Notes
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[1]
Dans son étude, la MRIE a choisi de parler de « modes de garde » plutôt que de « modes d’accueil du jeune enfant ». Ce choix s’est imposé au cours de nos échanges avec les parents en situation de précarité que nous avons interrogés puis rencontrés : ils parlent de « modes de garde », l’étude ayant pour objet leurs réalités, il a semblé cohérent de nous approprier leur désignation. Par ailleurs, cette étude analyse plusieurs types de garde d’enfants, institutionnelle et informelle, l’expression « modes de garde » recoupe l’ensemble de ces pratiques, ce qui n’est pas le cas pour « modes d’accueil du jeune enfant ».
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[2]
Sous certaines conditions une personne seule avec des enfants peut voir son montant RSA augmenté. Cette majoration concerne les personnes seules, veuves ou séparées avec enfants à charge. Le RSA majoré s’applique pendant 1 an à compter d’une séparation, même avec des enfants à charge âgés de plus de 3 ans. L’âge de l’enfant, et notamment le fait qu’il ait moins de 3 ans, permettra par contre de prolonger la durée de cette majoration.
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[3]
Ardèche, Drôme, Isère et Rhône. Sur les 772 questionnaires reçus, 109 proviennent de l’Ardèche, 264 de la Drôme.
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[4]
Citons à titre d’exemple les travaux d’Isabelle Deligne et l’évaluation de l’expérimentation « parler bambins » à Grenoble.
1Interroger l’accès aux modes de garde [1] du jeune enfant pour les familles monoparentales en situation de précarité revient à questionner deux réalités : celle de l’accès à l’emploi, renforcé depuis la mise en place du RSA, mais également celle du développement de l’enfant. Si la loi fixe des objectifs en matière d’accès aux modes d’accueil collectifs pour les bénéficiaires de minima sociaux, son effectivité n’est pas pour autant mesurée.
2Quel accès aux modes de garde pour les familles allocataires du RSA majoré [2] ? Quels impacts sur leur situation professionnelle ? Quelles attentes formulent-elles ? Comment s’organisent-elles au quotidien ? Cette étude, réalisée en partenariat avec le Conseil Régional, quatre Départements et quatre Caf de la région [3], apporte des éléments de réponse à ces questionnements.
La méthodologie de l’étude en quelques mots
Sur quoi l’étude base-t-elle ses conclusions ?
3 sources d’informations principales :
- un questionnaire : 5 010 envois, 772 retours ;
- des entretiens avec des familles concernées ;
- des entretiens avec des professionnels engagés dans les sphères de l’emploi ou de la petite enfance.
3Pour la réalisation des entretiens avec les familles concernées, nous avons rencontré des mères, âgées de 19 à 37 ans. Nous nous sommes retrouvés dans une position particulière : ce sont les personnes interviewées qui nous ont engagés dans leur quotidien : mettre la table, aider des petits à manger, conduire des plus grands à leurs activités, autant de mouvements qui ont constitué une participation observante aux contraintes temporelles et organisationnelles du planning de certains monoparents. En accompagnant, en faisant, l’entretien prenait une tournure moins formelle, plus conversationnelle et des éléments de compréhension étaient ainsi exprimables et appréhendables par des moments partagés. Les matériaux issus des entretiens, ajoutés à ceux produits par les observations directes forment donc un ensemble homogène.
4Ce travail n’avait pas pour objet d’étudier la situation des allocataires du RSA majoré quant à leurs modes de garde dans les zones dites rurales : les résultats présentés ici concernent l’ensemble des départements impliqués. Pour autant, nous avons choisi de ne présenter que des données qualitatives récoltées dans le département de l’Ardèche, éléments qui permettent modestement d’appréhender des réalités plus spécifiquement liées aux territoires, au lieu de vie de ces familles.
Des familles déjà fragiles davantage précarisées par la rupture conjugale
5Les monoparents sont essentiellement des mères (pour 97 %), souvent en situation de fragilité antérieure, la rupture conjugale renforçant ou réalisant alors la précarité. Près de 40 % d’entre elles vivent seules depuis plus de trois ans ou depuis la naissance de leur(s) enfant(s). Avant même la mise en couple, la situation socio-économique de ces femmes apparaît instable, en attestent les niveaux de diplômes : la moitié des répondants au questionnaire dispose, au mieux, du brevet des collèges. Pour certaines, la rupture conjugale a remis profondément en cause leur projet de vie, fragilisant ainsi fortement leur situation. C’est le cas, par exemple, de celles qui se projettent avant tout en tant que mère de famille et pour lesquelles ce rôle est prioritaire.
Ardèche – juillet 2013
Wendy m’accueille dans une grande maison avec étage, qu’elle loue malgré le départ de son compagnon, qui ne participe donc plus au loyer et aux charges. Le salon-cuisine est spacieux, ordonné, il y fait frais malgré l’étouffante chaleur de l’extérieur. Devant sa maison, sa voiture, en piteux état, est garée. Elle fumera quelques cigarettes pendant l’entretien.
Elle est stressée car ne sait pas où habite la personne chez qui elle doit faire le ménage. Son travail s’effectue souvent dans des endroits différents, tous situés dans la ville ou à proximité, mais son planning est très changeant, ce qui la gêne pour s’organiser, pour faire les courses ou s’occuper de sa maison et évidemment de ses enfants. L’an dernier, elle avait passé tout l’été avec eux, c’est la séparation avec son mari qui est venue changer ses habitudes.
Wendy a terminé sa scolarité avant la fin de sa 3e sans obtenir de diplôme. Elle n’était pas intéressée par l’école et ne cherchera pas pour autant à travailler. Elle restera chez sa mère et rencontrera un homme. Il est routier et elle l’accompagnera sur certains de ses trajets, car elle ne voulait pas le quitter. Elle emménage tout de suite chez lui, mais cette relation s’arrêtera rapidement. Elle retournera vivre chez sa mère, pour repartir un mois plus tard avec un autre homme. Elle tombe enceinte quatre mois plus tard, par accident, mais décide de garder l’enfant. Elle ne veut toujours pas travailler. Elle aura ensuite trois autres enfants avec celui qui deviendra son mari. Elle ne les fera jamais garder. Elle s’estimait alors être une mère au foyer et l’éducation et les soins que les enfants requièrent prenaient tout son temps. Son mari avait l’entière responsabilité économique de la famille.
Depuis leur séparation survenue en début d’année, il a pris un appartement et reçoit ses enfants épisodiquement. Il est souvent en déplacement hors de la région et essaye tant bien que mal de les voir, mais cela reste compliqué. Économiquement, conserver sa maison est difficile pour Wendy. Elle s’est donc inscrite dans une entreprise d’intérim et travaille à temps partiel, avec des horaires coupés (par exemple de 9 à 11 heures puis de 15 à 16 heures) et qui varient chaque jour. Les plus grands de ses enfants sont au centre aéré de la ville, ce qui ne lui pose aucun problème. La dernière est chez une nounou agréée. Wendy en est satisfaite, elle lui fait confiance. Cela n’a pas été évident pour elle de laisser sa fille à quelqu’un. Ce n’était pas tant la crainte du niveau de compétences de l’assistante maternelle, mais plus la peur que sa fille s’attache et qu’elle développe des liens avec une autre femme. Au début, elle appelait plusieurs fois par heure pour être certaine que les choses allaient bien. Pour ses premiers enfants, la question de la garde ne s’était jamais posée et le recours à une nounou a été déstabilisant. Si Wendy a choisi de faire appel à ce mode de garde, c’est avant tout parce qu’elle n’avait pas confiance dans les crèches, qu’elle juge trop impersonnelles. Elle se pose des questions d’ailleurs sur les compétences des salariés qui y travaillent.
6Dans la plupart des situations, le père une fois devenu ex-conjoint ou ex-partenaire occupe schématiquement deux places bien distinctes. Il peut s’agir soit d’un père très présent, relais dans la garde et possédant un rôle éducatif central, soit d’un père relégué au second plan, voire absent. Tous ne reconnaissent pas leur paternité. Ce positionnement du père vis-à-vis de l’enfant questionne ici la teneur des liens qui préexistent à la rupture.
Ardèche – juillet 2013
Je suis en avance sur le rendez-vous, j’appelle donc Kélia pour savoir si notre entretien peut se faire plus tôt. Elle me demande d’attendre un petit quart d’heure, j’imagine qu’elle veut que son appartement soit parfaitement présentable. Il est ordonné et vide. Les rares meubles sont vieux, de mauvaise facture. Si la maison est propre, l’habitat est dégradé, le lino au sol ne tient plus, les tapisseries tombent et les portes ne ferment pas correctement. C’est sa fille qui me fera visiter les lieux. Elle me parle peu, mais ne semble pas intimidée. Sa mère lui interdira d’ouvrir la porte de sa chambre, puisqu’elle héberge une amie qui dort encore. Elle possède 4 ou 5 chats, qui vont et viennent tout le temps de l’entretien. Elle fume des cigarettes en buvant un café noir. Dans sa chambre, sa petite fille joue, sous la surveillance de son oncle, qui a 13 ans. Ils regarderont la télé (une dans la chambre, une dans le salon). Cette chambre est pleine de jouets à même le sol car mis à part son lit et une petite commode à vêtements, il n’y pas de meubles. Elle s’installera un temps à la table avec nous, je lui prêterai mon stylo et une feuille de cahier pour qu’elle dessine. Elle sera intriguée par l’enregistreur qu’elle compare à son faux téléphone portable. Pendant l’entretien, la mère de Kélia passera. Elle est surprise de voir un inconnu chez sa fille et me demandera de préciser plusieurs fois le but de ma visite. Elle habite dans le bâtiment situé à côté, dans l’appartement où Kélia et ses frères et sœurs ont tous grandi sans qu’un papa ne s’installe jamais. Sa mère n’a jamais travaillé, seulement fait quelques formations ci et là. Elle a toujours eu des difficultés à régler ses factures et le RSA activité lui permet de mieux vivre. Elle n’a jamais voulu recourir à la solidarité d’associations, que ce soit pour les vêtements ou pour la nourriture. Elle est fière de pouvoir acheter un ensemble par mois à sa fille au marché. Kélia a le prénom de sa fille tatoué sur le bras, elle l’a fait faire par un ami, chez elle.
Kélia s’est installée dans une HLM du quartier dans lequel elle a grandi. Elle ne possède aucun diplôme car elle ne se présenta pas à son examen du CAP restauration, pour des problèmes médicaux et des conflits avec sa mère. Elle essayera même de mettre fin à ses jours, suite à quoi elle connaîtra un placement long en clinique. Tout le long de nos échanges, elle n’évoquera jamais son père, ni ceux de ses 6 frères et sœur. Une figure largement absente de son schéma familial.
Kélia a vécu quelque temps à la rue et a ensuite été hébergée dans un CHRS. Elle sera par la suite prise en charge par la sauvegarde de l’enfance avec laquelle elle gardera de très bons contacts.
Elle ne voit plus le père de l’enfant, qu’elle avait rencontré pendant une période trouble (après son séjour en clinique) et qui la battait. Il n’a pas reconnu l’enfant mais essaye parfois de la voir, ce qui inquiète Kélia. Il est parfois menaçant, elle dépose régulièrement plainte. Elle considère sa grossesse comme un choc, un signe pour changer de vie et quittera cet homme peu après être tombée enceinte.
Elle a signé depuis peu un CAE de 3 ans comme correspondant de nuit pour la ville où elle réside. Elle est enthousiaste et s’estime capable. Elle a d’ailleurs envie de commencer une formation en médiation sociale et s’est renseignée pour faire une mise à niveau en français, matière qui lui pose d’importants problèmes. Ses plages horaires sont atypiques, puisqu’elle travaille 5 jours par semaine, sans forcément avoir ses week-ends, de 18 heures à une heure du matin.
En parallèle, elle est pompière volontaire, avec des astreintes à respecter, et des horaires très changeants. Elle apprécie l’idée de pouvoir se sentir utile et de rendre service. Elle considère que des éducateurs ont su l’aider, elle espère pouvoir faire de même avec des jeunes de sa ville.
Concernant la garde de sa fille, Kélia est catégorique : les seules personnes qui sont à ses yeux en mesure de s’en occuper sont les membres de sa famille, plus spécialement sa mère et sa petite sœur de 16 ans. Elle ne la laissera à aucune assistante maternelle, agréée ou non : « y’a des nounous agréées qui font n’importe quoi, ils le donnent à tout le monde l’agrément, faut pas croire ». Pour les crèches, le problème est le même : « il peut y avoir n’importe qui dans les crèches, ils font rentrer tout le monde et y’a pas que des gens biens ». Sa mère est entièrement d’accord avec elle, et porte exactement les mêmes considérations. Elles ne comprennent pas que des gens puissent avoir envie de garder des enfants qui ne sont pas les leurs. Kélia a entièrement confiance en sa mère, qui a toujours la charge de 3 de ses frères et sœur (10, 13 et 16 ans). Elle laisse donc sa fille chez elle lorsqu’elle part travailler. Avant d’emménager dans le quartier de son enfance, Kélia a eu un appartement en centre-ville, trop éloigné pour pouvoir laisser sa fille à sa maman. Elle profitait alors de la proximité du collège de sa petite sœur pour la lui faire garder, en échange de quoi elle l’hébergeait. Ainsi, la garde reste exclusivement familiale. Ici c’est la question de la confiance et du rapport à la famille qui est en jeu : l’enfant doit d’être gardé et en même temps protégé, missions dévolues exclusivement à des personnes très proches, à la famille nucléaire. C’est avec beaucoup de fierté que Kélia me dira que ses frères s’occupent très bien de leur nièce. Ainsi, sa petite fille n’a jamais été gardée par quelqu’un qui n’appartienne pas à ce cercle, malgré les horaires extrêmement décalés de sa maman. La famille est unie autour de l’enfant, dans un cercle qui ne s’ouvre pas. L’absence du père vient également compléter cette tradition familiale puisque Kélia n’a pas été élevée par un homme. Pour cette mère, il n’est pas question de faire appel à un mode de garde autre que sa famille. Elle est consciente qu’elle est donc obligée de rester géographiquement proche de sa mère et de ses frères et sœurs mais cela ne la dérange pas. Son CAE est d’une durée de 3 ans et elle ne s’imagine pas vivre ailleurs. Les liens familiaux semblent suffisamment forts pour la maintenir dans cette ville et dans cette vie.
Pour les gardes régulières, respectivement occasionnelles, comment faites-vous garder vos enfants ? (Taux de réponse : 86 %, resp. 82 %)
Pour les gardes régulières, respectivement occasionnelles, comment faites-vous garder vos enfants ? (Taux de réponse : 86 %, resp. 82 %)
Un recours aux gardes à visée professionnelle, des solutions plus souvent familiales ou amicales
7Les familles interrogées sont très nombreuses à recourir à des solutions de garde pour leurs enfants. Près de sept familles sur dix disent y avoir recours régulièrement ou occasionnellement, et bien souvent les deux. Aussi, le stéréotype de la mère isolée qui passerait toutes ses journées avec ses enfants reste rarissime. Fait marquant de l’étude : plus des deux tiers de ceux qui font garder leurs enfants le font pour aller travailler et/ou chercher du travail, une donnée statistique confortée par nos entretiens.
Ardèche – juillet 2013
Catherine et son fils Jules vivent dans un appartement loué, à proximité d’un ensemble HLM. Ils disposent de peu d’espace car les meubles de l’ancienne maison n’étaient pas prévus pour une telle surface. Ils sont installés ici depuis quelques mois, ce qui permet à Catherine de se remettre de sa séparation, de se poser un peu. L’imposante table en bois du salon prend beaucoup de place. Son fils est là, timide mais curieux. Catherine n’est pas allée au bout de sa scolarité. À 18 ans, elle doit quitter le lycée avant de passer son Baccalauréat en Commerce : sa mère, qui élève seule 5 enfants n’est pas en mesure de les faire vivre. Elle cherche donc un travail et devient rapidement autonome vis-à-vis du logement. Elle rencontre un homme et s’installe avec lui. Ensemble ils auront un enfant, aujourd’hui âgé de 14 ans. Elle le quitte suite à des violences conjugales répétées. Depuis peu, son fils a décidé de vivre avec son père, ce qui la peine, mais elle souhaite respecter ses décisions. Après cette séparation, elle rencontrera le père de son deuxième enfant. Ils décident de faire construire ensemble et s’installent. Ils se séparent sans pouvoir s’entendre sur la question de la maison et elle préfère la laisser à son ancien compagnon avec ses deux enfants, nés d’une autre union. Sa situation et l’avenir de son deuxième enfant la stressent beaucoup. La séparation, le déménagement et toute la nouvelle organisation de sa vie n’étaient évidemment pas prévus. Elle se sent parfois fragile et pour se détendre et penser à autre chose, elle part courir lorsque son fils est chez son père.
Catherine est salariée depuis près de 10 ans. Elle est en CDI mais a des difficultés pour payer la totalité de ses factures. Une assistance sociale lui a fait remarquer qu’elle pouvait être allocataire du RSA activité. Elle vit relativement mal ce recours, elle n’imaginait pas devoir un jour faire appel à l’aide sociale pour boucler ses fins de mois. Ce déclassement social est pénible pour elle.
Pour y pallier, elle fait parfois des heures supplémentaires. Elle commence ses journées plus tôt, son créneau 7 h-13 h devenant 6 h-13 h Elle est alors obligée de laisser son fils à son père dès la veille, pour ne pas avoir à le réveiller trop tôt. Même s’ils ne s’entendent plus, ils cherchent à préserver l’enfant de leurs problèmes. Le fait de le laisser le soir l’ennuie car elle aimerait pouvoir passer plus de temps avec lui. Pour autant, elle n’a pas trouvé d’établissement ou d’assistante maternelle qui fonctionne sur ces créneaux-là et elle n’apprécierait pas de devoir le réveiller à 5 heures du matin. L’entente entre les deux parents permet une garde facilitée et qui ne coûte rien. De fait, elle dépend donc de son ancien compagnon, ses parents et beaux parents vivent trop loin pour pouvoir être sollicités. Elle fait également appel à une mère qui ne travaille pas et dont le fils est en classe avec le sien. Elle ne ressent aucune appréhension à le laisser garder par une autre, elle sait que c’est une femme de confiance.
Elle aimerait pouvoir changer de métier pour avoir un salaire plus élevé, mais le fait qu’elle puisse disposer de toutes ses après-midi lui permet d’être avec son fils et de le récupérer à chaque sortie d’école. C’est un dilemme pour elle, car elle a conscience de sa précarité, et espère rapidement ne plus être allocataire du RSA. Sans cette prestation, elle ne serait pas en mesure de louer. Son emploi est stable et était suffisant avec le salaire de son ancien compagnon mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Elle a choisi un appartement avec un loyer qu’elle pensait suffisamment bas, mais les fins de mois restent difficiles et les aides sociales sont essentielles.
Lorsqu’elle ne commence pas trop tôt, elle emmène son fils au centre aéré (périscolaire), une structure qu’elle connaît bien. En rentrant du travail, elle va le chercher pour pouvoir passer du temps avec lui. Même s’il n’y est inscrit que pour des matinées, le coût pendant les vacances est important et c’est une des charges qu’elle n’avait pas envisagées. C’est également pour cela qu’elle fait parfois appel à son amie. En échange de la garde, elle se propose de garder son fils, mais l’occasion ne s’est pas encore présentée.
Quant à la nature des gardes utilisées, de fait, le recours aux professionnels de la petite enfance est moins courant, et choisi plus spécifiquement par les monoparents les plus diplômés. Globalement, le « système D » est fréquemment de rigueur : garde par la famille, les voisins ou amis. Enfin l’autre parent de l’enfant est une solution de garde plus souvent subie que réellement choisie. Ce système D est plus souvent un état de fait que réellement désiré. Il relève plutôt d’un choix par défaut, en attestent les réponses au questionnaire : dans l’idéal, près de 6 parents sur 10 souhaiteraient faire garder ses enfants en crèche ou par une assistante maternelle.
Par qui aimeriez-vous faire garder vos enfants ? (Taux de réponse : 90 %)
Par qui aimeriez-vous faire garder vos enfants ? (Taux de réponse : 90 %)
Les principaux freins identifiés pour faire garder ses enfants
1er frein : le coût, réel ou supposé, trop élevé et/ou trop difficile à évaluer
8La moitié des parents qui rencontrent des difficultés à faire garder leurs enfants évoque le coût trop élevé des gardes professionnelles (crèches, assistantes maternelles, périscolaire). Par ailleurs, les informations reçues et/ou perçues ne semblent pas permettre à ces mères de procéder sereinement à des choix. Nombre d’entre elles font part de leurs difficultés à prévoir le coût exact de ces gardes, en tenant compte des aides existantes et des possibilités de prise en charge partielle par la Caf.
9Cette étude ne permet pas de traiter les résultats selon le lieu de résidence. Pour autant, si l’on considère plus particulièrement les résultats à certaines questions, nous pouvons « approcher » certaines incidences territoriales. Si l’on considère la question de la mobilité par exemple, 14 % des répondants disent avoir des difficultés à faire garder leurs enfants du fait de l’éloignement du lieu de garde (par rapport au domicile ou par rapport au lieu de travail). 23 % des répondants ne travaillant pas actuellement, considèrent que leur inactivité professionnelle est due à une difficulté de transport pour aller au travail. Enfin, 47 % des répondants considèrent que pour eux se déplacer est difficile : 39 % d’entre eux parce qu’ils n’ont pas de permis, 14 % du fait de frais liés au véhicule trop importants (sachant que 25 % des répondants n’ont pas de véhicule) et 11 % à cause de transports en commun mal adaptés.
10Considérant ces éléments, il apparaît que le coût de la garde est augmenté d’autant que les frais de transport qui y sont liés sont importants. Par ailleurs, si l’on intègre la question du temps de transport au-delà du coût, là encore les difficultés à concilier garde des enfants et activité professionnelle sont accentuées par l’éloignement, d’autant plus si l’on considère le fait que 63 % des répondants travaillent à temps partiel : 44 % sur des horaires décalés et/ou 15 % sur des horaires hachés tout au long de la journée.
2e frein : l’absence de places disponibles et/ou le délai trop long pour en obtenir
11Près de la moitié des parents identifient l’absence de places disponibles ou le délai trop long pour les obtenir comme un frein majeur pour faire garder leurs enfants.
3e frein : la relation à l’institution (et non la séparation mère/enfant)
12La séparation mère/enfant ne constitue pas un frein en soi, c’est le rapport à l’institution et à une garde « professionnelle » qui constitue un obstacle important pour le recours aux modes d’accueil du jeune enfant. En effet, une forte majorité de ces parents fait garder ses enfants fréquemment : la séparation n’est donc pas un obstacle en soi. Quand il s’agit de proches en effet, ces mères n’évoquent pas de potentielles difficultés à laisser un relais éducatif prendre la garde. Ces difficultés apparaissent bien plus nettement quand il s’agit de confier leur enfant à une « institution », à une garde professionnelle (crèche ou assistante maternelle). On peut y voir un signe de la difficulté de certains parents à être sous le regard de personnes soupçonnées devoir juger leurs compétences parentales. Cette crainte est souvent dissimulée derrière d’autres arguments, tels que la méconnaissance ou la défiance vis-à-vis de la compétence des professionnels en question, vis-à-vis de leur légitimité, ou encore de la qualité des services proposés.
13Au-delà de l’accès à l’emploi de ces monoparents, cette étude pointe un développement peu soutenu d’enfants qui cumulent un certain nombre de précarités. Si l’on considère les nombreux apports démontrés de l’accueil des jeunes enfants par des professionnels dans leur développement moteur et psychique [4], force est de reconnaître que l’accompagnement de ces enfants qui cumulent des situations de précarité matérielle, d’insécurité affective du fait de la rupture conjugale de leurs parents, et parfois de précarité culturelle, devrait être considéré prioritaire.
Notes
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Dans son étude, la MRIE a choisi de parler de « modes de garde » plutôt que de « modes d’accueil du jeune enfant ». Ce choix s’est imposé au cours de nos échanges avec les parents en situation de précarité que nous avons interrogés puis rencontrés : ils parlent de « modes de garde », l’étude ayant pour objet leurs réalités, il a semblé cohérent de nous approprier leur désignation. Par ailleurs, cette étude analyse plusieurs types de garde d’enfants, institutionnelle et informelle, l’expression « modes de garde » recoupe l’ensemble de ces pratiques, ce qui n’est pas le cas pour « modes d’accueil du jeune enfant ».
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[2]
Sous certaines conditions une personne seule avec des enfants peut voir son montant RSA augmenté. Cette majoration concerne les personnes seules, veuves ou séparées avec enfants à charge. Le RSA majoré s’applique pendant 1 an à compter d’une séparation, même avec des enfants à charge âgés de plus de 3 ans. L’âge de l’enfant, et notamment le fait qu’il ait moins de 3 ans, permettra par contre de prolonger la durée de cette majoration.
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[3]
Ardèche, Drôme, Isère et Rhône. Sur les 772 questionnaires reçus, 109 proviennent de l’Ardèche, 264 de la Drôme.
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[4]
Citons à titre d’exemple les travaux d’Isabelle Deligne et l’évaluation de l’expérimentation « parler bambins » à Grenoble.