Pour 2014/3 N° 223

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Article de revue

Center Parcs : un concept touristique contre nature

Pages 261 à 266

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1Face à de nombreux projets d’implantation de Center Parcs en France, France Nature Environnement et ses associations membres sont très méfiantes vis-à-vis de ce concept touristique se traduisant par la consommation d’espaces naturels et agricoles. Les conséquences sur la biodiversité et sur l’environnement de ce qui n’est rien d’autre que de l’urbanisation, se révèlent bien éloignées du rêve d’une nature préservée vendu par Center Parcs. Il est donc permis de se demander s’il est nécessaire de détruire des richesses naturelles pour des activités de loisirs. La France dispose de suffisamment d’atouts permettant d’accueillir des touristes dans nos villages et de créer des emplois de proximité.

Le concept Center Parcs

2Pour un client potentiel, l’accroche est attractive : « loin du stress de la ville, de véritables pauses « bien-être » pour se retrouver, en famille ou entre amis, autour de multiples activités de détente et de loisirs... » [1]. Cette soi-disant nouvelle forme de détente, « axée sur la nature » (sic), repose sur un séjour en immersion dans la forêt. Ce produit touristique correspond à une part de marché très spécifique : le « court-séjour », c’est-à-dire 3 à 4 journées.

3Pour proposer une telle offre, la recette retenue est très simple : l’implantation dans un massif forestier déjà existant de 400 à 800 cottages assortis d’un centre de loisirs, « le village », regroupant les principales attractions et services (un espace aquatique et ludique, des boutiques, etc.), sans oublier les routes et les parkings. Avec près de 20 complexes de loisirs au niveau européen, Center Parcs dispose déjà de quatre sites en France, le cinquième devant ouvrir dans la Vienne en 2015.

L’implantation ou la destruction d’une nature sauvage

4Le concept reposant sur un séjour nature, tout projet de Center parcs commence par la recherche d’un massif forestier. Pas n’importe lequel : il doit être d’un seul tenant, avec des points d’eau et un mélange d’essences et de classes d’âge diversifiées, et situé dans un secteur bien desservi. En clair, un domaine forestier immédiatement utilisable, et non pas une vulgaire plantation d’arbres où des investissements seraient nécessaires pour créer un décor naturel. Une fois toutes les autorisations administratives obtenues, l’implantation du complexe et la réalisation des voies d’accès ainsi que des différents réseaux distribuant les utilités, consiste toujours en un défrichement partiel de la forêt. Il est donc implicite que ces travaux détruisent le milieu forestier et les espèces animales et végétales qui y vivent, dont des espèces protégées parfois d’intérêt patrimonial. Ces travaux engendrent également la rupture de continuités écologiques pourtant primordiales pour assurer les échanges entre espèces. Cet impact sur les continuités écologiques est d’autant plus pernicieux qu’il se poursuit lors de l’exploitation du site puisque le périmètre est entièrement clôturé empêchant ainsi la circulation de la grande faune. Bien évidemment, comme l’exige la réglementation, les impacts des travaux et de l’exploitation du site font l’objet de mesures compensatoires et Center Parcs tente de s’y conformer au mieux. Si des progrès sont observés, ces compensations ne permettent malheureusement pas aux espèces de retrouver des milieux fonctionnels équivalents à ceux détruits.

5L’application de la réglementation et des engagements est un élément nécessaire, mais le résultat est un fait : ce qui était avant un milieu forestier fonctionnel est devenu une zone urbanisée grillagée : une sorte de zoo où les visiteurs qui y passent quelques jours ont l’illusion d’une forêt sauvage. Center parcs n’hésite pas à aller un peu loin dans ses supports publicitaires. Dans le cadre de la campagne pour son complexe « le bois aux daims » qui ouvrira ses portes en 2015 dans la Vienne, Center parcs utilise à profusion le daim [2] qui n’appartient pourtant pas à la faune sauvage de cette région – il s’agit d’une espèce domestique – et va même jusqu’à utiliser des images de mignons ratons laveurs, espèce américaine introduite dont l’éradication est conseillée par le conseil de l’Europe en raison de son impact sur la faune locale.

6Sur un plan général, le problème de l’artificialisation des territoires n’a été identifié nettement que depuis une dizaine d’années. Il devient maintenant un enjeu important pour de nombreuses collectivités : il semble contradictoire de favoriser des projets dont l’impact immédiat est une artificialisation des milieux naturels et agricoles.

Autour du projet : le raccordement aux réseaux

7Toute implantation urbaine commence par la disponibilité des différentes utilités : énergie, eau, collecte des eaux usées et axes de transports vers le reste du territoire… Si Center Parcs prend en charge la réalisation du village, il demande systématiquement aux collectivités d’assurer le raccordement aux différents réseaux : les routes, l’alimentation en eau potable, la collecte et le traitement des eaux usées, etc.

8Cela crée une situation assez paradoxale. Les collectivités s’engagent financièrement à réaliser ces infrastructures qui n’ont aucun autre objet que de desservir le complexe touristique qui relève d’une activité privée.

9Selon les cas, les problèmes d’alimentation en eau potable ou le traitement des eaux usées deviennent un véritable casse-tête. Les communes, petites pour la plupart, n’ont jamais envisagé une telle urbanisation. Les ressources ne sont pas toujours disponibles ou, si elles le sont, ne sont pas à proximité immédiate. De plus, cette nouvelle urbanisation est très souvent excentrée par rapport à la commune : les frais de raccordement – en relation avec les distances à parcourir – ne sont pas anecdotiques. Le traitement des eaux usées nécessitera le plus souvent un investissement important, dont le risque doit être pris par la collectivité.

10De plus, alors que les collectivités veillent à planifier au mieux l’aménagement de leur territoire dans une perspective de moindre coût pour un service public le plus efficace possible, le promoteur leur impose une implantation reposant uniquement sur des critères touristiques et exige de leur part qu’elles assurent à leurs frais tous les services nécessaires.

11Comment une telle négociation peut-elle être acceptée par les responsables politiques ?

12L’argument utilisé par Center Parcs est efficace : la création d’emplois. Les élus, responsables de la gestion des finances locales, s’engagent alors dans des investissements importants, sans jamais oser afficher ce que coûte à la collectivité un emploi promis par Center Parcs. Il n’est pas de notre compétence d’analyser les aides à l’emploi : il est par contre surprenant de constater que des collectivités vont financer un intervenant extérieur alors que des schémas de promotion du tourisme local n’obtiennent pas toujours les mêmes soutiens. Il est à noter que Center parcs fait tout pour garder captive sa clientèle : elle ne doit pas dépenser trop d’argent hors du complexe. Par conséquent, Center parcs n’entraîne qu’une faible création d’emplois connexes.

Center Parcs et le développement durable à minima

13Comme d’autres entreprises, Center Parcs a bien intégré le développement durable… dans sa communication. Sa politique environnementale est présentée comme exemplaire. Qu’en est-il ?

14Center Parcs présente sa stratégie concernant le traitement des déchets au niveau du village de vacances. C’est bien, mais c’est exactement ce qu’il est nécessaire et obligatoire de faire dans toute zone urbanisée.

15Le discours sera encore plus précis en ce qui concerne la gestion de l’eau ou l’entretien des espaces verts. Comme toute entreprise, Center Parcs gère ses domaines en prenant en compte les normes environnementales. Center Parcs précise même qu’il bénéficie de la certification ISO 14 001 pour l’ensemble des services. Cette certification vérifie uniquement l’application des procédures environnementales fixées par l’organisme concerné. Toutes ces dispositions correspondent parfaitement à celles que doit mettre en place une entreprise qui souhaite conserver son activité et se conformer à la réglementation en vigueur.

16En matière d’énergie, Center Parcs mentionne l’installation d’une chaufferie bois en Moselle, mais reste beaucoup plus vague quant au respect des réglementations énergétiques. C’est une belle image de marque de mentionner une chaufferie bois (ce qui pose quand même des questions sur l’approvisionnement et la gestion durable des forêts exploitées pour alimenter la chaufferie), mais qu’en est-il des économies d’énergie bien plus difficiles à mettre en place notamment lorsqu’on implante systématiquement un centre nautique « Aquamundo ». Ce type d’équipement aqua-ludique est très consommateur d’énergie et d’eau, et n’est pas sans impact sur l’environnement, notamment en zone de montagne.

17Pour le traitement des eaux rejetées, Center Parcs évacue, encore une fois et très poliment la responsabilité vers les collectivités.

18Puisque Center Parcs affiche une prise en compte du développement durable, il serait possible d’envisager une vraie politique environnementale permettant notamment de supprimer ou de réduire conséquemment les impacts sur la nature et l’environnement. Ayant discuté récemment avec un représentant de Center Parcs, je peux confirmer que ce sujet est totalement ignoré : le « concept » (sic) oblige à une implantation en milieu naturel, (forêt ou zone humide). Center Parcs refuse d’utiliser d’autres milieux que des milieux naturels existants dont la destruction fera l’objet de mesures compensatoires. Si vous demandez à Center Parcs comment il peut éviter un défrichement ou l’atteinte à une zone humide, il vous répondra poliment qu’un bureau d’études sera désigné pour définir des procédures d’aménagement du site pour que les atteintes à ces milieux soient au minimales.

19Nous sommes confrontés à une véritable politique industrielle qui sépare totalement les impacts économiques et les impacts environnementaux alors que la prise en compte simultanée des trois composantes – économique, social et environnemental – constitue le fondement même du développement durable. La vision de Center Parcs est d’une autre logique : l’implantation et la création d’emplois sont prioritaires, les impacts sur l’environnement feront l’objet d’études ultérieures et de compensation sur d’autres espaces naturels ou agricoles.

Une position militante

20Depuis vingt, voire trente ans, les associations de protection de la nature et de l’environnement sont confrontées aux projets de villages de vacances portés par Center Parcs. À l’époque où Center Parcs gérait encore directement les projets, ils étaient présentés aux élus en faisant miroiter les nombreuses retombées économiques. Parmi les questions préliminaires posées aux élus des petits villages, figurait : « Avez-vous des associations de protection de l’environnement sur votre territoire ? ». La réponse négative permettait de poursuivre les échanges. C’est une position historique, mais bien curieuse de la part d’un promoteur qui propose une activité « axée sur la nature ».

21Face aux projets de Center Parcs, sur le terrain, en marge de tout débat sur les problèmes de financement ou d’opportunité économique, et sans intervention sur le plan politique, nos associations défendent âprement les milieux naturels impactés. Elles ont toujours exigé que soient strictement respectées les protections définies pour les milieux, qu’il s’agisse de zones d’inventaire écologique (zone naturelle d’intérêt faunistique et floristique, zone humide) ou de protection réglementaire (Natura 2000, réserves naturelles…) et ont employé les moyens juridiques nécessaires pour les faire respecter.

22Dans certaines régions, il fallut être pugnace. En Alsace, région qui dispose pourtant d’une zone de chalandise particulièrement importante, il a fallu lutter contre pas moins de quatre projets qui ont tous été abandonnés.

23Face à une entreprise qui présente comme une position non négociable son implantation dans un milieu naturel, les associations membres de FNE maintiendront toujours une position ouverte au dialogue mais en exigeant fermement le respect et la protection des milieux naturels et agricoles existants, voire avec des mesures allant au-delà des simples attendus réglementaires.

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