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« Nimby désigne une position éthique et politique qui consiste à ne pas tolérer de nuisances dans son environnement proche. Cet acronyme provient de l’anglais Not In My Back Yard qui signifie “Pas dans mon arrière-cour”. » Source : Wikipédia.
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Direction régionale et interdépartementale de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt d’Île-de-France.
1Comment l’association Île-de-France Environnement procède-t-elle pour faire évoluer les projets qu’elle remet en cause ?
2Claude Loiseau : Les associations locales nous fournissent les informations : dès qu’un projet pose problème, elles nous préviennent et sont invitées à rédiger des articles qui sont publiés dans notre journal Liaison. Nous le distribuons à tous les députés, à tous les sénateurs de la région Île-de-France, aux administrations et décideurs régionaux, aux maires et à des conseillers généraux. Ce bulletin est très lu, et nous nous apercevons que dans de nombreuses situations, des élus et des décideurs tiennent compte de nos observations.
3Nous sommes par ailleurs impliqués dans plusieurs réseaux et structures, et personnellement je suis membre associé du Conseil économique et social de la région Île-de-France. En son sein, je participe à la commission Agriculture, environnement et ruralité. Bien sûr nous y sommes minoritaires, au milieu des représentants du Medef, des entreprises, des agriculteurs et des syndicats. Il y a encore quelques années, il était parfois difficile de faire passer nos options environnementales et écologiques, alors que maintenant, beaucoup nous rejoignent. Par exemple, nous nous étions penchés sur le problème des phytosanitaires bien avant le Grenelle de l’environnement, et nous affirmions déjà qu’il fallait limiter leur emploi. Nos relations avec les chambres d’agriculture ont considérablement évolué avec un rapprochement de nos points de vue… Nous avons également des relations avec le Conseil régional, d’autant plus que ses représentants nous ont demandé de réaliser des travaux pour son compte. Nous leur avons fait de nombreuses suggestions, des propositions à l’horizon 2030-2050 sur l’éco-région, aussi bien pour les terres agricoles que pour les paysages ou les forêts. Nous avons également participé à l’élaboration du Plan de déplacements urbains.
4Auparavant, dans de nombreuses situations, c’était le phénomène Nimby [1] qui mobilisait des militants ; les préoccupations relatives à l’agriculture passaient souvent au second plan. Ils pensaient, comme beaucoup d’élus ou de décideurs, que les terres agricoles n’étaient que des réserves foncières propres à l’urbanisation. Mais depuis cinq ou six ans, les habitants prennent conscience des problèmes agricoles, des problèmes de mitage et d’aménagement équilibré du territoire. Avec le Grenelle, on s’aperçoit que dans dix ou quinze ans nous pourrions être confrontés à de sérieux problèmes d’approvisionnement.
5Nous participons également à des plans d’organisation de l’agriculture, en particulier à la Driaaf [2]. On peut y donner notre avis, et même si là aussi nous sommes très minoritaires, nos idées progressent. Il faut cependant reconnaître que l’administration dispose de peu de moyens pour freiner l’urbanisation : à partir du moment où des ministères disent que, dans telle situation, nous sommes face à un projet économique, la conservation des terres et des espaces ouverts passe encore au second plan.
6Quelles ont été vos principales actions ?
7C.L. : Sur le Plateau de Saclay, le projet de l’ancien secrétaire d’État chargé du développement de la Région capitale consiste à créer un cluster scientifique et technologique regroupant les établissements existants et d’autres transférés sur le site, dont l’université Paris XI. Ce projet, avec la loi du Grand Paris, comme celui de la Région, prévoit la préservation de 2 300 hectares de terres agricoles.
8Nous avons conduit des actions locales en direction des maires et des conseillers généraux, fait paraître des articles dans Liaison, rencontré le préfet de la région et écrit aux ministères de l’Environnement et de l’Agriculture. Nous attendons maintenant les décrets d’application de la loi du Grand Paris en souhaitant que les associations d’environnement seront suffisamment représentées pour se faire entendre.
9Dans les Yvelines, sur le site de Flins, des terres étaient réservées à un grand projet d’agriculture biologique, des candidats avaient été trouvés pour les exploiter. Tout était bien programmé, la Chambre d’agriculture était d’accord. Ces terres sont par ailleurs situées à proximité d’un des plus grands captages d’eau potable d’Île-de-France.
10Du jour au lendemain, le Conseil général des Yvelines avait annoncé son projet de création d’un circuit automobile F1 sur le site. On nous disait qu’il allait créer des emplois et relancer l’industrie automobile.
11Nous nous sommes mobilisés contre le circuit, mais nous avions contre nous une majorité d’élus. Les conseillers généraux étaient unanimement favorables au circuit F1, ils ont engagé des études pour dévier et enterrer une ligne à haute tension, faire une nouvelle gare, de nouveaux puits de captage pour l’eau. Tout le projet d’agriculture biologique était remis en cause. Durant un an et demi, des actions en justice ont été initiées par trois maires et des associations. Un collectif et une association créés pour l’occasion ont été très dynamiques. Nous voulions la restitution complète de ces terres, l’Agence des espaces verts était de notre côté, ainsi que la Safer.
12Avec plusieurs de nos soutiens, nous avons entrepris diverses démarches dont :
- une lettre au président du Conseil général des Yvelines pour demander le retour des terres à la Safer et à l’agriculture bio ;
- une autre lettre à la préfète demandant l’abrogation des arrêtés de Zone d’aménagement différé ;
- une rencontre avec le maire des Mureaux ; une autre avec le maire de Flins, le président de l’Agence des espaces verts et le directeur de la Safer. Nous étions accompagnés de représentants des agriculteurs biologiques et des syndicats agricoles. Ces démarches ont permis de débloquer le dossier au niveau de l’établissement foncier des Yvelines, suite à l’intervention de la Safer.
13Finalement, le projet de circuit F1 a été abandonné. Cette victoire pour l’environnement a été obtenue grâce à une association, à un collectif et aux soutiens apportés par de nombreuses ONG – de grosses structures comme WWF et les Amis de la Terre – ainsi que par Nicolas Hulot, des fédérations de protection de la nature, le Groupement des agriculteurs biologiques et la Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles.
14Nous ne pouvons qu’être satisfaits du retour des terres à leur vocation initiale. Mais ce projet aura fait perdre deux années de culture sur une centaine d’hectares. Et, pour des raisons juridiques, le projet d’agriculture biologique a dû être repris à zéro…
15À 20 kilomètres au nord-ouest de Paris, la Seine enserre dans l’un de ses méandres la boucle de Chanteloup. Il s’agit d’un territoire mi-urbain mi-rural d’environ 4 000 hectares, peuplé de 54 000 habitants répartis en six communes. Après des décennies de combat, les associations croyaient avoir sauvé l’équilibre du territoire, mais de nouvelles menaces apparaissent au nord de la boucle.
16La municipalité de Chanteloup a décidé de classer en espace naturel sensible la totalité du coteau. Triel-sur-Seine veut préserver et mettre en valeur l’étang Cousin et une zone périphérique dédiée à l’initiation à la nature. Carrières-sous-Poissy met en valeur ses bords de Seine et favorise la création d’un parc écologique. Ces initiatives satisfont les associations.
17Par ailleurs, un projet porte sur la conservation d’environ 350 hectares de terres agricoles sur les anciens champs d’épandage des boues d’épuration de la ville de Paris. Ces terres, polluées par les métaux lourds, seraient réservées à la culture de plantes destinées à la fabrication d’agro-matériaux et de biomasse. Nous comptons sur la Chambre d’agriculture pour y installer de jeunes agriculteurs. Certains terrains appartiennent à l’État ; la zone est très morcelée, il faudra la remembrer.
18La plus grande partie de l’ancienne décharge de Triel resterait un espace ouvert et les associations espèrent l’abandon d’un projet d’autoroute, la A104, entre Pierrelaye et Orgeval, et une liaison 2x2 voies entre Achères-Carrières-sous-Poissy et Triel-sur-Seine.
19Mais tout n’est pas rose pour autant ! Sur la commune de Triel, les associations redoutent de voir disparaître, au profit de l’urbanisation, des terres agricoles, des espaces naturels et un couloir de continuité écologique. Leur protection était pourtant prévue par le Sdrif. La municipalité d’Andrésy veut créer un « parc naturel habité » de 40 hectares sur le coteau. Ce projet est qualifié d’écologique parce qu’il préserve des points de vue sur la Seine. La zone est également en partie classée inconstructible au Schéma directeur, elle comprend un couloir de continuité écologique qui irait de Chanteloup à Maurecourt en passant par Andresy.
20La municipalité d’Andrésy a organisé une consultation pour faire valider son projet d’urbanisation d’un coteau – classé inconstructible au Sdrif – par les habitants de sa commune. Le maire espérait réussir à urbaniser ce coteau en l’intégrant dans un projet plus vaste et en s’appuyant sur la demande de logements… La question n’a été posée qu’aux habitants d’Andrésy : ceux des communes voisines, même membres de la Communauté d’agglomération, n’ont pas eu voix au chapitre. Mais les habitants ont repoussé le projet à 70 %.
21La boucle de Chanteloup est intégrée dans un projet global, l’Opération d’intérêt national Seine-Aval. Dans ces conditions, malgré le Sdrif, il sera difficile aux associations de s’opposer à une urbanisation excessive. Ce qu’elles demandent, c’est un développement harmonieux et durable de la boucle, afin de conserver des espaces ouverts et de favoriser les filières agricoles innovantes.
22Autre exemple : le lac des Ciments dans le Val-d’Oise. Le tribunal administratif de Cergy, le 9 avril, a annulé l’arrêté préfectoral qui autorisait le remblaiement du site par son propriétaire et donc la disparition du lac. Les associations écologistes de défense de l’environnement ont donc gagné, après presque deux ans de combat.
23Une association écologiste avait saisi la justice le 6 juillet 2008, requérant l’annulation de l’arrêté du 7 mai 2008 par lequel le préfet du Val-d’Oise avait autorisé la société propriétaire du site à procéder aux travaux de sécurisation et au remblaiement de l’ancienne carrière de la cimenterie, située sur les communes de Beaumont-sur-Oise, Mours et Nointel. Les Amis de la terre et l’association Val-D’oise environnement soutenaient que l’autorisation attaquée avait été accordée sur un motif infondé, à savoir l’insécurité du site. Nous pointions du doigt que l’étude d’impact aurait dû porter sur l’ensemble des travaux, et non seulement sur les travaux prévus au titre de la loi sur l’eau. Au titre du code de l’environnement, nous évoquions aussi que cette étude ne démontrait en aucun cas que les déchets n’allaient pas provoquer ou accroître la dégradation des eaux superficielles ou souterraines.
24De son côté, la préfecture du Val-d’Oise a défendu sa position concernant le projet du propriétaire avec un argument sensible : la sécurité. Le représentant de l’État a en effet expliqué au tribunal que la dangerosité du site était avérée compte tenu d’intrusions après la destruction des clôtures, de baignades sauvages et de risques d’éboulement. La juridiction a également retenu que le propriétaire n’avait pas pris en considération le plan d’occupation des sols de Beaumont. Elle précise ainsi que le site est en zone naturelle protégée qu’il convient de préserver. La mise en œuvre des travaux autorisés aurait eu pour conséquence de compromettre de façon irrémédiable la protection de la zone naturelle.
25C’est donc après deux ans d’attente que le tribunal administratif a jugé l’affaire du lac des Ciments, si controversée, annulant l’arrêté du préfet. Les associations qui se sont battues ces dernières années ont remporté là une très grande victoire.
26Récemment, les nombreux acteurs du dossier du lac des Ciments se sont réunis. Chacun a pu exprimer la solution qu’il jugeait la plus pertinente, et un consensus se dessine aujourd’hui, le débat a fait avancer les esprits. Les associations de défense de l’environnement ont admis que la protection du site doit être rendue compatible avec l’accès des plongeurs et pêcheurs. Pas une personne n’a récusé l’idée d’une classification du site en réserve naturelle régionale par l’assemblée francilienne. Reste à convaincre les maires, leur accord étant indispensable pour pousser la Région à classer le lac : il faut un projet simple, qui sécurise les lieux, les rende accessibles à la population du secteur en priorité et dont le fonctionnement ne coûtera rien aux collectivités, communes et intercommunalité.
27Dernier exemple récent, par décision du tribunal de grande instance de Pontoise du 2 juillet, la société qui avait transformé à Vaux-sur-Seine, dans les Yvelines, un secteur boisé en décharge illégale avec extraction de sablon et stockage de divers matériaux et déchets non naturels, s’est vu interdire désormais tous travaux.
28Ce lieu – classé espace boisé au milieu du massif de l’Hautil – devait, selon les vœux de la municipalité, être déclassé provisoirement au PLU sur 25 hectares. Avec notre aide, grâce à l’action de plusieurs associations locales, la détermination de nombreux élus et après de longs mois de lutte, le bon sens a prévalu pour préserver un des derniers poumons verts du secteur.
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« Nimby désigne une position éthique et politique qui consiste à ne pas tolérer de nuisances dans son environnement proche. Cet acronyme provient de l’anglais Not In My Back Yard qui signifie “Pas dans mon arrière-cour”. » Source : Wikipédia.
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Direction régionale et interdépartementale de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt d’Île-de-France.