Notes
-
[1]
http://nl.linkedin.com/pub/michelle-poort/b/263/645.
-
[2]
Source : Venema, G. « Taskforce de l’agriculture multifonctionnelle ». Regards sur l’agriculture multifonctionnelle. Chiffre d’affaires et impact de 2007 à 2011. Publication 12-040 LEI / Wageningen UR, 2012.
-
[3]
LEADER = Liaison Entre Action De l’Économie Rurale : http://enrd.ec.europa.eu/leader/fr/leader_fr.cfm.
- [4]
-
[5]
Land and Tuinbouw Organisatie (fédération nationale syndicale et patronale des agriculteurs).
-
[6]
SWOT : forces, faiblesses, opportunités, menaces.
1Michelle Poort, pouvez-vous présenter votre activité ?
2J’ai une formation initiale en géographie et biologie, je me suis ensuite spécialisée dans la formation à l’environnement. Depuis 1996, je travaille dans l’Ouest des Pays-Bas avec des agriculteurs volontaires pour améliorer l’accueil et la perception de leur exploitation. Il s’agit d’accompagner des partenariats d’entreprises dans les domaines agricoles et de loisirs, de développer des routes touristiques à thème, des forfaits pour des circuits de visites, et finalement de promouvoir la région, son agriculture et ses producteurs. Les autorités locales et régionales ont encouragé cette évolution avec l’aide de subventions pendant la période de 1990 à 2011. Cela a permis aux agriculteurs de suivre des formations à un coût relativement faible tout en bénéficiant d’un accompagnement souvent individuel sur l’exploitation.
3Comment est née votre entreprise ?
4En 1995-2000, j’ai travaillé pour un centre d’initiation à la nature dans le Cœur Vert (Groene Hart) en tant qu’animatrice de groupe pour des activités de plein air et des camps scolaires, et conceptrice de matériel pédagogique pour les écoles. En 1996-1997, j’ai été impliquée dans l’un des premiers projets de diversification agricole : il s’agissait d’un projet avec environ 40 agriculteurs prêts à ouvrir leur ferme au public en proposant un programme récréatif et pédagogique. Mon rôle dans ce projet était de les former à l’accueil, et de les aider à élaborer une offre attractive en les conseillant sur la promotion du produit et son prix. Nous avons développé une série de formations pour ces premières fermes dans le Cœur Vert avec un accompagnement personnalisé sur l’exploitation. Les quelque 40 agriculteurs qui ont suivi la formation ont été de vrais pionniers de la diversification. La plupart de ces fermes ont, quinze ans après, toujours une diversification prospère : sport en polder, ferme pédagogique, sorties de groupes, locations de salles de réunion… Ce sont tous des passionnés qui se sont lancés dans leur activité sans hésiter.
Ferme pédagogique sur la commune de Maartensdijk
Ferme pédagogique sur la commune de Maartensdijk
5À cette époque, la formation agricole initiale ou professionnelle ne proposait aucun module sur la diversification. J’ai donc mis à profit l’expérience acquise et les réseaux tissés avec ce premier projet dans le Cœur Vert pour me lancer comme consultante dans le montage de projets de diversification. Les subventions publiques nationales étaient alors facilement disponibles pour ces projets concrets.
6Les diversifications suivies ont été les suivantes : loisirs, déjeuners à la ferme, fermes pédagogiques, création d’un musée, magasin de pays, hébergement, camping, centre équestre, promenades guidées, excursions en canoë, salles de réunion, sports de polders, visites, ateliers créatifs, accueil social.
7Les pionniers avec qui j’ai travaillé dans les années 1990 étaient confrontés à de gros problèmes juridiques et administratifs. La législation en vigueur était axée sur une fonction unilatéralement productrice de l’agriculture. Peu à peu, les choses ont changé. La multifonctionnalité de l’agriculture a été introduite dans divers documents politiques et les attentes se sont exprimées tant de la base que de la part des décideurs. En 2006, une impulsion politique forte a été donnée dans ce sens qui a débouché en 2008 sur la création de la « Task Force » de l’agriculture multifonctionnelle par le ministère de l’Agriculture. Ce groupe a réuni des fonctionnaires, des communes, des associations, des scientifiques et des experts avec la mission de doubler le chiffre d’affaires des diversifications dans les quatre ans, en développant et diffusant les connaissances et les savoir-faire dans ce type d’entreprenariat. Pendant quatre ans, un total de 12 millions d’euros y a été affecté par le ministère : réalisation d’études, formation des agriculteurs, recueil d’expériences, audit d’entreprises, formations, recherches, régulation publique du développement de la filière. Les municipalités ont également été encouragées à faciliter par leurs règlements l’entreprenariat à la campagne.
8En outre, les différents membres de la « Task Force » et les entrepreneurs engagés dans l’« agriculture multifonctionnelle » ont rassemblé leurs connaissances et expériences et ont pu les mettre à la disposition des établissements d’enseignement. Il existe maintenant des modules d’enseignement sur divers aspects des diversifications dans différents types d’enseignement agricole.
9Entre 2008 et 2012, l’agriculture multifonctionnelle a progressé de 52 %. En 2012, le chiffre d’affaires était de 491 millions d’euros. Le secteur génère des emplois et donne à l’agriculteur en général plus de plaisir que son activité principale [2].
Chiffre d’affaires estimé des diversifications agricoles pour la période 2007-2011 aux Pays-Bas*,1
Chiffre d’affaires estimé des diversifications agricoles pour la période 2007-2011 aux Pays-Bas*,1
* Les exploitations peuvent avoir plusieurs branches de diversification.1. Accueil de personnes âgées, de personnes atteintes de troubles psychologiques, de jeunes avec addiction, de personnes handicapées, etc.
10Depuis 2003, je suis responsable d’un programme LEADER [3] avec le Groupe d’Action Locale Weidse Veenweiden [4] (une partie de la région Cœur Vert). J’accompagne les porteurs de projets dans différents thèmes : agriculture, nature, loisirs, qualité de vie dans les petits villages… en les aidant dans leur demande de subvention européenne. Je travaille à la qualité du projet, aux liens entre les initiateurs, à l’organisation des échanges à l’intérieur et à l’extérieur de la région, à l’enrichissement mutuel des porteurs de projets par l’échange d’expériences. En comparaison de mon premier travail d’accompagnement de porteurs de projets, mon rôle a changé : je n’écris plus moi-même leur « business plan », je les conseille simplement. Je leur donne mon point de vue personnel sur leurs rôles d’hôte, les prix de leurs prestations et leur marketing.
11Le travail de développement de projets de diversification que je faisais initialement a diminué depuis 2007-2008 et je considère mon travail accompli. Les agriculteurs qui voulaient se diversifier l’ont déjà fait et ce travail est aujourd’hui pris en charge par d’autres consultants. Des modules de formation agricole traitent maintenant de la diversification et de l’entreprenariat rural. La principale organisation agricole, la LTO [5], a créé une division spécialisée sur la diversification. Mais surtout, depuis 2011, les politiques nationales d’austérité ont fortement diminué les subventions incitatives.
12Cette demande de formation vient-elle spontanément des agriculteurs ? Quelles sont leurs motivations ?
13Les formations ont surtout été une demande des agriculteurs soit par le biais de leurs petites associations locales dédiées aux activités de gestion du paysage et de la nature, soit à travers des associations ou fondations orientées vers les loisirs et le tourisme (Fondation Struinen et Vorsen et Fondation du Cœur vert, Cœur battant), qui demandaient une subvention publique pour leurs formations. Ces formations et ces conseils ont le plus souvent été payés par le gouvernement avec une petite contribution financière de l’agriculteur (lorsqu’il fait appel à un bureau d’études pour réaliser la première simulation de son projet économique).
Dans cette ferme laitière de Kockengen on apprend aux enfants à rentrer les vaches
Dans cette ferme laitière de Kockengen on apprend aux enfants à rentrer les vaches
14Leur motivation pour la formation est l’acquisition de connaissances et de compétences pour une expansion réussie. Leur motivation pour la diversification : un revenu supplémentaire, la possibilité de répondre à une attente du marché, améliorer la réputation du secteur agricole en travaillant à l’ouverture, à l’accueil, à la réceptivité aux attentes urbaines. Certains sont aussi particulièrement soucieux d’apprendre aux enfants les origines de leur alimentation.
15Les agriculteurs avec lesquels vous travaillez sont-ils représentatifs de votre région des Pays-Bas (Cœur Vert) ?
16La majorité des agriculteurs avec lesquels je travaille sont des éleveurs de vaches laitières, avec parfois une fromagerie. Ils sont représentatifs du Cœur Vert. : il n’existe pas ou presque pas de grandes exploitations dans notre région, les éleveurs ont en moyenne 30 ha de prairies et 50 vaches laitières. Ils travaillent ainsi souvent à l’extérieur, pour compléter le revenu des produits laitiers. Et la recherche d’un complément de revenu est d’ailleurs une motivation des agriculteurs en voie de diversification. Cependant, cette diversification est souvent finalement réalisée par la femme qui quitte alors son emploi extérieur.
17Êtes-vous amenée à intervenir aussi dans la formation initiale des agriculteurs ?
18Je ne suis pas impliquée dans une formation régulière pour les agriculteurs, mais la diversification et l’entreprenariat rural sont devenus une partie intégrante de la formation des jeunes agriculteurs à différents niveaux. Et il existe des réseaux au sein de plusieurs branches de diversification qui font de l’échange d’expériences. Tout ceci rend aujourd’hui mon conseil aux agriculteurs presque superflu.
19Les agriculteurs avec lesquels vous travaillez acceptent-ils facilement un regard critique (le vôtre) sur leurs pratiques environnementales ?
20Je n’interviens pas directement sur les questions environnementales même si la création d’une ferme pédagogique par exemple nécessite une variété minimale d’espèces végétales et de faune sauvage (oiseaux en particulier). L’attractivité touristique est également directement liée à la protection du paysage. Mais d’autres consultants prennent en charge le suivi de la biodiversité et son enrichissement.
21Peut-on parler de « taux de réussite » de vos prestations ? Quelles sont pour vous les causes d’échecs et de succès ?
22Tous les agriculteurs avec qui j’ai travaillé ont créé une entreprise. Pas seulement à cause de mes conseils ! Un bon départ nécessite selon moi : une bonne conception de la demande du marché, une analyse du groupe cible, une analyse « SWOT » [6], un plan financier solide pour les investissements nécessaires, une préparation réfléchie de la gestion comptable et financière. Les soutiens de la commune et de la région sont également des leviers importants. Il est tout aussi important que l’agriculteur choisisse un type de diversification qui lui convienne, c’est sa passion qui séduira ses clients. La qualité du projet peut être résumée en quatre catégories :
231. L’offre / le produit : l’hôte obtient-il en termes de produit physique et visible ce qui lui a été promis : situation et environnement, accessibilité, emplacement lui-même (propreté, sécurité, attrait), accueil, espaces pour l’observation de l’environnement et du paysage agricole, des animaux d’élevage ou de la faune sauvage ? À prendre en compte également : l’utilisation de produits locaux, l’évolution et l’amélioration de l’offre, le rapport qualité-prix et le lien (« visible ») entre la diversification et l’activité de la ferme.
242. Présentation et promotion : il s’agit d’atteindre l’hôte potentiel. La qualité agricole et rurale de l’offre doit parler d’elle-même à travers l’utilisation de photos ou des courtes vidéos, par exemple sur YouTube et sur les réseaux sociaux. Il est également important de bien être inséré dans la promotion régionale économique et touristique.
253. Le processus : en particulier l’accessibilité, la méthode de réservation et d’annulation, mais aussi la volonté de guider un visiteur dans la région (avant, pendant et après sa visite).
264. La coopération au sein d’un réseau régional d’exploitations aux diversifications comparables.
27Arrivez-vous à maintenir un contact avec une bonne part des agriculteurs avec qui vous avez travaillé ?
28J’ai gardé des contacts avec de nombreux agriculteurs, je les rencontre pendant les soirées LEADER, des réunions ou des marchés régionaux. Dans toutes les branches de diversification des réseaux sont formés au sein desquels les entrepreneurs partagent leurs expériences. Je suis moi-même bénévole (animatrice et coordinatrice) pour le réseau de fermes pédagogiques de la province d’Utrecht. Il m’arrive aussi de faire le lien entre des agriculteurs, de conseiller à des agriculteurs en construction de projet d’aller rencontrer des « anciens » du réseau ayant développé un projet similaire.
29Que vous apporte le programme LEADER dans lequel vous êtes impliquée ?
30Dans le pays rural d’Utrecht-Ouest (Cœur Vert-Est), un groupe d’action local a développé un plan de développement pour sa région. Le programme LEADER a soutenu ce plan à hauteur de 2,5 millions d’euros sur un budget total de 7,5 millions, réparti en 40 projets sur la période 2003-2007, puis à hauteur de 3 millions d’euros sur 12,5 millions répartis en 60 projets entre 2008 et 2013. Mais LEADER est plus qu’une simple subvention : c’est une approche dans laquelle la façon de coopérer, l’innovation et le renouvellement sont essentiels. Depuis 2003, je suis responsable de ce projet et mes liens avec les agriculteurs se font par ce biais. Je suis ainsi notamment en contact depuis 2008 avec 12 exploitations en création de gîtes, 15 en diversifications variées notamment sociales, 15 autres fédérées pour la mise en place d’un marché paysan à Woerden… Mon réseau national s’est aussi considérablement élargi depuis : organisations agricoles, associations, fondations culturelles et de préservation du paysage, agences de l’eau, municipalités, province, agences de tourisme et de loisirs, organisations de conservation de la nature agricole, etc.
31Pour finir, je souhaite préciser que j’ai souvent été inspirée par la culture française, qu’il s’agisse de culture alimentaire ou de la place laissée à la campagne dans la société française. Ces deux aspects sont aux Pays-Bas moins situés au premier plan. Dans notre campagne urbanisée, l’accent est traditionnellement mis sur ?l’utilisation efficace de l’espace et de la multifonctionnalité. Ces dix dernières années, davantage d’importance a été donnée à la découverte de l’identité régionale et des structures sociales, notamment avec l’aide de LEADER. Par exemple, les producteurs de produits locaux sont à nouveau beaucoup plus visibles pour le consommateur. Aussi, en 2010, une coopérative du Cœur Vert est née. La diversification de la gamme de produits locaux est vraiment poussée par la demande. Les Néerlandais sont en train de redécouvrir leur patrimoine agricole et alimentaire. C’est quelque chose que les Français n’ont jamais oublié : l’amour de la campagne et de son artisanat.
Paysage caractéristique des polders du Coeur Vert
Paysage caractéristique des polders du Coeur Vert
32Le Cœur Vert est une zone rurale entourée d’un anneau (couronne) d’urbanisation, avec des villes comme Amsterdam, Rotterdam, La Haye et Utrecht. Dans le Cœur Vert habitent environ 600 000 personnes, et dans la couronne autour environ 6 millions. Malgré la proximité de la ville, les principaux gestionnaires du Cœur Vert sont donc les agriculteurs : essentiellement en vaches laitières (Holstein) et à côté des rivières quelques cultures fruitières.
Une ferme sur la commune de Lopik
Une ferme sur la commune de Lopik
Notes
-
[1]
http://nl.linkedin.com/pub/michelle-poort/b/263/645.
-
[2]
Source : Venema, G. « Taskforce de l’agriculture multifonctionnelle ». Regards sur l’agriculture multifonctionnelle. Chiffre d’affaires et impact de 2007 à 2011. Publication 12-040 LEI / Wageningen UR, 2012.
-
[3]
LEADER = Liaison Entre Action De l’Économie Rurale : http://enrd.ec.europa.eu/leader/fr/leader_fr.cfm.
- [4]
-
[5]
Land and Tuinbouw Organisatie (fédération nationale syndicale et patronale des agriculteurs).
-
[6]
SWOT : forces, faiblesses, opportunités, menaces.