Pour 2010/1 N° 204

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Article de revue

L'intercommunalité : une aventure humaine très humaine

Pages 7 à 15

Notes

  • [1]
    Comme l’on fixait autrefois des œillères aux montants de la bride des chevaux pour les obliger à regarder droit devant eux et empêcher qu’ils se laissent distraire par leur environnement immédiat.

1Ceux qui en font l’expérience le savent, l’intercommunalité appelle une autre gouvernance, pour une autre combinatoire des équilibres et des forces et pour une autre régulation des moyens et des enjeux de territoire. Ce sont par conséquent des logiques à changer et, en priorité, une dynamique humaine à réinventer.

2Un certain nombre de communautés de communes rurales rencontrent des difficultés du même type. Des freins contrarient la construction intercommunale : celle-ci enregistre alors des à-coups, subit parfois des revers, semble buter obstinément sur les mêmes obstacles. Fréquemment, notre diagnostic est que la dimension humaine n’est pas assez considérée. Pas plus que son pouvoir de nuisance lorsqu’ elle est négligée.

3Le projet de développement intercommunal est d’abord et avant tout un projet humain de développement, un projet de développement humain. Il s’agit de remettre la dimension humaine au centre de la question du développement des territoires et d’entrer ainsi en cohérence avec les principes du développement durable.

4Nous croyons donc utile de rappeler, sinon une évidence, du moins une vérité. Un territoire n’est tel que parce que des hommes et des femmes y vivent, parce que d’autres y ont vécu avant eux et d’autres encore y vivront après. Ce territoire est certes la composante de facteurs géographiques voire géologiques, de facteurs historiques et bien sûr de contingences économiques, de réalités sociales et culturelles, voire d’influences migratoires… Mais, quoi qu’il en soit, ces facteurs-là n’ont de raison d’être que parce qu’ils servent de cadre à une population ancrée là, laquelle à été façonnée par ce contexte et l’a tout autant façonné. Le développement du territoire ne se fera qu’à la condition que les hommes et les femmes qui le composent en soient des partenaires avérés. Sinon, il n’avancera guère que de travers, subira d’incessantes distorsions et n’arrivera jamais à son terme, laissant plus d’amertume que de satisfactions.

Des freins, des malentendus… un pas de côté

5Les freins marquants auxquels bon nombre de communautés de communes en territoire rural sont confrontées peuvent être dépeints de la manière suivante. La légitimité de l’intercommunalité auprès des communes qui la composent reste précaire. Les relations sont quelquefois conflictuelles. La défiance s’installe d’un côté comme de l’autre. Les uns, les maires et élus des communes, développant le sentiment que l’autre, la communauté de communes, leur confisque une part de leurs prérogatives ; qu’elle leur impose néanmoins des décisions qui, parce qu’elles leur sont imposées, leur apparaissent infondées ; qu’elle draine pourtant une partie d’un budget qui autrefois leur revenait alors qu’ils déplorent une marge budgétaire déjà dramatiquement mince. La communauté de communes quant à elle se plaint du peu d’enthousiasme des élus locaux, de leur propension à mépriser la solidarité intercommunale, voire de mettre à mal le fonctionnement même de l’intercommunalité.

6Dans ces conditions, l’image de la communauté de commune auprès de la population tend à se dégrader.

7Chaque décision destinée à faire avancer le projet intercommunal semble chaque fois plus difficile à obtenir. L’amertume et le dépit des élus sont de piètre conseil. Des crispations entre les acteurs s’enkystent, provoquent des blocages, encouragent des postures fâcheuses… La dynamique humaine est engagée sur un mode négatif et pervertit le projet collectif. Même ce dernier mot semble avoir perdu son sens, tout comme celui de solidarité. N’est-ce pas à ce moment-là que d’aucuns seraient tentés d’évacuer le terme humain de leur lexique ? Et de considérer que, décidément, rien n’est possible avec nos semblables ?

8À ce stade nous pensons nécessaire d’opérer un pas de côté. Celui-ci nous est suggéré par ce que l’on a coutume d’appeler maintenant l’approche systémique. Ce pas de côté, bien que difficile, est indispensable aux élus responsables s’ils veulent sortir de la logique aliénante dans laquelle ils sont pris – et, avec eux, les maires et élus qu’ils jugent réfractaires ! Les freins, voire les blocages que ces élus déplorent, relèvent non pas de leur fait ou de celui de leur partenaires, mais de la dynamique qui les relie à ceux-ci. Dès lors, il ne sert à rien de chercher des fautifs ou encore des coupables. Il ne sert à rien d’invoquer les grandes faiblesses de la nature humaine dès lors que du pouvoir serait en jeu. Ou encore de soi-disant basses pratiques politiques… Non, il s’agit de remédier d’urgence à cette dynamique – dynamique interrelationnelle – de façon à amener celle-ci sur un mode positif. Voilà le pas de côté auquel l’approche systémique nous convie, décisif selon nous : non plus porter notre attention sur les personnes (et leurs hypothétiques insuffisances ou malveillances), mais sur les modalités de leurs relations dans un contexte donné.

9L’approche systémique nous le dit : cessons de voir ce qui nous sépare des autres. Cessons de voir en quoi nous sommes différents, cessons de voir ce qui nous oppose : voyons plutôt ce qui nous rapproche, voyons ce qui nous relie et quelles sont les modalités à mettre en œuvre pour ce faire.

10Le projet de développement humain est sans doute là : que les hommes et les femmes d’un territoire se portent ensemble vers le développement qu’ils veulent pour eux ensemble. Qu’ils cheminent et apprennent en marchant ensemble… (Ce sont d’ailleurs là les présupposés de la gouvernance – nous y reviendrons) Un projet de développement économique n’a de pertinence que si ceux auxquels il est prétendument destiné le veulent. Mais, plus que cela : parce que, le voulant, ils l’imagineront, le délimiteront, le structureront, le conduiront, l’accompliront… ensemble. Sinon, il ne sera que le projet de ceux qui en auront été les porteurs. Pour leur fierté personnelle ? Pour leur orgueil ? Mais aussi, souvent, pour un résultat décevant.

11Nous sommes certainement victimes d’un trompe-l’œil lorsque nous disons « projet de développement territorial ». Et que, derrière, nous visons les mots économique, social, environnemental, éducatif… On ajoute encore emploi ou assainissement, ou tourisme, accès aux nouvelles technologies… Quelle méprise, si le projet n’est pas précisément l’instrument avec lequel, grâce auquel, les hommes et les femmes vont se transformer, opérer leur mutation. Là encore, nous devons changer de perspective : le projet ne vaut pas pour ce qu’il sera une fois accompli, mis à la disposition des gens qui ne sauront pas ce qu’ils doivent en faire et s’ils le veulent vraiment. Le projet vaut pour toutes les étapes de son déroulement. Pour les processus successifs avec lesquels chacun procédera à sa propre mutation interne, nécessaire à la mutation collective.

12Pour prolonger notre contribution à la gestion de l’intercommunalité et pour aider les élus à entreprendre le projet humain de développement territorial, nous voulons présenter trois propositions d’actions. Nous appellerons ces trois propositions nos trois leviers, car nous pensons qu’ils sont en effet des leviers que les élus ont la faculté d’actionner: le levier de la gouvernance, le levier spatial et le levier culturel. Chacun d’eux, sous des angles différents, approche la dimension humaine du projet territorial.

Le levier de la gouvernance

13Notre thèse en faveur de la dimension humaine du développement territorial trouve sa justification dans les idées nouvelles de gestion et de régulation de l’action publique défendue par la notion de gouvernance. Selon nous, plus que tout autre, l’intercommunalité doit s’approprier les vertus de ce qu’il est en effet désormais convenu de désigner par ce mot : gouvernance. Nous savons qu’il se tient fermement accolé à la notion de démocratie participative. La gouvernance, disons la gouvernance intercommunale, coïncide parfaitement avec l’idée que le développement territorial est affaire collective. Dès lors, les anciennes modalités de la prise de décision par les élus ne paraissent plus aussi pertinentes qu’elles le furent. Du moins, si elles ne sont pas désormais doublées de nouvelles modalités qui, elles, promeuvent le débat public et l’implication des acteurs de la société civile : de l’économique, du social et de l’éducatif, du monde associatif, etc.

14De nouvelles modalités doivent être expérimentées qui devront ouvrir le débat concernant le développement du territoire bien au-delà des instances du conseil communautaire. Ces modalités sont indispensables. Leurs chances de réussite reposeront fortement sur la capacité du premier élu de l’intercommunalité, le président ou la présidente, à adopter la posture adéquate, à incarner ces nouvelles dispositions. Certes la gouvernance est un instrument, mais elle est avant tout un état d’esprit. Elle repose pour celui, celle ou ceux qui en sont investis, sur ce que nous appelons une économie interne : une disposition ou une manière d’être à certains égards paradoxale qui, tout en endossant le rôle de garant de l’instance communautaire, favorise l’investissement le plus large possible des autres et, par conséquent, sait faire preuve de souplesse, de fluidité, de tempérance, voire, à l’occasion, de retrait. Encore une fois, il n’y a pas de développement territorial sans développement des hommes et des femmes du territoire. Mais il faut renverser la logique : seul le développement des hommes et des femmes engagés en faveur du développement territorial permettra celui-ci. L’élu voit son rôle transformé : animateur, pédagogue, manager… Générateur d’humain.

15Les élus responsables, le président, doivent par conséquent veiller à une chose qui, là encore, n’échappe pas au paradoxe. Porteurs de projets ou porteurs du projet communautaire, il leur faut éviter un écueil. Leurs projets sont de nature économique, sociale, éducative, environnementale… Ils concernent l’implantation d’entreprises, la création de nouvelles activités pour la création de nouveaux emplois, l’aménagement d’espaces protégés, l’assainissement, les transports, l’accès du plus grand nombre aux nouvelles technologies, la construction d’équipements sportifs et culturels… Certes, l’ambition des responsables porteurs de projets pour le territoire dont ils ont la charge est noble. Mais, à devoir être dans une logique de projection, dans l’activité prospective et nécessairement imaginaire que celle-ci requiert, ils se coupent parfois de ceux qui en revanche restent en prise avec la réalité de l’ici et maintenant. Notre approche vise à attirer l’attention des responsables sur l’impérative nécessité qui doit être la leur de ne pas abandonner le territoire réel pour lui privilégier celui qu’ils ont dans leur lunette de visée. Certes ce territoire est à changer (plutôt, à faire évoluer), il est à transformer. Mais cette transformation et cette évolution ne pourront avoir lieu qu’à la condition de considérer pour ce qu’elle est – vraiment ! –, la réalité et ceux qui la composent. Faute de quoi, les responsables, victimes des œillères qu’ils s’imposent [1], auront le sentiment d’avancer seuls et de se voir renvoyer non pas la gratitude qu’ils attendent mais un lot d’incompréhensions.

16Les responsables élus doivent avoir une lecture du territoire actuel, de sa population actuelle et d’un certain nombre de logiques qui la conduisent actuellement. Voire, dans certains cas, l’inhibent (cf., plus loin : Le levier culturel). Ils doivent penser que la transformation d’une population et d’un territoire ne s’opère pas parce qu’on est persuadé de la pertinence de celle-ci. Cette transformation deviendra possible parce qu’ils l’accompagneront dans un changement qui ne pourra se réaliser qu’ensemble.

17La gouvernance est un des leviers du développement durable. Cette ambition implique nécessairement de repenser les modalités de gestion de la maison commune, d’inventer de nouvelles solidarités, de renouveler l’intelligence du vivre-ensemble, d’une utopie en train de naître. Symboliquement parlant, l’intercommunalité ne peut s’exonérer de cette utopie. Elle doit au contraire être le terrain d’exercice grandeur nature de la mise en jeu des nouveaux partages, des nouvelles dépendances et interdépendances et, par conséquent, des nouvelles médiations.

18Par exemple, l’intercommunalité doit avoir le souci des équilibres. Le sentiment d’iniquité vécu par certains est la menace la plus grande qui pèse sur elle. Le souci des équilibres, c’est accepter que le chantier de l’assainissement n’accorde pas la priorité voire, quelquefois, l’exclusivité aux bourgs centres au détriment des communes excentrées ; mais procède à une répartition de compromis. C’est, lorsque l’intercommunalité s’articule autour d’un seul pôle urbain, distribuer les équipements sportifs et culturels de façon à favoriser les échanges et rompre la logique centripète qui accroît les clivages sociaux. C’est, sur un territoire étendu et rural, privilégier une école de musique distribuée sur trois sites, par exemple, plutôt que sur un seul. Les exemples ne manquent pas. Si l’équilibre est un exercice difficile, il oblige les acteurs au compromis, au rapprochement des divergences, à la recherche de l’intérêt commun. La discussion, le conflit ou l’incertitude ne doivent plus être considérés comme des handicaps ou des moments de désordre qui menacent la stabilité institutionnelle, voire la solidarité territoriale. Ils sont des moments nécessaires au rapprochement des idées et des représentations. Ils sont des phases d’apprentissages collectifs et des étapes d’ajustements. La gouvernance doit relever ces nouveaux défis.

19Dès lors, construire de nouvelles logiques spatiales pour réactiver les enjeux territoriaux peut lui en donner l’occasion.

Le levier spatial

20Le territoire n’a rien de naturel, bien que souvent affublé de cet épithète. Ses délimitations, voire son découpage, ne sont en aucune façon le fait des fantaisies de la nature – même si, à n’en pas douter, celles-ci ont pu avoir une incidence dans les décisions qui lui ont attribué son périmètre. Ces décisions sont bien le résultat de volontés humaines, quelquefois assaisonnées de tractations ou de compromis plus ou moins élégants. C’est l’homme qui détermine l’espace. Et qui, au-delà de son découpage, en détermine les qualités, les valeurs, lui confère des attributions, par exemple administratives.

21Sur le territoire communautaire les équilibres reposent en partie sur des logiques spatiales, lesquelles se combinent souvent avec des logiques politiques. L’espace conditionne constamment les pratiques humaines. Il clive, distribue les points de vue, dicte les déplacements et les rapprochements, souffle des stratégies.

22Pour l’élu, penser l’espace, c’est penser les logiques qu’il induit, dans lesquelles il peut enfermer. Et c’est se donner les moyens d’agir afin de faire évoluer les logiques établies et parfois sclérosantes, de rompre avec les logiques existantes quand elles sont néfastes et modeler de nouvelles lignes de forces et de nouvelles combinatoires.

23Un exemple : une communauté d’une soixantaine de communes en milieu rural. Le territoire communautaire est lui-même composé de quatre cantons. Cette situation n’est pas sans causer des difficultés. Ainsi, la logique cantonale s’oppose trop fréquemment à celle de la communauté de communes. Des conseillers généraux s’obstinent à défendre – parfois maladroitement – les intérêts de leur canton en contradiction avec l’intercommunalité. Celle-ci devra avoir à l’esprit qu’elle doit impérativement rompre avec le modèle par 4, lui préférer chaque fois que c’est possible l’organisation par 3. Pour reprendre un cas cité plus haut, une école de musique distribuée sur trois sites. Ou bien trois plateformes de déchetterie. Ou encore trois pôles informatiques avec accès internet. À chaque fois, la contrainte du chiffre 3 forcera à inventer de nouvelles combinaisons qui, non seulement contrediront la logique cantonale (les 4 cantons), mais ouvriront des perspectives nouvelles pour l’esprit et les comportements. Le chiffre 3 oblige à la complexité. Il oblige à dépasser le schème aliénant du système binaire (2 ou 4) qui dresse facilement les uns contre les autres. Il force à redéfinir l’espace.

24Construire l’intercommunalité exige de se débarrasser des anciens schémas, des anciens raisonnements et anciens réflexes. Il l’exige pour les élus responsables. On ne réalise pas le changement avec ses yeux d’aujourd’hui, encore moins avec ses yeux d’hier. Reconstruire l’espace, tracer de nouvelles lignes de forces et repenser les équilibres sont des passages obligés pour construire les modalités nouvelles du modèle communautaire.

Le levier culturel

25Nous entendons ici le terme culturel dans un sens quasi ethnologique. Un territoire est composé d’une population et celle-ci se caractérise par des traits marquants. Ces traits, favorables ou défavorables, constituent une sorte de marque de fabrique qui, en quelque sorte, conditionne le rapport des individus à la vie, à leur vie propre autant qu’à la vie collective. C’est en ces termes que nous parlons de culture. Les individus eux-mêmes sont assez peu conscients de ces traits marquants. Il est parfois difficile aux élus, issus eux aussi de la population, d’en avoir une conscience précise. Les sociologues parlent en particulier de « facteurs marquants défavorables », lorsque ces facteurs constituent en effet un handicap pour la population concernée et pour sa capacité à participer au développement territorial. Prenons un exemple. Ici le cas d’une population rurale peu mobile, sachant que ce qualificatif s’applique aussi bien aux déplacements géographiques qu’à la capacité des personnes à changer de métier ou à s’engager dans des formations afin de répondre aux évolutions du monde économique. Cette population présente donc une assez faible capacité d’adaptation aux changements. Le repli sur soi peut être sa tendance naturelle. Par conséquent, elle tend assez peu à encourager ses enfants à s’extraire d’elle-même pour accéder à des études supérieures. D’ailleurs, la population des jeunes diplômés est faible. Ceux-ci, partis effectuer leurs études en dehors du territoire, sont peu nombreux à revenir s’installer sur place. Dès lors, l’implantation d’activités nouvelles susceptibles de générer des emplois est rare. En revanche, la proportion de jeunes de 18 à 35 ans au chômage est nettement plus élevée que celle de la moyenne nationale. Les « facteurs marquants défavorables » pèsent souvent lourd dans la balance. Ils peuvent constituer un véritable fardeau pour le territoire et contrarier les velléités des élus responsables à engager celui-ci vers la voie du développement.

26Le terme culturel tel que nous l’employons ici paraît bien éloigné de son acception commune et moderne. Pour autant, nous allons voir qu’il peut rejoindre celle-ci. Car, en effet, si nous désignons par le qualificatif culturelles les caractéristiques d’une population précise pour ses dispositions à organiser la vie de ceux qui la composent, cette opération doit nous aider à élaborer des stratégies susceptibles de modifier les « facteurs marquants défavorables ». C’est là que l’action dite culturelle, dans son approche moderne cette fois et dans le cadre d’une politique que l’on dit aussi aujourd’hui culturelle, doit avoir un rôle à jouer. La culture sera donc entendue comme auxiliaire à part entière de la politique de développement territorial. À cet égard, les élus ne prennent pas toujours la mesure du potentiel qu’elle recèle.

27Reprenons notre exemple d’une population rurale que nous avons d’abord qualifiée de peu mobile. L’objectif des élus responsables, forts de ce constat, sera d’exploiter des leviers capables non seulement de contrarier cette propension collective à l’immobilité mais, plus encore, d’enclencher un élan vers une mobilité nouvelle, désirée, stimulante. Il pourra s’agir, pour ces élus, d’engager une politique volontariste de soutien aux projets en direction des jeunes. Politique peu coûteuse, mais qui a pour avantage d’afficher fortement l’encouragement à l’initiative, à l’inventivité, à la responsabilité, à la faculté d’entreprendre et à se projeter dans l’avenir. Elle parie sur ces jeunes qui, l’un avec un projet humanitaire, l’autre avec celui d’un groupe de rock, un troisième dans les nouvelles technologies, découvriront les joies et les bénéfices du dépassement de soi et du dépassement des frilosités de l’univers familial et social. Ces jeunes montreront sûrement, dès lors, une nouvelle forme d’attachement à leur territoire qui, parce qu’il leur aura ouvert des perspectives insoupçonnées, leur paraîtra désormais digne d’intérêt. Une autre des missions de la culture sera de favoriser la rencontre de la population avec les formes diverses de la modernité ; de rendre familière et surtout attractive à ses yeux des propositions d’art contemporain. L’essentiel en la matière étant de créer les conditions d’une relation avec une culture vivante, dynamique, actuelle voire audacieuse. La question à laquelle doivent se confronter les élus est celle d’ancrer leurs concitoyens dans le bruissement du monde d’aujourd’hui, à l’opposé du repli sur soi et des valeurs surannées. Créer un événement culturel fort et original, tel un festival, capable de donner une visibilité au territoire qui dépasse les frontières de celui-ci, constitue une autre des missions de la culture.

28On le voit, la culture n’est pas un simple gadget pour espérer distraire une jeunesse quelque peu désœuvrée. Au contraire, elle doit être considérée comme l’un des bras armés d’une politique de développement territorial qui sait que cette formule sera creuse tant que les hommes et les femmes n’en seront pas les acteurs principaux. Le développement territorial suppose, pour ces hommes et ces femmes, d’opérer des déplacements internes, des transactions de valeurs, des mues et des mutations. Pour changer. Car changer ce n’est pas quitter un état pour entrer (instantanément !) dans un autre état. Changer, c’est entamer une série de processus, renoncer à des positions acquises, déconstruire des valeurs établies pour en envisager de nouvelles, encore imprécises, incertaines, expérimenter des rapports inédits. La culture ou ce que l’on a coutume d’appeler l’action culturelle constitue un levier indéniable pour accompagner ces processus de changement individuels et collectifs.

29À condition de ne pas oublier que la modification des « facteurs marquants défavorables » ou, plus simplement, leur évolution vers une orientation favorable nécessite du temps. Un certain temps !

Notre logiciel

30« Humain, trop humain » dit le philosophe. La dimension humaine serait-elle le péché mortel de l’intercommunalité qui l’enliserait dans le travers des conflits d’intérêts et le ressac insistant de son impuissance ? Nous ne voulons pas le croire une seule seconde. Au contraire, nous voulons voir dans cette réalité indiscutable le fond de vérité dans lequel il faut puiser. Et puiser encore.

31Oublier l’essentiel ce serait oublier que l’intercommunalité est faite pour les hommes et les femmes, par les hommes et les femmes, avec les hommes et les femmes. Une affaire humaine par conséquent. Forcément humaine. Indiscutablement humaine.

32L’erreur consiste à n’en rien savoir ou à volontairement l’ignorer. La seule position responsable, mais aussi la seule efficace, est celle qui commence par considérer la dimension humaine du développement territorial et, ce faisant, à promouvoir le désir de développement des hommes et des femmes. Aujourd’hui, avec les bouleversements auxquels l’avenir nous confrontera, il est assez de sujets capables de mobiliser les esprits et les énergies. Encore faut-il que les instruments de la gouvernance suivent. Encore faut-il, par conséquent, que ceux qui en ont la charge en tentent l’aventure.

33Pour reprendre une expression à la mode, il nous faut faire évoluer notre logiciel. Non pas le changer, mais le faire évoluer. Ce devoir implique une forme de mise en mouvement intellectuelle, la construction d’autres compétences et un apprentissage collectif.


Date de mise en ligne : 03/06/2014

https://doi.org/10.3917/pour.204.0007

Notes

  • [1]
    Comme l’on fixait autrefois des œillères aux montants de la bride des chevaux pour les obliger à regarder droit devant eux et empêcher qu’ils se laissent distraire par leur environnement immédiat.

Domaines

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Sciences, techniques et médecine

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