Pour 2018/2 N° 234-235

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Article de revue

Regain des semences paysannes

Pour soutenir la diversification de l’alimentation en invitant à changer de regard sur le vivant

Pages 63 à 72

Notes

S’engager pour la diversité cultivée

1 Le développement agricole du siècle dernier s’est appuyé sur une vision industrielle de la production agricole, elle-même enracinée dans la standardisation de nos systèmes alimentaires. Le rapport IPES-Food  [1] de 2016 résume en quelques lignes les conséquences des choix du XIXe siècle et amplifiés après-guerre : « Les systèmes alimentaires et agricoles d’aujourd’hui ont réussi à fournir d’importants volumes de produits alimentaires aux marchés mondiaux, mais produisent des résultats négatifs sur de nombreux fronts : dégradation généralisée de la terre, de l’eau et des écosystèmes, émissions élevées des gaz à effet de serre (GES), pertes de biodiversité, faim persistante et carences en oligoéléments parallèlement à la montée rapide de l’obésité et des maladies liées au régime alimentaire et stress sur leurs moyens d’existence pour les agriculteurs du monde entier. » Le titre du rapport pourrait annoncer un programme qui serait la base d’un renversement de tendance pour l’agriculture de demain : « De l’uniformité à la diversité, un changement de paradigme de l’agriculture industrielle vers des systèmes agroécologiques diversifiés ». Sans avoir attendu ce rapport, et dès les années 2000, dans des réseaux d’acteurs, paysans, jardiniers et chercheurs, nous nous sommes engagés à redéployer la diversité cultivée en redonnant leur place aux semences paysannes. Ma réflexion développée dans ce texte est à la croisée de deux longues expériences, celle de chercheur en agronomie et amélioration des plantes depuis plus de 30 ans et celle de citoyenne engagée dans les associations bio et paysannes (françaises et européennes) depuis 20 ans pour accompagner les paysans et jardiniers redonnant vie aux semences paysannes.

2 Un de nos programmes de recherche DIVERSIFOOD  [2], un projet européen H2020 coordonné par notre équipe, se conclut dans quelques mois et rejoint les experts IPES dans la nécessité du changement de paradigme. Au sein de nos réseaux d’acteurs européens, les activités du projet ont soutenu des exemples concrets de diversification et leur mise en œuvre dans l’ensemble de la chaîne alimentaire :

3

  • en revisitant l’organisation de la recherche qui l’accompagne en Europe,
  • en stimulant la diversification des cultures par la réintroduction des espèces sous-utilisées et oubliées,
  • en adoptant des méthodes de sélection végétale multi-acteurs et participatives pour accroître la diversité inter et intra variétale et l’efficacité de la production de semences à la ferme,
  • en encourageant la gestion collective de l’agro-biodiversité pour rendre autonomes les systèmes agricoles locaux
  • en explorant les conditions de développement des marchés locaux durables capables de valoriser la diversité des produits.

La rupture est profonde

4 En soutenant un regain des semences paysannes, nous touchons à la conception même de la variété cultivée base du système agricole dominant, majoritairement homogène et stable  [3], en cassant la tendance standardisatrice du système de production et en insufflant une vision renouvelée sur du vivant puisque fondée sur sa diversité dynamique. Comprendre la rupture d’aujourd’hui nécessite de prendre conscience de celle qui a précédé. Elle était peut-être plus radicale que celle que nous proposons en ce début de XXIe siècle. Nos contemporains ne réalisent pas toujours les valeurs qui ont sous-tendu le développement du système dominant, dissociant l’homme de la nature. Le monde scientifique considère souvent même qu’ils ont une position neutre, ignorant les racines historiques et philosophiques de cette apparente neutralité. La conscientisation des valeurs de base du monde industriel et de son agriculture, uniquement fondées sur la matérialité (la désignation d’une plante comme « un matériel végétal » en est le symptôme le plus criant chez les biologistes et agronomes) est très faible même si individuellement beaucoup de nos contemporains reconnaissent qu’il n’est pas possible de continuer ainsi. Tous les jours, les titres des journaux ressassent les catastrophes annoncées (changement climatique, pollutions en tout genre et perte de la biodiversité) pour avoir oublié trop longtemps que nous devions coopérer avec Dame Nature.

5 Revenons aux semences pour comprendre l’approche du monde qui en nourrit la conception, et comprendre qu’elles ont traversé deux ruptures successives en trois siècles. Ces ruptures marquent à chaque fois un changement de notre rapport au vivant : on l’oublie puis on le reconnaît à nouveau.

On oublie le vivant

6 L’avènement des variétés modernes a vraiment été marqué par la création des hybrides F1. En 1908, le premier hybride F1 de maïs était créé. Au début de sa commercialisation dans les années 1930, les chercheurs prenaient conscience de l’ampleur de la rupture agronomique et socio-économique qu’elle impliquait. Duvick (2001) reconnaissait que nous introduisions alors dans la nature quelque chose de nouveau, des peuplements parfaitement homogènes, ce qui n’existe pas naturellement, et que nous cassions un lien social, ancestral et fort, entre l’agriculteur et sa semence. Avant l’invention du métier de sélectionneur au XXe siècle, la semence a toujours été attachée au monde paysan à qui nous devons l’ensemble des plantes domestiquées. La semence paysanne renaissant dans les champs des paysans prend exactement le contrepied de la rupture imposée par l’arrivée de la variété hybride F1. La rupture n’est pas seulement technique et socio-économique, elle est aussi culturelle, comme celle qui s’est imposée de façon de plus en plus prégnante depuis les Trente Glorieuses dans les systèmes alimentaires. Bertrand Hervieu (2004) dans un discours prononcé lors des 40 ans du département d’Amélioration des plantes de l’INRA présentait ainsi l’évolution du rapport au vivant : « Ce processus d’amélioration des plantes a instauré et diffusé dans le corps social une culture scientifique marquée par une sorte de distanciation, d’éloignement et même de rupture vis-à-vis de la nature ; ceci afin de la connaître, la transformer et l’utiliser. Il s’agit là d’un processus banal, inhérent à toute démarche scientifique. La particularité de l’amélioration des plantes est que ce phénomène s’est heurté à une vision de la nature héritée des sociétés paysannes. » Cette rupture avec la nature fut totalement assumée par l’imposition des variétés stables et homogènes pour développer à la fois tout le secteur de la sélection végétale et la recherche scientifique associée à ce développement ; en outre, le verrouillage réglementaire empêcha toute autre alternative, avec l’obligation d’inscription à un catalogue officiel des variétés pour toute commercialisation des semences. Cependant, ce verrouillage ne concerna que la vente des semences, pas la sélection à la ferme, ni les échanges de semences dans des collectifs et encore moins leur utilisation.

On reconnaît le vivant :

7 C’est dans cette brèche que les semences paysannes ont pu reprendre le cours de leur histoire grâce au retour d’une pratique paysanne de l’agriculture, stimulée pour développer une bio authentique. La citation de Bertrand Hervieu, alors président de l’INRA en 2004, résumait bien le rapport du scientifique à la nature, celui-ci travaille pour la transformer et l’utiliser, offrant un produit de recherche incompatible avec l’agriculture paysanne.

8 La semence paysanne est définie par son origine, ses méthodes de sélection et l’organisation sociale qui sous-tend son existence (voir encadré). Le Réseau Semences paysannes a été créé en France en 2003 pour accompagner l’aventure du renouveau de la sélection paysanne sous l’impulsion des paysans isolés chacun dans leur ferme (ayant commencé au moment des années 2000) et grâce aux organisations paysannes et de l’agriculture biologique. Aujourd’hui, il regroupe 90 associations ou organisations de paysans, jardiniers, chercheurs, investis dans le renouveau de la diversité cultivée.

Définition de la semence paysanne*

Les semences (1) paysannes sont des semences issues d’une population ou d’un ensemble de populations dynamiques (2) reproductibles par le cultivateur, sélectionnées et multipliées avec des méthodes non transgressives de la cellule végétale et à la portée du cultivateur final, dans les champs, les jardins, les vergers conduits en agricultures paysanne, biologique ou biodynamique. Ces semences sont renouvelées par multiplications successives en pollinisation libre et/ou sélection massale, sans autofécondation forcée sur plusieurs générations. Elles sont librement échangeables dans le respect des droits d’usage définis par les collectifs qui les font vivre.

* https://www.semencespaysannes.org/les-semences-paysannes/qui-sommes-nous.html

Du blé paysan à l’holobionte  [4]

9 À la fin des années 1990, des paysans boulangers partirent à la recherche de blés qui allaient leur fournir des farines adaptées à la boulange au levain naturel, offrant une diversité de saveurs que les blés modernes ne pouvaient plus donner. Leur aventure est résumée simplement par Anaïs Cramm et Lorène Lavocat (2015) dans un article de Reporterre « Les pieds dans la terre et les mains dans le pétrin, ils vont à contre-courant de l’industrialisation de la boulangerie et de la culture du blé. Les paysans boulangers réinventent le métier en remettant au goût du jour les semences paysannes. Ils s’émancipent des industries semencières afin de ne plus dépendre du système agricole industriel ». Vingt ans après les premières recherches de blés anciens (le plus souvent retrouvés dans les centres de ressources génétiques), des réseaux d’agriculteurs (Chable et al., 2014) ont largement diversifié la démarche et ont expérimenté de nouvelles stratégies de sélection (Rivière et al., 2013), à partir de la sortie de collection de blés sélectionnés entre la fin du XIXe et le milieu du XXe (pour éviter les variétés issues de la sélection moderne, avec des qualités boulangères spécifiques de la boulange à la levure, et des biotechnologies incompatibles avec les principes de l’AB). Dans une étape suivante de retour à la diversité, ces mêmes paysans se sont intéressés aux autres céréales appelées céréales mineures. L’exploration des collections s’élargit et s’étend aussi aux différentes formes de transformation pour mettre en valeur ces céréales avec des aliments les plus variés pour les consommateurs curieux et gastronomes. L’une de nos espèces fétiches est le blé poulard  [5], totalement oublié depuis un siècle, alors qu’une grande collection existe dans les centres de ressources génétiques européens. Il était particulièrement adapté à la confection des pâtes, des biscuits dans la partie nord de l’Europe là où le blé dur ne peut avoir les caractéristiques souhaitées à cause du climat.

10 Des projets locaux, en réseaux au niveau national et européen, amplifient le caractère démonstratif  [6] de cette forme de regain de la diversité cultivée, comme le projet DIVERSIFOOD conçu pour valoriser les espèces oubliées ou sous-valorisées. Considérant chaque étape de production étroitement dépendante des autres, la recherche collective prend en compte aussi toutes les questions stratégiques pour une production biologique efficace de la graine à l’assiette. Plusieurs méthodes de sélection sont expérimentées : sélection massale (positive ou négative) ou encore généalogique, à partir d’une nouvelle diversité créée par mélange de populations, CCP (Composite cross population) ou croisement simple. En parallèle de la sélection, nous étudions les facteurs de la santé des plantes en commençant par l’état sanitaire des semences et les facteurs de qualité des produits comme les levains, et leur diversité en fonction des pratiques et de la sélection paysanne. Pour la santé des semences, là encore, c’est toujours la diversité qui prévaut. Nous nous intéressons au microbiome de la semence, son interaction avec son terroir et aux pratiques dans une gestion globale de la santé des semences (Klaedtke et al, 2016, Klaedtke et al, 2018), pour sortir de la vision réductrice seulement associée à la présence ou non d’agents pathogènes, concept sur lequel est basée toute la réglementation sanitaire. Les semences paysannes par leur lien indissociable au terroir, questionnent et élargissent le paradigme dominant basé sur la seule notion de la présence ou non d’agents pathogènes. La conception récente de la plante comme holobionte facilite le développement de nouveaux modèles de compréhension de la coopération entre la plante et les microorganismes (Shahzad et al, 2018 ; Vanderkoornhuyse, 2015) et va aider à soutenir la pertinence des pratiques en agriculture biologique et à faire évoluer des normes inadaptées, notamment pour les aspects sanitaires. Ces expériences invitent à un regard sur le vivant qui porte son attention sur les relations de complémentarité et de synergie, plutôt que sur la lutte. Des chercheurs participent depuis des années à rétablir la véritable loi du vivant, comme Lynn Margulis  [7], pionnière dans son domaine où la planète est considérée comme un « super-organisme » ou très récemment, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, avec « L’entraide, l’autre loi de la jungle »  [8]. C’est partir de l’entraide, « principe même de l’évolution du vivant : les organismes qui survivent le mieux aux conditions difficiles ne sont pas les plus forts, mais ceux qui arrivent à coopérer ». Nous pouvons encore citer l’ouvrage « Jamais seul »  [9] de Marc-André Sélosse pour inviter à cette prise de conscience de la dépendance des êtres vivants entre eux.

Salvatore Ceccarelli, chercheur pionnier de la sélection participative, expliquant la sélection de population de blé à des paysans italiens

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Salvatore Ceccarelli, chercheur pionnier de la sélection participative, expliquant la sélection de population de blé à des paysans italiens

Photo : crédit V. Chable INRA

S’organiser collectivement

11 De la même façon que les pionniers de la semence paysanne regardent et comprennent le vivant, ils s’organisent entre eux pour favoriser les échanges. Cette coopération entre les hommes a été fondamentale pour faire émerger et se développer des associations mobilisées autour de la semence paysanne et une production alimentaire de qualité. En France, on les appelle les associations semences ou Maisons de semences paysannes (Community seed banks  [10] est le terme choisi pour l’exprimer en anglais). Ce sont des espaces d’apprentissage et des lieux d’échange de savoirs autant que de semences. Le lien très fort entre semences et savoirs est la clé du regain de la diversité cultivée, comme il a été sa perte lors des efforts de modernisation de l’agriculture partout dans le monde (d’Alessandro et Linck, 2017). En outre, c’est au niveau local que les acteurs (paysans, jardiniers, chercheurs) partagent le matériel pour battre et nettoyer leur semence.

12 Pour réaliser l’ampleur du défi que représentent les semences paysannes en agriculture dans le monde contemporain, il faut revenir au processus de rupture avec la nature instillé dans le corps social par la culture contemporaine dominée par le monde scientifique. La rupture précédente date du XVIIe siècle et nous vaut le monde contemporain que certains conçoivent comme une véritable ère géologique, l’anthropocène (Lewis et al, 2015), tant l’impact sur la planète est puissant. Le développement clé des 3 derniers siècles est la rationalisation (Hardeman et al, 2012), qui consiste à échanger la diversité de l’agriculture – tant entre les régions géographiques qu’entre les différents types d’agriculture – contre des « méthodes raisonnables » reposant sur des connaissances scientifiques applicables partout. Cette diffusion fut possible parce que les croyances sur la valeur de la vie et de l’environnement ont changé à cause du mouvement des Lumières. La nature devint alors uniquement constituée de matériaux sans valeur intrinsèque, et l’homme libre d’en modifier l’arrangement. Les penseurs des Lumières ayant considéré la religion comme une source superflue de sens de la vie, ils ont proposé de nouveaux objectifs ancrés dans la matière du monde avec ses seules valeurs en remplacement de toute dimension transcendante.

13 Plus récemment, les décideurs politiques de l’après-guerre étaient très concentrés sur l’amélioration de l’efficacité de l’agriculture, en diffusant des résultats scientifiques spécifiques avec une organisation top-down de la vulgarisation agricole. Dans ce contexte, l’agriculteur, lui aussi, change de métier (Hubert, 2010). Il n’est plus un paysan aux activités multiples, mais devient un producteur spécialisé, un « exploitant agricole », dont l’efficacité n’est mesurée qu’en termes technico-économiques. La « re-paysannisation » est en cours dans le monde (van der Ploeg, 2008) ; elle s’accompagne d’une nouvelle approche de la recherche pour créer ensemble avec les réseaux paysans : la recherche participative, multi-acteurs et transdisciplinaire, qui se délocalise là où l’innovation émerge et qui intègre toutes formes de savoirs. S’il paraît évident que l’agriculture paysanne réconcilie l’homme et la nature, elle redonne aussi au paysan un statut social revalorisé, il redevient maître de ses savoirs et ne dépend plus d’un système conseils top-down (Ortolani et al., 2017). Dans la chaîne alimentaire, l’objectif est de requalifier les métiers, du paysan  [11] au cuisinier en incluant des artisans  [12], en même temps que sa diversification ancrée dans un territoire.

14 Un tel changement s’opère en marge du dispositif « top-down » mis en place après-guerre pour le développement agricole qui allait de la recherche agronomique publique, aux services d’appui technique et à la formation professionnelle. À l’inverse, il se conçoit et se construit de façon bottom-up dans les réseaux paysans qui s’organisent au niveau local, régional et européen, telle la Coordination Européenne Let’s Liberate Diversity  [13].

Au risque du changement d’échelle

15 Les points de vigilance pour l’avenir concernent la mise en œuvre du changement d’échelle de la renaissance de l’agriculture paysanne et du regain des semences paysannes, aussi lié à celui de l’agriculture biologique, de toutes ces agricultures en rupture avec le modèle dominant productiviste. Certains acteurs du système alimentaire dominant, notamment de la grande distribution, ont bien intégré la demande des citoyens pour une alimentation plus saine et un environnement mieux préservé, mais leur logique économique est celle qui a prévalu en favorisant l’industrialisation de l’agriculture. Il y a là un paradoxe difficilement tenable dans la durée  [14]. Cependant, quelques groupes tentent de coopérer comme en Bretagne, entre quelques membres de l’association Kaol kozh (une association semence bretonne) et le géant de la distribution Carrefour. Cette situation a été créée par la persistance d’un système de production (hérité d’une organisation agricole d’un territoire pour vendre en circuit long) et le manque d’un système économique cohérent fondé sur les valeurs paysannes et celles de l’agriculture biologique. Les débats sont vifs  [15] au sein des acteurs de la semence paysanne. La grande majorité reste attachée aux formes de vente déjà bien ancrées dans les valeurs de la bio paysanne (AMAP, marchés de plein vent, magasins à la ferme, Biocoop). La suite voudrait que le public devienne davantage sensibilisé aux vraies questions de semences, d’agriculture et d’alimentation d’aujourd’hui. Une culture fondée sur le vivant manque aussi à tout citoyen pour induire chez lui une curiosité quant à l’origine de l’alimentation et au travail des paysans pour inventer une agriculture basée sur la diversité et promouvant la santé des hommes et de la planète. Cette culture du vivant n’est même pas encore profondément ancrée chez tous les acteurs de l’agriculture biologique, qui s’accommodent souvent trop bien des concepts de l’agriculture industrielle (d’où les débats sur la conventionalisation de la bio), en utilisant par exemple des variétés commerciales stables et homogènes, pénalisant ainsi leur agroécosystème par l’homogénéité génétique de leur culture et le passé en sélection qui a coupé les plantes de beaucoup d’interactions positives avec les micro-organismes, notamment ceux du sol. Le message est aussi troublé par l’approche « scientiste » de l’agroécologie dans laquelle seuls les outils modernes (génétique, technique et numérique) pourront véritablement offrir les moyens de produire assez de nourriture. Du côté de la génétique, les promesses sont toujours les mêmes à chaque avancée technologique, la dernière fera mieux que la précédente qui déjà promettait de résoudre les problèmes agricoles. Les promoteurs du numérique oublient les demandes énergétiques non soutenables de cette technologie.

Conclusion

16 Les paysans engagés dans ce renouveau des semences paysannes ont conscience d’initier un mouvement bien plus profond qu’un simple choix de variété. Ils sèment des graines d’un renouveau agricole, et bien plus encore, d’un renouveau culturel ; ils témoignent d’un compagnonnage avec le vivant comme des journalistes en font écho avec des mots jusque-là réservés au monde des arts  [16]. L’approche sensible décuple la compréhension matérielle, stimulant l’inventivité des paysans et des artisans, et donnant à l’agriculture autant de formes que de milieux, au sens donné par le philosophe Augustin Berque  [17], évoluant avec l’histoire et les conditions naturelles du lieu, dans un rapport dynamique et réciproque entre tous les êtres vivants. Reste à inventer le monde politique et économique qui soutienne cette pluralité avec tous ceux qui ont compris que les paysans ne peuvent pas porter tous seuls la responsabilité de remettre de la vie dans les campagnes et dans les assiettes.

Références

  • Chable V., Serpolay E. (2016). Recherche multi-acteurs et transdisciplinaire pour des systèmes alimentaires bio et locaux – A multi-actors and transdisciplinary research for organic and local food systems. Techniques de l’Ingénieur AG103 (10 janvier 2016).
  • Cramm A., Lavocat L. (2015). Les paysans-boulangers cultivent les graines de résistance – 22 mai 2015/Reporterre https://reporterre.net/Les-paysans-boulangers-cultivent-les-graines-de-resistance
  • d’Alessandro R., Linck T. (2017). Diversité, variabilité, connectivité : Mobiliser les savoirs locaux pour cultiver la biodiversité, Développement durable et territoires, 8(1). DOI : 10.4000/developpementdurable.11548
  • Duvick D.N. (2001). Biotechnology in the 1930s: The development of hybrid maize. Nature Reviews (2):69:74
  • Hardeman E., Jochemsen H. (2012) Are There Ideological Aspects to the Modernization of Agriculture ? J Agric Environ Ethics, 25: 657-674.
  • Hervieu B. (2004) L’amélioration des plantes, un domaine emblématique pour l’INRA : histoire, identité, horizons. Actes du colloque L’Amélioration des Plantes, continuités et ruptures. Pierre Boistard, Claire Sabbagh et Isabelle Savini, Eds. Montpellier, 17-18 octobre 2002.
  • Hubert B. (2010) L’agronomie, science de l’agriculture ? Le Mouvement Social, 233(4), 143-157. DOI : 10.3917/lms.233.0143
  • Klaedtke S., Jacques M.A., Raggi L., Préveaux A., Bonneau S., Negri V., Chable V. and Barret M. (2016) Terroir is a key driver of seed-associated microbial assemblages. Environmental Microbiology 18(6): 1792-1804.
  • Klaedtke S., Melard F., Chable V., Stassart P. (sous presse) Microbiologie d’une identité professionnelle – Une tentative d’artisans semenciers de reconstruire la santé des plantes avec la vie microbienne. Du vivant au social : les semences en question. Études Rurales, 202.
  • Lewis S.L., Maslin M.A. (2015) Defining the Anthropocene, Nature, 519: 171-180. DOI : 10.1038/nature14258, Published online 11 March 2015 http://www.nature.com/nature/journal/v519/n7542/full/nature14258.html
  • Ortolani, L., Bocci, R., Barberi, P., Howlett, S. and Chable, V. (2017) Changes in Knowledge Management Strategies Can Support Emerging Innovative Actors in Organic Agriculture: The Case of Participatory Plant Breeding in Europe. Organic Farming 3(1), 20-33. DOI : 10.12924/of2017.03010020
  • Rivière P., Pin S., Galic N., de Oliveira Y., David O., Dawson J., Wanner A., Heckmann R., Obbellianne S., Ronot B., Parizot S., Hyacinthe A., Dalmasso C., Baltassat R., Bochède A., Mailhe G., Cazeirgue F., Gascuel J-S., Gasnier R., Berthelot J-F, Baboulène J., Poilly C., Lavoyer R., Hernandez M-P, Coulbeaut J.-M., Peloux F., Mouton A., Mercier F., Ranke O., Wittrish R., de Kochko P., Goldringer I. (2013). Mise en place d’une méthodologie de sélection participative sur le blé tendre en France. Innovations Agronomiques, 32, 427-441
  • Shahzad R., Khan A.L., Saqib Bilal S., Asaf S., Lee I.J (2018) What Is There in Seeds? Vertically Transmitted Endophytic Resources for Sustainable Improvement in Plant Growth. Front. Plant Sci., 23 January 2018. DOI : 10.3389/fpls.2018.00024
  • van der Ploeg J.D. (2008) The New Peasantries – Struggles for Autonomy and Sustainability in an Era of Empire and Globalization, Earthscan London-Sterling VA.
  • Vandenkoornhuyse, P., Quaiser, A., Duhamel, M., Le Van, A., and Dufresne, A. (2015). The importance of the microbiome of the plant holobiont. New Phytol., 206, 1196-1206. DOI : 10.1111/nph.13312.

Date de mise en ligne : 15/05/2019

https://doi.org/10.3917/pour.234.0063

Notes

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