Pour 2012/3 N° 215-216

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Article de revue

Alimentation et mondialisation

Pages 209 à 224

Notes

  • [1]
    Cet article est rédigé à titre personnel et n’engage donc que moi. Il s’appuie cependant sur des études économiques et de consommation alimentaire conduites dans le cadre des études et de l’information économique du ministère de l’Agriculture et de FranceAgriMer auxquelles je participe.
  • [2]
    En 2006, source : INSEE. Ce chiffre exclut la boisson et la restauration hors foyer. Boisson et RHF comprises, cette part du budget passe à 19,6 %.
  • [3]
    On note ainsi que au contraire du discours dominant, c’est la stabilisation des valeurs qui est une condition de l’augmentation des échanges et non l’augmentation des échanges la condition d’un mieux-être général.

1L’alimentation est un des sujets les plus importants et les plus complexes. Elle touche tous les ressorts de l’humain et de la Terre, s’étend à toutes les espèces si on considère aussi l’alimentation animale. Elle mobilise des préoccupations extraordinairement nombreuses et variées, dans des domaines qu’on ne soupçonne pas forcément. Commençons par l’approche économique.

2Si les achats alimentaires représentent aujourd’hui de l’ordre de 20 % du budget des ménages dans nos pays développés, taux en régression constante (12,5 % en France selon les dernières données [2]), il conviendrait d’y ajouter de l’ordre de 10 % à 15 % de dépenses liées directement à l’alimentation : transports pour aller faire ses courses, énergie et appareils liés à l’alimentation, dépenses de restauration collective (cantines, restaurants, etc.). De même, on peut chiffrer très grossièrement – entre 30 et 40%– la part de toute l’activité humaine plus ou moins directement liée à l’alimentation, des productions agricoles aux transports de denrées et aux industries agroalimentaires, de la formation à la santé et à la culture… Sans oublier l’extrême variété des situations selon la géographie, la culture, la situation sociale. 15 % des hommes ne mangent pas à leur faim et 30 % souffrent de malnutrition ; sans oublier que, notamment dans nos pays développés, beaucoup n’ont pas les moyens financiers de s’alimenter correctement, ni selon leurs souhaits, ni en termes de santé. Bien plus, cette part récemment réduite du budget alimentaire dans les pays développés masque le fait que pour l’essentiel de l’humanité, le budget alimentaire représente de l’ordre de 50 % du budget total du ménage, limité à la couverture des besoins essentiels (logement, vêtements, énergie, etc.). Cela signifie que l’alimentation effective d’une grande partie de l’humanité est soumise directement à tous les aléas économiques, que ce soit la volatilité des prix des denrées agricoles de base ou les aléas des ressources financières disponibles du ménage. Constatons aussi que sur le milliard d’êtres humains qui ne mangent pas à leur faim, 800 millions sont des paysans, dans les zones rurales, broyés par les conditions économiques de leur activité et conduits inexorablement à l’exode rural.

Des dynamiques alimentaires très différents

3Nous définirons donc trois grandes catégories d’être humains, porteurs de dynamiques alimentaires très différentes, et donc de positions différentes aussi au regard du phénomène de la mondialisation :

  • les pauvres de toutes sortes, pour qui l’alimentation est un souci quotidien, dans une absence de sécurité permanente. Ces catégories sociales sont des victimes de la mondialisation des productions vivrières, c’est-à-dire des productions essentielles à la survie de base (la FAO distingue à cet égard six grands régimes dans le monde, même s’il y a une infinité de variantes, notamment sur la fraction protéique de l’alimentation : les régimes à base de riz (1), de maïs (2) et de blé (3), le régime à base de produits de l’élevage et de blé (4) (pays développés), le régime à base de mil et de sorgho (5), et le régime à base de racines et tubercules (ignames, taros…) (6) ;
  • les habitants des pays en transition économique comme l’Inde, la Chine, le Sud-Est asiatique, mais aussi le Brésil, l’Afrique du Sud, etc. Ces populations changent de régime alimentaire au fur et à mesure du développement économique, tendant ainsi vers le régime des pays développés tel qu’évoqué ci-avant, avec ou sans changement de modèle culturel à la clé. Ce changement est aujourd’hui un vecteur essentiel de la mondialisation en matière alimentaire, étant le principal moteur de l’évolution des échanges de produits alimentaires ;
  • les habitants des pays développés, tous adeptes du régime correspondant évoqué plus haut, mais dont il faut rappeler que pour l’essentiel (si on excepte certaines zones d’élevage exclusif ou les zones boréales), c’est un régime récent, qui s’est généralisé depuis moins d’un siècle à l’ensemble de la population, alors qu’il constituait auparavant le régime des seules couches supérieures et très minoritaires de la population. Comme tel, ce régime est instable, sujet à caution et à controverse, très lié aux changements de structures économiques, des échanges mondiaux et de politiques économiques, sociales ou de santé.
Nous aborderons donc successivement les grands enjeux économiques de l’alimentation face à la mondialisation pour ces trois catégories d’êtres humains dessinées à gros traits, sans évidemment prétendre à en traiter tous les aspects.

4Sur le strict plan économique, les pauvres se partagent donc en deux catégories : les paysans et les habitants des zones rurales, et les citadins ou habitants de zones urbaines. Les premiers sont victimes de la mondialisation des échanges agricoles, parce que victimes d’une activité agricole déficitaire à la fois en termes de quantités produites pour répondre aux besoins et de valeur pour rémunérer leur travail. Les seconds sont uniquement victimes de l’insécurité alimentaire liée au manque de maîtrise locale des produits alimentaires de base. Le déficit quantitatif est lié à de multiples sous-investissements : que ce soit dans les moyens de production (eau, semences, races animales, engrais ou fumures, etc.), les moyens de conservation, de stockage et de transport des denrées, la formation ou les connaissances adaptées à leur situation et leur besoins, ou les moyens financiers d’organisation des marchés, de crédit, etc. La seule réponse à ce déficit quantitatif (assorti ou non d’exode rural) est alors dans l’importation de produits alimentaires extérieurs, qui suppose cependant les moyens financiers d’importer, et qui peut constituer un vecteur de changement de modèle alimentaire de base y compris sur le plan culturel. En retour, ces importations sont souvent un facteur de ruine de l’agriculture locale lorsqu’elles sont faites sans droits ou protections, parce que les produits correspondants sont fournis à des prix bien inférieurs aux coûts de production locaux. Cette situation a été abondamment décrite, et on ne citera ici que la ruine des élevages de volaille d’Afrique noire due à l’importation de sous-produits des élevages de volailles européens (cf. la campagne l’Europe plume l’Afrique), ou le remplacement du mil et du sorgho ou du maïs par le riz dans de nombreux pays d’Afrique ou des Caraïbes depuis la Première Guerre mondiale. Dans ce dernier cas, le riz, après avoir été d’abord importé, devient parfois une production locale plus ou moins concurrentielle avec les riz d’importation (Haïti, Sénégal…) ou reste uniquement importé tout en étant devenu l’aliment de base des populations locales urbaines. Le cas du blé est différent pour les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, qui constituent de loin la première zone d’importation de cette céréale dans le monde. Différent parce qu’il constituait déjà le régime alimentaire de base de cette région. En outre, le déficit croissant est lié à plusieurs facteurs. Comme l’absence d’investissements dans la production agricole des régions concernées, par choix politique ou impossibilité physique absolue (Égypte !), face à une population en très forte croissance démographique ; mais aussi à la possibilité d’importer et aussi de subventionner fortement la délivrance à la population de ce blé ou de farines, grâce à la ressource énergétique. On peut aussi citer comme autre cas la hausse vertigineuse du prix du maïs au Mexique au point de manquer gravement aux populations les plus pauvres, due à la demande croissante des États-Unis pour le maïs destiné à la production d’éthanol/carburant.

5Quels que soient les cas particuliers, ces pauvres et les pays correspondants connaissent maintenant une tension extrême. Ils pâtissent à la fois du déficit mondial de production (ou de production disponible parce que stockable et transportable, et donc non perdue ou gaspillée), et de la volatilité croissante du cours de ces produits vivriers ; ceux-ci sont soumis depuis 2005 à des variations brutales de prix qui avaient disparu dans les trente années antérieures, cette stabilité des prix ayant été un facteur essentiel de mondialisation des échanges [3]. Les émeutes de la faim de 2009, et sans doute aussi les révolutions intervenues dans les pays arabes sont directement liées à ces tensions et soubresauts. Simultanément, la hausse en longue période du cours des céréales pendant les années 2000 ne semble pas devoir s’arrêter prochainement malgré des à-coups brutaux toujours possibles à court terme ; elle est à lier au maintien en valeur absolue du nombre d’hommes dénutris ou malnutris malgré tous les plans d’éradication successivement proclamés à ce sujet. Ainsi, la mondialisation des échanges de produits alimentaires de base, loin d’être un facteur d’abondance collective et de solution à la faim dans le monde, devient directement une cause de son aggravation actuelle et future.

6Il ne faut cependant pas oublier que la mondialisation des échanges de produits agricoles ne concerne en réalité qu’une part très minoritaire de ces produits de base, de l’ordre de 15 % de la production totale, même si elle s’est fortement accrue depuis cinquante ans. L’essentiel du besoin croissant de céréales, à côté de celui des agro-carburants de développement récent et sans doute assez passager au regard des tensions qui se développent, concerne l’alimentation animale et donc le développement de l’élevage à destination de production de viande, poissons, œufs et produits laitiers, développement lié à la généralisation du modèle 4 évoqué ci-dessus dans les pays développés et à son adoption tendancielle dans nombre de pays émergés plus qu’émergents cités plus haut. Il faut donc bien comprendre que ces tendances lourdes exacerbent les variations marginales et les tensions très fortes dont sont victimes les pays et les peuples importateurs de leurs produits vivriers de base. La solution est donc dans une -mondialisation sur ce plan, c’est-à-dire dans le développement de l’autonomie alimentaire la plus grande, au moins par zone géographique homogène si ce n’est par pays, ce qui suppose à la fois que cesse la priorité absolue aux échanges et à la mondialisation considérés comme solution à toutes les questions dans les enceintes internationales depuis les années 1980, mais aussi que les moyens concrets de développement de la production, et donc de cette autonomie, soient assurés, en termes de protection des échanges en période de développement comme en termes d’investissements dans l’agriculture locale. Les principaux adversaires de cette orientation sont en bonne partie des pays récemment développés comme les pays d’Amérique du Sud qui ont fondé leur développement sur les exportations de produits agricoles de base et qui s’allient avec les pays développés traditionnellement exportateurs, comme les États-Unis, le Canada, l’Australie, mais aussi des pays d’Europe et d’Asie centrale exportateurs de blé (Ukraine, Russie, Kazakhstan), ou d’Asie du Sud-Est exportateurs de riz. Ils ont fait le choix de modèles agro-exportateurs, en général au détriment de leur propre population agricole et rurale lorsqu’elle existe, comme le montre jusqu’à la caricature l’existence au Brésil de deux ministères le plus souvent en conflit, l’un chargé des agro-exportations, l’autre du développement rural.

7Les peuples des régimes en transition économique représentent à peu près la moitié de l’humanité actuelle, si on y inclut la Chine, l’Inde, le Sud-Est asiatique avec l’Indonésie, les Philippines et la péninsule indochinoise, et divers pays d’Amérique centrale et latine. L’Afrique en est quasiment absente à part l’Afrique du Sud, même si certains éléments peuvent laisser espérer des changements à cet égard. Pour autant, la population africaine, même si elle est appelée à croître fortement, reste assez faible au regard des multitudes asiatiques et donc pèse peu en termes économiques sur la question du rapport alimentation/mondialisation.

8Ces pays et ces peuples sont dans des situations très diverses quant à leur situation agricole et alimentaire, et on peut à grands traits distinguer les pays dont le développement économique s’accompagne d’un développement agricole, lequel peut d’ailleurs être un moteur essentiel du développement économique comme au Brésil, et qui sont donc autonomes en matière de transition alimentaire, voire sont devenus ou deviennent des acteurs majeurs des marchés mondiaux de produits alimentaires. C’est aussi le cas de divers pays d’Asie du Sud-Est, Philippines, Indonésie, Malaisie…, même si ce développement n’a rien d’autonome sur le plan alimentaire et se fait avec des productions d’exportation et en détruisant la forêt primaire. De ces situations se distingue l’Inde, où le développement de la production agricole s’est fait par une modernisation interne d’ailleurs soumise à de fortes controverses, mais qui atteint ses limites face à la demande alimentaire interne et s’accompagne donc d’un développement des importations (et des exportations) dans plusieurs secteurs alimentaires. Par contre, la Chine, comme le Japon depuis toujours, et d’autres pays très peuplés, ne disposent pas en interne des ressources suffisantes en terres pour assurer le développement agricole nécessaire à ces changements de régime alimentaire de la population, même si ces changements de régime sont étroitement corrélés aux niveaux de revenu et ne concernent donc que la part de la population qui voit ses revenus progresser sensiblement, part très variable selon les pays. Cette situation dominante se traduit par un double mouvement :

  • un développement très important de la consommation, et donc de la demande de produits animaux. Ces pays deviennent des importateurs massifs de denrées animales : viandes, produits laitiers, poissons, ovo-produits et divers. Même si les différences culturelles que nous évoquerons plus loin subsistent, le mouvement global reste massif dans ce sens et se traduit par la place croissante, voire dominante, de ces acteurs sur le marché mondial des produits alimentaires. Comme nous le verrons, ces importations ne s’opposent pas au développement maximal de la production intérieure de produits animaux historiquement réduite, et qui conduit en retour à des importations massives de produits végétaux pour l’alimentation animale ;
  • un développement massif de la demande de produits végétaux pour l’alimentation animale. Les productions animales sont extrêmement solliciteuses de produits agricoles vivriers de base (de trois à dix kg de végétaux par kg de viande produite) et le développement de la consommation de produits animaux se traduit donc par une multiplication indirecte de la demande en productions végétales. Même si certaines espèces animales comme les ruminants valorisent de l’herbe qui ne serait pas consommée hors ce cadre, la proportion de viande produite à l’herbe ou susceptible de l’être est très réduite par rapport aux besoins globaux en produits animaux des pays en transition économique. À noter d’ailleurs que ces pays sont devenus les principaux producteurs de poissons d’élevage nourris avec des végétaux (plus de 70%de la production mondiale est en Asie du Sud-Est), lequel poisson d’élevage a aujourd’hui dépassé en tonnage les produits des pêches.
Cette faim de terre a d’autres conséquences comme les achats de terres à l’étranger, que nous ne traiterons pas ici.

9Cette évolution des régimes alimentaires, avec pour une moindre part le développement des productions agricoles destinées à l’énergie, est le principal vecteur des dynamiques à l’œuvre dans le monde en matière d’agriculture sinon d’alimentation. Cette situation témoigne de la cruelle absence du développement d’une production vivrière autonome comme celle qui a été évoquée. La mondialisation des échanges agricoles aujourd’hui est d’abord le fruit de cette évolution, bien avant la fourniture de produits alimentaires aux pays déficitaires par structure ou par choix économique, qui était l’image historique de la cause des échanges de denrées alimentaires, comme cela a pu être décrit au XIXe siècle dans la théorie des avantages comparatifs.

La situation de l’alimentation dans les pays développés

10Enfin, examinons la situation de l’alimentation dans les pays développés. D’abord, faisons litière de l‘idée selon laquelle les populations de ces pays disposeraient d’une alimentation variée, abondante et suffisante. Même si la part du budget alimentaire a fortement diminué partout dans le monde développé, elle reste cependant un élément central du budget contraint des ménages, c’est-à-dire des dépenses incompressibles, et une part significative de la population continue à s’alimenter insuffisamment ou mal, et souvent les deux. Les États-Unis, seuls dans le monde d’ailleurs, ont mis en place une politique alimentaire très importante puisqu’elle représente un budget de l’ordre de 150 milliards de dollars annuels qui bénéficie à plus de 20 % de la population, et jusqu’à 50 % sporadiquement. En Europe, il existe un programme beaucoup plus modeste d’aide à l’alimentation des plus démunis, et l’ensemble des programmes publics ou privés d’aide à l’alimentation touchent entre 10 et 20%de la population, voire bien plus dans certains pays ou en situation de crise économique aigüe. Ces populations démunies se distinguent par une situation de carence du souhaitable alimentaire, que ces carences soient objectives, quantitatives ou qualitatives sur un type d’aliments ou de nutriments, ou subjectives par rapport au modèle culturel d’alimentation dominant ou désiré.

11Néanmoins, la majorité de la population se caractérise par une situation de suffisance alimentaire (voire d’excès possible ou effectif pour beaucoup !). Ce passage d’une situation de carence à une situation de suffisance et de choix est fondamental, parce qu’il ouvre de nombreuses dimensions d’évolution alimentaire, sociales, culturelles, économiques, identitaires et autres. La mondialisation prend à cet égard un sens économique nouveau par rapport aux éléments évoqués ci-avant pour d’autres catégories de la population mondiale.

12Un autre aspect fondamental de l’évolution de l’alimentation, à côté des modèles alimentaires, est le développement de l’industrie agroalimentaire, c’est-à-dire d’un mode d’alimentation qui éloigne profondément le consommateur de l’agriculteur, mais aussi instille un vecteur de mondialisation alimentaire sur le modèle de l’industrie manufacturière. Du yaourt bulgare ou grec au steak haché, du poisson pané aux céréales et jus de fruits du petit déjeuner, sans parler du Mac Do, cette émergence jusqu’à la domination des produits agroalimentaires transformés conduit à une circulation mondialisée des produits et des régimes alimentaires, à une uniformisation abondamment évoquée dans la littérature spécialisée. Nous ne conclurons pas ici à une telle uniformisation, tant les différences de régimes alimentaires restent grandes, même entre régions d’un même pays comme la France, mais par contre certainement à un éclatement des modèles alimentaires, à une diversification extrême des situations et des pratiques, à une mondialisation effective des possibles et de l’offre. Pour rester sommaire, ces différences dans les enquêtes récentes sont d’abord liées à l’âge, ainsi des personnes âgées maintenues en situation de pénurie alimentaire pour des raisons de pauvreté ou de guerre, ou des plus jeunes pratiquant une alimentation discontinue, peu structurée et souvent déséquilibrée. Le deuxième facteur de différenciation des régimes est la catégorie socioprofessionnelle et d’abord le revenu des ménages, même si le niveau d’éducation est aussi un critère. Des catégories d’aliments sont significativement plus consommées par les CSP+ comme les produits de la mer, les grillades, les fruits et légumes, les produits bio, les plats préparés, etc. ; d’autres par les ouvriers ou employés comme les pommes de terre, les viandes de longue cuisson, les fritures ou la charcuterie. Les autres facteurs sont le niveau d’éducation et la région d’appartenance lorsqu’elle dispose d’un modèle alimentaire particulier, même si la tendance à l’uniformisation nationale est dominante, notamment sous l’influence agroalimentaire, mais aussi des brassages de population.

13Des études récentes sur l’évolution de la consommation des ménages en situation de crise montrent la fragilité de ces modèles alimentaires et leur adaptation rapide et très nette face à une diminution de ressources. La mondialisation se traduit à cet égard de diverses façons :

  • par une évolution générale vers la consommation de produits prêts à consommer ou de préparation courte, issus de l’industrie agroalimentaire, par opposition aux produits bruts agricoles qui nécessitent une plus longue élaboration. Cette tendance atteint même les fruits et légumes traditionnellement non transformés, dont la consommation globale stagne ou régresse malgré tous les efforts faits, et qui voit se multiplier les transformations partielles destinées à faciliter leur usage, du sous-vide, plus ou moins précuit ou haché aux élaborations plus complexes en salades préparées et autres tranches prêtes à consommer ;
  • par une très grande diversification des propositions symboles de modèles alimentaires, comme les produits typiques mexicains, chinois ou indiens, sans compter les sauces et aromatisations diverses qui foisonnent. À noter que plusieurs régimes exotiques ont été popularisés sous l’effet de minorités immigrantes importantes, comme les Indochinois et Chinois en France, les Pakistanais en Grande-Bretagne ou les Indonésiens et les Turcs en Allemagne et aux Pays-Bas, les Latinos aux États-Unis, puis peu à peu diffusés dans toute l’Europe et le monde développé. Cette diversification se constate aussi dans la segmentation des lignes de produits comme la très grande variété de riz, de pommes de terre ou d’huiles offertes au consommateur. Enfin, les modèles régionaux divers sont sollicités avec le développement des pizzas qui dominent la restauration rapide en France, comme les produits régionaux emblématiques de toutes sortes, à commencer par les fromages en France, sans oublier les marques à forte notoriété au point que leur nom devient générique (Vache qui rit) ;
  • par un développement de la restauration hors-foyer liée à la généralisation du travail salarié, de l’éducation, et de l’éloignement domicile-travail. Le développement du pointage et de la journée continue a ainsi introduit en France le modèle anglo-saxon du sandwich sur le pouce à midi, même si le modèle dominant français reste pour autant le repas structuré avec trois plats, laissant notre pays atypique face à la mondialisation des modes d’ingestion alimentaire dans les pays développés.
En résumé, quels sont les effets de la mondialisation et de l’abolition des obstacles aux échanges mise en œuvre par l’OMC sur les grandes catégories de produits alimentaires ?
  • les produits vivriers de base sont déjà mondialisés depuis longtemps, le riz l’étant le moins du fait de l’autoconsommation très dominante des grands pays producteurs les plus peuplés du monde. Avec ces produits vivriers, essentiellement les céréales, les productions dérivées de viandes blanches ont suivi le même chemin, et leurs échanges sont maintenant mondialisés, à deux exceptions importantes près : des raisons culturelles avec le porc dans les pays musulmans, et des raisons sanitaires récurrentes, abondamment évoquées avec une bonne foi variable ;
  • les viandes de ruminants. On notera ici l’exception du mouton, qui a fait l’objet de contingents exceptionnels d’importation dans l’UE en provenance d’Australie et de Nouvelle-Zélande, et qui en fait un produit très mondialisé, d’ailleurs en régression sans doute durable du fait d’une baisse de production dans ces pays. Si les échanges de viande d’équidés, de camélidés, de cervidés restent anecdotiques, il n’en n’est pas de même de la viande bovine, principal objet d’échanges. Si on s’en tient à la fonction première de cette production qui est de valoriser des espaces herbagers non cultivables (situation en nette régression comme on le voit en Argentine avec le soja qui remplace la prairie), il va de soi qu’un modèle libéral favorisera l’utilisation des espaces les moins chers, c’est-à-dire des pays les moins denses en population, au détriment des pays d’Europe, où l’élevage à l’herbe, notamment en montagne, serait ruiné. Seuls des arguments environnementaux internes à l’Europe, – le maintien des paysages et l’aménagement des territoires concernés –, sont à même dans ces conditions de maintenir cet élevage spécifique, avec les soutiens publics correspondants. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce cas particulier correspond à 10 % de la production de viande bovine, l’essentiel étant produit en feed-lots à partir des mêmes céréales que les viandes blanches. La principale menace, dans le monde, sur ces viandes à l’herbe est tout simplement la faim de terres liée à l’accroissement démographique, et qui risque de confiner ces productions à des zones marginales, de la Patagonie à la Mongolie en passant par les zones de montagne non cultivables ;
  • les productions spéciales : on regroupe sous ce vocable tous les fruits et légumes, épices, aromates, thé café, cacao… Ici les choses sont simples : soit ce sont des productions stockables directement comme les épices, thé, café, huiles, fruit secs, ou indirectement avec les fruits et légumes transformés, et on atteint des taux records de mondialisation, jusqu’à 70 % de produits échangés, avec toutes les formes de multinationalisation existantes. C’est le principal vecteur de la mondialisation apparente de l’alimentation, apparente parce qu’il ne concerne en fait que des produits annexes du bol alimentaire. Soit ce sont des productions fraîches (la très grande majorité en volume), et leurs marchés restent physiquement des marchés de proximité : dans ce cas, la libéralisation des échanges conduit directement à favoriser, à l’intérieur d’une zone géographique restreinte, les productions au plus bas coût de main-d’œuvre, dans un phénomène bien connu de spécialisation régionale à l’échelle de la zone. On voit ce mouvement sur la pomme entre la Pologne et le reste de l’UE, ou sur la fraise avec l’Espagne, et n’y échappent que des stratégies de différenciation, de niches. La pomme est d’ailleurs à la fois un produit frais et un produit stockable, et fait l’objet d’échanges à l’échelle mondiale.
On constate aussi l’émergence de réactions croissantes à ce modèle alimentaire globalisé, uniformisé et industrialisé. Ces réactions sont souvent liées à des contestations politiques plus globales qui intègrent l’alimentation. On n’en notera que quelques-unes, qui sont toutes passées ces trente dernières années de marginales à notables, quoique toujours très minoritaires par rapport au modèle dominant :
  • les produits alimentaires biologiques. Leur développement conteste à la fois la qualité sanitaire des aliments (pesticides, engrais, colorants et adjuvants divers), leur qualité organoleptique (le goût), leur uniformisation (variétés paysannes), parfois même leur processus de fabrication (boulangerie moderne). Plus globalement, la croissance de leur production et de leur consommation conteste un mode de développement économique considéré comme erroné sur de nombreux plans. De nombreux débats se déroulent sur leur généralisation éventuelle, entre ceux qui considèrent que le mouvement est annonciateur d’un changement global (effet d’entraînement), et ceux qui estiment qu’ils se cantonneront à une part limitée de la consommation alimentaire, comme une segmentation parmi d’autres. Quoiqu’il en soit, leur production et leur consommation croissent significativement et sont progressivement encouragées par la puissance publique, comme toujours en retard sur les tendances de la société en matière alimentaire ;
  • les produits locaux : depuis quelques années, on relève, même aux États-Unis, une recherche de produits locaux, de circuits courts. Cela mêle des attentes diverses, depuis le lien social renouvelé entre producteur et consommateur ou la connaissance des conditions de production comme facteur de confiance (traçabilité en jargon spécialisé), à l’économie (en diminuant la place des intermédiaires, industriels ou commerçants, ou en favorisant la création locale d’emploi). Ce mouvement est notable dans tous les pays développés sous des formes variées. Pour l’anecdote, on retiendra à ce titre la multiplication des ventes directes en ville par des paysans, des circuits courts (qu’il ne faut pas confondre avec des productions locales ou des produits biologiques, ce que le consommateur mêle allègrement), ou le développement de produits locaux dans les rayons des grandes et moyennes surfaces, qui sont par essence l’antithèse de ces circuits locaux ;
  • les signes de qualité : appellations d’origine, identifications géographiques, labels et autres mentions diverses. Ils font appel à la tradition, à la diversité, à une élaboration ou transformation codifiée et à une qualité supérieure au produit courant, ou en tout cas qui s’en distingue. Si ces produits se maintiennent bien, leur ancienneté permet par contre de dire que cette alimentation de qualité supérieure stagne entre 15 % et 20% du marché d’un type de produits sauf exception comme le poulet label en France qui est devenu non plus une mention distinctive mais la norme dominante. Ce dernier cas est intéressant, parce qu’il masque en fait le maintien de la règle générale de 20 % de produit différencié, le label étant devenu dominant uniquement pour les achats des ménages français, à l’exclusion absolue de la restauration collective ou des autres pays européens qui ont tous adopté le modèle du poulet standard ;
  • enfin, sans qu’on puisse bien mesurer les évolutions réelles et les tendances, on note une stabilisation du temps de préparation des repas qui pour certains correspondrait au retour d’une préparation élaborée à partir de produits agricoles bruts, par opposition à une alimentation issue de l’industrie agroalimentaire.
Le régime alimentaire est d’abord le reflet des ressources alimentaires mobilisables, en fonction des caractéristiques du milieu et des techniques de production utilisées. Loin de questions de santé, de religion ou d’identité, les régimes alimentaires des Inuits sont quasi-exclusivement carnés du fait des seules ressources alimentaires animales disponibles, comme ceux de certaines populations nomades africaines qui se nourrissent essentiellement sur les troupeaux qui les accompagnent dans leurs migrations. Par opposition, certains régimes sont végétariens non par doctrine, mais parce que les ressources végétales abondantes et diversifiées du milieu environnant permettent de satisfaire les besoins de notre espèce omnivore dans de bonnes conditions. Nous ne reprendrons pas ici l’histoire de l’alimentation humaine depuis les chasseurs-cueilleurs du paléolithique jusqu’aux agriculteurs/éleveurs/pêcheurs d’aujourd’hui avec toutes les variantes possibles, si ce n’est pour rappeler que la densification démographique a toujours été permise ou empêchée par la mise en place de régimes alimentaires suffisants en ressources sur le plan qualitatif et quantitatif. Et que la réponse aux besoins alimentaires dans un milieu donné a été historiquement une partie déterminante de l’origine des plus grandes civilisations, comme en Égypte avec l’utilisation du Nil et les magasins centralisés de grains, en Chine avec les besoins de transport et de répartition de la ressource. Elle explique également le mode d’occupation des forêts primaires équatoriales avec les rotations de culture sur très longue période. Cette même vision conduit sans doute à proposer que nombre d’interdits alimentaires existants, et attribués à des raisons religieuses et culturelles, depuis l’interdiction du porc chez les juifs et musulmans jusqu’au poisson du vendredi et au maigre du carême des catholiques occidentaux, ou à la prohibition de nourritures d’origine animale dans diverses religions orientales, ont des racines et des explications économiques et écologiques.

14Réciproquement, les grands régimes alimentaires typiques avec les cuisines les plus connues sont très évidemment liés au rapport entre la ressource, le milieu et la population. Ce que montrent l’usage des épices par les Arabes commerçants entre l’Orient et l’Occident, le régime alimentaire extrêmement diversifié des Chinois (qui mangent absolument tout, mais très préparé) ou encore les variations fortes de régime alimentaire entre régions françaises dont la diversité de la cuisine fait sa réputation mondiale, mais n’est qu’un reflet de la diversité de ses terroirs très longtemps sans relations entre eux, comme furent leurs produits : fruits de mer bretons et normands, fromages et charcuteries de montagne, fruits et légumes frais ou secs et huile d’olive de Méditerranée, viandes rouges des régions herbagères et pain, aliment principal d’un pays grand producteur de céréales au demeurant variées.

15Nous partirons donc du postulat que la très grande diversité des régimes alimentaires du monde correspond simplement à l’existence historique de civilisations très autonomes sur terre, aux rapports entre elles réduits et souvent difficiles, que ce soit pour des raisons de transport ou de très grandes différences. La réduction de ces différences, la multiplication des migrations, des échanges économiques et culturels à l’échelle du monde et la facilitation extrême des transports à longue distance qui sont caractéristiques de la mondialisation bouleversent donc cette situation.

16Cette diversité, on l’a vu, reste réduite sur les glucides de base, et s’est en plus fortement simplifiée au cours du temps, avec la domination de quelques grandes espèces (blé, maïs, riz, pomme de terre, mil, taro…) et la réduction de la diversité utilisée au sein de chaque famille (réduction par exemple du nombre de céréales cultivées en France, avoine, seigle, épeautre, triticale, orge, etc., et du nombre de variétés paysannes cultivées au profit des variétés normées aujourd’hui par la sélection scientifique). Mais ces évolutions ont somme toute un impact culturel limité, avec l’adoption opportuniste dans le monde entier d’une source de glucides à la place d’une autre, le riz en Afrique ou la pomme de terre en Europe au XVIIIe siècle. L’adoption très aisée de nouvelles ressources dans ce domaine peut soit conduire à la substitution complète, soit simplement à l’adoption de produits complémentaires même sans qu’ils se substituent à des ressources antérieures équivalentes (maïs en Europe, blé et maïs en Chine…).

Protéines : une multitude de sources

17Il n’en est pas du tout de même pour la fraction protéique de la ration. Beaucoup plus diverse, elle est assurée par une multitude de sources selon les régions du monde et les cultures : protéines végétales dans les zones tropicales avec une grande variété d’espèces cultivables, ressources animales directes avec les viandes issues de mammifères qu’ils soient sauvages avec la chasse, maintenant devenue résiduelle à l’échelle mondiale et limitée à quelques peuples (populations boréales, populations autochtones de forêts équatoriales) ou domestiques avec la grande division entre ruminants (vaches, chevaux, caprins, ovins…) et monogastriques (porcs, volailles…), avec les produits de la mer (poissons, céphalopodes, crustacés, coquillages), et des produits divers secondaires comme les batraciens, escargots, insectes, etc. Ressources animales indirectes avec les produits laitiers de nombreuses espèces de mammifères et les œufs de toutes sortes d’oiseaux, poissons ou reptiles. Cette diversité est liée à la diversité des espèces et produits concernés, mais elle est aussi liée à la diversité des produits disponibles au sein d’une même espèce (qu’on songe à la différence entre viande de veau et de vache, ou entre pièce à rôtir, à bouillir et abats). Elle est assortie de multiples attirances, répulsions, croyances, limites, caractéristiques de cultures spécifiques, et qu’on ne peut pas toujours relier à des raisons objectives (les escargots entre la France et la Grande-Bretagne, ou le chien entre Europe et Chine !). Elle est enfin fortement influencée par la représentation qu’a l’homme de lui-même, que ce soit comme proche ou distinct de la condition animale ou dans son rapport avec telle ou telle autre espèce ou avec son milieu. Pour toutes ces raisons, on peut considérer que l’alimentation protéique est le marqueur essentiel de la culture et de l’identité, et le sujet principal de ces dernières en ce qui concerne l’alimentation. En même temps, c’est sur cette fraction protéique que s’affrontent aujourd’hui les domaines identitaire et culturel, économique, écologique et politique. Les controverses sur l’empreinte écologique insupportable que représente la généralisation du modèle occidental à base de protéines animales, sur la souffrance animale que représentent les modes d’élevage actuels, sur l’émission de gaz à effet de serre par les ruminants, les interdictions ou prohibitions culturelles ou religieuses concernant telle ou telle espèce, les polémiques sur la pêche ou sur l’élevage de poissons ou crustacés, concernent toutes ce compartiment alimentaire. Dans cette situation de choix multiples possibles qu’entraîne la mondialisation, il est donc urgent de discuter des nécessités et des possibilités dans ce domaine, pour aller vers des politiques spécifiques qui ne soient plus la simple prolongation des contraintes ou tendances historiques différentes selon les sociétés, pour devenir des choix réfléchis et partagés en tenant compte de tous les facteurs en jeu. La première politique alimentaire possible et souhaitable au-delà de la sécurité de base concerne donc sans doute ce domaine, quelle que soit l’échelle considérée, nationale, continentale ou mondiale.

18La situation est intermédiaire pour la fraction lipidique. Sans qu’elle fasse nécessairement l’objet des mêmes différences selon qu’elle est d’origine animale ou végétale (on parlera plus aujourd’hui plutôt, d’acides gras saturés ou insaturés), les différences essentielles subsistent comme marqueurs d’identité. On a pu et on peut encore ainsi parler de civilisation du beurre, de l’huile d’olive ou du saindoux, même si les huiles et graisses végétales d’origine tropicale ont vu leur usage se généraliser de longue date dans le monde entier pour des raisons de coût, avec des effets très controversés sur la santé compte tenu du taux de saturation de leurs acides gras.

19Enfin, pour les aliments secondaires, fournisseurs d’oligo-éléments, de vitamines, de lest, mais aussi de goût ou d’effets physiologiques divers comme les plantes stimulantes ou calmantes, les épices et aromates, les fruits et légumes traditionnels ou exotiques, on retrouve la situation décrite pour les productions végétales : échanges croissants, diversification et acceptation facile, voire incorporation culturelle généralisée. Que l’on songe ainsi à l’adoption universelle de la tomate d’origine américaine. En même temps, tous ces produits restent des facteurs d’identité forts et des marqueurs culturels revendiqués de façon positive, utilisés sur le plan touristique comme culturel et économique. Leur échange et leur adoption deviennent ainsi vecteurs de mondialisation positive, comme les épices qui ont même pu être facteurs de mondialisation par leur commerce pendant plusieurs siècles.

20Le dernier point que nous aborderons, encore une fois sans prétendre à l’exhaustivité, est celui d’une politique alimentaire nécessaire ou possible qu’entraînerait en partie la mondialisation. Sans évoquer plus avant le niveau opportun de définition et de mise en œuvre de telles politiques aux diverses échelles possibles, nous nous limiterons à en évoquer des contenus. À partir de divers constats : celui déjà évoqué de l’absence générale de politiques alimentaires dans le monde, si ce n’est de politiques de sécurité alimentaire ; sécurité alimentaire quantitative avec la constitution de stocks stratégiques (Allemagne, Chine) ou la subvention massive et le contrôle des prix sur les aliments de base (Égypte, Algérie) ou sécurité alimentaire qualitative avec la qualité sanitaire des aliments, qui mêle d’ailleurs souvent des considérations sanitaires réelles avec des considérations d’obstacles économiques non-tarifaires aux échanges. En contraste, on constate de multiples initiatives politiques éclatées qui concernent directement tel ou tel aspect de l’alimentation : culturelles avec les actions d’éducation ou de conservation des produits, des recettes et savoir-faire, sanitaires avec les préconisations diététiques diverses, économiques avec l’orientation de l’agriculture ou de l’industrie de transformation dans tel ou tel sens, sociales avec l’alimentation des diverses populations fragiles, etc. La mondialisation est ainsi un des facteurs qui poussent à la définition et la mise en place de politiques alimentaires intégrées, qui reprennent tous les aspects de ce domaine complexe, et utilisent ensuite les différents moyens déjà évoqués : information, éducation, incitation, restriction, contrainte ou interdiction par tous les vecteurs possibles : législatifs réglementaires, fiscaux, obstacles aux échanges ou libéralisation de ceux-ci…

21Je reprendrai ici un extrait d’un travail de groupe fait pour la Fondation Terra Nova et non encore publié, qui récapitule des champs possibles de telles politiques alimentaires intégrées :

22« Il n’a jamais existé jusqu’ici de politique globale de l’alimentation, sauf en période de disette, pendant les conflits. Le sujet présente de multiples facettes, de très nombreux acteurs différents et dispersés, et il n’apparaît pas évident qu’il faille envisager une politique concernant l’ensemble de ces aspects et acteurs de l’alimentation, mais plutôt une politique intégratrice ayant pour objectif d’atteindre le concept d’alimentation durable.

23Ce concept d’alimentation durable a une portée collective et politique par opposition au bien-être alimentaire, plus individuel. Il associe dans un projet de société plusieurs préoccupations étroitement liées :

  • une alimentation accessible à tous, saine et équilibrée, répondant aux besoins nutritionnels. Il est nécessaire d’augmenter la densité nutritionnelle (maintien du niveau indispensable des divers nutriments face à une diminution de la quantité globale) pour limiter les déficiences qui s’accentueront avec les changements de régimes alimentaires liés aux diminutions des besoins énergétiques. Mais il faut aussi mieux lier l’alimentation à des choix d’ordre écologique, par exemple baisse des apports en fer avec diminution de la consommation de viande, augmentation de la part des omégas 3 et baisse des résidus absorbés comme les pesticides dans les fruits et légumes ou les antibiotiques dans les viandes ;
  • une alimentation produite par des modèles agricoles qui préservent l’environnement, le climat, les sols, l’eau, la biodiversité naturelle et domestique, ainsi que le bien-être des animaux d’élevage ;
  • une alimentation plus sobre en consommation d’énergie, en émissions de gaz à effet de serre et générant moins de déchets : circuits courts, moins de produits importés, moins de fruits et légumes de contre-saison, modes de production sobres, limitation des emballages ;
  • une alimentation qui promeut les patrimoines et savoir-faire gastronomiques, contribue au développement des territoires et assure un revenu équitable pour les producteurs ;
  • une politique alimentaire définie de façon plus ouverte par des pouvoirs publics associant plus directement les acteurs concernés : producteurs, consommateurs, collectivités territoriales, associations, milieux médicaux et de santé, entreprises de transformation et de distribution, etc.
Pour un sujet qui concerne d’aussi près les individus, et considéré comme relevant de la sphère privée, il s’agit plus de travailler des orientations stratégiques qu’un programme détaillé, sachant que les mesures adoptées doivent être souples, expérimentées, évaluées, déconcentrées et décentralisées, participatives plus qu’impératives. Ces mesures doivent être indirectes, c’est-à-dire ne pas viser le comportement des individus, mais plutôt l’ensemble de leur cadre de vie qui ait une influence sur leur alimentation. »

Notes

  • [1]
    Cet article est rédigé à titre personnel et n’engage donc que moi. Il s’appuie cependant sur des études économiques et de consommation alimentaire conduites dans le cadre des études et de l’information économique du ministère de l’Agriculture et de FranceAgriMer auxquelles je participe.
  • [2]
    En 2006, source : INSEE. Ce chiffre exclut la boisson et la restauration hors foyer. Boisson et RHF comprises, cette part du budget passe à 19,6 %.
  • [3]
    On note ainsi que au contraire du discours dominant, c’est la stabilisation des valeurs qui est une condition de l’augmentation des échanges et non l’augmentation des échanges la condition d’un mieux-être général.
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