Notes
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[1]
Émilie Nocent, Master II de Géographie, Mention « Espace et Sociétés », Diagnostic socio-spatial, Enjeux environnementaux et prospective territoriale, Stage CNRS sur le projet Dytefort réalisé au sein de l’IAAT Poitou-Charentes (Institut atlantique d’aménagement du territoire) ; Les espaces ruraux en transition dans le Grand-Ouest : caractérisation et étude de cas sur la Plaine D’Aunis et le Bressuirais, Université de Poitiers, Département de géographie, année universitaire 2008-2009, p. 47-49, p. 52, p. 58-60 et p. 79-81.
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[2]
Jean-Claude Diebolt, Quelle PAC pour quels emplois ?, rapport à paraître publié par la CFDT sous timbre Ires (Institut de recherches économiques et sociales).
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[3]
Les données sur les entreprises agissant dans les six gisements, leur ratio en salariés, proviennent des « Bilans gratuits » du journal Les Échos mis en ligne sur Internet, à l’adresse http://www.bilansgratuits.fr/ static où nous visitons une par une les entreprises.
1Depuis le début des années 2000, les espaces ruraux sont remodelés en profondeur, perdant leurs services publics mais regagnant un résidentiel hétérogène, qui appelle à recréer des installations et des activités. Face à ce qui prend l’allure d’une fracture, une intercommunalité étoffée porte des solutions, mais l’enchevêtrement administratif et politique d’un millefeuille de compétences et de financements, s’étageant du local aux programmes européens, complique les recompositions de zones d’habitat dispersé, à dominante agricole. En outre si, dans l’assistance alimentaire, le logement, le déplacement et les soins règnent des mesures disparates s’ajustant à des catégories précarisées, voire marginalisées, les communications, les loisirs et le respect de patrimoines comme des milieux vivants suscitent des offres de prestations lucratives. Ces deux séries de transformations, peu conciliables, exigent de redéfinir la notion même de services.
2Un document réalisé par Émilie Nocent [1] décrit dix critères caractérisant les « espaces ruraux en transition », où figurent tourisme, agriculture, environnement, urbanisme, qui sont des secteurs à doter de services inédits, élargissement confirmé par la liste, établie à partir de la Base permanente des équipements (BPE) 2007, conjuguant 73 domaines, où des demandes actuelles en commerces (dont bricolage, papier, sports) voisinent avec l’habituel sanitaire et social. Notre propos vise à montrer comment et en quoi certaines catégories de services indiqués demeurent sous-évaluées, trop peu observées dans les émergences qui s’y font jour. Tout se passe comme si un scénario de structuration était à l’œuvre, que ne restituent ni les descriptions cloisonnées de l’Insee, ni les travaux de recherche sur un rural en transition qui n’enquêtent pas directement sur ces transversalités innovantes. C’est pourquoi nous en venons à une configuration élaborée avec notre étude [2] sur la PAC (Politique agricole commune) à réformer en 2014, identifiant six gisements d’activités à fort potentiel d’emplois, unissant les services aux autres secteurs économiques.
Gisement 1
3Dans ce premier groupement, concernant les équidés, citons l’utilisation en attelage pour la collecte des déchets urbains comme pour des transports scolaires, et l’utilisation en traction sur des terrains à regagner dans des reliefs irréguliers ou accidentés pour du maraîchage approvisionnant des urbains, pour du débardage (avec la demande accrue en énergie bois). Illustrons la relance du cheval de trait par le réseau Traits de génie dans la Drôme, et par Prommata qui rénove les porte-outils et les diffuse en Afrique. Des 23 spécialisations entre lesquelles nous répartissons les actions équines, suite à une inspection initiale de 817 structures, extrayons les appuis logistiques (9 %), les lieux de loisirs ludiques (5 %), la préservation de races (4 %), les hébergements et soins (2 %), sans oublier l’équithérapie (2 %). Des références [3] traitées pour cet article indiquent que les centres équestres emploient presque deux fois plus de salariés que les élevages simples, ce qui reproduit la constante d’une agriculture recourant peu aux embauches hors des exploitants et des actifs familiaux.
Gisement 2
4L’élan pris par des sports de nature aboutit à une gamme d’activités encore plus dense qu’avec les équidés. 30 rubriques identifient des formes diversifiées, ciblant entre autres des jeux traditionnels, des liens intergénérationnels, des rallyes de découvertes, des moments de jumelages, de festivals…
5Le plein air équilibre les milieux géographiques : kayak mer-rivière, aviron, course d’orientation, cyclotourisme, raids équestres, ULM et vol libre. Toutefois, un chiffrage des disciplines émergentes montre une disparité entre départements qui constitue un aspect notable des sports dans les territoires. Ce secteur attire des publics motivés dans des lieux qui, de ce fait, bénéficient de retombées en restauration et hébergements ; surtout il engendre des emplois directs dans le sport adapté, les foyers populaires et des unités départementales pour loisirs, selon une transversalité rapprochant les manifestations sportives du culturel et du touristique.
Gisement 3
6On pourrait croire hasardeux d’inscrire les animaux de compagnie parmi des entreprises contribuant à stimuler un redéveloppement agricole bénéficiant au rural par ses services. Toutefois, en spécifiant que les élevages, chenils, chatteries, zoos, sont comptés en agriculture avec la classification NAF (« nomenclature des activités française »), deux raisons unissent cette filière aux autres gisements. On tend, en effet, à sous-estimer l’intensité des attentes en moments de détente servant à effacer les tensions grandissantes provenant du travail et des soucis de la vie urbaine. Trois dimensions motivent les succès repérés : ils impliquent des cadres naturels retrouvés, la beauté de leurs sites ; rompant avec l’anonymat du modernisme, les randonnées, les séjours à la ferme, les spectacles de rue, les artisanats ré-enracinent les individus, les ressourcent. Et la vie animale réinjecte sa force et sa magie au cœur des lieux et des gens ; chiens, chats, oiseaux et poissons, leur biodiversité propre, jouent pleinement cette fonction. Deuxièmement, il s’agit d’élevages, impliquant la pension, les soins, la nourriture. Signalons que 53 entreprises d’aliments pour ces animaux comptent 5 350 emplois.
7Soulignons ici combien la tâche d’analyse documentaire, dépassant les lacunes de statistiques institutionnelles, est primordiale, car ce secteur Élevage d’autres animaux (code APE 0149Z, pour « activité principale de l’entreprise ») noie ce gisement parmi une biodiversité cultivée renvoyant aux filières d’agrotourisme. Faisans, lapins, miel, gibiers, dont cervidés et autruches, mais aussi les petits exploitants spécialisés en escargots, truites, visons, cailles, pigeons, perdrix, fauconnerie, etc., composent cette diversification cultivant des valeurs ajoutées. Les exploitations revues pour l’occasion salarient un peu moins de deux employés chacune, soit largement plus que les filières agricoles les plus soutenues par la PAC…
Remarques méthodologiques
8Ce thème de gisement et le passage aux trois derniers se prêtent à intercaler une deuxième réflexion méthodologique transversale sur l’emploi associatif. La conception linéaire et sectorielle qui préside à la qualification statistique des associations par la nomenclature RNA (répertoire national des associations) est à interroger, ce qui détermine le degré de valeur économique à accorder à l’associatif. En bref, les 10 047 déclarations parues au Journal officiel, déposées à la préfecture d’Angers, sont ventilées en 137 classes ; elles ignorent les 7 Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) que nous y pointons, susceptibles de se cacher sous une dizaine d’intitulés. Émiettement et redondances de ceux-ci laissent perplexes, comme les 14 « randonnées » distinguées parmi les 1 568 « sports de plein air ». De plus, sont annoncés deux groupements d’employeurs, alors que 64 sont présents dans le corpus ; sachant que l’examen de ce statut apprend qu’ils jouent largement pour faciliter les créations d’entreprises en tous secteurs ! Repenser les typologies est donc impératif.
9Une veille systématique menée sur environ 800 000 références révèle que 25 % d’entre elles s’occupent de développement local, qu’autant se vouent à des animations de filières, en tourisme vert ou insertion et à des valorisations en ressources locales et écologiques. Ces engagements nous amènent à démarquer l’associatif émergent, novateur et employeur, d’un associatif classique, à usage de service privé, groupant anciens combattants, chasseurs, parents, pratiquants de billard, etc. Un profil intermédiaire est à ménager, celui d’associations « hésitantes entre permanence et évolution », qui seraient à enquêter une à une afin de préciser vers quoi elles se tournent aujourd’hui (sapeurs pompiers et familles rurales, par exemple).
10On remarque, appliquant nos trois volets à 715 associations du Calvados, que chaque classique ne compte en moyenne que 0,1 emploi, qu’un peu plus d’une sur deux hésitantes embauche un salarié, et que les émergentes, avec un ratio de 1,6 emploi par association, atteignent près de la moitié de notre sélection, étant pour la plupart postérieures à 1995.
Gisement 4
11Ayant commencé à illustrer la richesse de niches agricoles à soutenir, nous portons surtout un regard sur des relations à la restauration et à l’accueil permettant de valoriser des produits de terroir écologiques, gastronomiques et nutritionnels. Parmi les entreprises rangées sous le code APE 9103Z, gérant des sites et des attractions touristiques, 40 d’entre elles, hors musées, représentées dans toutes les régions, véhiculent un potentiel à étendre : moulins, routes à thème (sur la soie, la châtaigne, l’olivier), utilisation touristique du rail, sentiers de découverte, savoir-faire traditionnel réactualisé (cuir, pastoralisme, habitat avec pierre sèche, filature). Les lieux post-2001 sont quatre fois plus nombreux et emploient six fois plus que les expériences antérieures. Une constellation d’activités fait interagir les parcs de loisirs sportifs, les campings et la variété des « autres hébergements de courte durée ». À côté des gîtes en nom propre, nous vérifions que les campagnes sont quatre fois plus fortement dotées que les villes en formules d’initiatives collectives (centre aéré, amicales laïques, domaines, foyers ou villages communaux de vacances), embauchant en moyenne deux personnes par unité.
12La commercialisation de services conviviaux s’articule à l’agroalimentaire en rénovation. Triant, derechef, des « NCA » (non classés ailleurs)», nous atteignons 78 entreprises en autres biens alimentaires, présentant 2 051 emplois salariés, soit une moyenne de 26 par unité, travaillant les cailles et autres gibiers, des plats traditionnels, crêpes et viennoiserie, vanille, soupes, pizza, terrines diverses, mais aussi levure, colloïdes naturels. La densité des facettes motive une troisième remarque méthodologique, prescrivant de croiser un maximum de sources, au lieu de se borner aux seuls bilans publiés. Les installations capables de se viabiliser se logeant dans des interstices de productions et de services, il ressort que chaque relevé est partiel car les catégories de statuts et d’options culturelles procèdent à des évaluations de leurs membres échappant à des serveurs institutionnels. Citons les portails Internet centrés sur les achats éthiques et bio, les initiatives cantonales promouvant leurs créations originales, les publications de lauréats à des concours et appels d’offres, les éditions de guides alternatifs : les préciser aurait fait évoquer des milliers de produits, de salariés, d’adresses, loin de notre contingent réduit NCA.
Gisement 5
13Il faut affirmer fortement que la souveraineté alimentaire ne contredit pas tous les autres usages des matières agricoles, que nous regroupons en « agro-industriel ». Leur recrudescence dans les consommations et dans l’opinion collective a même contribué à impulser un Grenelle, les engageant dans l’écoconstruction, les textiles non synthétiques, les détergents et cosmétiques bio. Que les aboutissements en mesures politiques soient décevants importe peu, car la demande reste à satisfaire : les services impliqués touchent tant au gros œuvre de bâtiments à énergie positive qu’au petit mobilier, au cuir, aux poteries en terre, aux jeux et jouets, etc.
14Le nettoyage ainsi que l’entretien écologique d’espaces verts impliquent le secteur protégé, prestataires sollicités par les collectivités. Ce point nous conduit à intercaler un regard sur les marchés publics, détenant une responsabilité d’exemplarité. Nous l’étayons par un aperçu portant sur 90 entreprises de restauration collective, un tiers seulement d’entre elles étant publiques ou mixtes alors que l’activité est florissante, avec une moyenne de 98 salariés par prestataire. Un pic d’apparitions post-2001 confirme l’émergence de la formule ; raison de plus pour inviter à des mesures incitatives, sur le modèle de ce que des Agendas 21 ont initié avec l’horticulture territoriale, les vêtements de travail, les fournitures et meubles de bureau…
Gisement 6
15Le dernier gisement recoupe le second pilier de la PAC avec les mesures agro-environnementales (MAE) que les ONG (organisations non gouvernementales) déclinent en biens publics. Notre apport sur ce point consiste à ne pas séparer la défense des espaces et de leur biodiversité de la gestion du foncier, lié à l’habitat comme aux dynamiques économiques.
16Cette orientation enregistre une forte prise en charge citoyenne de sites à protéger, de réseaux surveillant les bassins versants. La prévention des risques la plus efficace recourt à des animations, comme on le voit avec les déblayages de sentiers de randonnées, avec le concours des ânes et des chèvres (cf. Anestérel) pour débroussailler les terrains et prévenir les dangers d’incendies. Estimer les emplois induits par cette mission fait consulter les avis d’embauche : sur quelques 2 000 offres d’emplois étudiées, une moitié intéresse la protection civile, 50 % couvrant les problèmes d’eau, un quart traitant d’urbanisme, et un quart abordant risques et pollutions.
En conclusion
17Pour tous les gisements, les chiffres globaux recueillis avec nos échantillons réexaminés témoignent que trois variables convergent pour justifier la présence d’émergences enracinées tendanciellement : la progression annuelle, les dates d’apparition et les localisations signifient que nos détections qui couvrent des territoires ruraux en transition méritent de retenir l’attention. Le créneau Autres animaux, qui n’intéressait que 12 500 exploitations en 2009, fait apparaître un accroissement de 1 477 entreprises entre 2009 et 2010 ; extension spectaculaire identique pour les huiles essentielles, la vannerie-sparterie (tressages, bois tournés, encadrements), les récréations sportives… Par le relevé méticuleux des périodes de surgissement, on constate que les naissances post-2001 dépassent nettement celles de phases antérieures. Et si l’on tient compte de l’espace d’implantation, il se confirme que les communes rurales l’emportent largement sur les villes en densité de présence.
18Laissant le soin aux lecteurs de dégager leurs réflexions à partir de ces données, nous consacrons nos efforts à cinq chantiers exigés par le suivi de nos gisements. Le premier : relancer une agriculture durable dans ses petites et moyennes structures engage le marché intérieur européen, motivant de lui dédier une seconde PAC. En découlent : ne pas séparer l’Europe du co-développement remédiant aux misères mondiales ; étendre les communications entre novateurs isolés, les faire connaître et reconnaître, leur ouvrir les espaces et moyens publics ; reconstituer les services en transformation et distribution, par la proximité d’abattoirs, de meunerie, d’entrepôts. Enfin : encourager les vocations à s’installer grâce à des formations et enseignements ré-émergents en agronomie, en écologie, botanique, zoologie, sur les préventions, pour gérer des défis pluriethniques, pluriculturels, pluri-générationnels. Avec le recul de l’histoire, s’il s’avère que ces embryons sont aptes à se pérenniser et à essaimer, il n’est pas impossible qu’ils amorcent une alternative aux inégalités préoccupantes entraînées par un modernisme trop rigide, solutions que n’ont pas su concevoir les oppositions marxistes ou les formules d’économie sociale, par leur croissance redistribuée.
Bibliographie
À lire
- Textes transmissibles sur demande faite à l’auteur (La Foucherie – 72600 La Fresnaye sur Chédouet ; ou contact@cheminements-solidaires.com
- Jean-René Bertrand, Cyria Emélianoff, Érika Flahault, Jean-Claude Diébolt, Atlas permanent et modèles d’émergence des nouvelles manifestations de l’économie solidaire (Pays de la Loire), Rapport de recherche pour la Mire (Mission Recherche du ministère du Travail), 31 mars 2003.
- Jean-Claude Diébolt, « Rendre les recompositions spatiales adéquates à des dynamiques de solidarité méconnues », Article pour les 5e Rencontres inter-universitaires d’économie sociale et solidaire, 11 et 12 mai 2005.
- Jean-Claude Diébolt, « Recensement d’expériences conduites en matière de services à la population dans le cadre de dynamiques territoriales », Contribution pour les Journées nationales des Parcs naturels, octobre 2005.
- Jean-René Bertrand, Stéphane Corbin, Jean-Claude Diébolt, Approche territoriale des organisations sociales et solidaires : Basse-Normandie et Pays-de-la-Loire (analyse pluridisciplinaire), Rapport final de recherche pour la Mire (Mission Recherche du ministère du Travail), novembre 2005.
- Jean-Claude Diébolt, « Une fabuleuse richesse », entretien avec Thierry Brun paru dans la revue Politis, décembre 2005.
- Jean-Claude Diébolt, Document sur « Des diagnostics pour des dynamiques solidaires en écorégion», Premières assises du Limousin, 6° table ronde, 10 février 2006.
- Jean-Claude Diébolt, « Le concept de sport de plein air-nature “3E” éducatif, environnemental, économiquement solidaire », Note pour l’atelier « Les Agendas 21 du sport », 31 octobre 2006.
- Jean-Claude Diébolt, « Sortir la recherche de son cloisonnement », Politis, janvier 2007.
Notes
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[1]
Émilie Nocent, Master II de Géographie, Mention « Espace et Sociétés », Diagnostic socio-spatial, Enjeux environnementaux et prospective territoriale, Stage CNRS sur le projet Dytefort réalisé au sein de l’IAAT Poitou-Charentes (Institut atlantique d’aménagement du territoire) ; Les espaces ruraux en transition dans le Grand-Ouest : caractérisation et étude de cas sur la Plaine D’Aunis et le Bressuirais, Université de Poitiers, Département de géographie, année universitaire 2008-2009, p. 47-49, p. 52, p. 58-60 et p. 79-81.
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[2]
Jean-Claude Diebolt, Quelle PAC pour quels emplois ?, rapport à paraître publié par la CFDT sous timbre Ires (Institut de recherches économiques et sociales).
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[3]
Les données sur les entreprises agissant dans les six gisements, leur ratio en salariés, proviennent des « Bilans gratuits » du journal Les Échos mis en ligne sur Internet, à l’adresse http://www.bilansgratuits.fr/ static où nous visitons une par une les entreprises.