doute, par conséquent, compte tenu des espoirs suscités par la création du parlement [3], que la morosité ait prévalu.
Un bilan mitigé
4Dans son discours d’inauguration (le 1er juillet 1999), la reine avait déclaré en conclusion : « Ce parlement s’est fixé une tâche ardue : être moderne non seulement dans le recours à la technologie mais dans la façon de se comporter avec la population… et comprendre le passé en respectant ces valeurs hors du temps que sont la probité et le service rendu à tous. Premiers députés de ce parlement d’Écosse, vous portez la lourde responsabilité de relever ces défis [4]. »
5Un projet de règlement (standing orders) avait été préparé par un groupe de pilotage (steering group), consultatif et pluripartisan, avant les élections. Il fut adopté par les nouveaux députés avec peu d’amendements. Westminster avait en quelque sorte servi de contre-modèle, rappelons-le [5]. Il s’agissait d’éviter la pompe et certaines habitudes surannées du parlement britannique qui gênent à la spontanéité des débats (par exemple, le fait, pour tous les députés, de devoir s’adresser au Speaker et non directement à la personne que l’on interpelle) et de rompre avec le style « adversarial » de Westminster en laissant davantage d’initiative au député individuel. De plus, la procédure était allégée par rapport aux Communes et, surtout, le vote définitif de la loi devait être rendu plus rapide par l’absence d’une seconde chambre. Enfin, à l’image des parlements nordiques, l’assemblée écossaise se voulait family-friendly, c’est-à-dire que le règlement cherchait à faciliter la vie familiale des députés, notamment des femmes (49 élues sur 129 en 1999), en alignant les horaires sur ceux des entreprises et les congés sur les vacances scolaires.
6Tout cela était bel et bon. Toutefois, les mauvaises habitudes se perdent lentement, d’autant que les députés élus en mai 1999 (qui prirent le titre de MSPs : Members of the Scottish Parliament, à la différence des MPs, députés aux Communes) n’étaient pas si « nouveaux » qu’on voulait bien le dire : plusieurs avaient siégé aux Communes, quelques-uns (une quinzaine) y siégeaient encore [6]. Dès les premières séances, ils se chamaillèrent beaucoup, à propos de leurs rémunérations notamment. Et si une atmosphère de dignité et de consensus s’imposa au moment de l’inauguration officielle par la reine, le 1er juillet, les députés, appliquant à la lettre le règlement, se mettaient en congé, dès le lendemain, pour deux mois. Tout cela fit mauvais effet sur l’opinion et, dès ce moment, les médias écossais, qui pourtant, pour la plupart, avaient fait campagne pour la dévolution, furent sans indulgence pour le comportement et les initiatives des nouvelles institutions.
7Et cela d’autant plus que les personnalités chargées de les animer faisaient aussi l’objet de critiques. Même si la personne de Donald Dewar avait semblé s’imposer sans conteste comme First Minister, du moins au sein de la coalition travailliste et libérale-démocrate qu’il dirigeait (et qui disposait d’une large majorité : 55 travaillistes et 17 libéraux-démocrates) ; malgré tout, bien avant sa mort brutale en octobre 2000, il était déjà accusé d’immobilisme, et pas uniquement par ses adversaires. Cette disparition allait cependant provoquer un choc profond, non seulement au sein du grand public qui voyait en lui le père de la dévolution mais au sein du parti travailliste écossais qui ne s’était pas préparé à lui trouver un successeur et où aucune personnalité ne s’imposait vraiment. L’élection interne qui suivit montra les divisions du parti ; élu leader de justesse face à Jack McConnell, et nommé de ce fait First Minister, Henry McLeish, accusé de prévarication, dut démissionner en novembre 2001 et fut remplacé par son rival malheureux de l’année précédente. De cette guerre des chefs et de l’épisode McLeish, l’image du chef de l’exécutif est sortie ternie et l’exécutif globalement affaibli. De plus, alors que Dewar s’était efforcé d’éviter tout conflit avec Londres, ses successeurs n’ont pas su s’imposer face à l’opinion écossaise autrement qu’en succombant à la tentation populiste et en laissant le parlement faire de la surenchère, voire de la démagogie : suppression de certains droits universitaires, gratuité de l’aide ménagère pour toutes les personnes âgées soignées à domicile, quels que soient leurs moyens. Or, pour financer ces dépenses, le parlement s’est bien gardé d’augmenter l’impôt sur le revenu des particuliers (ce qu’il était en droit de faire dans la limite de 3 %) ; il a préféré le faire en piochant dans la subvention globale que lui assure Westminster, aux dépens d’autres dépenses. Ce comportement était certes parfaitement licite du point de vue de la loi de dévolution. Néanmoins, il a grandement embarrassé le gouvernement de Londres – et notamment le Chancelier de l’Échiquier, Gordon Brown, lui-même député écossais à Westminster, pourtant toujours plein de sollicitude pour l’Écosse – qui a d’autres objectifs et qui, de ce fait, a été accusé d’une attitude discriminatoire vis-à-vis des étudiants et des personnes âgées du reste du Royaume-Uni. Ces tensions ont certes été surmontées (après tout, nous sommes à l’intérieur du même parti), mais elles ont à nouveau attiré l’attention sur l’absence de transparence du budget écossais et du traitement de faveur – aux yeux des autres Britanniques en tout cas – dont l’Écosse jouit de la part de l’État central britannique. Et les indépendantistes n’ont pas manqué de souligner que l’autonomie fiscale aurait le double avantage d’accroître l’autonomie de l’Écosse et de forcer les députés à adopter un comportement plus responsable ; argument qu’ils n’ont pas manqué de faire valoir pendant la campagne électorale.
8Comme le faisait remarquer le correspondant du Monde en Grande-Bretagne, « ce que la dévolution a changé en Écosse […], c’est […] la nature du processus de décision, qui est désormais plus proche, plus transparent et dont les nouveaux titulaires – les élus et l’exécutif – doivent, en conséquence, rendre plus souvent des comptes [7] ». C’est ce qu’a tenté de démontrer Sir David Steel, le président sortant du parlement, dans un discours récent [8], en quelque sorte de fin de mandat, il a insisté sur le rôle joué par les 16 commissions parlementaires qui associent tous les députés du rang, c’est-à-dire ceux qui n’ont ni responsabilités exécutives ni administratives ; comme à Westminster, les présidences sont largement ouvertes à l’opposition ; à l’automne 1999, le SNP occupait quatre présidences, les conservateurs deux ; la majorité s’en était réservé dix : 8 travaillistes, 2 libérales-démocrates. Cet équilibre politique était accompagné d’une répartition géographique elle-même équilibrée, avec une volonté de ne pas trop privilégier l’ancienne région de Strathclyde, qui représente 45 % de la population et dont l’hégémonie est redoutée par les autres régions, moins peuplées. Selon David Steel, les commissions constituent une partie intégrante, et non subsidiaire, du processus parlementaire ; il y a eu 1 600 réunions de commissions en moins de quatre ans et leur autorité est d’autant plus grande qu’elles ne siègent pas au même moment que le parlement tout entier. Sir David se félicite notamment d’une disposition qui permet aux commissions d’être à l’origine d’une part notable de la législation ; résultat : alors qu’il faut beaucoup de patience, et beaucoup de chance, à un simple député à Westminster pour mener jusqu’au bout la procédure des propositions de loi, presque toujours mineures d’ailleurs, une douzaine d’entre elles ont ainsi été votées dans la première session du parlement écossais. Sir David insiste également sur le rôle joué par une 17e commission, celle des pétitions, qui s’efforce de faciliter leur organisation, grâce à une meilleure information sur les facilités d’accès aux députés dont dispose le citoyen ordinaire et en rendant plus rapide leur traitement, grâce à l’informatique. Malgré ces innovations, dont Sir David a raison d’être satisfait, mais qui n’ont pas rencontré beaucoup d’écho dans les médias écossais, le parlement ne semblait pas, à la veille des élections, avoir trouvé une place au-dessus de tout soupçon au sein de la société écossaise.
9Restait, en effet, la croix qu’il porte depuis l’origine : la question de la construction de son siège qui n’en finit pas de miner les relations entre les députés et l’opinion. Dès après le référendum, il avait été décidé que le nouveau parlement ne pourrait siéger dans l’ancien Parliament House, lieu peu adapté à une assemblée parlementaire moderne et d’ailleurs occupé par les hautes cours de justice. Il fallait donc construire un nouvel édifice [9]. Un terrain fut trouvé sur l’emplacement d’une brasserie désaffectée, situé non loin de Holyrood Palace, ancienne résidence des rois Stuart et encore résidence royale à l’heure actuelle. Un concours fut organisé et remporté par le projet de l’architecte catalan Enric Moralles. Les travaux d’aménagement du terrain avaient commencé quand les députés se réunirent pour la première fois et le coût des travaux, à l’origine estimés à 55 millions de livres, avait déjà quasiment doublé. Consultés par l’exécutif le 17 juin 1999, les députés fraîchement élus confirmèrent le projet, après un débat houleux, par 66 voix contre 57. Ils avaient donc pris leurs responsabilités. Or le chantier, qui devait durer environ deux ans, se poursuivait encore en mai 2003 et il n’était question d’une inauguration qu’au mieux en 2004. En outre, le coût de 1999 avait plus que triplé et était estimé, en septembre dernier, à 360 millions de livres ; encore n’était-ce qu’un chiffre provisoire ! Ce qui ne pouvait que faire frémir une population de culture presbytérienne qui, tous partis et milieux confondus, a horreur du gaspillage et de la somptuosité inutile.
Une campagne électorale terne
10La période pré-électorale, courant mars, avait été marquée par les vifs débats qui s’étaient produits au sein du parti travailliste, au sujet de la décision de Tony Blair de soutenir la politique américaine concernant l’Irak et, finalement, de partir en guerre même sans l’aval d’une seconde résolution de l’ONU. Cette guerre ne pouvait tomber plus mal pour le parti écossais, juste avant son congrès annuel et six semaines avant des élections parlementaires et locales cruciales, d’autant qu’un débat sur la guerre et sur la paix ne pouvait être complètement évacué d’un parlement, fût-il « subalterne » et n’ayant aucun pouvoir dans ce domaine. Le jeudi 13 mars, le groupe SNP décida de consacrer les trois heures de temps parlementaire qui lui reviennent périodiquement en tant que principal parti d’opposition à un débat sur la menace de guerre en Irak, débat suivi d’un vote sur une motion nationaliste soutenue par les libéraux-démocrates déplorant l’entrée en guerre éminente du pays sans l’aval des Nations unies (on savait déjà à cette date qu’il était peu probable que la seconde résolution souhaitée par Tony Blair soit votée par le Conseil de sécurité). Le premier effet de cette opération fut de diviser l’exécutif, le First Minister, Jack McConnell, sous peine d’une crise grave, étant obligé de laisser la liberté de vote à ses ministres libéraux-démocrates. De plus, on savait que la base travailliste était fortement hostile à la guerre ; elle avait largement participé aux nombreuses manifestations un peu partout en Écosse, aussi importantes, en proportion, que les manifestations anglaises ; surtout, interrogés par le mouvement anti-guerre interne au parti, 33 partis locaux sur 73 avaient répondu qu’ils y étaient hostiles : 22 avec ou sans seconde résolution, 11 s’il n’y avait pas de seconde résolution, un seul répondant qu’il soutenait Blair. Malgré tout, au terme d’un débat que la presse a qualifié de bonne tenue, la motion fut rejetée à quelques voix près, l’autre parti d’opposition, les conservateurs soutenant, comme à Westminster, la position de Blair et compensant ainsi la défaillance libérale-démocrate ; en outre, Jack McConnell réussit à préserver une certaine cohésion du groupe travailliste, puisque, sur 55 députés, seuls 6 votèrent la motion anti-guerre, 3 autres s’abstenant, mais non sans états d’âme publics de la part de certains des soutiens du gouvernement. Un député avait clairement aidé à ce ralliement, John McAllion, député travailliste de Dundee-est, opposant acharné à Blair et au nouveau Labour depuis l’origine, qui n’hésita pas à réclamer la démission de l’exécutif et le renversement de Blair. John McAllion n’a pas été réélu le 1er mai ; gageons que cette perte d’un siège au profit du SNP n’a pas vraiment affligé les dirigeants travaillistes.
11L’épilogue de l’opposition de l’Écosse à la guerre eut lieu à Westminster le mardi suivant 18 mars. Certes, la motion gouvernementale fut très facilement approuvée grâce au soutien conservateur : 412 voix sur un total de 659 députés ; mais 139 députés travaillistes avaient voté l’amendement anti-guerre. En ce qui concerne la représentation écossaise (72), 34 votèrent l’amendement, dont 19 travaillistes, y compris Robin Cook, qui venait de démissionner bruyamment du Cabinet Blair ; 32 votèrent avec le gouvernement, tous travaillistes (12 étant membres du gouvernement). Les autres s’abstinrent ou étaient absents, le Speaker, qui ne vote pas, étant un élu travailliste écossais.
12Les sondages effectués de février au début d’avril [10] montrent bien la difficulté où se trouvait le parti travailliste en raison de l’opposition à la guerre de la majorité de la population. Alors qu’avant la menace de guerre tout indiquait que ce parti serait renouvelé dans ses fonctions à la tête de l’exécutif, certes sans enthousiasme mais avec la même marge de manœuvre qu’en 1999, son avance s’éroda progressivement, les intentions de vote à son égard tombant à 31 % au premier vote (vote majoritaire par circonscription) et à 26 % au second (vote proportionnel régional), au début d’avril. Ce recul semblait profiter à son rival le plus sérieux, le SNP, qui, au même moment, était crédité de 31 % au premier vote et de 29 % au second. Dans une moindre mesure, les libéraux-démocrates et les petits partis progressaient également. Même si l’on sait que le système électoral, malgré l’introduction d’un élément de vote proportionnel, favorise toujours le parti dominant – comme on le verra avec le résultat final –, l’hégémonie travailliste paraissait menacée. Toutefois, dès la mi-avril, à un moment où le résultat militaire du conflit en Irak ne faisait plus de doute, la situation était complètement renversée, et cela d’une façon spectaculaire ; le même institut de sondage [11] donnait, cette fois, respectivement, 39 % (+ 8 points) et 30 % (+ 4 points) des intentions de vote au parti travailliste, alors que les partis qui avaient critiqué la guerre reculaient nettement : 26 % (- 5 points) et 27 % (- 2 points) pour le SNP ; 12 % (- 4) et 14 % (- 4) pour les libéraux-démocrates.
13Dès ce moment, la guerre d’Irak cessa de hanter les esprits et les enjeux de politique interne, jusque-là fortement gommés, refirent surface, d’autant qu’en même temps se déroulait la campagne pour les élections aux conseils locaux qui devaient avoir lieu le même jour. Les poids lourds de l’Écosse à Londres (il ne faut pas oublier que presque un tiers des membres du Cabinet Blair sont députés écossais) purent venir faire campagne dans leurs circonscriptions respectives et même ailleurs en Écosse. Ce fut le cas pour Gordon Brown, le Chancelier de l’Échiquier, qui vint à différentes reprises vanter les bienfaits que le gouvernement central prodiguait à l’Écosse et mettre en pièces les propositions d’autonomie fiscale du SNP. Même Tony Blair fit deux incursions d’une demi-journée chacune pour faire campagne aux côtés de Jack McConnell et donner des interviews. Il n’est pas sûr d’ailleurs que ces incursions de Londres aident beaucoup les politiciens locaux, car elles tendent à souligner, aux yeux de l’électeur moyen, le maintien de la tutelle de Londres, notamment dans le domaine financier, d’autant qu’elles ne pouvaient qu’inciter le First Minister à gommer les différences entre les réformes que le Cabinet Blair a entreprises en matière de modernisation du secteur public et son propre programme plus « vieux Labour » : grande réticence vis-à-vis de l’« initiative public-privé » pour la construction de prisons, d’écoles et d’hôpitaux, maintien d’un habitat social locatif étendu, refus de la privatisation de l’eau, différente approche du conflit des pompiers qui durait depuis l’automne des deux côtés de la frontière. En revanche, il était plus facile aux deux leaders de défendre l’œuvre institutionnelle accomplie et d’attaquer le programme du SNP. Ce qu’ils firent de bon cœur.
14Il est vrai que ce dernier parti et son leader John Swinney [12] ont eu du mal à sortir de leurs contradictions. En tant que principal parti d’opposition, il se devait de présenter un manifeste qui apparût comme un programme de gouvernement, qui ne soit pas trop dissuasif pour le seul partenaire possible – les libéraux-démocrates – et qui n’entraînât pas un conflit immédiat avec le gouvernement central ; aussi se contenta-t-il, en termes vagues, de revendiquer l’« autonomie fiscale » et d’envisager un référendum sur l’indépendance à la fin des quatre ans de vie du nouveau parlement. Mais, ce faisant, il prenait le risque de décevoir les nationalistes les plus intransigeants qui voulaient que l’on discute des voies et moyens de l’indépendance dès l’élection d’un parlement dominé par le SNP.
Les résultats du scrutin [13]
15Les tout derniers sondages, publiés le matin même de l’élection, donnaient tous le parti travailliste largement en tête, le Scottish Daily Mail allant jusqu’à pronostiquer un « raz de marée » travailliste à la lecture d’un sondage MORI, qui donnait au Labour une avance de 17 points sur le SNP. D’où la surprise quand des résultats beaucoup plus serrés qu’on ne s’y attendait ont commencé à être annoncés à partir de 2 heures du matin, le vendredi 2 mai.
Résultats comparés 1999-2003
Résultats comparés 1999-2003
Une participation très décevante
16Ce qui n’a pas surpris, par contre, c’est la participation. Tous les observateurs craignaient qu’elle ne soit très basse : moins de 50 % ; ils ne se sont pas trompés. Elle est inférieure de plus de 9 points à celle de 1999, qui elle-même avait été jugée médiocre pour une élection à une institution nouvelle qui avait été ardemment souhaitée par une majorité de la population écossaise. Cette dernière paraissait d’autant plus médiocre qu’elle était bien inférieure à celle de l’élection générale de 1997 (71,3 % en Écosse [14]). Certes, lors de celle de 2001, la participation s’était effondrée en Écosse (58,2 %) comme partout ailleurs au Royaume-Uni (moyenne britannique : 59,4%). Cependant, elle restait de près de 9 points supérieure à celle du scrutin du 1er mai. Cela montre que les électeurs écossais, quelle que soit leur satisfaction ou non devant l’action de leur parlement, considèrent, à tort ou à raison, que c’est encore dans les élections à la Chambre des Communes que se situe le plus grand enjeu de pouvoir. Il s’agit donc d’un jugement mitigé sur la dévolution.
17On sait que la montée de l’abstention est un phénomène européen, qu’on attribue le plus souvent, en Grande-Bretagne, à l’« apathie » des électeurs mais qui peut, aussi bien que le vote extrême, exprimer une insatisfaction à l’égard des grands partis de gouvernement, certains électeurs ne voyant pas assez de différences entre eux ou, du moins, dans leur action, quand ils ont la responsabilité du pouvoir. Dans le cas britannique, en 2001, le parti travailliste redoutait d’être défavorisé par une abstention différentielle ; de fait, l’abstention a été plus grande dans les zones de force travaillistes (Angleterre du Nord, Écosse, Pays de Galles) que partout ailleurs, mais pas assez pour changer l’issue du scrutin. Cette crainte était encore plus grande pour l’élection écossaise et, dans les derniers jours de la campagne, le First Minister, Jack McConnell, avait lancé des appels inquiets demandant aux électeurs d’aller voter. En fait, il y a bien eu une abstention différentielle, mais les travaillistes n’en ont pas souffert systématiquement. À Glasgow, par exemple, malgré une très forte abstention (dans 5 circonscriptions sur 10, la participation a été inférieure à 40 %), ils ont conservé leurs dix sièges sans coup férir. C’est peut-être parce que les candidats travaillistes paraissent indéracinables que les électeurs sont découragés d’aller voter. Ailleurs, il est clair cependant qu’une abstention différentielle ou une mobilisation plus grande des électeurs des candidats adverses est à l’origine de la perte de quelques sièges.
Maintien des partis de la coalition au pouvoir
18Le parti travailliste a donc perdu 6 sièges sur les 52 [15] qu’il détenait dans les circonscriptions (1er vote) et gagné 1 siège au scrutin de liste (2e vote), dans le Nord-Est. Il détenait 5 des 6 sièges d’Édimbourg ; il en perd 2, l’un va au leader conservateur écossais, David McLetchie, l’autre est pris par un libéral-démocrate. La représentation politique de la capitale (3 travaillistes, 2 libéraux-démocrates, un conservateur) correspond mieux qu’avant à sa composition sociologique. À Aberdeen, sur 3 sièges, il en perd 1 au profit du SNP. Même chose à Dundee : l’un des 2 sièges de la ville lui échappe au bénéfice encore du SNP. C’est encore le SNP qui s’empare du siège travailliste d’Ochil dans le Fife. Enfin, à la surprise générale, il se voyait ravir (de 38 voix) la circonscription sûre de Strathkelvin & Bearsden, dans la banlieue de Glasgow, au profit d’une doctoresse à la retraite peu connue qui faisait principalement campagne contre la fermeture annoncée de l’hôpital local ; le candidat travailliste perdait près de 11 000 voix qui ne profitaient qu’à la candidate indépendante. Même si l’on tient compte du fait que c’est lui qui avait le plus à perdre, en raison de sa position dominante et de son rôle dans l’exécutif, l’élection n’a donc pas été très glorieuse pour le parti travailliste. Jack McConnell en sortait plutôt affaibli, d’autant que certains ministres ou ministrables avaient mordu la poussière. À l’inverse, les libéraux-démocrates de Jim Wallace, malgré une légère perte de voix et d’un siège au scrutin de liste (ce qui était compensé par le vote des circonscriptions), gardaient un nombre de sièges égal à celui de 1999 ; ce n’était pas aussi bien qu’ils l’avaient espéré (les derniers sondages leur avaient fait miroiter deux ou trois sièges supplémentaires), mais ils n’étaient pas sanctionnés pour leur participation à l’exécutif de coalition et se trouvaient en position de force pour négocier une nouvelle participation.
La fragmentation des oppositions
19Quant aux deux autres formations, qui formaient l’opposition dans l’ancien parlement, le SNP et les conservateurs, un sort différent leur était réservé par les urnes. Les sondages n’avaient pas laissé prévoir un tel recul des indépendantistes ; certes, ils gagnaient 2 sièges dans les circonscriptions, les deux aux dépens du Labour, et cela tout en perdant près de 5 points du vote global ; ce qui montrait que leur vote est plus concentré et leur implantation locale, plus solide qu’auparavant surtout dans le Nord-Est et dans le Fife. Toutefois, c’est au second vote que la saignée du vote SNP (- 6,4 points) avait des conséquences sur les résultats en sièges et 10 sur 28 sièges régionaux étaient perdus. Le déficit net était donc de 8 sièges, soit le quart de ses effectifs de 1999. C’était une belle déception pour son nouveau leader (depuis 2000), John Swinney, qui avait fait une campagne très active. Ce résultat montrait que le vote de protestation ne se portait plus sur le SNP, d’autant qu’il y avait pléthore de groupes et de candidats susceptibles d’attirer ce vote. En fait, la création du parlement et les élections de 1999, en faisant de lui l’opposition de Sa Majesté en Écosse, l’ont sorti de son rôle « tribunicien » pour le faire entrer dans l’establishment politique, d’autant qu’à la différence d’autres partis indépendantistes, il s’est plié sans efforts aux règles et conventions de la démocratie britannique. Comme le Labour, il a sans doute été victime d’une abstention différentielle ; mais, en gommant sa revendication d’indépendance, peut-être aussi a-t-il peu mobilisé le noyau dur de ses électeurs habituels.
20Les conservateurs reviennent de loin en Écosse. Après avoir été complètement annihilés lors de la vague travailliste de 1997, ils n’avaient pu refaire surface au sein du parlement écossais, dont ils avaient farouchement combattu la création, que grâce au mode de scrutin mixte, puisque leurs 18 élus de 1999 ne l’avaient été que grâce au deuxième vote proportionnel, qu’ils avaient également farouchement combattu. Puis ils avaient reconquis un siège de circonscription en 2000, aussi étaient-ils 19 à la séparation du parlement. C’est pourquoi retrouver 18 sièges peut apparaître comme une limitation de dégâts plutôt que comme une victoire. Pourtant c’est un air de victoire qui flottait au siège conservateur le lendemain de l’élection. D’abord parce que les sondages des derniers jours ne leur accordaient qu’une quinzaine de sièges, mais surtout parce qu’ils retrouvaient quelques-unes de leurs zones de force traditionnelles ; ainsi, outre Ayr qu’ils conservaient sans problème, ils parvenaient à reconquérir une circonscription rurale et aussi le siège d’Édimbourg Pentlands, longtemps occupé pour Westminster (les circonscriptions pour les deux élections étant jusqu’à nouvel ordre les mêmes) par Malcolm Rifkind, ancien ministre et dernier secrétaire d’État aux Affaires étrangères de John Major et battu à deux reprises par un travailliste, en 1997 et 2001. Le siège de Pentlands allait à David McLetchie qui, depuis 1997, personnifie avec quelques autres, mais ils sont peu nombreux, les efforts du parti conservateur pour se moderniser et s’adapter à la nouvelle situation institutionnelle et politique. Menacé de disparition en Écosse en 1997, il a retrouvé une base d’électeurs, limitée mais non insignifiante, qui, apparemment, s’est aussi mieux mobilisée que les autres électorats. En tout cas, comme en 1999, il reste la troisième formation au parlement écossais, devançant les libéraux-démocrates en voix et en élus. Ce qui est ironique c’est que ce renouveau est largement le fait du mode de scrutin, dont ce parti est le plus farouche adversaire, à Londres en tout cas. Faut-il penser pour autant qu’il est susceptible de reprendre sa place de formation alternative au Labour, c’est un pas que nous ne franchirons pas. Il semble en effet que le bipartisme soit bien mort en Écosse.
21Venons-en maintenant à la véritable nouveauté de cette élection : l’apparition en nombre d’indépendants et de représentants de petites formations qui avaient à peine pignon sur rue avant 1999. En 1999, c’était la première fois qu’on introduisait en Grande-Bretagne un système électoral mixte qui comportait un élément de proportionnelle [16] et les grands partis s’étaient bien gardés de dire à leurs électeurs qu’ils n’avaient aucunement l’obligation de répéter leur choix du premier vote dans le second et assez peu s’en étaient avisés spontanément. Cela avait suffi néanmoins pour que le score travailliste s’effrite de 4,2 points d’un vote à l’autre et que les Verts et le SSP fassent élire chacun un candidat.
22En 2003, l’effritement est d’autant plus spectaculaire qu’il n’affecte pas seulement les travaillistes mais aussi les autres grands partis (voir le tableau comparatif). Cette hémorragie profite essentiellement aux Verts (+6 sièges) qui, délibérément, n’avaient fait campagne que pour le second vote et au Scottish Socialist Party (SSP) de Tommy Sheridan (+ 5 sièges), mais aussi aux indépendants. Bien que cela paraisse sans doute excessif dans un pays aussi vert que l’Écosse, les Verts – comme ailleurs – dénoncent pêle-mêle les atteintes à l’environnement, la pollution des lochs et de certaines rivières, le nucléaire, l’élevage industriel du saumon. Quant au SSP, son chef, Tommy Sheridan, doit sa réputation à Glasgow au fait d’avoir été condamné à de la prison pour avoir refusé de payer la fameuse poll-tax de l’époque thatchérienne ; auparavant, il avait milité à la gauche extrême du parti travailliste (militant tendency) dans les années quatre-vingt ; politicien habile et assez charismatique, il exploite à fond la « droitisation » du parti travailliste sous Blair, d’autant plus aisément que beaucoup de militants et même d’élus travaillistes ont un discours proche. Il est donc facile pour un électeur travailliste traditionnel – notamment dans ce qu’on appelle la « Clyde rouge » –, après avoir fait son devoir en soutenant le parti au premier vote, de transférer son second vote sur le SSP, sans trahir ses idéaux, et d’avoir en plus l’impression d’avoir émis un vote utile !
23Les quatre indépendants ont une origine variée. Dennis Canavan, le seul qui fasse partie des sortants réélus, est un ancien député travailliste à Westminster qui s’était présenté en indépendant en 1999, faute d’avoir été officiellement sélectionné dans sa propre circonscription de Falkirk-Ouest, après pressions du parti central à Londres, étrange façon, on en conviendra, d’interpréter la philosophie de la dévolution ! Il a été réélu avec aisance malgré la présence d’un candidat travailliste officiel. Le second indépendant est la doctoresse Jean Turner, qui a battu, dans une circonscription sûre pour le parti, un politicien travailliste assez connu qui avait déjà été ministre et qui pouvait espérer l’être encore. Enfin, deux autres indépendants ont été élus au scrutin de liste ; Margo MacDonald, dans les Lothians (région d’Édimbourg), députée sortante SNP, qui avait renoncé à se présenter sur la liste de son parti car elle n’y était pas placée dans une position d’éligible. Voter pour elle était donc une façon de défier la direction du parti. Il faut dire que Margo MacDonald est une ancienne présentatrice de télévision populaire et qu’elle avait connu son heure de gloire politique, en remportant, toujours pour le SNP, l’élection partielle de Glasgow Govan, en novembre 1973. Elle pouvait donc se permettre de prendre le pari de se présenter seule. Dernier candidat élu : John Swinburne, totalement inconnu auparavant, qui avait l’étiquette du Scottish Senior Citizens Unity Party, qui n’existait pas quelques semaines plus tôt et qui, dans la région de l’Écosse centrale, obtenait 17 146 voix (6,52 %), plus que les libéraux-démocrates [17] !
24Ces succès montrent à quel point les candidats, dits de « proximité », voire populistes, ont de plus en plus d’audience non seulement en Écosse mais ailleurs en Grande-Bretagne, pour ne rien dire de l’Europe. Aussi le grand journal de Glasgow pouvait-il titrer, non sans quelque démagogie : « Le peuple se rebiffe » et commenter : « Les vrais politiciens ne comprennent rien. Les grands partis sont tellement liés au système politique dégénéré de Westminster que, quand le peuple se prévaut de son droit démocratique de protester, ils prennent cela pour une offense personnelle [18]. » Il est clair toutefois que c’est la possibilité d’exprimer ce qu’on a sur le cœur dans un deuxième vote, après un premier vote plus « raisonnable », qui a déchaîné l’humeur frondeuse des électeurs écossais vis-à-vis des grands partis. Ce qui ne pourra que ranimer le débat sur le mode de scrutin et sur les « dangers » de la proportionnelle.
Suites et enseignements du scrutin
25Il est clair que ces résultats montrent une certaine désillusion des Écossais vis-à-vis de leur parlement autonome. Mais ce n’est pas tellement la dévolution qui est en cause, semble-t-il ; les Écossais n’oublient pas qu’elle peut être amenée à les protéger lors d’un retour des conservateurs au pouvoir à Londres. En ce sens, l’amélioration des résultats des conservateurs écossais doit être interprétée plutôt comme une critique du principe de dévolution que comme une approbation du fait que le parti accepte maintenant d’agir dans le cadre des nouvelles institutions. C’est la façon dont la dévolution a été mise en pratique et peut-être aussi le relatif manque de pouvoirs du parlement dans le domaine économique et financier – qui conduit les députés à adopter des attitudes irresponsables – qui rendent sceptique la majorité des électeurs. Cela aurait dû les conduire à approuver le programme du SNP qui demandait une plus grande autonomie fiscale, on l’a vu. Mais il n’en a rien été.
26Toutefois, le premier réflexe des grands partis n’a pas été de s’interroger sur le sens profond du scrutin mais de constater que, malgré le recul du Labour, la coalition sortante était en mesure de se maintenir puisque, sur le papier, elle disposait de 67 sièges contre 62 aux autres partis réunis [19], dont, le moins qu’on puisse dire, est qu’ils ne formaient pas un front commun. Le First Minister sortant, Jack McConnell, qui n’avait pas à démissionner, puisqu’il avait « gagné » l’élection, se tourna immédiatement vers son ancien partenaire libéral-démocrate, Jim Wallace, pour négocier un nouveau pacte de gouvernement. On remarquera que les deux hommes s’étaient ménagés pendant la campagne, même si l’un et l’autre avaient critiqué certains points du programme de l’autre.
27À l’issue de près de deux semaines de négociations, ardues semble-t-il, les deux partis sont parvenus à un accord le 14 mai. En échange d’un renforcement important de la lutte contre la criminalité des jeunes (déjà mis en œuvre par le gouvernement Blair pour l’Angleterre), qui était prioritaire dans le programme travailliste, les libéraux-démocrates obtenaient la promesse de l’introduction d’un mode de scrutin proportionnel pour les élections aux conseils locaux, ainsi qu’une enquête concernant le péage pour le pont routier de l’île de Skye ; se voulant les défenseurs des Highlands, en effet, les libéraux-démocrates n’ont cessé de s’opposer à ce péage, rendu nécessaire car le pont a été construit avec des fonds exclusivement privés. Le programme commun comprend aussi des améliorations concernant la santé et l’éducation, que les deux partis souhaitaient. Enfin, alors que le nombre des ministres de l’exécutif a été réduit de 20 à 18, par souci d’économie, il y a 3 libéraux-démocrates (dont le First Minister adjoint) dans un cabinet de 11 ; un quatrième est ministre adjoint, ce qui fait un ministre libéral-démocrate de plus que pendant le premier parlement. Ainsi, les libéraux-démocrates, s’ils sont toujours les junior partners de la coalition, sont plus qu’une simple force d’appoint. S’ils parviennent, en effet, à changer le mode de scrutin pour les élections locales, ce sera un autre grand pas accompli en faveur de la modernisation de la vie politique écossaise. Il n’empêche que le Labour reste un élément incontournable de cette vie politique. Malgré des circonstances politiques extérieures à l’Écosse qui auraient difficilement pu être plus défavorables, son hégémonie est peu entamée. Il apparaît, par conséquent, qu’il n’y a pas d’alternative à ce parti, à moyen terme du moins.
28Si l’élection a été favorable aux indépendants, elle l’a été beaucoup moins aux indépendantistes. Il est incontestable que le grand battu du scrutin est le SNP. Pour toute formation politique, perdre presque un quart de ses sièges quand on est dans l’opposition et qu’on a fait une campagne sérieuse et bien orchestrée, pose forcément des questions sur la pertinence des hommes et des programmes. Dans les jours qui ont suivi l’élection, la presse s’est interrogée sur l’avenir de John Swinney comme chef du parti. Pourtant, il n’a pas vraiment démérité, bien qu’il n’ait pas fait oublier son prédécesseur, Alex Salmon, qu’une partie des observateurs aimerait voir revenir sur la scène politique écossaise. Mais il ne faut pas oublier que c’est lui qui a choisi d’abandonner le poste de leader pour privilégier son rôle aux Communes. En ce qui concerne le programme, le SNP devra choisir entre l’intégrisme indépendantiste des premiers temps – « L’indépendance et rien de moins » – et le réformisme prôné dans le manifeste de 2003, qui esquissait un programme économique et social modéré accompagné d’un rapprochement avec les milieux d’affaires ; or, chacun sait que ces milieux ne sont aucunement persuadés de l’intérêt de l’indépendance sur le plan économique. D’ailleurs, le grand public non plus ; un sondage publié pendant la campagne montre que 18 % seulement des Écossais pensent que l’indépendance améliorerait leur situation, contre 33 % qui estiment qu’au contraire elle empirerait. Tant que les conséquences économiques et sociales de l’indépendance n’apparaîtront pas positives aux yeux de la majorité des électeurs, l’indépendantisme restera ce qu’il est, c’est-à-dire une revendication assez largement partagée mais minoritaire (un tiers des Écossais) qui, en outre, pour beaucoup de ses partisans, est un idéal lointain, non prioritaire. De plus, elle s’éparpille de plus en plus, puisque les Verts et le SSP, qui ont obtenu ensemble plus de 13 % des voix, se présentent également comme indépendantistes. Et cette situation risque de durer longtemps.
Notes
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[1]
Pour plus de détails sur ces élections, voir notre article : « Fin de “règne” conservateur au Royaume-Uni : les élections générales du 1er mai 1997 », Pouvoirs, n° 83, 1997, p. 165-175.
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[2]
Sur le rôle, les pouvoirs et l’organisation des nouvelles institutions ainsi que les premières élections parlementaires écossaises, voir Jacques Leruez, « Le nouveau parlement écossais et les élections du 6 mai 1999 », Pouvoirs, n° 90, 1999, p. 153-164.
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[3]
Au moment du référendum sur la dévolution de septembre 1997, une majorité d’électeurs estimaient que la création du parlement devait entraîner l’amélioration (beaucoup ou un peu) de l’état de l’économie (54 %), de la situation de l’emploi (38 %), de l’enseignement (62 %), du service de santé (60 %), de la protection sociale (48 %). Source : « 1997 Scottish Election Survey », in Scottish Affairs, n° spécial Understanding Constitutional Change, the Scottish Electorate and the Scottish Parliament, tab. 2, p. 43.
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[4]
Communiqué n° 42 du Service de presse de l’Ambassade de Grande-Bretagne à Paris, 2 juillet 1999.
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[5]
Voir « Le nouveau parlement écossais… », op. cit., p. 157-158.
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[6]
Bien que les Britanniques soient, en général, hostiles au cumul des mandats, la loi de 1998 avait autorisé, pour une période transitoire, les députés des Communes à se faire élire au parlement écossais (ou à l’assemblée galloise) sans démissionner des Communes, avec la possibilité de siéger dans les deux enceintes jusqu’à la fin du mandat des Communes élues en 1997. Pour eux, le véritable choix eut lieu en 2001 et la plupart ne se représentèrent pas aux Communes.
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[7]
J.-P. Langellier, « Les Écossais font état d’un certain désenchantement », Le Monde, 5 mars 2002.
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[8]
The State of the Nation : Edinburgh City Chambers, Constitution Unit Annual Lecture, 11 p.
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[9]
Il fut installé provisoirement, et pour deux ans, dans les locaux où se réunit habituellement l’Assemblée générale de l’Église d’Écosse. Il y est encore !
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[10]
Sondages NFO System Three.
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[11]
NFO System Three, sondage par téléphone effectué entre les 11 et 15 avril, The Herald, 17 avril 2003.
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[12]
Qui a remplacé Alex Salmond. en septembre 2000. Ce dernier avait sans doute été un des meilleurs dirigeants que le SNP ait eu depuis qu’il existe (1934). Sous sa direction, le SNP a clarifié ses objectifs à court et à moyen terme, acceptant la dévolution comme « première étape sur la voie de l’indépendance », se convertissant à l’intégration européenne (adoption du slogan de « l’indépendance dans l’Europe ») et, sur le plan économique et social, présentant un programme de centre gauche cohérent. À la surprise générale, Alex Salmond a choisi de se consacrer à sa fonction de député à Westminster ; or, on peut se demander, compte tenu de la dévolution, si le SNP, dont l’action est limitée à l’Écosse, a encore un rôle à jouer à Westminster.
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[13]
Rappelons les modalités du scrutin : les électeurs ont droit à deux votes concrétisés par la remise de deux bulletins et la présence de deux urnes. (En réalité, il y avait trois urnes, car on votait également pour les conseils locaux.) Le premier vote consistait à élire 73 députés selon le mode de scrutin traditionnel : uninominal à un seul tour et à majorité relative, dans les circonscriptions prévues pour les élections à la Chambre des Communes. Le second vote est un vote proportionnel régional de liste, l’Écosse étant divisée en huit régions à peu près égales élisant chacune sept députés. Mais il ne s’agit pas d’un vote additionnel mais d’un vote correcteur, qui permet aux partis défavorisés par le premier vote de se rattraper au second. En revanche, les partis favorisés au premier vote, comme le parti travailliste, obtiennent très peu de sièges au second. Aussi, les électeurs se sont-ils aperçus, dès 1999, que voter pour la liste travailliste était en fait perdre sa voix, sauf dans les deux régions où ce parti est plus faible : le Nord-Est et les Highlands et Islands. En réalité, en 2003, ce sont tous les grands partis qui ont souffert du second choix des électeurs, autre façon de voter utile !
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[14]
Déjà une des plus basses depuis la guerre. Entre 1945 et 2001, la participation aux élections générales a dépassé deux fois 80 % (1950 et 1951) et huit fois 75 % sur un total de 16 élections. La participation de 2001 était de loin la plus basse depuis l’apparition du suffrage universel intégral (1928).
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[15]
Il avait perdu le siège d’Ayr au profit des conservateurs, à l’occasion d’une élection partielle, en septembre 2000.
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[16]
Voir note 13.
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[17]
Le même jour, nous l’avons déjà indiqué, avaient lieu les élections dites « locales », pour le renouvellement total des conseils des collectivités territoriales : 32 autorités uniques « à tout faire » (all-purpose authorities), élues jusqu’à nouvel ordre selon le mode de scrutin traditionnel. Le recul travailliste y est également assez net : 508 sièges contre 551 en 1999, ainsi que celui du SNP : 182 contre 204 ; les autres partis progressent : libéraux-démocrates : 175 (155), conservateurs : 123 (108), SSP : 4 (1) ainsi que les indépendants : 230 (204). Le recul travailliste n’empêche pas ce parti de garder le contrôle des conseils qu’il dirigeait déjà et de prendre le contrôle de deux conseils qu’aucun parti ne dirigeait à lui seul. Les libéraux-démocrates prennent le contrôle d’un conseil. Onze conseils sont sans majorité et doivent être dirigés par des coalitions.
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[18]
Sunday Herald, 4 mai 2003.
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[19]
En fait, les voix des oppositions ont été réduites à 61, car George Reid (SNP), qui était président adjoint dans le parlement sortant, a été élu président sans opposition. Beau geste de la part des travaillistes qui auraient pu imposer l’un des leurs, mais pas tout à fait désintéressé néanmoins car le président est au-dessus des partis et ne vote pas, ce qui fait perdre une voix au SNP et à l’opposition.